L`habit fait il le moine

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L`habit fait il le moine
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Lʼhabit fait-il le moine ?
Supports de réflexion
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Le corps est aussi une construction sociologique
Le corps est une réalité changeante d'une société à l'autre. [...] le corps n'existe pas à l'état
naturel, il est toujours saisi dans la trame du sens. "
David Le Breton
La Sociologie du corps, 1992
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Les apparences corporelles, un code social normatif
Les apparences corporelles sont soumises à un code social normatif, à un ensemble de règles culturelles
où le corps prend valeur de signifiant :
Apparence corporelle : "le corps et les objets portés par lui, le corps, sa présentation, sa représentation, c'està-dire l'ensemble des caractères physiques constants ou variant lentement (poids, taille, traits du visage),
d'attitudes corporelles (postures, expressions, mimiques) et d'attributs (habits, coiffures, maquillages,
accessoires)"
Apparence corporelle " est au centre des interactions sociales de la vie quotidienne, que celles-ci soient de
simples mises en présence physiques anonymes (dans la rue, les lieux publics, les transports, etc.) ou des
rencontres effectives (amicales, professionnelles, etc.). "
Michèle Pagès-Delon
Le Corps et ses apparences. L'envers du look, L'Harmattan, 1989
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L’habit fait le moine, la loque le mendiant
En changeant de vêtements, j'étais passé sans transition d'un monde dans un autre. Tous les
comportements étaient soudain bouleversés. J'aidai ainsi un marchand ambulant à relever sa
baladeuse renversée. « Merci, mon pote! », me dit-il avec un grand sourire. Jusqu'ici, personne ne
m'avait jamais appelé mon pote : c'était un effet direct de ma métamorphose vestimentaire. Je
découvris aussi à quel point l'attitude des femmes varie selon ce qu'on a sur le dos. Croisant un
homme mal habillé, une femme réagit par une sorte de frisson traduisant une répulsion
comparable à celle que pourrait lui inspirer la vue d'un chat crevé. Tel est le pouvoir du vêtement.
Habillé en clochard, il est très difficile, tout au moins au début, de ne pas éprouver le sentiment
d'une déchéance. C'est le même genre de honte, irrationnelle mais très réelle, qui vous prend, je
suppose, quand vous passez votre première nuit en prison.
George Orwell (1903-1950)
Dans la dèche à Paris et à Londres
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Le plus bel objet de consommation : le corps
Dans la panoplie de la consommation, il est un objet plus beau, plus précieux, plus éclatant que
tous [...] c'est le corps. Sa « redécouverte », après une ère millénaire de puritanisme, sous le signe
de la libération physique et sexuelle, sa toute-prèsence [...] dans la publicité, la mode, la culture de
masse - le culte hygiénique, diététique, thérapeutique dont on l'entoure, l'obsession de jeunesse,
d'élégance, de virilité/féminité, les soins, les régimes, les pratiques sacrificielles qui s'y rattachent,
le Mythe du Plaisir qui l'enveloppe - tout témoigne aujourd'hui que le corps est devenu objet de
salut. Il s'est littéralement substitué à l'âme dans cette fonction morale et idéologique.
Jean Baudrillard
La Société de consommation
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Au nom du poids : nouveaux évangiles, nouvelle liturgie
Nos étagères croulent sous l’avalanche d’ouvrages sur l’alimentation et ses désordres, sur le corps
et ses multiples destins.
Nos télécommandes zappent frénétiquement d’une émission aux autres, toutes consacrées aux
aléas de la beauté et de l’esthétique, aux mises en scène par les cuisiniers les plus prestigieux des
tentations sucrées-salées, tandis que reviennent en boucle publicitaire obsessionnelle les
silhouettes fluides des mannequins sylphides qui nous susurrent que : « elles le valent bien ! » ou
que : « elles le veulent bien ». On ne sait pas très bien de « valoir » ou de « vouloir », ce que
délivre le message.
Si c’est de « valoir » qu’il s’agit, de quel mérite s’agit-il ? Quels sont ces codes de valeur qui ne
sauraient s’affirmer qu’à travers un objet-corps modelé et aseptisé.
Si c’est de « vouloir » qu’il s’agit, d’où vient cette apologie du contrôle et de la maîtrise qui
seraient seuls capables de nous assurer l’accès à la société des élus, cette nouvelle « jet-set »
répandue dans toutes les classes sociales : la société des conformes à l’esthétisme en vogue.
Pas de place apparemment pour l’obèse dans cette société des minces, si ce n’est qu’il pointe et
s’impose de plus en plus dans les sondages épidémiologiques…
Pas de place apparemment pour l’obèse sinon celle de faire-valoir, de rejet, de bouc émissaire.
Mais l’évidence s’impose aussitôt : cette place de rebut remplit également, et peut-être avant
tout, une fonction sociale : celle du miroir… sans tain ! Derrière le miroir qui réfléchit et
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entretient les images idéalisées, l’obèse est en embuscade, comme un « double », au sens littéral et
symbolique, comme une « réplique ».
Nouveaux « fous de notre société de rois maigres » (D. Bourque) les obèses en sont également les
réfractaires, les renégats, les apostats. A eux donc, puisqu’ils s’exposent publiquement, d’avoir à
encourir la vindict publique et d’être chargés de tous les pêchés que notre société sécrète mais
dont elle se refuse à accepter la responsabilité. Aux obèses donc l’inquisition nutritionniste. Il va
falloir abjurer son obésité, renier le « mauvais » cholestérol au profit du « bon », auto-flageller ses
envies, ses besoins mêmes, rentrer dans le rang des soumis et des dociles ou se remettre à
l’exclusion.
Les exigences morphologiques que notre société d’images nous matraque de manière incessante
diffusent, comme un venin sournois, un halo moralisateur qui scinde le peuple des hommes en
deux clans opposés :
- les minces, certainement (?) obéissants aux normes diététiques en vigueur, enfants sages et
disciplinés, rassurants sinon rassurés, minces parce que « bons », « bons » parce que minces…
- les gros, indisciplinés, objets d’opprobre et de reniement, inadaptés à l’élan normatif de la
société qui ne peut que les disqualifier et les rejeter…
Étrange et absurde monde binaire où la conformité et la non-conformité morphologique se
doublent d’une assignation morale très rapidement capable de se transformer en destin
inéluctable.
Pierre Peuteuil
Au nom du poids : nouveaux évangiles, nouvelle liturgie
in Les abstracts des 1ères Rencontres du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids, 2002
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La minceur comme beauté, notion culturelle
La beauté est un concept social. L'idée que nous nous en faisons change à travers le temps et est
différente selon les cultures. Malheureusement, une fois le concept de beauté fixé à un moment
donné de l'histoire, les critères en sont immuables et intransigeants. La valeur des femmes y est
intimement rattachée. En tant qu'objet de consommation, nous, les femmes, sommes tout
particulièrement évaluées selon les critères de beauté en vigueur. Nous sommes envahies d'images
de femmes "parfaites " qui ne nous ressemblent pas ou que très peu. Un des premiers critères
sociaux de la beauté est la minceur, présentée à souhait par les médias comme accessible à toutes,
avec l'aide de divers services ou produits de consommation. Critères de beauté obligent, nous
tentons de nous conformer et c'est alors que commence un manège qui nous coûte temps, argent,
énergie, santé et estime de soi.
Sylvie Bellefeuille
Préjugés et discrimination envers les femmes
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Handicap ou difformité, ces notions sont relatives et fonctions
de la norme sociale et de la normation sociale
Les humains peuvent engendrer des monstres. Certains sont reconnaissables : ils sont mal formés
et horribles, avec de grosses têtes sur de petits corps, des troncs sans bras ou sans jambes;
quelques-uns, plus rares, ont trois bras; d'autres ont une queue. Ils sont des accidents. Ce n’est la
faute de personne, pense-t-on communément. Il fut un temps où ils étaient considérés comme des
punitions pour des péchés cachés.
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S'il y a des monstres physiques, ne peut-il y avoir des monstres mentaux ou psychiques ? Le visage
et le corps peuvent être parfaits; mais si un sperme déficient ou un facteur héréditaire produit des
monstres physiques, pourquoi ne produirait-il pas des âmes difformes ?
Les monstres ne sont que des variations à un degré plus ou moins grand des normes usuelles. Et,
tout comme un enfant peut naître manchot, un autre peut naître sans bonté ou sans conscience.
Un homme qui perd ses bras dans un accident doit lutter longtemps pour s'adapter à sa nouvelle
conformation mais celui qui naît sans bras souffre uniquement de sa singularité. N'ayant jamais eu
de bras, ils ne lui manquent pas. Parfois, le petit enfant imagine ce que cela serait d'avoir des ailes,
mais ce qu'il imagine ne correspond certainement pas à ce que ressent l'oiseau en vol. Au monstre,
le normal doit paraître monstrueux puisque tout est normal pour lui. Et pour celui dont la
monstruosité n'est qu'intérieure, le sentiment doit être encore plus difficile à analyser puisque
aucune tare visible ne lui permet de se comparer aux autres. Pour l'homme né sans conscience,
l'homme torturé par sa conscience doit sembler ridicule. Pour le voleur, l'honnêteté n'est que
faiblesse. N'oubliez pas que le monstre n'est qu'une variante et que, aux yeux du monstre, le
normal est monstrueux.
John Steinbeck (1902-1968)
A l'est d'Eden
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La difficulté de penser Autrui comme un autre soi
Or, autrui serait devant moi un en-soi et cependant il existerait pour soi, il exigerait de moi pour
être perçu une opération contradictoire, puisque je devrais à la fois le distinguer de moi-même,
donc le situer dans le monde des objets; et le penser comme conscience, c'est à dire comme cette
sorte d'être sans dehors et sans parties auquel je n'ai accès que parce qu'il est moi et parce que
celui qui pense et celui qui est pensé se confondent en lui. Il n'y a donc pas de place pour autrui et
pour une pluralité des consciences dans la pensée objective... mais, justement, nous avons appris à
révoquer en doute la pensée objective.
Maurice Merleau-Ponty (1908-1961)
Phénoménologie de la perception
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Pour approfondir ce sujet
- La symbolique du poil, Gérard Guillet, in Pour la science N°316 Février 2004
- Mon corps la première merveille du monde, André Giordan, Lattes
- Le regard de l’anatomiste, dissections et invention du corps en Occident, Raphaël Mandressi, Seuil, 2003
- Le médecin, le malade et le philosophe, Jacqueline Lagrée, Bayard, 2002
- La Sociologie du corps, David Le Breton, PUF, 1992
- Du code au désir, le corps dans la relation sociale, Picard, Dunod, 1983
- Le normal et le pathologique, Canguilhem, PUF 1966
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