Un capricieux canon à particules - Irfu

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Un capricieux canon à particules - Irfu
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JEUDI 16 AOÛT 2001
Sciences et médecine
GÉNÉTIQUE Une étude américaine controversée fournit de mauvais arguments aux adeptes de la reproduction asexuée
BALLON
L’homme plus facile à cloner qu’une vache ?
Fossett défie les Andes
Alors que les projets de clonage humain de l’Italien Severino
Antinori soulèvent l’indignation dans le monde, des chercheurs
américains affirment dans une étude publiée hier qu’il serait
moins difficile de cloner des hommes que des moutons ou des
vaches. Ils se fondent sur une particularité génétique de l’espèce humaine. Mais les conclusions théoriques qu’ils en tirent
sont vivement contestées dans la communauté scientifique.
Marc Mennessier
L’information va-t-elle encourager tous les apprentis sorciers
qui, à l’instar de Severino Antinori, rêvent de cloner des êtres
humains ? Alors que le sulfureux
médecin italien entretient la
confusion sur son rocambolesque projet (nos éditions du 15
août 2001), des chercheurs
américains affirment, dans un
article paru hier dans la revue
Human Molecular Genetics,
qu’il serait plus facile de cloner
(autrement dit de reproduire
sans fécondation) un homme
qu’un mouton, une vache ou
une souris.
Car la technique est loin d’être
au point : moins de 5 % seulement des embryons de mammifères clonés arrivent normale-
ment à terme. Et la plupart des
survivants naissent avec de
graves malformations : hypercroissance fœtale (certains
veaux pèsent deux fois plus
lourd que la normale !), immunodéficience, vieillissement accéléré, immaturité pulmonaire (1)...
Au-delà des considérations
éthiques ou philosophiques, la
communauté scientifique et médicale s’est toujours prononcée,
de façon quasi unanime, contre
le clonage reproductif d’un être
humain, compte tenu des
risques pour la mère et l’enfant à
naître. Mais qu’en sera-t-il demain si certains verrous « techniques » étaient levés, comme le
suggèrent les travaux menés par
l’équipe du Duke University Medical Center (Caroline du Nord) ?
Ces chercheurs viennent de
montrer que l’homme et cer-
tains primates possèdent deux
copies (ou allèles) fonctionnelles
du gène du « récepteur du facteur de croissance 2 ressemblant à l’insuline » (IGF2R), impliqué dans le contrôle de la
croissance cellulaire. En revanche, chez les autres mammifères, seul l’exemplaire transmis
par la mère est actif.
Selon eux, cette différence apparemment anodine, apparue
au cours de l’évolution il y a environ 70 millions d’années,
pourrait rendre l’homme moins
sensible à certaines anomalies,
en particulier l’hypercroissance
fœtale, dont souffrent moutons,
vaches, souris et cochons clonés.
Le professeur Randy Jirtle,
l’un des coauteurs de l’étude, explique en effet que, lors du processus de clonage, certaines manipulations
perturbent
l’expression du gène IGF2R.
C’est notamment le cas pendant
la phase de mise en culture des
cellules somatiques prélevées
sur la peau de l’adulte « donneur », lesquelles serviront, par
la suite, à créer les futurs embryons clonés, génétiquement
identiques à leur unique parent.
Or, à ce stade, il arrive fréquemment que la copie du gène
IGF2R d’origine paternelle, d’ordinaire inactive, se « réveille »,
provoquant ainsi une hypersécrétion de facteur de
croissance 2 et donc une croissance anormale du fœtus. Un
cessus de clonage pourrait être
moins compliqué chez les
hommes que chez les
moutons », n’hésite pas à déclarer de son côté, à l’AFP, son collègue, Keith Killian. Des conclusions loin de faire l’unanimité.
Ian Wilmut, le père de la célèbre brebis
Dolly, premier
mammifère
cloné en 1996,
estime, dans le
quotidien américain, que les
chercheurs de
Duke University « surestiment la portée
de leurs intéressants résultats ».
Des travaux récents menés
sur des souris clonées par Rudolf Jaenish du département
de biologie du MIT (Massachusetts Institute of Technology)
démontrent en effet que l’hypercroissance fœtale ou « syndrome du gros veau » n’induit
pas forcément de surmortalité.
Surtout, cette malformation
n’est que l’un des nombreux
handicaps dont souffrent les
Pour Ian Wilmut, le père
de Dolly, les chercheurs
de Duke « surestiment
la portée de leurs
intéressants résultats »
risque auquel l’homme serait à
l’abri, dans la mesure où, clonage ou pas, ses deux allèles
s’expriment.
Interviewé hier par le New
York Times, Randy Jirtle s’est
défendu d’être un partisan du
clonage reproductif d’êtres humains : « Nous avons juste présenté une information », a-t-il
souligné. « Il s’agit des premières données génétiques
concrètes montrant que le pro-
animaux clonés. Comme l’explique au Figaro le généticien
français Axel Kahn, « l’expression du gène IGF2R n’a strictement rien à voir avec les multiples autres malformations
constatées. Ce gène n’a en
outre aucun rapport avec les
échecs constatés par les
équipes qui ont essayé de cloner des singes macaques. Il
semble que ces embryons ne
sont pas parvenus à se développer à cause de l’asynchronisme entre le rythme de division cellulaire du noyau de la
cellule du donneur, et le
rythme impulsé par le cytoplasme (l’enveloppe) de
l’ovule ».
L’affirmation des chercheurs
de Duke University paraît donc
pour le moins hâtive. D’autant
qu’aucune expérience, même
sur des primates non humains,
ne permet de l’étayer. Avant de
faire de telles annonces, « il
faudrait connaître les mécanismes précis des échecs du
clonage, remarque Axel Kahn,
or c’est loin d’être le cas ».
(1) Nos éditions du 7 août 2001.
C’est à une petite vitesse
– 38 km/h – que le milliardaire
aventurier Steve Fossett s’approchait hier de la côte chilienne, après avoir traversé
l’océan Pacifique sans encombre à bord de son ballon
géant le Solo Spirit. L’Américain avait parcouru hier soir
plus de 18 000 km, soit 46 %
du tour du monde, qu’il tente
de boucler pour la cinquième
fois seul, aux commandes de
sa « rozière ».
Dans la nuit de mardi à
mercredi, le pilote est sorti de
sa nacelle pour réparer un
brûleur en panne. Une manœuvre périlleuse dans le froid
des hautes altitudes et l’obscurité.
A l’université Washington
de Saint Louis, dans le Missouri, les contrôleurs et le météorologue de l’expédition tentaient de planifier le meilleur
itinéraire pour franchir la cordillère des Andes. Le pilote du
ballon à air chaud et hélium
contrôle seulement l’altitude
de son aérostat, ce qui lui permet d’« attraper » des vents
favorables. Il croisait hier à
7 920 mètres, où l’oxygène est
rare. Mais il devra s’élever en-
core, à plus de 8 800 mètres,
pour franchir la barrière montagneuse et éviter les vents
violents et les orages qui pourraient être au rendez-vous. Cependant, les réserves d’oxygène embarquées dans la
nacelle non pressurisée du
Solo
Spirit
devraient
contraindre Steve Fossett à redescendre à une altitude respirable, une fois les sommets
andins franchis.
A Saint Louis, son équipe
technique guette la moindre
faute de frappe ou de ponctuation sur les messages électroniques envoyés par l’aérostier,
qui pourraient trahir un
manque d’oxygène.
D’ores et déjà, le persévérant Américain a battu le record de durée en solitaire dans
un ballon, qui avait été établi
l’an dernier par Kevin Uliassi.
Ce dernier était resté 10 jours,
3 heures et 28 minutes dans le
ciel. Fossett, parti le 4 août
d’Australie, devait entamer ce
matin son douzième jour de
croisière.
F. N.-L.
Pour suivre le ballon sur Internet :
http ://www.solospirit.wustl.edu/
RECHERCHE Les tribulations d’un physicien français en Virginie
En bref
Un capricieux canon à particules
ESPACE
Les 1 000 jours
de l’ISS
Le Figaro a suivi un physicien français invité à travailler dans l’impressionnant
accélérateur de particules de
Newport News en Virginie.
Après avoir suivi des procédures de sécurité plus
strictes qu’en France (nos
éditions du 14 août 2001),
Thierry Pussieux peut affronter cette machine sans équivalent dans l’Hexagone.
Les dix cosmonautes actuellement en orbite, dans le
complexe formé par la station spatiale internationale
ISS et la navette Discovery
qui y est amarrée depuis
lundi, ont fini de décharger
le matériel stocké dans le
grand container Leonardo.
Cela fait aujourd’hui
1 000 jours que le premier
élément de l’ISS est en orbite, et 288 jours que la station est occupée en permanence par des équipages de
trois astronautes. Frank Culbertson, le commandant du
troisième équipage, qui vient
de prendre ses nouveaux
quartiers orbitaux et qui
n’est pas retourné dans l’espace depuis 1993 se sent encore maladroit en apesanteur et admire l’aisance de
l’équipage qui va regagner
la Terre en navette la semaine prochaine.
Newport News (Virginie) :
de notre envoyé spécial,
Cyrille Vanlerberghe
En surface on ne voit rien, enfin presque. Seule une route
goudronnée et quelques petites
constructions métalliques matérialisent l’anneau de l’accélérateur de particules, enfoui à une
dizaine de mètres sous le sol. La
machine du Jefferson Laboratory, située dans le sud de la Virginie, a tout de même une circonférence de près d’un
kilomètre et demi, et accélère
des électrons à une vitesse très
proche de celle de la lumière.
Comme chaque matin lors de
son passage dans le laboratoire
américain, Thierry Pussieux,
chercheur au service de physique nucléaire du CEA (Commissariat à l’énergie atomique)
se rend à la traditionnelle réunion de 8 heures au Centre de
contrôle de la machine, un édifice sans étage situé à l’intérieur
de l’anneau. Les responsables
de la bonne marche de l’accélérateur présentent aux chercheurs le compte rendu du fonctionnement de la veille. Ce
matin, la réunion est brève et
peu détendue, car la machine a
connu de nombreux déboires la
veille, et n’a fourni de faisceaux
d’électrons que la moitié du
temps, beaucoup moins que la
moyenne d’utilisation de 75 %.
Cette semaine, par hasard, le
coordinateur chargé du pilotage
de l’accélérateur est français.
Yves Roblin, ancien chercheur
du CNRS à Clermont-Ferrand,
est désormais salarié du Jefferson Laboratory. « Nous avons
des problèmes avec la cryogénie, explique-t-il. Avec la grosse
chaleur qu’il y a en ce moment,
certaines cavités accélératrices
décrochent ; quand elles ne sont
plus assez refroidies, elles ne
sont plus supraconductrices. Il
Un avion
lance-satellite
Les Russes ont annoncé hier
leur intention d’effectuer en
2003 un lancement de satellite depuis un avion, une première mondiale. La société
Vozdouchny compte utiliser
l’avion cargo russo-ukrainien
Rouslan et un nouveau lanceur baptisé Poliot mis au
point par RKK Energuia.
Les deux électroaimants (10 mètres de long sur près d’une vingtaine de haut) dirigent les flux de particules vers des détecteurs.
Le contraste entre la taille des installations et celle des particules étudiées est impressionnant. (DR.)
faut alors les relancer, ce qui
prend du temps. »
La machine est extrêmement
complexe, et comporte des centaines d’éléments sensibles, des
électroaimants, qui demandent
des réglages fins pour arriver à
faire passer les électrons dans
d’étroits tubes. Les 400 cavités
qui accélèrent les électrons et
leur donnent une énergie de
6 GeV (6 gigaélectronvolts) doivent également être refroidies à
une température de – 269° C.
Cette énergie de 6 milliards
d’électronvolts est une fois et
demie supérieure à celle qui
était prévue lors de la conception de l’engin. Mais la direction
a finalement préféré construire
un accélérateur « froid », entièrement supraconducteur, fortement cryogénisé, et donc plus
puissant. Pour compenser cette
augmentation de coût, il a été
décidé de sacrifier une aile du
bâtiment administratif, et de
faire travailler une partie du
personnel dans des préfabriqués !
Pour les chercheurs dont les
expériences sont en cours, le
fonctionnement perturbé de la
machine est une mauvaise nouvelle. « Pas de faisceau, pas de
physique », résume abruptement Thierry Pussieux, venu
justement en Virginie pour
prendre des données sur un
des instruments conçus et installés par l’équipe du CEA de
Saclay. Sans électrons dans
l’appareil, il n’y a rien à mesurer. Les physiciens sont donc
très attentifs à l’état de la machine, de la même manière que
les astronomes surveillent la
météo et la clarté du ciel. Heureusement, l’accélérateur fonctionnera plus régulièrement les
jours suivants.
Après la réunion du matin,
direction la salle de contrôle du
hall expérimental A. Le trajet
d’à peine 200 m se fait évidemment en voiture : « C’est l’Amérique ! Ici personne ne
marche », justifie en riant le
physicien français. A une des
extrémités de l’anneau souterrain, trois grosses buttes de
terre toutes rondes attirent l’attention. Elles abritent les halls
d’expérimentation, dans lesquelles les électrons sont projetés sur des cibles d’hydrogène
ou d’hélium. Ces collisions produisent des particules secondaires qui permettent aux cher-
cheurs de mieux comprendre la
composition interne des protons et des neutrons.
Profitant de l’arrêt temporaire de la machine, Thierry
Pussieux descend dans le
hall A, où se trouve l’appareil
de mesure pour lequel il est
venu. L’entrée est strictement
contrôlée par les équipes de
sécurité. Les badges et dosimètres mesurant les radiations sont vérifiés dans un sas
par une caméra vidéo. Avant
d’entrer dans le hall, chacun
doit prendre une clé numérotée qui sert ensuite à vérifier
que tout le monde en est ressorti. En entrant, il est impossible de ne pas être impressionné par la taille de la salle
souterraine haute de 20 m. Les
massifs équipements métal-
liques installés sous la coupole
de béton de 50 m de diamètre
évoquent furieusement une
installation secrète d’un film
de James Bond. Au centre se
trouve la cible d’hélium, dans
une boule métallique rouge
d’un mètre de diamètre. Derrière la cible, des énormes
électroaimants d’une dizaine
de mètres de long dirigent les
gerbes de particules émises
par les collisions vers les détecteurs qui enregistrent leur passage. Le contraste entre
l’échelle microscopique des
particules et les moyens
énormes mis en place pour les
étudier est frappant.
© PROCHAIN ARTICLE
:
ÉLECTRONS SOUS HAUTE
SURVEILLANCE
SIDA
Au Japon,
du sperme
décontaminé
Des médecins japonais de
l’hôpital universitaire de Niigata, partenaires de l’université Keio de Tokyo, affirment avoir mis au point une
nouvelle technique de fécondation in vitro qui leur permettrait de faire naître des
bébés sains de pères porteurs du virus VIH. Le
sperme des maris porteurs
séropositifs a été placé dans
une centrifugeuse puis filtré.
Les spermatozoïdes les plus
actifs ont ensuite été retenus
pour l’insémination. Deux
femmes ont ainsi été insémi-
nées avec le sperme de leur
mari ainsi « épuré », en février et en juin. « La sécurité
contre l’infection est pratiquement de 100 % », affirme
un responsable de l’hôpital,
qui estime sa technique plus
sûre que celles déjà évaluées
en Europe.
CANNABIS
Essais cliniques
au Canada
GW Pharmaceuticals, une
société britannique pharmaceutique autorisée à expérimenter les effets thérapeutiques du cannabis, a
indiqué mardi qu’elle allait
commencer des essais cliniques au Canada, présentés
comme les premiers tests de
ce genre entrepris en Amérique du Nord. Du cannabis
sera administré par vaporisation sous la langue à des
patients souffrant notamment de sclérose en plaques
ou de blessure à la colonne
vertébrale, à l’hôpital d’Ottawa. Le Canada autorise les
personnes souffrant de douleur grave chronique à demander l’autorisation de
cultiver ou de posséder du
cannabis pour des fins médicales.
CARDIOLOGIE
L’homme
au cœur artificiel
infecté
L’Américain qui a reçu le
premier cœur artificiel autonome, le 2 juillet, au Jewish
Hospital de Louisville (Kentucky), souffre depuis la semaine dernière d’une infection respiratoire et
d’hémorragies intestinales.
Il a été replacé sous respiration artificielle. Selon l’un
de ses médecins, le Dr Laman Gray, cité par le New
York Times lundi, les antibiotiques font effet sur ce
quinquagénaire diabétique.
L’état du malade s’était
amélioré ces dernières semaines puisqu’il pouvait
s’asseoir et faire de l’exercice avec de petits haltères,
alors qu’il n’avait plus que
quelques semaines à vivre
avant la greffe.