Format PDF - Dictionnaire biographique des frères prêcheurs

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Format PDF - Dictionnaire biographique des frères prêcheurs
Dictionnaire biographique des frères
prêcheurs
Dominicains des provinces françaises (XIXe-XXe
siècles)
Notices biographiques
BESNARD Albert-Marie
BESNARD Albert Louis à l’état civil ; BESNARD Albert-Marie en religion
Yann Raison du Cleuziou
Éditeur :
IMM-EHESS - Institut Marcel Mauss,
Centre d'études des mouvements sociaux
Édition électronique
URL : http://dominicains.revues.org/94
ISSN : 2431-8736
Référence électronique
Yann Raison du Cleuziou, « BESNARD Albert-Marie », Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [En
ligne], Notices biographiques, B, mis en ligne le 17 avril 2015, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://
dominicains.revues.org/94
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
© CEMS / IMM-EHESS
BESNARD Albert-Marie
BESNARD Albert-Marie
BESNARD Albert Louis à l’état civil ; BESNARD Albert-Marie en religion
Yann Raison du Cleuziou
NOTE DE L’ÉDITEUR
Notice validée le 03/02/2015, mise en ligne le 17/04/2015.
• Vestition pour la Province de France : 22 septembre 1949 au couvent Saint-Jacques
à Paris
• Profession simple : 23 septembre 1950
• Profession solennelle : 23 septembre 1953 au Saulchoir d’Étiolles
• Ordination sacerdotale : 4 juillet 1954 au Saulchoir d’Étiolles
Dictionnaire biographique des frères prêcheurs , Notices biographiques | 2015
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BESNARD Albert-Marie
Albert-Marie Besnard au collège du Caousou à Toulouse
Besnard est le premier à gauche au premier rang.
Archives dominicaines de la Province de France/Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule (dir.), Dictionnaire
biographique des frères prêcheurs en ligne.
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Albert Besnard est le quatrième d’une famille de cinq enfants. Son père est polytechnicien
et ingénieur dans l’industrie chimique. Il fait toutes ses études au collège du Caousou des
jésuites de Toulouse. Ses études ne le satisfont pas et il mène parallèlement une vie
intellectuelle très riche par de nombreuses lectures et par une intense activité d’écriture
poétique, philosophique et littéraire dont témoignent ses cahiers de jeunesse. À dix-huit
ans, il écrit un roman non publié Cœurs d’homme. Il écrit également un bref ouvrage en
souvenir d’un ses amis jécistes mort durant la guerre, Paul de Gauléjac. Il entre à
Polytechnique en 1945, plus par conformisme familial que par goût personnel, puis à
l’École nationale de météorologie. Il fréquente les routiers-scouts de France de l’École
polytechnique, « Les rois mages », et les accompagne sur la route de Chartres à plusieurs
reprises. C’est dans ce contexte qu’il rencontre le dominicain Pierre-André Liégé alors
aumônier du clan. Il noue avec lui une très forte amitié.
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BESNARD Albert-Marie
Albert-Marie Besnard au pèlerinage de Chartres en 1949
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Durant ses études, Albert Besnard est très attiré par la spiritualité diffuse, d’orientation
panthéiste, qu’il trouve chez les romantiques allemands. Il lit abondement Nietzsche.
Rainer-Maria Rilke est son poète préféré. Il trouve dans son œuvre une aspiration
identique à la sienne pour la rupture avec le monde et l’introspection à la recherche de
son identité profonde. Car Albert Besnard fait ses études en éprouvant un profond
sentiment de dualité, sa vie scolaire et sociale lui semblant une comédie superficielle et
mondaine qui le rend étranger à son être vrai et authentique. En 1949, il achève un essai
sur Rainer-Maria Rilke en forme de pastiche des Cahiers de Malte Laurids Brigge.
Considérant qu’il a trop projeté sa propre psychologie dans celle de Rilke, il ne le publie
pas. D’ailleurs, cet essai témoigne d’un tournant dans sa vie intérieure, c’est une sorte
d’adieu à l’univers littéraire de sa jeunesse. Comme on le trouve écrit dans un document à
dimension autobiographique qui se trouve dans ses archives, la voie empruntée par Rilke
vers le réel lui semblait incomplète en comparaison avec la voie chrétienne : « Dieu n’y
était pas et pourtant le divin y était, il me fascinait, il m’imprimait – selon le mot même
du poète – une direction à mon cœur. Direction hésitante, enveloppée de brumes et de
murmures, jusqu’à l’heure où lui Dieu, le vrai Dieu, apparut dans l’embrasure béante,
survenu il savait d’où mais je ne savais pas, et il savait pourquoi mais je ne m’en doutais
pas ».
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À partir de 1948, Albert Besnard développe un goût profond pour la lecture et la
méditation de la Bible. Il y trouve de nouveaux repères pour structurer sa pensée et
orienter son désir d’une vie en vérité, le moi libéré des conventions sociales, des rôles et
des routines. Il est attiré par l’Ordre dominicain, tout autant en raison de sa rencontre
avec Pierre-André Liégé que par un attachement à la figure de saint Dominique dont la
mémoire est restée présente à Toulouse et dont Georges Bernanos a écrit un portrait qui
le marque. Il est également attiré par le caractère régulier de la vie religieuse dominicaine
(psaumes chantés aux offices) et par la vocation à la prédication, c’est-à-dire à l’annonce
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de l’Évangile par l’instrument du langage, ce qui rejoint son goût de l’expression de la vie
intérieure. Il confie à Pierre-André Liégé qu’il serait devenu écrivain s’il n’était pas
devenu dominicain. Son choix de la vie religieuse répond à sa volonté de subordonner son
esthétisme à la recherche de la vérité et à la connaissance de Dieu.
Albert-Marie Besnard au noviciat
Noviciat du couvent Saint-Jacques à Paris (1949-1950). Au premier rang, de gauche à droite, les pères
Bernard-Marie Chevignard, Augustin Desobry, Michel Évrard.
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En 1949, il reçoit l’habit dominicain à Saint-Jacques de Bernard Chevignard, alors maître
des novices, puis il poursuit ses études au Saulchoir d’Étiolles avec Nicolas Rettenbach
comme père-maître. Besnard se trouve en phase avec ces formateurs qui partagent son
goût pour la Bible. Ces derniers seront écartés de leurs charges en 1955 en raison de leur
initiation à la vie religieuse fondée sur la praxis évangélique de Jésus au détriment des
constitutions de l’Ordre.
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BESNARD Albert-Marie
Caricature d’Albert-Marie Besnard
Albert-Marie Besnard, étudiant au Saulchoir d’Étiolles, caricaturé par le frère Ceslas Leclère.
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Pendant ses années d’étude au Saulchoir, Albert-Marie Besnard se trouve en porte-à-faux
avec l’enseignement dominant. Sa sensibilité le porte à la défiance à l’égard du
rationalisme thomiste qui fait de la foi une activité trop mentale selon lui. Son champ
d’investigation intellectuelle reste finalement très personnel et n’a que peu
d’interférences avec sa formation. Il poursuit sa quête introspective d’une expérience
existentielle de Dieu et cherche à la traduire en écriture. Il privilégie l’étude de la Bible et
l’écriture dramatique et poétique. Il écrit toujours pour lui-même de nombreux poèmes et
des essais spirituels ou philosophiques très esthétisants. Il fera jouer une pièce de théâtre
par les frères étudiants en 1956. Il publiera une méditation sur sainte Jeanne d’Arc.
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BESNARD Albert-Marie
Ordination sacerdotale
Albert-Marie Besnard auprès de ses parents le jour de son ordination sacerdotale, 4 juillet 1954 au
Saulchoir d’Étiolles.
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Il est ordonné en 1954 puis fait une thèse de lectorat titrée « Quiconque invoquera le nom du
Seigneur sera sauvé ». Essai de théologie biblique : « Par l’investigation analytique des réalités
et du langage bibliques, c’est en fin de compte quelque moment, sinon l’unité même,
quelque intention, sinon l’intention même, de la volonté de Dieu à l’égard de son peuple
et de toute l’humanité, que l’on s’efforce de saisir et de mieux comprendre ». Elle sera
publiée sous le titre Le mystère du nom en 1962. Une fois son lectorat obtenu, il est assigné
au couvent de Strasbourg en 1956. Il publie des articles de réflexion sur la Bible et la
spiritualité dans La Vie spirituelle, Lumen vitae, Bible et terre sainte. Sa réflexion porte plus
spécialement sur les conditions de la spiritualité dans la civilisation « technicienne ». Il
considère que la domination de la technique contribue à façonner un nouveau type
d’homme, le « technicien » qui, en raison de sa socialisation, « souffre d’une incapacité » à
recevoir Dieu.
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Albert-Marie Besnard est élu prieur du couvent de Strasbourg en 1957. Il est alors si jeune
(trente-et-un ans) que le maître de l’Ordre doit accorder une dispense pour autoriser son
élection. Il se trouve dans une position de médiation entre sa génération et les
générations dominicaines plus âgées en raison de ses responsabilités et sa sensibilité à la
fois régulière et biblique. Par son âge, il appartient à une génération de dominicains
attirés par l’avant-gardisme missionnaire et le rayonnement intellectuel de la Province
dominicaine de France : les prêtres-ouvriers, Les Éditions du Cerf, la revue L’Art Sacré, les
théologiens Yves Congar et Marie-Dominique Chenu, etc. Ils subissent d’autant plus
durement l’arrêt de l’expérience des prêtres-ouvriers en 1954 et la politique de retour à
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l’orthopraxie conventuelle et contemplative dictée par le maître de l’Ordre et le
provincial Vincent Ducattillon. Un type de sensibilité et de carrière qui les attirait chez
les dominicains est donc marginalisé et ces jeunes religieux se retrouvent en porte-àfaux, parce que leurs dispositions ne sont plus en pleine adéquation à la vie dominicaine
autorisée. Une fois leurs études achevées, la plupart de ces jeunes pères s’engagent
comme aumôniers dans l’Action catholique, pour échapper à la vie intensément régulée
d’une bonne partie des couvents. Ils développent une capacité à s’auto-censurer pour ne
pas attirer l’attention de leurs supérieurs et conserver ainsi la liberté nécessaire à leurs
pratiques. Alors qu’à la fin des années 1950 de nombreux prieurs tentent de ramener à
une vie plus régulière ces jeunes pères, Albert-Marie Besnard prend leur défense à
Strasbourg. Il défend le choix de minimiser la vie conventuelle pour atteindre un plus
large public lors de prédications en paroisses.
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En décembre 1959, alors que le noviciat est agité par des contestations de la vie
monastique qui y est imposée, il est nommé maître des novices par le provincial Joseph
Kopf. Sa jeunesse, sa spécialisation dans la spiritualité et ses responsabilités de supérieur
lui donnent un profil opportun à la fois pour bénéficier de la confiance du provincial et
pour avoir autorité sur les novices. Auprès des novices, il sera confronté à des demandes
nouvelles : liturgie en français, objection de conscience.
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Analysant qu’une civilisation nouvelle est en train de naître, il est très attentif à ces
demandes qui témoignent selon lui des formes nouvelles du désir de Dieu dans le monde.
Il constate que les jeunes générations ont une sensibilité « technicienne » qui leur rend la
tradition religieuse hermétique. Le discernement des vocations ne peut plus s’exercer sur
les critères habituels. Albert-Marie Besnard décide de faire confiance à l’appel que les
jeunes religieux perçoivent plus qu’à son propre scepticisme sur leur capacité à la vie
religieuse.
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Albert-Marie Besnard parvient d’ailleurs à rétablir l’autorité au noviciat en jouant de sa
proximité à l’égard des jeunes et de l’autorité de sa vie spirituelle. Il multiplie l’offre de
méthodes spirituelles à l’égard des novices. Il les initie à la vie régulière bien sûr, leur
transmet son goût de la Bible et des psaumes, mais il leur parle également des techniques
d’oraison que le père Caffarel tente de diffuser auprès des laïcs, et à la suite du bénédictin
Jean-Marie Déchanet, il les initie à une technique adaptée du yoga. Reste que sa vie
intérieure personnelle est le cœur de sa pédagogie. Lors d’une conférence spirituelle
quotidienne il témoigne d’une manière très personnelle de l’expérience de Dieu dans sa
vie intérieure.
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Les revendications des novices entrainent Albert-Marie Besnard dans des combats
nouveaux pour lui. En décembre 1965, il rencontrera le premier ministre George
Pompidou avec les pasteurs Westphal et Roser afin d’obtenir l’élargissement des
objecteurs de conscience qui refusent d’être intégrés à la sécurité civile et demandent un
service totalement hors de l’armée. Deux dominicains sont parmi eux. Cette médiation
aboutira.
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De son expérience auprès des novices, il tire une réflexion plus générale sur les nouvelles
tendances du désir de Dieu. En 1964, il publie Visage spirituel des temps nouveaux, un essai
important dans lequel il développe cette analyse. Selon lui, l’époque est caractérisée par
une redécouverte de la Bible : « C’est de plus en plus la Parole de Dieu qui capte la
confiance et qui constitue la référence spontanée de toute recherche. On s’avise, d’une
façon très concrète et très imagée, qu’il y a dans l’évangile, dans la parabole de la brebis
perdue ou du Bon Samaritain, dans l’accueil fait par Jésus aux pécheurs […], autant de
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principes de vie que notre existence en exige. » Il note également que l’aspiration
spirituelle des générations montantes a une autre singularité : « Ils portent la certitude
que le devoir-être-avec-les-hommes fait partie intégrante de la vocation chrétienne. » De
cette préoccupation de « vivre pleinement » et de l’exemple christique découle un désir
d’une « spiritualité intégrée ». Il s’agit pour les chrétiens de vivre la foi en vérité dans le
monde, par la recherche d’une transformation parallèle de soi et du monde, au fil de la
vie ordinaire et des engagements conjugaux, professionnels ou politiques : « L’homme
moderne qui a l’expérience immédiate d’être, comme il dit “dans la vie” […], cet homme
prend conscience que son Dieu aussi est dans la vie. Au lieu d’avoir l’impression de traîner
son Dieu derrière lui, comme un fardeau d’obligations ou un bagage de vieux livres
vénérables, il redécouvre Dieu comme celui qui est plus actuel que l’actualité, qui ouvre
déjà les portes de l’avenir et qui précède son peuple à la façon du berger son troupeau. »
Le nouvel horizon des chrétiens, c’est devenir « sauveurs avec Jésus », selon le mot de
Charles de Foucauld. En conséquence la spiritualité catholique se trouve déplacée. La
praxis évangélique devient la référence exclusive de la vie des laïcs chrétiens et la vie
ordinaire est requalifiée en espace privilégié de conversion, en lieu d’une nouvelle forme
d’ascèse. C’est désormais non hors du monde mais dans la vie, que retentit l’appel à la
sainteté. Albert-Marie Besnard constate que cette nouvelle forme de spiritualité a été très
largement diffusée par l’Action catholique. Alors que Louis Bouyer s’inquiète des dérives
possibles de cette spiritualité laïque qui s’affirme, Albert-Marie Besnard est confiant. Il
voit même dans « l’évangélisme de l’époque » une grande ressource pour refonder les
formes du témoignage de l’Église dans la civilisation nouvelle qui est en train de naître :
« À plusieurs reprises, selon les temps et les cultures, l’Église a dû inventer sa liturgie :
nous sommes certainement à l’époque où l’inépuisable génie liturgique du christianisme
doit se remettre à produire des formes en consonance avec le type nouveau d’humanité
qui s’élabore. » À ce titre, Albert-Marie Besnard estime que les ordres contemplatifs ne
doivent pas se tenir à l’écart de ces nécessaires révisions : « Les monastères ne peuvent
être exclusivement considérés comme le refuge de ceux qui ne se sentent pas du siècle,
voire d’aucun siècle, et qui, ne pouvant vivre leur christianisme avec leurs
contemporains, essaieraient de patienter jusqu’à leur éternité sur une orbite d’attente
spirituellement climatisée. » Selon lui, les ordres religieux doivent plutôt être le
laboratoire de la recherche de nouvelles formes de vie et de témoignage de la foi.
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BESNARD Albert-Marie
Albert-Marie Besnard, maître des étudiants
Albert-Marie Besnard, maître des étudiants au Saulchoir à Étiolles entre 1964 et 1968.
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En 1964, le provincial souhaite qu’Albert-Marie Besnard reprenne le studentat, qui est
également en proie à la contestation. Il prend la charge de père-maître au mois de
septembre. Il retrouve une partie des novices qu’il a formés et constate que leurs
difficultés d’intégration à la vie religieuse dominicaine perdurent. En 1965, à la demande
des frères étudiants du studentat, Albert-Marie Besnard va écrire un rapport pour les
définiteurs du chapitre général de Bogota dans lequel il demande une réforme de l’office
choral. À cette fin, il mobilisera un certain nombre d’autres pères-maîtres afin de donner
du poids à sa pétition. Les frères étudiants étant juridiquement mineurs dans l’Ordre,
leurs requêtes ne sont légitimes et possibles qu’assumées par des pères ayant tous leurs
droits. Besnard demande que l’office puisse être dit en français et non plus en latin afin
qu’il corresponde de nouveau au « vrai de la vie » que la structure et la forme de la prière
leur permette de nouveau « de porter dans leur cœur ce que profèrent leurs lèvres ». Sans
réforme de l’Office, c’est pour Besnard, la persévérance dans la vie religieuse des novices
qui risque d’être compromise : « La plupart avouent que l’office, tel qu’il leur est
actuellement imposé, représente un fardeau stérile et non pas cette louange divine et
cette nourriture de l’âme vers lesquelles réellement ils aspirent. »
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Par ailleurs, sommé de rendre compte des pratiques des frères étudiants par un nombre
croissant de pères qui s’en inquiètent et par les supérieurs d’autres congrégations qui
rencontrent un phénomène générationnel analogue, Besnard va, au fil de
correspondances et de conférences, développer une analyse du conflit de génération en
termes spirituels. Comme il l’écrit à Anicet Fernandez en mai 1965, les aspirations des
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jeunes ne sont pas selon lui un « prurit de réformes irréfléchies, goût du changement,
perte du sens de l’ascèse de l’office, recul de la vie de prière » mais au contraire des
« requêtes majeures et légitimes. » Le père-maître va se faire leur interprète et défenseur
au sein de la Province de France. En octobre 1966, il prend leur défense auprès du
provincial Joseph Kopf : « Vous verrez pourquoi j’estime ne pas devoir faire chorus avec
ceux qui croient que les jeunes générations sont décidées à détruire les valeurs
essentielles de notre vie dominicaine ; pour être honnête, je crois même qu’elles ont déjà
plus fait pour leur donner leur sens que la génération de laquelle je suis moi-même, sans
vouloir parler de celles que je connais moins. Seulement il a fallu deux ans pour en venir
là, et l’aventure n’est pas finie. » Par ailleurs, Besnard fait de plus en plus de conférences
sur les attitudes des jeunes et conseille d’autres éducateurs religieux sur les attitudes à
adopter. Il diffuse ses analyses dans Le Supplément de La Vie spirituelle et par ses ouvrages,
comme Vie et combats de la foi (1965) qui approfondit le diagnostic de Visage spirituel des
temps nouveaux.
Albert-Marie Besnard au couvent des Jacobins à Toulouse
Albert-Marie Besnard (troisième de la première rangée) au couvent des Jacobins à Toulouse, le
11 octobre 1970, pour le 8e centenaire de la naissance de saint Dominique.
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Pour Albert-Marie Besnard, l’Ordre doit se laisser transformer par les vocations qui lui
sont envoyées parce que l’examen critique du caractère peu évangélique des institutions
qu’elles suscitent manifeste leur caractère providentiel. Selon lui, les contestations des
étudiants sont un appel évangélique parce qu’elles soulignent en quoi l’institution
dominicaine a perdu ses charismes ; en quoi elle ne permet plus d’atteindre les finalités
qu’elle revendique. Pour Besnard, la Province est devant une alternative : laisser les
jeunes exprimer leurs charismes pour s’y redynamiser ou prendre le risque d’une
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fossilisation en des formes surannées. Car si l’Ordre refuse d’écouter les requêtes des
jeunes religieux, il se condamne à devenir lui-même inaudible à leurs contemporains.
L’expérience du changement qu’Albert-Marie Besnard acquiert auprès des novices profès,
est aussi une des inspirations de la posture de réformateur qu’il adopte publiquement par
ses livres. En 1967, dans Ces chrétiens que nous devenons, il affirme que l’effondrement de la
pratique de la piété catholique est une chance pour renouer avec des formes de
spiritualité plus authentiquement enracinée dans l’Évangile.
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Au Saulchoir, la requalification des aspirations des jeunes générations en désir légitime
d’authenticité spirituelle va conduire Albert-Marie Besnard à développer une pédagogie
spécifique. Alors que les novices profès ont un statut de mineur et ne devraient presque
rien faire sans autorisation, le père-maître leur octroie de fait un statut de majeur. La
confiance qui leur est faite doit les engager à devenir responsables de leur croissance
dans la vie religieuse et donc à accroître leurs efforts personnels plutôt qu’attendre des
stimuli disciplinaires comme le feraient des « enfants ». En définitive, Albert-Marie
Besnard réinvente le rôle de père-maître. Il délaisse l’aspect hiérarchique et formel de sa
fonction et investit un rôle de « yogi », témoin privilégié des réalités spirituelles à la
disposition de ses disciples. Albert-Marie Besnard bénéficie d’ailleurs d’une
reconnaissance en tant que maître spirituel et il prêche de très nombreuses retraites
d’introduction à la vie intérieure et à la prière, à des moniales, des laïcs ou des religieux.
En 1969, il tirera de ce ministère son livre Propos intempestifs sur la prière, ouvrage qui
rencontrera le succès et sera réédité plusieurs fois.
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Soucieux de la volonté des frères-étudiants de vivre leur foi dans la vérité, il propose des
exercices spirituels et ascétiques qui n’ont plus une règle formelle comme référent. C’est
à la lumière des évangiles que les frères doivent examiner la manière dont ils vivent leur
vie fraternelle, dont ils accomplissent les services communs, dont ils assument leurs
responsabilités, dont ils se conduisent en vacances ou pendant leurs loisirs, au chœur ou
en cours. C’est là une innovation majeure. C’est à partir de la praxis évangélique que les
frères étudiants doivent s’examiner et conformément à elles qu’ils doivent se
transformer.
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En légitimant la refondation de la vie religieuse à partir d’une référence quasi exclusive à
la vie de Jésus, Albert-Marie Besnard donne des arguments aux frères étudiants pour
dénoncer les formes de la vie religieuse dominicaine. En mai 1968, les frères étudiants se
réunissent en assemblée générale et dénoncent le caractère désuet de ces formes
« aliénantes » qui retirent toute vitalité à leur foi. Pour un certain nombre de
dominicains, Albert-Marie Besnard porte une lourde responsabilité dans la crise du
studentat. Le provincial Nicolas Rettenbach nomme Pierre Raffin père-maître. AlbertMarie Besnard est nommé directeur de La Vie spirituelle et assigné au couvent parisien de
Saint-Dominique qui est composé par l’équipe des Éditions du Cerf. Avant de prendre ses
fonctions, il prend un temps sabbatique, en partie passé à l’École biblique de Jérusalem.
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BESNARD Albert-Marie
Albert-Marie Besnard célébrant l’eucharistie
Célébration de l’eucharistie en plein air, pratique fréquente dans les années 1970
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De retour en France, Albert-Marie Besnard poursuit sa quête de nouvelles voies
spirituelles praticables pour les « hommes modernes ». Il oriente La Vie spirituelle vers des
questions nouvelles : les vacances, les médias, les loisirs, le présent. La direction de La Vie
spirituelle lui donne à la fois un observatoire de la recomposition du croire et une tribune
pour témoigner de ses expérimentations. Convaincu que les formes spirituelles héritées
perdent leur autorité, il cherche la voie d’une refondation de la spiritualité dans
l’exploration individuelle du désir profond où Dieu se manifesterait. Il accorde une place
toute particulière au corps qu’il considère médiateur de l’Esprit-Saint. À ce titre, il va
chercher à le réhabiliter en développant de nouvelles techniques ascétiques de maîtrise et
de connaissance de soi. En 1970, il participe à une session d’introduction au zen organisée
par le père Marcel Ferry à l’abbaye d’Acey. Il s’engage alors à expérimenter cette méthode
spirituelle orientale pour l’acculturer dans le catholicisme. Il poursuivra cette recherche
en s’initiant à l’éveil corporel et sensoriel auprès de Andrée Schlemmer et à la méditation
transcendantale auprès de Karlfried von Dürkheim puis de Jacques Castermane. Cette
démarche soulève un certain scepticisme de la part d’autres dominicains et Albert-Marie
Besnard doit se justifier et défendre son intérêt. Il diffuse les résultats de ses
expérimentations en animant des sessions, à Sainte-Marie de la Tourette à Éveux par
exemple, mais aussi par ses articles dans La Vie spirituelle ou dans La Maison-Dieu. Il publie
également plusieurs ouvrages de méditations poétiques et spirituelles aux Éditions du
Cerf. À partir de 1976, il lutte contre le cancer dont il meurt le 6 février 1978.
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BESNARD Albert-Marie
BIBLIOGRAPHIE
Archives dominicaines de la Province de France. — La Vie spirituelle, 627-628, juillet-octobre 1978.
— Yann Raison du Cleuziou, De la contemplation à la contestation, socio-histoire de la politisation des
dominicains de la Province de France (1950-1980), thèse de Science politique de l’Université Paris IPanthéon-Sorbonne, 2008.
ANNEXES
Ouvrages
Paul de Gauléjac. Lisière de la joie, Textes présentés par Albert Besnard, Paris, Didier, 1945. —
Le pèlerinage chrétien, Paris, Les Éditions du Cerf, 1959. — Le mystère du nom, Paris, Les
Éditions du Cerf, 1962. — Visage spirituel des temps nouveaux, Paris, Les Éditions du Cerf,
1964. — Prier Dieu avec les psaumes par saint Augustin, Introduction et choix de textes par
Albert-Marie Besnard, Paris, Les Éditions du Cerf, 1964. — Vie et combats de la foi, Paris, Les
Éditions du Cerf, 1965. — Ces chrétiens que nous devenons. Vrai et faux départ dans la vie
spirituelle, Paris, Les Éditions du Cerf, 1967. — Un certain Jésus, Paris, Les Éditions du Cerf,
1968. — Propos intempestifs sur la prière, Paris, Les Éditions du Cerf, 1969. — Chemins et
demeures, Paris, Les Éditions du Cerf, 1972. — Pour Dieu il n’est jamais trop tard, Paris, Les
Éditions du Cerf, 1974. — Laisse-moi me retourner et te voir. Correspondance entre G. Mathey et
A.-M. Besnard, Paris, Les Éditions du Cerf, 1976. — Quand les vieux parlent, Paris, Les Éditions
du Cerf, 1976. — Il faut que j’aille demeurer chez Toi, Paris, Les Éditions du Cerf, 1978. — Il
vient toujours, Paris, Éditions du Cerf, 1979. — Vers Toi, j’ai crié. Réflexions sur la prière, Paris,
Les Éditions du Cerf, 1979. — Du neuf et de l’ancien, Paris, Les Éditions du Cerf, 1979. — C’est
ta face, Seigneur, que je cherche, Paris, Les Éditions du Cerf, 1979.
Collaboration à des ouvrages collectifs
L’éducation de l’espérance, 1959. Cerveau, homme et cosmos, Faculté libre des Sciences de Lille,
1963. — Les religions, Paris, Marabout, 1974. — Le Maitre spirituel, Paris, Les Éditions du Cerf,
1980.
Collaboration à des revues
La Vie spirituelle — Le Supplément — Lumière et vie — Assemblées du Seigneur — Der Christliche
Sonntag — Informations catholiques internationales — Concilium — Les Cahiers Saint-Dominique
— Cours du Centre Jean Bart — La Maison-Dieu — Bible et terre sainte.
RÉSUMÉS
Né le 27 mars 1926 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 6 février 1978 à Paris (VII e arr.).
Prieur du couvent de Strasbourg (1957), maître des novices (1959-1964), père-maître des frères
étudiants (1964-1968), directeur de La Vie spirituelle (1968), assistant national des Équipes SaintDominique, directeur des Cahiers Saint-Dominique, prieur du couvent Saint-Dominique à Paris
(1973).
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INDEX
Index géographique : Province de France, Paris – Saint-Jacques, Étiolles, Strasbourg, Éveux
(L’Arbresle), Paris – Saint-Dominique (La Tour-Maubourg)
Thèmes : Les Éditions du Cerf, L’Art sacré, Le Supplément, La Vie spirituelle, La Maison-Dieu,
1965-1975 : crise des années 1968, promoteurs du tiers-ordre, Cahiers Saint-Dominique,
théologiens de la vie spirituelle, Lumière et vie, fraternités laïques, prédicateurs radiophoniques
personnecitee Liégé Pierre-André, Chevignard Bernard-Marie, Rettenbach Nicolas, Congar Yves,
Chenu Marie-Dominique, Ducattillon Vincent, Kopf Joseph, Raffin Pierre, Desobry Augustin,
Évrard Michel
Dictionnaire biographique des frères prêcheurs , Notices biographiques | 2015
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