AUTOUR DU PAVILLON MALOUIN - Office de Tourisme de Saint-Malo
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AUTOUR DU PAVILLON MALOUIN - Office de Tourisme de Saint-Malo
JEAN LE BOT Amateur de marine, Universitaire / SHAASM – IUT de SAINt-MALO 10-11/06/2016 Autour du pavillon malouin Par Philippe PETOUT et Jean LE BOT (à titre posthume) (Samedi 11 juin 2016, 11 h 30-12 h 15) « Sur les édifices et sur les remparts aux jours de fête comme aux jours de bataille, Saint-Malo arborait le pavillon rouge et bleu à croix blanche, le pavillon de la ville. On le connaissait en Bretagne et ailleurs. Mais plus connu encore, plus redouté surtout battait aux mâts le pavillon bleu à croix blanche ; le pavillon Corsaire… ». Édouard PRAMPAIN, SaintMalo historique, 1902, p. 206. Parmi les nombreux sujets auxquels le musée malouin a pu échanger avec le Professeur Jean Le Bot, celui de l’origine du pavillon malouin est resté en chantier avant sa disparition. La question m’avait été posée pour la première fois, à la fin du mois d’octobre 1982, par M. Paul Pradère-Niquet, alors président de l’Association des descendants de corsaires : « J’ai un problème… presque sérieux, m’écrivait ce dernier… concernant le Pavillon ou Drapeau Corsaire ou le Pavillon Malouin par rapport au Drapeau National ». En se penchant un peu sur la question, J. Le Bot et moi-même, nous nous sommes aperçus rapidement de la maigreur, pour ne pas dire de l’indigence de la documentation historique sur le sujet. D. Lailler en avait donné une page dans une brochure de propagande éditée par le Syndicat d’Initiative de Saint-Malo en 19641, mais en réalité ce dernier s’inspirait d’un article signé G. Pasch dans la revue Neptunia2. Voici ce qu’y écrit, ce premier auteur : « Le pavillons de la célèbre cité des corsaires nous sont connus depuis le 18e siècle. L’un est un pavillon à hermines, chargé d’un franc-quartier rouge à croix blanche bordée de noir. Les hermines sont de Bretagne ; le bord noir assez inhabituel sur fond rouge pourrait représenter la croix noire de Bretagne sur laquelle serait posée la croix blanche du pavillon français. Le pavillon rouge à croix blanche, est également un pavillon marchand français, qui fut moins employé que le bleu et dont l’usage s’est perdu vers la fin du 16e siècle ». « A la même époque, affirme G. Pasch qui n’indique aucunes références précises, la ville possédait un drapeau « dit de ville », à croix blanche sur un fond écartelé rouge et bleu avec, dans le premier quartier, une herse d’or surmontée d’une hermine ». « La herse est le symbole d’une porte, donc des remparts, donc d’une ville fortifiée. Cette symbolique, qui nous est toujours familière, remonte aux idées mystiques du Moyen Âge et s’appuie sur le principe magique dans lequel « la partie vaut le tout ». C’est la base même des philtres, sorts et envoûtements dans lesquels on opère sur les parties ou fragments des objets, des hommes ou des animaux pour soumettre le tout dont provient la partie : c’est pour cette raison que la statuette d’envoûtement contenait toujours quelque partie du modèle : cheveux, ongles, mouchoir portant des traces de sueur ou de sang. Voici Côte d’Émeraude, Saint-Malo, Saint-Malo, Syndicat d’Initiative, Rennes, imprimerie Oberthur, 1965, p. 7. 2 G. PASCH, « Drapeaux et pavillons des villes maritimes françaises, II, côtes de la Mer du Nord et de la Manche » ; Neptunia, n° 63, p. 15-18. Philippe RAULT, dans Les drapeaux bretons de 1188 à nos jours a repris ses renseignements de l’article précédent sans en apporter de références plus précises. 1 pourquoi, poursuit G. Pasch, il ne faut rien laisser traîner – si un sorcier venait à se trouver parmi ceux qui nous en veulent… Quant au drapeau écartelé rouge et bleu à croix blanche, qui provient évidemment, assure cet auteur, de la réunion des pavillons rouges et bleus, c’est tout simplement le pavillon français du 16e siècle en même temps que le premier tricolore français [sic !]. Il y aurait eu également, termine G. Pasch, un pavillon que les navires de course auraient arboré parfois, qui a été repris voici plusieurs années sous le vocable de « drapeau corsaire » et qui flotte en permanence au sommet du donjon du château de Saint-Malo (actuellement Hôtel de Ville ). Il est bleu à croix blanche et à franc-quartier rouge portant une hermine blanche. Ce drapeau ainsi que le précédent, dont il dérive, sont bien des drapeaux municipaux ». En résumé, si l’on en croit G. Pasch : 1° - Saint-Malo aurait eu dès le 18e siècle, un « pavillon à hermines », chargé d’un quartier rouge à croix blanche bordée de noir donc très différent du pavillon actuel à croix blanche simple et trois quartiers bleus unis. 2° - La ville de Saint-Malo aurait fait de son côté usage d’un « drapeau » à croix blanche avec deux quartiers bleus et deux quartiers rouges dont l’un avec herse d’or surmontée d’une hermine qui n’est en réalité que la reprise de ses armes enregistrées par d’Hozier3 ; ce « drapeau » aurait été dérivé de pavillons rouges et bleus en usage en France au 16e siècle 3° - Il y « aurait » eu un pavillon dit « drapeau corsaire » qui serait identique à celui arboré aujourd’hui au sommet du château-hôtel de ville de Saint-Malo. Armorial général de France dressé en vertu de l’édit de 1696 par Charles d’Hozier, VIII, Bretagne 1, page 782. Bibliothèque nationale de France (Site Gallica). 3 © éditions « Emgé », Saint-Malo Il est bien difficile de tirer quoi que ce soit de satisfaisant d’un tel article qui emploie le conditionnel et ne cite aucune source précise, mêle les notions de pavillon et de drapeau sans distinction et omet même de citer les articles parus antérieurement dans cette même revue Neptunia au sujet des pavillons maritimes…4 Pour tenter d’y voir clair, il convient dans un premier de temps de traiter à part la question de l’histoire des armoiries de la ville qui est assez bien établie et de l’hypothèse, non confirmée à ce jour par les textes et délibérations, de l’usage ancien d’un « drapeau » propre à ville, pour ne s’en tenir qu’à celle de l’histoire du « pavillon » à usage maritime. J. Le Bot avait eu la curiosité de consulter ce qu’écrit le Père Georges Fournier dans son Hydrographie de 1667 qui est le premier ouvrage français abordant toutes les questions relatives à la marine : Pavillon est un étendard posé en haut d’un mât, sur lequel par sa couleur, figure et situation, fait connaître la nation et condition de celui qui commande dans un vaisseau (…) La France porte d’argent ou blanc sans aucun blason pour l’ordinaire. De présent en France, chaque escadre doit porter des flouëttes5 et enseignes de la couleur de leurs provinces, avec le pavillon blanc au grand mât. Les vaisseaux qui ne sont de Roy ne doivent porter qu’un pavillon bleu avec la croix blanche au milieu ». Ce qu’il faut en effet dire ici haut et fort, c’est qu’effectivement il a bien existé un pavillon propre aux navires ressortissant de l’Amirauté de Saint-Malo, c'est-à-dire du « quartier maritime » du port malouin. Ce n’est pas une invention, ni une légende, mais un fait historique attesté. 4 J. LE BOT, « Le pavillon malouin et le pavillon « corsaire » dans Neptunia, note dact. 2 p. 29,7 x 21 cm., les articles visés ont paru dans les numéros 20 (4e trimestre 1950), 21 et 22 (1er et 2e trimestre 1951), sous le titre « Pavillons maritimes » et la signature de l’Enseigne de Vaisseau Bouchet. 5 Girouettes de vaisseau. Attesté, certes, mais pas de façon aussi ancienne qu’on ne le dit. Dans son numéro 20, Neptunia avait publié, pour la première fois, la reproduction en noir et blanc du Tableau des pavillons que les vaisseaux arborent en mer par Joseph Roux, « Hydrographe du Roi, sur le port Saint-Jean à Marseille », tableau portant le chronogramme de 1766. Ce « tableau » est en réalité une gravure colorée dont le Musée national de la Marine de Paris, conserve un exemplaire6. Il comprend 12 colonnes disposées sur huit lignes présentant les pavillons de diverses nations dont sur la première ligne : France, Provence, Marseille, Bourdeaux, Rochelle, Nantes, Bayonne, S. Malo, Le Havre, Dunquerque, Particulier de France… © Musée national de la Marine / A. Fux Saint-Malo est donc présenté à la huitième place, entre Bayonne et Le Havre. Le pavillon malouin est alors à croix blanche bordée de noir, à trois quartiers blancs semés chacun de cinq mouchetures d’hermine noires bretonnes et à un quartier supérieur à senestre de gueule, c’est alors presque le même que celui de Nantes, à cette différence que ce dernier est à quatre quartiers blancs semés d’hermines. 6 Le titre exact est TABLEAU DES PAVILONS / QUE LES VAISSEAUX ARBORENT EN MER, / Par Joseph Roux, Hydrographe du Roy / sur le Port à S. Jean à Marseille 1766. © Musée national de la Marine / A. Fux Dans le texte accompagnant son étude, l’Enseigne de Vaisseau Bouchet rappelle que les pavillons marchands et régionaux ont longtemps concurrencé le pavillon national. Ces pavillons figurent sur les anciens portulans7 mais l’auteur émet l’hypothèse probable selon laquelle ils ne devaient pas être très utilisés à la mer pour des raisons de sécurité et 7 Sur un portulan du cartographe G. Brouscon, du Conquet, le pavillon représenté pour Nantes, vers le milieu du 16e siècle ; ne diffère de celui donné par J. Roux que par le remplissage de la croix (Dr Louis DUJARDIN-TROADEC, Les cartographes bretons du Conquet, Brest, 1966. que les capitaines préféraient l’usage de pavillons étrangers jusqu’au coup de semonce qui les obligeaient à montrer leur pavillon réel. Toujours selon cet auteur, une ordonnance de 1661 chercha à imposer à tous les marchands français le pavillon bleu à croix blanche qui était l’ancien pavillon de la nation française avec les fleurs de lys, mais les armements marchands demandèrent des dérogations, en 1686, pour la rade de Cadix alors très fréquentée par les Malouins, pour les pataches en 1691 et autres bâtiments préposés à la conservation des droits du roi, parmi lesquels on verrait bien figurer les corsaires, pour les « commodores » des convois qui réclamèrent la flamme blanche, ou encore les vaisseaux de la Compagnie des Indes Orientales qui furent autorisés par lettres patentes de Louis XIV, en 1696 à arborer le pavillon blanc avec les armes de France. Ordinairement, les corsaires arboraient un pavillon ennemi ou celui d’un pays neutre. Un arrêt du 17 mars 1696 indique que « l’usage ordinaire des corsaires est de porter et se servir de pavillons de plusieurs nations amies et ennemies pour tromper les vaisseaux de l’adversaire dont il s’approchent »8. Autrement dit, la tendance historique ne va pas du tout, contrairement à ce qui est affirmé, colporté et cru, en faveur du pavillon bleu à croix blanche pour les Malouins, mais qu’ils aillent à Cadix, qu’ils arment en course, en utilisant même parfois des bâtiments mis à leur disposition par le roi, ou qu’il arment pour la Compagnie des Indes Orientales, comme cela leur arrivera entre 1707 et 1719, c’est toujours le blanc royal qui a la préférence. Cherchez l’erreur… A partir de 1765, termine toujours l’Enseigne de Vaisseau, Bouchet, le sort du pavillon marchand français resta à celui de la marine de guerre « ce qui est assez exceptionnel, précise cet auteur, si l’on tient compte des usages en vigueur dans la plupart des autres marines ». Le pavillon que donne l’année suivante 1766, Joseph Roux dans son tableau n’est sûrement pas une invention. Ce dernier établi à Marseille, port alors très fréquenté par les morutiers malouins, avait eu l’occasion de le voir de nombreuses fois par conséquent. La ressemblance du pavillon malouin avec celui de Nantes, qui était avec Saint-Malo l’un des deux grands ports marchands de Bretagne est à souligner. Il faut insister aussi sur l’origine bretonne et ducale des symboles représentés : la croix blanche bordée de noir, les mouchetures d’hermine et non pas l’animal lui-même comme sur les armes de la ville seulement évoquées par un quartier supérieur senestre « de gueule ». On peut en déduire, sans trop de risque d’erreur et en l’absence d’autres preuves, car naturellement aucun exemplaire ancien n’a été conservé, pas même du 18e siècle, que l’octroi d’u tel pavillon est bien antérieur au 18e siècle, à la « République Malouine », même à la fin du 16e siècle, et qu’il appartient à l’histoire du duché breton avant son attachement à la France en 1532. Ce pavillon remonterait donc certainement à la période médiévale de l’histoire bretonne. L’histoire malouine s’est constituée au cours du 19e siècle dans le contexte nostalgique de la Restauration et du Romantisme qui a visé pendant longtemps plus la commémoration et l’idéalisation du passé qu’à une enquête objective à laquelle les habitants ne voulurent pas se confronter par fierté et déni des réalités de leur déclin. Un légendaire s’est créé autour de la Cité Corsaire, insulaire et indépendante, ni française, ni bretonne, et faisant flotter ses propres couleurs…. 8 Archives nationales, marine, F 2.16 fol.° 80, arrêt qui ordonne que les deniers provenant de la vente du vaisseau et de son chargement soient remis au sieur Dangeau. L’ordonnance di 18 avril de la même année 1696 « enjoint seulement au capitaine commandant les vaisseaux et à ceux de ses sujets, d’arborer le Pavillon de France avant de tirer le coup de semonce ou d’assurance », c'est-àdire « le prélude ou le commencement de l’attaque » (Archives nationales, F 2. 16 fol° 80). J. Le Bot9 avait chargé sa petite fille, Marion Taillefer, de relever les occurrences au pavillon malouin dans un ouvrage emblématique de l’historiographie malouine, Saint-Malo illustré par ses marins de Charles Cunat, ancien officier de marine, chevalier de la légion d’honneur, publié à Saint-Malo en 1857 et dans lequel ce dernier publia des notices au sujet de 44 valeureux marins célèbres, de Jacques Cartier, né en 1491 au général de Coisy, né en 1781. «Cunat, précisent les auteurs de cette étude, est l’un des auteurs qui, spécialement par ce livre, contribua le plus à accréditer l’image d’un pavillon, arboré par les navires armés à Saint-Malo, et propre à leur ville. Jamais, cependant lorsqu’il traite d’épisodes de la guerre de course, il ne parle de pavillon corsaire ». Les auteurs ont relevé 58 occurrences du mot « pavillon » dont 22 avec une référence à une spécificité malouine : Réf. pages 87 Date Extraits Hervé DUFRESNE Comte-de-Revel 18/04/1690 HARTMANN Fortune 25/05/1690 104 Pierre LEGOUX Grénédan 15/06/1691 110 Pierre LEGOUX Grénédan 15/06/1691 113 Pierre LEGOUX Grénédan 15/06/1691 117118 Étienne PIEDNOIR Diligent 05/1706 « … sur sa poupe se déployait le pavillon bleu à croix blanche des bâtiments du commerce français, mais au franc-quartier on voyait l’hermine sans tache » (1) (1) Les bâtiments de St-Malo pouvaient arborer le pavillon blanc sur la rade de Cadix (Ordonnance Royale) « La Fortune, son pavillon rouge, chargé d’une tour crénelée d’or, déployé sur sa poupe, vont avec assurance à l’encontre du Comtede-Revel… » « A sa poupe se déployait un grand pavillon bleu à croix blanche, au franc-quartier duquel se montrait l’hermine sans tache ; c’était toit à la fois le pavillon de France et celui de Saint-Malo » « Le pavillon malouin, ainsi que le beaucéant d’un ordre de chevaliers jadis fameux, n’apparaissait jamais à l’époque dont nous parlons, sans causer quelque émotion aux Anglais (…). A la vue de la blanche hermine, les Malouins saluèrent leur glorieux pavillon par les cris de Vive le roi » « .. . aussitôt, il les fait mettre en ligne de bataille avec le pavillon et les insignes des vaisseaux du roi, lui-même, placé en serre-file de la colonne, avait remplacé le pavillon bleu à croix blanche par le pavillon blanc … » « Enfants, il ne suffit pas que l’hermine malouine reste sans tache… » 88 9 Capitaine Navire Jean LE BOT et Marion TAILLEFER, Recherche sur les références au pavillon malouin dans le livre Saint-Malo illustré par ses marins, Saint-Malo 1857, par Charles Cunat, 5 pages dact., 29,7 x 21 cm. 122 René MOREAU Comte-deToulouse 1694 144 Josselin GARDIN François 1707 147 René MOREAU Comte-deToulouse 10/1704 149 Robert SURCOUF Comte-deToulouse 15/10/1704 154 Alain PORÉE Saint-Esprit 20/01/1695 156 Charles PORÉE François-d’Assise 14/02/1695 162 Alain PORÉE, LA BELLIÈRE DUGUAY-TROUIN Thomas-Auguste MINIAC Saint-Esprit Polastron Jason Saint-Louis 22/10/1695 259 Thomas-Auguste MINIAC Saint-Louis 09/1696 261 Thomas-Auguste MINIAC Auguste 11/1703 270 Pierre-Guillaume LAVIGNEBUISSON Roi-David 1696 274 Joseph-Servan DANYCAN Saint-Antoine 1694 283 Thomas PÉPIN Paix 1704 314 Étienne DANIEL Reine 03/1711 205 258 1706 09/1696 « A cette époque, le Comte-deToulouse battait, outre le pavillon du roi, le pavillon de Saint-Malo (…) : l’hermine sans tache, sur un fond bleu à croix blanche, flottait à la tête d grand mât ». « le Français battait pavillon blanc » « Sur sa poupe se déployait le pavillon blanc (1) et à la tête de son grand mât (…) flottait l’ancien pavillon malouin ; bleu à croix blanche, avec l’hermine au franc quartier » (1) Depuis la fin de l’année 1696, nos corsaires combattaient sous le pavillon blanc, qui avait toujours été réservé aux vaisseaux du roi. « Il est vrai que Robert Surcouf avait arboré en même temps que le pavillon du roi, le pavillon de Saint-Malo avec sa blanche hermine… » « Au franc quartier des pavillons malouins, on voyait ordinairement un petit carré de gueules chargé d’une hermine d’argent, afin de les faire distinguer de ceux des autres ports de France » « … la blanche hermine de leur pavillon tachée… » « … hissèrent à leur gaule de poupe, le pavillon de Saint-Malo » « …arbore son pavillon blanc… » « … l’ancien et glorieux pavillon malouin flottait, portant à son franc-quartier la blanche hermine sans tache » « … soutenait héroïquement le pavillon du roi et celui de SaintMalo » « … fit virer les couleurs françaises avec le pavillon malouin au grand mât » « … ses couleurs nationales sont surmontées par notre glorieux pavillon bleu à croix blanche, où brille d’un nouvel éclat la blanche hermine malouine » « … la blanche hermine malouine reçut un nouveau lustre de cette victoire » «… à son grand mât flottait l’ancien pavillon malouin, bleu à croix blanche, avec l’hermine sans tache » «… ses couleurs royales remplacées par notre glorieux pavillon » Les auteurs de l’étude observent que ces extraits évoquent parfois des ordonnance royales, mais ne font référence à aucune source précise pour le pavillon malouin sauf pour en affirmer l’ancienneté et jamais à la seule référence datée du tableau de J. Roux en 1766 qui ne ressemble en rien à ceux complaisamment décrits par Ch. Cunat. Par ailleurs, ils rappellent que le peintre Ambroise Louis Garneray qui fut un contemporain de Robert Surcouf comme Ch. Cunat et qui a peint avec force de détails le fameux abordage de la Confiance contre le Kent et dont une des trois versions connues est déposée au Musée d’histoire de Saint-Malo, n’a représenté aucun pavillon corsaire ou malouin particulier pour la Confiance. © Saint-Malo, musée d’histoire / Teddy Seguin Alors comment de ce pavillon quasiment officiellement déposé en 1766, en est-on arrivé à celui que nous connaissons actuellement ? J. Le Bot avait trouvé la solution à cette énigme dans une petite brochure de 1897 qui constitua le premier annuaire de la Société des bateaux modèles de l’union des villes de Saint-Malo, Saint-Servan Paramé, Dinard, créée le 10 juillet de cette année là10 et voici ce qu’on y lit : « Les petits bateaux de nos jours arborent crânement le pavillon des corsaires sous les plis desquels se sont rangés tous ceux qui s’intéressent à ces joutes nautiques. Ce Régates de modèles par A. Lemoine, 43 p., illustrations de l’auteur, couverture par Malo-Renault, Bibliothèque municipale de Rennes (La Borderie) 258 11/6. 10 pavillon a été retrouvé, il y a environ dix ans, par notre compatriote le regretté Paul Hercouet, dessinateur de talent. Amoureux de son pays, il retrouva dans de vieilles archives, le pavillon des corsaires. C’est tout simplement celui de Saint-Malo et ses hardis enfants au moment de l’abordage le hissaient en tête du grand mât ». Qui est donc ce Paul Hercouet, qui vers 1886-1887, aurait retrouvé dans de vieilles archives ( ?) un pavillon arboré par les corsaires et qui aurait été – de fait – le pavillon de leur ville ? P. Hercouet descendait de la famille Loyson de la Rondinière et de l’amiral GauttierDuparc. P. Hercouet était l’un des petits-fils de l’amiral qui eut 13 enfants. Il était ingénieur des Eaux et Forêt et dessinateur de talent11. Deux se des œuvres se trouvaient au Musée de Saint-Malo avant 194412 et il aurait laissé de nombreuses études encore aux mains d’un arrière petit neveu en 2000. J. Le Bot ne désespérait d’y retrouver peut-être les esquisses faites pour le pavillon… Or, c’est précisément à la même époque, qu’en 1885, la Société nautique de la baie de Saint-Malo adopta un pavillon à croix blanche et quartiers bleus, le quartier supérieur senestre étant surchargé d’un quartier rouge avec l’hermine. Or, on sait que non seulement P. Hercouët était membre fondateur de la S.N.B.S.M. mais qu’il fit de plus des dessins pour la revue Le Yacht. Comment ne pas en conclure que le pavillon composé si habilement, par P. Hercouet, lui fut vraisemblablement initialement commandé pour la S.N.B.S.M.13, puis adopté par la Société des bateaux modèles, et a fini par avoir le succès que l’on sait ? Je livre à votre réflexion la chronologie relative suivante : - 1885 : la S.N.B.S.M. adopte un pavillon à quartiers bleus, croix blanche et quartier rouge avec hermine dessiné par P. Hercouët d’après une documentation historique imprécise dont probablement les écrits de Ch. Cunat de 1857 ; le pavillon est considéré à la fois comme pavillon des corsaires et par amalgame comme drapeau de la ville - 1892 : reproduction sur la plaque commémorative du départ de Jacques Cartier offerte par Honoré Mercier, premier ministre de Québec à la cathédrale de Saint-Malo Jean LE BOT, Note sur le pavillon corsaire, décembre 2000 et d’après le témoignage recueilli par la famille Le Bouder ; P. Hercouet était un grand oncle de Jo Le Bouder, peintre illustrateur à Rennes et ami d’enfance d’Alain Le Bot, fils du Professeur. 12 Il s’agissait d’une Prise du Kent et de La Chevrette, corvette de l’état attaquée par des pirates de la Mer Noire (Notice historique sur le Musée de Saint-Malo, Saint-Malo, Hamel, 1875 ; n° 65 et 66) 13 De fait les pavillons et guidons de la S.N.B.S.M. sont reproduits dans l’ouvrage de Mathilde JOUNOT, Le monde de Saint-Malo e des Malouins, Brest, Le Télégramme, 1999, p. 48. 11 © édition « Emgé », Saint-Malo. - 1896 : l’artiste malouin Malo Renault (1870-1938) conçoit une affiche pour les régates municipales avec la représentation d’un pavillon propre à la ville de SaintMalo (armoiries de la ville dans le quartier supérieur senestre) pour se distinguer de celui adopté de la Société nautique © Saint-Malo, musée d’histoire - 1897 : adoption du pavillon par la Société des bateaux modèles - 1903 : le pavillon est arboré lors de l’inauguration de la statue de Surcouf14 Voir la carte postale « 2560 SAINT-MALO – Le Boulevard de la Bourse – G.F. » reproduisant une photographie prise le 6 juillet 1903 et montrant des hommes en train d’installer une hampe avec un pavillon malouin sur le pignon d’une des cabanes des bateaux d’excursion (probablement de la Compagnie Beauregard) à la partie haute de la cale de Dinan, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas encore d’une décoration officielle de la ville, mais d’une initiative privée ; les autres drapeaux étant aux couleurs nationales. 14 - 1904 : le pavillon illustre la page de couverture de la brochure d’ Édouard Prampain sur Jacques Cartier - 1907 : il est arboré par le vapeur Jacques Cartier de la Compagnie Beauregard15 - 1913 : le pavillon est représenté à la poupe d’un navire en illustration de la couverture du roman Thomas l’Agnelet, par Claude Farrère - 1927 : à l’occasion du centenaire de la mort de Surcouf, le musée municipal est transféré au donjon du château au sommet duquel flotte désormais le pavillon malouin sans qu’il n’y ait rien à redire puisque l’hôtel de ville se situe alors près de la cathédrale…16 Y a-t-il besoin encore d’insister ? Tout le monde aura bien compris cette fois, je l’espère, au caractère très fictif du pavillon malouin d’aujourd’hui qui, s’il inspire de données objectives empruntées, pour la croix blanche et les quartiers bleus, à un ancien pavillon de commerce du 17e siècle, pour l’hermine et son quartier rouge aux anciennes armes de la ville, n’est pas pour autant celui qui était en usage en 1766 et sans doute bien longtemps auparavant. Il s’agit donc bien d’une création nouvelle, une recomposition faite sous la Troisième République par un illustrateur de talent et très probablement yachtman distingué qui le fit adopter par la Société nautique malouine dont il était, de plus un des co-fondateurs. Voir la carte postale Côte d’Emeraude / 729 – Le Vapeur d’Excursion / Jacques-Cartier / aux Iles Chausey. Une photographie Violet illustrant Les gens de mer par Roger Vercel (Omnibus, 2007) représentant une fête sur le port de Saint-Malo en 1909, fait figurer la cabane du « vapeur Jacques Cartier » de la compagnie Beauregard avec un drapeau tricolore et un drapeau malouin. 16 De 1793 à 1921, année du déclassement du château comme bâtiment militaire, c’est le drapeau national tricolore qui fut toujours arboré au sommet du donjon. Ainsi que le rappelle l’abbé Manet dans ses Grandes recherches, c’est en effet le 24 octobre 1793 qu’il fut proposé d’établir un pavillon tricolore sur le donjon du château, les sieurs Giroust et Camas furent chargés de se retirer à cet effet vers le citoyen Damar de l’Étang, commandant temporaire qui se fit un plaisir, précise l’érudit, d’accéder à cette pétition plus vite que la parole…. 15 Telles sont les conclusions que nous avions partagées ensemble avec le regretté Professeur Jean Le Bot et qu’il m’appartenait de rendre publiques en ces journées d’hommage17. Détail d’une carte postale « Côte d’ Émeraude / 2840. PARAMÉ – Sur la Digue G.F. » montrant en tête de mât le pavillon du Yacht Club de France, un autre pavillon de sociétaire, le pavillon malouin et probablement un pavillon de propriétaire ; ce document confirmerait selon une annotation de J. Le Bot, la relation du pavillon malouin avec les milieux du yachting ; la villa avec ce mât de pavillons dans le jardin devait appartenir alors (vers 1900) à une personnalité du yachting car J. Le Bot observait que les pavillons sont bien établis sur la drisse selon l’étiquette des sociétés nautiques. « Nous avions donc raison l’un et l’autre en pensant que l’apparition du soi-disant pavillon corsaire à Saint-Malo fin XIX° est liée aux débuts du yachting et doit quelque chose au dessinateur-yachtman Paul Hercouët » (Lettre de Jean Le Bot à Philippe Petout, 5 janvier 2001). 17