Leuenberg – Meissen – Porvoo - Community of Protestant Churches

Transcription

Leuenberg – Meissen – Porvoo - Community of Protestant Churches
Déclaration du Comité Exécutif de la Communion Ecclésiale de Leuenberg
à l’occasion du 25e anniversaire de la signature
de la Concorde de Leuenberg
Leuenberg – Meissen – Porvoo
Des modèles d'unité ecclésiale
dans la perspective de la Concorde de Leuenberg
Oslo, 23 mai 1998
Le Comité Exécutif de la Communion Ecclésiale de Leuenberg:
Peter Bukowski, Fulvio Ferrario, Pavel Filipi, Ingrid Hampel, Jaan Kiivit, Walter Klaiber, Cecil
McCullough, Elisabeth Parmentier, Heinrich Rusterholz (président), Friedrich-Otto Scharbau,
Olav Fykse Tveit, Theo Witvliet, Helmut Zeddies, Wilhelm Hüffmeier (Secrétaire Exécutif)
1
Leuenberg – Meissen – Porvoo
Des modèles d’unité ecclésiale dans la perspective
de la Concorde de Leuenberg
La communion ecclésiale unissant des Eglises issues de la Réforme en Europe, fondée sur la Concorde
1
de Leuenberg (CL) , existe à présent depuis 25 ans. C'est là l'occasion de prendre en compte les
expériences que ces Eglises participantes ont pu faire à travers la Concorde, et de dresser un bilan.
Cette évaluation devra notamment porter sur le modèle d'accord fondé sur la CL, qui est celui d'une
communion ecclésiale entre des Eglises de confession différente.
2
Ceci s'impose aussi parce qu'avec « l'Affirmation Commune de Meissen » (ACM) et « l’Affirmation
3
Commune de Porvoo » (ACP) il existe à présent d'autres accords promouvant l'unité ecclésiale et la
communion d'Eglises en Europe. Il faut ainsi se demander si les résultats et les objectifs de ces accords
sont compatibles avec ceux de la CL, dans quelle mesure ils s'en distinguent, et si éventuellement ils
vont au-delà de la CL.
La partie suivante s'intéressera à cette question et mettra l'accent sur les accords et les différences entre
l'ACM et l'ACP. Ces deux déclarations seront ensuite mises en relation avec le modèle de communion
ecclésiale de la CL, pour ce qui est de la compréhension de l'unité de l'Eglise. L'étape suivante évoquera
les forces et les faiblesses de la réalisation de la communion ecclésiale selon la CL. Une dernière partie
en déduira les tâches pour l'avenir, pour la réalisation desquelles le modèle de Leuenberg devra faire
ses preuves. On soulignera la nécessité de poursuivre les dialogues œcuméniques.
1.
Des ministères communs comme signe de l'unité visible - la préoccupation de Meissen et
Porvoo
1.1
L'ACM et l'ACP représentent le résultat de dialogues entre des Eglises anglicanes et des
Eglises issues de la Réforme en Europe, ces dernières étant également liées de manière
différente à la CL. Les deux déclarations s'accordent à dire, et ce quelquefois avec des
formulations identiques, que les Eglises participantes défendent des convictions
fondamentales de la foi qui leur sont communes. En particulier, elles reconnaissent comme
faisant autorité l'Ecriture Sainte et les confessions de la foi de l'Eglise ancienne, ainsi que les
dogmes trinitaires et christologiques fondamentaux que celles-ci professent. Elles ont en
commun également le baptême et l'eucharistie, la proclamation de l'Evangile et la mission de
l'Eglise. Tous les membres de l'Eglise sont appelés à participer à sa mission apostolique. En
même temps, dans la communion ecclésiale, une importance particulière pour la mission
apostolique revient au ministère conféré par l'ordination.
1.2
L'ACM voit dans cette compréhension commune «des caractéristiques d'une unité pleine et
visible» (§8). Ceci permet aux Eglises participantes de se reconnaître mutuellement comme
1
2
3
Le texte de la Concorde sera cité selon la traduction française: Concorde entre Eglises issues de la Réforme en Europe
(Concorde de Leuenberg) - 16 mars 1973, in: Accords et dialogues œcuméniques, André Birmelé et Jacques Terme (éd.),
Paris, Les Bergers et les Mages, 1995, ISBN 2.85304.115-8, II, p.26-34. Original dans une édition trilingue: Konkordie
reformatorischer Kirchen in Europa, Wilhelm Hüffmeier (Hrsg.), Francfort/Main, 1993, ISBN 3-87476-292-0.
L'accord entre les Eglises protestantes allemandes et l'Eglise d'Angleterre. Accord de Meissen, in: Accords et dialogues
œcuméniques, op. cit., IV, p.162-174. Original: Die Meissener Erklärung. Eine Dokumentation. EKD-Texte 47, Hanovre
1993.(N. de la t.: En ce qui concerne la traduction en français, il faut remarquer que le titre est «Accord de Meissen», mais
que le texte parle de l'«Affirmation» de Meissen, ce qui vaut aussi pour Porvoo. Le § 17 n'est pas indiqué comme tel dans la
traduction des Bergers et Mages, il s'agit du «3. Déclaration de Meissen», p.171-174. Les § 18 et 19, qui sont des notes
complémentaires, n'ont pas été traduits dans cette édition.
L’Accord entre les Eglises anglicanes des Iles Britanniques et les Eglises Luthériennes de Scandinavie et des Pays Baltes:
Accord de Porvoo, in: Ibid., IV, p.175-202. Original: The Porvoo Common Statement. Conversations Between the British
and Irish Anglican Churches and the Nordic and Baltic Lutheran Churches, Published by the Council for Christian Unity of
the General Synod of the Church of England, Occasional Paper N° 3, 1994.
2
Eglises «appartenant à l'Eglise de Jésus-Christ une, sainte, catholique et apostolique» (§17
A.1). Elles se savent engagées «à tendre vers l'unité pleine et visible» (§18), pour laquelle il
s'agit «de ne pas seulement reconnaître les Eglises et les ministères, mais … de les
accorder pleinement» (§19). Le droit ecclésiastique anglican exige pour cela «la
réconciliation des ministères» (§17,B.7), où les ministères ne sont pas seulement reconnus
par l'un et l'autre partenaire, mais également, sur la base d'accords, exercés en commun.
1.3
Malgré la reconnaissance mutuelle des ministères liés à l'ordination ainsi que du ministère
personnel et collégial de vigilance (Episkopé) comme signe visible de l'unité, selon l'ACM
la «pleine interchangeabilité des ministères» n'est pas encore possible (§16), du fait des
différences qui subsistent encore dans la compréhension de la succession épiscopale
historique. Alors que les Eglises issues de la Réforme, qui reconnaissent l’Episkopé, ne
considèrent pas la succession historique dans ce ministère comme «une condition nécessaire à l'unité pleine et visible», selon la compréhension anglicane l'épiscopat historique
fait partie de l'unité.
1.4
L'ACP, par contre, n'indique pas explicitement comme objectif l'unité pleine et visible. Bien plus,
«l'unité à laquelle nous sommes convoqués a déjà commencé à être manifestée» dans l'Eglise.
«Elle exige d'être traduite plus pleinement dans des structures visibles» (§22). Il ne s'agit pas
pour autant de confondre l'unité avec l'uniformité. L'unité est plutôt «donnée dans et avec la
diversité. Parce que cette diversité correspond à la pluralité des dons de l'Esprit-Saint à l'Eglise,
c'est un concept d'une importance ecclésiale fondamentale» (§23). L'unité de l'Eglise est
réalisée par l'unité dans la proclamation, dans les sacrements et dans le ministère institué par
Dieu. Cette unité «a besoin d'une structure visible», qui puisse «inclure les différences internes
et la diversité spirituelle aussi bien que les changements et développements au cours de
l'histoire» (§26). Dans cet esprit, les Eglises, qui du fait de séparations ne sont pas encore unies
de façon visible, s'engagent à faire leur possible « pour retrouver leur unité visible et approfondir
leur communion spirituelle » (§27).
1.5
Le centre de gravité de l'ACP se trouve dans ses affirmations concernant l'épiscopat. Pour l'ACP
comme pour l'ACM l'épiscopat repose sur la mission apostolique de l'Eglise. Au sein du
ministère institué par Dieu, l'Episkopé a pour tâche de veiller au maintien de l'unité et de
l'apostolicité de l'Eglise (§32 i-k). C'est l'Eglise tout entière qui est apostolique, dans la mesure
où elle se situe en continuité avec l'Eglise des Apôtres et où elle conserve ses caractéristiques
(§36ss). C'est pourquoi il faut situer la succession apostolique du ministère épiscopal dans
l'apostolicité de toute l'Eglise (§40), bien qu'elle s'exprime particulièrement dans la succession
épiscopale historique (§46ss). Celle-ci est un moyen et un signe exprimant la continuité
apostolique, mais n'est ni sa garantie ni son fondement. Qualifier la succession épiscopale
historique de signe permet d'en reconnaître l'autorité. Mais à côté d'elle peuvent encore être
affirmées d'autres formes de succession apostolique (§52). Ce n'est plus l'usage d'un signe
spécifique qui s'avère déterminant, mais la reconnaissance mutuelle des Eglises et des
ministères (§53).
1.6
Cette compréhension commune a permis, selon l'ACP, d'atteindre «une nouvelle étape de notre
commun voyage dans la foi» (§55). Elle permet d'accueillir «les ministres et membres des autres
Eglises comme s'ils étaient membres et ministres de la nôtre» et de célébrer ensemble
l'eucharistie (§59). Malgré cela, l'ACP ne voit là qu'un «pas vers l'unit‚ visible». Dans la
«recherche d'une unité plus large» on pense d'abord à l'approfondissement d'une communion
œcuménique déjà manifeste. On en évoque des étapes, mais sans définir clairement le but.
C'est pourquoi il n'apparaît pas quand ce but sera atteint.
3
2.
Communion ecclésiale - Le modèle d'unité de Leuenberg
2.1
La CL permet la communion ecclésiale sur la base de la compréhension commune de l'Evangile
comme message de la justification du pécheur par la libre grâce de Dieu. L'Eglise témoigne de
ce message dans sa proclamation, dans le baptême et la Cène. C'est pourquoi la communion
ecclésiale est réalisée dans la vie des Eglises et des paroisses en tant que communion dans la
parole et les sacrements ainsi que dans le témoignage et le service communs. La CL est basée
sur la compréhension réformatrice de l'unit‚ de l'Eglise (cf. Confession d'Augsbourg VII,
Confession Helvétique 17). C'est là un critère majeur, qui, en se concentrant sur ce qui est
fondamentalement nécessaire à l’unité, laisse en même temps une marge de liberté, suffisante
4
pour l’organisation et le développement de la communion ecclésiale ainsi fondée.
2.2
Cette compréhension de la communion ecclésiale présuppose à la fois une relation nécessaire
et une différence irréductible entre la compréhension de l'unité de l'Eglise (Einheit der Kirche) et
les modèles d'unité (Modelle der Einigung) qui doivent servir à sa réalisation. La compréhension
de l'unité ecclésiale concerne son être, ses éléments constitutifs et ses caractéristiques. Les
modèles d'unité concernent la réalisation de l'unité ecclésiale, les aspects par lesquels elle
devient manifeste, la manière dont elle prend forme concrète. Le consensus s'impose en ce qui
concerne le fondement de l'Eglise et ce qui est nécessaire à son unité. Mais ce consensus
permet aussi la diversité légitime des formes d'organisation de l'Eglise. Cette distinction entre le
fond et la forme de l'Eglise est une caractéristique spécifique de la compréhension réformatrice
5
de l'Eglise.
2.3
En ce sens, Leuenberg représente un modèle d'unité ecclésiale reposant sur la compréhension
réformatrice de l'unité de l'Eglise comme communion d'Eglises. Malgré certaines différences,
cette compréhension se retrouve pour l'essentiel dans les conceptions de l'unité selon l'ACM et
l'ACP. Ces deux textes nomment également les éléments constitutifs de l'Eglise et de son unité.
De plus, ils constatent le consensus des Eglises participantes, ce qui permet la reconnaissance
mutuelle des partenaires en tant qu'Eglise.
Par contre, les options divergent quant au modèle d'unité souhaité. L'ACM s'oriente en fonction
de la conception de l'unité «pleine et visible», mais sans pour autant la formuler explicitement
comme objectif commun. L'ACP est encore plus réticente à ce propos. C'est pourquoi ces deux
textes de consensus ne sont pas à considérer d'office comme des modèles en concurrence ou
comme des alternatives à la CL.
2.4
La compréhension de l'«unité visible» et du rôle qu'y tient le ministère épiscopal sera décisive
pour cette question. Pour la CL la réalisation de la communion de chaire et d'autel représente
l'expression décisive de l'«unité visible». La CL a intégré la question du ministère dans la
déclaration de la communion de chaire et d'autel, en affirmant la reconnaissance mutuelle de
l'ordination et la possibilité de l'intercélébration (§33). Elle n'avait pas de raison d'en faire
davantage, puisque la question du ministère n'avait pas été séparatrice entre les Eglises de la
Réforme participantes, bien qu'il y ait eu des différences doctrinales. C'est pourquoi la
question du ministère et de l'ordination a été reprise dans la liste des tâches pour le travail à
poursuivre (§39).
La communion ecclésiale de Leuenberg (CEL) encouragera les entretiens portant sur la
signification du ministère épiscopal et de la succession apostolique historique, s'ils sont au
4
5
Cf. L'Eglise de Jésus-Christ: la contribution des Eglises issues de la Réforme au dialogue œcuménique sur l'unité de
l'Eglise, in: Accords et dialogues œcuméniques, op. cit., II, p.81-117. Cf. p.24ss et 113s. Original: Die Kirche Jesu Christi.
Der reformatorische Beitrag zum ökumenischen Dialog über die kirchliche Einheit, in: Wachsende Gemeinschaft in Zeugnis
und Dienst. Texte der 4.Vollversammlung der Leuenberger Kirchengemeinschaft, hg. von Wilhelm Hüffmeier u. ChristineRuth Müller, Francfort/M, 1995.
Cf. Ibid., ainsi que Harding Meyer, Ökumenische Zielvorstellungen, Bensheimer Hefte 78, Göttingen 1996, p.15ss.
4
6
service de l'élargissement et de l'approfondissement de la communion ecclésiale.
Néanmoins, si l'adoption d'une telle tradition doctrinale venait à être considérée comme une
condition indispensable à l'unité de l'Eglise, on aurait quitté la base commune des écrits
confessionnels de la Réforme.
L'apostolicité de l'Eglise est garante de l'authenticité et de l'effic acité de son témoignage.
Néanmoins, selon la compréhension réformatrice, l'apostolicité n'est pas identique à
certaines formes qui ont vu son expression dans l'histoire, elle doit au contraire en
demeurer distincte. La proclamation de l'Evangile conformément à l'Ecriture et la célébration des sacrements conformément à leur institution sont les critères d'authenticité
7
fondamentaux, dont les Réformateurs ont déduit d'autres caractéristiques de l'Eglise.
Selon cette perspective, d'autres entretiens seront nécessaires pour vérifier quelle
signification revient au ministère épiscopal et à la succession apostolique des ministères
pour le maintien dans la tradition apostolique.
2.5
Selon Harding Meyer, la communion ecclésiale de Leuenberg représente «l'applicati on
jusqu'ici la plus claire et la plus inclusive» du modèle d'unité qu'est la «communion
ecclésiale». Il y voit une élaboration appropriée du modèle de la reconnaissance mutuelle.
Celui-ci a enlevé aux «différences confessionnelles leur mordant et leur e nracinement
séparateurs» et a permis de reconnaître les différences qui subsistent «comme une
8
expression légitime de la foi apostolique et de la vie chrétienne et ecclésiale». Lorsque la
loyauté confessionnelle et l'engagement œcuménique ne sont plus perçus comme
concurrents, «s'ouvre la vision d'une unité qui a les caractéristiques de la 'diversité
9
réconciliée'»
Ce modèle fondamental d'unité ecclésiale qu'est la reconnaissance mutuelle des Eglises a
été développé par la CL dans le sens de la communion ecclésiale. La reconnaissance
mutuelle des Eglises est aussi le concept-clé de l'ACM et de l'ACP. Malgré sa terminologie
différente, la CL est proche de ces deux résultats de dialogue.
3.
Forces et faiblesses de la réalisation du modèle d'unité de Leuenberg
3.1
La communion que les Eglises s'accordent à partir de la CL n'est pas un acte isolé, achev é
par une signature, mais un processus qui ne fait que commencer et qui doit se poursuivre.
C'est pourquoi la CL opère sciemment une distinction entre la déclaration et la réalisation de
la communion ecclésiale. Pour cette réalisation, elle évoque quatre aspects: témoignage et
service, poursuite du travail théologique, conséquences en matière d'organisation, aspects
œcuméniques. Au terme de 25 ans d'existence de la communion ecclésiale de Leuenberg,
force est de constater que dans le vécu de cette communion ces aspects ont été pris en
considération plus ou moins bien.
3.2
Les progrès dans la poursuite du travail théologique sont les plus remarquables. Les
thèmes abordés et leurs résultats ont indéniablement contribué à un approfondissement de
la communion ecclésiale. Il faut mentionner en particulier le document ecclésiologique
«L'Eglise de Jésus-Christ», qui récapitule les efforts entrepris en vue d'un consensus et qui
doit conférer une orientation au dialogue œcuménique.
3.3
Le témoignage et le service communs se sont développés différemment selon les régions.
De nombreuses réalisations de coopération, de partenariat et d'aide entre les Eglises ont
une orientation pan-européenne. Elles expriment la vitalité de la communion des Eglises de
6
7
8
9
Cf. L'Eglise de Jésus-Christ, op. cit., p.95s
Cf. Ibid., p.91s.
Harding Meyer, op. cit., p.129.
Document concernant «Le rôle œcuménique des alliances confessionnelles mondiales dans le mouvement œcuménique»,
cité par Harding Meyer, in: Ibid., p.143.
5
Leuenberg dans le témoignage et le service. La dernière Assemblée à Vienne en 1994 a
rappelé que le témoignage et le service sont des expressions décisives de la communion
ecclésiale de Leuenberg. Elle a encouragé les Eglises à organiser en réseau leurs
institutions régionales et européennes, puisqu'il existe déjà une grande diversité de formes
de témoignage et de service communs dans les régions et les paroisses de la communion
ecclésiale de Leuenberg.
3.4
Nous ignorons beaucoup les uns des autres. Il est possible que cette ignorance soit liée à la
structure institutionnelle de la communion ecclésiale de Leuenberg, qui est volontairement
réduite. Une telle structure avait notamment pour but d'écarter les angoisses qu'auraient pu
susciter des velléités d'union d'Eglises. Harding Meyer, tout en reconnaissant les qualités du
modèle de Leuenberg, constate pourtant que «l'on n'a pas encore pris en compte
suffisamment la relation entre le fait de pouvoir agir en commun par le témoignage et le
10
service, et les structures de la communion qui rendent possible cet agir en commun» C'est
pourquoi il était utile que l'Assemblée de Vienne évoque la nécessité d'un échange
réciproque d'informations et d'un dense réseau de communication, les qualifiant
d'instruments essentiels pour le témoignage et le service.
3.5
La conception œcuménique de la CL était destinée dès le début à montrer que la CL ne se
comprend pas comme un voyage confessionnel en solitaire, mais bien plus comme une
contribution à la «communion œcuménique de toutes les Eglises chrétiennes» (§46). Cet
aspect a gagné en importance ces dernières années, donnant lieu à toute une série de
rencontres et de discussions œcuméniques. L'un de ces résultats de dialogues est la
«Déclaration commune en vue de la communion ecclésiale», signée avec les Eglises
méthodistes d'Europe, qui a permis un élargissement de la communion ecclésiale de
Leuenberg.
4.
Les tâches à poursuivre
4.1
La viabilité du modèle de Leuenberg dépend de la capacité des Eglises participantes à saisir
les chances offertes par la CL, et à chercher à corriger ses faiblesses entre-temps
apparentes. C'est dans la discussion avec d'autres Eglises ou communautés, discussion à
entreprendre ou à poursuivre, que l'ouverture œcuménique de la CL et sa signification
particulière en tant que modèle d'accord ecclésial devront être mises en évidence plus
consciemment, en l'occurrence dans les projets suivants:
4.1.1
Le dialogue avec la communion anglicane devra comporter des discussions concernant
l'«unité visible», le ministère épiscopal et la succession apostolique. La question décisive n'est
pas de savoir s'il faut un ministère épiscopal, mais dans quel but. Il s'agit donc de sa fonction
et de son fondement ecclésiologique. Le document «L'Eglise de Jésus-Christ» et l'ACP livrent
à ce propos des déclarations importantes, qui laissent apparaître des convergences possibles.
Même une compréhension «réconciliée» ou, mieux encore, commune, du ministère, ne
saurait pourtant être qu'un complément structurel mais non le fondement de l'unité et de la
communion des Eglises. Si tel était le cas, on aurait abandonné le fondement réformateur de
la CL.
4.1.2
En ce qui concerne le dialogue avec les Baptistes, recommandé par l’Assemblée, se pose la
question s'il faut envisager une communion ecclésiale dans l'esprit de la CL. Fin 1993, la
discussion a formulé comme objectif plutôt des «modèles de communauté et de coopération»,
des «étapes intermédiaires». Pourtant, on avait en vue aussi la reconnaissance mutuelle en
10
Ibid., p.133.
6
11
tant que «communautés au sein de l'Eglise du Christ» Ceci touche le modèle de
reconnaissance mutuelle soutenant la CL. En lien avec cela, il faudra aussi soulever les
questions de la compréhension et de la pratique du baptême, ainsi que la compréhension de
l'Eglise. Cette orientation est confirmée par l'ACM et l'ACP ainsi que par les discussions qui
les ont précédées.
4.1.3
Les conceptions catholiques d'unité ecclésiale, dans la mesure où elles sont formulées, sont
selon Harding Meyer proches du modèle de communion ecclésiale développé par la CL. Ceci
vaudrait aussi si l'on intégrait dans une élaboration catholique de ce modèle des éléments
supplémentaires essentiels pour la compréhension catholique de l'unité, comme par ex. la
communion dans le ministère épiscopal et la compréhension du ministère papal.
Joseph Ratzinger a formulé pendant le Concile de Vatican II l'idée suivante: «A la place de
l'idée de la conversion (à) apparaîtra fondamentalement l'idée de l'unité des Eglises, qui
12
sont l'Eglise une et demeurent pourtant des Eglises" D'où l'importance croissante du
concept d'«Eglises-soeurs», qui a joué un rôle jusqu'ici surtout dans les rencontres de
l'Eglise catholique avec la communion anglicane et avec les Eglises orthodoxes.
Cette pensée peut être reprise aussi en lien avec la CL. On y présuppose que ce n'est pas
une forme unique du ministère ecclésial qui devient la condition de l'unité des Eglises,
mais que l'unité s'accorde avec différentes formes d'organisation. On garantirait a insi,
selon la conception réformatrice, que l'Eglise ne porte pas son fondement et son unité en
soi, mais qu'elle les reçoit de l'Evangile.
4.1.4
Un certain nombre d'Eglises de la CEL vivent dans le voisinage immédiat d'Eglises
orthodoxes. Certaines, par ex. en Allemagne ou en Finlande, ont mené aussi des
dialogues bilatéraux avec des Eglises orthodoxes. Beaucoup siègent avec des Eglises
orthodoxes dans des conseils œcuméniques. De plus, les Eglises de Leuenberg sont,
comme la plupart des Eglises orthodoxes européennes, membres de la CEC. Ces
relations ne visent pas tant la communion ecclésiale que l'amélioration de la compré hension mutuelle, l'éradication des préjugés et des malentendus, ainsi que les conditions
nécessaires à la coexistence pacifique.
Les conceptions orthodoxes d'une Eglise nationale et de l'unit‚ de l'Eglise sont en évidente
tension avec la CL. Par ailleurs, la communion ecclésiale entre des Eglises autocéphales
leur est familière. De même, la reconnaissance des symboles de l'Eglise anc ienne
commune aux Eglises orthodoxes et aux Eglises de la R‚forme peut représenter également
un terrain d'entente potentiel. Même si des dialogues bilatéraux se profilent encore pour un
temps indéterminé en amont des tentatives d'unité et d'accord, ceux-ci devraient être
particulièrement encouragés et soutenus par la communion ecclésiale de Leuenberg.
4.2
D'autres tâches s'esquissent pour la croissance interne de la communion ecclésiale de
Leuenberg. Elles concernent tout autant la poursuite du travail théologique que la mise en
œuvre d'accords déjà réalisés.
4.2.1
Non seulement la CL, mais aussi l'ACM et l'ACP manifestent l'importance de mesures
concrètes pour la mise en œuvre d'accords en vue de la communion d'Eglises. La CL
affirme la reconnaissance mutuelle de l'ordination. Les Eglises participantes s'interrogent
de plus en plus sur les conséquences pratiques d'une telle reconnaissance. Il faudrait
favoriser tant les formations communes que la reconnaissance mutuelle des diplômes et
des engagements professionnels dans l'Eglise, l'interchangeabilité et dans certains cas
11
12
Cf. Wachsende Gemeinschaft in Zeugnis und Dienst, p.174ss.
Joseph Ratzinger, "Die Kirche und die Kirchen", in: Reformatio, 1964, p.105.
7
la prise en charge de pasteurs et de permanents. Il faut pour cela des règles, qui font
encore défaut.
4.2.2
On en revient ainsi au témoignage et au service dans la CEL, que l'Assemblée de
Vienne a mis particulièrement en valeur. Elle a recommandé de dresser un inventaire, de
faire des bilans d'études et d'élaborer un cadre d'orientation pour le témoignage et le
service communs. Ces tâches ne sont pas encore menées à bien.
4.2.3
La poursuite du travail théologique ne concerne pas une liste de thèmes à travailler qui
pourraient alors être considérés comme réglés une fois pour toutes. Il faut plutôt
envisager l'éventualité que certains problèmes se manifestent à nouveau sous des
formulations différentes, et nécessitent de nouvelles clarifications. Les projets donnés à
13
l'étude par la dernière Assemblée générale en sont un signe évident. La communion
ecclésiale de Leuenberg devra aussi à l'avenir être ouverte à de tels dévelop pements, afin
de pouvoir réagir à des défis actuels de façon théologiquement adéquate.
4.2.4
Dans la discussion polémique autour de la «Déclaration commune concernant la doctrine de
la justification», la question de la compatibilité des résultats d'entretiens doctrinaux a joué un
rôle. Elle se pose lorsque des Eglises participant à la CL en arrivent, dans leur dialogue avec
une ou plusieurs Eglises en-dehors de la CEL, à des résultats qui touchent la communion
dans son ensemble. Cette question se pose d'autant plus s'il s'agit là de la compréhension de
la justification qui fonde la CL. La question de la compatibilité des résultats d'entretiens
doctrinaux n'est pas nouvelle. Elle a déjà été évoquée auparavant, notamment en relation
avec l'ACM. Elle n'a pourtant pas été clarifiée. La CEL devra s'y confronter et décider d'un
14
processus adéquat.
4.2.5
Enfin, la CEL a surtout besoin de voir clairement où est le lieu et quelle est la tâche des
Eglises issues de la Réforme dans l'Europe en croissance. Parce que cette Europe
représente davantage qu'une union économique et qu'un espace monétaire commun, la
contribution des Eglises chrétiennes y revêt une importance particulière. La dernière
Assemblée générale a souligné qu'au regard de cette évolution, le protestantisme en Europe
devrait aussi s'avérer capable d'une parole au tranchant réformateur. Mais ceci exige aussi
que les Eglises de la Réforme s'entendent au sujet du message qu'elles ont à transmettre, si
elles veulent avoir leur mot à dire ensemble dans le processus d'intégration européenne.
Traduit de l’allemand par Elisabeth Parmentier
13
La 4e Assemblée générale de la CEL à Vienne en 1994 a recommandé des entretiens doctrinaux sur les thèmes suivants:
- Loi et Evangile, en particulier au regard des décisions éthiques;
- Eglise, Etat, nation; ce thème est aussi une contribution importante pour la 2e Assemblée œcuménique européenne;
- Israël et l'Eglise.
Cf. pour cela Wachsende Gemeinchaft in Zeugnis und Dienst, p.262.
14
Pour la compatibilité des résultats d'entretiens doctrinaux, cf. aussi le document préparatoire de la 4e Assemblée générale
de la CEL, «La signification d'accords œcuméniques bilatéraux pour les Eglises participant à la Concorde de Leuenberg»
(critères pour les relations réciproques), 24 mars 1992, in: Ibid., p.156ss.
8