mars 2015

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mars 2015
Filautrope
Un fil vers l’Autre-part
Lettre circulaire n°4 Mars 2015
Ces quelques pages forment la Lettre Circulaire de Frédéric Michaud & Laurence Chave. Partis en mars 2014 pour
s’impliquer trois ans durant dans un projet de volontariat, ils donnent régulièrement des nouvelles à leurs amis,
famille et toute personne intéressée par le biais de lettres circulaires comme celle-ci et par leur site internet
www.filautrope.ch.
Informations sur le contexte colombien, derniers développements de leurs projets professionnels et petites aventures du quotidien forment le contenu principal des Lettres. En évoquant ainsi les réalités d’un contexte différent,
Laurence et Frédéric espèrent faire profiter de leur expérience et transformer le regard suisse sur la Colombie.
Table des Matières
Edito
E-changer exige de tous
ses volontaires la création
d’un groupe de soutien.
Favorisant une communication systématique avec
la Suisse et d’autres pays
d’attache, ce groupe de
soutien permet de sensibiliser les proches sur la
Colombie un peu audelà des préjugés que l’on
entend souvent.
Ce groupe a aussi une
fonction économique, en
co-finançant avec E-changer le projet de chaque
volontaire. Nous étions
très gênés par cet aspect
du contrat. Notre projet
de vie doit-il être sponsorisé par nos proches? Mais
en Suisse romande, c’était
l’unique moyen de partir
dans des conditions rai-
sonnables, et nous l’avons
pris comme une mesure
de notre motivation.
Après un an, nous sommes
infiniment reconnaissants
à tous ces gens qui ont
cru en notre projet et y
ont participé en donnant
un peu d’argent. Vraiment. Cela nous parait incroyable.
Notre groupe de soutien a
pu couvrir environ nos indemnités de vie (salaire).
Le projet a beaucoup
d’autres frais, mais c’est
déjà énorme. Nous avons
donc décidé de consacrer
une partie de la lettre à
détailler le coût de la vie
en Colombie, et comment
nous utilisons nos indemnités de vie.
Edito.................................................... 1
Coté maison........................................ 2
Coté bureau........................................ 3
La Colombie, vous avez dit?............... 5
Frédéric & Laurence ont profité de leurs vacances
pour visiter un haut lieu culturel de Colombie, le
parc archéologique de San Agustin.
Soutenir notre projet
Frédéric & Laurence travaillent comme volontaires, envoyés par l’association suisse E-Changer à la demande d’une ONG colombienne active dans
les droits de la Femme (Laurence) et d’une autorité indigène (Frédéric).
Si vous le souhaitez, vous pouvez soutenir cette aventure en faisant un
don grâce au bulletin de versement ci-joint ou par un virement sur le compte postal d’E-Changer :
CCP 17-7786-4 / IBAN CH51 0900 0000 1700 7786 4 en indiquant bien « Filautrope » dans les commentaires.
Plus d’info: E-Changer – Rue St-Pierre 10, 1700 Fribourg – 058 / 854 12 40 – www.e-changer.ch
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
Côté maison
¿Combien ça coûte de vivre en Colombie?
Nous sommes partis en Colombie avec un statut de volontaire.
Heureusement, cela ne signifie pas
(comme c’est souvent le cas) que
nous payons tout nous-mêmes.
Néanmoins, l’association qui nous
envoie ne nous verse pas un vrai
salaire, mais ce qu’elle appelle des
«indemnités de vie». En plus de
cet argent qui nous sert à vivre en
Colombie, E-changer nous offre diverses assurances et allocations en
Suisse, ainsi que les déplacements
de la Colombie à la Suisse et autres
frais similaires. Les indemnités de
vie nous servent donc uniquement
pour nos frais courants en Colombie. Ces indemnités ne constituent
en réalité qu’une petite part (environ 25 %) du budget total. Entre
les assurances et le coût de l’appui
logistique dont nous bénéficions,
le projet coûte plus de 100’000 Chf
par année.
Evolution de la valeur en pesos de 1 Chf.
Nos indemnités de vie s’élèvent à
1500 Chf par mois pour les deux.
Comme nous sommes payés en
francs suisses, notre pouvoir
d’achat a beaucoup augmenté
depuis que nous sommes arrivés
en Colombie. Depuis maintenant
6 mois, nous avons néanmoins fixé
un budget de 40’000 pesos par jour,
tout compris, c’est-à-dire au taux
actuel d’une quinzaine de francs.
Nous avons fait une exception à ce
budget pendant nos vacances de
Noël. Nous ajoutons à cela un loyer
de 600’000 pesos par mois, environ
230 Chf.
Coût de la vie à Popayan
Pour donner un sens à ces chiffres,
on peut en première approximation
supposer un facteur 3 par rapport
aux prix pratiqués en Suisse.
Cela est néanmoins relativement grossier. Par exemple, la
plupart des produits d’importation sont plus chers qu’en
Suisse.
Conséquemment, même si un
salaire de 4’500 Chf en Suisse
semble cohérent avec l’achat
d’une voiture, cela nous serait
complètement impossible ici.
A l’opposé, certaines choses
sont beaucoup moins chères
qu’en Suisse. Par exemple, une
course en taxi dans le centre
de Popayan vaut à peine plus Nos dépenses en janvier & février
d’un franc. Si l’on est plusieurs,
ture (sans compter les restaurants
c’est souvent moins cher que le
qui sont comptés dans les loisirs),
bus. Les menus de midi sont aussi
les loisirs, les frais professionnels
si bon marché (environ 2 Chf) qu’il
qui bien que théoriquement nuls
est souvent moins cher de manger
absorbent quand même une cerau-dehors que de cuisiner. Enfin, le
taine somme chaque mois, et enfin
coiffeur nous coûte un peu moins
diverses petites
d’un franc.
Les menus de midi sont aussi choses
(transMais dès que nous si bon marché (environ 2Chf) port, vêtement,
sortons des besoins qu’il est souvent moins cher etc).
de base, les coûts de manger au dehors que de
Nous
dépenaugmentent. Les vrais cuisiner.
sons donc moins
restaurants
nous
qu’en Suisse, notre vie étant beaucoûtent par exemple environ
coup plus simple. Néanmoins, nous
20 Chf par personne, plus que notre
n’avons pas de problème à vivre
budget journalier pour deux. Il faut
avec ce que nous donne E-changer,
donc changer un peu ses habitudes
et avec l’évolution du taux Chf-Peet prioriser ce qui est important.
sos, nous pouvons même économiIl faut aussi savoir que souvent, le
ser pour nos vacances et pourrions
bas prix reflète une qualité plus
nous payer un appartement plus
basse qu’en Suisse. Les ordinateurs
confortable ou dépenser un peu
qui nous entourent sont souvent
plus en loisirs. Cependant, nous
très simples, les habits s’usent
trouvons plus éthique d’utiliser une
beaucoup plus vite qu’en Suisse...
somme qui correspond environ à
Nos dépenses
ce que gagnent nos collègues direct(e)s.
Pour en apprendre un
peu plus sur nos frais,
nous avons décidé de
noter et catégoriser
toutes nos dépenses
pendant deux mois. Le
résultat peut être aperçu
dans la figure ci-dessus.
Le loyer et les frais relatifs à notre maison sont
la partie la plus importante de notre budget. A notre arrivée, la cuisine de notre appartement
Vient ensuite la nourrit- était plutôt simple.
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
Côté bureau
Les avancées de nos projets professionnels, au service du renforcement d’organisations citoyennes.
Le travail de Frédéric au CRIC
Frédéric travaille maintenant depuis environ 6
mois au CRIC, et commence petit à petit à se faire
une place au sein de ce monstre administratif. En
regardant dans le rétroviseur, on constate qu’il y
a eu des résultats concrets malgré la sensation
d’inutilité à certains moments. Mais que peut faire
un physicien au sein d’une organisation indigène?
Voici la réponse de Frédéric.
Le CRIC, conseil régional des indigènes du Cauca, est
reconnu par la Colombie comme une autorité indigène,
et dans les faits, je travaille vraiment avec une sorte
d’administration indigène. Gestion de l’éducation, de
la santé, promotion de l’économie propre, le CRIC est
actif dans un large panel d’activités. Une partie se distingue néanmoins d’une administration étatique : « le
projet politique ».
Ce département est chargé de faire respecter les droits
des indigènes et de former politiquement et civique-
Les jeunes qui ont participé aux modules de formation sont
très fiers de leur certificat.
ment les indigènes du
Travail de Laurence
Cauca. Découpé en diDe son côté, Laurence continue
vers programmes, le
son travail à Comunitar pour la
projet politique compte
défense des droits de la femme
notamment un «proet contre les violences faites aux
gramme jeune» dans
femmes. Toujours active dans
lequel je suis intégré.
la gestion de l’information et la
Grâce à des fonds vecommunication de l’ONG, elle
nant d’une ONG noraide aussi maintenant de plus
végienne (SAIH), le
en plus souvent à représenter
programme jeune offre
l’association lors d’événements
notamment des moavec d’autres entités. Nous en
dules de formations
reparlerons sans doute plus en
pour les jeunes (podétails dans une prochaine lettre
litique, Histoire, etc)
circulaire.
ainsi que des visites aux
élèves en dernière année de scolarité obligatoire, afin de les sensibiliser aux
luttes livrées pour sauver le droit des indigènes.
Dans cette équipe composée de trois personnes, je suis chargé pour le moment surtout de petites tâches administratives. Je participe aussi aux activités de l’équipe en allant aux
modules de formation et en faisant quelques visites
dans les collèges (jamais seul néanmoins). Avec mes
capacités en informatique et mes compétences, toute
relatives, en anglais, il m’arrive souvent de dépanner
des gens à droite et à gauche. En plus de ces petites
tâches qui constituent le fond de mon activité, j’ai eu
l’occasion jusqu’à maintenant de réaliser deux projets
qui sortent un peu de mon ordinaire.
Réalisation d’une brochure pédagogique
Lorsque je suis arrivé, la réalisation d’une brochure qui ferait la synthèse des thèmes abordés dans les modules de
formation était latente. Commencée fin 2013, elle n’avait jamais vu le jour faute de temps de la part du reste de
l’équipe. J’ai donc récolté les documents et les photos qui pourraient
y figurer, réarrangé les textes et élaboré le graphisme. Nous avons ensuite passé quelques séances avec divers collaborateurs du CRIC à corriger le texte et changer les images quand c’était nécessaire.
Après environ deux mois de travail, j’ai pu apporter le document finalisé à l’imprimerie. Bien qu’il nous ait promis quelques exemplaires
pour la fin de la semaine, j’ai dû retourner une dizaine de fois en trois
mois avant d’en obtenir vingt copies. Heureusement, une semaine
avant la grande rencontre lors de laquelle les brochures doivent être
distribuées à tous les étudiants ayant participé aux formations, les brochures sont prêtes. Parfois, les choses fonctionnent, même en Colombie (surtout si on insiste)!
L’impression laisse néanmoins un peu à désirer, avec notament la page
de garde mal coupée sur toutes les brochures, laissant transparaître
une ligne blanche. J’envie un peu alors Laurence qui a la chance de travailler avec une organisation un peu plus riche, publiant des brochures
Couverture de la brochure préparée par Frédéric.
à l’allure beaucoup plus professionnelle.
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
Formulation d’un projet pour l’ONU
Alors que certains départements du CRIC gèrent des
fonds très importants (santé, éducation) remis directement par l’Etat colombien, d’autres départements
(politique, droits humains, communication, …) doivent
se battre pour obtenir des financements par diverses
sources. Souvent, il faut proposer des projets à des
ONGs occidentales et espérer que le financement soit
pris en charge. C’est grâce à ce genre de projets que
sont payés la plupart de mes collègues de travail.
Récemment, le fonds de l’ONU pour la promotion de
la démocratie (UNDEF) a émis un appel à projets, invitant les ONGs du monde entier à proposer leurs idées.
Seul grain de sable, les projets peuvent être formulés
en anglais ou en français, mais pas en espagnol. Or, sur
les dizaines d’employés travaillant au siège du CRIC,
aucun ne parle bien l’anglais ni à fortiori le français.
Comme je connais bien l’équipe de gestion de projets
du CRIC, ils se sont naturellement tournés vers moi
pour qu’on réalise une proposition ensemble.
Nous avons passé quelques réunions de travail à élaborer un
projet pour implanter les décrets d’autonomie mentionnés
ci-dessous (expliqués plus en
détail dans notre poste de blog
du 26 janvier 20151). J’ai ensuite formulé une proposition
en suivant le format exigé par
UNDEF. Nous avons relu les Frédéric aux mains avec le
grandes lignes ensemble, et formulaire online de l’UNDEF
j’ai envoyé le tout à l’ONU. Plus qu’à attendre quelques
mois pour savoir si les quelque 250’000 USD nous seront accordés ou non. Avec un taux d’acceptation de
2%, on a tout de même un peu peur de trop espérer.
1 www.filautrope.ch/blog/82
Nouveau départ pour le Programme Jeune
Tous les deux ans, le programme jeunesse du CRIC renouvelle sa coordination, c’est-à-dire toute
l’équipe qui s’occupe du projet au niveau du Cauca. Cela se passe lors d’un congrès bisannuel auquel
Frédéric s’est rendu, armé de sa tente, un beamer et beaucoup de motivation.
Après quelques jours de conférences et discussions
sur des problématiques qui concernent les jeunes
indigènes, vient le moment que j’appréhende:
l’élection de la nouvelle équipe de coordination, ses
nouveaux responsables.
L’élection est digne d’une série américaine, le suspense
rendu plus grand par mon appréhension. Deux jours
avant l’élection, aucun candidat ne semble intéressé.
Il faut dire que dans l’optique indigène, il s’agit d’une
charge, une tâche que nous confie l’assemblée et qu’on
ne peut refuser sans bonne raison.
Les «mayors» ont, lors de rituels spirituels, déterminé deux choses. Deux personnes doivent être élues
coordinateurs, un homme et une femme. De plus, ces
derniers doivent venir de deux régions spécifiques du
Cauca.
Mais une heure avant l’élection, l’équipe est en crise.
Toujours aucun candidat. L’une des deux régions refuse
de présenter un candidat car aucun n’a été validé par
leurs propres mayors. L’autre refuse car le processus
démocratique interne n’a pas été respecté. Après deux
heures de discussions intenses, l’ancienne équipe de
coordination se décide enfin: l’assemblée (ensemble
des jeunes) proposera elle-même des candidats.
Très rapidement, cinq candidats sont proposés. Mais
trois refusent immédiatement prétextant des charges
actuelles. Sur la scène, il reste un homme et une
femme, ma candidate favorite car elle fait déjà partie
de l’équipe comme secrétaire et je la sais très capable.
Mais le modérateur juge que trop peu de candidates fé-
minines ont été présentées. Deux femmes supplémentaires sont alors convoquées. La communauté dont est
originaire l’une d’elle refuse néanmoins de la soutenir
car le protocole de désignation n’a pas été respecté.
L’autre candidate semble très jeune, j’ai bon espoir que
ma collègue soit réélue.
Mais alors, vient le drame. Deux personnes formulent
des critiques fortes que ma collègue va prendre personnellement. Elle décide de retirer sa candidature.
La nouvelle équipe est donc nommée à l’unanimité
puisqu’il ne reste qu’un candidat et une candidate.
Il est une heure du matin, suit une longue cérémonie
spirituelle où la nouvelle équipe reçoit diverses médecines. A deux heures, je bredouille un discours sur l’importance de la culture, et mon admiration pour cette
dernière. Un peu plus tard, c’est mi-figue mi-raisin que
je rejoins ma tente.
La nouvelle coordination se fait introniser par des mayors
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
La Colombie, vous avez dit?
Histoire indigène & progrès
En 1492, Christoph Colomb découvre l’Amérique. Il ne
faut aux Espagnols alors qu’une quarantaine d’années
pour pousser l’invasion jusqu’à la région de Popayán et
soumettre les peuplades qui y vivent. Cinq siècles plus
tard, les Indigènes luttent toujours pour obtenir la reconnaissance de leurs droits et la pleine jouissance de
leur territoire ancestral. Et entre-temps ? Beaucoup de
méandres, mais un leitmotiv qui ressort beaucoup: les
droits accordés aux Indigènes sont souvent favorables à
ces derniers, mais sont rarement respectés.
La conquête foudroyante des Espagnols se fit en partie
grâce à la supériorité des armes, mais surtout en montant les éthnies les unes contre les autres. Les maladies
occidentales vont décimer une grande partie de la population indigène, certaines estimations allant jusqu’à
affirmer que 90% des autochtones seraient morts durant les premières années de la colonisation.
Une fois installée, la civilisation occidentale possède une
arme de domination encore beaucoup plus puissante: la
religion. Afin de «civiliser» les Indigènes, les Espagnols
les relocalisent dans des villages, instaurent un système
politique semblable au système espagnol et surtout entreprennent un processus d’évangélisation systématique
des populations. Dans l’optique espagnole, les Indigènes
reçoivent un service en recevant des missionnaires sur
leurs terres. Ils leur font donc payer un impôt qui sert à
couvrir les frais engendrés par ce processus.
Distribution des groupes ethniques dans le Cauca.
A cette époque déjà, les Indigènes sont menacés de
disparition à cause des maladies et des mauvais traitements reçus des conquistadors qui les forcent à travailler gratuitement. Le roi Carlos V en 1542 doit prendre
des mesures afin d’éviter leur disparition complète.
L’esclavage est interdit, et les Indigènes
doivent être considérés comme des sujets libres du roi. Mais dans la pratique,
les anciens conquistadors de la région de
Popayán continuent de les utiliser pour des
services personnels ou le travail aux mines,
sans les rémunérer.
A cette époque néanmoins, beaucoup de
régions restent sous contrôle Indigène. Il
s’agit souvent de régions peu accessibles,
dans lesquelles les Espagnols n’ont pas de
raison de s’aventurer. Dans le Cauca, une
éthnie a réussi à préserver son territoire
de l’invasion espagnole pendant de nombreuses années. Il s’agit des Nasas, menés
par une guerrière emblématique: La Gaitana. Ceux-ci peuplaient alors la région de
Tierradentro, région reculée, sur les pentes
des Andes.
Il faut attendre les années 1650 pour que
cette région soit pacifiée. Cela ne se fait
pas suite à une guerre menée par les Espagnols, mais à l’initiative d’un leader Nasa,
Juan Tama, qui entreprend des démarches
légales afin de faire reconnaitre certaines
zones comme réserve indigène. Juan Tama
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch
La figure de Juan Tama est très populaire parmis les Indigènes. Une association de cabildos, créée autour de la production de café, a par exemple été nommée en son honneur.
est vénéré pour cela par le peuple Nasa, et de nombreuses légendes parlent de sa naissance (son nom
complet est Juan Tama fils de l’étoile et de la lagune).
En échange de cette reconnaissance, les Indigènes acceptent la venue de missionnaires. L’assimilation est en
route.
La notion de réserve indigène, qui est donc déjà présente aux premiers temps de la colonisation, va évoluer au cours des siècles. Néanmoins, que ce soit par
des moyens légaux ou illégaux, des paysans ont de tout
temps tenté de s’installer sur ces réserves. En réponse
à cette pression constante, une autre figure apparaît
au début du XX siècle dans le Cauca: Quintin Lamé. Par
des moyens légaux mais aussi par la lutte armée, ce
dernier se bat toute sa vie pour essayer de récupérer
les territoires ancestraux indigènes. Il ne verra jamais le
résultat de sa lutte, mais quelques années après sa mort,
deux grandes nouvelles reserves sont déclarées dans le
Cauca. Son combat n’aura pas été vain.
La deuxième partie du XXe siècle voit la naissance du
CRIC (Conseil Régional Indigène de Cauca, l’organisation
pour laquelle travaille Frédéric), dont l’un des principes
fondateurs est la récupération des terres ancestrales.
Un vaste programme de récupération de terres est alors
lancé qui permet de définir les frontières des réserves
indigènes telle qu’elles sont aujourd’hui (ou presque).
Cette association, non seulement très active dans le
Cauca, est aussi la plus présente au niveau national
pour défendre le droit des autochtones.
Lorsqu’une nouvelle constitution colombienne voit le
jour en 1991, les efforts des Indigènes paient enfin. Non
seulement, la Colombie devient officiellement un Etat
multi-culturel, mais la constitution exige aussi des démarches actives afin de soutenir la pluriculturalité du
pays. Les peuples indigènes sont officiellement reconnus comme faisant partie intégrante de l’Etat colombien, et leurs spécificités doivent être protégées.
Traité d’autonomie
projets. De plus, les montants pourront être dépensés
Hélas, plus de vingt ans plus tard, les Indigènes doivent
toujours se battre pour jouir de certains droits. En
selon les aspirations des indigènes, pour autant qu’ils
octobre 2014, le gouvernement Colom- Les montants pourront être s’inscrivent dans le programme à long
bien signe enfin un decret pour rendre dépensés selon les désirs des terme établi par la communauté vivant
effective l’autonomie des réserves, indigènes, pour autant qu’ils dans la réserve. De nouveaux secteurs
comme promis dans la Constitution. Ces s’inscrivent dans programme tels que la justice ou la médecine tradidécrets, dont tous les indigènes du Cauca à long terme établi par la tionnelles pourront donc enfin fonctionconnaissent par coeur les numéros, sont communauté
ner sur la base de fonds gouvernemensurnommés les décrets d’autonomie.
taux.
Mais quels sont les droits obtenus? Outre des changeCette reconnaissance de l’Etat de manière de fonctionments législatifs qui donnent une plus grande légitimité
ner alternative constitue-t-elle la fin d’une lutte que l’on
aux réserves indigènes, les changements sont principensait sans fin ? C’est sans doute utopique d’y croire,
palement d’ordre financier. Depuis 1993, une certaine
mais après 500 ans de persécutions, les indigènes du
somme était attribuée aux indigènes, automatiqueCauca sont plus forts que jamais pour faire valoir leurs
ment allouée par l’Etat suivant le nombre de personnes
droits.
vivant dans une réserve. Néanmoins, cet argent devait être dépensé dans des domaines particuliers. Un
certain montant pour la santé, un autre pour l’éducation. Bref, les indigènes ne disposaient que d’une marge
de manœuvre restreinte. De plus, ces fonds n’étaient
pas remis directement aux réserves, mais aux municipalités dans lesquelles elles se trouvent. Les indigènes
devaient alors présenter des projets aux autorités des
municipalités, qui leur transféraient alors leurs fonds.
Grâce aux nouveaux traités, les indigènes vont recevoir
directement l’argent qui leur revient. Cela nécessite des
compétences et des protocoles qui sont pour l’instant
La garde indigène, garde non-armée qui défend le «terriinexistants. Mais un échelon est supprimé entre l’Etat
toire ancestral», pourrait toucher des fonds de l’Etat pour
et les indigènes, ce qui simplifiera la réalisation des
son fonctionnement grâce aux nouveaux decrets.
Laurence Chave y Frédéric Michaud | Calle 3N n°8-19 | Popayán (Cauca)| Colombia | www.filautrope.ch