La France et les pays anglo-saxons face au developpement

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La France et les pays anglo-saxons face au developpement
© Éditions ESKA, 2011
DÉBAT
LA FRANCE ET LES PAYS
ANGLO-SAXONS FACE
AU DÉVELOPPEMENT
DE LA GESTION
Avec
Daniel ATLAN
DRH d’ArcelorMittal Mining
Alain BURLAUD
Professeur de sciences de gestion au CNAM
Thomas DURAND
Professeur de sciences de gestion au CNAM
Leslie HANNAH
Visiting professor of economic history à la London School of Economics
Colin MAYER
Professeur de management et doyen de la Saïd Business School, Université
d’Oxford
Débat coordonné par
Lise Arena
Université de Nice Sophia-Antipolis
et
Eric Godelier
Ecole Polytechnique
Comment les formations à la gestion ont-elles répondu aux demandes
des entreprises et à celles de la démarche scientifique ? Comment ontelles été contrôlées puis évaluées par diverses parties prenantes ?
Quelle place est occupée par la formation continue ? Les participants
au débat comparent l’expérience historique de la France, de la GrandeBretagne et des Etats-Unis sur fond de montée de la mondialisation.
ENTREPRISES ET HISTOIRE, 2011, N° 65, pages à
1
DÉBAT
D’UNE COMPÉTENCE
COMPLÉMENTAIRE
A DES FORMATIONS
A PART ENTIÈRE
Lise Arena : On peut s’intéresser dans un
premier temps à l’évolution des qualifications en gestion. Depuis le début du
XXe siècle, on est passé de diplômes en gestion ayant peu de valeur en raison de la
croyance forte que la gestion ne pouvait que
s’apprendre dans l’entreprise à des
diplômes valorisés en dotant le diplômé
d’une vision globale des enjeux de l’entreprise. D’après vous, comment la reconnaissance de ces diplômes a-t-elle évolué au
cours de l’histoire, et d’abord en France1 ?
Thomas Durand : La gestion, au sens de la
conduite de l’action collective organisée,
relève à mes yeux tout à la fois de l’univers
des pratiques et d’un champ de connaissances adossé à un corpus théorique. Cette
dualité, que l’on retrouve par exemple en
médecine, est redoutable. Car le versant des
pratiques suggèrerait de former les managers, c’est-à-dire ceux qui gèrent, par l’expérience via « l’université de la vie » – donc
par l’apprentissage empirique et le compagnonnage dans les organisations. Mais le
versant des connaissances formelles exige
une formation plus structurée, conceptualisée et de portée plus générale, passant par la
théorisation issue de la démarche scientifique. Et, là, l’enseignement supérieur a
pleinement son rôle à jouer.
Alain Burlaud: Dès le XIXe siècle, il faut
distinguer deux niveaux de formation aux
métiers de la gestion : les dirigeants et les
exécutants ou techniciens.
Lise Arena : La formation des dirigeants et
les diplômes de MBA seraient donc en fait
assez anciens ?
Alain Burlaud : Oui, pour ce qui est des
dirigeants, l’enseignement de la gestion est
apparu sous la forme d’une compétence
complémentaire. Le dirigeant était avant
tout un ingénieur qui accédait en milieu de
carrière à des fonctions de direction. Le
modèle du MBA a donc deux siècles. Ainsi,
en France l’enseignement de l’économie,
qui recouvrait à l’époque en réalité très largement la gestion, se développe initialement en marge des universités, dans un établissement comme le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) avec la
création de la chaire d’économie industrielle en 1819 confiée à Jean-Baptiste Say2 puis
au Collège de France avec la création de la
chaire d’économie politique en 1830, offerte également à J.-B. Say. Le CNAM, qui
formait en cours du soir aux sciences et
techniques industrielles, complétait cette
formation par des enseignements d’économie et gestion.
Eric Godelier : Qu’en était-il dans les universités ?
Alain Burlaud : Dans les universités, la
gestion, souvent réduite à la comptabilité,
n’était qu’une partie de la formation économique proposée par les facultés de droit. Il
était logique que, par exemple, les fiscalistes aient une formation comptable. Il faudra attendre la création des Instituts d’administration des entreprises (IAE) en 1955
pour que la gestion corresponde à un par-
1 Cf. J.-P. Nioche et M. de Saint Martin (dir.), Former des gestionnaires, Entreprises et Histoire, n° 14-15, juin
1996 ; M.-E. Chessel et F. Pavis, Le technocrate, le patron et le professeur. Une histoire de l’enseignement supérieur de gestion, Paris, Belin, 2001 ; P. Fridenson et L. Paquy, « Du haut enseignement commercial à l’enseignement supérieur de gestion (XIXe-XXe siècles) », in P. Lenormand (dir.), La Chambre de commerce et d’industrie de
Paris 1803-2003, t. II : Etudes thématiques, Genève, Droz, 2008, p. 199-257.
2 Cf. M. Le Moël, R. Saint-Paul et alii, Le Conservatoire national des arts et métiers au cœur de Paris, Paris,
Délégation à l’action artistique de la ville de Paris, 1994.
2
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cours autonome et diplômant dans
l’Université mais s’appuyant sur une formation supérieure hors du champ de la gestion
du type Executive MBA. Les IAE
accueillaient ainsi des ingénieurs, des
médecins, des pharmaciens, etc. Ce n’est
qu’à partir des années 1960 que sera satisfait le besoin de cadres gestionnaires sans
formation supérieure aux sciences et techniques industrielles3. Ainsi, en 1966, les
pouvoirs publics créent dans les universités
les Instituts universitaires de technologie
(IUT) avec des départements de gestion et
administration des entreprises (GEA). En
1971 apparaissent des maîtrises avec un
régime spécial comme les maîtrises de
sciences de gestion (MSG) puis les maîtrises de sciences et techniques comptables
et financières (MSTCF) en 1974. La
FNEGE jouera un rôle essentiel à cette
époque, contribuant à créer un corps enseignant en gestion en offrant un grand nombre
de bourses pour que de jeunes doctorants ou
docteurs soient formés au management dans
les business schools américaines ou canadiennes. Enfin, en 1976 fut créée l’agrégation de sciences de gestion, donnant à la discipline une véritable autonomie et visibilité
et un statut académique.
Daniel Atlan : A mon sens, l’évolution et la
reconnaissance des diplômes sur le marché
du travail sont d’abord liées aux priorités
que les entreprises (leurs propriétaires ou
leurs gestionnaires) s’assignent. La formulation même de votre question reflète la culture qui domine aujourd’hui : pour le diplômé en le dotant d’une « vision globale des
enjeux de l’entreprise », un diplôme de gestion ne donne aucune compétence particulière en techniques de production ou en
développement technique, compétence dont
on pourrait penser qu’elle participe d’une
vision globale de l’entreprise.
Eric Godelier : Comment étaient alors formés les exécutants, en comparaison aux
dirigeants ?
Alain Burlaud : Pour ce qui est des exécutants, les besoins d’une formation technique
structurée ont été satisfaits avec la création
des écoles de commerce à l’initiative du
patronat via les chambres de commerce et
d’industrie dont la plus ancienne est celle de
Paris, créée en 18194. Jean-Baptiste Say y
enseigna également. Il s’agissait de former
essentiellement les employés du back office
de l’industrie : teneurs de livres et employés
administratifs. Ce n’est qu’après la Seconde
Guerre mondiale que ces écoles deviennent
de véritables grandes écoles pouvant se
comparer aux écoles d’ingénieurs par leur
recrutement (classes préparatoires, apparues
progressivement), leurs objectifs (former
des dirigeants) et leur corps professoral (le
recrutement de professeurs permanents
débute dans la première moitié des années
1960). Universités et écoles de commerce se
retrouvent en concurrence en visant les qualifications les plus élevées et la formation
des exécutants devient l’apanage des baccalauréats technologiques (série G puis baccalauréat « sciences et technologies tertiaires » [STT] et, enfin, « sciences et technologies de la gestion » [STG] en 2004) et
des brevets de techniciens supérieurs
(BTS). Il faut y ajouter un grand nombre
d’écoles privées de niveaux très variables
allant de la sténographie à la comptabilité
en passant par les techniques de vente.
3 F. Pavis, « Une discipline « utile » dans l’enseignement supérieur : promotion et appropriations de la gestion
(1965-1975) », Le Mouvement Social, octobre-décembre 2010, p. 127-142.
4
L’Ecole spéciale de commerce et d’industrie, créée le 1er décembre 1819 à Paris à l’initiative de deux anciens
clients de l’homme d’affaires Vital Roux et de celui-ci, a été rebaptisée en 1852 Ecole supérieure de commerce, et
la Chambre de commerce de Paris en fit l’acquisition en 1869. A partir de 1872, d’autres écoles furent créées en
province par les chambres de commerce. Cf. S. Servan-Schreiber, Les épices de la République, Paris, CpL, 1994.
Elle est devenue en 2009 l’ESCP Europe.
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3
DÉBAT
Lise Arena : Voulez-vous dire que pour les
exécutants, le contenu de les enseignements
était très appliqué et beaucoup moins théorique ?
lution est soutenue par le rêve de l’entreprise fabless, l’entreprise sans usine, où délocalisation et outsourcing évitent d’avoir à se
poser des questions techniques5.
Alain Burlaud : Le point remarquable est
la constance du souci de l’insertion professionnelle et la proximité des milieux patronaux dans la définition de cette offre de formation tant au niveau des exécutants que
des cadres. La pédagogie avec la place laissée aux études de cas et aux stages et le
recours à de nombreux enseignants vacataires issus du monde professionnel ont eu
pour conséquence de régler en amont la
question de la reconnaissance et de la valorisation des diplômes de gestion sur le marché du travail.
Lénine avait déclaré6 : « le communisme,
c’est les soviets plus l’électricité », autrement dit, l’économie (le communisme) c’est
l’organisation (les soviets) plus la technique
(l’électricité). On peut affirmer avec lui
qu’une vague d’innovation est en fait composée de trois vagues : une vague technique,
puis une vague organisationnelle et enfin
une vague gestionnaire. Ainsi quand F.W.
Taylor implante ses outils de gestion de production chez Bethlehem Steel dans les
années 1890, il met en place les balbutiements de ce qui deviendra plus tard la
comptabilité analytique où les coûts sont
découpés en sections comme les activités
des producteurs sont découpées en tâches
élémentaires. On voit donc bien comment à
chaque vague correspond un idéal type de
cadre : ingénieur, puis organisateur, enfin
manager.
Lise Arena : Par rapport aux réponses qui
viennent d’être formulées, si on s’intéresse
à une période un peu plus récente de cette
évolution, disons après le premier tiers du
XXe siècle, comment les choses se sontelles développées ?
Daniel Atlan : Pour faire vite, de la
Dépression de 1929 jusqu’aux années 1970,
la question de la production était la question
principale. Les innovations (automobile,
chemin de fer, électroménager, enfin électronique grand public) ne pouvaient devenir
des marchés économiquement viables que si
les entreprises savaient produire en masse
des objets fiables. Dans ce contexte, les
besoins, donc les diplômes les plus valorisés étaient avant tout techniques.
Aujourd’hui, la financiarisation et la tertiarisation de l’économie conduisent les entreprises à mettre en avant des besoins en gestion et du coup les MBA deviennent la clé
d’entrée dans toutes les fonctions de l’entreprise alors qu’en France, depuis les années
1950 au moins, être ingénieur était le sésame qui ouvrait toutes les portes. Cette évo-
Eric Godelier : Dans les faits, est-ce que
l’Université joue bien son rôle ?
Thomas Durand : Pas toujours.
L’Université, que l’on pourrait croire animée par la soif de comprendre le monde et
de générer la nouveauté, a eu historiquement du mal à s’accommoder de champs
émergents susceptibles de déstabiliser ses
découpages institutionnels internes, les
fameux silos disciplinaires, et cela d’autant
plus que les champs nouveaux relevaient
pour tout ou partie de sciences de l’action.
D’où en France, comme le soulignait Alain
Burlaud, à partir du milieu du XVIIIe siècle
les écoles d’ingénieurs puis le CNAM pour
les techniques, et plus tardivement au
XIXe siècle les écoles de commerce pour la
gestion. (L’Etat attendra 1955 pour com-
5
On peut lire au fronton de l’ESCP Europe (campus de Paris), entre autres mots, « Colonies »…
6
Comité Central du PC (b) de l’URSS, 7 février 1920.
4
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mencer à créer, à l’instigation de Gaston
Berger, ses propres solutions de formation à
la gestion avec les IAE, sortes d’écoles dans
les universités, comme en 1957 les INSA,
initiés par Jean Capelle et Gaston Berger,
ont constitué les premières réponses universitaires au besoin d’ingénieurs). Sur le fond,
la solution des écoles de commerce est jusqu’à bien après la guerre un schéma hybride
où des praticiens viennent partager leurs
expériences avec des jeunes sélectionnés
pour absorber les leçons de ces condensés
de vie. C’est le modèle du country club où
les membres racontent leurs guerres aux
plus jeunes. Comme nous l’avons montré,
avec Stéphanie Dameron, dans notre analyse de l’avenir des business schools, ce n’est
plus le schéma dominant aujourd’hui7.
Lise Arena : Leslie Hannah and Colin
Mayer, could you tell us a bit more about
this evolution in the UK ?
Leslie Hannah : Early management training in the Anglo-Saxon world was often
very practical and privately provided: the
various for-profit commercial colleges in
the US and UK which taught subjects like
shorthand, boardroom procedure, accounting and commercial law, for example, were
more valued than early university business
schools at Pennsylvania and Birmingham
(where a high proportion of students were
wealthy Japanese : rich British and
American businessmen sent their children
to Harvard and Oxford to read classics and
history!). While the various institutions
connected to universities or grandes écoles
in France and Germany had varying prestige rankings, they were arguably taken more
seriously than their Anglo-Saxon equivalents by employers until about the 1930s.
One could say a great deal about how things
changed both in the public or private sectors. Executive education specialists like
Henley and Ashridge led the way after the
7
war, but the situation in the UK was transformed when some former colleges of
advanced technology and the London and
Manchester Business Schools started postgraduate programmes in management in the
1960s.
Colin Mayer : As Leslie Hannah pointed
out, there has been some very substantial
increase in the number of business schools
over the past few decades. The relevance of
business schools in terms of the recruitment
by companies has increased significantly.
One of the reasons why that role has
become so much significant is business
schools perform an important function of
screening the quality of people who are
coming into the job market some 6 or
7 years after they graduated from
University. In this country, there has been a
massive rise in the number of business
schools from 2 or 3 over few decades ago to
now 90 or so. The nature of these business
schools varies appreciatory from those that
are essentially focused on people who want
to go to a local/ regional business school,
from those who want to get to a national
business school to those who want to go to
an international business school.
Lise Arena : Do you mean that self-selection is a big reason for the existence of business schools?
Colin Mayer : There is a large amount of
self-selection by people who are choosing
between different business schools as well
as inequality of evaluations that goes on
between all students who are actually at the
same business school. So, that means that
from the point of view of recruiters, the
business school performs a very important
function in terms of sifting different individuals on the basis of the institutions that
they select as well as how well they do within those institutions.
The Future of Business Schools: Scenarios and Strategies for 2020, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2007.
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DÉBAT
Eric Godelier : A la lumière de la réponse
de Colin Mayer, peut-on parler de spécificité française ?
Thomas Durand : Si la Grande-Bretagne a
longtemps échappé à ce type de dispositif,
c’est qu’on y préfère des têtes bien faites,
structurées dans des disciplines plus traditionnelles, et que la vie professionnelle fera
le reste. Les business schools ne commenceront à fleurir dans les universités britanniques que dans les années 1960 et
OxBridge attendra encore plus de deux
décennies avant de s’y mettre. L’Allemagne
échappera au modèle des business schools
et verra la formation doctorale dans les
champs scientifiques devenir la voie royale
vers l’entreprise. Par contre les Etats-Unis,
avec leurs business schools intégrées à
l’université, à commencer par la Wharton
School à l’University of Pennsylvania en
1881, vont suivre le chemin du country
club… jusqu’aux rapports Gordon-Howell
et Pierson8 qui, à la fin des années 1950, ont
appelé le champ du management à rallier la
rigueur de la démarche scientifique. Ceci a
conduit depuis à voir les sciences de gestion
singer les sciences dures et les sciences économiques, en quête de légitimation scientifique. L’approche par les cas comme les
études cliniques allaient être affublées d’un
qualificatif infamant : anecdotal, pour laisser place à l’hypothético-déductif et aux
tests statistiques afférents, ce qui embarquait le gros du champ de la gestion dans
une posture épistémologique positiviste. Et
la domination nord-américaine sur le management a fini par entraîner l’Europe puis le
reste du monde dans la même voie durant la
dernière décennie du XXe siècle9.
Eric Godelier : Comment caractérisez-vous
alors cette évolution ?
Thomas Durand : On est en quelque sorte
passé d’une approche des années 1930, fondée sur l’apprentissage via les praticiens, la
méthode des cas (typiquement importée en
France par le CPA à partir de 1930) et l’apprentissage sur les « bancs de l’université de
la vie », à une approche plus structurée et
plus structurante, dispensant des connaissances théoriques légitimées par la
recherche mais potentiellement moins en
prise avec la vraie vie.
Lise Arena : Est-ce qu’on peut appliquer
votre réponse à tous les types de formation ?
Thomas Durand : Comme l’a fait Alain
Burlaud, il est à mon sens utile de distinguer
deux types de formation à la gestion. Le
premier est la formation générale, transversale à la gestion d’une activité, avec une vue
d’ensemble, par le haut. Quand il s’agit de
former le futur praticien, chacun s’accorde
pour considérer que deux années pleines
suffisent à apporter les connaissances
nécessaires, à la double condition que le
public visé dispose déjà d’une formation
première structurante ainsi que d’une première expérience du monde des organisations. C’est là que l’emblématique MBA
trouve toute sa place. Mais il existe un
second besoin générique en gestion, celui
du technicien dans une spécialité de gestion
(le comptable, le logisticien, l’acheteur, le
commercial, le responsable paie, etc.). Cette
formation vise alors un public a priori
moins avancé et peut se faire en premier
cycle.
Eric Godelier : Je me pose la question de
savoir quel est l’intérêt pour les recruteurs
d’employer ces diplômés en gestion. Est-ce
que les diplômes de gestion avaient et ont la
même utilité selon les cycles (1er cycle, 2e
8 Cf. F. Cochoy, Une histoire du marketing. Discipliner l’économie de marché, Paris, La Découverte, 1999,
p. 166-178.
9 S. Dameron and T. Durand, Redesigning management education and research. Challenging proposals
from European scholars, Cheltenham, Edward Elgar, 2011.
6
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cycle, 3e cycle) et du point de vue des futurs
recruteurs?
Eric Godelier : Pensez-vous vraiment que
ce système fonctionne ?
Daniel Atlan : Les diplômes de gestion du
1er cycle et sans doute du 2e cycle sont
aujourd’hui d’un intérêt limité pour les
entreprises. Ils correspondent à des emplois
et à des compétences qui sont, au moins sur
le papier, automatisables ou « outsourcables ». Le développement de l’informatique de gestion, le redéploiement des traitements administratifs et comptables vers des
pays à faibles coûts salariaux rendent ces
diplômes sinon obsolètes, du moins inintéressants.
Thomas Durand : D’une certaine façon,
oui, la martingale fonctionne, en tout cas
pour les établissements qui sont en tête des
rankings, même si nous craignons d’y voir
une bulle qui risque un jour d’exploser tant
la tension entre logique scientifique et
logique des pratiques crée des contradictions10. Ainsi par exemple, les responsables
d’Exec Ed doivent-ils aller chercher à l’extérieur des intervenants pour assurer leurs
sessions car les jeunes stars publiantes disponibles en interne sont souvent meilleures
à conduire des traitements statistiques qu’à
animer des sessions devant des managers
expérimentés. On voit bien alors la contradiction entre le recrutement de stars en
recherche pour afficher un corps professoral
de qualité car publiant dans les revues
idoines et, quand il s’agit d’enseigner, la
mobilisation de non-professeurs extérieurs,
même affublés du titre de professeur affilié !
(C’est la tension bien connue « Rigor vs.
Relevance »). Enfin, logiquement, les formations doctorales de gestion ont dû privilégier les règles du jeu de la course au ranking et aux publications dans les revues correspondantes. Les exigences de ce type
d’exercice sont alors peu alignées sur les
besoins des entreprises et, en cela, le doctorat de gestion ne constitue guère un tremplin
vers l’entreprise – on ne peut que le regretter.
Eric Godelier : Qu’en est-il des formations
plus professionnalisées, du type MBA ?
Thomas Durand : Les universités sont parvenues à intégrer en leur sein les formations
techniques de premier cycle et cela fonctionne globalement. Par contre, les choses
sont plus complexes autour de la formation
de type MBA ou équivalent. Le modèle du
country club d’antan s’est estompé.
L’accent mis en sciences de gestion sur le
volet scientifique, et plus récemment sur la
course à la publication, a considérablement
structuré le volet théorique du champ,
construisant de la légitimité académique et,
ce faisant, de la réputation. Les établissements qui recrutent des « publiants » et les
affichent à leur palmarès parviennent à faire
monter leurs droits d’inscription et à vendre
leurs programmes Executive Education
(prononcez Exec Ed, forme moderne de formation continue) à des prix générateurs de
marges. Celles-ci sont investies pour améliorer le campus et les offres de formation,
recruter plus de professeurs stars et ainsi
attirer de bons étudiants qui intéressent les
entreprises. C’est la course au ranking pour
faire briller la marque et donc les diplômes
et les diplômés.
Lise Arena : How are pre-experienced and
post-experienced programmes perceived in
the UK ?
Colin Mayer : In the UK, over the last few
years substantial increase is being made in
pre-experienced programmes (general programmes like masters in management and
specialists programmes like masters in
financial economics).
10 T. Durand and S. Dameron, “Where have all the business schools gone?”, British Journal of Management,
September 2011.
DECEMBRE 2011 – N° 65
7
DÉBAT
Leslie Hannah : There are some prestigious
undergraduate programmes (Stern and
Wharton in the USA, LSE and Oxford in the
UK) but most are at rather lower quality institutions and have been successful in training mainly lower level managers.
Postgraduate degrees seem to have been
more appreciated by recruiters to higher
posts.
Lise Arena : Does their content differ significantly from MBA programmes?
Colin Mayer : Those programmes are designed for people who need to get some experience and knowledge of management before they go into the workplace or later transfer to do an MBA, which would typically
require 6 years of experience. Now again,
those programmes perform an important
screening function for younger students.
Companies (such as financial institutions
for example) are recruiting people from
those programmes to analyst programmes in
their institutions as against the associate
programmes that typically MBA students
would go into after they have graduated
from their MBA courses.
Lise Arena : Are these pre-experienced programmes also significantly different from
undergraduate ones?
Colin Mayer : Yes, both of these pre- and
post-experienced courses are distinct from
undergraduate programmes in so far as
there is a strong element of vocational education within MBAs and masters in management programmes, whereas at the undergraduate level, as for any undergraduate
programme, the primary function is really
to help people to be able to conceptualise
and analyse problems and to know all about
the origins and the intellectual base of
somebody’s discourse that goes on in management. It also provides them with tools
about how to run organizations. Recruiters
should not regard undergraduates in management as being equivalently trained as in
pre- or post- experience programmes. They
should regard them more as the equivalent
8
to students who have done any undergraduate degree at University and regard undergraduate programmes as essentially, again,
a screening device for selecting between
students with different abilities at the undergraduate level.
Thomas Durand : Precisely on this, let me
just throw in a fundamental question at this
stage. Are management studies, as a field of
knowledge centered on practice and action,
structured enough, and more importantly
structuring enough to help undergraduate
students get a chance to come out from several years of undergraduate studies with
conceptual tools to articulate and address
issues? I tend to doubt it - but I would be
very happy to be proven wrong on this.
L’ÉVALUATION
DES FORMATIONS,
DES DIPLÔMÉS
ET DES ÉTABLISSEMENTS
Eric Godelier : Le deuxième thème de ce
débat porte sur l’évolution du contrôle et de
l’évaluation des diplômes de gestion. Selon
vous, est-ce que ces diplômes ont toujours
été contrôlés et comment une évaluation de
plus en plus systématique s’est-elle mise en
place dans le temps ?
Thomas Durand : La question de la mesure de la qualité d’un établissement d’enseignement supérieur de gestion est complexe.
C’est là que les rankings et les mécanismes
d’accréditation font irruption dans le jeu.
Aussi longtemps que le monde des business
schools restait national, ou limité à la zone
d’influence traditionnelle d’un pays, avec sa
langue et sa culture, comme les anciennes
colonies d’un ancien empire, un dispositif
social informel se chargeait de véhiculer un
classement implicite des établissements et
donc des diplômes de cette sphère. Mais
quand la compétition est devenue plus globale, dans un monde multipolaire, avec une
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forte mobilité des étudiants, des managers
et des professeurs, il a fallu se donner
d’autres moyens pour s’y retrouver dans le
dédale des systèmes d’enseignement supérieur étrangers. D’où le succès du classement de Shanghaï, de celui de Della
Bradshaw dans le Financial Times, ou encore la généralisation des accréditations, pratique créée aux Etats-Unis en 1916.
Lise Arena : Est-ce qu’en France ces mécanismes s’appliquent de la même manière
aux diplômes nationaux dans des établissements publics et ceux dans des institutions
privées ?
Alain Burlaud : Il faut distinguer les
diplômes nationaux (aujourd’hui : baccalauréat, DUT, BTS, licences, masters et doctorats) et les diplômes visés par l’Etat mais
délivrés par les établissements privés ou
consulaires tels les écoles de commerce.
Lise Arena : Dans ce cas, en quoi le contrôle des diplômes diffère-t-il dans ces deux
types d’institutions ?
Alain Burlaud : L’enseignement public a
toujours été caractérisé par l’existence d’un
contrôle de la tutelle. Les diplômes nationaux délivrés par les universités doivent
depuis longtemps faire l’objet d’une habilitation préalable par la direction de
l’Enseignement supérieur du ministère. Les
critères, plus ou moins formalisés, prenaient
en compte la qualité et la disponibilité du
corps enseignant de l’établissement et l’opportunité de l’offre, compte tenu notamment
du bassin d’emploi concerné. La formation
continue et l’apprentissage, importants en
gestion, permettent également de valider,
par le marché, la pertinence de l’offre de
formation. Ce dialogue entre l’établissement et la direction de l’Enseignement
supérieur conduit à la signature du contrat
d’établissement qui garantit pour quatre ans
(et désormais cinq) le financement public
dont l’établissement pourra bénéficier.
En ce qui concerne les écoles de commerce, l’évaluation est plus récente et a com-
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mencé avec certains des labels privés cités
ci-dessus lorsqu’elles se sont internationalisées. L’enjeu est d’autant plus important
qu’elles doivent justifier des frais de scolarité élevés, sans commune mesure avec
ceux demandés par les composantes des
universités. Pour le reste, la réputation de
ces établissements est entretenue par les
nombreuses actions de communication, le
réseau des anciens élèves et les classements
établis régulièrement par la presse qui
tenaient lieu d’évaluation.
Eric Godelier : Daniel Atlan, quelle est
votre position sur le sujet ?
Daniel Atlan: La formulation de la question
me pose problème: on y mélange implicitement contrôle et évaluation des diplômé(e)s
et contrôle et évaluation des diplômes. Un
recruteur s’intéresse certes à la qualité
d’une formation, d’une école ou d’une université, donc à la qualité des diplômes et des
titres qui y sont délivrés. Mais il s’intéresse
aussi à la compétence des personnes qu’il
/elle embauche, donc à la qualité des diplômé(e)s.
En France, les titres et les diplômes ont fait
depuis longtemps l’objet de procédures de
validation soit interne quand il s’agit d’établissements dépendant du ministère de
l’Education Nationale (et de ses avatars)
soit externe, surtout pour les établissements
privés. Des commissions paritaires, des
commissions de spécialistes, des commissions des titres ont à connaître des formations et des titres qui les sanctionnent. On
peut noter au passage que dans bien des cas
ces dispositifs ne fonctionnent que lors de la
mise en place d’une nouvelle formation ou
d’un nouveau titre. Une fois la décision
prise, aucune évaluation périodique n’est
prévue et il est clair que les dispositifs
anglo-saxons d’accréditation pour les écoles
de commerce par exemple sont un progrès
dans le système français, car ils supposent
une évaluation régulière des formations et
des titres.
9
DÉBAT
Eric Godelier : Do institutions certify business schools and how are these schools evaluated? Are these professional institutions
or universities?
Colin Mayer : The process of evaluation of
business schools really takes place at three
levels. One level is the parent institution
itself. For instance, the Saïd Business
School is part of Oxford University. As
such, it is evaluated on its subject to quality
standards and evaluation imposed by this
University and as a regular process of evaluating what is going on in the courses of
the Business School. The second is accreditation by a whole series of accredited organizations, such as the Association of MBAs,
EQUIS (for European Schools) and AACSB
(for American Schools) certifying body. The
third is the ranking mechanism provided by
outside players such as the media.
Leslie Hannah : In the UK degrees at all
levels were initially validated by individual
universities, using their standard degreeawarding powers. For the reasons very well
described by Thomas Durand, in the last
three decades external evaluators of the
quasi-professional, quasi-public kind (such
as AMBA and EQUIS) and commercial
newspaper rankings (such as Financial
Times, Business Week etc.) have become
more important, especially for differentiating postgraduate degrees. They adopt fairly
uniform standards, and all are appreciated
by potential students, but the latter are
extremely competitive and tend to prize the
commercial newspaper rankings above all
else (as deans of business schools frequently complain!). For executive education, no
degrees or certificates are usually awarded
and evaluation by EQUIS and similar organisations is sometimes very perfunctory.
The most useful evaluations in this sector
are almost all by newspapers, relying heavily on employer evaluations.
Lise Arena : What is the role of these
accrediting institutions?
10
Colin Mayer : What those organizations do
is to spend a period of time in the school and
evaluate the quality of the programmes to
ensure that they are up to a minimum standard as laid out by these governing bodies.
In many places, these are institutions, which
are non-profit organizations. In the case of
EQUIS, it has been set up by the European
Foundation for Management Development
(EFMD) and it was really used as a way of
trying to promote the quality of MBA programmes in Europe. Those bodies are
essentially official certification organizations. For many institutions, that is very
important to be able to say “we are being
certified by AACSB or EQUIS”.
The third form of validation comes from the
rankings such as the FT ranking, Business
Week rankings and a number of others,
which for the top schools is much more
important than the accreditation which
essentially established the minimum base.
As far as these institutions are concerned,
the quality evaluation by the University and
the rankings are really the critical element
in terms of demonstrating their quality.
Lise Arena : Are recruiters directly influenced by these rankings?
Colin Mayer : From the recruiter’s perspective, I think the rankings are probably
the most important. The rankings are read
by a very large population of people, not
just students and applicants but also by
recruiters. In a sense, there is also causality
because the major influence on what performs in rankings is the career’s progression
of students and also what recruiters think of
the School. Business Week in particular
when it evaluates schools would ask a certain number of recruiters what they think of
the students graduating from that school.
The certification process in Europe through
EQUIS is a relatively recent phenomenon
while AACSB has been in existence for
quite some time. EQUIS was really established to avoid a feeling that the process was
being dominated by American procedures.
ENTREPRISES ET HISTOIRE
LA FRANCE ET LES PAYS ANGLO-SAXONS FACE AU DÉVELOPPEMENT DE LA GESTION
Leslie Hannah : Yet all three agencies operate globally and in that sense now compete: a Singapore or a Melbourne school can
go to any (or all) of them (as indeed do
some US and European schools). There is a
puzzle here: can you really have competition in regulation or will that inevitably lead
to a diminution in standards as subjects (the
business schools in this case) engage in
“forum-shopping”, to get the best evaluation, and evaluators lower their standards to
keep their jobs? You do not have to look
much further than the agencies rating securities before the latest financial crisis to
understand that this can be a very serious
problem undermining professional standards and inducing behaviour bordering on
the criminal. I don’t think this happens with
EQUIS, AACSB or AMBA and for three
reasons. First, they mainly employ peers
(for example, other business school deans)
rather than full-timers, so fewer private
temptations to empire-build exist; second,
they have no statutory power (government
endorsement of credit raters increased their
power to do ill), so need to retain the respect
of the evaluated; and third, the views of
Europeans and Americans have increasingly
coincided, so competition leads to the
enforcement of broadly similar standards
everywhere, not a “race to the bottom” on
some dimensions that might have resulted if
such a consensus had not existed. Where
real differences persist (for example, oneyear MBAs being common in Europe and 2years in America), all bodies have agreed to
assess them on their own merits and results,
without taking too sectarian a viewpoint.
Eric Godelier : Qu’en est-il du point de vue
français ?
Thomas Durand : L’accréditation est un
dispositif qui signale qu’un établissement ou
un programme a été analysé en détail par un
panel de pairs (constitué de directeurs d’établissements, souvent étrangers, et d’un ou
plusieurs praticiens) pour décerner ou non
un label. Il n’y a pas de classement. C’est oui
ou non, accrédité ou pas. L’accréditation
DECEMBRE 2011 – N° 65
constitue aussi, voire surtout, un moyen pour
engager l’établissement ou le programme
dans une logique d’amélioration continue de
la qualité. Les étapes successives de réaccréditation permettent d’assurer un suivi
de cette démarche qualité. Naturellement,
les associations nationales ou internationales
qui portent ces dispositifs d’accréditation
(typiquement AACSB l’américaine, AMBA
l’anglaise ou EFMD l’européenne) sont en
concurrence pour établir leur visibilité et
leur légitimité en s’efforçant d’imposer leur
standard. Un dispositif national de type habilitation d’un diplôme est une autre forme
autour de la même idée, avec cette fois un
ministère ou une agence chargée de labelliser ou non un programme, par exemple le
M2.
Eric Godelier : Quant aux classements, comment et dans quel contexte se déroulent-ils ?
Thomas Durand : Les classements participent d’une autre logique. Des journalistes
astucieux se sont construit une niche permettant de publier plusieurs numéros par an
avec de bons tirages. Leur classement combine des critères objectifs ou subjectifs,
quantitatifs ou qualitatifs, collectés auprès
des établissements qui n’ont d’autres choix
que de se plier aux exigences de l’exercice
pour espérer apparaître dans la liste – avec
parfois, pour certains, quelques tentations à
biaiser les réponses en espérant ainsi améliorer leur rang dans le classement.
Parmi les critères retenus, figure en bonne
place la question des productions scientifiques du corps professoral d’un établissement. Ceci conduit alors à un autre type de
classement, celui des revues spécialisées
cette fois. Cet autre classement permet à chacun de se simplifier la vie. Pour évaluer la
production d’un chercheur et par extension
d’un département ou d’un établissement, il
suffit de compter le nombre d’articles parus
dans les revues bien classées. Plus besoin
d’évaluer les textes, ni même de les lire, les
évaluateurs anonymes ayant fait le travail
pour les revues – et gratuitement en plus.
11
DÉBAT
Leslie Hannah : Yes, that is an important
point for university business schools in
Britain. We used to carry out « research
assessment exercises », for government
evaluations which had important consequences for the distribution of state funding
among business schools. These involved
detailed reading of research outputs by
teams of specialists in management, accounting etc.; but increasingly it looks as if we
will rely more on « bibliometrics ». And it
turns out that the results of both approaches
can be very similar, while the latter wastes
much less high-grade labour time. However,
« Goodhart’s law » comes into operation
here : as soon as you define something to be
measured and controlled, it becomes distorted by game-playing academics and
becomes less reliable as an indicator. I must
say that some of the relative rankings of
journals endorsed by the British evaluators
seem to me dubious, and more related to private interest than professional standards!
Alain Burlaud : Dans les universités, les
procédures ont été complétées de façon
significative en 2006 avec la création de
l’Agence d’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur (AERES) qui a
pour mission l’évaluation des formations et
des équipes de recherche avec le souci
d’une relation forte entre enseignement et
recherche. La publicité des critères et des
rapports d’évaluation, le caractère contradictoire de la démarche et l’organisation de
l’intervention des experts ont permis de professionnaliser l’exercice.
Lise Arena : En bref, donc, comment est
évalué, selon vous, le dispositif global ?
Thomas Durand : Le dispositif est alors
emboîté et bouclé : le niveau d’un établissement, de ses diplômes et de ses diplômés est
estampillé par une ou plusieurs accréditations, et attesté par le rang obtenu dans différents rankings (dont on aura noté qu’ils sont
élaborés par des acteurs non académiques et
extérieurs au dispositif). Les établissements
mettent le paquet pour monter dans les classements et l’investissement qui leur paraît le
plus rentable (en coût/bénéfice espéré) est
dans la recherche – ou plutôt dans les publications. Ceci les amène à cibler les revues
dominantes, en tout cas selon les rankings de
revues, c’est-à-dire les revues nord-américaines évidemment. Ceci embarque tout ce
beau monde dans l’imitation des travaux privilégiés outre-Atlantique dans ce qu’il est
convenu d’appeler le mainstream. Comme si
le management avait vocation à devenir
unique et global, c’est-à-dire uniforme et
standardisé sur la planète, alors que le monde
est devenu multipolaire.
Lise Arena : Dans cet ensemble quelle est
la place de l’AERES, en France ?
Alain Burlaud : L’AERES ne donne que
des avis, la décision revenant toujours in
fine au ministre qui a la possibilité d’intégrer une dimension politique (exemple : des
objectifs d’aménagement du territoire) que
l’AERES n’a pas vocation à prendre en
compte. Par ailleurs, plus récemment et sur
la base du volontariat, certaines composantes comme les IAE ont demandé une
labellisation de leurs procédures ou de leurs
formations auprès d’organismes privés tels
Qualicert pour les IAE, l’European Quality
Improvement System (EQUIS) lancé par
l’European Foundation for Management
Development (EFMD), l’Association of
Masters in Business Administration
(AMBA) pour les programmes MBA, etc.
Ceci permet de se positionner dans la
concurrence internationale et par rapport
aux meilleures écoles de commerce.
Lise Arena : Justement, est-ce qu’en France
l’évaluation des écoles de commerce a
changé11 ?
11
Cf. P. de Fournas, Quelle identité pour les grandes écoles de commerce françaises ? (HEC, ESSEC, ESCP),
thèse de doctorat de sciences de gestion, Ecole Polytechnique, 2007.
12
ENTREPRISES ET HISTOIRE
LA FRANCE ET LES PAYS ANGLO-SAXONS FACE AU DÉVELOPPEMENT DE LA GESTION
Alain Burlaud : Dans les écoles de commerce, les choses ont changé de façon très
importante avec la création en 2001 de la
commission d’évaluation des formations et
diplômes de gestion (CEFDG) chargée
d’évaluer les diplômes visés par le ministère de l’Enseignement supérieur et ultérieurement d’examiner les demandes de grade
de master pour les diplômes délivrés par les
écoles de commerce puis la réforme LMD
en 2002. Même si, au début, le grade de
master a été attribué de façon généreuse,
cela marque une prise de pouvoir de la
direction de l’Enseignement supérieur en
matière de régulation de l’offre de formation de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur non universitaires
quel que soit leur statut juridique. L’AERES
intervient depuis 2009 dans l’évaluation des
dossiers des établissements qui signent un
contrat avec l’Etat et perçoivent donc des
financements publics comme elle le fait
pour les diplômes nationaux. La CEFDG
garde un rôle plus politique en aval et le
ministre seul a le privilège de la décision
finale. Echappent à ces évaluations francofrançaises les établissements qui ne demandent ni visa ni financement à l’Etat et jouent
résolument la carte internationale comme
l’INSEAD.
Eric Godelier : Par rapport à la question
précédente, est-ce que, selon vous, les
recruteurs se fondent sur ces évaluations
dans leur choix de recrutement ? Comment
est-ce qu’on peut homogénéiser l’évaluation de ces diplômes (MBA, par exemple)
au
niveau
européen,
voire
international, dans le contexte de la globalisation ?
Daniel Atlan : Les entreprises, donc les
recruteurs, se fondent sur ces évaluations ou
plutôt sur leur traduction dans des classements formels ou informels entre les établissements d’enseignement supérieur. Pour
autant l’exercice a des limites évidentes. Un
esprit curieux qui ferait le total des besoins
affichés de recrutement pour des écoles
d’ingénieurs de rang 1 en France tels qu’ex-
DECEMBRE 2011 – N° 65
primés par des entreprises opérant en
France observerait que ce total dépasse largement les flux de sortie des écoles en question. Le recrutement procède aussi de la
consommation ostentatoire chère à
Thorstein Veblen et, heureusement pour les
candidats qui n’ont pas intégré des écoles de
rang 1, les entreprises ne refusent pas de les
embaucher.
Thomas Durand : Au total, la logique
d’évaluation et d’accréditation a indéniablement conduit les établissements à se professionnaliser, à recruter plus de professeurs
permanents, à améliorer la qualité de leur
fonctionnement. Mais il faut aussi constater
que cela a débouché sur un processus d’imitation forcenée et aveugle, sur une inflation
des prix et des salaires, sur une course sans
fin en quête de plus de ressources pour
financer des travaux de recherche conduisant à des publications d’accès difficile et
souvent de faible intérêt pour les praticiens.
Tout cela pour séduire ces mêmes praticiens, attirer de bons étudiants et susciter
l’intérêt des recruteurs…
Lise Arena : Comment peut-on donc homogénéiser ces évaluations ?
Daniel Atlan : Je dirais « faut-il homogénéiser l’évaluation des diplômes ? ». Ce qui
est quasi homogène, ce sont les formations
construites sur le modèle des business
schools nord-américaines, enseignées en
anglais et visant à fournir aux grands cabinets de conseil les troupes dont ils font
grande consommation.
Au passage, je souhaite attirer l’attention
sur l’évolution récente des formations juridiques aux Etats-Unis. Faire une law school
et se retrouver avocat dans un cabinet était
ces dernières années la voie royale vers la
fortune et (parfois) la gloire. Depuis 2009,
les clients des cabinets d’avocats se sont
rebellés et n’acceptent plus de payer au prix
fort des avocats débutants qui font un travail
administratif. La pression des services
achats fait baisser (en niveau relatif) les prix
et les cabinets doivent créer un corps d’avo-
13
DÉBAT
cats à bas coût ou délocaliser dans des pays
à coûts salariaux faibles ou automatiser de
nombreuses tâches auparavant vendues fort
cher. Mais alors de plus en plus de diplômés
de law schools se retrouvent sur un marché
du travail difficile avec une dette pour
études d’un poids considérable. Cette segmentation se profile aussi dans les écoles de
commerce : certes quelques diplômés (sans
e cette fois) connaîtront la fortune et parfois
la gloire, mais beaucoup d’autres vont
connaître les joies de la concurrences des
pays à bas coûts. Ainsi des entreprises mettent en place des corps de cadres dits globally mobile pour créer une concurrence sur
le marché interne du travail.
Japan and Germany) are themselves taking
tentative steps toward the global norm. In
some respects, for example, the business
schools of Keio and Berlin have distinct
national characteristics, but are recognisably similar to the American business
schools which many of their staff have
experienced. And China, India and the other
BRICS are showing even stronger tendencies to convergence. It might have been
expected that aspects of the failure of the
model in Enron, Lehman Brothers etc.
would have sparked a reconsideration, but I
see little sign of this.
Eric Godelier : Quel est justement le rôle
de ces processus dans ce contexte de globalisation ?
LA PERTINENCE ET LA PLACE
DE LA FORMATION
CONTINUE
Daniel Atlan : La globalisation n’est pas
inéluctable, pour reprendre les thèses de
l’historien Niall Ferguson12 entre autres. La
baisse continue des coûts de transactions
physiques connaît un coup d’arrêt avec la
hausse des prix de l’énergie et l’absence
d’innovation depuis le développement de la
containerisation13. Dans ces conditions, on
peut imaginer que la globalisation se régionalise et que si les outils de gestion stricto
sensu sont toujours plus mondialisés et
homogènes, les outils de management, eux,
se localisent davantage. L’expatriation des
personnels n’est pas toujours la seule solution au bon fonctionnement d’une entreprise multinationale.
Leslie Hannah : It is perhaps worth remarking in the context of globalisation that the
countries which initially held out successfully against the « Anglo-Saxon » model
(including remarkably prosperous ones like
Lise Arena : On peut passer à la troisième
et dernière thématique de ce débat qui pose
la question suivante : est-ce que finalement,
la seule formation pertinente en gestion ne
serait pas la formation continue ? D’un
point de vue historique, comment les choses
ont elles évolué par le passé et d’un point de
vue prospectif, allons-nous de plus en plus
vers des programmes de formation continue
ou initiale ?
Alain Burlaud: La réponse à cette question
est fonction de ce que l’on entend par formation en gestion. S’il s’agit de former des
stratèges capables de prendre part aux
grandes décisions qui marquent la vie d’une
organisation, la thèse défendue par Henry
Mintzberg dans un ouvrage célèbre intitulé
Managers Not MBAs14 selon laquelle on ne
peut s’y préparer que dans le cadre d’une
formation continue me paraît valide. Les
12 N. Ferguson, “What Could Bring Globalization Down?”, Harvard Business School Working Knowledge, May 23,
2005.
13
M. Levinson, The box. Comment le conteneur a changé le monde, Paris, Max Milo, 2011.
14
Traduction française : H. Mintzberg, Des managers, des vrais ! Pas des MBA. Un regard critique sur le management et son enseignement, Paris, Editions d’Organisation, 2005.
14
ENTREPRISES ET HISTOIRE
LA FRANCE ET LES PAYS ANGLO-SAXONS FACE AU DÉVELOPPEMENT DE LA GESTION
soft skills qui se développent avec la maturité professionnelle, sont largement prédominantes.
S’il s’agit de l’apprentissage des outils de la
gestion, les hard skills prennent le pas.
L’apprentissage du calcul actuariel, du droit
du travail ou de la technique de consolidation des comptes ne requiert pas de maturité professionnelle mais des qualités de raisonnement que l’on est en droit d’attendre
de tout étudiant de l’enseignement supérieur, quels que soient son expérience ou
son âge. Ces enseignements ont donc toute
leur place en formation initiale comme en
formation continue15.
Enfin, la formation à la gestion peut être un
élément de la culture générale au même
titre que la connaissance des institutions
politiques ou des principaux mécanismes
économiques qui structurent notre société.
Ainsi, le cours de management dans le programme du baccalauréat STG a été plébiscité tant par les élèves et que leurs professeurs. A ce niveau, il ne s’agit évidemment
pas de former des dirigeants ou des stratèges mais de donner des clés permettant de
comprendre le fonctionnement d’une organisation, qu’elle soit d’ailleurs marchande
ou non marchande. La demande est très
forte même de la part d’élèves qui ensuite
choisiront d’autres champs disciplinaires
pour poursuivre leurs études. Cette demande de culture générale à travers la découverte du fonctionnement des organisations se
décline à tous les niveaux.
Eric Godelier : Perhaps, things are slightly
different in the UK. Colin Mayer, what do
you think about this assumption ?
Colin Mayer : First of all, in relation to
University management education, my view
is that management at the undergraduate
level is as valid as the study of any other
discipline, like history, politics or whatever.
Clearly, the nature of organizations and the
way in which organizations are managed is
an extremely interesting and challenging
thought provoking topic. So that there are
some very important intellectual issues that
the study of management raises. It would be
very odd to say that it is not as academically relevant as any other discipline.
Eric Godelier : Is this different from postgraduate level?
Colin Mayer : Yes, that is different from
the study of management how it is conceived at the postgraduate level where people
are interested in career development. That is
why recruitment is so particularly relevant
in relation to the pre-experienced and postexperienced programmes. The study of
management at the undergraduate level is
very valid provided that one does not believe or pretend that one is essentially producing a vocational education and where I
think it errs in the direction of being regarded as, I quote, a “soft discipline” is where
it confuses these two objectives.
Lise Arena : Do you think therefore that
undergraduate degrees in management
should stay away from vocational education?
Colin Mayer : It is possible for the undergraduate degree to be diluted by too much
focus on vocational objectives and the
University is much under pressure to do
that because a lot of students when they
come on to business management degrees
regard them as shortcuts to high paying
jobs. But that is not the contribution of an
undergraduate management. In Oxford, we
will continuously have to be demonstrative
for the rest of the community that it is a
really intellectual discipline but would
there be a move in general in that direction?
15 A titre d’exemple, l’Institut national des techniques économiques et comptables (Intec) du CNAM accueille
chaque année 15 000 étudiants sans faire de distinction entre formation initiale et continue.
DECEMBRE 2011 – N° 65
15
DÉBAT
I think the answer is probably in many
institutions “yes”, because of the pressure
to do it.
Continuing education is unquestionably
expanding. It is not only in business
schools but in the University more generally because people spend much more time in
education. It is not anymore the case that
you just go to University in your 20s and
that is it. People are now expected to essentially learn again throughout all their life
and that seems to be entirely appropriate,
particularly as people age slower and they
are going to have to have stimulus to keep
their brains functioning. In particular in
relation to business and management, the
changing demands of management (i.e. the
fact that the nature of management is
changing so rapidly) means that managers
have to refresh their knowledge and so that
the notion of developing a life-time education experience will come back at the first
stages of a career. This means that the
amount of vocational courses is going to
increase quite substantially over the next
few decades.
Leslie Hannah : That is surely right, and it
will probably mean both more short courses (businessmen have limited time) and
more emphasis in executive education on
“tailored” or “custom” courses, designed
for specific companies, rather than “open”
programmes. Both have their advantages.
Open programmes take managers out of
their corporate silo and expose them to a
wider range of peers in other companies.
We should not forget that, particularly on
something like a 3-month residential
Advanced Management Programme, participants often report that they learnt almost
as much from their peers as from their professors! On the other hand tailored programmes can more directly target the
16
development need of a particular business.
Such courses may be delivered in the business school or in the company, and the latter reduces indirect participation costs.
What this growth also means is increased
competition between business schools and
commercial providers. Probably already
more private consultants offer training in
fields like leadership, time management or
finance than there are university professors
in the field; and the Financial Times rankings of executive education providers
already include a number of non-university
and “for profit” providers.
Daniel Atlan : Pour rebondir sur les
réponses qui viennent d’être apportées, je
viens d’essayer d’introduire une distinction
entre gestion et management dans ma
réponse précédente. Si en gestion formation initiale et continue se complètent suivant le modèle classique, la seule formation
pertinente en management est la formation
continue. D’ailleurs historiquement les
MBA étaient d’abord des formations
ouvertes aux salariés ayant quelques années
d’expérience professionnelle.
Il convient ici de mentionner la gestion du
titre de charter engineer dans les pays de
tradition anglo-saxonne : “In The United
Kingdom, the formation process (academic
+ internship / apprenticeship / graduate training + peer reviewed professional practice)
of a Chartered Engineer spans a minimum
of 8 years but usually 12 years”16. En
France est ingénieur toute personne détentrice du titre délivré par une école ou une
université agréée par la commission des
titres d’ingénieur. La différence est frappante.
Quant à la prospective, pour reprendre la
phrase de Yogi Berra, il est toujours difficile de faire des prévisions surtout en ce qui
concerne l’avenir.
Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Regulation_and_licensure_in_engineering, accès 30 mai 2011.
16
ENTREPRISES ET HISTOIRE
LA FRANCE ET LES PAYS ANGLO-SAXONS FACE AU DÉVELOPPEMENT DE LA GESTION
Eric Godelier : Comment les choses
devront donc se développer à l’avenir
d’après vous ?
Daniel Atlan : Le scénario le plus plausible
devrait intégrer :
– l’émergence de modèles « régionaux » de
management (de ce point de vue la lecture du sinologue François Jullien17 et 18 est
édifiante)
– la nécessité de continuer à produire (au
sens physique du terme), donc de progresser dans la développement d’innovations
techniques et donc de reconstruire des
compétences d’ingénierie à tous niveaux
connaissances actionnables, à même de
dépasser les contingences des problématiques locales de chaque organisation et de
faire apparaître des régularités, ou au moins
d’apporter des éclairages utiles pour l’action. Cette voie est celle du versant de la
connaissance. Elle est devenue dominante,
mais on est probablement allé trop loin. Car
il y a l’autre versant du management, celui
des pratiques.
Eric Godelier : Très bien. Mais alors quel
type de formation est la plus adéquate ?
Eric Godelier : Entre science et connaissances pratiques, comment doit donc être
enseignée la gestion ?
Thomas Durand : Une formation au management qui ne mobiliserait qu’un des deux
versants courrait le risque d’être bancale. Ni
question purement universitaire de production et de diffusion de connaissances, ni
affaire purement empirique d’apprentissage
par l’action, le management nécessite ces
deux volets conjointement. L’histoire le
montre clairement. Après le modèle du
country club, il y a eu un rattrapage mais on
est sans doute allé trop loin. L’enseignement
de la gestion ne saurait être affaire des seuls
établissements d’enseignement supérieur ni
des seules entreprises (ou des associations
professionnelles qui les fédèrent). Un
mariage de raison a vocation à s’imposer
durablement entre des acteurs différents
mais complémentaires, condamnés à s’entraider et à se chamailler à la fois.
Thomas Durand : La dynamique des business schools nord-américaines, imposée aux
Européens et au reste du monde via la
logique des rankings, participe d’une
logique implicite, ou même explicite, visant
à établir le management comme une science. Ce serait la jeunesse du champ qui expliquerait qu’il ne soit pas encore établi et
reconnu comme une science. Ceci signifie
qu’il y aurait un espoir de créer un corpus de
Pour les mêmes raisons, il semble peu probable que l’on voie la formation initiale parvenir à s’emparer de la formation des managers à la mode MBA. C’est qu’il faut un
substrat d’expérience, de vécu dans l’organisation pour disposer de situations de référence auxquelles raccrocher les discussions
qui permettent d’arrimer les connaissances
conceptuelles dispensées dans ce type de
programme. Une formation première struc-
– l’allongement de la durée de vie au travail, donc la nécessité de maintenir et
développer des compétences nouvelles
tout au long de la vie dans les différents
corps de métiers nécessaires à l’entreprise
(gestion et ingénierie)
– la complexité croissante des connaissances à mettre en œuvre, donc la nécessité de modèles combinant formation initiale (dispensée par qui sait faire le mieux ou
moindre coût) et pratique professionnelle
tutorée.
17
F. Jullien, Conférence sur l’efficacité, Paris, PUF, 2005.
18
F. Jullien, Le Pont des singes, de la diversité à venir, Paris, Editions Galilée, 2010.
DECEMBRE 2011 – N° 65
17
DÉBAT
turante (que ce soit par les mathématiques,
le droit, la psychologie, les sciences économiques, l’histoire ou la physique…) suivie
d’une expérience suffisante de terrain (plutôt 3 à 5 ans que 12 mois), tel semble le parcours type qui a émergé comme le préalable
au MBA. On peut s’attendre à ce que ce
schéma perdure. Par contre, les formations
techniques de gestion, de niveau 1er cycle,
semblent avoir tout à fait leur place en formation première.
that can be produced by a company is very
different from what a business school can
provide, in the sense that a company has
more knowledge about its own activity, its
market and how to run its own business than
anyone else. On the other hand, companies
know only about their business and their
sector.
Et tout ceci n’interdit pas la formation tout
au long de la vie, à la mode CNAM ou équivalent, avec une partie sous la forme de
validation des acquis de l’expérience et une
autre partie de formation continue qui aide à
éclairer, à structurer et à dépasser les
apprentissages empiriques, permettant une
réflexivité salutaire.
Colin Mayer : The first thing that any business school can provide is a much wider
perspective on business which is much
more international, much more cross-sectorial than what the company on its own can
do. The second element is that business
schools are part of a University and the
knowledge that can be brought from other
parts of this University gets beyond what a
company can provide. In terms of education you could get here in Oxford, it would,
for example, typically draw on politics,
economics, law, sciences and understanding what are the big scientific influences on
what it is going to affect management, such
as the effect of ageing population on the
way in which companies should run their
activities, etc. Those issues, I think, companies cannot teach. The nature of the education they would provide could be complementary but much more firm specific and
less generic. From the point of view of the
individual who wants to make himself
more marketable, he would be looking
more for generic skills than what companies can provide.
Lise Arena : One last question addressed to
Colin Mayer: if management education
continues developing in both universities
and companies, which institution should be
concerned with what type of programmes?
Colin Mayer : In terms of what is sometimes called corporate universities, those
are going in cycles. We have been going
through a period towards the end of the
1990s and towards the beginning of the last
decade, in which companies were thinking:
“We can teach people ourselves and get our
own programmes and we don’t need business schools to provide programmes”. It
went away as companies realised it wasn’t
as easy as they thought. I think that reflects
the fact that the nature of the knowledge
18
Lise Arena : Then, what can business
schools provide in addition to that?
ENTREPRISES ET HISTOIRE