CINE-B-510 : Cinéma Belge

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CINE-B-510 : Cinéma Belge
Université Libre de Bruxelles
Faculté de Philosophie et Lettres
Deuxième Master ELICIT
Année académique 2012-2013
CINE-B-510 : Cinéma Belge
Titulaire : Muriel Andrin
Analyse du film "The Broken Circle Breakdown" (Felix Van Groeningen, 2012)
Van Leeckwyck Robin
A la question "Existe-t-il un cinéma belge ?", Felix Van Groeningen répond dans le Mad (le
Soir) du 10 octobre 2012 : "Il en existe un de la même façon que les Belges existent. Il y a
quelque chose qui nous unit, du point de vue des sentiments, mais il y a aussi beaucoup de
choses qui nous divisent, à cause de la langue. [...] Alors c'est quoi, les Belges ? Un humour
parfois bizarre, quelque chose de très cru et de très chaleureux. Une drôle de combinaison".
2
Table des matières
CINE-B-510 : Cinéma Belge...................................................................................................................... 1
Analyse du film "The Broken Circle Breakdown" (Felix Van Groeningen, 2012)................................. 1
1.
Introduction ..................................................................................................................................... 4
2.
Travail de création ........................................................................................................................... 4
a.
Fiche technique du film .............................................................................................................. 4
b.
Contexte de production et financement ..................................................................................... 5
c.
Inspiration et écriture du scénario .............................................................................................. 5
d.
Réalisation ................................................................................................................................... 6
e.
Distribution et parcours .............................................................................................................. 7
3.
4.
Analyse du film ................................................................................................................................ 7
a.
Frontière et exil ........................................................................................................................... 8
b.
Paysages ...................................................................................................................................... 9
c.
Réalisme magique ..................................................................................................................... 10
d.
Iconoclasme ............................................................................................................................... 11
Conclusion ..................................................................................................................................... 12
Bibliographie.......................................................................................................................................... 13
3
1. Introduction
Malgré sa taille, la Belgique est un pays fort complexe qui comprend de nombreuses
particularités. Ces spécificités donnent au pays une richesse bien particulière et ce, dans de
nombreux domaines. Le domaine abordé dans le présent travail est celui du cinéma. En
effet, le cinéma belge est reconnu mondialement et la production cinématographique est
toujours en pleine croissance. Il est intéressant de s'attarder sur certains films afin d'en
dégager des thématiques récurrentes. Mais le cinéma belge se caractérise aussi et surtout
par les différences qui existent entre les films. C'est cette fragmentation culturelle qui crée
l'originalité du cinéma belge.
En effet, dès les origines du cinéma, la Belgique présente deux manières de voir totalement
différentes. L'une, appuyée par Joseph Plateau (physicien de formation), donne une image
scientifique du cinéma. Tandis que l'autre, exposée par Etienne Robertson, présente le côté
rêveur du septième art (avec ses fantasmagories). Afin d'illustrer ce propos, le film "The
Broken Circle Breakdown" est analysé. Dans un premier temps, l'analyse présente le travail
de création de Felix Van Groeningen. Tout le processus de fabrication du film est passé au
peigne fin : pré-production, production, réalisation et enfin distribution. Dans un second
temps, des liens entre le film et le cours de cinéma belge sont établis. Finalement, une
conclusion vient clore le travail.
2. Travail de création
a. Fiche technique du film 1
Titre original : The Broken Circle Breakdown
Réalisateur : Felix Van Groeningen
Scénario : Carl Joos
Caméra : Ruben Impens
Montage : Nico Leunen
Musique : Bjorn Eriksson
Producteur : Menuet (Dirk Impens)
Genre : Drame
Date de sortie : 2012
Acteurs : Veerle Baetens (Elise), Johan Heldenbergh (Didier), Geert Van Rampelberg, Nell
Cattrysse (Maybelle), Robbie Cleiren, Bert Huysentruyt, Nils De Caster, ...
Felix Van Groeningen sort en 2000 du KASK (Meester in de Audiovisuele Kunsten) à Gand.
"The Broken Circle Breakdown" n'est pas sa première réalisation : après être passé par le
1
IMPENS Dirk, Dossier de presse, 10 octobre 2012
4
théâtre, il a réalisé trois courts métrages et trois longs métrages dont le plus célèbre : "La
Merditude des choses".
Felix Van Groeningen insiste également sur le fait qu'un film ne se fait pas seul. Il salue donc
toute son équipe. Il convient que la prestation de Veerle Baetens est exceptionnelle et que le
reste de son équipe, qu'il garde de film en film, se perfectionne.2
b. Contexte de production et financement
Felix Van Groeningen n'en est pas à son premier coup d'essai avec ce film. En effet, c'est "La
merditude des choses" qui le révèle au grand public. De par la reconnaissance acquise grâce
à ce film, les portes de nombreux producteurs (aides publiques ou privées) se sont ouvertes.
En ce qui concerne les subventions publiques, le film dispose de soutiens divers et variés. Le
premier vient évidemment d'une subvention régionale : le Vlaams Audiovisueel Fonds (VAF).
Vient ensuite le Nederlands Filmfonds, organisme néerlandais de subvention. Eurimages a
également participé au financement. Pour finir, le Tax Shelter reste, en Belgique, un moyen
efficace de trouver de l'argent.
Pour ce qui est des producteurs privés, Felix Van Groeningen réitère l'expérience avec Dirk
Impens, de la boîte Menuet. Celle-ci finance énormément de films de notoriété mondiale ou
flamande : "Daens", "Code 37", "La merditude des choses", ... Ce sont généralement des
films regroupant de bons acteurs et nécessitant une importante somme d'argent. Tandis que
Topkapi Films se charge du financement du côté néerlandais. Pour finir, il semble important
de citer des entreprises comme Belfius, Free record shop, VTM ou même Belgacom qui ont
participé à l'élaboration du budget. 3
c. Inspiration et écriture du scénario
Le scénario du film est une adaptation de la pièce éponyme écrite par Johan Heldenbergh,
l'acteur principal, et Mieke Dobbels. Pour ce dernier, l'écriture du texte s'est faite suite à un
discours de G. Bush en 2006, lorsqu'il s'opposa aux essais sur les cellules souches. Felix Van
Groeningen s'est tout de suite intéressé à la pièce. Pour lui, il s'agit d'une pièce très simple
qui contient beaucoup de réalisme et de nombreuses qualités. Il s'agit donc d'un défi
complexe pour lui. Il dira : "Comment cet homme et cette femme vont digérer ce malheur,
et pourquoi ne se retrouvent-ils pas ? C'est ce qui m'a touché autant dans cette pièce. [...] Ce
n'est pas un moment qui m’a touché, mais tout l'ensemble de la pièce et sa construction. La
musique donne de temps en temps un moment pour respirer et puis ça repart." 4
2
3
4
VAN GROENINGEN Felix, The Broken Circle Breakdown" (bonus du DVD), Lumière, 2013
Cf IMPENS, op. cit.
INTERVIEW sur http://www.cinergie.be/webzine/felix_von_groeningen_the_broken_circle_breakdown
5
En ce qui concerne l'écriture du scénario, c'est une étape compliquée. En effet, la pièce
contient de nombreux intermèdes musicaux. C'est donc un enjeu cinématographique pour
Felix de devoir transposer la musique en images et de l'intégrer à cette histoire d'amour. De
plus, il ne voulait pas insister sur le penchant de Didier pour les Etats-Unis. Dès les premières
étapes de l'écriture, Felix Van Groeningen a déjà pris de nombreuses décisions. En
conclusion, il voit un peu le cinéma comme une catharsis et essaie de rendre certaines
situations plus supportables : "Pendant un an et demi, je suis à l’écriture, je suis dans ces
émotions, puis, je le fais. Peut-être que c’est une manière pour moi de digérer des choses
que j’ai vécues et auxquelles je ne sais pas donner une place." 5
Cette volonté de mettre en images une pièce de théâtre se rapproche d'une caractéristique
du cinéma belge citée par A. Helbo dans son livre "Littérature et cinéma : au pays de la
belgitude". Il dit : "Le deuxième type [de belgitude] ne se contente pas d'associer, en une
nouvelle configuration, des invariants et des variables, il se fonde sur la transformation d'un
code non cinématographique (pictural ou littéraire par exemple) en un code filmique ; c'est
l'opération, la transmutation de langages qui seront considérées ici comme définitoires de la
belgitude". 6
d. Réalisation
La réalisation d'un film n'est plus un secret pour Felix Van Groeningen après "Steve + Sky"
(2004), "Des jours sans amour" (2007) et "La merditude des choses" (2009). Néanmoins, il
s'attaque toujours à des histoires très différentes et parvient à s'approprier un nouveau
style. Dans ce film-ci, il aborde la mise en scène de deux manières distinctes. D'une part, il
essaie de garder un côté réaliste pour les scènes les plus dures comme celles de l'hôpital. Les
plans sont souvent fixes et la caméra bouge rarement. D'autre part, toute l'histoire d'amour
est filmée avec beaucoup de fluidité dans le mouvement. Outre ces deux aspects, il insiste
sur le fait qu'il a voulu garder une certaine esthétique des décors, que ce soit à l'hôpital ou à
la maison.
Cette fluidité des mouvements associée à un montage non linéaire donne une certaine
légèreté au sujet. Il s'explique : "Je pense que j’ai tout fait pour me rapprocher avec ce film
de mon désir de faire du cinéma, pour la première fois je pense. Mes autres films sont
beaucoup plus crus. J’ai mis ici beaucoup d’énergie dans l’esthétique du film, j’ai voulu faire
des plans très très beaux, lents, avec de très beaux mouvements de caméra, et non pas une
caméra à l’épaule, dans l’action. C’est ce que j’appelle du cinéma !".7
Pour finir, il ne cache pas que son montage et sa réalisation sont fort différents de la
structure du scénario. Selon lui, cela permet aux spectateurs d'être tout de suite confronté
5
Cf INTERVIEW, op. cit.
HELBO André, Littérature et cinéma : au pays de la belgitude, Bruxelles, Revue de l'Institut de sociologie, 1985
7
Cf INTERVIEW, op. cit.
6
6
au problème du couple afin de susciter une émotion plus forte. Il se rapproche donc du
mélodrame classique tout en assumant cette position : "Oui, j’ai fait un mélodrame, je n’ai
pas de problème avec ça, je n’ai pas peur des grandes émotions, mais je ne crois pas que ce
soit un mélodrame classique. Et puis la musique est très importante."8
e. Distribution et parcours
Le film est distribué en salle par Kinepolis Film Distribution à partir du 10 octobre 2012. Il n'a
pas fallu attendre longtemps avant qu'il ne rentre dans le top 10 des films (sortis après 2000)
les plus vus en Flandre. En ce qui concerne la distribution par dvd, c'est la société "Lumière"
qui s'en occupe. Il est intéressant de consulter le dossier de presse à la Cinematek. Celui-ci
rend compte d'une grande différence entre l'industrie cinématographique wallonne et
flamande. D'une part, le nombre d'articles néerlandophones sortis avant le film est
important (déjà 2 articles en 2010 et 6 articles en 2011). D'autre part, la majorité des articles
belges viennent de Flandre (en 2012, 28 contre 5 et en 2013, 14 contre 7). Les articles
francophones de 2013 sont sans doute dus à la reconnaissance internationale acquise par le
film.
Le film a un parcours particulier. Il est clair que c'est le bouche à oreille qui fonctionne le
mieux. Petit à petit, le film s'est fait une place dans la cours des grands en participant à des
festivals de plus en plus éloignés de la Belgique : "Internationaal Filmfestival Gent"
(openingsfilm) en octobre 2012, "Internationale Filmfestspiele Berlin" en février 2013,
"Filmfestival Perspectief" en février 2013, "Cutting Edge" aussi en février 2013, "CPH:PIX
Copenhagen" en avril 2013, "Tribeca Film Festival" en avril 2013 et finalement le "Sydney
Film Festival" en juin 2013.
Cette renommée croissante s'est bien évidemment soldée par quelques prix : Label Europa
Cinemas, Internationale Filmfestspiele Berlin, Panorama Audience Award Internationale au
Filmfestspiele Berlin, meilleur film social au Filmfestival Perspectief, meilleur film au
Nationaal Cutting Edge Awards, meilleure actrice au "Tribeca Film Festival", meilleur
scénario au Tribeca Film Festival et prix du public au CPH:PIX. 9
3. Analyse du film
"The Broken Circle Breakdown" est un film qui touche un peu à tout. Même si la trame
narrative principale est clairement exposée par Felix Van Groeningen, il s'agit d'un film
complexe. C'est justement cette complexité qui en fait un film qui peut être qualifié de
belge. Les différents sujets abordés permettent de mettre en parallèle ce film avec le reste
de la production belge. Une analyse permet de mettre en exergue l'unicité du cinéma belge
8
9
Cf INTERVIEW, op. cit.
http://www.menuet.be/nl/projecten/13-The-Broken-Circle-Breakdown
7
par sa fragmentation. Les différentes thématiques abordées sont "frontière et exil",
"paysages" et "réalisme magique". De plus, il est intéressant de signaler que la quatrième
thématique d'analyse, l'iconoclasme, occupe une certaines place dans la construction
filmique mais ne sera pas analysée aussi profondément que les trois autres.
Il semble également important de rappeler que les origines d'un pré-cinéma belge remonte
à deux personnages illustres : Etienne Robertson et Joseph Plateau. Le premier a inventé les
fantasmagories. Ce procédé permet de bouger le projecteur de photographies, ce qui fait
croire au spectateur que l'image est en mouvement. Tout repose sur la capacité à créer un
monde à partir de presque rien. Alors que le second s'appuie sur des théories scientifiques
pour expliquer la nature du cinéma. La persistance rétinienne, qui joue un grand rôle dans
notre perception des images, est scientifique. Ces deux visions correspondent exactement
aux psychologies des deux protagonistes (Elise et Didier). Alors qu'Elise veut croit en
l'existence d'une puissance supérieure et d'un au-delà, Didier tente de la ramener sur terre
en luttant contre ces croyances qui empêchent le monde d'avancer. Elise ira même jusqu'à
coller des images d'oiseaux sur ses vitres afin d'éviter les collisions. Un peu à la manière de
Robertson, elle crée un imaginaire chez elle et chez ceux qui le souhaitent. Didier vient
immédiatement la ramener sur terre en expliquant que les oiseaux vont s'y habituer et qu'il
faut trouver un autre moyen de les empêcher de foncer sur les vitres. Même si Felix Van
Groeningen ne s'est pas inspiré de ces deux personnalités, son film n'en reste pas moins un
merveilleux parallèle. En effet, si la belgitude devait exister, il s'agirait sans doute d'un doux
mélange entre réel et imaginaire, pragmatisme et rêverie ; véritable rencontre et fusion
entre deux sphères culturelles.
a. Frontière et exil
La notion de frontière et d'exil est sans doute la plus présente tout au long du film. Ce pan
de l'analyse est fort lié au suivant. Dans un premier temps, il est important de rappeler que
les deux personnages principaux (Elise et Didier) forment un couple merveilleux au sein
duquel existent de nombreuses tensions. En effet, leurs caractères profonds sont
complètement différents et chacun base sa propre vie sur des croyances tout à fait
opposées. Didier est un athée qui n'hésite pas à cracher sur la religion. Il est extrêmement
terre à terre ce qui déplait parfois à Elise. Alors qu'Elise est plus fragile et plus souple sur ses
croyances. Il lui faut parfois un rien pour la faire changer d'avis. Elle est en instabilité
contrôlée et la mort de sa fille viendra réveiller ses peurs les plus profondes. Ce sont donc
deux personnages diamétralement opposés et séparés par une frontière invisible. Cette
frontière invisible sépare ces deux êtres en deux territoires distincts.
Ce sont deux exils intérieurs. L'un vers les Etats-Unis et l'autre dans la foi. Didier est un grand
admirateur des Etats-Unis. C'est évidemment le pays fondateur de la musique qu'il chérit.
C'est également le pays des grandes étendues où tout un chacun peut conquérir une
nouvelle terre afin de s'y implanter. Cette idée d'évasion constitue une sorte d'exil. Lorsqu'il
8
verra le discours de G. Bush sur les essais cliniques portant sur des cellules souches en 2006,
cet exil intérieur prendra fin brutalement et une aversion profonde pour les Etats-Unis va
grandir en lui. D'un autre côté, Elise est plus fragile que Didier. Elle n'est pas aussi forte
mentalement et ne croit pas dur comme fer à une certaine croyance. Pourtant, l'influence de
sa fille n'est pas à négliger. En effet, comme sa fille, elle se plaît à imaginer qu'il y a quelque
chose après la mort. Malgré le fait qu'ils viennent du même pays, qu'ils parlent la même
langue et qu'ils se sont aimés, ces deux êtres vont aboutir à une incommunicabilité qui
conduira le couple à sa fin.
Le basculement lors de la mort de Maybelle est le plus significatif. Chacun va révéler sa
propre nature cachée. Suite à cet incident, les deux personnages vont se replier sur euxmêmes coupant ainsi les frontières invisibles. Ils sont tellement éloignés que plus rien ne les
sépare.
Chacun va alors montrer ses sentiments à sa manière. Alors que Didier prend la parole, Elise
se replie sur elle-même. Ces deux types de comportement se retrouvent dans l'histoire du
cinéma belge. En effet, il est étonnant de découvrir de longs monologues dans des films (cela
vient du théâtre mais c'est plus difficile à mettre en images). Didier, un peu à la manière de
Françoise Rosay dans "La Kermesse héroïque" (Jacques Feyder, 1935), va tenir un discours
long et percutant sur ce qu'il estime scandaleux. Alors qu'Elise se rapproche du personnage
de Jane Birkin dans "Dust" (Marion Hansel, 1985). C'est un enfermement psychologique qui
conduit à un certain décalage par rapport à la réalité. Le rapprochement avec "Dust" est
significatif. En effet, Felix Van Groeningen accorde un chromatisme différent pour chaque
scène et dépendant de l'humeur des personnages. Chez Marion Hansel, il s'agit d'un
chromatisme par film. De plus, l'hérédité semble jouer un grand rôle dans le mal-être des
personnages. Jane Birkin ne supporte pas son père. Dans "The Broken Circle Breakdown", il
faut visionner le court métrage bonus sur le dvd. Elise expose les raisons de sa fragilité. Elle
explique qu'aucune femme n'a jamais été heureuse en amour ; et que chaque liaison s'est
soldée par une mort. Elle se retrouve finalement seule dans cette maison de campagne
comme Jane Birkin se sent isolée dans sa maison perdue au milieu de nulle part.
b. Paysages
Les paysages ne jouent pas un rôle primordial mais tiennent néanmoins une place qui n'est
pas négligeable. En effet, comme il l'a été dit dans la première partie, les deux personnages
principaux se caractérisent par leur côté marginal. Ils vivent dans un coin perdu de Flandre,
au milieu de forêts et de pâturages. Au départ, ils ne vivent même pas dans la maison mais
dans une caravane. Dès que l'un des deux quitte le foyer familial, l'autre reste seul. Aucune
maison à des kilomètres à la ronde ; seuls quelques amis viennent parfois leur rendre visite.
Elise décidera également de quitter ce paysage trop naturel, trop terre à terre à ses yeux
pour s'installer dans son salon de tatouage, en pleine ville.
9
Mais il n'y a pas que les paysages, il y a aussi les territoires, au sens abstrait du terme. En
effet, chaque personnage se soumet à une introspection. Ce regard interne leur permet de
mieux se définir par rapport aux autres ; ils se créent une véritable identité par rapport à
cela. Elise est la grande maîtresse de son corps, elle en fait ce qu'elle veut. Les tatouages lui
permettent de s'exprimer à sa manière. Didier lui demande si ce n'est pas pénalisant que les
tatouages soient définitifs ; Elise répond que même ça, elle peut le remplacer, le substituer
par une autre image. De son côté, Didier voue une admiration aux Etats-Unis et cette
influence est très forte au début, même si les couleurs des USA ne sont pas assommantes (et
c'est une volonté de Felix Van Groeningen). Le style musical, vestimentaire, la grosse voiture,
... tout est là pour rappeler les Etats-Unis. Ceci permet à Didier de se créer une identité
propre. La musique permet également à celui-ci de s'évader. Le fait de jouer lui permet de
rentrer sur son propre territoire, là où personne ne peut le battre.
Finalement, lorsqu'un film parle de croyance et de foi, il est évident que des rituels se
mettent en place. Chacun le fera à sa manière et selon sa propre personnalité. Un peu
comme Rosetta change de chaussures lorsqu'elle passe d'un territoire géographique à un
autre, Elise change de tatouage lorsqu'elle change de petit ami. C'est un rituel qui permet
aux autres de savoir où elle en est. D'ailleurs, en pleine scène d'amour, lorsque Didier
découvre le tatouage en son nom, il est extrêmement heureux. Et lorsqu'elle l'efface, cela le
détruit. Au final, Elise met les choses au clair et ce petit rituel permet à Didier de
comprendre qu'elle l'a toujours aimé. Un autre rituel, en lien avec ses croyances, est le don
du collier de mère en fille. Tel un fardeau, Elise va pourtant le garder et le donner à sa fille.
Elle ne peut pas se détacher de cette malédiction. Didier n'a pas vraiment de rituel de par
son esprit plus pragmatique. Néanmoins, il est clair que jouer de la musique constitue une
échappatoire pour lui. C'est ce qui lui permet de se défouler, de s'exprimer. Ainsi, après
chaque coup dur, Didier joue ou écoute de la musique.
c. Réalisme magique
Le film de Felix Van Groeningen n'appartient pas au genre du réalisme magique à
proprement parler mais possède certaines caractéristiques à approfondir. "The Broken Circle
Breakdown" est bien loin de la veine surréaliste du cinéma belge des années 1930 à 1950
("La Perle" de Henri d'Ursel en 1929, "Monsieur Fantômas" d'Ernst Moermans en 1937, ...).
Malgré tout, un voile d'incertitude et d'instantané plane au-dessus du film. Encore une fois,
c'est la fragmentation du récit qui permet de faire naître ce sentiment de réalisme magique.
D'une part, la musique et les morceaux joués par le groupe de Didier constituent de
véritables temps morts dans la narration. Ce sont des petites pauses qui viennent ponctuer
le récit et qui permettent aux spectateurs de souffler. La première chanson (qui commence
le film) permet au réalisateur d'introduire son sujet. Cette chanson pose la question de
départ : "Le cercle va-t-il se briser ?" ou plutôt "Didier et Elise sauront-ils se remettre de
l'incident ?". Cette première incursion de la musique vient introduire le propos. Mais le reste
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du film peut aussi être vu comme l'illustration de la chanson. Les autres chansons
permettent de comprendre et de rentrer dans l'état d'esprit de Didier. Il y a un certain
décalage entre la réalité de Didier et les instants où il chante.
D'autre part, la fragmentation du film joue aussi un rôle important. Un peu comme dans
"Toto le héros" (Jaco Van Dormael, 1990), le film fait des allers-retours entre différentes
sphères spatio-temporelles. Ces va et vient ne perdent pas le spectateur ; au contraire, ils lui
permettent de rentrer d'autant plus facilement dans l'histoire. Cette fragmentation permet
de rendre compte de l'état d'esprit des deux protagonistes tout au long de ce petit bout de
chemin que le spectateur parcoure avec eux. Très vite, de par sa construction, le film montre
les problèmes de communications qui peuvent exister. En effet, comme il l'a été démontré
au premier point, Elise et Didier parlent la même langue mais ne parviennent plus à se
comprendre. Le monde qui les entoure les pousse dans leur retranchement. A la manière de
"Un soir, un train" (André Delvaux, 1968), le couple vacille par la force des événements
extérieurs.
Pour finir, l'élément qui se rapproche le plus du réalisme magique est la dernière scène du
film. Lorsqu'Elise est à l'hôpital, elle rejoint Didier qui ne la voit pas. Le spectateur comprend
très vite qu'il s'agit d'un "fantôme" et qu'Elise est bel et bien morte. Cette introduction d'une
scène irréaliste dans un film qui jusqu'ici ne dépassait pas les frontières du réalisme ne
choque absolument pas. En effet, il s'agit aussi d'un moment suspendu au cours duquel les
croyances d'Elise deviennent réalité. Ce qui a été dit pendant le film est finalement amené
en toute légèreté et cela ne dénote pas avec le reste du film.
d. Iconoclasme
Cette section est subjective et correspond à ma vision du film. "The Broken Circle
Breakdown" est caractérisé par deux choses qui n'en font pas un mélodrame classique. La
première caractéristique, déjà soulevée auparavant, est la fragmentation. Cette
fragmentation est peut-être un peu trop importante et chaque partie est fort indépendante
des autres. Même si le fil conducteur est bien présent du début à la fin, chaque entité peut
être vue comme une saynète, comme un court métrage totalement dissocié du reste du film.
A cet égard, il est, encore une fois, intéressant de voir le court métrage proposé en bonus
sur le dvd. Il s'agit d'une courte séquence qui, selon moi, aurait pu se retrouver dans le film.
De la même façon que l'ensemble du film peut être déconstruit et assemblé en une suite de
courts métrages (de genres différents). Bien évidemment, il ne faut pas nier que la force du
film réside dans la puissance et le lien qui existent entre les séquences. Mais une posture
iconoclaste dépend bien souvent des traditions et au jour d'aujourd'hui, la structure
fragmentaire devient plus la norme que l'exception.
L'iconoclasme ne concerne pas seulement la forme du film. A mes yeux, les scènes à l'hôpital
sont transgressives et dénotent par rapport au reste du film. En effet, le travelling latéral qui
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fait voir plusieurs scènes de Maybelle à l'hôpital constitue le cœur de mon propos. Felix Van
Groeningen montre en l'espace de quelques secondes l'affaiblissement général d'une petite
fille face au cancer. Que ce soit la scène où elle est piquée, où elle vomit ou encore celle
lorsqu'elle perd petit à petit ses cheveux, ces séquences sont très crues et montrent une
réalité peut être trop nue. Ces scènes dépassent la limite dans mon code de ce qui peut être
montré à l'écran.
4. Conclusion
"The Broken Circle Breakdown" peut être considéré comme un film belge. La première
constatation réside dans le parcours de ce film. Malgré les différents soutiens financiers
reçus et les nombreuses projections dans divers festivals internationaux, il est vraiment
étonnant de constater que ce film ne connaisse pas plus de succès en Belgique. Outre la
différence de langue, rien ou presque ne différencie en apparence les flamands des wallons.
Et pourtant, une frontière invisible empêche le libre échange culturel. Ensuite, les parallèles
qui existent entre ce film et d'autres films belges sont nombreux. Ces ressemblances sont
peut-être fortuites mais témoignent d'une culture unique, qui unit le peuple belge. Les
quatre thématiques abordées permettent d'analyser le film sous toutes ses coutures. Et
même si certains rapprochements, certaines déductions semblent parfois rapides, il s'agit
d'une vision relativement proche de la réalité. Malgré tout, de nombreux éléments viennent
à l'encontre de cette conclusion. Ce film ne ressemble à aucun autre film vu dans le cadre du
cours de "Histoire du cinéma belge", de la même manière que ces films ne se ressemblent
pas entre eux. C'est justement cette fragmentation, cette rencontre entre différentes
sphères culturelles qui permet de conclure qu'un cinéma belge existe.
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Bibliographie
Littéraire
 IMPENS Dirk, Dossier de presse, 2012
 STIERS Didier, La vie nous ferait-elle parfois des cadeaux ?, Le Mad, Bruxelles, 2012
 HELBO André, Littérature et cinéma : au pays de la belgitude, Bruxelles, Revue de
l'Institut de sociologie, 1985
 ANDRIN Muriel, Histoire du cinéma belge, identité, définition, fragmentation,
transgression, Bruxelles, PUB, 2013
DVD

VAN GROENINGEN Félix, The Broken Circle Breakdown, Lumière, 2013
Web
 Site
du
producteur
Menuet
(consulté
le
25
avril
2013)
:
http://www.menuet.be/nl/projecten/13-The-Broken-Circle-Breakdownpage
 Page Wikipédia de Félix Van Groeningen (consultée le 28 avril 2013) :
ttp://fr.wikipedia.org/wiki/Felix_Van_Groeningen
 Interview de Félix Van Groeningen sur Cinergie (consultée le 25 avril 2013) :
http://www.cinergie.be/webzine/felix_von_groeningen_the_broken_circle_breakdo
wn
13