Le genre dans la politique internationale sur le changement climatique

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Le genre dans la politique internationale sur le changement climatique
Le genre dans la politique internationale
sur le changement climatique :
bilan et perspectives
par Marine Franck, Consultante Changement Climatique, WECF
Pourquoi il est important d’inclure la question du genre dans les négociations internationales
sur le changement climatique? Non seulement les hommes et les femmes contribuent
différemment aux causes du changement climatique, mais ils subissent aussi différemment ses
effets, et lorsqu’ils ont le choix, préconisent des solutions différentes pour lutter contre ses
conséquences. De manière générale, les femmes sont plus vulnérables aux effets du
changement climatique que les hommes, car elles constituent la majorité des pauvres du
monde. Elles sont aussi touchées de manière disproportionnée par le changement climatique à
cause des inégalités contextuelles telles que l’accès inégal aux ressources et aux processus
décisionnels.
Pourtant, le genre est un aspect largement négligé des discussions internationales sur le
changement climatique. Lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, au Brésil, en 1992, les
femmes ont été définies comme étant un « groupe majoritaire» dans le développement durable
et la politique environnementale. Mais, la Convention-Cadre des Nations Unies sur les
Changements Climatiques (CCNUCC), et son protocole, le Protocole de Kyoto, n’intègrent
pas la thématique du genre.
Néanmoins, le genre est de plus en plus valorisé dans les processus de la CCNUCC. Alors
que le genre était totalement ignoré du processus il y a deux ans, les accords de Cancun
reconnaissent désormais le genre et l'égalité des sexes comme partie intégrante de mesures
efficaces pour atténuer et s'adapter au changement climatique. Il y a huit références aux
femmes dans sept sections du texte de Cancun, ainsi que dans les décisions des résultats de
deux organes subsidiaires de la CCNUCC, le SBI (mise en œuvre) et le SBSTA (conseil
scientifique et technologique).
Pourtant, il est essentiel d’intégrer le genre, pas seulement comme référence mais d’impliquer
réellement les femmes dans les dispositions mondiales négociées lors des réunions de la
CCNUCC car ces politiques seront ensuite transcrites en mesures concrètes dans les
politiques nationales, et auront des conséquences sur la vie quotidienne des hommes et des
femmes susceptibles d’engendrer des effets discriminatoires. De plus, ignorer la perspective
des femmes reviendrait à se priver de solutions innovantes, enrichissantes, ainsi que d’un
soutien incontournable à l’élaboration et à la mise en oeuvre de politiques efficaces en matière
de changement climatique.
Il est donc important d'identifier des stratégies intégrant l’égalité entre les hommes et les
femmes dans les processus de la CCNUCC, concernant quatre domaines stratégiques où
l’intégration du genre pourrait être améliorée : l'atténuation, l'adaptation, les technologies et le
financement. Il s’agit de dresser l’état actuel de l’intégration du genre dans la politique
internationale en matière de changement climatique et de dégager les outils pour une
meilleure prise en compte du genre dans les politiques internationales sur le climat de ces
quatre thématiques de la politique climatique internationale.
Atténuation
L’atténuation du changement climatique est le processus de réduction des émissions de gaz à
effet de serre en vue de stabiliser le réchauffement moyen de la planète en dessous de 2°C.
Bilan de l’intégration du genre dans les politiques internationales d’atténuation.
Une analyse par sexe des émissions de carbone révèle que dans les pays développés, la
consommation d’énergie dépend de l’identité sexuelle des hommes et des femmes et que les
femmes contribuent moins au changement climatique que les hommes. Par exemple, en
Suède, l’un des pays les plus avancés au regard de l’égalité entre hommes et femmes, la
consommation d’énergie d’un homme célibataire est 22% plus élevée que celle d’une femme.
La plupart des solutions proposées actuellement pour atténuer le changement climatique sont
fondées sur le marché des émissions de gaz à effet de serre (GES), mis en place par le
Protocole de Kyoto. Mais, ce marché des émissions des gaz à effet de serre a tendance à
négliger les facteurs de développement, de justice sociale, d’égalité des sexes ou encore
d’éradication de la pauvreté. En effet, il fonctionne principalement grâce au mécanisme de
développement propre (MDP) qui permet de financer des projets d’atténuation des
émissions de gaz à effet de serre via le marché carbone. A ce jour, le MDP finance
essentiellement les projets développés par les grandes industries dans le secteur de l’énergie.
Les initiatives visant à fournir de l’énergie renouvelable et à améliorer l’efficacité énergétique
des entreprises de petite taille, des communautés ou des ménages, où les femmes jouent un
rôle prépondérant, sont quasi inexistantes dans les projets MDP.
Ainsi, le marché du carbone n’est pour l’instant pas capable d’intégrer les facteurs liés au
développement social. Les femmes, qui n’ont pas un accès égal à la propriété, aux
informations et aux financements, sont exclues du système d’atténuation des émissions de
CO2.
Perspectives pour une meilleure intégration du genre dans les politiques internationales
d’atténuation
Concernant le MDP, il est nécessaire d’améliorer l'accessibilité des projets au niveau des
ménages et des communautés pour permettre d'accroître l'accès des femmes à ce mécanisme
de financement. Cela permettrait en outre de réduire la pauvreté tout en atténuant le
changement climatique. Pour mettre en place ce MDP il s’agirait de simplifier les procédures
de sélection des projets pour les rendre plus accessibles et compréhensibles au grand public,
ainsi que de mettre en place des critères sociaux, environnementaux et sensibles au genre pour
la sélection et l’application des projets MDP.
Dans le processus de Bali, qui vise à établir un nouveau régime climatique d’ici 2012, de
nouveaux mécanismes d’atténuation des émissions de CO2 sont négociés, dont le mécanisme
qui vise à réduire les émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les
pays en développement (REDD). Les forêts jouent un rôle primordial dans l’atténuation du
changement climatique. Ce sont des puits de carbone car elles ont la capacité d’absorber les
émissions de CO2. Elles ont donc un fort potentiel d’atténuation du changement climatique.
Le mécanisme REDD est par conséquent rapidement devenu un enjeu politique majeur dans
les négociations internationales. La vigilance est de rigueur car la survie de plus de 300
millions de personnes dépend entièrement ou partiellement des forêts. Ainsi, tout projet
négligeant les valeurs sociales et culturelles des communautés dépendant des forêts pourrait
engendrer de graves crises humanitaires sur les communautés locales et sur les femmes en
particulier. Les femmes participent largement, avec les communautés locales et autochtones, à
l’atténuation du changement climatique dans le secteur forestier. Ainsi, la plantation d'arbres,
le renforcement des pépinières, et la protection des semences sont partie intégrante d'une
politique efficace pour la conservation et la restauration des forêts. Pour empêcher la
monoculture et assurer le respect des populations locales et la plantation d’espèces locales et
diversifiées, il est primordial que les politiques internationales de conservation et de
restauration des forêts encouragent les activités forestières de petite échelle dans lesquelles les
femmes sont principalement engagées.
Adaptation
L'adaptation consiste à prendre des mesures pour faire face à l'évolution actuelle du climat et
pour anticiper les effets des dérèglements climatiques sur l’environnement, l'économie, la
société et la vie quotidienne.
Bilan de l’intégration du genre dans les politiques internationales d’adaptation.
Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les
conséquences du changement climatique varient selon les régions, les générations, les
tranches d’âge, les niveaux de revenus, les professions et les sexes. Les conséquences sont
disproportionnées pour les pays en voie de développement et pour les pauvres de tous les
pays. Près de 70% des pauvres du monde sont des femmes, elles subissent donc de manière
disproportionnée les effets du changement climatique. Par exemple, les effets du changement
climatique tels qu’une baisse de la disponibilité d’eau potable, une baisse de la productivité
agricole et une hausse du risque de famine, affectent de manière disproportionnée les femmes
qui sont les gestionnaires des ressources.
De plus, le changement climatique exacerbe les inégalités existantes sur le court terme et sur
le long terme. Par exemple, l’insuffisance des ressources comme l’eau ou le bois de chauffage
et les demandes de renfort après des catastrophes augmentent la charge de travail des femmes.
En matière d’adaptation, on constate un manque de données concernant le genre. Les données
et les recherches existantes soit ne reconnaisse pas du tout l’aspect du genre, soit se focalisent
sur les femmes en tant que groupe particulièrement vulnérable aux effets du changement
climatique, sans les intégrer pour autant dans les solutions. Or, pour ce qui est de l’adaptation,
les femmes ne sont pas de simples victimes, mais bien des agents du changement.
Perspectives de l’intégration du genre dans les politiques internationales d’adaptation.
Selon Secrétaire général des NU Ban Ki-moon, "les femmes sont les principaux agents de
progrès dans le changement climatique". En effet, et c’est particulièrement vrai en matière
d’adaptation, les femmes ont un potentiel énorme en tant qu’agents de changement car elles
sont non seulement les gestionnaires des ressources dans les pays du Sud mais elles guident
aussi la grande majorité des choix des consommateurs des pays du Nord. Il serait propice
d’intégrer les femmes dans les processus décisionnels d’adaptation car elles ont des
compétences spécifiques dans l'utilisation durable des ressources et la gestion des situations
de crise. Déjà, partout dans le monde des femmes se sont adaptées, elles atténuent et parfois
même inversent les conséquences du changement climatique au niveau local.
Les données constituent le fondement des politiques internationales sensibles au genre, y
compris de la CCNUCC. Afin d’intégrer les femmes dans la politique internationale sur
l’adaptation au changement climatique, il est donc nécessaire d’établir, au préalable, une base
de données différenciées par sexe pour démontrer de manière empirique les différences entre
les hommes et les femmes en ce qui concerne l’adaptation au changement climatique. Les
données permettent d’identifier les groupes sociaux et les secteurs économiques vulnérables
au changement climatique, et pourraient permettre d’identifier les solutions locales
d’adaptation qui existent et fonctionnent. La mise en pratique complète d’une Bottom up
approach, du local vers l’international, nécessiterait aussi que les décideurs soient
correctement formés sur les liens entre genre, vulnérabilité et solutions pour enfin traduire les
données dans les politiques internationales d’adaptation.
Les technologies
Les technologies nouvelles doivent également recevoir une attention particulière dans le cadre
de la lutte contre le changement climatique. Ces technologies seront d’autant plus efficaces si
elles sont adaptées aux femmes.
Bilan de l’intégration du genre dans les transferts de technologies.
La plupart des méthodes d'adaptation au changement climatique impliquent une certaine
forme de technologie. Il peut s'agir des technologies "douces" fondées sur les systèmes
d'assurance, les modes de rotation des cultures ou les connaissances traditionnelles; ou des
technologies "dures" telles que les systèmes d'irrigation, les semences résistantes à la
sécheresse ou les systèmes de défenses contre la montée des eaux. Depuis que la CNUCC a
positionné les technologies propres au centre des réponses mondiales au changement
climatique, la technologie est devenue de plus en plus pertinente pour l’adaptation et
l’atténuation au changement climatique.
La technologie n'est jamais neutre et les technologies prévues par les politiques
internationales sur le changement climatique n’intègrent pas la dimension du genre. Bien que
les femmes aient une somme impressionnante de connaissances, de capacités et d’expériences
relatives à la technologie et à son utilisation dans des situations spécifiques, ces connaissances
ne sont souvent ni reconnues ni utilisées car, par excès de préjugés, les technologies sont
souvent assimilées à l’homme. En effet, les domaines de l’énergie et du transport sont
largement dominés par les hommes car, dans de nombreux pays, l'accès des femmes à ces
technologies est limité par des acquis sociaux et culturels. Les politiques ont donc tendance à
favoriser les besoins des hommes en matière de technologies.
Perspectives de l’intégration du genre dans les transferts de technologies.
Afin de lutter plus efficacement contre le changement climatique, les technologies doivent
être adaptées à ceux qui en ont le plus besoin. Les développements technologiques liés au
changement climatique doivent êtres particulièrement adaptés aux priorités et aux besoins des
femmes car celles-ci sont les gestionnaires des ressources vitales. Le rôle des femmes dans la
lutte contre le changement climatique pourrait être démultiplié grâce à l’usage de technologies
adaptées. La politique internationale en matière de technologie pour la lutte contre le
changement climatique doit faire pleinement usage des connaissances et de l’expertise, y
compris des connaissances autochtones et des pratiques traditionnelles des femmes,
notamment en matière de gestion de l’énergie et pour les technologies visant à tâches les plus
fréquemment effectuées par les femmes. La participation des femmes dans le développement
de nouvelles technologies assure qu’elles sont faciles à utiliser, abordables, rentables et
durables.
En pratique, pour intégrer la perspective du genre dans les solutions technologiques au
changement climatique, il est nécessaire de reconnaître la situation spécifique des femmes et
d’identifier les sources de technologies locales pour concevoir des technologies adaptées aux
situations des femmes et augmenter la productivité tout en atténuant le changement
climatique.
Financement
Bilan de l’intégration du genre dans les outils de financements
Selon le Plan d’action de Bali, le financement du changement climatique doit être adéquat,
durable, prévisible, nouveau, complémentaire et accessible tant par les hommes que par les
femmes. Mais jusqu’à présent, les initiatives de financement liées au changement climatique
n’ont pas réussi à incorporer la perspective du genre. Les budgets destinés au financement du
changement climatique sont très limités et ne comprennent que des bénéfices marginaux pour
les groupes sociaux les plus démunis. Ainsi, les femmes n’ont pas suffisamment accès aux
fonds pour couvrir leurs pertes liées au climat. Jusqu'à présent, les femmes n’ont d’ailleurs
pas été ciblées par ces instruments financiers. Pire, les fonds n’ont souvent aucune directive
sociale pour leur allocation.
Perspectives de l’intégration du genre dans les outils de financements
Il est essentiel de s’assurer que les financements proposés par la CCNUCC respectent une
durabilité environnementale stricte, et contribuent durablement à la réduction de la pauvreté et
des inégalités sociales, tout en intégrant une perspective de genre. Les mécanismes de
financement doivent êtres suffisamment souples pour refléter les priorités et les besoins des
femmes. L’analyse par genre de toutes les lignes budgétaires et des instruments financiers
pour les changements climatiques est nécessaire pour assurer des investissements tenant
compte du genre dans les programmes d'adaptation, d'atténuation, le transfert de technologie
et le renforcement des capacités.
En pratique, il s’agirait de mettre en application une série de critères sensibles au genre pour
tous les mécanismes internationaux de financement du climat; de distribuer les ressources
selon le principe de discrimination positive pour atteindre l’égalité d’accès au financement
entre les hommes et les femmes, et d’intégrer des experts en genre à toutes les étapes des
décisions budgétaires.
Conclusion
Le bilan de l’intégration du genre dans la politique internationale en matière de changement
climatique nous pousse à constater que la plupart des politiques sont discriminatoires.
Actuellement, les femmes sont sous-représentées dans le processus de prise de décision sur la
gouvernance environnementale internationale. Favoriser la participation des femmes est vitale
pour les politiques climatiques car il s’agit d’inclure ceux et celles qui sont directement ou
indirectement touchés par les politiques internationales sur le changement climatique et leur
donner l’opportunité de s’exprimer pour leur permettre d'apporter leur expertise sur le
changement climatique. Pour cela, les femmes doivent avoir accès à l’information par les
processus de communication et d’apprentissage cités par l’article 6 de la CCNUCC.
L’intégration du genre dans les négociations de la CCNUCC nécessite un examen assidu de
l'évolution du discours à l'intérieur et autour des négociations officielles sur le changement
climatique, une meilleure coordination et un renforcement des réseaux d’organisations
sensibles au genre impliquées dans les négociations. Il s’agit aussi de compléter l’aspect
critique par un aspect pratique pour assurer la participation des femmes en tant qu'agents du
changement dans les politiques internationales sur le changement climatique et bénéficier de
leur expertise.
Concrètement, nous avons observé que, dans l’ensemble, le nouveau régime climatique doit :
- Reconnaître explicitement le rôle de l’égalité des sexes dans la lutte contre le changement
climatique,
- Assurer que les femmes participent à toutes les décisions liées au changement climatique,
- Etablir une base de données par sexe liée au changement climatique au niveaux
international.
- Inclure des experts en genre dans le processus de décision.

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