le loup en europe - l`office de genie ecologique

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le loup en europe - l`office de genie ecologique
LE LOUP EN EUROPE
Pages 64 & 65
Le loup dans les écrits
de
Fred Vargas
Née en 1957 à Paris,
Fred Vargas, de son vrai
nom Frédérique AudoinRouzeau, est chercheur en
archéozoologie au CNRS.
En 1986, elle débute
parallèlement une carrière
d’auteur de romans policiers.
En 1990, c’est dans son
second livre qu’apparaissent
le commissaire Jean-Baptiste
Adamsberg et son adjoint
Adrien Danglard. Ils
interviendront dans nombre
de ses enquêtes, dont celle
de L’Homme à l’envers (1999)
se déroulant sur fond des
frictions, vieilles peurs et
croyances qui accompagnent
le retour du loup dans le
Mercantour.
Le loup sous le pinceau
de
Claude Lasalle
Né à Montréal (Québec) en
1954, il vit à Saint-Jérôme
depuis 1980 et travaille dans
le domaine de l’alimentation.
Il se découvre un réel
engouement pour la peinture
au cours d’un arrêt de travail
en 2007. C’est à la pêche,
à la chasse et à son goût
pour la nature qu’il doit ses
premières œuvres. Puis il se
perfectionne en reproduisant
des photographies ou en
s’inspirant de ses balades en
milieux naturels. Il choisit
comme médium l’acrylique,
représentant tantôt les
paysages de toutes saisons,
les animaux ou encore
des portraits. Il expose
régulièrement ses toiles dans
des galeries et des festivals.
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Le retour du loup en Europe
Vers une population européenne ?
E
n raison de sa fécondité
élevée, de son mode de
vie territorial et social, et
de ses capacités de dispersion
parmi les plus importantes de
la faune européenne terrestre,
le loup est l’une des espèces
les plus douées pour recoloniser les territoires qu’il occupait.
C’est aussi la seule espèce qui
illustre depuis quelques décennies la notion de continuités
écologiques à l’échelle des massifs européens (montagneux et
forestiers), malgré les nombreux
obstacles à franchir dans les
zones fortement artificialisées.
Une régression qui
atteint son apogée
dans les années
1970…
Le loup fait partie des prédateurs dont l’aire de répartition
a été la plus étendue. Historiquement, il occupait l’ensemble
des continents de l’hémisphère
Nord (mis à part la frange côtière
de l’Asie du Sud-Est).
Dans tous les pays d’Europe, y
compris dans l’ancienne Union
soviétique, le loup a été pourchassé, ce qui a abouti à une
répartition morcelée dans une
partie d’entre eux après sa disparition de certains Etats, notamment à l’ouest de l’Europe.
Les effectifs les plus bas ont été
atteints partout au cours de
la même décennie : les années
1970.
A cette époque, les populations de loup des pays de l’Est
étaient encore plus ou moins
en continuité avec celles de
l’ancienne Union soviétique. En
revanche, seules des populations
isolées subsistaient dans les péninsules du sud de l’Europe :
- au nord-ouest de la péninsule ibérique (Espagne et Portugal), dans les montagnes soumises à un climat océanique
montagnard ;
- 
dans la péninsule italienne,
dans le massif des Apennins, au climat influencé par la Méditerranée.
A l’échelle européenne, ces
massifs présentent des niveaux
de productivité végétale élevés,
favorisant une exploitation par
le pastoralisme équin, bovin et
ovin. Quand les populations de
loups étaient à leur minimum,
on comptait plus de loups
ibériques – quelques centaines
d’individus – que de loups italiens – une centaine –, ces derniers subsistant avec très peu
d’ongulés sauvages (des sangliers, de rares populations de
chevreuils et quasiment pas de
cerfs), dont ils se nourrissaient,
notamment en hiver, le cheptel
n’étant pas ou peu accessible.
Les ongulés sauvages étaient
généralement peu abondants au
cours des années 1970. En effet,
les opérations de réintroduction de ces espèces « gibiers »,
mises en œuvre par les chasseurs après-guerre à partir de
1950, n’ont commencé à être
plus importantes qu’au cours
des deux décennies de 1970 et
1980, notamment en France, en
Espagne et en Italie. Les populations proies se sont ensuite répandues dans un grand nombre
de régions européennes.
En Europe, le loup doit beaucoup à deux de ces espèces : le
chevreuil et le sanglier. Ce sont
en effet les deux proies potentielles qui présentent la plus
grande aire de répartition dans
les habitats les plus variés. De
plus, ces deux espèces ont un
taux de reproduction élevé 
:
environ 20 à 35 % de croissance
annuelle pour le chevreuil et 100
à 150 % pour le sanglier.
…Avant une
nouvelle expansion
des populations
en Europe
A partir des années 1970
– décennie marquée par les premières mesures de protection,
notamment en Espagne et en
Italie –, toutes les populations
de loups en Europe se sont étendues. La seule population à rester
cantonnée est celle de la péninsule ibérique. Il s’agit pourtant
de l’une des plus importantes
populations européennes, estimée à environ 2 000 individus.
Après une expansion rapide au
cours des années 1980 et 1990,
le loup a poursuivi sa progression vers le sud au-delà du fleuve
Duero, qui a constitué un temps
sa limite méridionale, et également vers l’est de la cordillère
Cantabrique en direction des
Pyrénées. Mais les loups qui se
maintiennent dans la province
Photo Alfonso Hartasanchez
Le sanglier, au taux de
reproduction particulièrement
élevé, est une proie courante du
loup. Ici, dans les Asturies
en Espagne, une louve emporte la
tête d’un jeune sanglier.
Le Courrier de la Nature n° 278 - Spécial Loup 2013
Carte Vincent Vignon
d’Alava (Pays basque espagnol)
et qui essayent de progresser
vers les Pyrénées sont éradiqués,
notamment par les éleveurs.
Ainsi, tous les loups qui ont
atteint la Catalogne espagnole,
à l’est de la chaîne pyrénéenne,
sont d’origine italienne et sont
passés par la France (même si
la Catalogne se situe à 700 km
aussi bien du Mercantour que
des monts Cantabriques). En
2010, 13 individus différents
– dont une seule femelle – ont
été identifiés dans cette province espagnole en une dizaine
d’années de recolonisation. Dans
ce pays, c’est la province de Castille Leon qui compte le plus
de loups en dépit de quotas de
chasse supérieurs à 100 individus* – dont moins de la moitié
sont toutefois effectivement
réalisés. A l’inverse, dans le sud
du pays, la petite population
de la Sierra Morena (quelques
meutes reproductrices) est toujours isolée et en condition précaire à environ 250-300 km de
la population principale de la
péninsule ibérique.
L’expansion de la population
italienne a également été rapide
ou moins contrainte (notamment par les tirs ou par d’autres
modes d’éradication), au cours
des années 1980 et 1990. La dispersion s’est produite vers le sud
et vers le nord de la chaîne des
Apennins, notamment vers les
Alpes en France dès la fin des
années 1980, puis en Suisse, en
Autriche et en Allemagne.
En Suisse, la présence du loup
a été confirmée le 5 février 1996
dans le Haut-Valais grâce à un
piège photographique posé par
Jean-Marc Landry. Mais l’individu était déjà sur place l’été précédent, en 1995. Il faudra attendre
* Une partie des scientifiques et des associations soutiennent cette régulation qui
limite les réactions hostiles du monde de l’élevage, prévenant en conséquence le
risque d’une augmentation du braconnage ou de l’empoisonnement. Les débats
sont vifs à ce sujet en Espagne.
Le Courrier de la Nature n° 278 - Spécial Loup 2013
Carte montrant l’aire de répartition actuelle du loup en Europe
et ses différents mouvements de dispersion.
2002 pour que la première louve
arrive en Suisse, après une série
de 9 mâles. En 2008, plus de
20 loups sont passés en Suisse,
dont seulement trois louves. La
première reproduction a lieu en
2012 dans le Calanda grisonnais,
après dix-sept ans de présence
de l’espèce. Cette meute se reproduit à nouveau en 2013. Sur
ces effectifs relativement faibles,
au moins 8 loups ont été tués
par des tirs autorisés, auxquels se
sont ajoutés un cas de braconnage et deux accidents connus.
Début 2013, on a recensé dans
ce pays 17 loups dont une meute
de 8 individus.
Des loups italiens sont également arrivés en Autriche et en
Bavière où un individu a été tué
par une voiture en 2006 (à Starnberg). Il avait été identifié génétiquement le 29 mars 2006 dans
le val Formazza, dans le nord
de l’Italie, près de la frontière
suisse. En Allemagne, un loup
« italien » a atteint Coblence en
2011, à environ 500 km du nord
de l’Italie.
Mais la recolonisation s’est
également effectuée à partir de
l’Europe centrale, et tout particulièrement en Allemagne, depuis la Pologne. En 1998, les premiers loups sont parvenus dans
la région de Lusace (Lausitz),
située près de la frontière polonaise et de celle de la République
tchèque, à cheval sur les Länder
de Saxe et du Brandebourg. La
première meute s’est constituée
en 2000 et la première reproduction hors du noyau de départ de
Lusace a été observée en 2009
à 90 km au sud-ouest de Berlin
(Altengrabow). L’année suivante,
en 2010, l’Allemagne comptait 7
meutes, puis 12 en 2011 et 15 en
2012, dont une seconde meute
reproductrice hors de Lusace
près de Hambourg. Les adultes
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LE LOUP EN EUROPE
de cette meute provenaient à la
fois d’Altengrabow (à 250 km) et
de la région de Lusace (à 400 km).
Un loup du nord-est de l’Europe est allé vers le sud-ouest
jusqu’au Tyrol en Autriche, distant d’au moins 500 km. Certains sont partis vers le nord-est
jusqu’au Danemark où deux
loups ont été retrouvés :
- le premier, un mâle mort
d’une tumeur cancéreuse en novembre 2012 dans le Thy National Park, était né en 2009 dans la
région de Lusace à 750 km ;
- le second, pris en photo en
décembre 2012 à Ringkøbing,
sur fond d’éoliennes, dans le
West Jutland.
Plus à l’ouest, des observations crédibles (sur photographies) existent, mais n’ont pas
été confirmées par des preuves
indiscutables 
: la première,
en août 2011, aux Pays-Bas, à
Duiven, (près d’Arnhem dans
le Gelderland), la seconde, en
septembre 2011, en Belgique à
Gedinne dans les Ardennes près
de la frontière française.
Vers une population
de loups en Europe
Depuis moins de dix ans, le
brassage des loups s’intensifie à
travers l’Europe. Dans les Alpes,
la majorité des loups de la péninsule italienne commence à
se croiser avec des loups des Balkans et d’Europe centrale. Ainsi,
un couple « mixte » – une
louve de la péninsule italienne
et un mâle des Alpes dinariques (Balkans) – a été identifié
au nord de l’Italie en 2012. Des
déplacements ont été observés sur des distances de 250 à
500 km – reliant presque toutes
les souches européennes –, avec
des maxima de plus de 700 km
(jusqu’à la plus grande distance
enregistrée actuellement en
Europe : 1 550 km pour un loup
de la région de Lusace ayant
rejoint la Biélorussie !). A noter
que, à partir des Balkans, le chacal se disperse également dans
les voies du loup vers la Suisse
(notamment le canton de Vaud
proche de la France), l’Autriche,
le Brandebourg et la Bavière.
L’un des paysages à loups de la péninsule ibérique :
la Cordillère cantabrique dans les Asturies en Espagne.
Comme les loups qui se dispersent sont presque tous des
mâles, il faut attendre un certain temps avant la première
reproduction. Dans certains
pays, comme la France ou l’Allemagne (ou certaines régions), les
premières reproductions ont eu
lieu quelques années seulement
après les premières mentions
de loups. En Allemagne, deux
meutes reproductrices ont été
identifiées à distance de la première zone colonisée (plus de
200 km). En France, la première
reproduction hors des Alpes
est survenue en 2013 dans les
Vosges, mais toujours pas dans
le Massif central ou dans les
Pyrénées recolonisés depuis une
quinzaine d’années. En Suisse,
(comme dit précédemment) il
aura fallu attendre dix-sept ans
avant d’observer la première
reproduction. Quant aux loups
de la péninsule ibérique, le risque
de consanguinité (même faible)
serait atténué si des échanges
avaient enfin lieu à travers le
Pays basque, les Pyrénées...
Si l’expansion des loups se
poursuit à travers l’Allemagne,
ils devraient atteindre un jour les
Pays-Bas, la Belgique et le nord
de la France, notamment par les
Ardennes.
En Europe, le loup se trouve
aujourd’hui à la croisée des
chemins. Dans l’esprit de la
directive Habitats, les Etats
membres doivent contribuer à
la croissance spatiale et démographique de l’espèce au sein
d’un réseau de massifs. Dans la
Stratégie paneuropéenne pour
la protection de la diversité biologique et paysagère, soutenue
notamment par le Conseil de
l’Europe, un réseau écologique
paneuropéen constitue un axe
fort de la prise en compte de la
diversité biologique à l’échelle
européenne. Ce réseau, fonctionnel notamment par voie
aérienne pour les oiseaux migrateurs, est en partie aussi relié par
voie terrestre par le loup, qui représente ainsi en Europe la seule
espèce terrestre indicatrice des
continuités écologiques.
Vincent Vignon,
Office de génie écologique,
Ferus – Ours, loup, lynx
conservation
Photo Vincent Vignon
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Le Courrier de la Nature n° 278 - Spécial Loup 2013

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