la brigade franco-allemande
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la brigade franco-allemande
MAI 2012 46 ÉDITORIAL LETTRE TRIMESTRIELLE D’INFORMATION ET D’ÉCHANGE DE LA COMMUNAUTÉ DOCTRINALE TERRESTRE La BFA : laboratoire de l’interopérabilité depuis 20 ans L’ une des priorités que le CEMAT a fixées pour les années à venir est l’amélioration de l’intéropérabilité avec nos alliés. La nécessité d’inscrire l’action de l’armée de Terre dans un contexte multinational afin d’en assurer la légitimité n’est pas nouvelle. Ce qui est plus d’actualité en revanche est la recherche systématique d’élimination des doublons d’un contingent à l’autre, qui conduit les forces nationales à ne plus être simplement juxtaposées, mais réellement imbriquées, afin de «partager le fardeau». Cette imbrication impose que les forces soient «interopérables». L’interopérabilité va au-delà d’un simple enjeu technique de branchement de systèmes d’information ou de dimensions de munitions, ou encore du seul apprentissage linguistique : il s’agit de rendre les unités et combattants aptes à travailler ensemble, selon un même référentiel, entre autres doctrinal. Les mêmes mots doivent recouvrir très exactement les mêmes notions. La France, suite au traité de Lancaster House, prépare la mise en œuvre d’une force expéditionnaire conjointe francobritannique, au sein de laquelle l’interopérabilité consistera à faire travailler en commun des entités nationales de niveau régiment ou brigade. Il est donc particulièrement intéressant de se pencher dans cette livraison d’ «Héraclès» sur l’expérience de la Brigade Franco-Allemande, qui depuis 20 ans décline l’interopérabilité jusqu’au niveau de la section. Vous découvrirez au fil des articles comment la BFA, véritable laboratoire de l’interopérabilité, a surmonté les défis liés à sa binationalité. Au-delà du symbole politique fort qu’elle représente, cette grande unité très opérationnelle est aujourd’hui avec ses formations projetée en opérations. Le général de Division Olivier TRAMOND, commandant le Centre de doctrine d’emploi des forces Dans ce 46ème numéro d’Héraclès, la plume est donnée à la Brigade Franco-Allemande 2 Sommaire Introduction 3 Au vent de l’histoire franco-allemande Général (DEU) Gert-Johannes HAGEMANN, commandant la BFA - Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint Carte d’identité de la brigade franco-allemande 4 « un devoir d’excellence » - « dem Besten verpflichtet » Actualités 5 La BFA, outil de prospective européenne Colonel (FRA) Jean LEROUX, Chef G3 de l’EM-BFA 6/7 ISAF / FIAS Colonel (DEU) Horst BUSCH, Chef d’état-major de la BFA Témoignages 8 RETEX bi national Kosovo GATE 2 Lieutenant-colonel (FRA) Flavien GARRIGOU GRANDCHAMP, Chef G2 de l’EM-BFA 9 SEIZING BONNLAND ! Capitaine (FRA) Pierre-Alexandre MATRINGE, commandant la 1ère Cie du 110è RI 10/12 13 Experience COM TF MeS III/Mon expérience de commandant du GTIA Mazâr-e Sharif (3e mandat) Lieutenant-colonel (DEU) Peter MIROW, commandant le 292 Jägerbataillon Une expérimentation tactique : la prise en compte des missions de reconnaissance-balisage par la cavalerie blindée Lieutenant-colonel (FRA) Rodolphe HARDY, chef du BOI 3e régiment de Hussards Réflexion 14 La bi nationalité au service de l’Europe Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint Tribune 15 Bi nationalité et doctrine Colonel (FRA) Benoît ROUX, commandant le 110è RI Directeur de la publication : Colonel (R) Georges Michel - Rédacteur en chef : Capitaine Gwenaëlle Denonin Diffusion, relations avec les abonnés : Major Claudine Vacquier - Mise en page : Christine Villey - Graphisme de la maquette : Nanci Fauquet Impression : Imprimerie BIALEC - 95 Boulevard d’Austrasie - BP 10423 - 54001 Nancy cedex Héraclès en ligne : WWW.CDEF.TERRE.DEFENSE.GOUV.FR Adresse du CDEF : 1 PLACE JOFFRE - CASE 53 - 75700 PARIS SP 07 NUMÉRO 46 • MAI 2012 Introduction 3 Au vent de l’histoire franco-allemande Général (DEU) Gert-Johannes HAGEMANN, commandant la BFA Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint L’ histoire des forces françaises stationnées en Allemagne s’écrivait, jusqu’en 2009, sur une page ouverte à la fin du second conflit mondial, en évolution du statut initial d’occupation. C’est sur cette page de garde que s’est inscrite la date du 2 octobre 1989 avec la décision de création de la brigade, relance franco-allemande de la politique «des petits pas» des pères fondateurs de l’Europe, après l’échec de la communauté européenne de défense en 1954. Sur cette même page est décrite sa montée en puissance et son engagement opérationnel groupé d’abord en exYougoslavie (1997) puis en Afghanistan (2004), faisant d’elle au fil du temps une grande unité aux capacités opérationnelles reconnues internationalement. L’année du vingtième anniversaire, 2009, aura été celle de toutes les craintes avant d’être celle de tous les espoirs. Craintes de voir la brigade vidée de sa substance par les réformes en cours en France. La rationalisation des stationnements et des organisations, provoquaient un début de déséquilibre entre les contributions françaises et allemandes en matière d’effectifs et de capacités. Année de tous les espoirs finalement avec la claire relance politique initiée par le président de la République et la Chancelière, concrétisée par les décisions de ne pas dissoudre mais de transférer le 3ème Hussards, de créer et installer en France le Jägerbataillon 291 (infanterie) et de maintenir en Allemagne le 110ème RI. Cette relance marque un tournant stratégique et donne un nouvel élan à la BFA en ouvrant une nouvelle page de l’histoire NUMÉRO 46 • MAI 2012 franco-allemande. En effet, avec l’installation d’une unité de combat allemande en France, le stationnement devient non seulement équilibré de part et d’autre du Rhin mais aussi il n’est plus un reste d’occupation. Il ne s’agit plus d’associer l’Allemagne à la défense de l’Europe selon la formule de l’OTAN keep the US in, the Russians out and the Germans down. Il s’agit au contraire pour deux pays membre à part entière de l’OTAN et l’UE, de renforcer la grande unité binationale qui manifeste des intérêts de défense communs. Forte de près de 6 000 hommes, rééquilibrée sur deux garnisons en France, Metz et Strasbourg, et sur trois en Allemagne, Müllheim, Donaueschingen et prochainement Stetten, dotée de capacités opérationnelles hors du commun, notamment en termes de reconnaissance, d’acquisition et de frappe dans la profondeur, la brigade franco-allemande prend un nouveau départ. Les réformes de la Bundeswehr désormais entérinées apporteront après les réformes françaises, leur lot de contraintes mais la professionnalisation du recrutement des militaires du rang allemands fait disparaître un clivage entre unités françaises et allemandes au sein de la brigade. Fondé sur un accord intergouvernemental actualisé, sur une expérience éprouvée, l’outil opérationnel franco-allemand souhaité en 1989 est donc plus que jamais disponible pour un engagement sur décision politique des deux nations, dans le cadre de l’Union Européenne ou de l’OTAN 4 Carte d’identité de la brigade franco-allemande « un devoir d’excellence » - « dem Besten verpflichtet » Effectifs de la brigade franco-allemande (hors personnels civils) : FRA : 2149 - DEU : 2854 - Total : 5003 ENGAGEMENT OPERATIONNEL Engagements communs BFA SFOR / Bosnie en 1996-1998 ISAF / Afghanistan en 2004-2005 KMNB / Kosovo en 2004-2005 Participation à des engagements multinationaux Balkans : IFOR, SFOR, KFOR Afghanistan : ISAF Liban : UNIFIL, DAMAN Engagements français Opérations théâtres africains : Epervier, Licorne, Boali Engagements sur territoires nationaux Sécurité : Vigipirate en France. Assistance : Naufrage ERIKA en France (aide au nettoyage) en 2000, Inondation de l’Elbe (aide à la population) en 2002 et Tempête LOTHAR (aide à la population) en 2000 en Allemagne. Au cœur de l’Europe, de part et d’autre du Rhin. Unités françaises, allemandes ou mixtes actuellement stationnés sur le territoire allemand et français : • Müllheim : état-major et bataillon de commandement et de soutien, les deux entités mixtes de la brigade. • Donaueschingen : 110° régiment d’infanterie et Jägerbataillon 292. • Aujourd’hui Immendingen, demain Stetten am kalten Markt, suite au nouveau plan de stationnement de la Bundeswehr : Artilleriebataillon 295 et Panzerpionierkompanie 550. • Illkirch-Graffenstaden : Jägerbataillon 291. • Metz : 3° régiment de Hussards. HISTORIQUE 1987 Décision de créer une grande unité mixte francoallemande par le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl. 1989 Création officielle à Böblingen. 1992 Transfert de l’état-major de la brigade à Müllheim. 1993 La brigade est placée sous commandement opérationnel du Corps européen. 1995 Première expérience commune dans la jungle guyanaise. 1997 Formation commune en jungle gabonaise. 1997 Participation à l’exercice « Concordia » avec la Pologne. 2004 Signature de la vision commune pour la brigade franco-allemande par les Chefs d’état-major français et allemand des deux armées à Kaboul. 2006 Exercice OTAN «STEADFAST JAGUAR» au Cap Vert. 2006 Phase d’alerte NRF 7, pendant laquelle la brigade constitue le cœur de l’ensemble des troupes susceptibles d’être engagées sur ordre de l’OTAN. 2008 Phase d’alerte dans la constitution d’un groupe de combat au service de l’Union européenne (EUBG/II). 2010 Phase d’alerte NRF 15, pendant laquelle la brigade constitue le cœur de l’ensemble des troupes susceptibles d’être engagées sur ordre de l’OTAN. NUMÉRO 46 • MAI 2012 Actualités 5 La BFA, outil de prospective européenne Colonel (FRA) Jean LEROUX, Chef G3 de l’EM-BFA M esurée à l’aune de ses engagements opérationnels aux côtés des autres brigades interarmes françaises ou allemandes sur tous les théâtres et de sa préparation opérationnelle, la BFA pourrait être considérée comme une brigade interarmes «comme les autres» avec, de surcroît, son caractère binational qui, comme Janus, présente une face disgracieuse, celle d’un besoin accru de coordination, mais aussi un visage favorable, celui d’un message politique fort affichant une volonté de défense commune, celui de la valeur ajoutée par la mutualisation des capacités et une interopérabilité à l’état natif au sein de la brigade. L’accord intergouvernemental et certaines annonces politiques, présentent la BFA comme l’un des outilsclés de la relation franco-allemande, mais aussi d’une vision européenne de la sécurité et de la défense. C’est sous cet angle que la brigade a été parfois décrite comme un «laboratoire». L’appellation est réductrice, et inappropriée au moins depuis 1997, date de son premier engagement opérationnel binational et groupé. Néanmoins, la brigade offre à l’évidence le caractère d’un banc d’essai possible pour, si ce n’est une «armée européenne» dont la justification reste à trouver, du moins une interopérabilité concrète, aux bas niveaux, qui ne se limite pas à l’APP61 et aux STANAG2 mais qui crée une aptitude à déployer sans délai des unités et des cellules organiques élémentaires de nations différentes au sein d’opérations multinationales où les enjeux (enfonçons les portes ouvertes) ne résident pas uniquement dans la combinaison des feux et des mouvements, mais également dans les opérations d’influence, la perception, le redémarrage économique, le mentoring, la protection de la force, les aspects juridiques, une logistique dynamique, l’interconnexion et la fluidité des systèmes d’information, la maîtrise de plusieurs langues dont l’anglaise, etc. Un des slogans qui a fait florès à la fin des années 90 était celui de la modularité. Nous y sommes encore NUMÉRO 46 • MAI 2012 faute d’alternative. On bâtit une force ad hoc pour ne pas dire composite ou patchwork, dans une logique légitime de «stricte suffisance» avec le recours à des « réservoirs » ou force provider. Et comme nous connaissons notre métier, nous la forgeons au creux d’une solide MCP, pour lui donner sa cohésion et sa cohérence opérationnelle. Il n’a échappé à personne que les armées occidentales réduisent leur format au point maintenant d’envisager des renoncements capacitaires. Qu’ils soient réalisés sous l’égide de telle ou telle organisation inter- ou supranationale, il y a fort à parier que les engagements opérationnels de demain seront, plus encore qu’aujourd’hui, marqués par le principe de modularité appliqué aux nations participantes, à la recherche de gains d’effectifs et néanmoins d’efficacité par mutualisation des capacités. C’est là que réside tout le potentiel novateur de la BFA. En la projetant, France et Allemagne ont un «effet brigade interarmes» en ne «payant» que pour une demi brigade. En la projetant de manière cohérente et groupée la France s’épargne d’engager : du génie, de l’artillerie et des drones du contact. De son côté l’Allemagne s’épargne d’engager un bataillon de Panzer et une section de Feldjäger. Mais l’effet commun global est bien celui d’une brigade complète, robuste, entraînée de longue date, anglophone, disposant des toutes les capacités attendues d’une BIA. De ce point de vue, la BFA, outil militaire et politique, avec vingt années d’expérience, est une matrice d’efficacité opérationnelle mais aussi d’efficience fondée sur la mutualisation des capacités et des moyens. C’est sans doute un modèle éprouvé qui peut faire des émules dans l’avenir 1 APP: Allied Procedural Publication. L’APP6 définit les marques cartographiques représentant les systèmes terrestres. 2 STANAG : standardization agreement, en français accord de normalisation. 6 Actualités ISAF Colonel (DEU) Horst BUSCH, Chef d’état-major de la BFA I n the early morning sun a lone ISAF sentry is watching as the soldiers of OMLT1 3rd brigade survey the damage caused by last nights devastating sandstorm around the brigade command post in Chimtal Police station, west of Mazar-E.Sharif in northern Afghanistan. Meanwhile inside the improvised Tactical Operations Center (TOC), the Senior Mentor and his OMLT Staff are already working with their Afghan Nation Army (ANA) counterparts to prepare the briefing on the tactical situation for ANA Brigadier General Ghulam Farooq. The German component of the small but highly motivated multinational team is mostly composed of officers, NCO´s and soldiers from the French-German Brigade staff at Müllheim and Jägerbataillon 291 the only german combat unit stationed in France. The OMLT´s task is to coach and mentor their afghan counterparts in their daily work, be it in garnison or in the field. In the words of the senior mentor: “We are here to support the ANA 3rd brigade staff while they are doing their work, we will not do the work for them”! In addition to the knowledge transfer, the OMLT can provide support to the International Security Assistance Force (ISAF) if needed, such as the evacuation of wounded (MEDEVAC) and close combat attack (CCA) by rotary wing assets. The ongoing operation EBTEKAAR III is a clearing operation meant to secure an area previously controlled by insurgents. With the ANA brigade staff partially deployed to a forward command post, this means that the OMLT operates in a rotating pattern, one part of the mentors being out in the field, being relieved after three days. The results of the operation are promising so far. In tactics, techniques and procedures ANA has made good progress and OMLT 3rd brigade will further contribute to bringing the ANA closer to being capable of operating independently, without ISAF support. Living and working with the ANA is a constant challenge, not only due to the spartanic living conditions but also because of cultural differences. In this regard, the experience of the German-French brigade, the daily developed skill to understand a different culture, mentality, organisation, structure and methods in a binational environment are probably the best preparation you can think of, for an OMLT. Interoperability is indeed a native mindset in the German-French brigade 1 Operational mento and liaison team. NUMÉRO 46 • MAI 2012 Actualités 7 FIAS Colonel (DEU) Horst BUSCH, Chef d’état-major de la BFA S ous le soleil matinal, une sentinelle solitaire de la FIAS observe les militaires de l’OMLT1 de la 3e brigade. Ces derniers sont en train d’évaluer les dommages causés la veille autour du poste de commandement de la brigade situé au poste de police de Chimtal, à l’ouest de Mazâr-E Charif dans le nord de l’Afghanistan, par une tempête de sable dévastatrice. Pendant ce temps, à l’intérieur du centre opérationnel improvisé, le chef de l’OMLT et son état-major sont déjà au travail avec leurs homologues de l’Armée Nationale Afghane (ANA) pour préparer le briefing tactique à l’attention du général de brigade de l’ANA, Ghulam Farooq. L’élément allemand de cette équipe multinationale -de petite dimension, mais très motivée - est principalement composé d’officiers, de sous-officiers et de militaires du rang de l’état-major de la Brigade franco-allemande, basé à Müllheim, et du Jägerbataillon 2912, la seule unité opérationnelle allemande stationnée en France. La mission des militaires de l’OMLT consiste à être de véritables entraîneurs et tuteurs de leurs homologues afghans dans le travail quotidien, que ce soit en garnison ou sur le terrain. Selon les paroles mêmes du chef de l’OMLT : « Nous sommes ici pour aider le personnel de la 3e brigade de l’ANA dans leur travail, mais nous ne ferons pas le travail pour eux ! ». Outre la transmission de savoirs, l’OMLT peut, si nécessaire, fournir un soutien à la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS), comme l’évacuation de blessés (EVASAN3) ou l’appui feu hélicoptères (AFH). L’opération en cours, EBTEKAAR III, est une opération de nettoyage visant à sécuriser une zone auparavant contrôlée par les insurgés. L’état-major de la brigade de l’ANA étant en partie déployé en PC avant, l’OMLT fonctionne par rotation, une partie de l’équipe étant en effet sur le terrain, avec une relève tous les trois jours. Pour l’instant, les résultats de l’opération sont prometteurs. Dans les domaines tactiques, techniques et des procédures, l’ANA a bien progressé. L’OMLT de la 3e brigade travaillera toutefois encore davantage afin d’amener l’ANA au plus près de son objectif de fonctionnement indépendant, c’est-à-dire sans le soutien de la FIAS. Vivre et travailler aux côtés de l’ANA est un défi permanent, non seulement en raison de conditions de vie spartiates mais aussi du fait des différences culturelles. À cet égard, l’expérience de la Brigade francoallemande, le savoir-faire développé au quotidien pour comprendre une autre culture, une autre mentalité, une autre organisation et des structures et des méthodes employés dans un environnement binational sont probablement la meilleure préparation que l’on puisse imaginer pour une OMLT. L’interopérabilité est vraiment une façon de penser naturelle à la Brigade franco-allemande 1 OMLT : Operational Mentoring and Liaison Team, en français : Equipe de Liaison et de Tutorat Opérationnel (ELTO). 2 Jägerbataillon 291, en allemand dans le texte d’origine : bataillon d’infanterie et de reconnaissance. 3 EVASAN : évacuation sanitaire. NUMÉRO 46 • MAI 2012 8 Témoignages RETEX bi national Kosovo GATE 2 Lieutenant-colonel (FRA) Flavien GARRIGOU GRANDCHAMP, chef G2 de l’EM-BFA A vec la transition à Gate 2 et la réduction de la KFOR à deux MNBG1 en mars 2011, la BFA2 a été désignée pour armer pendant un an au sein du MNBGEast, sous commandement américain, les unités élémentaires française et allemande ainsi que quelques postes d’insérés et de liaison. Quel enseignement peut-on tirer de cette projection de deux unités, nationales certes mais issues de la même brigade et projetées simul-tanément dans un même environ-nement multinational ? La compétence interculturelle, c'est-à-dire la capacité à s’intégrer dans un milieu différent du sien et à s’y adapter, apparaît comme le principal atout des membres de la brigade. Le quotidien d’une opération multinationale consiste en effet le plus souvent en une adaptation permanente de ses méthodes et modes de pensée à ceux de « l’autre ». Pour les soldats de la BFA, cela relève d’une deuxième nature. Tous les exercices y sont en effet binationaux, avec la subordination permanente de sections étrangères (les seuls sapeurs ou artilleurs sont allemands, les seuls blindés français), y compris lors des rotations aux CENTAC3, CENZUB4 ou chez leurs homologues allemands. L’usage systématique de l’anglais comme outil tactique n’est donc pas une découverte, encore moins l’effort nécessaire pour s’assurer d’être compris de son interlocuteur. Plus important encore, faire preuve d’ouverture d’esprit y est naturel et évite l’écueil consistant à partir du présupposé que l’autre pense de la même manière ou utilise les mêmes méthodes. Cette différence d’approche se fit particulièrement sentir dans la collaboration avec les autres unités du MNBG, moins habituées à évoluer dans un contexte multinational. Chacune des unités a connu au cours de sa projection, une situation particulière mettant en exergue cette capacité d’adaptation. Fin février, la compagnie allemande a été confrontée simultanément à sa nouvelle subordination aux Américains et à son déménagement à Novo-Selo, camp géré par la France. Cette arrivée fut facilitée par la connaissance du mode de fonctionnement français, permettant une rapide intégration, favorisée par la présence de l’escadron français qui servit d’intermédiaire aux deux parties, évitant ainsi les incompréhensions. En août, la dégradation de la situation a justifié le déploiement du bataillon ORF5 germano-autrichien et l’escadron français lui a alors été subordonné. La connaissance du système allemand a contribué à l’excellente adaptation de l’unité à son nouvel environnement et à ses méthodes, mais aussi et surtout à l’intégration immédiate des deux sections allemandes qui ont en permanence renforcé l’escadron. Cette projection a donc mis en valeur la plus-value qu’apporte sa spécificité à la BFA. Le plus beau symbole en fut sans doute la complicité des deux détachements surprenant parfois les Américains 1 Multinational Battlegroup 2 Brigade franco-allemande 3 Centre d’entraînement tactique 4 Centre d’entraînement au combat en zone urbaine 5 Operational reserve force NUMÉRO 46 • MAI 2012 Témoignages 9 SEIZING BONNLAND ! Capitaine (FRA) Pierre-Alexandre MATRINGE, Commandant la 1ère Cie du 110è RI « Train as you fight ! » Il ne fait aucun doute que la meilleure façon de développer l’interopérabilité est l’entraînement en commun. Ce fût le fil conducteur de l’entraînement franco-allemand de ce printemps. Durant deux semaines, fin février, l’Infanterieschule de Hammelburg a fait profiter l’Ecole de l’Infanterie française de son excellent complexe d’entraînement en zone urbaine à Bonnland. Ce complexe, articulé autour du village de combat de Bonnland, s’appuie sur de nombreuses installations pédagogiques : une maison présentant les effets balistiques sur différents matériaux ; une autre fortifiée de façon école dans le cadre du combat urbain défensif ; un parcours d’audace aménagé sur un quartier et reprenant l’ensemble des incidents auxquels le soldat pourrait être confronté durant sa progression ; un hameau permettant le combat offensif puis défensif d’une section avec l’utilisation de «balplast» ; un parcours offensif niveau groupe dans un maison «écorchée». Quant au village de combat de Bonnland il est réaliste puisqu’il a été habité jusqu’en 1937 : il conserve les caractéristiques des centres-villes anciens, complété toutefois sur sa périphérie par quelques infrastructures plus modernes. Si les possibilités de travail se rapprochent du CENZUB1 , le village NUMÉRO 46 • MAI 2012 de Bonnland reste limité avec un choix de zones de travail réduit (pas de zone industrielle ni de zone résidentielle), peu étendu et construit en fond de thalweg. D’une part il offre peu d’espace de manœuvre au SGTIA2 ; d’autre part l’unité ne bénéficie d’aucun instructeur, donc aucune plus-value dans l’instruction. Le 110ème régiment d’infanterie a l’occasion de bénéficier tout les deux ans environ des capacités du complexe d’entraînement, dans le cadre d’une action de partenariat avec la division d’application de l’Ecole de l’Infanterie. En 2011, une soixantaine de lieutenants français a eu la possibilité de s’exercer au combat interarmes grâce aux appuis de la 1ère compagnie de combat du 110ème RI apportés par d’autres unités de la Brigade Franco-Allemande : un escadron du 3ème Régiment de Hussards et une section de sapeurs de la 550ème compagnie allemande de génie blindée. L’entraînement s’est déroulé sur une semaine. Les quatre premiers jours ont été consacrés à l’acquisition ou au travail des pré-requis. Les trois derniers jours ont été consacrés à un exercice de niveau GTIA3 autour et dans le village de Bonnland, organisé et conduit par l’état major de l’Infanterieschule. Ce dernier a assuré à la fois la direction de l’exercice ainsi que le rôle de poste de commandement GTIA. Les stagiaires de l’Ecole de l’Infanterie se sont vu confier à tour de rôle le commandement d’une section du 110ème régiment d’infanterie. Ils ont pu utiliser la totalité de leur armement de dotation et se sont trouvés confrontés aux difficultés majeures du combat en zone urbaine telles que la coordination des appuis, la logistique ou encore le maintien du rythme de la manœuvre. La disposition des lieux leur a permis de se retrouver face à un maximum de situations, encourageant l’initiative et la prise de décision. Enfin la bi-nationalité du SGTIA leur a également permis d’appréhender les contraintes et les avantages du travail avec une unité étrangère. La bi nationalité apporte la complémentarité. Complémentarité des moyens tels que les capacités des armements ou des équipements ; complémentarité des savoir-faire. 1 Centre d’entraînement au combat en zone urbaine. 2 Sous-groupement tactique interarmes. 3 Groupement tactique interarmes. 10 Témoignages Experience COM TF MeS III Cependant cette bi nationalité impose des contraintes à prendre en compte dès la phase préparatoire. En premier lieu, la différence d’équipement pose des problèmes en termes de transmissions. L’unité française doit travailler en fréquence fixe et non en EVF4. Cela implique : soit un camouflage de certaines données par différents moyens comme le SCDG5, soit un échange de DL6 . Le travail en anglais suppose une connaissance précise des termes de missions. Enfin les méthodes de combat ZUB et la conception des ordres diffèrent en bien des points. Les ordres ne sont pas élaborés de la même manière du côté français et allemand. Il est donc impératif avant la manœuvre de concevoir des mesures de coordination communes détaillées, de redéfinir des procédures opérationnelles au niveau de la compagnie et de procéder à des backbrief et à des rehearsal afin de palier toute incompréhension ou imprécision. Ces mesures de coordination sont le prix à payer pour que la bi nationalité se conjugue avec l’efficacité opérationnelle et à la BFA, c’est un état d’esprit bien rodé 4 Evasion de fréquences. 5 SCDG : Système Commun de Désignation Géographique. 6 Détachement de liaison. Lieutenant-colonel (DEU) Peter MIROW commandant le 292 Jägerbataillon T he implementation of the counterinsurgency (COIN) strategy led to the formation of two powerful combat units – Task Force Mazâre-Sharif (TF MeS) and Task Force Kunduz. The German Area of Operations (AOO) is the entire Regional Command North (RC-N). The composition of the two Task Forces (TF) ensures that they can cope with all the challenges they face: a headquarters and service company, two infantry companies, one engineer company, one reconnaissance company, one medical company, plus support forces from CIMIC, PsyOps, JFSCT, artillery and intelligence. Both TFs can operate autonomously throughout the RC-N AOR and are under direct command of COM RC-N. On 13 August 2011, the Commander of Light Infantry Battalion 292 of the French-German Brigade, LTC Peter Mirow (11eme promotion CID), assumed command of TF MeS. This TF is deployed in the Northern Afghan province of Baghlan, north of the provincial capital Pol-e Khumri, and in the battlespace owned by the Hungarian Provincial Reconstruction Team (PRT). This area is of particular operational importance since the main supply routes (LOC) run from the Northern Afghan border to the South via Mazar-e Sharif or Kunduz meet in Pol-e Khumri in the so-called “highway triangle”. From there they continue to Kabul via the Salang pass. The highway triangle is located in the center of the Area of Responsibility (AOR) of the TF, which covers an area of some 35 by 55 kilometers. The mission of the German forces is mainly determined by the COIN strategy. In the past, there had often been attacks by insurgents along the main LOCs at the highway triangle. Through partnering operations in 2010, ISAF and Afghan National Security Forces (ANSF) succeeded to seize the area after partly heavy combat. Since the beginning of 2011, the mission of the TF has now proceeded to the HOLD phase with the objective to transfer the responsibility for the area to ANSF. The complexity of the mission is particularly a result of the great number of actors on site. Apart from the TF, there are one kandak of the Afghan National Army (ANA), two kandaks of the Afghan National Civil Order Police (ANCOP), forces of the Afghan National Police (ANP) and Afghan Local Police (ALP) in the area. Each of these are partnered and mentored by U.S. and Hungarian forces. p. 12 NUMÉRO 46 • MAI 2012 Témoignages 11 Mon expérience de commandant du GTIA Mazâr-e Sharif (3e mandat) Lieutenant-colonel (DEU) Peter MIROW commandant le 292 Jägerbataillon L a mise en œuvre de la stratégie de contre- des routes est situé au centre de la zone de insurrection a conduit à la mise sur pied de responsabilité (ZR) du GTIA, qui représente une deux puissantes unités tactiques interarmes : étendue d’environ 35 km par 55 km. le GTIA1 Mazâr-e Sharif (TF MeS) et le GTIA Koundouz. La zone d’opérations allemande couvre la totalité du La Commandement Régional Nord (RC-N). Ces deux principalement déterminée par la stratégie de GTIA peuvent répondre à tous les défis grâce à leur contre-insurrection. Par le passé, des attaques composition : une compagnie de comman-dement et insurgées avaient souvent eu lieu le long des de services, deux compagnies d’infanterie, une principales lignes de communication dans le triangle compagnie du génie, un escadron de reconnaissance, des routes. Au cours d’opérations communes en 2010, une compagnie médicale ; à cela s’ajoutent des la FIAS et les Forces de Sécurité Nationales Afghanes détachements spécialisés dans les actions civilo- (ANSF) ont réussi à s’emparer de cette zone après militaires, les opérations psychologiques, mission des forces allemandes a été la des combats assez importants. Depuis le début de coordination et l’appui feu interarmées2, l’artillerie et l’année 2011, la mission du GTIA est passée en phase le renseignement. Les deux GTIA peuvent fonctionner d’attente dans le but de transférer la responsabilité de manière autonome dans l’ensemble de la zone de de la zone aux ANSF. responsabilité du Commandement Régional Nord et sont sous le commandement direct du général La complexité de la mission résulte notamment du commandant le RC-N. grand nombre d’acteurs sur zone. En dehors du GTIA, on y trouve un kandak de l’Armée Nationale Afghane Le 13 août 2011, le chef de corps du 292 bataillon (ANA), deux kandaks de la Police Nationale Afghane d’infanterie de la Brigade franco-allemande, le de Maintien de l’Ordre public (ANCOP5), des forces de lieutenant-colonel Peter Mirow (de la 11e promotion la Police Nationale Afghane (ANP) et de la Police du CID3), a pris le commandement du GTIA Mazâr-e- Afghane Locale (ALP6). Chacune de ces unités est Sharif. Ce GTIA est déployé au nord de l’Afghanistan, jumelée et encadrée par des forces américaines et dans la province afghane de Baghlan, au nord de la hongroises. e capitale provinciale de Pol-e Khumri, dans l’espace occupé par une équipe provinciale de reconstruction4 hongroise. Cette zone est d’une importance opérationnelle particulière puisque les itinéraires principaux de ravitaillement (les lignes de communication) partent de la frontière afghane au nord vers le sud, via Mazâr-e Sharif ou Koundouz, puis se croisent à Pol-e Khumri dans ce qu’on appelle le « triangle des routes». Ils continuent ensuite vers Kaboul en empruntant le col de Salang. Le triangle NUMÉRO 46 • MAI 2012 1 GTIA : Groupement tactique interarmes. 2 JFSCT (Joint Fire Support Coordination Team). 3 CID : collège interarmées de défense. 4 PRT (Provincial Reconstruction team). 5 ANCOP: Afghan National Civil Order Police. 6 ALP: Afghan Local Police. p. 12 12 Témoignages Depuis le printemps 2011, le nombre d’attaques insurgées a Since spring 2011, the number of attacks une nouvelle fois augmenté, surtout dans le nord de la zone by insurgents has increased again, especially d’opérations du GTIA. Les chefs de la FIAS et des ANSF ont in the northern AOO of the TF. ISAF and ANSF convenu qu’une opération de nettoyage était nécessaire commanders agreed that a clearing operation pour obliger les insurgés à quitter la zone et créer les was required to force the insurgents out conditions préalables à la montée en puissance de la police of this area and create the prerequisites for locale. the local police to build up. L’opération commune a dû être coordonnée avec les The joint operation had to be coordinated with commandants de l’ANA, de l’ANCOP, de l’ANP, des OMLT7, the commanders of ANA, ANCOP, ANP, OMLT, des ODA8 et des équipes provinciales de reconstruction, ODA and PRT but also with the provincial mais aussi avec le gouverneur de la province. governor. The level of involvement is given by the RC-N requirement that all ISAF operations Le niveau d’implication résulte de l’exigence du be ANSF planned, led and executed. Commandement Régional Nord qui stipule que toutes les The multiplicity of actors a serious challenge opérations de la FIAS doivent être planifiées, dirigées et including for operational security (OPSEC). exécutées par les ANSF. La multiplicité des acteurs est un véritable défi, y compris pour la sécurité des opérations. La Intercultural competence turns out to be more compétence interculturelle s’avère être plus importante important for the success of the planning pour le succès de la planification que les capacités tactico- process than the tactical-operational opérationnelles du chef militaire. C’est un processus très capabilities of the military leader. This is a very chronophage qui exige une grande souplesse d’esprit. Si time consuming process. It requires a great l’on prend au sérieux la conduite des opérations à l’afghane, flexibility in mind. If one takes the Afghan dans bien des cas les normes tactiques européennes ne conduct of operations seriously, European peuvent être appliquées. tactical standards often cannot be applied. En revanche, une grande réussite peut être attestée lorsque On the other hand, it is a big success to l’on observe le professionnalisme croissant des ANSF et la observe the growing professionalism of the façon dont les Afghans assument de plus en plus de ANSF and to see how the Afghans take over responsabilités quant à leur propre sécurité. La fierté more and more responsibility for their own clairement ressentie par les ANSF lors d’opérations security. The visible pride felt by ANSF during conduites avec succès par eux-mêmes, facilite le passage successful self led operations makes it easier au second plan des soldats allemands. Après tout, à for the German soldiers to step back in second compter de 2014, ce sera aux ANSF de se charger de la line. After all, from 2014 it will be for ANSF to sécurité en Afghanistan assume the responsibility of the Afghan security 7 OMLT : Operational Mentoring and Liaison Team, en français : Equipe de Liaison et de Tutorat Opérationnel (ELTO). 8 ODA : Operational Detachment-Alpha : équipe de 12 hommes dans les Forces Spéciales américaines. NUMÉRO 46 • MAI 2012 Témoignages 13 Une expérimentation tactique : la prise en compte des missions de reconnaissance-balisage par la cavalerie blindée Lieutenant-colonel (FRA) Rodolphe HARDY, chef du BOI 3e régiment de Hussards L es Afghanistan Au sein de la brigade franco-allemande, c’est l’escadron notamment, ont contribué à renforcer les capacités derniers engagements, en d’aide à l’engagement (EAE) du 3e régiment de hussards, de dialogue des troupes au sol avec l’aviation aux ordres du capitaine Wespisser, qui met en œuvre légère de l’armée de Terre (ALAT). Au-delà de la nécessité cette expérimentation tactique (EXTA). Un peloton de cet opérationnelle mise en lumière par ces engagements, la escadron, aux ordres de l’adjudant Rouaix, a déjà débuté transformation de l’armée de Terre pourrait être à les premières formations et les premiers exercices l’origine d’un nouveau renforcement de notre capacité à d’application. Cette EXTA s’articule en 3 phases : travailler en interarmes. 1. Une phase d’appropriation, déjà réalisée : après En effet, c’est indirectement la réorganisation de l’ALAT formation des cadres, l’ensemble du peloton a restitué qui a commandé à l’expérimentation depuis cet été du les savoir-faire acquis au cours d’un exercice transfert à la cavalerie blindée de la compétence de aéromobile. « reconnaissance-balisage » au profit des régiments d’hélicoptères de combat. 2. Une phase d’apprentissage : le peloton restituera ses savoir-faire, de jour et de nuit, au cours d’exercices Un temps détenue par le 1 régiment d’infanterie au sein de spécifiques (RB d’un plot en vue d’une évacuation ou la BAM1, cette compétence est ensuite revenue aux d’une extraction de ressortissants ou de blessés, RB pelotons de reconnaissance-balisage (PRB) des régiments d’un plot ravitaillement-munitions de l'avant et RB d’une de l’ALAT. Or, depuis l’été 2011, cette dernière perd plate-forme de ravitaillement hélicoptères). er progressivement les effectifs de ses PRB au profit des spécialités directement liées à la mise en œuvre des appareils, notamment les pilotes et les maintenanciers. 3. Un exercice synthèse de niveau escadron et sousgroupement aéromobile. C’est pourquoi l’EMAT a mandaté le CFT pour étudier le transfert des missions des PRB au profit des unités de cavalerie blindée. Les conclusions de l’EXTA seront rendues avant la fin du mois de juillet 2012. Un tel transfert représenterait une Conduite par la DEP2 de l’École de Cavalerie, cette capacité supplémentaire pour la cavalerie blindée, et expérimentation interarmes est mise en œuvre par le donc pour le régiment et la brigade franco-allemande. Ce 3e régiment de hussards, le 1er régiment de chasseurs et le transfert irait dans le sens d’une intégration plus 3 régiment d’hélicoptères de combat. Elle vise à la fois la importante de la dimension interarmes, qui ne serait plus e reconnaissance et la sécurisation d'une zone de poser pour restreinte aux évacuations ou aux appuis feu. Le cas l'accueil d'un élément aéromobile du volume d'un module échéant, cette nouvelle capacité pourrait rapidement être jusqu'à celui d'un sous-groupement aéromobile. Elle mise en œuvre en opérations comprend également la capacité à guider et parquer les aéronefs en sécurité. NUMÉRO 46 • MAI 2012 1 BAM : brigade aéromobile. 2 DEP : direction des études et de la prospective. 14 Réflexion La bi nationalité au service de l’Europe Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint L’ expérience vécue depuis vingt ans dans trois garnisons bi nationales de la brigade, permet d’établir un certain nombre de constats concernant aussi bien la montée en puissance globale, l’instruction, l’entraînement, les engagements opérationnels que la vie courante. Ces constats sur le vivre et le combattre ensemble peuvent sans aucun doute, servir de base à une réflexion plus large sur un modèle de coopération entre armées des États membres de l’Union Européenne. L’approfondissement de l’intégration binationale au sein de la brigade passe donc par l’étude et des décisions à moyen terme dans les domaines suivants : - harmonisation des réglementations et doctrines d’engagement opérationnel ; - établissement d’une politique de standardisation du matériel/de l’équipement, avec un effort initial sur les moyens de commandement et de soutien ; - harmonisation partielle des contenus de l'instruction ; - homogénéisation des règles administratives et juridiques encadrant la vie courante, les libertés publiques, les Les efforts vers l’intégration binationale et l’interopérabilité compensations aux sujétions. sont parfois bloqués par des principes de doctrine et des règlements nationaux qu’une décision militaire ne saurait contrecarrer, sans risquer la mise en cause pénale du Partant des droits nationaux, dégageant les similitudes soldat de la BFA et de ses chefs. Pour permettre et encadrer et identifiant les différences qui gênent le service l’action commune jusqu’au niveau compagnie voire commun, cette étude pourrait ébaucher la définition d’un section, la poursuite de l’harmonisation des normes est statut du soldat européen rapprochant les droits nécessaire. Ce besoin s’étend également aux domaines de nationaux. Sans obérer sa capacité opérationnelle, la l’équipement et de l’armement. Cela concerne en BFA peut contribuer à la recherche de solutions particulier de novatrices qui concrétiseraient l’ambition d’une défense les commandement systèmes handicapés et par européenne. Certes, l’objectif n’est pas de généraliser la systèmes multinationalité des armées européennes car l’obstacle nationaux. Cela concerne également l’interopérabilité des linguistique réduirait l’efficacité opérationnelle. Il faut pièces de rechange et des munitions, aujourd’hui faible. seulement que l’expérience de la BFA pour surmonter l’incompatibilité (SIC), d’information technique partielle encore de ces difficultés, profite à l’ensemble pour plus Pour rendre commune la formation initiale, la brigade se d’interopérabilité. heurte à des cycles d’incorporations et des programmes d’instruction nationaux différents. Les expériences menées avec succès dans ce domaine, démontrent à la fois l’intérêt Le développement de la politique de Défense dans le de l’intégration binationale, et les progrès qui restent à cadre de l’Union européenne et les relations franco- faire. allemandes en matière de Défense, seraient relancés par la mise en œuvre de l’ambitieux accord intergouvernemental L’instruction, l’entraînement et la vie courante, demeurent sur la brigade franco-allemande révisé en 2010, signé des des prérogatives nationales. Ainsi l’alimentation, le service deux ministres, et en cours de ratification par le intérieur, les relations hiérarchiques, les conditions de parlement. L’orientation donnée par ce traité soit gestion de l’expatriation des familles diffèrent. La l’approfondissement de règles communes en vue binationalité de la garde des quartiers illustre cet état de d’atteindre un haut degré d’interopérabilité entre les fait : elle n’est que de façade par juxtaposition mais sans unités allemandes et françaises, profiterait à l’Europe intégration. NUMÉRO 46 • MAI 2012 15 Tribune BI NATIONALITÉ ET DOCTRINE Colonel (FRA) Benoît ROUX, commandant le 110e RI E n octobre 2011, le 110e RI a Enfin, une brigade ne doit pas être un Plus largement, le cadre d’emploi de armé un GTIA1 à deux S/GTIA2 laboratoire doctrinal. Rien ne pré- l’OTAN suffit à lui seul pour œuvrer binationaux dans le cadre d’u- dispose un état-major et les forma- ensemble. Cette réalité était déjà ne rotation au centre français d’en- tions à un tel travail. Les armées vraie avant la décision de réinvestir traînement au combat en zone respectives y consentent des efforts les structures du commandement urbaine (CENZUB). Cette période suffisants qu’il serait inouï de vouloir intégré et illustré lors des engage- d’entrainement privilégiée permet de dupliquer avec les maigres moyens ments communs dans les Balkans par revenir sur une des spécificités de la d’une brigade fusse-t-elle binationale. exemple. Cette réalité l’est aujourd’hui brigade franco-allemande, la cohabi- davantage. tation de deux doctrines au sein La bi nationalité ne se nourrit que d’une même unité. d’un épanouissement doctrinal natio- Alors, dans ce contexte, la BFA offre nal de chaque partie. l’opportunité de dépasser l’altérité A l’échelle du bataillon, il n’est pas binationale, de donner corps à l’intero- nécessaire d’avoir une doctrine bina- Il faut d’abord relever que les doctrines pérabilité dans l’emploi des forces tionale, au contraire, elle serait source françaises et allemandes partagent même si elle dispose encore d’une de confusion et de malentendus. Le des traits communs qu’il n’est pas marge de progrès pour mutualiser le meilleur socle tactique que l’on peut besoin de redéfinir : l’intégration inter- soutien. Tels sont les objectifs recher- offrir à une unité binationale est une armes au plus bas niveau, la nécessité chés dans les entraînements conduits parfaite connaissance pour chaque de la réserve, l’utilisation des appuis et en commun dans les centres d’entraî- partie de sa doctrine nationale. bien d’autres encore. nement des deux nations un jour l’apparition d’une doctrine On constate que l’entraînement, le Il s’agit donc au sein de la BFA non franco-allemande. recrutement, l’équipement de nos pas d’élaborer une doctrine propre Il est illusoire et accessoire d’imaginer unités restent des préoccupations mais plutôt d’apprendre à connaître En premier lieu, le temps doctrinal est nationales. Tout donc milite pour que celle de l’autre, ce qui exige ouver- long et nécessite une appropriation, les unités s’instruisent et s’entraînent ture d’esprit, volonté d’aller vers elle aussi, longue et ardue. Dans le dans le cadre de leur doctrine avant l’autre et intelligence de situation. cadre binational, le temps doctrinal d’évoluer dans un cadre binational. Cela se travaille au quotidien. C’est la serait au mieux multiplié par deux et Une fois cette connaissance assise, spécificité de cette brigade interar- donc mettrait les forces dans une posi- l’intégration d’un autre système mes binationale tion de permanente obsolescence. devient possible. De plus une doctrine binationale ne Enfin, la maîtrise de sa doctrine natio- viendrait que se superposer aux fon- nale, au lieu d’enfermer le tacticien dements doctrinaux nationaux au dans des schémas reproduisibles, risque de nécessiter un cursus de for- entraîne au contraire la réflexion et la mation supplémentaire et spécifique juste perception des plus value pour les cadres servant dans la briga- apportées par l’autre ce qui in fine de franco-allemande. enrichit son expérience. NUMÉRO 46 • MAI 2012 1 Groupement tactique interarmes 2 Sous-groupement tactique interarmes 16 nouvelles parutions NUMÉRO 46 • MAI 2012