Subject: Actualité Marocaine

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Maroc
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Topic: L’enfer des Call centers au Maroc
L’enfer des Call centers au Maroc
Posté par: Redacteur
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Les centres d’appel poussent comme des champignons au Maroc. Un secteur d’activité considéré
par les pouvoirs publics comme le premier pilier du plan national Emergence. Mais à quel prix ? «
Bonjour, je m’appelle Léa Martinet et je vous appelle parce que j’ai une offre exceptionnelle à vous
faire.
Je vais vous proposer un abonnement téléphonique avec, en prime, un appareil multifonctions avec
un appareil photo intégré, un MP3, 30 mn de gratuité et beaucoup d’autres cadeaux ». Vous tentez
de mettre fin à la conversation, mais Léa Martinet insiste et débite son texte sans se décourager. Et
pour cause, elle doit coûte que coûte vous convaincre de prendre cet abonnement. Sa prime de
productivité en dépend. Vous essayez de situer son accent. Marseille, non ça ne sent pas assez le
Sud de la France. Vous lui posez la question, elle vous répond qu’elle appelle de Paris. Ça ne prend
pas, son accent est trop prononcé. Elle ne vous avouera pourtant pas qu’elle appelle du centre-ville
de Rabat. Les consignes sont strictes : « On ne doit en aucun cas dévoiler la provenance de l’appel,
mentez, baratinez le client mais il ne doit pas se douter que vous le contactez du Maroc », ne cesse
de marteler à longueur de journée Hicham, le manager du centre d’appel dans lequel travaille Léa
Martinet. De son vrai nom Leila. « Et que se passe-t-il si l’interlocuteur insiste pour connaître le lieu
d’origine du coup de fil ? Je dis que je suis métisse et que j’ai vécu les premières années au Maroc,
c’est ce qui explique mon accent ». Bienvenue dans l’univers des centres d’appel surpeuplés de
Casablanca ou Rabat.
Double vie
Léa, Valérie, Solange, elles sont nombreuses à travailler pour l’un de ces centres d’appel qui
poussent comme les champignons à Casablanca ou Rabat et qui assurent, pour le compte de
sociétés françaises, suisses ou encore espagnoles, les relations-clients par téléphone et par e-mail,
l’analyse de données et le télémarketing. Pour ce type de job, le cahier des charges est simple :
avoir achevé ses études secondaires, posséder une petite expérience des métiers de service et bien
sûr, parler français ou espagnol couramment. Mais le plus important reste l’accent. L’un des critères
de l’embauche c’est donc la capacité de neutraliser ou non l’accent du candidat. Ces derniers
doivent se familiariser avec le phrasé parisien et suivre l’actualité de la métropole jour par jour,
connaître sur le bout des doigts la géographie de la France, les arrondissements parisiens, les noms
de stations de métro, bref se métamorphoser en peu de temps en un Français de souche. Une
micro-culture qui n’a qu’un seul objectif : le téléopérateur doit être en mesure de répondre à toutes
les questions du client. Garantir un brin de conversation à l’interlocuteur, le temps que la réponse à
une question, un élément de son dossier, apparaisse sur l’écran de l’ordinateur... Des call centers, il
y a en a dans presque tous les secteurs d’activité : banque, maintenance informatique, grande
distribution... Il y en a de toutes sortes : des petits et des gros ; des services internes à l’entreprise
ou destinés à sa clientèle ; des activités très « basiques » avec de gros volumes de transactions et
des services à haute valeur ajoutée faisant appel à des compétences très pointues. Le phénomène a
été très rapide.
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Croissance fulgurante
ImageInexistants dans les années 90, les call centers, principalement délocalisés d’Europe et tout
particulièrement de France, sont devenus en peu de temps le nouveau filon pour les milliers de
chômeurs-diplômés marocains. Installés dans les premiers temps à Casablanca, ils s’implantent de
plus en plus dans d’autres villes comme Rabat, Marrakech, Tanger, Fès et Oujda. Et pour cause, les
incitations aux délocalisations sont nombreuses. « En général, l’investissement nécessaire est peu
élevé : location d’un espace, acquisition de mobilier et de matériel de télécoms. Ce qui coûte
peanuts au Maroc comparé à la France ou encore l’Espagne », explique Samir Hamdouch, un
manager dans un centre d’appel de la capitale. Seules contraintes, avoir un personnel
techniquement compétent, parlant la langue du client, prêt à accepter des horaires de travail
inhabituels, et d‘un système de télécommunications efficace à coûts raisonnables. Résultat des
courses, le nombre des centres d’appel a explosé au Maroc et à la fin de l’année dernière, 39 ont été
enregistrés auprès de l’ANRT. Onze opérateurs devraient s’installer dans le pays.
Géographiquement, le Maroc fait partie du « Peer Group », c’est-à-dire le groupe d’Etats formant la «
ceinture de proche délocalisation » par rapport au marché européen. Ces entreprises qui réalisent
près de 70 millions d’euros de chiffre d’affaires emploient désormais 4.000 personnes. Parmi les plus
connues : Atento qui gère à distance la relation clients de l’Espagnol Telefonica, l’Américain Dell qui
a créé son propre centre et Phone Assistance, considéré comme le troisième plus grand centre
d’appel délocalisé en Afrique. Depuis son arrivée dans la capitale du Maroc en 2001, le groupe
WEBHELP a connu un développement rapide, passant de 40 salariés en avril 2002 à plus de 1600
salariés en février 2006. « Nous sommes maintenant devenus le 2ème employeur privé de la
capitale après Maroc Telecom, et dans les 100 plus grandes sociétés marocaines en terme
d’effectifs », déclarait il y a peu Frédéric Jousset, co-président de Webhelp.
Une telle croissance ne peut être que bénéfique pour le Maroc. Un secteur d’activité en mesure de
résorber des milliers de chômeurs, le royaume en a plus que besoin vu le taux de chômage qui y
sévit. D’où l’intérêt que porte le gouvernement à l’offshoring. Le secteur a d’ailleurs été présenté par
le Premier ministre Driss Jettou comme le premier pilier du plan national Emergence. Il présente un
potentiel considérable et immédiat pour l’économie nationale. Mais à quel prix ?
L’envers du décor
Léa ou encore Leila, il lui arrive d’oublier son vrai prénom, travaille dans des call centers depuis trois
ans. Elle en a déjà fait le tour. « Je cherche des conditions de travail meilleures. Ce n’est pas
vraiment une question de salaire, puisque c’est presque le même partout », explique-t-elle. Le salaire
brut moyen d’un téléconseiller est compris entre 3500 et 4000 Dhs. « A l’embauche, on nous promet
monts et merveilles. Mon ancien employeur nous a même convaincus qu’avec le système des
primes, le salaire pouvait atteindre les 20000 dhs », ironise-t-elle. Les 20000 Dhs, elle n’en verra pas
la couleur. « On nous fait miroiter des primes pour nous faire trimer matin et soir. Mais vu les
objectifs fixés, on n’y arrive pas souvent. Et encore, quand certains téléopérateurs les atteignent, ils
reçoivent rarement leur prime », ajoute Myriam, une collègue de Leila. Du stress, des brimades, de
l’injustice, c’est plutôt cela son quotidien depuis trois ans. Une situation qu’elle est obligée de
supporter. « C’est mon gagne-pain. Avec un bac+4 en poche depuis plus de quatre ans, c’est le seul
boulot que j’ai pu trouver ", souligne-t-elle. Diplômé en commerce international, Leila a tapé à toutes
les portes, en vain. En dehors d’un stage de six mois non rémunéré dans une grande banque de la
place, elle n’arrivera pas à décrocher le moindre petit boulot. Même son de cloche chez Khalid,
diplômé en économie et qui travaille dans un call center de la capitale depuis quelques mois. "Les
centres d’appel représentent, certes, une nouvelle bouffée d’air pour l’économie marocaine vu les
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perspectives qu’ils offrent dans le marché de l’emploi. Même si c’est une pure exploitation à 100% de
la race humaine », estime ce dernier.
Horaires de travail aléatoires, non respect du Code de travail puisque les téléconseillers travaillent
plus de 44h. « Il nous arrive parfois de faire des journées de 12h avec 1 day off(repos), Ramadan
compris. Ça dépasse largement les 44h stipulées par le Code de travail marocain ou encore les 35h
françaises puisque nous sommes sous contrat avec des entreprises de l’Hexagone », ironise-t-il. «
On nous chronomètre les pauses. C’est 10 minutes toutes les deux heures de production et il faut
vite fumer sa cigarette tout en gardant les yeux rivés sur sa montre et tout dépassement, ne serait-ce
que d’une minute, c’est la prime de production qui saute (200 à 400 Dhs par mois) », s’indigne
Khalid. Le mot d’ordre des centres d’appel se résume en deux mots : performance et productivité.
L’une des primes les plus importantes pour un salarié, qui occupe une place non négligeable sur sa
fiche de paie, est celle dite de "productivité". Les salariés sont payés à la tâche : plus ils prennent
d’appels, plus ils sont payés. Tout est également fait pour que les salariés soient “rentables”. Dans
cet univers les temps morts n’existent pas.
Aux armes citoyens
Des jours fériés, ils n’en ont presque pas. « C’est le 25 décembre, le jour de l’an et le 14 juillet »,
explique Leila. « Le TC (téléconseiller) perd le contact avec la vie courante vu que les jours fériés
marocains ne sont pas pris en considération dans le plan du travail des centres d’appel tandis que
nos homologues français ont droit à leurs jours fériés... Il est, certes, prévu une rémunération de plus
pour les jours chômés mais c’est anormal et illogique, dans un pays musulman, de bosser un jour de
Aïd Al-Fitr ou Aïd Al-Adha », ajoute pour sa part Khalid. Un salaire double pour les jours fériés, rares
sont les entreprises qui respectent la règle. « S’il nous arrive de nous absenter le jour de l’Aïd par
exemple, c’est une journée de salaire en moins », rétorque Leila. Côté formation ce n’est pas
reluisant non plus. « La qualité du travail n’est pas toujours au rendez-vous. En principe nous avons
15 jours à trois semaines de formation non rémunérée. Une durée qui n’est pas toujours respectée,
les employeurs préfèrent l’écourter et nous mettre directement sur le terrain. Les 15 jours se
transforment en trois jours de formation et nous met directement en contact avec le client, c’est pour
nous tester, disent-ils. Sans rémunération, bien sûr », réplique Leila. La mauvaise formation, c’est ce
qui était à l’origine de l’échec cuisant des Taxis bleus. En octobre 2002, la société française de taxis
signe un partenariat avec un call center de Rabat pour soulager son central parisien de réservations.
Mines new age
Quelques temps plus tard, ses chauffeurs menacent de faire grève. Le service est mauvais : formés
à la va-vite, les téléconseillers marocains n’ont aucune connaissance des us et coutumes français.
Cinq mois plus tard, Taxis bleus arrête les frais et rapatrie la gestion de ses appels en France. Des
conditions de travail éprouvantes, un stress continuel, des compétences sous-estimées, un travail
routinier et sans espoir de plan de carrière…autant de facteurs qui expliquent l’importante
démotivation de ces salariés. Horaires, résultats, efficacité, tout conditionne l’avancement de la
carrière et le salaire. Beaucoup sont donc en permanence en quête d’un autre travail, mieux payé ou
moins contraignant. Une situation que les syndicats français dénoncent de plus en plus. C’est le cas
de Marie-Christine Noir, syndicaliste CFDT et employée chez Axa Assurances. La compagnie a
décidé récemment de délocaliser 15000 emplois d’ici 2012. Ce qui a provoqué un tollé outre-mer.
« Nous ne sommes certes pas capables de freiner ce mouvement mais nous menons une rude
bataille pour que les salariés marocains puissent bénéficier des mêmes conditions de travail que les
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Français. Même si le Code du travail marocain stipule 44 heures de travail, côté santé, c’est
intolérable surtout pour des téléopérateurs qui ont un casque collé aux oreilles pendant tout ce
temps. La Commission européenne recommande un maximum de 37 à 38 heures avec des pauses
régulières, ce qui est rarement respecté », s’indigne Marie-Christine Noir. En attendant, ces esclaves
des temps modernes n’ont pas d’autre choix, c’est à prendre ou à laisser. Les chances de trouver un
travail plus convenable s’amenuisent. « Pour le moment, je n’ai aucune visibilité, c’est cela ou me
retrouver les poches vides à la fin du mois », conclut Leila avec une pointe d’amertume dans la voix.
Fédoua Tounassi - Le Journal hebdo
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