Adolf Loos - arc.hist.art
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Adolf Loos - arc.hist.art
LOOS (Adolf) 1870-1933 Article écrit par Harald R. STÜHLINGER Prise de vue Toute sa vie, l'architecte autrichien Adolf Loos a milité, par ses réalisations comme par ses écrits théoriques, pour une nouvelle vision architecturale moderne et audacieuse. Dans la Vienne du début du XXe siècle marquée par une architecture éclectique envahissante, il fut l'un des premiers à rejeter l'ornementation et à donner la priorité aux proportions et aux volumes dans ses bâtiments. Ses réalisations, marquées par l'emploi de toits plats, de murs lisses, de fenêtres sans encadrements, d'une configuration nette des pièces et d'une absence de toute décoration inutile sont, aujourd'hui encore, d'une modernité étonnante. I-Un architecte entre nouveau et ancien monde Adolf Loos est né le 10 décembre 1870 à Brünn dans l'empire austro-hongrois (aujourd'hui Brno en République tchèque). Son père, qui décède quand Loos a sept ans, exploite un atelier de tailleur de pierre et de sculpture, dont les aspects artisanaux impressionnent l'enfant et influenceront plus tard l'architecte. En 1889, Loos s'inscrit aux cours de l'École supérieure technique à Dresde, mais sans les suivre assidûment. Il passe notamment quelque temps à l'académie des Beaux-Arts de Vienne, avant de revenir compléter ses études à Dresde. En 1893, il s'embarque pour les États-Unis où il séjourne trois ans. Il visite Chicago et l'Exposition universelle (World Columbian Exposition de 1893), part pour Philadelphie, dans la famille de son oncle, puis s'installe à New York où il découvre les premiers gratte-ciel de la ville. Il vit parmi des immigrés sans ressources et trouve, brièvement, un travail de dessinateur industriel en 1895. En 1896, il retourne en Europe et s'établit à Vienne. L'expérience américaine se révèle alors déterminante pour lui. À travers l'école de Chicago, qui lui insuffle ses idées novatrices, il défend un parti pris de sobriété absolue des lignes, un refus de toute ornementation et une nette inspiration anglo-saxonne. Ayant reçu l'impulsion nécessaire à sa création architecturale, il anime des conférences et publie une série d'essais et d'articles. Sa pensée et son écriture sont également influencées par la fréquentation des cafés viennois où il rencontre des hommes de lettres tels Hermann Bahr, Karl Kraus, Peter Altenberg, Hugo von Hofmansthal et Arthur Schnitzler. En 1898, il publie dans le journal Neue Freie Presse une série d'articles dont les idées novatrices enthousiasment certains lecteurs qui lui commandent la réalisation d'appartements. Après avoir réalisé ainsi quelques intérieurs de bureaux et d'appartements, Loos édifie des maisons privées de 1910 à 1933. Convaincu de la pertinence de ses idéaux esthétiques et architecturaux, il ouvre une école de construction en 1912 qui fonctionnera jusqu'en 1924, avec une interruption pendant la guerre. Devenu résident tchèque après la chute de l'Empire austro-hongrois, Loos demeure néanmoins à Vienne où il prend le poste, à partir de 1921, d'architecte en chef de l'office pour l'habitat de la ville de Vienne. Mais l'austérité de l'après-guerre ne lui permet pas de mener comme il le souhaiterait ses projets et, déçu, il finit par quitter Vienne pour Paris. Là-bas, malgré son absence de maîtrise du français, il fréquente les cercles avant-gardistes. En 1925-1926, il construit ainsi une maison pour Tristan Tzara mais, demeuré par la suite sans commande, il retourne à Vienne en 1928. Dans la capitale autrichienne, il donne ses instructions à ses collaborateurs pour les chantiers en cours et décède le 23 août 1933 dans une maison de repos près de Vienne. II-La théorie du Raumplan « Je ne conçois pas de plan, de façades ou de vues en coupe, je conçois des espaces », écrit Adolf Loos. Toutes les réalisations de l'architecte visent en effet à donner une place primordiale à des espaces conçus en fonction des besoins humains. Loos définit cette idée, extrêmement moderne pour l'époque, par sa théorie du Raumplan (« plan d'espace »). En 1910, sur la Michaelerplatz à Vienne, Adolf Loos réalise sa première maison de commerce et d'habitation pour le tailleur pour homme Goldman & Salatsch. Ce bâtiment, où il met en pratique la doctrine prônée dans son célèbre essai Ornement et crime (Ornament und Verbrechen, 1908), provoque un vrai scandale. En effet, la façade affiche une simplicité et une pureté allant dans la partie supérieure jusqu'à un dépouillement total. Le bâtiment est nu, sans artifice, et ne sacrifie pas au mensonge des apparences décoratives. L'immeuble est surnommé « la maison sans sourcils » et Loos doit consentir à la pose de jardinières pour finalement obtenir l'achèvement des travaux. L'architecte a pourtant veillé, selon ses propres dires, à l'harmonie entre le bâtiment et son environnement, et notamment au respect de l'équilibre par rapport à l'une des entrées lourdement décorée du palais impérial se trouvant juste en face. L'élégance de la façade prouve en effet ses liens avec la tradition : un crépi blanc couvre une structure en béton armé et le rez-de-chaussée est incrusté de marbres somptueux et colorés. Influencé par les bâtiments d'Henri Sauvage, Loos conçoit en 1910 un grand magasin à Alexandrie (Égypte), resté à l'état de projet, avec les derniers étages en gradins. Il réitère ce principe de construction en gradins à Vienne en 1912-1913 pour la villa de la famille Scheu. Juste après la Première Guerre mondiale, Loos édifie d'autres maisons pour la bourgeoisie viennoise et praguoise. En 1927-1928, il construit la maison Moller, la plus aboutie de ses villas viennoises par son purisme architectural. Un cube blanc présente sur la rue une façade rigide et symétrique alors que la façade donnant sur le jardin se montre plus ouverte et gaie. Seuls les murs extérieurs et un pilier central font office d'éléments porteurs. Grâce à cette construction, Loos réalise pleinement le Raumplan, une manière de penser l'architecture en termes d'espaces conçus selon leur fonction, qu'il avait déjà timidement employée pour la maison de la Michaelerplatz. Le Raumplan désigne une composition, une disposition et une hauteur des pièces qui varient selon leur emploi. La mise en scène intérieure des volumes est en rapport avec les besoins de l'homme, soumise à l'expérience humaine des espaces. Ainsi les garde-robes et salles à manger sont plus intimes – moins larges et moins hautes – que les salons et les vestibules. Les façades blanches et simples ne laissent pas présager les systèmes complexes et intimes des espaces intérieurs, souvent très colorés et exécutés avec des matériaux de luxe (marbre, bois, bronze, tissu...). La Villa Müller, construite pour l'entrepreneur František Müller à Prague entre 1928 et 1930, est une autre maison représentative de ce concept. Elle influencera durablement un certain nombre d'architectes, tels Mendelsohn et Schindler. Toute la subtilité du Raumplan s'inscrit aussi dans la villa de montagne de la famille Khuner (1930, Kreuzberg, Autriche). L'élément central de la maison est le généreux hall à deux étages autour duquel s'agencent la salle à manger, la cuisine, le fumoir et les chambres d'amis. Au premier étage se trouvent les chambres et la salle de bains. Loos respecte la construction alpine en bois sur un sous-sol en pierre de moellons, mais les volets donnent le ton moderne et cosmopolite ; ce sont des éléments coulissants en métal peints en vert pour évoquer les fermes. Dans certaines de ces maisons, on trouve encore le mobilier conçu par Loos dans un souci d'intelligence des espaces restants : armoires encastrées, bancs confortables et tables dans des niches intimes. III-Héritage « Adolf Loos, qui libéra le monde du travail superflu. » L'épitaphe inscrite sur sa pierre tombale illustre bien l'importance de la portée théorique de l'œuvre de Loos. Car il fut non seulement un architecte mais aussi un auteur passionné d'articles et de conférences. Dès 1898, il publie des articles souvent polémiques contre la Sécession et l'Art nouveau qui sont réunis dans deux anthologies : Paroles dans le vide (1921) et Malgré tout (1931). Il publie également une revue (qui s'arrête cependant dès le deuxième numéro) au titre ambitieux, L'Autre, avec en sous-titre « Une feuille pour l'introduction de la culture occidentale en Autriche » (1903). Sa conception du Bar américain (1908), dans le centre de Vienne, est l'une des meilleures manifestations de ce désir « d'occidentalisation ». Véritable modèle d'économie intelligente de l'espace sans renoncement au luxe, son enseigne lumineuse en forme de drapeau américain annonce la promesse du « Nouveau Monde ». Loos y joue également sur les contrastes entre la sévère structure géométrique et les raffinements du marbre et de l'acajou. Son essai Ornement et crime, où il donne sa vision sociale et humaniste de l'architecture, est édité dans « Le cahier d'aujourd'hui » de Georges Bresson et s'avère révolutionnaire lors de sa parution. En 1922, son célèbre projet de construction pour le Chicago Tribune (1922, resté à l'état de projet) suscite l'incompréhension. Cet immeuble en forme de colonne dorique de vingt et un étages posée sur un socle rectangulaire de dix étages, deviendra par la suite un objet de référence pour le débat postmoderniste. En définitive, l'œuvre de Loos, qui pourrait être classée dans le mouvement du « Neues Bauen », fut pourtant parfois jugée trop peu radicale par les représentants du moderne classique, de Le Corbusier à Walter Gropius. Effectivement, malgré sa conception extrêmement moderne de l'espace et du dépouillement architectural, Loos voulut aussi se placer dans la continuité historique, notamment en valorisant le travail artisanal et manuel et en posant au centre de sa pensée l'individu. De son œuvre, on retiendra la beauté sobre, l'extrême simplicité des édifices, le rythme élégant des volumes qui prouvent l'esthétique classique intemporelle, et ce au-delà du modernisme, dont Loos fut un précurseur. Harald R. STÜHLINGER Bibliographie • Adolf Loos 1870-1933, catal. expos., Mardaga, Liège, 1983 ; Adolf Loos 1870-1933, Architettura, utilità e decoro, catal. expos., Milan 2006 • A. LOOS, Adolf Loos, paroles dans le vide (1897-1900). Chroniques écrites à l'occasion de l'Exposition viennoise du Jubilé (1898). Autres chroniques des années 1897-1900. Malgré tout (1900-1930), Ivrea, Paris, 1994 ; Adolf Loos, ornement et crime et autres textes, Payot-Rivages, Paris, 2003 • B. RUKSCHCIO & R. SCHACHTEL, La Vie et l'œuvre d'Adolf Loos, Mardaga, 1987.
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