On pourrait définir le cinéma fantastique comme le récit dans lequel
Transcription
On pourrait définir le cinéma fantastique comme le récit dans lequel
On pourrait définir le cinéma fantastique comme le récit dans lequel, dans un monde d’apparence familière, surgit le surnaturel, qu’il s’agisse de monstres, de différents types de peurs et d’horreurs, de troubles psychologiques de certains personnages ou tout simplement du merveilleux. Comme la plupart des genres, le fantastique puise ses racines dans la littérature, anglo-saxonne en particulier (Mary Shelley, Bram Stoker, Robert Louis Stevenson ou Edgar Alan Poe). Art forain à l’origine, le cinéma s’essaie rapidement au genre, que l’on songe aux expérimentations du pionnier Georges Méliès, ancien prestidigitateur du théâtre RobertHoudin. Des cinéastes comme Ferdinand Zecca ou l’Espagnol Segundo de Chomon, qui fera en partie sa carrière en France, au sein de Pathé, s’en inspireront, voire copieront le maître de l’illusion. C’est dans l’Allemagne défaite de la Première Guerre mondiale, au début de la République de Weimar, que naît le mouvement expressionniste qui donnera ses lettres de noblesse au genre, avec des films aujourd’hui considérés comme des classiques : Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1920), Les Trois Lumières de Fritz Lang (1921), Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau (premier film de vampire, 1922), Le Golem de Paul Wengener (1920)… Tous les éléments de la mise en scène (cadre, lumière, décors) sont sollicités pour présenter la psyché défaillante des personnages et un réel hors du commun. La Suède offre également quelques chefs-d’œuvre en la matière: La Sorcellerie à travers les âges de Benjamin Christensen ou La Charrette fantôme de Victor Sjöström (tous deux réalisés en 1921). Et bien plus tard, le grand Ingmar Bergman fera une incursion dans le genre avec Le Septième sceau (1957). A Hollywood, la première adaptation de Frankenstein date de 1910, celle de Docteur Jeckyll et Mr. Hyde, de 1913. L’un des réalisateurs les plus prolifiques dans le domaine est sans conteste Tod Browning. Avec des films tels que L’inconnu (1927), A l’Ouest de Zanzibar (1928), puis, dès les premiers pas du cinéma parlant, un excellent Dracula (1931) et surtout Freaks, La monstrueuse Parade (1932). Le genre prendra d’ailleurs un nouvel essor avec l’arrivée du parlant. Dans cet entre-deux-guerres, la production américaine privilégie les personnages de monstres, s’inscrivant dans la lignée de l’expressionnisme allemand dans l’utilisation de la lumière et des décors. Nouvelle adaptation de Frankenstein par James Whale (1931), un Docteur Jeckyll et Mr. Hyde par Robert Mamoulian (1932), et ce grandiose King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack (1933) dans lequel le monstre est un animal plus grand que nature, menaçant l’homme - et la civilisation occidentale dans son ensemble. D’autres animaux monstrueux hanteront Hollywood au fil du temps : L'Étrange Créature du lac noir (Jack Arnold, 1954), Des monstres attaquent la ville (Gordon Douglas, 1954), Tarantula ! (Jack Arnold, 1955), La Chose surgit des ténèbres (Nathan Juran, 1957), Les Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963), Les Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975), sans oublier les remakes de King Kong : en 1976 par John Guillermin, et en 2005 par Peter Jackson, d’autres singes célèbres (La Planète des singes, Franklin J. Schaffner, 1968 et ses différentes déclinaisons), ou encore les dinosaures de Steven Spielberg (Jurassic Park, 1993). Le monstre n’a pas forcément besoin de se montrer comme le prouve Jacques Tourneur avec La Féline (1942), série B sans le sou. C’est par contrainte financière que naît l’ombre du monstre, confinant la bête au hors-champ le plus fameux et le plus effrayant du cinéma, la peur devenant presque le sujet du film. Poétique de l’invisible que renouvelle Tourneur avec Vaudou et L’Homme-léopard (1943). En pleine Guerre froide, le genre devient métaphore des grandes peurs de l’Amérique, l’ennemi soviétique et la guerre atomique. L’envahisseur vient d’un autre monde. C’est ainsi que l’on peut lire des films comme Des Monstres attaquent la ville (Gordon Douglas, 1954), La Guerre des mondes, d’après HG Wells (Byron Haskin, 1953), L'invasion des profanateurs de sépultures (Don Siegel, 1956)… On sait l’importance du décor depuis l’expressionnisme, et l’un de ses éléments, la maison, hantée comme il se doit, peut s’avérer extrêmement inquiétant : de La Maison du diable (Robert Wise, 1963) et ses différents remakes, au film américain de l’Espagnol Alejandro Amenabar, Les Autres (2001), en passant par le célèbre Poltergeist (Tobe Hooper, 1982)… Avec la généralisation du cinéma en couleur, le genre use, et abuse parfois, de l’hémoglobine. Le Cauchemar de Dracula du britannique Terence Fisher (1958) est un bel exemple de ce tournant. C’est une production de la Hammer Films, qui se lance alors dans une série de films revisitant les classiques : le même Fisher ayant notamment signé un Frankenstein s’est échappé l’année précédente puis La Revanche de Frankenstein, et, dans la foulée, Les Maîtresses de Dracula, Les Deux visages du Dr Jekyll, La Nuit du loupgarou, et Le Fantôme de l’opéra. Les autres cinématographies ne sont pas en reste et les psychédéliques années 1960 sont propices à l’invention de formes et de styles. Ainsi du Giallo italien, qui tient son appellation (jaune) des polars de gare aux couvertures jaunes, et ses chefs de file Mario Bava ou Dario Argento. Les récits privilégient les personnages fétichistes (cuir, masques) et les meurtres horribles, rituels et sanglants, de préférence à l’arme blanche, plus cinématographique. Les morts-vivants sont le prototype des personnages récurrents du genre fantastique. L’Américain George Romero, dès son premier film, La Nuit des morts-vivants (1968) en a fait sa marque de fabrique. Elément de terreur garantie également, le personnage du serial-killer est mis à l’honneur au cours des années suivantes. En 1978, Halloween de John Carpenter se focalise sur un psychopathe à la poursuite d’un groupe d’amis. Le succès est tel que des suites, des variantes surgissent rapidement, mettant l’accent sur l’horreur et les effets spéciaux : que l’on songe à Vendredi 13, aux Griffes de la nuit (1984) et aux films dérivés de ce premier opus Freddy. Ce sous-genre se renouvèle dans les années 1990, avec pour cible claire le public adolescent (Scream, Wes Craven, 1996 - et ses avatars). Les sources d’inspiration, si elles demeurent littéraires, évoluent. Un auteur comme Stephen King doit beaucoup aux adaptations cinématographiques de ses œuvres : Christine (John Carpenter), Dead Zone (David Cronenberg), Carrie (Brian De Palma) et bien entendu Shining (Stanley Kubrick) ou encore Misery (Rob Reiner). Le danger menaçant l’homme est souvent intérieur. C’est une des autres variantes du genre, également présente dès la période de l’expressionnisme allemand. Les cauchemars, les peurs, les problèmes psychologiques des personnages, sont source de conflits dramatiques indépassables et d’angoisse assurée pour le spectateur. Depuis Répulsion (1965), Roman Polanski filme les tourments pathologiques de ses personnages, mêlant habilement paranoïa et satanisme dans Rosemary’s Baby (1968), puis l’obsession morbide pour une défénestrée donne Le Locataire (1976), d’après un roman de Roland Topor. Un film comme L’Exorciste de William Friedkin (1973), au succès planétaire, s’inscrit également dans ce registre. La grande figure de cette époque, transcendant ces thèmes, est sans conteste David Lynch. Dès son premier long métrage, en noir et blanc, il impose son univers fantasmatique et décalé (Eraserhead, 1977), après son Freaks à lui (Elephant Man), Lynch s’essaie à la science-fiction à gros budget (Dune, adaptation de Frank Herbert). Mais c’est surtout avec la série télévisée, puis son prequel cinématographique, Twin Peaks que Lynch impose son inquiétante étrangeté au thriller. Difficile ensuite de classer les autres films de Lynch (Blue Velvet, Lost Highway, Mulholland Drive…) dans le cinéma fantastique bien qu’ils en gardent quelques codes : irruption de personnages cauchemardesques, point de vue de ses héros névrosés … David Lynch est en fait un genre à lui seul. L’autre grande nation du fantastique en cette fin de XXe siècle est le Japon. Entre tradition théâtrale et modernité du manga, un mouvement étiqueté J-Horror donne des films tels que Ring (Hideo Nakata, 1998), The Grudge, Réincarnation (Takeshi Shimizu)… Influencé par maître Tourneur, contemporain de Lynch, Kioshi Kurosawa joue avec les lois du genre, établissant sa propre vision de la société japonaise (Sweet home, 1989 ou Kaïro, 2001). En Espagne, une nouvelle génération de cinéastes, nourrie au cinéma de genre, héritière du cinéma Z d’un Jess Franco, offre des films tels que L’Orphelinat (Juan Antonio Bayona, 2007), REC et sa suite (Jaume Balaguero, Paco Plaza, 2007 et 2009), Les Yeux de Julia (Guillem Morales, 2010)… Alejandro Amenabar avait enfoncé la porte dès ses premiers films, Tesis (1996), et surtout Ouvre les yeux (1997), qui fera l’objet d’un remake hollywoodien (Vanilla Sky). Grand cinéphile, le consacré Pedro Almodovar s’est lui aussi essayé dernièrement au thriller fantastique avec l’adaptation de Mygale, le roman de Thierry Jonquet, pour son film le plus glacial, La Piel que habito (2011). Tournés également dans la péninsule ibérique, les films du Mexicain Guillermo del Toro insufflent un style fantastique dans des films historiques tels que L’Echine du diable (2001) ou Le Labyrinthe de Pan (2006). Ces dernières années, après une période de parodies du genre, et devant le rajeunissement considérable de l’âge moyen du spectateur – ou du « téléchargeur » -, nombre de films gores, de remakes, ont vu le jour. Avec l’emprise du numérique, offrant la possibilité de trucages et effets spéciaux inouïs, le fantastique semble plus que jamais promis à une solide pérennité.