Émile Zola - biblio

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Émile Zola - biblio
Au Bonheur des Dames
Émile Zola
Livret pédagogique
correspondant au livre de l’élève n° 78
établi par Isabelle de Lisle,
agrégée de Lettres modernes
professeur en collège et en lycée
Sommaire – 2
SOMMAIRE
REPONSES
AUX QUESTIONS
............................... 3
Chapitre I (pp. 29 à 32) .......................................... 3
Chapitre IV (pp. 69 à 72) ......................................... 7
Chapitre VII (pp. 106 à 109) ..................................... 12
Chapitre X (pp. 158 à 161) ....................................... 17
Chapitres XIII et XIV (pp. 233 à 236) ............................ 22
Retour sur l'œuvre (pp. 237 à 239) ............................... 28
PROPOSITION
DE SEQUENCES DIDACTIQUES
................... 29
DU GROUPEMENT DE TEXTES
................... 30
EXPLOITATION
LECTURE
PISTES
D'IMAGES ET HISTOIRE DES
A R T S .................. 33
D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S .....................
BIBLIOGRAPHIE
C O M P L E M E N T A I R E ..........................
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tous pays.
© Hachette Livre, 2016.
58, rue Jean Bleuzen, 92170 Vanves.
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36
Au Bonheur des Dames – 3
REPONSES
A U X
C h a p i t r e
Q U E S T I O N S
I
( p p .
2 9
à
3 2 )
Avez-vous bien lu ?
u a) Jean, âgé de seize ans et Pépé, âgé de cinq ans sont les frères de Denise, une jeune fille de vingt
ans.
b) Baudu et Geneviève sont respectivement l’oncle et la cousine de Denise.
v Denise habitait en Normandie, à Valognes, avec son père et ses deux jeunes frères. Après la ruine,
puis la mort de son père, elle a pris en charge l’éducation des deux garçons. Jean ayant trouvé une
place à Paris chez un ivoirier, elle a jugé bon de quitter une ville de province où le jeune homme a
été à l’origine d’un scandale (« l’escapade amoureuse de Jean, des lettres écrites à une fillette noble de la ville,
des baisers échangés par-dessus un mur, tout un scandale qui l’avait déterminé au départ »). De plus, ne
parvenant plus à gagner de quoi subvenir à sa famille, Denise a préféré quitter Valognes et rejoindre
Paris.
w Denise attend de son oncle Baudu qu’il lui propose une place dans son magasin, comme il le lui
avait laissé entendre dans la lettre qu’il avait écrite à l’occasion de la mort de son père.
x Octave Mouret est le directeur du magasin Au Bonheur des Dames qui a été fondé en 1822 par les
frères Deleuze.
y Caroline Hédouin est la fille du frères aîné des Deleuze, les fondateurs du Bonheur des Dames. Elle a
épousé en secondes noces Octave Mouret. La jeune femme est décédée accidentellement alors qu’elle
visitait les travaux effectués sur l’un des magasins achetés par Mouret pour agrandir son affaire : pour
les petits commerçants, « Il y a de son sang sous les pierres de la maison. »
Étudier un incipit
U Denise est le premier mot du roman, aussi le lecteur suppose-t-il qu’il s’agit du personnage
principal. Il découvre qu’elle connaît une vie difficile et que ses moyens sont réduits (« à pied », « la
dure banquette d’un wagon de troisième classe »). Elle semble chargée de ses deux frères car la présence de
parents n’est pas mentionnée. L’action se déroule à Paris (« la gare Saint-Lazare » est mentionnée) et le
livre s’ouvre sur un changement : l’héroïne quitte la Normandie pour rejoindre la capitale.
V Le participe passé « débarquée » s’accorde avec le pronom personnel « l’ » mis pour Denise. Il s’agit
ici de l’accord du participe passé avec le COD placé devant le verbe lorsqu’il est employé avec
l’auxiliaire avoir.
Denise se trouve en position d’objet du verbe débarquer, ce qui fait d’elle un personnage passif. Elle
semble subir son arrivée comme si le destin avait décidé de ce changement dans son existence. Le
personnage en paraît fragile et la compassion du lecteur est sollicitée.
W Dans la première phrase, le lecteur découvre le personnage principal et le lieu de l’action, mais il se
pose des questions sur le passé de Denise : pourquoi vient-elle à Paris ? Pourquoi est-elle
accompagnée de ses deux frères ? Il s’interroge sur son devenir : quel effet Paris va-t-il produire sur
elle ? Que va-t-elle y trouver ?
X Le premier chapitre répond aux questions cardinales de l’incipit et les premières pages du Bonheur
des Dames n’innovent pas en matière de technique romanesque. Le lecteur n’est pas surpris par
l’ouverture du roman et sa curiosité est satisfaite.
Qui ? : Les personnages principaux du roman sont présentés et situés dans un contexte familial, social
et affectif. Les liens familiaux des proches de Denise sont définis (frères, oncle, tante, cousine…). On
découvre aussi leur statut social : Denise, comme son oncle, évolue dans le milieu des commerçants et
plus particulièrement dans le secteur du tissu. Jean se destine, quant à lui, à un métier plus artistique,
mais il reste dans le monde du commerce. Tous ces personnages connaissent des difficultés
financières ; Baudu ne peut embaucher sa nièce et l’on voit bien que sa boutique n’est pas prospère ;
Denise est à la recherche d’un emploi qui lui permettra de subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses
frères. Le chapitre est, plus généralement, centré sur les petits commerces de la rue de la Michodière
et le lecteur fait ainsi connaissance avec Bourras, personnage exemplaire de la lutte vaine des petites
boutiques. Le grand commerce, quant à lui, est évoqué de l’extérieur : le lecteur découvre le Bonheur
Réponses aux questions – 4
des dames en même temps que Denise à dans les propose de Robineau et Bourras et il partage ses
émotions.
Quoi ? : L’arrivée de Denise à Paris constitue le point de départ de l’intrigue et le lecteur se demande
comment la jeune fille va faire pour survivre dans ce milieu nouveau. Il s’interroge également sur le
devenir de l’amour de Geneviève et de Colomban dans la boutique mourante des Baudu. En arrièreplan se profile une autre intrigue dans laquelle ce sont les magasins qui deviennent les personnages de
l’histoire. En effet, le Vieil Elbeuf de Baudu s’oppose d’emblée au Bonheur des Dames de Mouret et
l’enjeu est celui d’une guerre ouverte entre le petit commerce traditionnel et le grand commerce
naissant.
Où ? : L’histoire se déroule à Paris. Le personnage principal vient tout juste de quitter sa Normandie
natale pour découvrir la capitale et sa modernité.
Quand ? : L’intrigue se déroule dans un Paris résolument moderne qui étonne et fascine Denise dès
son arrivée et sa découverte du magasin de Mouret : (« en voilà un magasin ! »). Le mot « nouveautés »
employé pour caractériser les marchandises vendues par le Bonheur des Dames (« un magasin de
e
nouveautés ») indique lui aussi cette modernité affichée. C’est dans ce Paris actif du XIX siècle que
Zola ancre son histoire, un Paris où tout s’accélère : n’y voit-on pas en effet « les employés filant à leurs
bureaux et les ménagères courant les boutiques » ?
at Les premières répliques contiennent presque exclusivement des phrases exclamatives. Les
interjections qui ponctuent ces exclamations (« Oh ! », « Ah bien ! », « Fichtre ! », « Hein ? »)
viennent souligner la surprise des personnages. Les discours narratifs et descriptifs qui s’entremêlent
dans les premières pages sont interrompus par ces répliques qui contribuent à dynamiser l’incipit en
invitant le lecteur à poser sur le décor décrit un regard curieux et admiratif.
Étudier la mise en place des personnages
ak Denise, le personnage principal, est d’emblée présentée au sein d’une famille. Dès les deux
premières phrases, on la voit accompagnée de ses deux frères et l’on devine, à la position des trois
personnages, que la jeune fille joue un rôle maternel au sein de la fratrie : « Elle tenait par la main Pépé,
et Jean la suivait ». Son autorité se lit dans cette évocation. Plus loin, on apprend que c’est elle qui
subvient aux besoins des garçons (« elle était restée la mère des deux enfants ») et que c’est elle qui, en
charge de ses frères, a pris la décision de quitter Valognes pour rejoindre Paris. Attachée aux valeurs
familiales, elle se tourne naturellement vers son oncle Baudu en qui elle voit un substitut du père
qu’elle a perdu. Dans un élan de confiance aveugle, elle débarque à Paris, n’imaginant pas un instant
que la lettre qu’il lui a écrite un an auparavant, dans les circonstances particulières du décès de son
père, n’est qu’une formule conventionnelle vide et que la proposition faite est devenue caduque.
Cette illusion révèle l’importance qu’elle accorde à la famille.
L’histoire de la lettre révèle aussi la jeunesse et la naïveté de Denise. Trop confiante dans ses valeurs,
elle n’imagine pas que les autres puissent penser différemment. On retrouve cette naïveté presque
enfantine dans sa fascination pour le Bonheur des Dames : elle s’arrête, s’exclame, en oublie le but de
son voyage : « ce magasin, rencontré brusquement, cette maison énorme pour elle, lui gonflait le cœur, la retenait,
émue, intéressée, oublieuse du reste. »
Denise, figure maternelle protectrice (Pépé se réfugie dans ses bras), solide et autoritaire, attachée à
des valeurs, est donc aussi un personnage fragile – ce que laissait déjà entendre la notation descriptive
du deuxième paragraphe : « Elle, chétive pour ses vingt ans, l’air pauvre ». Au cours du chapitre, on sent
son émotivité et son extrême sensibilité : on la voit ainsi rougir, devenir « toute pâle », pleurer (« Elle
laissa tomber deux grosses larmes »). Elle a quitté Valognes sur un coup de tête, sans avoir pris la peine de
prévenir son oncle, alors que, par ailleurs, on a vu que sa décision était rendue nécessaire par les
circonstances : « elle comprenait qu’on ne tombait pas de la sorte chez le monde ».
À la fois maternelle et naïve, Denise est douce, sensible aux autres et à son environnement. Elle
devine ce que pense son oncle sans qu’il ait besoin de l’exprimer et se dit prête à repartir. Elle réagit
également fortement à ce qu’elle découvre, qu’il s’agisse de l’univers lumineux et fascinant du Bonheur
des Dames (« il flambait comme un phare, il semblait à lui seul la lumière et la vie de la cité. Elle y rêvait son
avenir, avec beaucoup de travail pour les enfants, avec d’autres choses encore… ») ou, à l’opposé, du monde
sombre et oppressant du Vieil Elbeuf : « ce qui frappa surtout Denise […] ce fut la boutique du rez-dechaussée, écrasée de plafond, surmontée d’un entresol très bas, aux baies de prison, en demi-lune. »
Au Bonheur des Dames – 5
al La famille Baudu vit à l’ombre du père, le chef de famille et le patron de l’affaire de draps. C’est
en effet lui qui se tient sur le pas de la porte quand les deux femmes restent à l’intérieur, comme
enfermées dans ce qui est décrit comme une prison (« aux baies de prison »). Madame Baudu et sa fille
Geneviève semblent ne jamais sortir de la sombre boutique où règne l’oncle. La première est
présentée comme « mangée d’anémie, toute blanche » et la seconde annonce déjà la maladie qui
l’emportera à la fin du roman : « la débilité et la décoloration d’une plante grandie à l’ombre ». C’est Baudu
qui décide et les femmes ne font que suivre ses indications, « en personnes soumises qui ne se permettaient
jamais d’intervenir ». Ce n’est, en effet, que lorsque l’oncle propose à Denise et ses frères de dormir
chez lui, que les deux femmes peuvent intervenir : « Alors, Mme Baudu et Geneviève comprirent, sur un
regard, qu’elles pouvaient arranger les choses. » On a même l’impression que les sentiments de Mme
Baudu et de Geneviève se font l’écho des émotions de l’oncle : « Il s’arrêta, étranglé par une émotion
qu’il ne voulait pas montrer. Mme Baudu et Geneviève, l’air résigné, avaient baissé les yeux. »
De plus, l’oncle ne paraît préoccupé que par la réussite de Mouret dont il est une des victimes. Il ne
cesse de ressasser ce qui fait sa ruine, mais ne s’interroge pas sur la vie qu’il fait mener à sa femme et sa
fille, ni sur la santé de cette dernière. Aveuglé par « ce spectacle qui leur crevait le cœur », il ne voit ni ne
devine le chagrin de Geneviève qui « très pâle, avait constaté que Colomban regardait, à l’entresol, les
ombres des vendeuses passer sur les glaces ».
am Zola donne à ses personnages une épaisseur psychologique qui les rend vraisemblables. Loin d’être
simplifiés ou stéréotypés, ils sont au contraire complexes et ambigus. C’est le cas de Baudu,
personnage égoïste ne se préoccupant ni de sa famille, ni du devenir de ses neveux. Occupé à se
lamenter sur son sort, il est aussi un donneur de leçons quand il s’agit du comportement des autres :
« je lui ai assez conseillé, dans mes lettres, de ne pas prendre cette teinturerie ! Un brave cœur, mais pas deux
liards de tête !... », dit-il de son propre frère.
Cependant, il ne reste pas indifférent au malheur de Denise et finit par l’accueillir sous son toit. Il ne
semble même pas lui en vouloir trop fortement quand il comprend qu’elle va aller chercher du travail
chez Mouret, comme le lui a suggéré Robineau.
Ni bon, ni mauvais, Baudu est un personnage complexe qui donne du petit commerce une image
élaborée, à la fois critique, sympathique et pathétique.
Étudier l’entrecroisement des discours
Différents temps du passé se combinent dans le premier paragraphe :
- « était venue », « avait débarquée » : le plus-que-parfait exprime l’antériorité de l’action par rapport à la
temporalité principale du récit et crée ainsi l’illusion d’une profondeur temporelle ;
- « tenait », « suivait », débouchait » : l’imparfait de description est ici utilisé associé à des verbes
d’action, ce qui contribue à estomper cette première évocation des personnages. Les actions narrées
restent secondaires ; elles ne s’inscrivent pas encore dans une chronologie ;
- « demeurait » : l’imparfait exprime ici une action de second plan ;
- « s’arrêta » : le passé simple marque un changement aussi brutal que l’arrêt même du personnage. Il
nous fait entrer dans la chronologie du récit.
Le premier paragraphe crée une épaisseur temporelle grâce à l’emploi de l’imparfait et du plus-que
parfait, dans laquelle le temps du récit (au passé simple) va prendre racine. Nous assistons dans le
premier paragraphe à l’émergence du discours narratif.
ao Deux passages descriptifs à l’imparfait peuvent être dégagés :
- passage n°1 de « Elle, chétive… » à « les mains ballantes » : le portrait des personnages ;
- passage n°2 de « C’était, à l’encoignure » à « une ruche qui s’éveille » : la description du Paris matinal.
Dans les deux cas, l’intrusion du discours descriptif au sein même du discours narratif est justifiée par
la narration elle-même :
- passage n°1 : l’expression « Ils restèrent plantés » au passé simple introduit l’immobilité des
personnages, prétexte à une pause descriptive ;
- passage n°2 : la réplique « Ah bien ! reprit-elle après un silence, en voilà un magasin ! » annonce la
description de Paris. Le présentatif « voilà » employé par Denise est repris par un autre présentatif,
« C’était », et le mot « magasin » est précisé par la description « un magasin de nouveautés dont les étalages
éclataient en notes vives, dans la douce et pâle journée d’octobre ».
an
Réponses aux questions – 6
Étudier la description
ap Le passage s’organise en trois paragraphes bien distincts :
- 1 : évocation du Paris nocturne sous la pluie ;
- 2 : évocation du Bonheur des Dames ;
- 3 : les réactions de Denise.
aq La proposition indépendante : « Ce fut pour elle une surprise » introduit la description de l’ancien
Paris. Celle-ci suit immédiatement son constat – qui tient en une seule courte phrase –, comme s’il
s’agissait de justifier la surprise de Denise. Nous avons ici une focalisation interne qui permet à
l’auteur de poser sur le paysage urbain un regard subjectif, écartant ainsi l’aridité d’une objectivité
réaliste. Comme le rappelle Maupassant dans la préface de Pierre et Jean, l’écrivain naturaliste cherche à
donner, non pas une reproduction, mais une « vision » de la réalité.
ar On peut relever de nombreux termes péjoratifs dans le premier paragraphe : « rue noire, trempée
d’une pluie fine et drue », « trouée de flaques », « eaux sales », « boue épaisse, piétinée », « poissait », « averse
battante », « ténèbres », « froid », « vieux quartier », « sa boue et ses flaques », « si glaciale et si laide ».
La dernière expression qui achève le paragraphe et la description de la ville sous la pluie récapitule ce
qui a été décrit dans le détail. L’évocation de Paris sous la pluie se termine par une vision d’ensemble
négative. En effet, les adjectifs « glaciale » et « laide » appartiennent au vocabulaire appréciatif et
expriment l’effet produit sur Denise. La jeune fille a l’impression d’être arrivée dans un monde
indifférent à son malheur, voire hostile. La description annonce au lecteur les difficultés à venir du
personnage. On peut parler de la fonction programmatique de la description, au-delà de sa simple
mission informative.
as Si Zola affirme sa volonté de nous donner à voir le réel, il ne nous propose pas pour autant une
photographie de la réalité. On peut relever des détails réalistes dans le deuxième paragraphe, mais l’on
est avant tout frappé par le glissement de la description vers le registre fantastique.
D’abord, le contexte de l’évocation joue un rôle important : la pluie, l’obscurité de la rue et la
lumière du magasin favorisent une vision déformée de la réalité. La pluie et les vitrines créent en effet
un écran propice au fantastique (« derrière le rideau de pluie », « à travers les glaces pâlies d’une buée ») et le
contraste entre l’obscurité et la lumière contribue à estomper les contours (« les ombres noires »), et
brouiller la réalité (« un pullulement vague de clartés », « un intérieur confus », « cette apparition reculée,
brouillée »). Si on ne distingue plus les formes, on perçoit de façon forte les lumières vives : « le feu
rouge des chaudières », « dont les verres dépolis d’une rampe de gaz avivaient le blanc ».
Le registre fantastique repose ainsi sur tout un jeu de disparitions et d’apparitions d’impressions
lumineuses qui créent une sorte de tableau impressionniste (Zola est un ami des impressionnistes) du
Bonheur des Dames.
Le fantastique naît également de la présentation du magasin qui, sous la plume de Zola, devient une
machine. C’est un des thèmes favoris du romancier, un thème qui révèle son souci de modernité et sa
volonté de montrer la fascination (enthousiasme nuancé d’inquiétude) qu’exerce le progrès. On peut
relever : « machine », « intérieur confus d’usine ».
Mais la machine est aussi une créature monstrueuse : « un dernier grondement », « une chambre de chauffe
géante », « une femme sans tête, qui courait ». Cette dernière expression clôt la description du magasin : le
fantastique a basculé dans l’horreur.
bt Le premier sentiment de Denise pour le Bonheur des Dames est la fascination ; « cédant à la
séduction », elle semble ne pas pouvoir s’en arracher : « elle se rapprocha, attirée de nouveau ». Mais, si le
magasin qu’elle a admiré lorsqu’elle est arrivée quelques heures plus tôt dans le quartier, est présenté
au début du chapitre comme un univers attirant, il devient ici un monde inquiétant, menaçant.
Certes, Denise y rêve son avenir (« beaucoup de travail pour élever les enfants »), cependant ce désir est
mêlé d’inquiétude et la fait « trembler ». De plus, l’image qui clôt le deuxième paragraphe semble
sortie tout droit d’un cauchemar et on se demande si la femme n’est pas Denise elle-même, broyée
par le grand magasin. On est frappé par l’alternance des sentiments éprouvés : tantôt elle espère, tantôt
elle redoute l’avenir qui l’attend chez Mouret.
Quoi qu’il en soit, Denise est totalement absorbée par le magasin ; elle ne sent pas la pluie et on lit
même, avec un vocabulaire de la possession (registre fantastique et domaine amoureux à la fois) : « le
Bonheur des Dames achevait de la prendre toute entière ».
Au Bonheur des Dames – 7
Lire l’image
La misère du petit commerce est avant tout exprimée par l’attitude désespérée du personnage au
centre de l’image. Bourras est assis et ne semble plus avoir de forces : un de ses bras pend, tandis que
l’autre main soutient la tête. On peut même penser qu’il pleure. Le dos vouté est celui d’une victime
d’un inéluctable destin.
La vitrine et l’enseigne indiquent un petit commerce spécialisé, à l’inverse des nouveautés du Bonheur
des Dames. La boutique est sombre, comme le répète Zola lorsqu’il évoque les magasins de Bourras ou
de Baudu. Les pierres au premier plan à gauche suggèrent les démolitions (la ruine du petit commerce
est ainsi matérialisée) et les transformations de Paris.
bl Les deux gravures s’opposent fortement et leur comparaison permet de mettre en avant le fossé qui
sépare les petits commerces des grands magasins. Ainsi on s’intéressera dans les deux gravures aux
vitrines (étroite / large), aux personnages (Bourras / la foule), à l’éclairage (ombre / électricité).
L’éclairage électrique des lieux publics commence en 1844 ; l’électricité est un symbole du progrès et
de la modernité.
bk
À vos plumes !
bm Ce sujet propose de mettre en avant un personnage secondaire du roman. Il s’agit de donner la
parole à Geneviève, personnage effacé, qui n’a que rarement le droit de s’exprimer. On demande aux
élèves d’imaginer sa vie à partir des informations données dans le chapitre. Le complément de temps
« tout en regardant le magasin » invite les élèves à opposer, comme le fait Zola, le monde du grand
commerce et celui du petit commerce.
bn Le sujet est un exercice de transposition (lieu et époque) qui s’appuie sur la représentation de la
modernité et l’expression de la fascination qui ont été repérés dans le chapitre. On valorisera les copies
qui, s’inspirant de Zola, sauront exprimer toute l’ambiguïté d’une fascination où l’admiration
n’empêche pas l’inquiétude.
C h a p i t r e
I V
( p p .
6 9
à
7 2 )
Que s’est-il passé entre-temps ?
Alors qu’impressionnées, elle n’ose pénétrer dans le grand magasin pour se présenter, Denise voit
entrer les employés du Bonheur des Dames. À cette occasion, elle croise le regard de Mouret, qu’elle
prend pour un commis, et se trouble.
v Mme Aurélie est la vendeuse en chef (la « première ») du rayon des confections.
w Ému par la jeune fille, à qui il trouve du charme malgré son air triste et perdu, Mouret insiste pour
que Mme Aurélie l’embauche.
x Mme Desforges est la maîtresse de Mouret.
y Les amies de Mme Desforges ne parlent que du Bonheur des Dames et des nouveautés qu’on peut y
acheter.
U Le baron Hartmann est un ami très proche de Mme Desforges ; il est le directeur du Crédit
Immobilier et Mouret tient à le rencontrer car il veut lui demander son soutien. Le patron du Bonheur
des Dames a en effet besoin d’un appui financier pour réaliser l’opération immobilière qui lui
permettra d’agrandir son magasin.
V L’accord du baron Hartmann pour soutenir financièrement Mouret est conditionné au succès
commercial du Paris-Bonheur, dont la mise en vente est annoncée pour le lundi suivant.
u
Avez-vous bien lu ?
W
Les propositions exactes sont : b, c, e et h.
Étudier le réalisme de la descritpion
À la différence de Balzac, qui interrompt le cours du récit pour introduire une description d’un
lieu ou un portrait du personnage, Zola préfère insérer des notations descriptives dans la trame
narrative. C’est ce qui se passe dans le passage délimité, où les fils des discours narratif et descriptif sont
étroitement entrecroisés.
X
Réponses aux questions – 8
On suit en effet le déplacement de Denise grâce aux verbes de mouvement ou d’action : « l’installa »,
« ôta », « passa », « redescendit ». Ces verbes sont au passé simple, temps du récit proprement dit.
Les mouvements et gestes de Denise sont prétextes à l’insertion de notations descriptives (la mansarde
et la robe) formulées, quant à elles, à l’imparfait : « C’était », « l’attendait », « était », « était encore un peu
grande ». Les verbes d’action ont fait place à des verbes suggérant au contraire l’immobilité.
L’imparfait permet également d’exprimer des actions de second plan (« les vingt qui n’avaient pas de
famille couchaient là ») ou d’évoquer le cadre. Enfin, lorsque les actions s’installent dans la durée (« elle
se hâtait »), et constituent l’explication d’une action principale (« elle ne s’arrêta point » en subordonnée
consécutive au passé simple), elles s’expriment à l’imparfait.
at On peut relever : « numéro 7 », « deux chaises », « Vingt chambres », « les trente-cinq demoiselles », « les
vingt », « les quinze autres ».
A ce relevé on peut inclure les déterminants qui précèdent les éléments du mobilier : « une fenêtre à
tabatière », « un petit lit », « une armoire de noyer », « une table de toilette ». En effet, Zola insiste sur le
singulier ici et l’adjectif numéral « deux » qui suit nous invite à penser que les « un » ou « une » relevés
sont eux aussi des numéraux et non des articles indéfinis. La présence des nombres est une
caractéristique de l’écriture réaliste ; elle permet également de souligner une forte opposition entre le
singulier et le pluriel.
Ainsi, des expressions au singulier viennent s’opposer à des numéraux au pluriel pour mettre en avant
la misère psychologique de Denise. Elle n’est en effet qu’une des vingt vendeuses logées dans les
combles, ces vingt vendeuses n’étant elles-mêmes qu’une partie des trente-cinq employées. À ces
femmes viennent s’ajouter les tantes ou les « cousines d’emprunt », ce qui multiplie les personnages
autour de Denise, dans une sorte de vertige. Ce déploiement de vendeuses au destin proche de celui
de la jeune fille est représenté par le nombre de chambres autour du « numéro 7 » : « Vingt chambres
pareilles ».
L’emploi du singulier vise également à insister sur la misère matérielle de Denise : tout concourt en
effet à réduire ce dont dispose la jeune employée : « une étroite cellule », « un petit lit ». De même, deux
robes (au singulier) s’opposent fortement : « la mince robe de laine […] la seule qu’elle eût rapportée de
Valognes » et « l’uniforme de son rayon, une robe de soie noire ». Les adjectifs soulignés s’ajoutent au
singulier en exprimant la réduction.
ak La précision de la description repose sur le recours à différents procédés grammaticaux :
- l’adjectif qualificatif : « étroite », « mansardée », « petit », « pareilles » ;
- les participes présent ou passé : « ouvrant », « meublée », « peint » ;
- ces participes sont eux-mêmes précisés par des compléments : « sur le toit » et « par une fenêtre » pour
« ouvrant », « d’un petit lit, d’une armoire de noyer, d’une table de toilette et de deux chaises » pour
« meublée », « en jaune » pour « peint » ;
- le complément du nom introduit par une préposition : « à tabatière » (CdN « fenêtre »), « de noyer »
(CdN « armoire »), « de couvent » (CdN « corridor »).
Cette abondance de procédés grammaticaux révèle le souci du détail chez Zola, qu’il s’agisse du
nombre (voir question 10), de la matière (« noyer »), de la taille (« petit ») ou de la couleur (« jaune »).
Cette évocation précise de la chambre de Denise concourt à créer une illusion de réel.
al D’abord, comme nous l’avons vu en réponse à la question 10, l’emploi du singulier pour tout ce
qui est à la disposition de Denise, qu’il s’agisse du mobilier ou des vêtements, rend compte de la
condition misérable des vendeuses qui ne possèdent rien (l’unique robe apportée de Valognes) et à qui
on prête fort peu de choses. L’évocation de la robe de laine de Denise vient souligner cette misère :
elle est, en effet, « mince », « usée » et « raccommodée ». La jeune fille est habituée à cette vie difficile (le
froid suggéré par la laine trop mince) et se sent « endimanchée, mal à l’aise » lorsqu’elle porte la robe de
soie. Le contraste entre les deux tenues se voit dans les matières (la laine et la soie), mais aussi dans un
jeu du singulier (« mince robe ») et du pluriel (« aux bruissements tapageurs de l’étoffe »).
Par ailleurs, les vendeuses dépendent des autres : le garçon qui monte la malle, « Mme Cabin, chargée
du nettoyage et de la surveillance », « des tantes ou des cousines d’emprunt » qui les entretiennent. Zola,
sous-entend que, si les jeunes employées ne sont pas logées et surveillées (« la surveillance ») par leur
employeur, elles dépendent de protecteurs extérieurs qu’elles font passer, pour sauver les apparences
de moralité, pour « des tantes ou des cousines ».
Les situations des jeunes filles se ressemblent fort et la chambre numéro 7 n’est qu’une des « vingt
chambres pareilles ». Elles portent un « uniforme », ce qui souligne leur destin commun, un destin
Au Bonheur des Dames – 9
paradoxal puisque elles vivent dans la misère tout en portant un uniforme qui évoque au contraire le
luxe.
Étudier les points de vue sur le magasin
Zola mêle discours narratif et descriptif afin de dynamiser les descriptions. Pour cela, il a recours à
la technique du point de vue interne.
Premier passage :
- « Mouret se planta seul et debout » : l’immobilisation du personnage introduit une description qui peut
s’étaler dans le temps (« Par moments ») ;
- « il dominait le magasin » : la position dominante du personnage justifie une description détaillée qui
embrasse les différents étages du magasin et aborde même l’extérieur (« En haut », « En bas », « la paix
morte du hall », « Au dehors ») ;
- Les verbes de perception visuelle : « il remarqua », « en voyant », « en constatant »
- « le vide lui parut navrant », « Et le cœur de Mouret était surtout serré par la paix morte du hall » : le verbe
de modalité « parut » et le vocabulaire affectif expriment les sentiments du personnage ; les notations
descriptives qui suivent viennent justifier les impressions éprouvées. On retrouve cette subjectivité
caractéristique du point de vue interne dans le modalisateur « semblait » (« semblait dormir »).
Deuxième passage :
- « Il était revenu à son poste favori, en haut de l’escalier de l’entresol » : on retrouve l’immobilisation
(« poste ») et la position dominante qui justifie la description (« s’étalait sous lui ») ;
- « un rire victorieux », « un besoin tapageur de triomphe » : l’évocation du magasin passe également par
celle des sentiments éprouvés ;
- « il regardait », « il écoutait » : les verbes de perception introduisent les notations descriptives dans la
trame narrative.
On veillera à ne pas relever le dernier verbe de perception « voyait », qui annonce une anticipation à
la mesure des ambitions de Mouret : « grandir démesurément », « élargir », « prolonger ».
an Les deux descriptions s’opposent nettement : tout est sous le signe du vide, dans le premier passage
qui se situe avant l’arrivée de la foule ; tout est, au contraire, sous le signe de la profusion, dans le
second passage. Le fait que, dans les deux cas, la description soit conduite du point de vue d’un
personnage qui se place au même endroit du magasin vient souligner le contraste et marquer le succès
de la journée, après un moment d’inquiétude nécessaire à la tension dramatique.
Dans le deuxième extrait, le mot « tapage » se fait l’écho du « massacre d’étoffes », évoquant à la fois
l’effervescence qui règne dans le magasin et la victoire de Mouret. On peut relever en effet tout un
lexique de la victoire et de la guerre : « victorieux », « triomphe », « La campagne […] gagnée », « mis en
pièces », « conquis ». Ce vocabulaire militaire se prolonge à la fin dans le rêve d’agrandissement de
Mouret, comme s’il s’agissait de gagner du terrain et de bâtir un empire (« grandir démesurément »,
« élargir », prolonger »).
Au contraire, dans la première description, l’espace n’est pas à conquérir, il est même trop grand : « le
vide », « presque personne », « espacée, pleine de trous », « nues ». Si l’espace est vide, le temps, à sa
manière, l’est aussi puisque tout semble ralenti, endormi, à la différence de l’effervescence présente
dans le second passage. On croirait presque une atmosphère magique dans la clarté « diffuse et comme
suspendue » : les mouvements sont en effet ralentis (« lent défilé »), espacés (« Par moments »). Le
sommeil n’est pas loin, comme dans les contes (« semblait dormir »), à moins qu’il ne s’agisse plutôt de
la mort (« l’air cérémonieux, raidi », « la paix morte du hall », « des paroles chuchotées », « silence frissonnant
de chapelle », « s’immobiliser et se refroidir »). Dans le deuxième passage, au contraire, le magasin revit et
tout exprime son agitation. Ainsi, les « caissiers inactifs » sont désormais « penchés sur leurs registres,
additionnant des longues colonnes de chiffres. »
Dans le premier passage, Mouret souffre, comme en témoignent les termes « navrant » (à prendre dans
son sens propre) et « cœur […] serré ». À la fin de la description, ses sentiments sont un peu différents,
plus complexes. La souffrance a fait place à la « peur ». Cette angoisse l’amène à se projeter dans
l’avenir en imaginant (« croyait sentir ») la fin de son empire. Les verbes « s’immobiliser » et « se refroidir »
évoquent une action progressive et suggèrent l’anticipation pessimiste du personnage. Mais cette peur
provoque une réaction : Mouret est en effet « indigné d’avoir peur ». La syntaxe place l’angoisse au
second plan et met en avant la capacité à réagir du personnage, dont on a vu l’esprit d’entreprise.
am
Réponses aux questions – 10
Dans le second passage, la peur et la souffrance ont cédé le pas à la joie triomphante du « rire
victorieux ». On retrouve le même procédé d’anticipation à la toute fin de la description, mais il s’agit
cette fois-ci d’un rêve positif. Le mouvement de dilatation du magasin que nous avons observé plus
haut a remplacé le repli et la mort suggérés à la fin du premier extrait. Le plaisir de Mouret réside dans
la domination, celle des clientes bien sûr, celle du petit commerce (« le petit commerce du quartier mis en
pièces ») et celle aussi des grands financiers qui font Paris (« le baron Hartmann conquis, avec ses millions et
ses terrains »).
Ainsi, les deux passages se font écho et s’opposent, sur le plan de la description comme sur celui de
l’expression des sentiments du personnage. Ce contraste génère une tension dramatique nécessaire au
plaisir romanesque et met en valeur le triomphe de Mouret.
ao Mme de Boves et Mme Marty sont subjuguées par les marchandises que Mouret expose.
D’abord, il est essentiel de commenter l’attitude de Mme de Boves au début du passage. Mme Marty
remarque que son amie est attirée par « des cravates et des voilettes pareilles aux [s]iennes ». Il ne s’agit pas
là d’une simple coïncidence : « Mme de Boves, que les dentelles de Mme Marty tourmentaient depuis le
samedi, n’avait pus résisté au besoin de se frotter du moins au même modèle ». On voit là que le désir de
Mme de Boves ne peut se comprendre que situé au sein d’un groupe social. Zola consacre plusieurs
chapitres au salon d’Henriette Desforges afin de souligner cette importance du groupe dans l’attitude
des consommatrices. La jalousie féminine est un élément déterminant et moteur chez Mme de Boves
et son attitude est dirigée par le regard qu’elle porte sur les autres et par le manque que crée la
pingrerie de son mari. Le regard qu’elle porte sur les marchandises est lié à cette jalousie ; si Zola nous
présente les clientes de Mouret tantôt dans le magasin tantôt dans les salons, c’est pour montrer à son
lecteur comment la stratégie commerciale du grand patron s’appuie sur une connaissance de la
psychologie féminine (selon l’auteur).
Par ailleurs, la fascination des clientes pour les marchandises exposées se traduit par l’expression d’une
relation et d’un plaisir physiques devenus nécessités vitales. On voit Mme de Boves ne résistant pas
« au besoin de se frotter » aux produits et plongeant ses bras « dans un tel flot de dentelles » avec des « mains
fiévreuses ». L’intensité du plaisir de la consommation nécessite qu’on en profite de façon solitaire et
provoque presque l’évanouissement : « Elles se séparèrent en se pâmant ». Les connotations sexuelles ne
sont pas loin.
Chez Mme de Boves, le besoin de posséder les marchandises exposées ira, à la fin du roman, jusqu’au
vol. On la voit ici surveillée par l’inspecteur Jouve qui a été attiré par son comportement suspect : « il
jeta un regard vif sur ses mains fiévreuses ».
ap Le premier sentiment de Denise, à son arrivée dans le magasin où elle fait ses débuts, est la
surprise : le décor a changé selon les directives de Mouret et elle ne le reconnaît plus (« elle était restée
saisie, ne reconnaissant plus l’entrée du magasin, achevant de se troubler dans ce décor de harem »).
Étrangère à cet environnement oriental, qui n’appartient pas à son univers, elle se sent « mal à l’aise »,
tout comme elle se sent « endimanchée » dans la robe de soie noire de son uniforme.
À partir du moment où Denise fait son entrée au rayon des confections, elle devient, curieusement,
comme absente. Ses sentiments ne sont pas rapportés. Après avoir assisté sans intervenir à une querelle
entre deux vendeuses, elle est le point de mire des regards et Mme Aurélie tente d’améliorer la tenue
et la coiffure de la jeune fille. Denise ne répond pas, ne réagit pas et cette passivité traduit sans doute
son désarroi ; elle est incapable d’initiatives et semble même avoir perdu l’usage de la parole.
Par la suite, on la voit émue par Hutin qui, croit-elle, lui confie une cliente. Le vocabulaire affectif
(« ami », « fraternel et tendre », « gratitude ») exprime le désir de Denise de trouver sa place dans le
magasin et de se lier à des collègues.
À cette « gratitude » due à la naïveté de la jeune fille, succède le désarroi : « la jeune fille, très lasse déjà,
étourdie par le monde, perdit la tête ». Là encore, elle se sent en décalage par rapport à son
environnement et perdue, elle qui « n’avait jamais servi qu’une clientèle rare, chez Cornaille, à Valognes ».
Le désarroi devient une véritable paralysie (« la première acheva de paralyser Denise »), puis un assassinat :
« Denise, frappée au cœur, désespérant de jamais réussir dans la maison, était demeurée immobile, les mains
ballantes. ». Zola nous rappelle que l’enjeu est grand pour Denise qui doit subvenir aux besoins de ses
frères : « On allait la renvoyer sans doute, les enfants seraient sans pain ».
Par la suite, sous les yeux de Mouret, Denise joue le rôle d’un « mannequin » sur lequel on pose les
manteaux, et cette réification du personnage (on remarquera que Denise, ou ses substituts lexicaux et
pronominaux, est souvent COD des verbes), déjà présente lors de son arrivée dans le rayon, provoque
Au Bonheur des Dames – 11
un sentiment d’humiliation : « Denise était devenue très pâle. Une honte la prenait, d’être ainsi changée en
une machine qu’on examinait et dont on plaisantait librement. » L’humiliation est telle qu’elle se dit en
terme de viol : « Elle se sentait violentée, mise à nu, sans défense », « son abandon de paria, atteinte à ses plus
intimes pudeurs de femme ».
Lorsque Denise regagne sa chambre, sa souffrance est à la fois physique (« tellement les pieds lui faisaient
du mal ») et morale comme en témoigne la répétition du verbe « pleurer ». L’humiliation subie dans
cet univers étranger la conduit à se replier sur elle-même, son passé et sa famille : « elle eut
l’enfantillage, pour défaire sa malle, de vouloir remettre sa vieille robe de laine », « au souvenir de ses deux
enfants ». La dernière expression « ivre de fatigue et de tristesse » résume sa double détresse.
Étudier la progression de la double intrigue
Différents éléments au cours du chapitre donnent à Denise l’impression de ne pas avoir sa place
dans le magasin :
– Bien que se voyant attribués une chambre et un uniforme identiques aux autres, elle se sent
« endimanchée, mal à l’aise » ; d’ailleurs, la robe ne lui va pas (« Cette robe était encore un peu grande, trop
large aux épaules »), comme le soulignera Mme Aurélie (« Tirez donc la ceinture par-devant […] Là, vous
n’avez plus de bosse dans le dos, au moins… »).
– Les cheveux de Denise se distinguent également des coiffures sophistiquées des autres vendeuses :
« mais leur coquetterie, le luxe dont elles luttaient, dans l’uniformité imposée de leur toilette, était leurs cheveux
nus, des cheveux débordants, augmentés de nattes et de chignons quand ils ne suffisaient pas, peignés, frisés,
étalés. » Denise ne parvient pas à discipliner sa chevelure et à la disposer avec « coquetterie » ; ses
cheveux ne forment qu’un « tas », sont « noués de travers ». Mme Aurélie, puis Mouret lui-même, ne
manqueront pas de le lui reprocher.
– Denise est rejetée par ses collègues qui se réconcilient pour mieux se moquer d’elle : « Mais l’entrée
de Denise réconcilia ces demoiselles. Elles la regardèrent, puis se sourirent. Pouvait-on se fagoter de la sorte ! »
Elles n’hésitent pas à rire de sa gaucherie et de sa honte, jalouses aussi de sa chevelure. Ne sachant pas
comment se comporter vis-à-vis des clientes et ne connaissant pas l’emplacement des marchandises,
elle se sent perdue dans le Bonheur des Dames, très différent de la boutique où elle travaillait en
Normandie.
– Rejetée par les autres vendeuses, elle est aussi la cible des moqueries des clientes et de la direction
rassemblées autour d’elle (« tous les yeux revinrent sur Denise ») dans la scène de l’essayage. Sa différence
(une provinciale) est montrée du doigt sans pitié et le mot « paria » est utilisé.
ar Lorsque tout le monde est réuni autour de Denise dans la scène du manteau, Mouret n’est alors
qu’un personnage parmi les autres, fondu dans un « on » indéfini (« on sourit », « on examinait », « on
plaisantait »). Lorsqu’il prend la parole, il assène à Denise le coup de grâce (« Ce fut le comble »,
« Denise avait encore pâli »). La honte qu’elle éprouve est une humiliation d’ordre amoureux. En effet,
alors que Mouret affiche sa liaison avec Mme Desforges (« Celui-ci sentit la caresse amoureuse de ce coup
d’œil, le triomphe de la femme heureuse de sa beauté et de son art. Aussi, par gratitude d’homme adoré, crut-il
devoir railler à son tour »), Denise se sent « violentée, mise à nue ».
as Mouret a conclu avec le baron Hartmann un arrangement financier qui dépend du succès de ce
lundi (fin du chapitre III) et le succès de la vente va permettre l’agrandissement du magasin. Après des
débuts difficiles, un magasin vide et un sentiment d’échec (« Mouret, indigné d’avoir peur, croyait sentir sa
grande machine s’immobiliser et se refroidir sous lui »), la clientèle arrive et le Bonheur des Dames se remplit :
« La pièce était pleine, une queue de monde la traversait dans un bout ». Le triomphe commercial est
symbolisé par la recette : « C’était le plus gros chiffre qu’une maison de nouveautés eût encore jamais atteint en
un jour. ».
Ce succès nourrit les rêves de Mouret car il les rend possibles : « il voyait déjà le Bonheur des Dames
grandir démesurément, élargir son hall, prolonger ses galeries jusqu’à la rue du Dix-Décembre. ». La suite du
roman fera passer ce rêve au stade de la réalité et l’on retrouvera une recette extraordinaire (« le
million ») à la toute fin du roman.
aq
Lire l’image
La gravure nous donne des informations concernant un service qui n’est pas visible des clients
puisqu’il s’agit de l’expédition des marchandises. Les colis et les employés sont nombreux, ce qui nous
indique l’importance des livraisons et de la vente par correspondance. Ce service qui n’est pas montré
bt
Réponses aux questions – 12
au public semble la face obscure du magasin. La pièce est basse de plafond, voutée, mal éclairée ; c’est
vraisemblablement un sous-sol. Les conditions de travail sont difficiles : en effet, la plupart des
personnages sont courbés et le travail se fait dans la promiscuité et la pénombre.
Sans doute éprouve-t-on un certain malaise lorsqu’on regarde ces hommes penchés dans l’obscurité
après avoir vu l’aspect lumineux du magasin ou les robes de soie noire des employées. Dans son
roman, Zola s’attache également à montrer à ses lecteurs l’envers du décor, tout ce que les clients ne
voient pas : le logement des employés, la cantine…
On pourra comparer cette gravure à celle de la page 224 (questionnaire 5) afin de souligner le
contraste entre ces deux visages du grand magasin.
À vos plumes !
Le dialogue entre les deux jeunes filles devra être inséré dans une trame narrative au passé pour
mieux se rapprocher du roman de Zola. Les propos de Denise contiendront eux-mêmes des passages
narratifs puisqu’il s’agit de raconter cette première journée au magasin.
On valorisera les copies qui auront su préparer un glissement du découragement à la volonté de se
battre.
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C h a p i t r e
V I I
( p p .
1 0 6
à
1 0 9 )
Que s’est-il passé entre-temps ?
Baugé est le fiancé de Pauline, la confidente de Denise. Colomban est fiancé à Geneviève Baudu,
mais il aime Clara, une des vendeuses du rayon confection du Bonheur des Dames. Quant à Deloche, il
aime Denise.
v Denise pensait être amoureuse de Hutin, un des vendeurs du Bonheur des Dames qui s’était montré
aimable avec elle le jour de son arrivée.
w Denise a accepté la proposition de Robineau et elle coud, durant la nuit, des nœuds de cravate afin
de compléter ses revenus qui s’avèrent insuffisants pour vivre et élever ses deux frères. Elle doit en
effet payer la pension de Pépé. Mais ce sont surtout les frasques de Jean qui l’obligent à travailler ainsi
la nuit pour pouvoir lui donner l’argent qu’il lui réclame.
x Plusieurs raisons expliquent le renvoi de Denise :
- L’été est une saison creuse, aussi n’importe quel prétexte est-il saisi par la direction pour licencier et
réduire la masse salariale ;
- Denise, conseillée par Robineau, a effectué un travail en plus de son métier de vendeuse – ce qui est
interdit par la direction ;
- Denise est espionnée par l’inspecteur Jouve dont elle a repoussé les avances. Il la surveille de près
dans le but de la dénoncer à Mouret à la première occasion ;
- Denise est surprise en train de parler Jean durant ses heures de travail. Sans consulter Mouret,
Bourdoncle prononce le renvoi de la jeune fille. Le patron, bien que contrarié, ne revient pas sur
cette décision.
u
Avez-vous bien lu ?
Denise se réfugie chez Bourras : elle lui loue une chambre et, pour l’aider, le marchand de
parapluies lui proposera de travailler chez lui. On devine là une solidarité entre les victimes du grand
commerce.
U Denise ne pouvant plus payer la pension de Pépé, ce dernier vient habiter avec elle chez Bourras.
La jeune fille se sacrifie pour qu’il puisse manger et le marchand le prend en affection. Quand Denise
entrera chez Robineau, Bourras continuera de garder Pépé.
V Robineau, l’ancien commis renvoyé par Mouret, décide, poussé par le fabricant lyonnais Gaujean,
de se battre contre le Bonheur des Dames. Il met sur le marché une soie censée concurrencer le ParisBonheur de Mouret. Employant la stratégie commerciale qui a fait le succès du grand magasin, il
soigne la présentation de la marchandise, baisse le prix et fait de la publicité dans les journaux. Mais
Mouret surenchérit et Robineau, qui tente de résister en s’alignant, subit de terribles pertes
financières.
y
Au Bonheur des Dames – 13
Bourras invente le parapluie à godet, espérant que cette innovation va lui attirer une clientèle.
Comme Robineau, il est obligé de baisser son prix pour tenir tête à Mouret qui lui a pris son
invention tout en la vendant meilleur marché grâce à l’amélioration des matériaux.
W
Étudier la représentation de la misère
Le passage délimité exprime les conditions de vie misérables de Denise, et, plus généralement, la
détresse des employées qui, ayant perdu leur travail, se retrouvent sans ressources.
On peut relever deux propositions évoquant la faim : « Denise n’avait pas même de pain pour la soupe de
Pépé » et « s’il demandait à manger ». Ces deux expressions se rapportent à Pépé. Zola n’évoque pas la
faim de Denise, mais choisit de nous montrer celle du petit garçon, victime innocente ; on le voit
d’ailleurs en train de dormir sans se douter de ce qui se passe, dans une scène pathétique qui n’est pas
sans rappeler l’incipit de L’Assommoir. De plus, la faim de l’enfant se double de la détresse morale de la
jeune fille qui est d’autant plus émouvante qu’elle ne cherche même pas à assurer sa propre survie.
at Cette phrase est composée de deux propositions : la première (« Un soir, Denise n’avait pas même de
pain pour la soupe de Pépé ») est une principale qui dirige la subordonnée circonstancielle de temps
(« lorsqu’un monsieur décoré s’était mis à la suivre »).
Derrière le lien de concomitance explicite, se devine un lien logique de cause à conséquence. En
effet, Denise apparaît comme une jeune fille vulnérable ; sa misère se voit et les passants peuvent
deviner aisément qu’elle a besoin d’argent. Elle devient alors la proie facile des hommes prêts à
acheter une aventure amoureuse.
ak En évoquant le destin de Pépé, Zola dénonce la misère qui touche des créatures innocentes et
vulnérables car incapables de subvenir à leurs besoins : « Le petit dormait. Que répondrait-elle s’il s’éveillait
et s’il demandait à manger ? »
Mais c’est surtout la logique sinistre de la prostitution que Zola pointe du doigt dans ce paragraphe.
En évoquant les réflexions de Denise et son refus courageux, il esquisse la spirale de la déchéance qui
conduit une jeune fille renvoyée par son patron à céder aux avances du premier « monsieur décoré » qui
l’aborde dans la rue. La tentation est répétée (« Bien des fois, Denise s’interrogea de la sorte ») et il faut la
force de caractère de Denise pour échapper à l’engrenage fatal. Zola insiste sur le côté exceptionnel
du refus de la jeune fille (« sagesse », « courage », « brave »), soulignant ainsi la généralisation du
mécanisme : « Sa misère finissait, elle avait de l’argent, des robes, une belle chambre. C’était facile, on disait
que toutes en arrivaient là, puisqu’une femme, à Paris, ne pouvait vivre de son travail. » C’est à une société
dirigée par des hommes prêts à profiter de leur statut social que Zola s’en prend et non aux
malheureuses qui cèdent à la tentation (« sans indignation contre les autres »).
al On voit ici que le projet réaliste de Zola ne saurait être une simple reproduction de la réalité ; la
« vision » du réel, pour employer le mot de Maupassant dans la préface de Pierre et Jean, passe par une
mise en scène, comme en témoigne l’organisation de l’espace dans Au Bonheur des Dames. Ainsi, la
misérable chambre que Denise loue chez le marchand de parapluies jouxte le magasin de Mouret, de
sorte que le « simple mur », au lieu de dissocier deux mondes radicalement opposés, en souligne la
confrontation. À croire que le grand magasin, tel une créature monstrueuse, est omniprésent et qu’on
ne peut lui échapper. Dominant la rue par ses vitrines lumineuses, il se fait entendre jusque dans
l’obscure chambre de Denise : « elle sentait monter la foule, avec le ronflement plus large de la vente. Les
moindres bruits ébranlaient la vieille masure collée au flanc du colosse : elle battait dans ce pouls énorme. »
Cette contiguïté souligne la misère de la jeune fille, la profusion (« foule », « vente ») s’opposant
fortement au vide de la faim et du manque qui règnent chez Bourras. De plus, dans l’intérêt de
l’intrigue amoureuse, Denise ne peut oublier le temps passé au Bonheur des Dames : on a l’impression
même qu’elle continue de vivre au rythme du magasin (« Denise vivait toujours dans le branle du
Bonheur des Dames », « Un simple mur séparait sa chambre de son ancien rayon ; et, dès le matin, elle
recommençait ses journées »). Par ailleurs, dans une perspective à la fois économique et mythologique,
cette impossibilité d’échapper à Mouret consacre déjà la victoire du monstre (« ronflement », « pouls »)
et le triomphe de la modernité incarnée par le grand magasin.
X
Étudier le cadre de la rencontre de Mouret et de Denise
La rencontre entre Mouret et Denise a lieu au mois de juillet, dans la soirée.
La jeune fille a été renvoyée en été, de sorte que la scène des Tuileries constitue en écho comme un
moment réparateur qui inaugure de nouvelles relations entre les deux personnages suite aux excuses
am
Réponses aux questions – 14
de Mouret : « Écoutez, mademoiselle, j’ai des excuses à vous présenter… Oui, j’aurais été heureux de vous dire
plus tôt combien j’ai regretté l’erreur qui a été commise. On vous a accusée trop légèrement d’une faute… ».
Le contexte temporel est aussi justifié par la logique romanesque des événements : c’est le soir, les
deux personnages, ne travaillant pas, peuvent avoir l’occasion de se croiser. De plus, la chaleur et le
moment de la journée (en juillet, les jours sont longs) expliquent leur présence à tous deux dans le
jardin des Tuileries. La chaleur justifie que la jeune fille ait quitté sa chambre pour la fraîcheur des
arbres : « elle allait respirer un peu l’air des Tuileries, jusqu’à la fermeture des grilles ». Quant à Mouret, il
rejoint Mme Desforges et le jardin est une étape de son itinéraire : « C’était Mouret, qui avait dîné sur la
rive gauche et qui se hâtait de se rendre à pied chez Mme Desforges. »
an La rencontre des deux personnages a lieu au jardin des Tuileries. Comme on l’a montré en
répondant à la question précédente, le contexte temporel (saison et journée) explique la présence de
Mouret et de Denise dans le jardin.
Ce jardin constitue un terrain neutre pour les deux personnages : ce n’est ni le monde du commerce,
ni l’univers des salons que fréquente Mouret. Seul un lieu n’impliquant ni leur travail ni leurs
conditions sociales respectives pouvait convenir pour une réconciliation.
De plus, le jardin constitue une sorte de parenthèse au sein du monde urbain qui est au cœur du
roman. Paris et la société restent de l’autre côté des grilles, tandis que la nature et les sentiments
naturels (saisis en dehors de la question des milieux) règnent aux Tuileries. Le jardin est une sorte de
bulle au cœur de la ville et les arbres offrent une fraîcheur apaisante au sein d’un été trop chaud ; de
même, la promenade de Mouret et de Denise marque un temps d’arrêt paisible dans le parcours tendu
de leurs relations.
ao À la fin du passage, le retour au réel urbain est marqué par la mention de différents lieux qui nous
écartent des Tuileries : « ils débouchèrent enfin, vers la rue de Rivoli », « il venait d’apercevoir devant lui, au
coin de la rue d’Alger, les fenêtres éclairées de Mme Desforges, qui l’attendait », « notre maison vous est
ouverte ». Ces évocations regroupées en quelques lignes viennent sonner l’heure de la séparation ; on a
déjà l’impression de quitter le jardin alors même que les personnages s’y trouvent encore.
ap On a vu (question 14) que le choix des Tuileries comme cadre de la promenade de Mouret et de
Denise permet de rompre avec l’univers urbain des tensions et des intérêts pour installer un
environnement naturel plus propice à l’expression spontanée et tranquille des sentiments. On retrouve
presque là comme un écho de l’état de nature, indemne de toute corruption, cher à Rousseau.
La nature est présente sous la forme des arbres dont le rôle dans cette scène est primordial. On peut
relever :
- « Un soir, comme elle se dirigeait vers les marronniers » : les arbres constituent le but de la promenade car
ils représentent pour Denise la fraîcheur à laquelle elle aspire ;
- « il la suivit sous les ombres noires des grands marronniers. Une fraîcheur tombait » : Les arbres offrent un
refuge aux deux personnages car s’y trouvent associés l’obscurité et la fraîcheur ;
- « et les bruits lointains de Paris se mouraient, sous les ombres noires des grands arbres » : on retrouve ici
l’importance de l’ombre soulignée par la redondance « ombres noires » et l’emploi de l’adjectif
« grands ». Cette obscurité permet aux deux amoureux qui s’ignorent encore d’échapper à la réalité de
Paris qui les détermine ;
- « Au sortir de la nuit des arbres, ce fut comme un brusque réveil » : là encore l’obscurité est protectrice. Si
le retour au réel urbain est vécu comme un « réveil », c’est que la promenade a été l’occasion d’une
plongée dans le monde souterrain des rêves et des désirs ;
- « Quand Mouret l’eut quittée, Denise rentra sous les marronniers, dans l’ombre noire. Longtemps, elle marcha
sans but, entre les troncs énormes, le sang au visage, la tête bourdonnante d’idées confuses » : l’ombre des arbres
est toujours protectrice, mais elle évoque aussi (cf. citation précédente) la confusion des sentiments et
le trouble du désir amoureux.
Étudier la rencontre des deux personnages
Le dialogue inséré dans le récit est rendu vivant par la diversité des procédés employés :
- Le discours direct domine : on repère les tirets qui l’indiquent et les incises qui permettent
l’insertion. Il arrive même que la parole rapportée double le commentaire narratif, se contente de
l’illustrer, de lui donner vie sans apporter réellement d’informations supplémentaires (« Elle
l’interrompit, elle refusa avec une hâte fébrile. – Monsieur, je ne puis pas… Je vous remercie tout de même, mais
j’ai trouvé ailleurs. ») ;
aq
Au Bonheur des Dames – 15
- On peut relever également du discours narrativisé, très proche du discours indirect tant le compterendu est précis : « il lui parla de ce dernier, auquel il rendait justice : un garçon d’une intelligence vive, trop
nerveux seulement. Il aboutirait à une catastrophe, Gaujean l’avait écrasé d’une affaire trop lourde, où tous deux
resteraient. Alors, Denise, gagnée par cette familiarité, se livra davantage, laissa voir qu’elle était pour les grands
magasins, dans la bataille livrée entre ceux-ci et le petit commerce ; elle s’animait, citait des exemples, se montrait
au courant de la question, remplie même d’idées larges et nouvelles. »
Ce jeu du discours direct dominant et du discours narrativisé permet de mettre en relief les paroles
importantes, puis d’installer, avec la forme narrativisée, une sorte de rythme paisible. Le temps s’en
trouve arrêté puisqu’on ne peut mesurer la durée de l’échange simplement résumé. Le retour au
discours direct marque un retour au réel et on est frappé par la brièveté et la platitude des dernières
paroles, après la confiance réciproque dont témoigne le dialogue narrativisé : « – Bonsoir, mademoiselle.
– Bonsoir, monsieur. »
ar La parole n’est pas le seul moyen d’expression dans cette scène et les verbes se rapportant à l’écoute
ou au regard expriment le non-dit de la conversation, la « sous-conversation », pour reprendre une
expression de Nathalie Sarraute. On relève :
- « il lui semblait reconnaître Hutin. Puis, son cœur battit violemment. C’était Mouret », « Au
brusque mouvement que fit la jeune fille pour lui échapper, il la regarda. La nuit tombait, il la
reconnut pourtant » : la répétition du verbe « reconnaître » indique la réciprocité de la reconnaissance,
première étape d’une scène qui préfigure une autre reconnaissance, celle du sentiment amoureux qui
les habite tous deux ;
- « C’est votre frère, n’est-ce pas ? demanda-t-il encore, les yeux sur Pépé » : on observe ici un jeu
triangulaire du regard : Mouret regarde Pépé et Denise ; Pépé, lui aussi, regarde tour à tour Mouret et
sa sœur ;
- « Lui, ravi, l’écoutait avec surprise » : l’écoute prend le relais du regard. Denise a gagné en
spontanéité et l’attitude de Mouret n’est plus dominatrice ; il est au contraire sous le charme (le sens
premier de « ravi ») de la jeune fille ;
- « Il se tournait, tâchait de distinguer ses traits, dans la nuit grandissante » : la nuit dissimule Denise et
le regard devient alors une véritable quête, ce qui annonce les efforts que fera ultérieurement Mouret
pour posséder la jeune fille ;
- « Pépé semblait écouter de son air attentif d’enfant précoce. Par moments, il levait les yeux sur sa
sœur, dont la main brûlante, secouée de légers tressaillements, l’étonnait » : l’attitude interrogative de
Pépé souligne l’ambiguïté des relations de Mouret et de Denise.
- « Un instant, il essaya de causer de l’oncle Baudu ; puis, il dut se taire, en voyant le malaise de la
jeune fille » : le patron autoritaire est devenu un homme prévenant et attentif.
- « En levant les yeux, d’un coup d’œil, il venait d’apercevoir devant lui, au coin de la rue d’Alger, les
fenêtres éclairées de Mme Desforges, qui l’attendait. Et il avait reporté ses regards sur Denise, il la
voyait bien, dans le pâle crépuscule » : la mention d’un lieu extérieur au jardin et d’une femme
extérieure au trio des promeneurs marque la fin de la scène ; mais le regard posé sur les fenêtres de
Mme Desforges est suivi d’un regard sur Denise qui semble annoncer d’abord la rivalité des deux
femmes puis le triomphe de la jeune employée.
Ainsi, en relevant les verbes se rapportant à l’écoute et au regard, on voit que la première vient
compléter le second pour exprimer les différents sentiments des personnages, de la curiosité de Pépé
au désir de possession de Mouret. Une grande absente ici : Denise. Mise à part la reconnaissance
initiale à laquelle elle tente de se dérober (« brusque mouvement que fit la jeune fille pour lui
échapper »), elle ne semble pas regarder Mouret. Sans doute voit-on ici son trouble, trouble d’autant
plus grand qu’elle en oublie de considérer Pépé : « Pépé, toujours pendu à sa main, allongeait ses
courtes jambes pour la suivre. Elle l’oubliait. »
as Sans doute peut-on expliquer de plusieurs manières la présence de Pépé :
- Un souci de vraisemblance : la jeune fille, dont Zola souligne le sentiment maternel, ne sortirait pas
le soir sans son petit frère qu’elle ne peut laisser seul.
- L’innocence de l’enfance qui donne un éclairage limpide à la scène ;
- Un souci de bienséance : une jeune fille ne se promène pas seule le soir dans un jardin public et
Pépé sert de prétexte à sa promenade. Ainsi accompagnée, elle décourage toute entreprise masculine ;
Réponses aux questions – 16
- Comme le rappelle Mouret, Denise a été renvoyée sans avoir eu le temps de prouver qu’elle
discutait avec son frère Jean et non avec un amoureux, comme le prétendait Jouve. La présence de
Pépé s’inscrit dans le prolongement du renvoi, Pépé étant un substitut de Jean ;
- Pépé est un élément essentiel du portait de Denise et, dans le dernier chapitre, juste avant que
Mouret ne se décide à la demander en mariage, il la verra une fois de plus s’occupant du petit garçon.
La présence de Pépé révèle fibre maternelle de Denise, trait essentiel de la femme idéale selon Zola.
bt Différents sujets, à l’exception bien entendu de l’enjeu réel de la rencontre (l’amour naissant), sont
abordés :
- renseignements qui complètent la reconnaissance et relèvent de l’identification : « Vous êtes toujours à
Paris », « C’est votre frère, n’est-ce pas ? » ;
- retour sur l’injustice du renvoi : « On vous a accusée trop légèrement d’une faute ». Ce retour permet de
gommer le passé et d’inaugurer une ère nouvelle ;
- Robineau : à partir de là, les deux personnages échangent des considérations sur le commerce : « elle
était pour les grands magasins, dans la bataille livrée entre ceux-ci et le petit commerce » ;
- Bourras : de même que pour Robineau, la mention de Bourras est un prétexte pour revenir à la
jeune fille et à ses conditions de vie : « votre place n’est pas chez lui, sa maison est mal famée ».
On remarquera que c’est Mouret qui pose des questions et qui inaugure chacun des sujets de
conversation ; Denise, conformément à l’image de la femme qu’elle incarne, se contente d’emprunter
le chemin ouvert.
bk Mouret, bien que se rendant chez sa maîtresse, Mme Desforges, s’arrête pour discuter avec la jeune
fille qui l’attire. C’est d’ailleurs lui qui aborde Denise, cette dernière tentant, par réserve naturelle ou
amour embarrassé, d’échapper à la rencontre : « Au brusque mouvement que fit la jeune fille pour lui
échapper, il la regarda. La nuit tombait, il la reconnut pourtant. — C’est vous, mademoiselle. », « Lentement,
elle reculait, elle cherchait à saluer, pour continuer sa promenade. Mais il revint lui-même sur ses pas, il la suivit
sous les ombres noires des grands marronniers ».
Dans un premier temps, Mouret éprouve une gêne qui s’explique à première vue par le renvoi injuste
de la jeune vendeuse : « Lui, souriant, cachait sa gêne sous un air d’aimable protection. ». On le voit
également installer un climat de confiance : l’« aimable protection » présentée comme une façade, la
« politesse respectueuse » créent une quiétude rassurante capable d’apaiser Denise (« Et, tranquillement, sur
un pied d’égalité charmante »).
Par la suite, Mouret éprouve un vrai plaisir à discuter avec la jeune fille. Dès lors que la « protection »
est devenue « égalité », les barrières sont renversées et le jardin des Tuileries joue pleinement son rôle
de terrain neutre, permettant l’expression de sentiments positifs : on voit en effet Mouret « ravi »,
riant (« Puisque vous êtes des nôtres, dit-il en riant ») et manifestant sa gaieté (« Tenez ! reprit gaiement
Mouret »).
À la fin du passage, le retour au réel se traduit par la dissipation d’une conversation vécue comme un
rêve. En effet, le silence s’installe ; Mouret ne sait plus quoi dire (« Et le silence retomba. Ni l’un ni
l’autre n’avait plus rien à se dire », « Voici un petit garçon qui se fatigue, reprit-il pour dire encore quelque
chose »). Mais la joie demeure (« pourquoi dont lui chauffait-elle ainsi le cœur ? »), même si Mouret chasse
cet amour naissant de ses pensées en le traitant de « caprice imbécile ».
bl La première attitude de Denise est la fuite ; elle a aperçu Mouret et se dérobe (« brusque mouvement
que fit la jeune fille pour lui échapper ») – ce qui ne fait qu’attirer l’attention de son ancien patron. Cette
fuite exprime une émotion forte (« son cœur battit violemment »), qui peut s’expliquer par la triste issue
de son séjour au Bonheur des Dames et par l’écart des conditions sociales.
Mais Zola insiste fortement sur le trouble de la jeune fille : « éperdue qu’il eût daigné s’arrêter », « Elle
avait rougi », « Le trouble de Denise avait augmenté ». Elle en perd même l’usage de la parole : « Elle ne
répondit pas », « Oui, monsieur, dit-elle enfin. ». Mais ce désordre, qui était montré d’abord comme un
rejet (la tentative pour fuir), se transforme en bonheur (« mais une joie inondait son cœur ») et laisse la
place à une spontanéité en accord avec celle de Mouret (« Alors, Denise, gagnée par cette familiarité, se
livra davantage », « elle s’animait »).
Denise reste elle-même malgré tout, réservée et gênée lorsqu’il est question de son ami Bourras. On
voit ainsi que, tout en subissant le charme de Mouret, elle garde sa raison et ses valeurs.
La scène a fortement marqué Denise, qui ne peut rentrer directement chez elle après le départ de
Mouret et en oublie même la présence de Pépé. On la voit avançant « sans but », « le sang au visage »
Au Bonheur des Dames – 17
et le désordre de ses sentiments se traduit par l’adjectif « bourdonnantes ». Il lui faut un moment avant
de retrouver « son tranquille visage de fille raisonnable ».
bm Nous venons d’étudier en réponse aux deux questions précédentes les sentiments respectifs de
Mouret et de Denise, faits de trouble et de joie. Mais, la scène des Tuileries se déroule à l’ombre des
marronniers et nous devons nous intéresser à la part d’ombre de cette conversation. Dans le dialogue,
le non-dit, c’est-à-dire le sentiment amoureux, est plus important que ce qui est formulé.
Denise :
- « à quelques pas, marchant droit à elle, il lui semblait reconnaître Hutin. Puis, son cœur battit violemment.
C’était Mouret » : le trouble de la jeune fille est associé à ce qu’elle a éprouvé un moment pour Hutin ;
il s’agit donc bien d’amour plus que de rejet ;
- « mais une joie inondait son cœur. Il savait donc qu’elle ne s’était donnée à personne ! » : là encore, le
sentiment éprouvé est indirectement lié à une relation amoureuse. Denise exprime ainsi une fidélité
que la suite du roman ne démentira pas et qui contraste fortement avec le comportement volage de
Mouret ;
- Tous les termes qui renvoient au désordre des émotions, durant ou après la rencontre, peuvent être
interprétés comme une manifestation d’un amour encore inconscient.
Mouret :
- Quoique maîtrisé, on retrouve chez Mouret le « trouble » de Denise, symptomatique du sentiment
amoureux ;
- On voit surtout que Mouret, qui « se hâtait de se rendre à pied chez Mme Desforges », prend le temps de
converser avec Denise. Alors qu’ils n’ont plus rien à se dire et qu’ils se sont dit adieu, il reste à ses
côtés : « Il comprit qu’il ne pouvait la retenir davantage », « Mais il ne s’en allait pas » ;
- De même que Denise rapproche Hutin et Mouret, ce dernier est amené à comparer Mme
Desforges, sa maîtresse, et la jeune fille : « elle était toute chétive auprès d’Henriette, pourquoi donc lui
chauffait-elle ainsi le cœur ? » ;
- Le point de vue omniscient permet d’entrer dans les pensées du personnage et le discours indirect
libre révèle les émotions ambiguës de Mouret : « la voilà qui devenait femme, et elle était troublante, si
raisonnable, avec ses beaux cheveux, lourds de tendresse ». Le rapprochement des deux adjectifs
« troublante » et « raisonnable » exprime l’ambiguïté des sentiments de Mouret et l’on note que la
sensualité (« un parfum pénétrant dont il subissait la puissance ») l’emporte sur la raison avec l’évocation
en fin de phrase des « beaux cheveux lourds de tendresse ». Mais la tendresse a aussi une connotation
maternelle que la présence de Pépé vient conforter.
Une complicité :
- Les deux personnages se sentent bien ensemble et l’ombre des marronniers, comme la tiédeur de la
soirée, est propice à une intimité presque amoureuse : « égalité charmante », « familiarité », « Ils firent de
nouveau quelques pas en silence », « ils continuaient de se promener côte à côte ».
À vos plumes !
La scène de la rencontre aux Tuileries est un moment clé du roman. Parenthèse apaisante, elle est
l’expression, encore inconsciente, d’un amour réciproque. Le trouble et la quiétude, la fuite et
l’intimité se mêlent étroitement et l’on attend du monologue intérieur qu’il rende compte du
désordre des sentiments, tout en essayant de proposer des réflexions au sujet du trouble éprouvé.
bn
C h a p i t r e
X
( p p .
1 5 8
à
1 6 1 )
Que s’est-il passé entre-temps ?
u
Les propositions justes sont : a, e, f, g, h.
v
OBJET OU BUDGET
• La flanelle chez Baudu
• La flanelle chez Mouret
• Le nouveau salaire de Denise chez
Mouret
• Le budget consacré par Mouret à la
publicité
PRIX
• 6 Francs le mètre
• 5 Francs le mètre
• 1 000 Francs
• 300 000 Francs
Réponses aux questions – 18
Au début du chapitre VIII, Zola fait allusion à la percée de grandes artères dans Paris : « la grande
voie qu’on allait ouvrir, du nouvel Opéra à la Bourse, sous le nom de rue du Dix-Décembre » (aujourd’hui rue
du Quatre-Septembre). Ces travaux datent de 1867 ; la rue sera ouverte en 1869.
x Denise apprend de Geneviève qu’elle aime passionnément Colomban, mais qu’elle a bien compris
que leur mariage ne se ferait pas. Le jeune commis, quant à lui, avoue à Denise son amour impossible
pour Clara, une vendeuse du rayon confections du Bonheur des Dames.
w
Avez-vous bien lu ?
L’inventaire a lieu, comme chaque année (cf. imparfait itératif), le premier dimanche d’août.
Denise n’est pas descendue travailler avec les autres vendeuses car elle s’est foulé la cheville et
marche difficilement. Elle s’est fait cette entorse en montant les escaliers.
V Mme Cabin, la surveillante des chambres, vient apporter à Denise la lettre de Mouret.
W Avant de recevoir la lettre de Mouret et de refuser son invitation à dîner, Denise a déjà repoussé
celle de son oncle Baudu en raison de sa cheville foulée.
y
U
Étudier la représentation du magasin
Les deux passages retenus sont deux descriptions opposées du magasin, en plein inventaire d’abord
et lorsque celui-ci est terminé. L’activité domine dans le premier extrait et l’inactivité dans le
deuxième. Ceci se traduit par divers champs lexicaux opposés :
- Le bruit et le silence : on peut relever dans la première description des termes évoquant le bruit
(« ronflait », « Les voix se haussaient encore »), alors que le silence domine dans le second passage (« Un à
un, les rayons avaient fait silence », « ces voix elles-mêmes se turent »). Le « vacarme de la journée » est
retombé ;
- Le plein et le vide : dans le premier passage, l’espace est plein, débordant de marchandises et de
personnes. Les pluriels sont nombreux (« toutes les forces se tendaient », « des bras », « les cases », « les
marchandises »…) et la métaphore filée de l’eau qui monte vient souligner cette invasion de l’espace :
« la crue des piles et des ballots, sur les parquets, montait à la hauteur des comptoirs », « Une houle de têtes ».
Au contraire, dans le second extrait, c’est le vide qui domine : « quelques commis vidant une dernière
case », « Maintenant, les casiers, les armoires, les cartons, les boîtes, se trouvaient vides », « la carcasse de leur
aménagement », « Cette nudité » ;
- L’activité et l’inactivité : de manière générale, le magasin est en pleine effervescence au début du
chapitre, alors que l’inventaire est achevé dans la deuxième description. Ainsi, « l’échauffement de
l’après-midi » et « la fièvre dernière du branle-bas » ont disparu dans le second passage. On ne devine une
activité qu’à la toute fin lorsque les commis commencent à replacer chacun des articles.
er
at 1 passage :
- « vidant toujours les cases, jetant les marchandises » ;
- « Une houle de têtes, de poings brandis, de membres volants ».
ème
2 passage :
- « les casiers, les armoires, les cartons, les boîtes, se trouvaient vides » ;
- « pas un mètre d’étoffe, pas un objet quelconque n’était demeuré à sa place » ;
- « submerger les tables et les comptoirs ».
Qu’il s’agisse du premier passage, où l’inventaire bat son plein, ou du deuxième, où il est achevé, le
recours au pluriel, l’énumération ou simplement le rythme binaire permettent de multiplier les
marchandises, le personnel et de souligner ainsi l’abondance qui règne chez Mouret.
ak Dans les deux passages, la métaphore filée de l’eau qui monte vient assurer l’unité du chapitre : « la
crue des piles et des ballots, sur les parquets, montait à la hauteur des comptoirs » et « Une houle de têtes » dans
le premier passage, « une mer montante qui avait fini par submerger les tables et les comptoirs », « Les commis,
noyés jusqu’aux épaules » dans le second passage.
Cette métaphore filée du flux ou de la crue d’un fleuve suggère l’abondance. Le magasin est envahi et
on a l’impression que le personnel se noie littéralement. Ainsi, dans le premier passage, on ne discerne
plus que des « poings brandis » ou des « membres volants ». De manière plus marquée que lors des scènes
évoquant les grandes ventes (le Paris-Bonheur, le Blanc), l’inventaire sert de prétexte à un déballage
complet des marchandises et à un déploiement des employés tous affectés à un poste précis. Zola, à
des fins didactiques mais également esthétiques, insiste sur l’abondance qui caractérise le grand
X
Au Bonheur des Dames – 19
commerce. La métaphore filée est suggestive ; elle nous montre par ailleurs que l’écriture zolienne
dépasse le projet réaliste et prend une dimension picturale.
al Le choix de représenter une profusion d’objets qui envahit le magasin (cf. question précédente)
s’accompagne d’un effacement des individus, comme si le déferlement des marchandises déballées
emportait les employés (« noyés »). En effet, ceux-ci sont perçus comme une masse indifférenciée, que
ce soit à travers de nombreux pluriels (« les forces », « les voix », « les commis ») ou un « on » indéfini
(« on ne pouvait plus »). Leurs corps en perdent presque leur intégrité et on assiste à un morcellement
(« la gesticulation des bras », « Une houle de têtes, de poings brandis, de membres volants »).
am La précision de la description repose sur le recours à différents procédés grammaticaux, qu’il s’agisse
des adjectifs qualificatifs ou des compléments du nom. Les procédés stylistiques du rythme binaire et
de l’énumération servent également à exprimer le déballage des marchandises inventoriées. Le
vocabulaire spécialisé du magasin contribue de même à donner au lecteur une illusion de réel : les
« piles » et les « ballots », les « comptoirs » et les « menuiseries », « les casiers, les armoires, les cartons, les
boîtes ».
Mais si la double description du magasin est caractéristique de l’écriture réaliste (reprise par les
naturalistes), on y lit d’autres projets, notamment celui de mettre en avant l’abondance, comme si la
modernité en était le vecteur. À l’extérieur du Bonheur des Dames, la misère des « trois grandes filles en
cheveux » vient souligner par contraste ce que le développement du grand commerce peut apporter. À
cette visée argumentative qui sous-tend la description réaliste s’ajoute la fonction esthétique. L’image
du flux et les corps désarticulés ou noyés donne au magasin une dimension picturale quasi
mythologique : la simple description d’un inventaire devient une scène diluvienne et l’on voit que le
style vient dépasser le projet théorique de l’écrivain.
Étudier la représentation de la société
Alors que la profusion règne dans le magasin, les « trois grandes filles en cheveux, l’air souillon »
représentent une misère qui souligne par contraste l’abondance affichée à l’occasion de l’inventaire.
Elles ne sont pas coiffées comme les femmes de la haute société et aucun homme ne les accompagne.
Leurs paroles (« la drôle de cuisine qu’on bâclait là-dedans ») indiquent leur condition sociale et
introduisent un regard extérieur critique sur le grand magasin de Mouret. Peut-être ces femmes sontelles des prostituées partageant la même curiosité pour un monde qui leur est fermé. L’adverbe
« effrontément » indiquant clairement leur absence de réserve laisse entendre leur profession. Le
participe « plantées » suggère également une attitude un peu équivoque : le lecteur peut penser
qu’elles sont habituées à se tenir ainsi sur les « trottoirs ». La glace sans tain vient séparer fortement les
mondes intérieur et extérieur, soulignant ainsi l’existence de deux univers que tout oppose : coiffure,
attitude et propos. N’oublions pas que lorsque Denise a été chassée du magasin, elle est aussitôt
tombée dans une misère qui lui a laissé entrevoir la possibilité de la prostitution. La chambre qu’elle
occupait chez Bourras n’était séparé du magasin que par une mince cloison dont la glace est ici un
écho.
L’image des trois filles relève du projet réaliste comme de la dénonciation sociale.
ao Le magasin est un microcosme qui reproduit en miniature la société parisienne. Si l’on excepte les
« trois grandes filles », qui rappellent, à l’extérieur du Bonheur des Dames, la misère et la déchéance, pour
se focaliser sur les personnes présentes lors de l’inventaire, on peut distinguer différentes conditions
sociales :
- La haute bourgeoisie est représentée par Mouret : il est le patron et le magasin lui appartient ;
- Les proches de Mouret et les « premières » (Mme Aurélie) ont des revenus satisfaisants et
appartiennent à la petite bourgeoisie ;
- Les employés (commis et vendeuses) représentent le petit peuple des villes ; leurs revenus sont bas,
mais – telle est la particularité du grand commerce – les femmes sont vêtues de soie et ont un contact
avec un luxe qui ne leur est pas accessible. La tentation de se donner à un homme riche est grande et
Clara représente cette dérive.
Dans ce tableau de la société, Mlle de Fontenailles, que Clara surnomme « la marquise », représente
une autre forme de déchéance, celle de l’aristocratie désargentée, obligée de travailler pour survivre.
an
Réponses aux questions – 20
Étudier la progression de l’intrigue amoureuse : la scène d’aveu
L’aveu explicite de Mouret (« Je vous aime ») est amené par le refus de plus en plus clair de Denise
(« Non, monsieur », « c’est impossible »). D’abord, la jeune fille refuse l’invitation à dîner, prétextant
qu’elle compte dîner chez son oncle avec ses frères, alors qu’elle a repoussé aussi cette proposition en
raison de sa cheville. Lorsque Mouret reporte alors la date du dîner, elle ne peut clarifier le véritable
sens de son refus (« Je ne sais pas »). En effet, ce n’est pas l’invitation qu’elle refuse, c’est Mouret luimême et ses intentions : « On fait seulement ce qu’on veut faire, n’est-ce pas ? Moi je ne veux pas, voilà
tout ! » Le verbe vouloir est employé ici de façon intransitive de façon à laisser deviner au lecteur ce
que la jeune fille refuse.
Devant cette attitude claire, Mouret est amené à préciser la nature de ses intentions : il ne s’agit pas
d’abuser de la jeune fille (« De quoi donc avez-vous peur ? », « ne craignez rien »), mais de d’être avec la
personne pour laquelle il éprouve des sentiments qui dépassent les simples désirs (« Vingt fois, j’ai eu
l’envie de vous appeler dans mon cabinet. Nous aurions été seuls, je n’aurais eu qu’à pousser un verrou. Mais je
n’ai pas voulu, vous voyez bien que je vous parle ici, où chacun peut entrer… Je vous aime, Denise… »).
aq Mouret exprime clairement son amour en distinguant nettement les sentiments du simple désir (cf.
la question précédente). Denise le repousse, mais son refus exprime de façon implicite son amour.
Ainsi, elle ne répond pas clairement à Mouret qu’elle ne l’aime pas, et repousse simplement ce que
représente l’invitation.
Lorsque Mouret arrive, Denise manifeste et maîtrise à la fois une émotion qui traduit son amour :
« Elle avait eu un léger sursaut, mais elle s’était domptée, et elle gardait un beau calme, les joues pâles. » Ce
« sursaut » rappelle la tentative pour fuir lors de la rencontre dans le jardin des Tuileries et le lecteur
voit combien la jeune vendeuse timide du début a pris de l’assurance. On retrouve un peu plus loin la
pâleur, qui exprime une émotion que semble démentir son regard : « Elle ne détournait pas les regards,
elle avait seulement pâli davantage. », « la face blanche », « ses yeux pâlirent ». Le trouble se manifeste
également dans sa façon de parler : « Cette simple question troubla Denise. Elle perdit un instant son calme,
elle balbutia ». On voit Denise lutter pour repousser le jeune homme (« le regardant toujours en face »,
« D’un mot, elle l’arrêta », « Non, non, merci, répondait-elle chaque fois, sans une défaillance ») – ce qui ne
l’empêche pas d’être envahie par un plaisir qui se dit en terme de chaleur : « toute sa force s’en allait.
Une chaleur lui venait des mains tièdes de cet homme, l’emplissait d’une lâcheté délicieuse ». Et, alors que le
désordre des sentiments n’avait pas encore pris un nom dans la scène des Tuileries, il est enfin étiqueté
dans un passage au style indirect libre qui rapporte les pensées de Denise : « Mon Dieu ! comme elle
l’aimait, et quelle douceur elle aurait goûté à se pendre à son cou, pour rester sur sa poitrine ! ». L’aveu est un
aveu à soi-même, à la différence de Mouret qui avoue son amour à Denise. On ne manquera pas de
voir ici une représentation traditionnelle des statuts respectifs de l’homme et de la femme.
ar Denise repousse Mouret au nom de ses principes et de son amour. À la différence de Clara qu’elle
mentionne (« Je ne suis pas une Clara, qu’on lâche le lendemain »), elle place les valeurs morales au-dessus
de l’argent que Mouret représente. Elle refuse cette « existence de plaisirs et de luxe » au nom de ce que
l’éducation lui a transmis (« je n’avais pas dix ans que je gagnais ma vie »). Elle est attachée à ce qui est
« convenable » (« rouvrez cette porte. Ce n’est pas convenable, d’être ainsi ensemble »), c’est-à-dire à ce qui est
conforme à la morale.
Mais Denise agit aussi selon ses sentiments : elle aime Mouret et ne veut pas partager, ni avec les
autres vendeuses, comme Clara, ni avec Mme Desforges : « vous aimez une personne, oui, cette dame qui
vient ici… Restez avec elle. Moi, je ne partage pas ».
as Mouret se montre autoritaire et violent. Il exprime son amour, mais aussi son habitude d’imposer
ses volontés sans rencontrer d’obstacle. Son comportement semble plus proche du caprice que de la
manifestation d’une passion. D’ailleurs, la comparaison à l’enfance vient souligner cet aspect négatif du
personnage : « – Vous ne voyez donc pas que je souffre !… Oui, c’est imbécile, je souffre comme un enfant !
Des larmes mouillèrent ses yeux. » Et on a l’impression que ce sont les larmes d’un désir, d’un caprice
contrariés. Mouret est présenté comme quelqu’un à qui on ne résiste pas et qui n’éprouve que du
mépris pour ceux qui cèdent à ses exigences : « C’était la première qui ne cédait pas. Il n’avait eu qu’à se
baisser pour prendre les autres, toutes attendaient son caprice en servantes soumises. »
L’autorité du personnage se lit dans sa façon d’insister (« Alors, quand viendrez-vous ? demanda-t-il de
nouveau. Demain ? », « Peut-être n’offrait-il pas assez ; et il doubla ses offres, et il la pressa davantage ») et
dans la répétition du verbe vouloir (« Je veux, je veux, répétait-il affolé »). La violence verbale de la
ap
Au Bonheur des Dames – 21
menace (« Je vous attends ce soir, ou je prendrai des mesures… ») débouche même sur une violence
physique : « Il devenait brutal. Elle poussa un léger cri, la douleur qu’elle ressentait aux poignets lui rendit son
courage. D’une secousse, elle se dégagea. ».
bt La dernière phrase du chapitre (« D’un regard désespéré, il suivait Denise, et quand elle eut passé la porte,
il n’y eut plus rien, la maison devint noire. ») exprime tout le désarroi de Mouret. Le triomphe des
marchandises déballées et de la fortune du patron du Bonheur est effacé par le refus de Denise. Mouret,
habitué à décider, ne fait plus ici que suivre (« il suivait Denise »). Lui qui exerce un pouvoir sur les
femmes subit le rayonnement de la jeune fille – ce qui explique son désespoir (« désespéré », « il n’y eut
plus rien ». On croirait entendre ici comme un écho du vers de Lamartine : « Un seul être vous manque
et tout est dépeuplé ». Alors que Zola présente souvent le magasin comme le domaine de la lumière, par
opposition notamment aux petites boutiques obscures, le Bonheur n’est plus, à la fin du chapitre X
qu’une maison « noire ».
Comme l’avait annoncé Bourdoncle au début du chapitre II (« Elles se vengeront… Il y en aura une qui
vengera les autres, c’est fatal. »), dans une perspective quasi biblique, Mouret finit par être la victime des
femmes et sans Denise, il n’est « plus rien ». Deux dénouements possibles se profilent : le mariage de
Denise ou bien la ruine de Mouret.
Étudier l’enchevêtrement de l’intrigue économique et de l’intrigue amoureuse
La scène d’aveu a lieu au cœur du magasin, un des jours les plus importants, celui de l’inventaire ;
Zola souligne ici l’imbrication de l’intrigue amoureuse et de l’intrigue économique. Et si Mouret peut
se retrouver seul avec la jeune fille, c’est parce que différents personnages, tous employés du Bonheur,
interviennent tout à tour pour permettre le dialogue privé :
- Mme Aurélie aide Mouret à trouver Denise : « il chercha Denise, surpris de ne pas la voir. D’un signe, il
avait appelé Mme Aurélie ; et tous deux s’écartèrent, parlèrent bas un instant. Il devait l’interroger. Elle désigna
des yeux la salle de l’échantillonnage » ;
- Mme Aurélie emmène Mouret dans la pièce où se trouve Denise, sous prétexte d’être au calme et
Zola emploie les termes de « manœuvre » et « tactique » pour caractériser l’intervention de la première ;
- Jouve, dans son rôle de surveillant, intervient alors pour protéger la rencontre : « Et l’inspecteur Jouve,
ayant remarqué de loin la tactique de Mme Aurélie, vint marcher devant la porte de l’échantillonnage, du pas
régulier d’un factionnaire qui garde le bon plaisir d’un supérieur » ;
- Mme Aurélie trouve un prétexte pour écarter Mlle de Fontenailles qui travaillait avec Denise ;
- Marguerite, une des vendeuses, imagine un stratagème pour faire sortir Mme Aurélie : « Ce fut
Marguerite qui eut l’intelligence de demander un renseignement. »
bl Le « magasin entier » est développé par « les millions de marchandises » et surtout par l’énumération
des différents vendeurs connus du lecteur : Pauline, Mme Aurélie, Marguerite et Lhomme. Le
pronom indéfini « tous » reprend cette expression (« tous voulaient sa chute, tous la jetaient au maître ») et
la répétition a valeur d’insistance. Denise se trouve confrontée à l’opinion de tous les employés qui
désapprouvent son refus (« les autres se moqueraient d’elle »). Elle subit une pression qui s’exprime en
termes physiques : « elle sentait bien cependant le magasin entier qui la poussait », « dont elle entendait monter
la voix », « un vent chaud qui soufflait la passion jusqu’à elle ». Se réduisant à une « voix » ou à un « dos »,
les vendeurs perdent leur individualité et font corps pour pousser Denise vers Mouret.
bm Le passage délimité passe en revue les réactions des différents personnages au refus de Denise. Le
nom « étonnement » réunit tous les points de vue et la brièveté de la proposition indépendante, suivie
de l’interrogation rhétorique, souligne la surprise. Cependant, celle-ci justifie le développement qui
suit car les personnages ne réagissent en réalité pas tous de la même manière.
Un personnage se distingue particulièrement : Deloche. Le jeune homme, amoureux de Denise, ne
peut que se réjouir (« la joie brusque », « heureux ») du refus de la jeune fille.
Les autres employés, eux, désapprouvent le choix de Denise. En effet, Mme Aurélie fait entendre sa
« voix brève et mécontente », Pauline trouve que « son amie [a été] assez sotte pour manquer sa fortune » et
s’irrite du bonheur de Deloche (« La joie brusque du jeune homme la mit en colère »). Clara, quant à elle,
poussant à son comble l’étonnement (« haussait les épaules, pleine d’incrédulité »), cherche une
explication correspondant à sa vision de la relation amoureuse : « c’était bien simple, il ne voulait plus
d’elle ! ».
La réaction de Bourdoncle est différente : entièrement tourné vers Mouret et le succès de son
entreprise, il redoute des jours sombres, la bonne marche du magasin étant étroitement liée à
bk
Réponses aux questions – 22
l’humeur de son patron : « Et Bourdoncle, qui n’osait aller déranger Mouret, dans son isolement farouche, se
promenait au milieu des bruits, désolé lui-même, saisi d’inquiétude. »
Toutes ces attitudes, venant nuancer l’« étonnement » présenté au début du passage, font de Denise un
personnage singulier, conformément aux attentes du lecteur.
bn En voyant comment les employés se relaient pour rendre possible l’entretien de Mouret et de
Denise, comment ils poussent la jeune fille dans les bras du patron et enfin comment ils
désapprouvent son refus, on mesure à quel point sont liées l’intrigue amoureuse et la représentation
du magasin. On peut proposer plusieurs raisons au choix de Zola :
- Le projet de l’auteur est d’analyser la montée des grands magasins et, pour rendre le documentaire
attrayant, il met en place une intrigue amoureuse susceptible d’attirer ses lecteurs (lectrices) et de
maintenir leur attention ;
- Pour Zola, les individus sont, outre leur hérédité, définis par leur milieu. Ainsi, l’histoire d’amour
de Mouret – le patron – avec Denise – la jeune employée issue du petit commerce –, ne peut se
concevoir sans la représentation du monde des magasins ;
- L’entreprise commerciale que nous montre Zola repose entièrement sur le pouvoir de décision
d’un seul homme. C’est Mouret qui prend des initiatives, impose ses choix, souvent contre l’avis
mesuré de ses conseillers. La vie, voire la survie, du magasin et de ses employés tient à l’efficacité et à
la volonté de son patron. Le lecteur est amené à se demander comment les aléas de la vie privée de
Mouret peuvent affecter le fonctionnement de l’entreprise. C’est ce que l’on comprend dans
l’inquiétude de Bourdoncle et dans les lignes qui achèvent le chapitre : « il avait oublié l’inventaire, il ne
voyait pas son empire, ces magasins crevant de richesses. Tout avait disparu, les victoires bruyantes d’hier, la
fortune colossale de demain. À vos plumes !
bo Le sujet comporte différentes attentes auxquelles les devoirs devront répondre. Sur le plan de la
forme, on attend que se mêlent de façon complexe récit et paroles rapportées. L’élève raconte
l’entrevue des deux jeunes filles et le discours direct de Denise inclut la narration de ce qui s’est passé.
Le temps dominant du récit cadre est le passé simple, alors que la vendeuse aura plutôt recours au
passé composé pour rapporter les événements qu’elle a vécus. Le discours argumentatif a également sa
place.
Sur le plan du contenu, on attend que soient pris en compte la scène de l’inventaire et le caractère des
deux jeunes filles. Puis, le débat doit s’élargir et, prenant appui sur les conceptions respectives de
Denise et de Pauline concernant Mouret, proposer une réflexion sur l’amour et les hommes. C h a p i t r e s
X I I I
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2 3 6 )
( p p .
2 3 3
à
Que s’est-il passé entre-temps ?
Faisant écho au chapitre III, le chapitre XI se déroule chez Henriette Desforges et l’on retrouve
dans son salon les personnages que l’on a vu discuter du Paris-Bonheur au début du roman.
v Mme Desforges a demandé à Denise de passer chez elle, sous prétexte d’un manteau à ajuster. Elle
la fait attendre à dessein de l’humilier et de lui montrer qu’elle n’appartient pas à son univers
mondain. Jalouse de celle qu’elle croit être la maîtresse de Mouret, elle veut afficher sa liaison avec
Mouret et compte également obliger le patron du Bonheur des Dames à prendre position en rejetant
Denise.
w Denise devient première au nouveau rayon des costumes pour enfant.
x Bourdoncle cherche à nuire Denise car il redoute l’emprise des femmes, et plus particulièrement
de la jeune fille, sur le patron du Bonheur des Dames. Il sait que Mouret tient à Denise plus qu’à toute
autre femme auparavant et il redoute l’impact de son désespoir sur son travail et sur la bonne marche
des affaires. Aussi surveille-t-il Denise et cherche-t-il à établir qu’elle a une liaison avec Deloche.
y Denise a de l’influence sur Mouret, avec qui elle converse régulièrement. Aussi, lorsque Pauline
est enceinte, Denise intervient-elle pour améliorer le sort des employées enceintes (« la maternité était
supprimée comme encombrante et indécente »). Arguant de la mauvaise image que cette politique donne du
magasin à la clientèle, elle amène Mouret à décréter que désormais « toute vendeuse mariée qui
u
Au Bonheur des Dames – 23
deviendrait enceinte serait mise chez une sage-femme spéciale, dès que sa présence au comptoir blesserait les bonnes
mœurs. »
U Denise confie son amour pour Mouret à son amie Pauline qui, dès son arrivée au Bonheur des
Dames, lui a témoigné de l’amitié.
Avez-vous bien lu ?
V
Les événements apparaissent dans l’ordre suivant : f, j, d, h, c, a, b, e, g, i.
Étudier le dénouement de l’intrigue économique : la mort du petit commerce
Tout au long du roman, on a vu se dégrader l’état de santé de Geneviève : jeune fille pâle comme
privée de lumière au fond du magasin familial (« Geneviève, chez qui s’aggravait encore la dégénérescence de
sa mère, avait la débilité et la décoloration d’une plante grandie à l’ombre », chapitre I), on la voit respirant
difficilement et brûlant de fièvre lorsqu’elle interroge Denise sur Colomban. On peut ainsi expliquer
le décès de Geneviève par une maladie – la tuberculose vraisemblablement – liée à son mode de vie.
Mais le lecteur comprend aussi que Geneviève meurt d’amour et de chagrin. Depuis toute petite, elle
rêve d’épouser Colomban et, lorsqu’elle devine que le commis ne l’aime pas et n’a d’yeux que pour
Clara, plus rien ne la rattache à l’existence.
Ajoutons à cela le Bonheur des Dames, que les commerçants rendent responsable des malheurs qui les
accablent. Geneviève est présentée comme une victime parmi d’autres ; la procession qui accompagne
son cercueil en témoigne : « et il y avait aussi, dans cet empressement, comme une manifestation contre le
Bonheur des Dames, que l’on accusait de la lente agonie de Geneviève. Toutes les victimes du monstre étaient là,
Bédoré et sœur, les bonnetiers de la rue Gaillon, les fourreurs Vanpouille frères, et Deslignières le bimbelotier, et
Piot et Rivoire les marchands de meubles ; même Mlle Tatin, la lingère, et le gantier Quinette, balayés depuis
longtemps par la faillite, s’étaient fait un devoir de venir, l’une des Batignolles, l’autre de la Bastille, où ils
avaient dû reprendre du travail chez les autres. » Et d’autres victimes suivront : Robineau, Mme Baudu,
Bourras…
Ainsi, une fois de plus, le destin des personnages s’inscrit dans le contexte plus large de la montée des
grands magasins.
X Lors de l’enterrement de Geneviève, la douleur de ses parents prend déjà la forme d’une
déchéance. En effet, Mme Baudu ne pleure même plus, ayant perdu, avec sa fille, une part d’ellemême : « celle-ci, qui ne pleurait plus, les yeux brûlés de larmes ». L’oncle de Denise semble lui aussi
incapable d’exprimer sa douleur. Il paraît avoir perdu toute intelligence (« l’accablement muet, la douleur
imbécile ») et c’est « d’un pas lourd et machinal », comme s’il ne pouvait plus décider de ses actes, qu’il
accompagne le convoi. Denise demande même à Jean d’aider son oncle et de le soutenir « s’il avait de
la peine à marcher ».
Au cours du chapitre, Mme Baudu meurt et l’on retrouve l’oncle anéanti, détruit par sa douleur : « il
marchait continuellement, il gardait le pas alourdi de ses deuils, cédant à un besoin maladif, à de véritables crises
de marche forcée, comme s’il avait voulu bercer et endormir sa douleur. » Les créanciers s’étant entendus, il ne
reste plus rien à Baudu qui, après avoir refusé la proposition de Mouret de venir travailler au Bonheur
des Dames, quittera le Vieil Elbeuf et partira dans une maison de retraite.
La ruine de la famille se lit dans le vocabulaire du vide et de la dégradation que l’on relève dans la
description de la boutique : « Chaque fois qu’il revenait devant la caisse, il regardait la banquette vide, cette
banquette de velours usé, où sa femme et sa fille avaient grandi. Puis, lorsque son perpétuel piétinement le
ramenait à l’autre bout, il regardait les casiers noyés d’ombre, dans lesquels achevaient de moisir quelques pièces de
drap. C’était la maison veuve, ceux qu’il aimait partis, son commerce tombé à une fin honteuse, lui seul
promenant son cœur mort et son orgueil abattu, au milieu de ces catastrophes. »
at Denise est bouleversée par la mort de Geneviève et par la douleur des Baudu : on la voit « très
émue ». Mais ce qui caractérise sa réaction, c’est une volonté d’agir. Lors de l’enterrement, elle
demande à Jean d’aider son oncle à marcher. Après la mort de sa tante et la ruine du Vieil Elbeuf, elle
se soucie de l’avenir du marchand et vient lui faire part de la proposition de Mouret : « là, en face…
Chez nous… Six mille francs, un travail sans fatigue. » L’emploi du pronom « nous » montre que Denise
se range du côté du grand commerce, mais son émotion, exprimée par les points de suspension,
prouve que ses sentiments sont contrastés. En effet, si elle s’associe au grand commerce, dont elle a
pressenti l’inéluctable triomphe, elle comprend la douleur et la fierté de son oncle. Elle peut même,
comme lui, voir dans le Bonheur des Dames, un monstre qui sacrifie des vies au nom du progrès :
W
Réponses aux questions – 24
« Depuis des années, elle-même était prise entre les rouages de la machine. N’y avait-elle pas saigné ? ne l’avaiton pas meurtrie, chassée, traînée dans l’injure ? Aujourd’hui encore, elle s’épouvantait parfois, lorsqu’elle se
sentait choisie par la logique des faits. Pourquoi elle, si chétive ? pourquoi sa petite main pesant tout d’un coup si
lourd, au milieu de la besogne du monstre ? » Denise acquiert ici la dimension d’une héroïne tragique : on
la voit tenter en vain d’apaiser le destin (le progrès) qui déchaîne sa puissance destructrice.
Étudier une scène : la destruction de la maison de Bourras
Le passage alterne récit et dialogue, chaque étape de la démolition provoquant une réaction de
Bourras.
1- Récit : du début à « il chancelait » : l’émotion de Denise, la démolition en cours.
2- Parole : « S’il pouvait les écraser tous ! murmura Bourras d’une voix sauvage » : réaction de Bourras.
3- Récit : de « on entendit » à « à la borne » : l’achèvement de la démolition
4- Parole : « Mon Dieu ! avait crié le vieillard, comme si le coup lui eût retenti dans les entrailles. » : réaction
de Bourras
5- Récit : de « Il demeurait » à « le monde » : regards sur la maison démolie.
6- Dialogue : de « Monsieur Bourras » à « idées » : les efforts de Denise pour aider le vieux marchand
7- Récit : de « Il jeta » à la fin : le départ de Bourras.
On peut également proposer une organisation tripartite :
1- La démolition (1 à 5)
2- Les efforts de Denise pour aider Bourras (6)
3- Le départ du marchand (7)
On voit que Bourras vit au rythme de sa maison. Quand un pan de muraille tient encore, il continue
de se battre (« S’il pouvait les écraser tous ! ») et quand elle est démolie, il est détruit (« comme si le coup
lui eût retenti dans les entrailles »). La maison n’existant plus, Bourras s’efface lui aussi : « Le dos tourna
l’angle de la place Gaillon, et ce fut tout ».
al Au début du passage, Denise regarde la maison en cours de démolition et évoque des souvenirs car
elle a habité chez le marchand de parapluies, quand elle a été renvoyée du Bonheur des Dames : « En
haut, dans un coin du plafond de son ancienne chambre, elle apercevait encore le nom en lettres noires et
tremblées : Ernestine, écrit avec la flamme d’une chandelle ». La chambre éventrée semble encore habitée
par Denise et par Ernestine, mais l’adjectif « ancienne » et l’adverbe « encore » suggèrent l’inéluctable
force destructrice du temps. Le participe passé « tremblées » trouve un écho dans le champ lexical de la
souffrance (« misère », « douleur ») qui suit la phrase citée.
Tout indique la fragilité de la maison : on a l’impression qu’elle tombe d’elle-même et que les
ouvriers ne font qu’accélérer un processus inhérent au bâtiment (au petit commerce ?) lui-même :
« des pierres moisies », « la ruine », « la masure », « des tassements et des gerçures », « une maison de fange »,
« le fumier du passé tombé à la borne ». À la fin de l’évocation, le vocabulaire de l’ordure (« fange »,
« fumier », « borne ») évoque bien cette condamnation ancienne de la maison.
Le terme « verrue » rappelle les relations (la lutte et la disproportion) entre le magasin de Mouret et
celui de Bourras.
am Bourras s’identifie à sa maison et lorsqu’un « pan de muraille » tient encore, il l’encourage à se
défendre, comme si les attaques des ouvriers contre son magasin concrétisaient celles de Mouret.
Révolté au départ, il se résigne et ne peut que se lamenter (« Mon Dieu »). Attaché à son passé, il ne
peut pas accepter, ni même écouter la proposition de Denise car la démolition de sa maison est vécue
comme un assassinat : « ce serait trop commode, de faire la charité aux gens qu’on assassine ! ».
Denise est émue par cette disparition. C’est une partie de son passé (« ancienne chambre ») qui s’en va
et, désormais, plus rien ne la rattache au petit commerce. Le mariage avec Mouret, dans cette logique
toute romanesque, est alors envisageable.
Comme à son habitude, elle adopte une attitude positive et se tourne vers l’avenir, alors que Bourras
est un homme du passé (comme tout le petit commerce). Elle propose son aide au marchand, qui a su
l’aider quand elle était dans le besoin, et son attitude rappelle ses démarches en faveur de Pauline
enceinte ou de son oncle Baudu. À la fin du passage, elle admet son incapacité à réconcilier les deux
univers qui se sont fait la guerre et elle ne peut que suivre des yeux le vieux marchand quittant le
quartier.
an Différents mots désignent Bourras :
- « Il » : pronom personnel ;
ak
Au Bonheur des Dames – 25
- « son dos » : groupe nominal constitué du nom « dos » et du déterminant possessif « son » ;
- « le dos » : groupe nominal constitué du nom « dos » et de l’article défini « le » ;
La dernière courte phrase prolonge cet effacement du personnage : le pronom démonstratif « ce » et
le pronom indéfini « tout » renvoient à Bourras pour n’en plus donner qu’une image fondue dans
l’ensemble de la scène.
On assiste ainsi à la disparition progressive de Bourras. Son nom s’efface et il n’est plus représenté que
par le substitut pronominal « il » ; puis il se réduit à « un dos ». On ne voit donc plus son visage et il
devient difficile sans doute de le distinguer des autres passants. À la toute fin, il n’est plus rien : « ce fut
tout ».
Étudier le dénouement de l’intrigue économique : le triomphe du Bonheur des Dames
Un lexique spécifique ainsi que différents procédés grammaticaux et stylistiques expriment la foule
dans le passage délimité :
- le lexique : on relève des termes collectifs : une « masse », les « queues », la « file », le « monde »
(« noirs de monde »), les « bandes ». Les personnages, les animaux ou les objets ne sont pas
individualisés ; ils appartiennent à un groupe : les « clientes », les « voitures », les « simples fiacres », les
« coupés de maître », les « garçons », les « bêtes »… Les verbes exprimant un ajout comme « se mêlaient »
ou « s’ajoutaient » contribuent à créer une impression de masse. Les indicateurs de temps (voir
question 16) comme « continuellement » et « nouvelle » viennent également exprimer la foule ;
- procédés grammaticaux : le pluriel, fortement représenté dans le passage, donne l’impression de
nombre. Au début, le numéral « cent mille » exprime cette abondance. Par la suite, on a l’impression
que les personnes ou les voitures sont si nombreuses qu’il est impossible de les comptabiliser ;
- les procédés de style : la métaphore (« ce fleuve humain ») contribue à représenter la foule qui envahit
le quartier du Bonheur des Dames. Le passage s’achève sur une sorte d’allégorie de la foule, comme si la
masse était devenue une seule personne dont on percevait le « souffle énorme et doux » et « la caresse
géante ».
ap Les indicateurs de temps sont nombreux dans le passage. On peut distinguer ceux qui indiquent :
- la fréquence : « sans cesse » ;
- la durée : « continuellement » ;
- deux actions concomitantes : « Cependant », « tandis que ».
Hormis l’indication initiale qui situe la description dans la journée, les indicateurs de temps suggèrent
l’accumulation. Comme l’espace, le temps est plein et plusieurs actions se produisent en même temps.
Zola a recours à l’imparfait, temps privilégié de la description. Pourtant, le temps n’est pas vraiment
arrêté ici, puisque l’on voit arriver « des voitures nouvelles » et que les adverbes « sans cesse » et
« continuellement » installent bien une durée. On a plutôt envie de parler d’un temps saturé. Et
l’imparfait exprime cette saturation, puisque les actions, comme arrêtées, semblent s’ajouter les unes
aux autres, à l’image de ce qui se déroule dans la rue : « des voitures nouvelles, continuellement, s’ajoutaient
aux autres ».
aq Dans le chapitre IV, Zola a déjà exprimé la fascination de Mme Boves (privée par son mari du
plaisir de la consommation) pour les marchandises du Bonheur des Dames : « l’inspecteur Jouve se
promenait de son allure militaire, étalant sa décoration, gardant ces marchandises précieuses et fines, si faciles à
cacher au fond d’une manche. Quand il passa derrière Mme de Boves, surpris de la voir les bras plongés dans un
tel flot de dentelles, il jeta un regard vif sur ses mains fiévreuses ». Le thème du vol, conséquence de
l’incitation à la consommation, est à nouveau traité dans le chapitre IX. On y voit Jouve surveillant
une femme enceinte accompagnée d’une amie et Mme de Bove se sent concernée : « Mouret les avait
accompagnées, et il les retint un instant encore, pour leur montrer l’inspecteur Jouve, qui filait toujours la femme
enceinte et son amie. C’était très curieux, on ne s’imaginait pas le nombre de voleuses qu’on arrêtait aux
dentelles. Mme de Boves, qui l’écoutait, se voyait entre deux gendarmes, avec ses quarante-cinq ans, son luxe, la
haute situation de son mari ; et elle était sans remords, elle songeait qu’elle aurait dû glisser le coupon dans sa
manche. »
Le dernier chapitre du roman dénoue cette intrigue secondaire du vol centrée sur Mme de Boves.
Cette femme de la haute société ne peut résister à la tentation. Si Mme Marty ruine son mari en
dépensant inconsidérément ses modestes revenus, elle, ne recevant pas un sou de son mari, ne peut
que voler pour ne pas être privée de ce que les autres femmes acquièrent. Victimes de l’emprise de
Mouret (« Mouret avait l’unique passion de vaincre la femme. Il la voulait reine dans sa maison, il lui avait bâti
ao
Réponses aux questions – 26
ce temple, pour l’y tenir à sa merci », début du chapitre IX), les femmes semblent obligées de consommer
à n’importe quel prix. Ruiner une famille (Mme Marty) ou voler (Mme de Boves), peu importe.
Dans le monde artificiel de Mouret, les valeurs morales n’ont plus prise et la femme a perdu tous ses
repères. Et sans doute les changements de rayons et de décorations (des chatoiements de l’orient au
blanc) y sont-ils pour quelque chose.
Les repères ayant été détournés, le comportement de Mme de Boves relève de l’instinct plus que de la
raison : « ayant le besoin sensuel d’enfoncer les mains dans les tissus », elle demande à voir de la dentelle
d’Alençon, non pas les « petites garnitures à trois cents francs le mètre » mais « les hauts volants à mille, les
mouchoirs et les éventails à sept et huit cents ». Elle est particulièrement attirée par ce qui n’est pas à sa
portée et l’on voit ici toute la finesse de l’analyse de Zola qui montre à son lecteur comment la
stratégie mise en place par Mouret crée le désir de ce qui est inaccessible.
ar Les champs lexicaux de la blancheur et de la lumière dominent dans le passage : « pâlissait »,
« s’allumaient », « les lampes électriques », « une blancheur opaque », « lunes intenses », « clarté blanche »,
« aveuglante », « réverbération d’astre décoloré », « exposition de blanc », « éclairage », « colossale débauche de
blanc », « lumière », « chanson du blanc », « blancheur enflammée », « lueur blanche », « bande vive qui
blanchit », « l’éclair blanc », « le blanc trempé de flammes », « mousseline blanche », « les basins et les piqués
blancs », « couvertures blanches », « les guipures et les dentelles blanches », «la blancheur éblouissante », « ses
rideaux blancs, ses gazes blanches, ses tulles blancs », « l’éclat », « la nudité », « cet aveuglement, un blanc de
lumière où tous les blancs se fondaient, une poussière d’étoiles neigeant dans la clarté blanche ». Dans les
dernières lignes du paragraphe, tous les mots s’associent pour évoquer ce thème de la blancheur
lumineuse vers lequel converge tout le passage.
Ce thème du blanc peut s’expliquer d’abord par la journée du blanc : ce sont des tissus blancs qui sont
mis en avant (« mousseline blanche », dentelles blanches »…) et la lumière exprime le triomphe de cette
grande vente. Cependant, progressivement le blanc acquiert une valeur symbolique. Il est la couleur
traditionnelle du mariage ; on songe à la robe de la mariée, à son voile, mais aussi, de façon plus
sensuelle à sa peau : « la blancheur éblouissante d’un paradis, où l’on célébrait les noces de la reine inconnue »,
« la nudité blanche de l’épousée ». Enfin, l’on peut ajouter l’évocation suggérée de la fusion amoureuse :
« un blanc de lumière où tous les blancs se fondaient ».
Prenant prétexte de la journée du blanc, tout dans la description annonce le prochain mariage de
Mouret et de Denise.
as Comme souvent chez Zola, la description réaliste prend une dimension onirique et symbolique.
On vient de le voir avec le thème réaliste et symbolique du blanc. C’est le cas également pour la
représentation de l’espace. En effet, différents procédés concourent à élargir l’espace du magasin :
- les adjectifs qualificatifs : « lointaines », « colossale », « géante » ;
- la métaphore filée du ciel qui donne une dimension cosmique au magasin : « lunes intenses », « astre
décoloré », « un firmament du rêve », « un paradis », « une poussière d’étoiles ».
Cet élargissement de l’espace jusqu’au fin fond des galaxies représente l’agrandissement du Bonheur des
Dames et symbolise le triomphe du grand magasin sur le petit commerce. Bourras, Baudu, Robineau,
tout comme leurs boutiques, ont disparu et Mouret occupe tout l’espace. Sa lumière électrique,
relayée par la blancheur des tissus exposés, fait même concurrence aux lumières naturelles. Mouret a
gagné sur tous les plans, ainsi que le suggère l’expression « une splendeur féerique d’apothéose ».
Le roman a raconté les conquêtes successives de l’empire Mouret. Dans le dernier chapitre, la
dimension cosmique de la description sonne comme un point d’orgue après toutes les descriptions du
magasin présentées au fil du roman.
Étudier le dénouement de l’intrigue amoureuse
Le passage qui nous montre Denise avec ses frères rappelle l’arrivée des trois personnages dans le
premier chapitre et contribue à annoncer la fin du roman. Il nous donne également, en écho du
chapitre I, une image maternelle de la jeune femme. En effet, elle les « sermonne », leur donne des
ordres, comme en témoigne l’impératif auquel elle a recours : « Sois raisonnable, mon petit », « Tâchez
donc d’avoir un peu de raison ». Son attitude maternelle est soulignée au début du passage : « Et elle,
restée mince, pas plus grosse qu’une mauviette, comme elle disait, conservait entre eux son autorité inquiète de
mère, les traitait en gamins qu’il faut soigner, reboutonnant la redingote de Jean pour qu’il n’eût pas l’air d’un
coureur, s’assurant que Pépé avait un mouchoir propre. » Cette image maternelle est sans doute à associer à
la perspective du mariage de Denise.
bt
Au Bonheur des Dames – 27
À partir du moment où Mouret intervient, le lecteur se souvient de la scène des Tuileries. « Le plus
jeune a beaucoup grandi. Je le reconnais, je me souviens de l’avoir vu aux Tuileries, un soir, avec vous », dit
d’ailleurs Mouret pour raviver notre souvenir. Le rapprochement permet de montrer le temps qui a
passé et cette vision d’ensemble de la chronologie, dans un roman qui s’est efforcé de la gommer pour
rester vraisemblable sur le plan historique, annonce un dénouement imminent.
L’amour maternel au cœur de la scène pose, de façon plus large, la question de l’amour : « Comme elle
les aimait ! » ; cette exclamation de Mouret traduit sa frustration. Il observe avec douleur un amour
qui ne lui est pas destiné. La rencontre triangulaire (Denise, ses frères, Mouret) met les personnages
mal à l’aise, la jeune fille et Mouret tentant de dissimuler leur émotion : « Il avait sa voix glacée, cette
attitude rigide dont il lui parlait à présent. Denise elle-même faisait un effort, afin de rester froide ». Mais l’on
voit bien qu’il ne s’agit que d’une apparence et l’émotion affleure : « un léger tremblement » dans la voix
curieusement ralentie de Mouret, « suffoquée » pour la jeune fille.
La fin de la scène prépare l’ultime rencontre et maintient un suspens. En effet, la demande d’une
rencontre et la proximité physique (« il revint lui dire à l’oreille ») laisse présager une demande en
mariage. Pourtant, c’est l’expression apparemment sans appel « avant votre départ » qui clôt le passage.
L’ambivalence de la conclusion traduit en réalité les hésitations de Mouret (« Et il fit quelques pas ;
puis, il revint »).
bk Dans le chapitre XII, Denise est surprise à parler à Deloche qui lui tient la main. Dénoncée par
Bourdoncle, la jeune fille saura convaincre Mouret de leur innocence. Mais, à la fin du roman, on
apprend le renvoi de Deloche, qui ne souhaite pas que Denise intervienne en sa faveur. Son départ est
nécessaire sur le plan de la logique romanesque. En effet, les différentes intrigues qui donnaient de
l’ampleur au roman doivent trouver leur dénouement dans le dernier chapitre. L’amour de Deloche
pour Denise étant sans espoir, le jeune homme doit s’en aller pour ne pas constituer une ombre dans
le tableau final.
bl Préparant la dernière scène du roman, le thème du mariage est omniprésent dans le chapitre XIV.
On a vu comment le décor lui-même, l’exposition de blanc, annonce le mariage imminent de
Mouret et de Denise (question 18). D’autres mariages sont mentionnés : Jean, le frère volage s’est
assagi et le voilà marié ; de même, Vallagnocq a épousé Mlle de Boves et Mlle de Fontenailles épouse,
quant à elle, un des vendeurs, Joseph. Dans cet environnement, le mariage semble une issue
inéluctable pour Mouret.
bm Quand Denise pénètre dans le bureau de Mouret, elle découvre immédiatement la recette
prodigieuse qui consacre le triomphe du Bonheur des Dames, le million dont rêvait son patron : « En
entrant, elle avait aperçu le million sur le bureau, et l’étalage de cet argent la blessait ». On remarquera que ce
n’est pas l’argent lui-même qui choque Denise, c’est son « étalage » ;le problème n’est pas la fortune
de Mouret, mais son rapport à l’argent. On se souvient de la scène qui achève le chapitre IX : là aussi,
Mouret demande à Denise de passer le voir alors que la recette est exposée (« il la força de s’avancer,
finit par dire qu’il lui donnerait ce qu’elle pourrait prendre dans une poignée ; et il y avait un marché d’amour, au
fond de sa plaisanterie », « Pourquoi la blessait-il avec tout cet argent »). Tout se passe comme si Mouret
étalait sa recette pour acheter Denise. Or, pour la jeune fille, l’argent et les sentiments ne sauraient
être liés.
Tout au long de la scène, la recette est évoquée, c’est pour disparaître progressivement :
- « Eh quoi ! même à ce prix, elle se refusait encore ! » : il n’est pas question d’argent ici, mais du mariage ;
on voit s’opérer un glissement et l’on comprend que le mariage représente beaucoup plus dans l’esprit
de Mouret que toute la fortune qu’il a réunie ;
- « Et ce million imbécile qui était là ! il en souffrait comme d’une ironie, il l’aurait poussé à la rue » ;
- « Mouret était tombé assis sur le bureau, dans le million, qu’il ne voyait plus » : dans les deux dernières
références à la recette, l’argent, si souvent mis en avant, est rejeté au profit de l’amour. Dans un
premier temps, Mouret le repousse car cette somme le blesse, comme elle a blessé Denise lorsqu’elle a
pénétré dans le bureau. Dans un deuxième temps, il l’oublie, ce qui va plus loin que le rejet
précédent. La position de Mouret, assis « dans le million » et tenant Denise dans ses bras, exprime la
victoire des valeurs défendues par Denise.
bn Denise commence par refuser la demande de Mouret car elle ne veut pas que l’on pense que ce
mariage est le résultat d’une stratégie de refus successifs calculée dès le début. Épouser Mouret, c’est,
aux yeux des employés, épouser la fortune de Mouret. Or, Denise – comme en témoigne son regard
Réponses aux questions – 28
blessé sur la recette étalée – tient à distinguer l’amour et l’argent (« N’avait-elle pas trop souffert déjà des
commérages de la maison ? Voulait-il donc qu’elle passât aux yeux des autres et à ses propres yeux pour une
gueuse ? »). Lorsque Mouret a invité Denise à dîner (chapitre X), on a vu les efforts des employés pour
favoriser la rencontre privée et on a pu mesurer le poids du magasin dans l’intrigue amoureuse, poids
que Denise, au nom de ses sentiments et de la morale, a toujours repoussé. Elle ne veut pas ici que
son mariage donne raison à ceux qui associent amour et argent.
bo Dans ce passage, les champs lexicaux de la passion et de la douleur sont associés :
– passion : « désiré », « explosion de tendresse », « passion », « celui que vous aimez », « c’est vous que
j’aime », « éperdument » ;
– douleur : « blessait », « douleur », « peine », « malheur », « souffert », « torturé », « souffrait », « larmes »,
« tourmenter », « désespoir », « sanglota ».
Certaines expressions évoquent autant la passion que la souffrance et l’on comprend à quel point ces
deux notions sont intimement liées : « la voix tremblait », « paroles entrecoupées », « il défaillait », « en
bégayant ».
L’association de ces deux champs lexicaux inscrit l’amour de Mouret et de Denise dans la tradition des
passions célèbres (Le Rouge et le Noir, par exemple) et accroît l’intensité dramatique de la scène, la
souffrance faisant ressortir toute la violence de la passion : « fou », « violence », « impétuosité »…
La souffrance est liée au refus de Denise. Mouret en devient « fou » et Denise ne supporte ni l’idée des
commérages ni le désespoir de celui qu’elle aime. À la fin du passage, lorsque le million est oublié
(Mouret est assis dedans), la violence s’apaise et la passion destructrice se montre capable de construire
le futur : « en lui disant qu’elle pouvait partir maintenant, qu’elle passerait un mois à Valognes, ce qui fermerait
la bouche du monde, et qu’il irait ensuite l’y chercher lui-même, pour l’en ramener à son bras, toute-puissante ».
Le dernier mot du roman est à lire en pensant à la fragilité de Denise au début du roman comparée au
triomphe du grand patron qu’est Mouret.
Lire l’image
La gravure qui nous donne une image du Bon Marché, le grand magasin dont s’est inspiré Zola
pour imaginer le Bonheur des Dames, met en avant les dimensions gigantesques du magasin : les
colonnes, la hauteur du hall (jusqu’au plafond), l’escalier double et large. Opposé au petit commerce
(voir gravure page 27), le grand commerce prend le parti de la luminosité. La verrière et les éclairages
suspendus la rendent possible et contribuent en même temps à donner une impression de luxe. Le
tapis pendu tout en haut est lui aussi un signe de richesse. En bas, les personnages sont bien habillés et
discutent comme lors d’une réunion mondaine. Le luxe affiché est destiné à séduire une clientèle
aisée, comme le montre Zola dans son roman.
bp
À vos plumes !
Cet exercice de transposition permet aux élèves de réinvestir dans un travail de rédaction l’étude
des différentes descriptions dans le roman. On attend que les devoirs recourent à différents procédés
observés : le lexique, le pluriel, l’énumération, la métaphore filée…
bq
R e t o u r
s u r
l ’ œ u v r e
( p p .
2 3 7
à
2 3 9 )
Horizontalement : A. Jouve ; B. Hartmann ; C. Bouthemont ; D. Aurélie.
Verticalement : 1. Colomban ; 2. Robineau ; 3. Boves ; 4. Marty ; 5. Jean ; 6. Bourras.
v Denise ó Octave Mouret ; Mme Desforges ð Octave Mouret ; Geneviève ð Colomban ; Mme
Robineau ó M. Robineau ; Pauline ó Baugé ; Mme Guibal ó M. de Boves ; Deloche ð Denise ;
Colomban ð Clara.
w c1 ; f2 ; a3 ; g4 ; e5 ; d6 ; h7 ; b8.
x h1 ; b2 ; j3 ; e4 ; c5 ; a6 ; i7 ; d8 ; g9 ; f10.
u
Au Bonheur des Dames – 29
PROPOSITION
D E
S E Q U E N C E S
QUESTIONNAIRES
ÉTUDE DE
LA LANGUE
D I D A C T I Q U E S
TECHNIQUES LITTÉRAIRES
Séance n° 1
Chapitre I
• le participe
passé
• les modalités
(types de
phrases)
• les temps du
passé
• discours
descriptif et
narratif
• l’incipit
• la complexité des
personnages
• le point de vue
• du réalisme au
fantastique
Séance n° 2
Chapitre IV
• les temps des
verbes
• les procédés
grammaticaux et
stylistiques de
la description
• la description
réaliste
• le point de vue
• le contraste
• l’expression des
sentiments
Séance n° 3
Chapitre VII
• les
propositions
• les paroles
rapportées
Séance n° 4
Chapitre X
• les procédés
de style :
l’énumération,
la métaphore
Séance n° 5
Chapitres XIII
et XIV
• les classes
grammaticales
• l’expression
de la quantité
• les
indicateurs de
temps
• les champs
lexicaux
• réalisme et
dénonciation
• le cadre spatiotemporel et sa fonction
symbolique
• la rencontre amoureuse
• l’implicite
• le contraste
• le réalisme de la
description
• la représentation de
la société
• une scène d’aveu
• le dénouement
• réalisme et symbolisme
EXPRESSION ÉCRITE
• récit inséré dans
un dialogue et
contraste entre deux
mondes
• description de la
modernité
(transposition
spatiale et
temporelle) et
expression de la
fascination
• récit inséré dans
un dialogue,
narration d’une
expérience et
expression d’un
projet (du passé vers
l’avenir)
• monologue
intérieur : narration
et analyse
• dialogue, narration
et argumentation
• description et
expression de la
profusion
Exploitation du groupement de textes – 30
EXPLOITATION
D U
G R O U P E M E N T
D E
T E X T E S
◆ Exploitation du groupement de textes
Le corpus réunit quatre textes qui font doublement entendre la voix des femmes : ils sont écrits par
des femmes et mettent en scène des personnages féminins confrontés à la question de la place
attribuée aux femmes dans la société.
On pourra étudier :
– La place assignée aux femmes. En quoi consiste-t-elle dans les différents textes ? On s’attachera
notamment à l’étude du contexte historique et social.
– L’expression de la contrainte : pourquoi cette contrainte ? d’où vient-elle ? On pourra rapprocher la
Loi et les maris (textes A et B). Le texte D rappelle le poids de l’éducation (la jeunesse de Paola) et de
la religion (on pourra à cette occasion soulever la question de la liberté des femmes dans notre monde
aujourd’hui).
– La façon dont les femmes vivent cette contrainte : volonté de préserver une liberté (texte A),
constat d’échec et repli sur soi (textes B et D).
– L’incompréhension entre les hommes et les femmes : textes B et C. Dans le premier cas seulement
cette distance est perçue comme un échec.
– La place des enfants : comment sont-ils évoqués dans les textes B (une contrainte mais l’affection
n’est pas absente : le surnom) et C (une source d’émerveillement et de plaisir). On pourra, plus
particulièrement, comparer les textes B et C, analyser la situation qui les rapproche (une mère qui
élève son/ses enfant(s) et n’exerce aucune profession) et la façon dont les deux femmes
l’appréhendent. Pourquoi le refus d’un côté et l’acceptation de l’autre ?
On pourra s’interroger en convoquant pour comparer le roman de Zola : les auteurs femmes ont-elles
un point de vue particulier sur la question de leur place dans la société ?
– Les hommes peuvent tout aussi bien défendre la cause des femmes.
– L’univers féminin occupe une place marquée chez les auteures et les hommes y sont en retrait :
absents dans le texte D (ou tout juste suggérés dans le « ailleurs » à la fin du texte), incapables de
comprendre dans les autres textes.
– Le texte C défend un point de vue particulier (à l’encontre de Simone de Beauvoir ou d’Élisabeth
Badinter) pour notre époque : le lien privilégié avec les enfants et une supériorité de la femme quand
on pense souvent que sa maternité l’aliène.
Au Bonheur des Dames – 31
◆ Réponses aux questions sur le texte 1
A. Alors que Indiana conserve son calme tout au long de la scène, son mari ne contrôle ni sa
« surprise » ni sa « colère ». Différents signes le montrent : « verdit », « d’une voix chevrotante ».
L’accumulation des phrases interrogatives (interrogations rhétoriques) et exclamatives expriment
également son émotion. Sa première réplique laisse transparaitre son mépris (« Daignerez-vous ») et la
dernière, toute son agressivité (termes négatifs et recours à l’impératif).
À la différence du Colonel, Indiana affiche la « supériorité de son caractère » : elle fait preuve de
« courage » en dépit de son statut et se montre capable de réfléchir malgré la tension de la rencontre :
« Ce peut-être apprit à madame Delmare ». Le « ton glacial » de ses réponses vient à bout de l’ « air
impérieux et dur » de son mari. Comme on l’a montré, ce dernier ne parvient pas à rester « digne et froid
comme elle ».
B. Indiana est soumise à son mari car elle est contrainte de se plier à la loi : « La loi de ce pays vous a
fait mon maître ». On relève dans ses propos tout un lexique de la soumission : « esclave », « seigneur »,
« lier », « garrotter », « gouverner », « courber », « réduire », « cachot »…. L’abondance de ces termes
souligne « le droit du plus fort » pour mieux mettre en relief la résistance d’Indiana et sa liberté.
C. Indiana manifeste sa liberté en refusant de répondre à son mari : « Non, monsieur, mon intention n’est
pas de vous le dire ». À la fin du texte, en reprenant des constructions négatives (« vous ne pouvez rien »,
« non m’empêcher de penser »), elle trace les limites du pouvoir de son mari. Elle a même recours à un
impératif (« Cherchez ») pour affirmer la force irréductible de sa volonté. La liberté de penser est
inaliénable et Indiana puise son énergie dans cette perspective.
◆ Réponses aux questions sur le texte 2
A. On peut partager le texte en deux mouvements. Le premier (du début à « exaucer ») expose les
efforts de la narratrice pour mener de front ses occupations de jeune mère au foyer et la préparation
du concours de professeurs. La seconde exprime l’échec de ses efforts et le poids de la vie familiale.
Première partie : « Je ne me laisserai pas avoir »
Deuxième partie : « Je n’ai pas tenu longtemps »
B. Exemples du style familier : « la bouffe », « un torchon qui brûle », « pour meubler », « le tirelipot, ça
s’appelle ».
Phrases non-verbales : « Le minimum, rien que le minimum », « bien peu de meubles encore », « Non, pas
possible d’imaginer avant le mariage un moment pareil »…
L’auteur attribue à sa narratrice un style très simple, comme si elle parlait directement au lecteur.
Cette oralité permet d’établir une complicité avec le lecteur pour mieux le rendre sensible à la vie
difficile de la jeune mère.
C. Quand le mari de la narratrice dit « ce n’est pas possible », il pense au repas qui n’est pas prêt quand
il arrive à midi, au fait que sa femme qui n’exerce aucune activité professionnelle ne se consacre pas
pleinement aux travaux ménagers. On pourra préciser qu’avant ce passage, les parents du Bicou, tous
deux étudiants, partageaintnt davantage les tâches quotidiennes.
Pour la narratrice, cette expression prend un autre sens : c’est sa vie exclusivement consacrée à la
maison et au bébé qui « n’est pas possible ». Elle ne trouve pas le temps de préparer son concours et se
sent prisonnière.
D. Annie Ernaux, dans ce passage, prend la défense des femmes que la tradition enferme dans les
travaux ménagers et l’éducation des enfants. Elle dénonce l’égoïsme des hommes qui ne veulent que
leur tranquillité (« la paix le temps du midi ») sans s’inquiéter des aspirations de leur femme. Pour Annie
Ernaux, les femmes ne peuvent s’épanouir si elles sont vouées aux tâches quotidiennes et aux enfants.
Exploitation du groupement de textes – 32
◆ Réponses aux questions sur le texte 3
A. Les personnages évoluent dans un milieu aisé : « le bruit de l’argent contre la porcelaine », le fait que les
époux se vouvoient, la profession d’Henri, l’édition.
B. L’amour que Mathidle éprouve pour ses enfants est profond et fusionnel. Elle les connaît
parfaitement comme le suggère l’adjectif « exacte » et cette connaissance passe par un contact
physique : « ses mains touchaient chaque cette peau parfaite qu’ils avaient tous ». De nombreux termes
appartiennent au lexique des sensations : « forme », « couleur », « teinte », « chauds et doux »… Mathilde
semble saisir, auprès de ses enfants, la vie elle-même.
L’amour maternel est peint comme un émerveillement réservé à la mère ; en effet Henri ne se montre
pas aussi sensible à la « magie vitale » des enfants.
C. Les parents entretiennent des rapports courtois et Henri interroge sa femme sur ce qu’elle a fait
dans la journée. Ils se retrouvent à table tous les deux quand les enfants sont couchés et on ne relève
aucune animosité entre eux à la différence du texte d’Annie Ernaux.
Le vouvoiement propre au milieu social marque aussi une distance. Les époux ne semblent pas vivre
dans le même monde, Henri est tourné vers son métier et ne mesure pas finement ce qui se passe chez
lui ; Mathilde est entièrement absorbée par ses enfants.
D. À la différence de la narratrice de La Femme gelée, Mathilde est tout à fait heureuse. Elle ne
souhaite pas quitter son univers familial pour exercer une profession à l’extérieur. Elle considère
même que son existence est plus enrichissante que celle de son mari : « pour rien au monde elle n’aurait
échangé sa place contre la sienne. » La « magie vitale » des enfants et la finesse du vivant lui semblent plus
importantes et attachantes que les livres sur lesquels travaille Henri.
◆ Réponses aux questions sur le texte 4
A. Chez elle, puis au convent, Paola n’a connu que la contrainte et la souffrance. Elle a dû se plier
aux exigences familiales puis à la règle de l’ordre religieux. Elle n’a jamais ressenti aucun plaisir et ne
s’est jamais exprimée.
Lorsqu’elle se met à chanter, Paola éprouve une « passion », « un plaisir » qu’elle fait partager à son
auditoire comme en témoigne « le silence absolu » et ému du public. Cette émotion est physique : « son
corps », « son ventre », « son diaphragme », « se concrétisait ».
B. La métaphore de la « sage-femme » préparée par l’évocation des « mains » et poursuivie par « la
naissance d’un enfant » laisse entendre que Paola, jusque-là prisonnière des règles fixées par les autres,
commence à vivre. Son chant est comme sa première respiration ; il s’apparente au cri du nouveauné. Paola, en faisant entendre sa voix, acquiert une vie qui lui est propre.
À partir de ce moment-là, il lui sera difficile de supporter la vie du couvent. Et ce d’autant plus
qu’elle va se mettre à rêver à un jeune homme qui l’a secourue un jour qu’elle s’est évanouie durant
un office.
C. Dans le dialogue, Rosalba, religieuse plus âgée et professeur de chant, pose des questions
auxquelles Paola finit par répondre. Il s’agit de faire parler la jeune fille qui s’est refermée sur ellemême et ne parvient plus à chanter.
Comme dans la scène précédente, Rosalba joue le rôle d’une sage-femme (la maïeutique) et aide
Paola à mettre des mots sur ce qu’elle éprouve. Dans la suite du roman, elle ira même jusqu’à l’aider à
retrouver le jeune homme dont elle est tombée amoureuse. Rosalba, malgré son attachement au
couvent, sera toujours du côté de la vie.
D. Les répliques de Paola sont brèves car elle peine à nommer et révéler son mal-être. La contrainte
de la règle religieuse l’étouffe et elle redevient la jeune fille éteinte qui était entrée malgré elle dans les
ordres.
E. Dans les deux cas, qu’il s’agisse du chant ou des paroles dans le dialogue avec Rosalba, la voix de
Paola est celle de la vie. Elle permet d’exprimer ce qu’on ressent ; elle est celle d’une liberté, d’une
personnalité unique et non d’un moule imposé.
Au Bonheur des Dames – 33
LECTURE D’IMAGES
D E S A R T S
E T
H I S T O I R E
◆ Réponses aux questions sur le document 1
A. James Tissot nous donne l’impression de surprendre une scène bien réelle :
– le quotidien : une petite boutique, une vendeuse qui accompagne son client ;
– les détails significatifs : les chaises en désordre, le tapis qui bloque la porte, le conducteur d’une
voiture (en beige) qui semble attendre son maître à l’extérieur, les rubans ou soieries chiffonnées sur le
comptoir, les lates du plancher… ;
– la perspective : au fond, on peut distinguer une rue passante (le cocher, la femme et l’homme de
l’autre côté de la vitrine). La vitrine, soulignée en haut par l’auvent, marque une coupure entre
l’extérieur et l’intérieur. Dans la boutique, les lignes de la porte ouverte, celles de la table et des tapis
viennent s’ajouter aux deux chaises pour créer un effet de profondeur. La vendeuse, en partie
dissimulée par les montants de la porte accentue cet effet ;
– le point de vue : la scène est vue du fond de la boutique, comme si nous adoptions le regard d’un
client sur le point de sortir, ce qui accroît encore l’effet de réel.
B. La toile « La demoiselle de magasin » appartient à une série intitulée La femme à Paris : le
commerce représenté vend des articles pour femmes comme l’indiquent les rubans roses étalés sur le
comptoir et surtout le mannequin dans la vitrine. Il s’agit d’une petite boutique : peu de place pour
les deux chaises, l’une des vendeuses a du mal à se glisser pour laisser sortir son client tandis que
l’autre se contorsionne pour accéder à un article en hauteur.
La boutique attire une clientèle féminine comme nous le suggère la femme à l’extérieur mais surtout
des hommes (le client à l’extérieur) désireux d’offrir un cadeau à la femme aimée. On peut imaginer
que c’est un homme qui sort et que la vendeuse va lui remettre le petit paquet rose, assorti aux rubans
du comptoir, qu’elle tient à la main.
On pourra comparer cette représentation d’un magasin d’articles féminins aux petites boutiques
sombres et au vaste Bonheur des dDames.
C. L’homme à l’extérieur du magasin ne semble pas examiner les articles présentés dans la vitrine, le
mannequin par exemple, mais la vendeuse qui a les bras levés dans une attitude lascive et qui regarde
dans sa direction.
Le tableau esquisse une histoire et c’est à nous de l’imaginer en supposant que les regards du passant et
de la vendeuse se sont croisés. On pourra réfléchir à la force narrative des images, à leur façon de
suggérer une temporalité alors qu’elles marquent par définition un temps arrêté.
D. Associée aux rubans étalés sur le comptoir et au mannequin sans tête dans la vitrine, la vendeuse
aux bras levés semble un objet de consommation susceptible d’attirer le passant.
L’autre vendeuse, en retrait derrière la porte, ne serait-elle pas, quant à elle, un objet au même titre
que le petit paquet rose qu’elle tient et qui se trouve au centre du tableau.
On pourra approfondir cette perspective en s’interrogeant sur la place des femmes (vendeuses et
surtout clientes) dans le magasin d’Octave Mouret.
◆ Réponses aux questions sur le document 2
A. La balustrade en noir du balcon ainsi que l’auvent en haut tracent deux lignes horizontales fortes
qui séparent les deux parties du tableau. Au premier plan, l’intérieur d’un appartement dont la fenêtre
est ouverte, un homme se tient accoudé. Au second plan, l’extérieur, Paris.
Le chevalet du peintre est à l’intérieur de l’appartement, ce qui introduit un troisième plan implicite
où notre regard rejoint celui de Caillebotte.
Ces trois plans créent un effet de profondeur accentué par la ligne du boulevard qui creuse la
perspective. Cette profondeur contribue au réalisme de la représentation. C’est ce sens de la mise en
e
scène, ce souci du réel, qui séduira, dès le XIX siècle, les amateurs américains qui considèrent que
e
Caillebotte a influencé le courant réaliste du XX siècle dont Edward Hopper est le célèbre
représentant. On retrouve en effet chez ce dernier le travail sur la perspective et le regard, la place
d’un personnage méditatif.
Lecture d’images et histoire des Arts – 34
B. Le costume du personnage au premier plan permet de dater la scène ; Caillebotte représente ce
qu’il voit. C’est surtout le large boulevard percé par le baron Haussmann qui exprime la volonté du
peintre de représenter un Paris moderne. La largeur de la rue occupant une place importante dans le
tableau, les immeubles plus hauts que les arbres, la perspective ouverte font l’éloge de cette
modernité.
On rappellera que les impressionnistes, dont Caillebotte est très proche, avaient choisi de peindre en
extérieur pour saisir des scènes sur le vif. Il ne s’agit plus de représenter des sujets éternels (la
mythologie par exemple) mais de s’emparer de l’instant, du temps qui passe. D’où le goût pour la
modernité, les grues à Rouen chez Monet par exemple. Caillebotte travaille davantage en atelier et
esquisse des croquis préparatoires dont témoigne la composition travaillée de cette toile ; mais il a
emprunté à ses amis impressionnistes leur goût pour le moderne et l’instant surpris.
C. La nature est présente de deux façons dans le tableau : les arbres du boulevard et la jardinière sur le
balcon.
La nature se fond dans le paysage urbain : la ligne des arbres épouse celle de la rue, les tiges des plantes
ne se distinguent pas des arabesques de la balustrade.
C’est une nature domestiquée, soumise à l’autorité de la ville : elle est enfermée dans un bac,
prisonnière entre deux rangées d’immeubles. Ajoutons que les immeubles, plus hauts que les arbres,
affirment leur suprématie.
D. Le personnage appartient à la haute société comme en témoigne son costume et notamment son
chapeau.
E. On peut commenter de plusieurs manières le choix du peintre de représenter son personnage de
dos.
– La scène semble saisie sur le vif : le peintre n’a pas demandé au personnage de poser dans un atelier ;
on croirait presque que l’homme ne sait pas qu’on le peint. Comme les photographes, Caillebotte
tente de saisir un instant donné pour créer une impression de réel et de vie.
– Comme le personnage est de dos, notre regard ne s’arrête pas à ce premier plan et glisse le long du
boulevard. D’ailleurs, le personnage, légèrement sur la droite et de trois-quarts, semble s’écarter un
peu pour nous laisser contempler la belle perspective du boulevard. Les couleurs sombres de l’homme
font ressortir la luminosité printanière (le vert particulier des feuillages) : le tableau est bien une
célébration du Paris transformé par Haussmann.
– Le personnage représenté de dos sollicite notre imagination (qui est-il ? à quoi songe-t-il ?) et nous
invite peut-être à nous identifier à lui.
Au Bonheur des Dames – 35
PISTES
D E R E C H E R C H E S
D O C U M E N T A I R E S
Autour du Bonheur des Dames, il est possible de proposer différentes pistes de recherches qui pourront
faire l’objet de travaux croisés avec les autres disciplines : histoire, technologie, arts plastiques.
Sur un plan historique :
- l’essor des grands magasins ;
- les bouleversements de l’industrie ;
- les transformations de Paris ;
- la population des villes.
Sur le roman de Zola :
- la stratégie commerciale de Mouret, notamment la publicité ;
- l’importance des relations sociales dans les affaires ;
- les conditions de vie des employés.
Sur et autour de Zola :
- Zola journaliste ;
- Zola et les peintres ;
e
- la peinture au XIX siècle ;
e
- les femmes dans les romans du XIX siècle.
Bibliographie complémentaire – 36
BIBLIOGRAPHIE
C O M P L E M E N T A I R E
Sur les grands magasins :
– La Folie des grands magasins, Josette Demory, éditions Du May, 2009.
– Les Cathédrales du commerce parisien : grands magasins et enseignes, dir. par Béatrice de Andia, coll.
« Paris et son patrimoine », éditions Action artistique de la Ville de Paris, 2006.
Sur Zola :
– Zola et les mythes ou De la nausée au salut, Jean Borie, Le Seuil, 1971/ coll. « Biblio Essais » n°4319,
Le Livre de Poche, 2003.
– Le Personnel du roman : Le Système des personnages dans les Rougon-Macquart d’Émile Zola, Philippe
Hamon, coll. « Titre courant » n°12, éditions Droz, 1983.
– Le Réalisme selon Zola : archéologie d’une intelligence, Alain de Lattre, coll. « Littératures modernes »
n°6, PUF, 1975.
– Zola et le naturalisme, Henri Mitterand, coll. « Que sais-je ? » n°2314, PUF, 1986.
– Le Romancier et la machine dans le roman français (1850-1900), t.1 L’Univers de Zola, Jacques Noiray, J.
Corti, 1983.
– Feux et signaux de brume : Zola, Michel Serres, Grasset, 1975.
– Zola : exposition à la Bibliothèque Nationale de France, dir. par Michèle Sacquin, éditions Fayard,
Bibliothèque Nationale de France, 2002.

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