la brigade franco-allemande

Transcription

la brigade franco-allemande
MAI 2012
46
ÉDITORIAL
LETTRE TRIMESTRIELLE D’INFORMATION ET D’ÉCHANGE
DE LA COMMUNAUTÉ DOCTRINALE TERRESTRE
La BFA : laboratoire
de l’interopérabilité depuis 20 ans
L’
une des priorités que le CEMAT a
fixées pour les années à venir est
l’amélioration de l’intéropérabilité
avec nos alliés. La nécessité d’inscrire l’action
de l’armée de Terre dans un contexte
multinational afin d’en assurer la légitimité
n’est pas nouvelle. Ce qui est plus d’actualité
en revanche est la recherche systématique
d’élimination des doublons d’un contingent à
l’autre, qui conduit les forces nationales à ne
plus être simplement juxtaposées, mais
réellement imbriquées, afin de «partager le
fardeau».
Cette imbrication impose que les forces
soient «interopérables». L’interopérabilité va
au-delà d’un simple enjeu technique de
branchement de systèmes d’information ou
de dimensions de munitions, ou encore du
seul apprentissage linguistique : il s’agit de
rendre les unités et combattants aptes à
travailler ensemble, selon un même
référentiel, entre autres doctrinal. Les
mêmes mots doivent recouvrir très
exactement les mêmes notions.

La France, suite au traité de Lancaster
House, prépare la mise en œuvre d’une
force expéditionnaire conjointe francobritannique, au sein de laquelle l’interopérabilité consistera à faire travailler en
commun des entités nationales de niveau
régiment ou brigade. Il est donc particulièrement intéressant de se pencher dans
cette livraison d’ «Héraclès» sur l’expérience
de la Brigade Franco-Allemande, qui depuis
20 ans décline l’interopérabilité jusqu’au
niveau de la section.
Vous découvrirez au fil des articles comment
la BFA, véritable laboratoire de l’interopérabilité, a surmonté les défis liés à sa
binationalité. Au-delà du symbole politique
fort qu’elle représente, cette grande unité
très opérationnelle est aujourd’hui avec ses
formations projetée en opérations.
Le général de Division Olivier TRAMOND,
commandant le Centre de doctrine
d’emploi des forces
Dans ce 46ème numéro d’Héraclès,
la plume est donnée à la Brigade Franco-Allemande

2
Sommaire
Introduction
3
Au vent de l’histoire franco-allemande
Général (DEU) Gert-Johannes HAGEMANN, commandant la BFA - Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint
Carte d’identité de la brigade franco-allemande
4
« un devoir d’excellence » - « dem Besten verpflichtet »
Actualités
5
La BFA, outil de prospective européenne
Colonel (FRA) Jean LEROUX, Chef G3 de l’EM-BFA
6/7
ISAF / FIAS
Colonel (DEU) Horst BUSCH, Chef d’état-major de la BFA
Témoignages
8
RETEX bi national Kosovo GATE 2
Lieutenant-colonel (FRA) Flavien GARRIGOU GRANDCHAMP, Chef G2 de l’EM-BFA
9
SEIZING BONNLAND !
Capitaine (FRA) Pierre-Alexandre MATRINGE, commandant la 1ère Cie du 110è RI
10/12
13
Experience COM TF MeS III/Mon expérience de commandant du GTIA Mazâr-e Sharif (3e mandat)
Lieutenant-colonel (DEU) Peter MIROW, commandant le 292 Jägerbataillon
Une expérimentation tactique :
la prise en compte des missions de reconnaissance-balisage par la cavalerie blindée
Lieutenant-colonel (FRA) Rodolphe HARDY, chef du BOI 3e régiment de Hussards
Réflexion
14
La bi nationalité au service de l’Europe
Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint
Tribune
15
Bi nationalité et doctrine
Colonel (FRA) Benoît ROUX, commandant le 110è RI
Directeur de la publication : Colonel (R) Georges Michel - Rédacteur en chef : Capitaine Gwenaëlle Denonin
Diffusion, relations avec les abonnés : Major Claudine Vacquier - Mise en page : Christine Villey - Graphisme de la maquette : Nanci Fauquet
Impression : Imprimerie BIALEC - 95 Boulevard d’Austrasie - BP 10423 - 54001 Nancy cedex
Héraclès en ligne : WWW.CDEF.TERRE.DEFENSE.GOUV.FR
Adresse du CDEF : 1 PLACE JOFFRE - CASE 53 - 75700 PARIS SP 07
NUMÉRO 46 • MAI 2012
Introduction
3
Au vent
de l’histoire franco-allemande
Général (DEU) Gert-Johannes HAGEMANN, commandant la BFA
Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint
L’
histoire des forces françaises stationnées en
Allemagne s’écrivait, jusqu’en 2009, sur une
page ouverte à la fin du second conflit
mondial, en évolution du statut initial d’occupation.
C’est sur cette page de garde que s’est inscrite la
date du 2 octobre 1989 avec la décision de création
de la brigade, relance franco-allemande de la
politique «des petits pas» des pères fondateurs de
l’Europe, après l’échec de la communauté
européenne de défense en 1954. Sur cette même
page est décrite sa montée en puissance et son
engagement opérationnel groupé d’abord en exYougoslavie (1997) puis en Afghanistan (2004),
faisant d’elle au fil du temps une grande unité aux
capacités opérationnelles reconnues internationalement.
L’année du vingtième anniversaire, 2009, aura été
celle de toutes les craintes avant d’être celle de tous
les espoirs. Craintes de voir la brigade vidée de sa
substance par les réformes en cours en France. La
rationalisation des stationnements et des organisations, provoquaient un début de déséquilibre
entre les contributions françaises et allemandes
en matière d’effectifs et de capacités. Année de
tous les espoirs finalement avec la claire relance
politique initiée par le président de la République
et la Chancelière, concrétisée par les décisions
de ne pas dissoudre mais de transférer le
3ème Hussards, de créer et installer en France le
Jägerbataillon 291 (infanterie) et de maintenir en
Allemagne le 110ème RI. Cette relance marque un
tournant stratégique et donne un nouvel élan à la
BFA en ouvrant une nouvelle page de l’histoire
NUMÉRO 46 • MAI 2012
franco-allemande. En effet, avec l’installation d’une
unité de combat allemande en France, le
stationnement devient non seulement équilibré de
part et d’autre du Rhin mais aussi il n’est plus un
reste d’occupation. Il ne s’agit plus d’associer
l’Allemagne à la défense de l’Europe selon la
formule de l’OTAN keep the US in, the Russians out
and the Germans down. Il s’agit au contraire pour
deux pays membre à part entière de l’OTAN et l’UE,
de renforcer la grande unité binationale qui
manifeste des intérêts de défense communs.
Forte de près de 6 000 hommes, rééquilibrée sur
deux garnisons en France, Metz et Strasbourg, et
sur trois en Allemagne, Müllheim, Donaueschingen
et prochainement Stetten, dotée de capacités
opérationnelles hors du commun, notamment en
termes de reconnaissance, d’acquisition et de frappe
dans la profondeur, la brigade franco-allemande
prend un nouveau départ. Les réformes de la
Bundeswehr désormais entérinées apporteront
après les réformes françaises, leur lot de
contraintes mais la professionnalisation du
recrutement des militaires du rang allemands fait
disparaître un clivage entre unités françaises et
allemandes au sein de la brigade.
Fondé sur un accord intergouvernemental actualisé,
sur une expérience éprouvée, l’outil opérationnel
franco-allemand souhaité en 1989 est donc plus que
jamais disponible pour un engagement sur décision
politique des deux nations, dans le cadre de l’Union
Européenne ou de l’OTAN
4
Carte d’identité de la brigade franco-allemande
« un devoir d’excellence » - « dem Besten verpflichtet »
Effectifs de la brigade franco-allemande
(hors personnels civils) :
FRA : 2149 - DEU : 2854 - Total : 5003
ENGAGEMENT OPERATIONNEL
Engagements communs BFA
SFOR / Bosnie en 1996-1998
ISAF / Afghanistan en 2004-2005
KMNB / Kosovo en 2004-2005
Participation à des engagements multinationaux
Balkans : IFOR, SFOR, KFOR
Afghanistan : ISAF
Liban : UNIFIL, DAMAN
Engagements français
Opérations théâtres africains : Epervier, Licorne, Boali
Engagements sur territoires nationaux
Sécurité : Vigipirate en France. Assistance : Naufrage ERIKA
en France (aide au nettoyage) en 2000, Inondation de l’Elbe
(aide à la population) en 2002 et Tempête LOTHAR (aide à la
population) en 2000 en Allemagne.
Au cœur de l’Europe, de part et d’autre du Rhin.
Unités françaises, allemandes ou mixtes actuellement
stationnés sur le territoire allemand et français :
• Müllheim : état-major et bataillon de commandement et de
soutien, les deux entités mixtes de la brigade.
• Donaueschingen : 110° régiment d’infanterie et
Jägerbataillon 292.
• Aujourd’hui Immendingen, demain Stetten am kalten
Markt, suite au nouveau plan de stationnement de la
Bundeswehr : Artilleriebataillon 295 et Panzerpionierkompanie 550.
• Illkirch-Graffenstaden : Jägerbataillon 291.
• Metz : 3° régiment de Hussards.
HISTORIQUE
1987 Décision de créer une grande unité mixte francoallemande par le président François Mitterrand et le
chancelier Helmut Kohl.
1989 Création officielle à Böblingen.
1992 Transfert de l’état-major de la brigade à Müllheim.
1993 La brigade est placée sous commandement opérationnel du Corps européen.
1995 Première expérience commune dans la jungle
guyanaise.
1997 Formation commune en jungle gabonaise.
1997 Participation à l’exercice « Concordia » avec la
Pologne.
2004 Signature de la vision commune pour la brigade
franco-allemande par les Chefs d’état-major français
et allemand des deux armées à Kaboul.
2006 Exercice OTAN «STEADFAST JAGUAR» au Cap Vert.
2006 Phase d’alerte NRF 7, pendant laquelle la brigade
constitue le cœur de l’ensemble des troupes susceptibles d’être engagées sur ordre de l’OTAN.
2008 Phase d’alerte dans la constitution d’un groupe de
combat au service de l’Union européenne (EUBG/II).
2010 Phase d’alerte NRF 15, pendant laquelle la brigade
constitue le cœur de l’ensemble des troupes
susceptibles d’être engagées sur ordre de l’OTAN.
NUMÉRO 46 • MAI 2012
Actualités
5
La BFA, outil de prospective européenne
Colonel (FRA) Jean LEROUX, Chef G3 de l’EM-BFA
M
esurée à l’aune de ses engagements
opérationnels aux côtés des autres brigades
interarmes françaises ou allemandes sur tous les
théâtres et de sa préparation opérationnelle, la BFA
pourrait être considérée comme une brigade
interarmes «comme les autres» avec, de surcroît,
son caractère binational qui, comme Janus, présente
une face disgracieuse, celle d’un besoin accru de
coordination, mais aussi un visage favorable, celui
d’un message politique fort affichant une volonté de
défense commune, celui de la valeur ajoutée par la
mutualisation des capacités et une interopérabilité à
l’état natif au sein de la brigade.
L’accord intergouvernemental et certaines annonces
politiques, présentent la BFA comme l’un des outilsclés de la relation franco-allemande, mais aussi d’une
vision européenne de la sécurité et de la défense.
C’est sous cet angle que la brigade a été parfois
décrite comme un «laboratoire». L’appellation est
réductrice, et inappropriée au moins depuis 1997, date
de son premier engagement opérationnel binational
et groupé.
Néanmoins, la brigade offre à l’évidence le caractère
d’un banc d’essai possible pour, si ce n’est une «armée
européenne» dont la justification reste à trouver, du
moins une interopérabilité concrète, aux bas niveaux,
qui ne se limite pas à l’APP61 et aux STANAG2 mais qui
crée une aptitude à déployer sans délai des unités et
des cellules organiques élémentaires de nations
différentes au sein d’opérations multinationales où les
enjeux (enfonçons les portes ouvertes) ne résident pas
uniquement dans la combinaison des feux et des
mouvements, mais également dans les opérations
d’influence, la perception, le redémarrage économique,
le mentoring, la protection de la force, les aspects
juridiques, une logistique dynamique, l’interconnexion
et la fluidité des systèmes d’information, la maîtrise de
plusieurs langues dont l’anglaise, etc.
Un des slogans qui a fait florès à la fin des années 90
était celui de la modularité. Nous y sommes encore
NUMÉRO 46 • MAI 2012
faute d’alternative. On bâtit une force ad hoc pour ne
pas dire composite ou patchwork, dans une logique
légitime de «stricte suffisance» avec le recours à des
« réservoirs » ou force provider. Et comme nous
connaissons notre métier, nous la forgeons au creux
d’une solide MCP, pour lui donner sa cohésion et sa
cohérence opérationnelle.
Il n’a échappé à personne que les armées occidentales
réduisent leur format au point maintenant d’envisager
des renoncements capacitaires. Qu’ils soient réalisés
sous l’égide de telle ou telle organisation inter- ou
supranationale, il y a fort à parier que les engagements opérationnels de demain seront, plus encore
qu’aujourd’hui, marqués par le principe de modularité
appliqué aux nations participantes, à la recherche de
gains d’effectifs et néanmoins d’efficacité par
mutualisation des capacités.
C’est là que réside tout le potentiel novateur de la BFA.
En la projetant, France et Allemagne ont un «effet
brigade interarmes» en ne «payant» que pour une
demi brigade. En la projetant de manière cohérente et
groupée la France s’épargne d’engager : du génie, de
l’artillerie et des drones du contact. De son côté
l’Allemagne s’épargne d’engager un bataillon de Panzer
et une section de Feldjäger. Mais l’effet commun global
est bien celui d’une brigade complète, robuste,
entraînée de longue date, anglophone, disposant des
toutes les capacités attendues d’une BIA.
De ce point de vue, la BFA, outil militaire et politique,
avec vingt années d’expérience, est une matrice
d’efficacité opérationnelle mais aussi d’efficience
fondée sur la mutualisation des capacités et des
moyens. C’est sans doute un modèle éprouvé qui peut
faire des émules dans l’avenir
1 APP: Allied Procedural Publication. L’APP6 définit les marques
cartographiques représentant les systèmes terrestres.
2 STANAG : standardization agreement, en français accord de
normalisation.
6
Actualités
ISAF
Colonel (DEU) Horst BUSCH,
Chef d’état-major de la BFA
I
n the early morning sun a lone ISAF sentry is watching as the soldiers of OMLT1 3rd brigade survey
the damage caused by last nights devastating sandstorm around the brigade command post in Chimtal
Police station, west of Mazar-E.Sharif in northern Afghanistan. Meanwhile inside the improvised
Tactical Operations Center (TOC), the Senior Mentor and his OMLT Staff are already working with their
Afghan Nation Army (ANA) counterparts to prepare the briefing on the tactical situation for ANA
Brigadier General Ghulam Farooq.
The German component of the small but highly motivated multinational team is mostly composed of officers,
NCO´s and soldiers from the French-German Brigade staff at Müllheim and Jägerbataillon 291 the only
german combat unit stationed in France.
The OMLT´s task is to coach and mentor their afghan counterparts in their daily work, be it in garnison or in
the field. In the words of the senior mentor: “We are here to support the ANA 3rd brigade staff while they are
doing their work, we will not do the work for them”! In addition to the knowledge transfer, the OMLT can
provide support to the International Security Assistance Force (ISAF) if needed, such as the evacuation of
wounded (MEDEVAC) and close combat attack (CCA) by rotary wing assets. The ongoing operation EBTEKAAR
III is a clearing operation meant to secure an area previously controlled by insurgents. With the ANA brigade
staff partially deployed to a forward command post, this means that the OMLT operates in a rotating pattern,
one part of the mentors being out in the field, being relieved after three days.
The results of the operation are promising so far. In tactics, techniques and procedures ANA has made good
progress and OMLT 3rd brigade will further contribute to bringing the ANA closer to being capable of
operating independently, without ISAF support.
Living and working with the ANA is a constant challenge, not only due to the spartanic living conditions but
also because of cultural differences. In this regard, the experience of the German-French brigade, the daily
developed skill to understand a different culture, mentality, organisation, structure and methods in a
binational environment are probably the best preparation you can think of, for an OMLT. Interoperability is
indeed a native mindset in the German-French brigade
1 Operational mento and liaison team.
NUMÉRO 46 • MAI 2012
Actualités
7
FIAS
Colonel (DEU) Horst BUSCH,
Chef d’état-major de la BFA
S
ous le soleil matinal, une sentinelle solitaire de la FIAS observe les militaires de l’OMLT1 de la
3e brigade. Ces derniers sont en train d’évaluer les dommages causés la veille autour du poste de
commandement de la brigade situé au poste de police de Chimtal, à l’ouest de Mazâr-E Charif dans le
nord de l’Afghanistan, par une tempête de sable dévastatrice. Pendant ce temps, à l’intérieur du
centre opérationnel improvisé, le chef de l’OMLT et son état-major sont déjà au travail avec leurs
homologues de l’Armée Nationale Afghane (ANA) pour préparer le briefing tactique à l’attention du
général de brigade de l’ANA, Ghulam Farooq.
L’élément allemand de cette équipe multinationale -de petite dimension, mais très motivée - est principalement
composé d’officiers, de sous-officiers et de militaires du rang de l’état-major de la Brigade franco-allemande,
basé à Müllheim, et du Jägerbataillon 2912, la seule unité opérationnelle allemande stationnée en France.
La mission des militaires de l’OMLT consiste à être de véritables entraîneurs et tuteurs de leurs homologues
afghans dans le travail quotidien, que ce soit en garnison ou sur le terrain. Selon les paroles mêmes du chef de
l’OMLT : « Nous sommes ici pour aider le personnel de la 3e brigade de l’ANA dans leur travail, mais nous ne
ferons pas le travail pour eux ! ». Outre la transmission de savoirs, l’OMLT peut, si nécessaire, fournir un soutien
à la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS), comme l’évacuation de blessés (EVASAN3) ou l’appui
feu hélicoptères (AFH). L’opération en cours, EBTEKAAR III, est une opération de nettoyage visant à sécuriser une
zone auparavant contrôlée par les insurgés. L’état-major de la brigade de l’ANA étant en partie déployé en PC
avant, l’OMLT fonctionne par rotation, une partie de l’équipe étant en effet sur le terrain, avec une relève tous les
trois jours.
Pour l’instant, les résultats de l’opération sont prometteurs. Dans les domaines tactiques, techniques et des
procédures, l’ANA a bien progressé. L’OMLT de la 3e brigade travaillera toutefois encore davantage afin d’amener
l’ANA au plus près de son objectif de fonctionnement indépendant, c’est-à-dire sans le soutien de la FIAS.
Vivre et travailler aux côtés de l’ANA est un défi permanent, non seulement en raison de conditions de vie
spartiates mais aussi du fait des différences culturelles. À cet égard, l’expérience de la Brigade francoallemande, le savoir-faire développé au quotidien pour comprendre une autre culture, une autre mentalité, une
autre organisation et des structures et des méthodes employés dans un environnement binational sont
probablement la meilleure préparation que l’on puisse imaginer pour une OMLT. L’interopérabilité est vraiment
une façon de penser naturelle à la Brigade franco-allemande
1 OMLT : Operational Mentoring and Liaison Team, en français : Equipe de Liaison et de Tutorat Opérationnel (ELTO).
2 Jägerbataillon 291, en allemand dans le texte d’origine : bataillon d’infanterie et de reconnaissance.
3 EVASAN : évacuation sanitaire.
NUMÉRO 46 • MAI 2012
8
Témoignages
RETEX bi national Kosovo GATE 2
Lieutenant-colonel (FRA) Flavien GARRIGOU GRANDCHAMP,
chef G2 de l’EM-BFA
A
vec la transition à Gate 2 et
la réduction de la KFOR à
deux MNBG1 en mars 2011,
la BFA2 a été désignée pour armer
pendant un an au sein du MNBGEast, sous commandement américain, les unités élémentaires
française et allemande ainsi que
quelques postes d’insérés et de
liaison. Quel enseignement peut-on
tirer de cette projection de deux
unités, nationales certes mais issues
de la même brigade et projetées
simul-tanément dans un même
environ-nement multinational ?
La compétence interculturelle,
c'est-à-dire la capacité à s’intégrer
dans un milieu différent du sien et à
s’y adapter, apparaît comme le
principal atout des membres de la
brigade. Le quotidien d’une
opération multinationale consiste
en effet le plus souvent en une
adaptation permanente de ses
méthodes et modes de pensée à
ceux de « l’autre ». Pour les soldats
de la BFA, cela relève d’une
deuxième nature. Tous les exercices
y sont en effet binationaux, avec
la subordination permanente de
sections étrangères (les seuls
sapeurs ou artilleurs sont
allemands, les seuls blindés
français), y compris lors des
rotations aux CENTAC3, CENZUB4 ou
chez leurs homologues allemands.
L’usage systématique de l’anglais
comme outil tactique n’est donc
pas une découverte, encore moins
l’effort nécessaire pour s’assurer
d’être compris de son interlocuteur.
Plus important encore, faire preuve
d’ouverture d’esprit y est naturel et
évite l’écueil consistant à partir
du présupposé que l’autre pense
de la même manière ou utilise les
mêmes méthodes. Cette différence
d’approche se fit particulièrement
sentir dans la collaboration avec
les autres unités du MNBG, moins
habituées à évoluer dans un
contexte multinational.
Chacune des unités a connu au
cours de sa projection, une situation
particulière mettant en exergue
cette capacité d’adaptation. Fin
février, la compagnie allemande
a été confrontée simultanément à
sa nouvelle subordination aux
Américains et à son déménagement
à Novo-Selo, camp géré par la
France. Cette arrivée fut facilitée
par la connaissance du mode de
fonctionnement français, permettant une rapide intégration, favorisée par la présence de l’escadron
français qui servit d’intermédiaire
aux deux parties, évitant ainsi les
incompréhensions. En août, la
dégradation de la situation a
justifié le déploiement du bataillon
ORF5 germano-autrichien et l’escadron français lui a alors été
subordonné. La connaissance du
système allemand a contribué à
l’excellente adaptation de l’unité à
son nouvel environnement et à ses
méthodes, mais aussi et surtout à
l’intégration immédiate des deux
sections allemandes qui ont en
permanence renforcé l’escadron.
Cette projection a donc mis en
valeur la plus-value qu’apporte sa
spécificité à la BFA. Le plus beau
symbole en fut sans doute la
complicité des deux détachements
surprenant parfois les Américains
1 Multinational Battlegroup
2 Brigade franco-allemande
3 Centre d’entraînement tactique
4 Centre d’entraînement au combat en zone urbaine
5 Operational reserve force
NUMÉRO 46 • MAI 2012
Témoignages
9
SEIZING BONNLAND !
Capitaine (FRA) Pierre-Alexandre MATRINGE,
Commandant la 1ère Cie du 110è RI
« Train as you fight ! » Il ne fait
aucun doute que la meilleure façon
de développer l’interopérabilité est
l’entraînement en commun. Ce fût le
fil conducteur de l’entraînement
franco-allemand de ce printemps.
Durant deux semaines, fin février,
l’Infanterieschule de Hammelburg a
fait profiter l’Ecole de l’Infanterie
française de son excellent complexe
d’entraînement en zone urbaine à
Bonnland.
Ce complexe, articulé autour du
village de combat de Bonnland,
s’appuie sur de nombreuses installations pédagogiques : une maison
présentant les effets balistiques sur
différents matériaux ; une autre
fortifiée de façon école dans le cadre
du combat urbain défensif ; un
parcours d’audace aménagé sur un
quartier et reprenant l’ensemble des
incidents auxquels le soldat pourrait
être confronté durant sa progression ;
un hameau permettant le combat
offensif puis défensif d’une section
avec l’utilisation de «balplast» ; un
parcours offensif niveau groupe dans
un maison «écorchée». Quant au
village de combat de Bonnland il est
réaliste puisqu’il a été habité
jusqu’en 1937 : il conserve les
caractéristiques des centres-villes
anciens, complété toutefois sur sa
périphérie par quelques infrastructures plus modernes.
Si les possibilités de travail se
rapprochent du CENZUB1 , le village
NUMÉRO 46 • MAI 2012
de Bonnland reste limité avec un
choix de zones de travail réduit (pas
de zone industrielle ni de zone
résidentielle), peu étendu et
construit en fond de thalweg. D’une
part il offre peu d’espace de
manœuvre au SGTIA2 ; d’autre part
l’unité ne bénéficie d’aucun instructeur, donc aucune plus-value
dans l’instruction.
Le 110ème régiment d’infanterie a
l’occasion de bénéficier tout les
deux ans environ des capacités du
complexe d’entraînement, dans le
cadre d’une action de partenariat
avec la division d’application de
l’Ecole de l’Infanterie.
En 2011, une soixantaine de
lieutenants français a eu la possibilité de s’exercer au combat
interarmes grâce aux appuis de la
1ère compagnie de combat du 110ème RI
apportés par d’autres unités de la
Brigade Franco-Allemande : un
escadron du 3ème Régiment de
Hussards et une section de sapeurs
de la 550ème compagnie allemande de
génie blindée.
L’entraînement s’est déroulé sur une
semaine. Les quatre premiers jours
ont été consacrés à l’acquisition ou
au travail des pré-requis. Les trois
derniers jours ont été consacrés à un
exercice de niveau GTIA3 autour et
dans le village de Bonnland,
organisé et conduit par l’état major
de l’Infanterieschule. Ce dernier a
assuré à la fois la direction de
l’exercice ainsi que le rôle de poste
de commandement GTIA.
Les stagiaires de l’Ecole de
l’Infanterie se sont vu confier à tour
de rôle le commandement d’une
section du 110ème régiment d’infanterie. Ils ont pu utiliser la totalité de
leur armement de dotation et se sont
trouvés confrontés aux difficultés
majeures du combat en zone urbaine
telles que la coordination des
appuis, la logistique ou encore le
maintien du rythme de la manœuvre.
La disposition des lieux leur a permis
de se retrouver face à un maximum
de situations, encourageant l’initiative et la prise de décision. Enfin la
bi-nationalité du SGTIA leur a
également permis d’appréhender
les contraintes et les avantages du
travail avec une unité étrangère.
La bi nationalité apporte la complémentarité. Complémentarité des
moyens tels que les capacités des
armements ou des équipements ;
complémentarité des savoir-faire.

1 Centre d’entraînement au combat en zone urbaine.
2 Sous-groupement tactique interarmes.
3 Groupement tactique interarmes.
10
Témoignages
Experience COM TF MeS III

Cependant cette bi nationalité
impose des contraintes à prendre en
compte dès la phase préparatoire. En
premier lieu, la différence d’équipement pose des problèmes en termes
de transmissions. L’unité française
doit travailler en fréquence fixe et
non en EVF4. Cela implique : soit un
camouflage de certaines données
par différents moyens comme le
SCDG5, soit un échange de DL6 . Le
travail en anglais suppose une
connaissance précise des termes de
missions. Enfin les méthodes de
combat ZUB et la conception des
ordres diffèrent en bien des points.
Les ordres ne sont pas élaborés de la
même manière du côté français et
allemand. Il est donc impératif
avant la manœuvre de concevoir
des mesures de coordination
communes détaillées, de redéfinir
des procédures opérationnelles au
niveau de la compagnie et de
procéder à des backbrief et à des
rehearsal afin de palier toute incompréhension ou imprécision.
Ces mesures de coordination sont le
prix à payer pour que la bi nationalité
se conjugue avec l’efficacité opérationnelle et à la BFA, c’est un état
d’esprit bien rodé
4 Evasion de fréquences.
5 SCDG : Système Commun de Désignation
Géographique.
6 Détachement de liaison.
Lieutenant-colonel (DEU) Peter MIROW
commandant le 292 Jägerbataillon
T
he implementation of the counterinsurgency (COIN) strategy led
to the formation of two powerful combat units – Task Force Mazâre-Sharif (TF MeS) and Task Force Kunduz. The German Area
of Operations (AOO) is the entire Regional Command North (RC-N).
The composition of the two Task Forces (TF) ensures that they can cope
with all the challenges they face: a headquarters and service company, two
infantry companies, one engineer company, one reconnaissance company,
one medical company, plus support forces from CIMIC, PsyOps, JFSCT,
artillery and intelligence. Both TFs can operate autonomously throughout
the RC-N AOR and are under direct command of COM RC-N.
On 13 August 2011, the Commander of Light Infantry Battalion 292 of
the French-German Brigade, LTC Peter Mirow (11eme promotion CID),
assumed command of TF MeS. This TF is deployed in the Northern Afghan
province of Baghlan, north of the provincial capital Pol-e Khumri, and in
the battlespace owned by the Hungarian Provincial Reconstruction Team
(PRT). This area is of particular operational importance since the main
supply routes (LOC) run from the Northern Afghan border to the South via
Mazar-e Sharif or Kunduz meet in Pol-e Khumri in the so-called “highway
triangle”. From there they continue to Kabul via the Salang pass.
The highway triangle is located in the center of the Area of Responsibility
(AOR) of the TF, which covers an area of some 35 by 55 kilometers.
The mission of the German forces is mainly determined by the COIN
strategy. In the past, there had often been attacks by insurgents along
the main LOCs at the highway triangle. Through partnering operations in
2010, ISAF and Afghan National Security Forces (ANSF) succeeded to seize
the area after partly heavy combat. Since the beginning of 2011, the mission
of the TF has now proceeded to the HOLD phase with the objective to
transfer the responsibility for the area to ANSF.
The complexity of the mission is particularly a result of the great number
of actors on site. Apart from the TF, there are one kandak of the Afghan
National Army (ANA), two kandaks of the Afghan National Civil Order Police
(ANCOP), forces of the Afghan National Police (ANP) and Afghan Local
Police (ALP) in the area. Each of these are partnered and mentored by U.S.
and Hungarian forces.

p. 12
NUMÉRO 46 • MAI 2012
Témoignages
11
Mon expérience de commandant du GTIA
Mazâr-e Sharif (3e mandat)
Lieutenant-colonel (DEU) Peter MIROW
commandant le 292 Jägerbataillon
L
a mise en œuvre de la stratégie de contre-
des routes est situé au centre de la zone de
insurrection a conduit à la mise sur pied de
responsabilité (ZR) du GTIA, qui représente une
deux puissantes unités tactiques interarmes :
étendue d’environ 35 km par 55 km.
le GTIA1 Mazâr-e Sharif (TF MeS) et le GTIA Koundouz.
La zone d’opérations allemande couvre la totalité du
La
Commandement Régional Nord (RC-N). Ces deux
principalement déterminée par la stratégie de
GTIA peuvent répondre à tous les défis grâce à leur
contre-insurrection. Par le passé, des attaques
composition : une compagnie de comman-dement et
insurgées avaient souvent eu lieu le long des
de services, deux compagnies d’infanterie, une
principales lignes de communication dans le triangle
compagnie du génie, un escadron de reconnaissance,
des routes. Au cours d’opérations communes en 2010,
une compagnie médicale ; à cela s’ajoutent des
la FIAS et les Forces de Sécurité Nationales Afghanes
détachements spécialisés dans les actions civilo-
(ANSF) ont réussi à s’emparer de cette zone après
militaires,
les
opérations
psychologiques,
mission
des
forces
allemandes
a
été
la
des combats assez importants. Depuis le début de
coordination et l’appui feu interarmées2, l’artillerie et
l’année 2011, la mission du GTIA est passée en phase
le renseignement. Les deux GTIA peuvent fonctionner
d’attente dans le but de transférer la responsabilité
de manière autonome dans l’ensemble de la zone de
de la zone aux ANSF.
responsabilité du Commandement Régional Nord et
sont sous le commandement direct du général
La complexité de la mission résulte notamment du
commandant le RC-N.
grand nombre d’acteurs sur zone. En dehors du GTIA,
on y trouve un kandak de l’Armée Nationale Afghane
Le 13 août 2011, le chef de corps du 292 bataillon
(ANA), deux kandaks de la Police Nationale Afghane
d’infanterie de la Brigade franco-allemande, le
de Maintien de l’Ordre public (ANCOP5), des forces de
lieutenant-colonel Peter Mirow (de la 11e promotion
la Police Nationale Afghane (ANP) et de la Police
du CID3), a pris le commandement du GTIA Mazâr-e-
Afghane Locale (ALP6). Chacune de ces unités est
Sharif. Ce GTIA est déployé au nord de l’Afghanistan,
jumelée et encadrée par des forces américaines et
dans la province afghane de Baghlan, au nord de la
hongroises.
e
capitale provinciale de Pol-e Khumri, dans l’espace
occupé par une équipe provinciale de reconstruction4
hongroise.
Cette
zone
est
d’une

importance
opérationnelle particulière puisque les itinéraires
principaux de ravitaillement (les lignes de communication) partent de la frontière afghane au nord
vers le sud, via Mazâr-e Sharif ou Koundouz, puis se
croisent à Pol-e Khumri dans ce qu’on appelle le
« triangle des routes». Ils continuent ensuite vers
Kaboul en empruntant le col de Salang. Le triangle
NUMÉRO 46 • MAI 2012
1 GTIA : Groupement tactique interarmes.
2 JFSCT (Joint Fire Support Coordination Team).
3 CID : collège interarmées de défense.
4 PRT (Provincial Reconstruction team).
5 ANCOP: Afghan National Civil Order Police.
6 ALP: Afghan Local Police.
p. 12
12
Témoignages


Depuis le printemps 2011, le nombre d’attaques insurgées a
Since spring 2011, the number of attacks
une nouvelle fois augmenté, surtout dans le nord de la zone
by insurgents has increased again, especially
d’opérations du GTIA. Les chefs de la FIAS et des ANSF ont
in the northern AOO of the TF. ISAF and ANSF
convenu qu’une opération de nettoyage était nécessaire
commanders agreed that a clearing operation
pour obliger les insurgés à quitter la zone et créer les
was required to force the insurgents out
conditions préalables à la montée en puissance de la police
of this area and create the prerequisites for
locale.
the local police to build up.
L’opération commune a dû être coordonnée avec les
The joint operation had to be coordinated with
commandants de l’ANA, de l’ANCOP, de l’ANP, des OMLT7,
the commanders of ANA, ANCOP, ANP, OMLT,
des ODA8 et des équipes provinciales de reconstruction,
ODA and PRT but also with the provincial
mais aussi avec le gouverneur de la province.
governor. The level of involvement is given by
the RC-N requirement that all ISAF operations
Le niveau d’implication résulte de l’exigence du
be ANSF planned, led and executed.
Commandement Régional Nord qui stipule que toutes les
The multiplicity of actors a serious challenge
opérations de la FIAS doivent être planifiées, dirigées et
including for operational security (OPSEC).
exécutées par les ANSF. La multiplicité des acteurs est un
véritable défi, y compris pour la sécurité des opérations. La
Intercultural competence turns out to be more
compétence interculturelle s’avère être plus importante
important for the success of the planning
pour le succès de la planification que les capacités tactico-
process than the tactical-operational
opérationnelles du chef militaire. C’est un processus très
capabilities of the military leader. This is a very
chronophage qui exige une grande souplesse d’esprit. Si
time consuming process. It requires a great
l’on prend au sérieux la conduite des opérations à l’afghane,
flexibility in mind. If one takes the Afghan
dans bien des cas les normes tactiques européennes ne
conduct of operations seriously, European
peuvent être appliquées.
tactical standards often cannot be applied.
En revanche, une grande réussite peut être attestée lorsque
On the other hand, it is a big success to
l’on observe le professionnalisme croissant des ANSF et la
observe the growing professionalism of the
façon dont les Afghans assument de plus en plus de
ANSF and to see how the Afghans take over
responsabilités quant à leur propre sécurité. La fierté
more and more responsibility for their own
clairement ressentie par les ANSF lors d’opérations
security. The visible pride felt by ANSF during
conduites avec succès par eux-mêmes, facilite le passage
successful self led operations makes it easier
au second plan des soldats allemands. Après tout, à
for the German soldiers to step back in second
compter de 2014, ce sera aux ANSF de se charger de la
line. After all, from 2014 it will be for ANSF to
sécurité en Afghanistan
assume the responsibility of the Afghan
security
7 OMLT : Operational Mentoring and Liaison Team, en français : Equipe de Liaison
et de Tutorat Opérationnel (ELTO).
8 ODA : Operational Detachment-Alpha : équipe de 12 hommes dans les Forces
Spéciales américaines.
NUMÉRO 46 • MAI 2012
Témoignages
13
Une expérimentation tactique :
la prise en compte des missions de reconnaissance-balisage
par la cavalerie blindée
Lieutenant-colonel (FRA) Rodolphe HARDY,
chef du BOI 3e régiment de Hussards
L
es
Afghanistan
Au sein de la brigade franco-allemande, c’est l’escadron
notamment, ont contribué à renforcer les capacités
derniers
engagements,
en
d’aide à l’engagement (EAE) du 3e régiment de hussards,
de dialogue des troupes au sol avec l’aviation
aux ordres du capitaine Wespisser, qui met en œuvre
légère de l’armée de Terre (ALAT). Au-delà de la nécessité
cette expérimentation tactique (EXTA). Un peloton de cet
opérationnelle mise en lumière par ces engagements, la
escadron, aux ordres de l’adjudant Rouaix, a déjà débuté
transformation de l’armée de Terre pourrait être à
les premières formations et les premiers exercices
l’origine d’un nouveau renforcement de notre capacité à
d’application. Cette EXTA s’articule en 3 phases :
travailler en interarmes.
1. Une phase d’appropriation, déjà réalisée : après
En effet, c’est indirectement la réorganisation de l’ALAT
formation des cadres, l’ensemble du peloton a restitué
qui a commandé à l’expérimentation depuis cet été du
les savoir-faire acquis au cours d’un exercice
transfert à la cavalerie blindée de la compétence de
aéromobile.
« reconnaissance-balisage » au profit des régiments
d’hélicoptères de combat.
2. Une phase d’apprentissage : le peloton restituera ses
savoir-faire, de jour et de nuit, au cours d’exercices
Un temps détenue par le 1 régiment d’infanterie au sein de
spécifiques (RB d’un plot en vue d’une évacuation ou
la BAM1, cette compétence est ensuite revenue aux
d’une extraction de ressortissants ou de blessés, RB
pelotons de reconnaissance-balisage (PRB) des régiments
d’un plot ravitaillement-munitions de l'avant et RB d’une
de l’ALAT. Or, depuis l’été 2011, cette dernière perd
plate-forme de ravitaillement hélicoptères).
er
progressivement les effectifs de ses PRB au profit des
spécialités directement liées à la mise en œuvre des
appareils, notamment les pilotes et les maintenanciers.
3. Un exercice synthèse de niveau escadron et sousgroupement aéromobile.
C’est pourquoi l’EMAT a mandaté le CFT pour étudier le
transfert des missions des PRB au profit des unités de
cavalerie blindée.
Les conclusions de l’EXTA seront rendues avant la fin du
mois de juillet 2012. Un tel transfert représenterait une
Conduite par la DEP2 de l’École de Cavalerie, cette
capacité supplémentaire pour la cavalerie blindée, et
expérimentation interarmes est mise en œuvre par le
donc pour le régiment et la brigade franco-allemande. Ce
3e régiment de hussards, le 1er régiment de chasseurs et le
transfert irait dans le sens d’une intégration plus
3 régiment d’hélicoptères de combat. Elle vise à la fois la
importante de la dimension interarmes, qui ne serait plus
e
reconnaissance et la sécurisation d'une zone de poser pour
restreinte aux évacuations ou aux appuis feu. Le cas
l'accueil d'un élément aéromobile du volume d'un module
échéant, cette nouvelle capacité pourrait rapidement être
jusqu'à celui d'un sous-groupement aéromobile. Elle
mise en œuvre en opérations
comprend également la capacité à guider et parquer les
aéronefs en sécurité.
NUMÉRO 46 • MAI 2012
1 BAM : brigade aéromobile.
2 DEP : direction des études et de la prospective.
14
Réflexion
La bi nationalité au service de l’Europe
Colonel (FRA) Wallerand de MADRE, colonel adjoint
L’
expérience vécue depuis vingt ans dans trois
garnisons bi nationales de la brigade, permet
d’établir un certain nombre de constats
concernant aussi bien la montée en puissance globale,
l’instruction, l’entraînement, les engagements opérationnels que la vie courante. Ces constats sur le vivre et le
combattre ensemble peuvent sans aucun doute, servir de
base à une réflexion plus large sur un modèle de
coopération entre armées des États membres de l’Union
Européenne.
L’approfondissement de l’intégration binationale au sein
de la brigade passe donc par l’étude et des décisions à
moyen terme dans les domaines suivants :
- harmonisation des réglementations et doctrines
d’engagement opérationnel ;
- établissement d’une politique de standardisation du
matériel/de l’équipement, avec un effort initial sur les
moyens de commandement et de soutien ;
- harmonisation partielle des contenus de l'instruction ;
- homogénéisation des règles administratives et juridiques
encadrant la vie courante, les libertés publiques, les
Les efforts vers l’intégration binationale et l’interopérabilité
compensations aux sujétions.
sont parfois bloqués par des principes de doctrine et des
règlements nationaux qu’une décision militaire ne saurait
contrecarrer, sans risquer la mise en cause pénale du
Partant des droits nationaux, dégageant les similitudes
soldat de la BFA et de ses chefs. Pour permettre et encadrer
et identifiant les différences qui gênent le service
l’action commune jusqu’au niveau compagnie voire
commun, cette étude pourrait ébaucher la définition d’un
section, la poursuite de l’harmonisation des normes est
statut du soldat européen rapprochant les droits
nécessaire. Ce besoin s’étend également aux domaines de
nationaux. Sans obérer sa capacité opérationnelle, la
l’équipement et de l’armement. Cela concerne en
BFA peut contribuer à la recherche de solutions
particulier
de
novatrices qui concrétiseraient l’ambition d’une défense
les
commandement
systèmes
handicapés
et
par
européenne. Certes, l’objectif n’est pas de généraliser la
systèmes
multinationalité des armées européennes car l’obstacle
nationaux. Cela concerne également l’interopérabilité des
linguistique réduirait l’efficacité opérationnelle. Il faut
pièces de rechange et des munitions, aujourd’hui faible.
seulement que l’expérience de la BFA pour surmonter
l’incompatibilité
(SIC),
d’information
technique
partielle
encore
de
ces difficultés, profite à l’ensemble pour plus
Pour rendre commune la formation initiale, la brigade se
d’interopérabilité.
heurte à des cycles d’incorporations et des programmes
d’instruction nationaux différents. Les expériences menées
avec succès dans ce domaine, démontrent à la fois l’intérêt
Le développement de la politique de Défense dans le
de l’intégration binationale, et les progrès qui restent à
cadre de l’Union européenne et les relations franco-
faire.
allemandes en matière de Défense, seraient relancés par la
mise en œuvre de l’ambitieux accord intergouvernemental
L’instruction, l’entraînement et la vie courante, demeurent
sur la brigade franco-allemande révisé en 2010, signé des
des prérogatives nationales. Ainsi l’alimentation, le service
deux ministres, et en cours de ratification par le
intérieur, les relations hiérarchiques, les conditions de
parlement. L’orientation donnée par ce traité soit
gestion de l’expatriation des familles diffèrent. La
l’approfondissement de règles communes en vue
binationalité de la garde des quartiers illustre cet état de
d’atteindre un haut degré d’interopérabilité entre les
fait : elle n’est que de façade par juxtaposition mais sans
unités allemandes et françaises, profiterait à l’Europe 
intégration.
NUMÉRO 46 • MAI 2012
15
Tribune
BI
NATIONALITÉ ET DOCTRINE
Colonel (FRA) Benoît ROUX,
commandant le 110e RI
E
n octobre 2011, le 110e RI a
Enfin, une brigade ne doit pas être un
Plus largement, le cadre d’emploi de
armé un GTIA1 à deux S/GTIA2
laboratoire doctrinal. Rien ne pré-
l’OTAN suffit à lui seul pour œuvrer
binationaux dans le cadre d’u-
dispose un état-major et les forma-
ensemble. Cette réalité était déjà
ne rotation au centre français d’en-
tions à un tel travail. Les armées
vraie avant la décision de réinvestir
traînement au combat en zone
respectives y consentent des efforts
les structures du commandement
urbaine (CENZUB). Cette période
suffisants qu’il serait inouï de vouloir
intégré et illustré lors des engage-
d’entrainement privilégiée permet de
dupliquer avec les maigres moyens
ments communs dans les Balkans par
revenir sur une des spécificités de la
d’une brigade fusse-t-elle binationale.
exemple. Cette réalité l’est aujourd’hui
brigade franco-allemande, la cohabi-
davantage.
tation de deux doctrines au sein
La bi nationalité ne se nourrit que
d’une même unité.
d’un épanouissement doctrinal natio-
Alors, dans ce contexte, la BFA offre
nal de chaque partie.
l’opportunité de dépasser l’altérité
A l’échelle du bataillon, il n’est pas
binationale, de donner corps à l’intero-
nécessaire d’avoir une doctrine bina-
Il faut d’abord relever que les doctrines
pérabilité dans l’emploi des forces
tionale, au contraire, elle serait source
françaises et allemandes partagent
même si elle dispose encore d’une
de confusion et de malentendus. Le
des traits communs qu’il n’est pas
marge de progrès pour mutualiser le
meilleur socle tactique que l’on peut
besoin de redéfinir : l’intégration inter-
soutien. Tels sont les objectifs recher-
offrir à une unité binationale est une
armes au plus bas niveau, la nécessité
chés dans les entraînements conduits
parfaite connaissance pour chaque
de la réserve, l’utilisation des appuis et
en commun dans les centres d’entraî-
partie de sa doctrine nationale.
bien d’autres encore.
nement des deux nations
un jour l’apparition d’une doctrine
On constate que l’entraînement, le
Il s’agit donc au sein de la BFA non
franco-allemande.
recrutement, l’équipement de nos
pas d’élaborer une doctrine propre
Il est illusoire et accessoire d’imaginer
unités restent des préoccupations
mais plutôt d’apprendre à connaître
En premier lieu, le temps doctrinal est
nationales. Tout donc milite pour que
celle de l’autre, ce qui exige ouver-
long et nécessite une appropriation,
les unités s’instruisent et s’entraînent
ture d’esprit, volonté d’aller vers
elle aussi, longue et ardue. Dans le
dans le cadre de leur doctrine avant
l’autre et intelligence de situation.
cadre binational, le temps doctrinal
d’évoluer dans un cadre binational.
Cela se travaille au quotidien. C’est la
serait au mieux multiplié par deux et
Une fois cette connaissance assise,
spécificité de cette brigade interar-
donc mettrait les forces dans une posi-
l’intégration d’un autre système
mes binationale
tion de permanente obsolescence.
devient possible.
De plus une doctrine binationale ne
Enfin, la maîtrise de sa doctrine natio-
viendrait que se superposer aux fon-
nale, au lieu d’enfermer le tacticien
dements doctrinaux nationaux au
dans des schémas reproduisibles,
risque de nécessiter un cursus de for-
entraîne au contraire la réflexion et la
mation supplémentaire et spécifique
juste perception des plus value
pour les cadres servant dans la briga-
apportées par l’autre ce qui in fine
de franco-allemande.
enrichit son expérience.
NUMÉRO 46 • MAI 2012
1 Groupement tactique interarmes
2 Sous-groupement tactique interarmes
16
nouvelles parutions
NUMÉRO 46 • MAI 2012