Des NOTES de LECTURE - REseau COllaboratif des centres sociaux
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Des NOTES de LECTURE - REseau COllaboratif des centres sociaux
¯¯¯¯¯¯¯Des NOTES de LECTURE¯¯¯¯¯ …¯¯¯¯¯ 8 juillet 2014 ¯¯¯¯¯¯… « Notes » réalisées par Henry Colombani – ancien délégué national à la FCSF, membre de « Mémoires Vives Centres sociaux » - au simple titre d’un retraité, bénévole associatif qui, souhaitant approfondir ses lectures, propose de les partager avec ceux qu’elles intéresseraient. Elles sont donc subjectives, selon les intérêts du moment et les choix de l’auteur, et n’engagent aucune institution. En espérant qu’elles inciteront à lire, à nourrir le travail et les réflexions des acteurs bénévoles et professionnels, dans l’accord comme dans le débat contradictoire ! Les ouvrages retenus sont répertoriés et classés à la FCSF. Site : http://www.centres-sociaux.fr/ - rubrique : « Ressources / Notes de lecture » Jean-Michel Ducomte, Jean-Paul Martin, Joël Roman, Anthologie de l'éducation populaire, Toulouse, Editions Privat, "Le comptoir des idées", 2013 [390 p15,00 €] « Peuple, populaire, populismes ? » : une précédente note de lecture1, bien avant les élections européennes de mai 2014, présentait sous cette interrogation un ouvrage consacré à la montée des populismes dans l’Union européenne. Face à ces manifestations des opinions et à leur ampleur en certaines nations, il est peut-être temps, aujourd’hui, de s’intéresser à ce que peut signifier le terme « populaire », en passant par l’histoire et les usages que l’on a pu – et que l’on pourrait – faire de la notion d’Education populaire. L’Anthologie de l’éducation populaire offre une excellente opportunité non seulement de relire – ou lire - ses classiques, mais, surtout, d’y trouver des ressources pour l’avenir de nos engagements d’habitants et de citoyens. Le choix des auteurs est bien d’interroger les capacités de la notion d’éducation populaire, à travers une présentation chronologique et raisonnée des textes fondamentaux qui en ont illustré, à la fois, la richesse et la variété des sens. Leur contribution, accompagnée d’une généreuse bibliographie classée par thèmes et époques, a le grand mérite de mettre à la portée du plus grand nombre – notamment les militants associatifs, éducateurs, travailleurs sociaux et animateurs, sans oublier les chercheurs – des matériaux qui n’étaient accessibles qu’à travers des ouvrages excellents et de haute tenue, mais généralement spécialisés et dispersés. Mais il faut le souligner que ces experts engagés 2 prennent soin, tant par le choix des documents fondateurs et essentiels que dans l’articulation des périodes et des courants Voir sur le site : Note de février 2014 : Raphaël LIOGIER, Ce populisme qui vient. Conversations pour demain, Textuel, 2013 : http://www.centres-sociaux.fr/ - rubrique : « Ressources / Notes de lecture ». 2 Jean Michel Ducomte, professeur à l'Institut d'études politiques de Toulouse, spécialiste de droit public, est Président de la Ligue de l'Enseignement. Jean Paul Martin est agrégé d'histoire, maître de conférences à l'université Charles de Gaulle Lille 3 et membre du GSRL (Groupe sociétés religions laïcités) CNRS/Paris. Joël Roman est philosophe et directeur de la collection "Pluriel" (Fayard). 1 1 représentatifs ainsi que par leurs commentaires d’accompagnement, de mettre en avant la diversité des familles de l’éducation populaire, au sens de pluralité d’inspiration et d’orientation. D’emblée, afin d’éviter la tentation éprouvée à chaque génération de faire de l’éducation populaire un mythe, d’en rechercher un – ou plusieurs ? – « âge d’or » qui conduirait à la nostalgie du passé, il est bon de citer cette formule de sagesse de Jean-Claude RICHEZ qui nous incite à la précaution méthodique et historienne : « Les retours réguliers à l’éducation populaire renvoient à chaque fois à des situations de crise et de mutation de la société…3» • Prendre le temps de repérer les grands moments de cette histoire : … de Condorcet à la Seconde Guerre mondiale … Il est généralement admis que le courant qui va former cette démarche prend son origine chez Condorcet (1743-1794) et son célèbre Rapport sur l'organisation générale de l'Instruction Publique. Discours devant l'Assemblée législative d'avril 1792. Ayant « observé que l’instruction ne devait pas abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles, qu’elle devait embrasser tous les âges ; qu’il n’y en avait aucun où il ne fût utile et possible d’apprendre, et que cette seconde instruction est d’autant plus nécessaire que celle de l’enfance a été resserrée dans des bornes plus étroites… », il propose donc « l’instruction pendant toute la durée de la vie. Car, au-delà de la seule instruction, c’est bien de l’éducation des citoyens dont il s’agit : depuis la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme, le peuple est souverain, les individus sont dépositaires de droits ; il s’agit de faire en sorte que ceux-ci accèdent aux capacités de fait et de donner à la démocratie des acteurs conscients, en leur permettant de comprendre et maîtriser les enjeux du débat public. Cette dynamique portera le projet d’un Jean Macé (1815-1814) dans son appel pour la fondation de la Ligue de l'enseignement (1866), puis en 1884 avec le slogan : "Instruire le peuple pour faire des citoyens"4. Dans la seconde partie du XIXe siècle, après les difficiles épreuves de rétablissement de la République (la IIe République, la « Sociale », avec la tragique montée de la « question sociale » (Révolutions de 1830, 1848 puis de la Commune et de sa répression…) jusqu’à la IIIe, trois principaux courants de pensée ont marqué l’histoire de l’éducation populaire, ses institutions et ses réalisations : 1. un courant laïque républicain, marqué de rationalisme, héritier de la pensée philosophique des Lumières, qui développera notamment les Universités populaires Charles Guieyesse (1868-1920) : 230 universités entre 1899 et 1908, conçues comme "Une association laïque qui se propose de développer l'enseignement supérieur laïque, qui poursuit l'éducation mutuelle des citoyens de toutes conditions…". Il donnera lieu, plus tard, aux oeuvres complémentaires de l’Instruction publique (puis de l’Education nationale à la fin du XIXè), tels que les Patronages laïcs, faisant pendant aux patronages catholiques, lancés par la Ligue de l'Enseignement en 1896 (Congrès de Rouen). 2. un courant confessionnel, principalement catholique (sans oublier les mouvements protestants5) : Editorial de la revue Agora/Débats/Jeunesses, n°44, p. 10, cité dans la présente Anthologie, « Conclusion », p. 380. 4 Conférence de Jean Macé, à Gagny en 1884. (Texte in Anthologie, op. cit. p. 61-62) 5 Voir les travaux de Geneviève POUJOL, par exemple dans sa contribution à l’ouvrage collectif « Les Centres sociaux 1880-1980. Une résolution locale de la question sociale », Ed. du Septentrion, 2004, chapitre 3 « Présences protestantes », p. 63sq. 3 2 - d’abord avec Albert de MUN (1841-1914) - dans la mouvance du premier christianisme social - qui fonde les Cercles ouvriers catholiques, vers 1875), visant la reconquête catholique des milieux ouvriers (à la fois anti libéralisme et anti socialisme) ; puis, en 1886, l'Action catholique de la jeunesse française : le mouvement se spécialisera en JOC 1925, JEC et JAC 1929 (JAC devenant MRJC en 1963) ; - avec Marc SANGNIER (1873) et le mouvement du SILLON6, avec les Cercles d’Etudes puis les Instituts populaires en 1901 qui militera pour que les chrétiens rejoignent la République et se situera dans la mouvance de la doctrine sociale de l’Eglise - Création par le Sillon des Instituts Populaires - il s’agit de réaliser une harmonie sociale puis, dans les années 30, de christianiser les milieux ouvriers7. [N.B. C’est dans cette mouvance que l’on trouvera des personnalités associées aux cercles et réseaux ayant accompagné la naissance des Centres sociaux en France, notamment dans les années 1920-308.] 3. un courant ouvrier, syndicaliste et utopiste, qui développera une approche spécifique notamment avec, en 1898, les Bourses du travail de Fernand Pelloutier (1867-1901) (l'éducation est un prélude à la révolution : « ce qui manquait à l'ouvrier, c'est la science de son malheur.») A la sortie de la Guerre de 14-18, Robert GARRIC, qui participera à la Fédération des Centres sociaux, crée en 1919 les Equipes sociales pour prolonger la fraternité des tranchées, afin que se développent les échanges entre intellectuels et travailleurs manuels (dans la mouvance du SILLON9). On voit encore ici une interaction entre la Sur le SILLON et ses relations avec les pionniers des centres sociaux : cf. Robert DURAND, Histoire des centres sociaux. Du voisinage à la citoyenneté, La Découverte, 2013 (3e édition). 7 voir par exemple le discours "L'Education populaire" du 14 mai 1900, prononcé par Marc Sangnier à l’AG de la Société d'éducation et d'enseignement. 8 On veillera à éviter tous amalgames et simplification…. en reconstruisant des lignes trop directes d’appartenance ou d’obédience : les personnalités pionnières ayant portés les Maisons sociales, les Résidences sociales et, à partie de la fondation de la FCSF, en 1922, les Centres sociaux, appartiennent souvent à plusieurs milieux et « réseaux » dont les références intellectuelles et les capacités d’influence s’entrecroisent. Les différentes familles cofondatrices des centres sociaux se retrouvent, en dépit de références idéologiques et méthodologiques diverses, autour d’une affirmation de la vocation du Centre social : « Il est dans la Nation, un élément d’union et d’éducation civique, un cercle où se retrouvent, sous le signe de la cordialité et de la confiance, les travailleurs de l’outil et de la pensée. On y poursuit un but éducatif t récréatif tendant au lieux être physique et moral de ceux qui le fréquentent. » (« Le rôle du Centre social dans la Nation »,dans « Qu’est-ce qu’un centre social ? », Document dactylographié d’une réunion de la toute jeune FCSF du 18 décembre 1923. 9 Voir Robert Garric, "Le cercle d'études aux Equipes sociales", La Revue des Jeunes, 10 octobre 1923, pp. 40-63. Sur la coopération entre les Equipes sociales et les Centres sociaux, voir la note rédigée par Jacques ELOY, Président de l’association Mémoires Vives–Centres Sociaux (MVCS, en contribution au Congrès des Centres sociaux, Lyon, juin 2013. « Dès 1921, Marie-Jeanne Bassot prend contact avec Robert Garric : elle souhaite qu'il constitue des Equipes sociales à la Résidence sociale de LevalloisPerret. Les interventions débuteront en 1922-1923 (en 1923-1924 selon Fayet-Scribe, 1990b, p. 125). A noter que Marie-Jeanne Bassot avait déjà débuté antérieurement des cercles à la Résidence sociale, tel le cercle des « Bonnes Voisines ». Entre les deux guerres, cette coopération avec les Equipes sociales se généralise dans la quasi totalité des centres sociaux existants. Robert Garric indique que son amitié pour les centres sociaux "remonte à l'origine même du mouvement des Equipes" Il précise plus loin : "Manuels et intellectuels se rencontrent - ce grand vœu des Equipes - et le Centre social est le berceau tout trouvé pour qu'il se réalise" (Allocution lors de l'AG de la FCSF du 17 juin 1937, Doc. JE, p.40 et p.42). 6 3 dimension de l’éducation populaire et celle de l’action sociale, avant que celles-ci ne se séparent pour se spécialiser au cours des années 30. On notera que le développement des mouvements s’accélère : 1920, création des Scouts de France (catholiques) ; 1929, Marc Sangnier ouvre la première Auberge de jeunesse en France, l'Épi d'Or à Boissy-la-Rivière (Essonne) et fonde en 1930 la Ligue Française pour les Auberges de Jeunesse (LFAJ, d'inspiration catholique) ; 1933, fondation du CLAL (Comité de liaison des Auberges de Jeunesse, laïque) qui se distingue de la LFAJ de Sangnier). En mars 1934 : le Plan LAPIERRE (Secrétaire général adjoint du SNI, fondateur de l'Ecole libératrice en 1929) est adopté par la CGT et se propose de rénover le projet d'Education populaire initié par la Ligue de l'Enseignement fin XIXe s. Avec le Gouvernement du Front populaire, en 1936, le champ de l’éducation populaire s’organise et s’institutionnalise sous la houlette des Pouvoirs publics : invention des "Loisirs populaires" liée à l'instauration des Congés payés. Léo Lagrange (1900-1940) est Soussecrétaire d'Etat aux Sports et à l'Organisation des Loisirs : création dans de nombreux domaines10. 1937, naissance du premier Centre d'Entraînement aux Méthodes actives (CEMEA, Beaurecueil près d'Aix en Provence) : introduction des méthodes de l'éducation nouvelle11. • … de La Libération aux années 70… Pendant la Seconde Guerre mondiale, sous le régime de Vichy : la "révolution nationale" souhaite encadrer la jeunesse sous son idéologie (Travail, Famille, Patrie) : une politique de la jeunesse unique anti laïque et anti éducation populaire, qui tend à s'intensifier au fur et à mesure de l’engagement dans la Collaboration… Une politique organisée en trois secteurs : les chantiers de jeunesse (arrêtés en 1942 avec le STO qui envoie les jeunes en Allemagne...), les Ecoles de cadres ou écoles de chefs, et les Maisons des jeunes, sous l'autorité du Secrétariat général à la jeunesse. Le groupe Jeune France, créé en 1940, sous son égide, regroupe des intellectuels marqués par le personnalisme qui vont passer à la Résistance en 1943, et qui sont pour une partie d'entre eux, les premiers instructeurs des animateurs de jeunesse, à la Libération. (Voir l'expérience des cadres de l'Ecole d'Uriage... et les personnalités qui développeront l'Education populaire à la Libération...). Les mouvements qui à Alger, après novembre 1942, se regroupent dans le Comité français de Libération nationale (CFLN) où se tracent futures lignes des politiques de la jeunesse et de l'éducation populaire, autour d'André Philip (1902-1970). Avant la Libération, l’Ordonnance du 2 octobre 1943 "portant statut provisoire des mouvements de jeunesse" institue un Conseil de la Jeunesse. A Alger, c’est dans le cadre Plan d'action du Conseil national de la résistance (CNR) du 15 mars 1944 qu’est définie la vocation du domaine « Jeunesse et Education Populaire » : « La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l'instruction et d'accéder à la culture la plus développée quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. » Dès 1944, se réalisent les créations de mouvements représentatifs de la période issue des idées de la Libération : Les Francs et Franches camarades (FFC), Peuple et Culture (PEC) …Sportif : Brevets, organisations et Fédérations - UFOLEP, Conseil supérieur des Sports…; Touristique : Auberges de Jeunesse LFAJ; Colonies de vacances, formateurs : CEMEA; Culturel : Théâtre national populaire ambulant, lecture publique, protection et diffusion oeuvres cinéma, etc. 11 Education nouvelle expérimentée dans le Scoutisme laïque des Eclaireurs de France, par Gisèle de FAILLY (1905-1989) qui coordonnera le service social de la vielle Suresnes (92) dans les années 30 aux côtés du maire Henri SELLIER, qui devient ministre de la Santé du Front populaire. 10 4 nés dans la clandestinité -, les Maisons des jeunes qui forment la République des Jeunes12, association créée en 1944, avant de se transformer à la Libération en Fédération Française des Maisons de Jeunes et de la culture (FFMJC) En 1944-1945 Jean GUEHENNO, Directeur de l'Education des adultes et de la culture populaire, met en place avec Christiane FAURE les premiers instructeurs d'animateurs de jeunesse, (issus pour la plupart du groupe Jeune France). Avec André Philip et des responsables clandestins d'associations de jeunesse de partis et syndicats, il crée la République des jeunes association qui prône la gestion associative des maisons où les jeunes doivent eux-mêmes, et en dehors de tout étatisme et paternalisme, élire leurs conseils avec le soutien du conseil d’administration de la personne morale gestionnaire du lieu. Cette inspiration va animer les divers mouvements – laïques et confessionnels (ces derniers regroupés dans le Conseil français des mouvements de jeunesse) pendant les années suivantes, accompagnant la période de croissance des Trente Glorieuses, l’évolution de la société de l’agriculture et de l’industrie vers une société de services, à travers les nouvelles urbanisations du territoire, passant des banlieues populaires et ouvrières aux quartiers de la politique de la Ville. Une évolution qui verra la mutation des courants de l’éducation populaire en branches nouvelles : d’un côté l’animation socioculturelle ou socio-éducative13, d’un autre le développement professionnel de l’animation culturelle, d’un troisième enfin, avec la loi du 6 juillet 1971 : Loi portant organisation de Formation professionnelle continue dans le cadre de la Formation permanente" qui développer la formation professionnelle continue, mais laisser de côté la notion d’Education permanente qui aurait pu prolonger et moderniser l’éducation populaire14 – à moins qu’il ne faille en rechercher l’esprit dans les processus d’éducation tout au long de la vie développés par les politiques de l’Union européenne ? • … des années 70 à nos jours Après la première crise dite « pétrolière15 » (1973), l'éducation populaire perd de sa force en même temps que le chômage de masse se développe et se maintient à un étiage inégalé, inquiétant les générations suivantes. "Les années 1970 voient la naissance de l'animation socioculturelle qui se réclame de la neutralité politique en se En 1944-1945 Jean GUEHENNO, Directeur de l'Education des adultes et de la culture populaire, met en place avec Christiane FAURE les premiers instructeurs d'animateurs de jeunesse, (issus pour la plupart du groupe Jeune France). Avec André Philip et des responsables clandestins d'associations de jeunesse de partis et syndicats il crée la République des jeunes, association qui prône la gestion associative des maisons où les jeunes doivent eux-mêmes, et en dehors de tout étatisme et paternalisme, élire leurs conseils avec le soutien du conseil d’administration de la personne morale gestionnaire du lieu. 13 Les centres sociaux deviennent, en 1964, de par l’agrément de la FCSF « Jeunesse et Education populaire », délivré par le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, « Centres sociaux et socioculturels de France ». Dans les années 80, on parlera dans certains milieux, davantage liés au domaine du social, d’une « dérive socioculturelle des centres sociaux », indiquant par là que ceux-ci restaient par trop dans les cadres de l’animation socioculturelle au moment où se développaient les processus de précarisation et de pauvreté (cf. infra, note 17) . 14 Problématique de la Loi qui se limite à la "Formation professionnelle", mais ne retient la formation permanente que comme un "cadre". On en est resté à la notion de promotion sociale dans le champ professionnel… au lieu de relancer - comme le regrettait Jacques Delors, Conseiller du Premier Ministre CHABAN-DELMAS - "la tradition de culture populaire...grâce à une politique de formation permanente". 15 Aujourd’hui, on parlerait plutôt du début d’une série de mutations beaucoup plus structurelles, des « séismes » qui ont prolongé leurs répliques dans les paradigmes économiques de l’ère industrielle jusqu’aux crises financières de 2008-2009. 12 5 professionnalisant. L'animation oublie la critique de l'action, la formation à la démocratie, elle met l'accent plus sur les fins que sur les moyens16." Avec la prise de conscience de la montée de la pauvreté et de la précarité dans les années 80, après notamment le tournant dit de la rigueur effectué par le gouvernement de gauche en 1983 et suite aux rapports d’experts et de militants17 qui ont accéléré cette prise de conscience jusqu’au vote de la Loi sur le revenu minimum d’insertion du 1er décembre 1988, le balancier de l’intervention sociale tend à revenir de l’animation socioculturelle vers davantage d’action sociale. Concernant les centres sociaux, on entendra alors évoquer dans certains milieux leur « dérive » socioculturelle : ce dont témoigne l’analyse de Geneviève POUJOL18 : « Du reste on parle peu d’éducation populaire dans les années 70… Le champ du socioculturel s’étend, il déborde de beaucoup le champ de l’éducation populaire. Ce que l’on a appelé le socioculturel provient de l’institutionnalisation de l’éducation populaire par l’équipement et la professionnalisation. (…) Socioculturel est alors un substantif pour désigner un champ d’activités et d’institutions qui déborde le champ traditionnel de l’éducation populaire pour toucher le champ du secteur social, celui notamment des foyers de jeunes travailleurs et des centres sociaux rebaptisés désormais centres sociaux et socioculturels… » (…) « Les nouvelles manières de faire des pouvoirs publics, qui privilégient une contractualisation au détriment des subventions, et la décentralisation ont apporté des modifications considérables dans la manière de se comporter des fédérations. Les associations d’éducation populaire ont été les victimes consentantes de l’Etat19. » • Des leçons pour l’avenir ? Reprenant la formule qui semble constituer le socle commun des familles de l’éducation populaire : « L’éducation populaire est née d’une ambition : donner à la démocratie des acteurs susceptibles d’en faire vivre les mécanismes et d’en comprendre les enjeux…20 », ne doit-on pas faire l’hypothèse que celle-ci, lors de son évolution se serait plus ou moins diffusée, voire peut-être dissoute, dans d’autres domaines : la culture et l’action culturelle, comme démocratisation de l’accès aux biens culturels, dans les activités complémentaires de l’Ecole, à travers la formation continue et permanente ou encore avec la professionnalisation de l’animation et du social, avec l’extension depuis les années 80 des domaines de l’insertion sociale et lutte contre l’exclusion…21 Et ce, aux dépens de sa vocation première de d’éducation du peuple par la promotion collective des classes populaires… de la formation d’une communauté de citoyens, selon les différents courants et méthodes historiques qui l’ont organisée depuis le 19e siècle : organisations laïques, christianisme social, mouvements ouvriers (anarcho-syndicalisme) ? On peut également s’interroger sur la place prise par la professionnalisation – compétences et qualifications Voir la thèse de Geneviève POUJOL sur "L'Education populaire au tournant des années 70". …que les Média appellent la « Nouvelle pauvreté », pour la distinguer de la pauvreté plus structurelle… Retour des mouvements caritatifs (ATD,Emmaüs, Secours Populaire, Catholique… Rapports Pauvreté (d’abord Oheix,Gontcharoff, Maclouf… puis Joseph Wresinski : Fondateur ATD/Quart Monde : membre du Conseil économique et social il publie le Rapport intitulé «Grande pauvreté et précarité économique et sociale » adopté le 11 février 1987). 18 « L’Education populaire au tournant des années 70 : l’effet 1968 ? », p. 12-17. Cité dans l’Anthologie de l’Education populaire, p. 351-352. 19 Souligné par nous. 20 Anthologie, Conclusion, p. 376 21 On notera cependant les organisations nouvelles venues au tournant des années 90 qui se revendiquent d’éducation populaire : ATTAC, le Réseau national des Juniors associations, ANIMAFAC, L’Association nationale des Conseils d’Enfants et de Jeunes, la Fondation des Etudiants pour la Ville, sans oublier la renaissance d’universités populaires… [Anthologie, p. 379-380] 16 17 6 nécessaires par l’étendue et la complexité des domaines de l’intervention éducative, culturelle et sociale… - par rapport au militantisme et bénévolat des origines. Interrogation sur la place relative entre salariat et bénévolat… et leurs relations – nos deux sources de ce que l’on a qualifié parfois de « travail associé » : pas de séparation entre « ceux qui pensent et ceux qui font ». C’est en ce sens que les auteurs de l ‘Anthologie rappellent qu’« il est nécessaire de réintroduire ce qu’il faut de ‘professionnalité’ dans l’action militante et ce qu’il convient de militantisme dans la démarche des professionnels afin de renforcer les connivences nécessaires et les compréhensions réciproques… » [Conclusion, p. 382] C’est encore à Geneviève POUJOL que les auteurs ont choisi de donner la parole pour poser, dans leur Conclusion, les questions dérangeantes : et ce, avec une lucidité prémonitoire, dont les contemporains de cette année 2014 feraient bien de s’inspirer, au vu des diverses modalités du mal-être citoyen qui s’exprime – ou ne s’exprime même plus – dans la vie politique française et européenne : « Faut-il réactiver les mots ‘éducation populaire’ ou élaborer un projet d’un autre nom ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il faut formuler un projet où la dimension de l’apprentissage de la citoyenneté ait un minimum de consistance. Cet apprentissage n’a aucun sens s’il n’est pas accompagné de la ferme résolution de réhabiliter la chose politique auprès des adultes et surtout auprès des jeunes qui n’entendent que trop que ‘les politiques sont tous des pourris’. Souhaitons que d’autres que nous, dans quelques années, puissent prendre la relève, et retrouvent dans l’histoire du début du troisième millénaire plus que des traces d’un projet d’éducation populaire22. » Alors comment faire vivre pour l’avenir une éducation populaire de plus en plus associée à la professionnalisation et à la politique de co-traitance avec l’action publique, vivant paradoxe d’une compétence gestionnaire certes reconnue mais dont le projet civiquecitoyen peut s’avérer limité, voire contraint ? Sans doute en se référant au fil rouge que constitue, comme une référence constante en dépit de ses transformations liées aux contextes politiques et sociaux successifs, l’affirmation qui s’exprime la vocation des centres sociaux « de l’implication des usagers à la participation des habitants et au pouvoir d’agir… » - évoquant par là, respectivement, les termes en usage dans les années 60-70, puis 80-2000, enfin, plus récemment, depuis les années 2010, le vocable qui s’efforce de traduire la notion d’empowerment23. Mais cela suppose une réelle ambition, qui sache lire les données et paramètres de son époque, conscients que ces références évoluent de plus en plus vite et se transforment – y compris dans le façonnage des mentalités – avec la circulation mondialisée des cultures et les paradigmes issus du numérique et des technologies qui peuvent autant rapprocher qu’exacerber les distances. L’exemple des nouvelles consciences et formes d’agir liées à l’accélération des usages, « L’éducation populaire au tournant des années 70. L’effet 68 ? », in « L’éducation populaire : le tournant des années 70 », L’Harmattan, 2000, (p. 20-23) ; cité dans l’Anthologie de l’Education populaire [p. 371-372]. 23 Sur cette évolution, voir les Actes du Congrès de La Rochelle (1992), « Trois jours à La Rochelle », Ouvertures, N°5/1992 - http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34391210d/date.r=ouvertures.langFR Voir également les travaux récents : . Marie-Hélene Bacqué, Carole Biewener, L'empowerment, une pratique émancipatrice, La Découverte, coll. « Sciences Humaines / Politique et sociétés », décembre 2012. . et, production de nos réseaux : « On voudrait entendre crier toutes les voix de nos cités. Paroles d’habitants des quartiers en politique de la ville ». Rapport national. Fédération des Centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) et Question de Ville (association des directeurs des centres de ressources de la politique de la ville), avec le soutien du Comité interministériel des villes, juillet 2012. Préface de François LAMY, Ministre délégué à la Ville. Cf. Notes de lecture sur le Site FCSF : http://www.centres-sociaux.fr/ - rubrique : « Ressources / Notes de lecture ». 22 7 eux-mêmes sans cesse en mutation – des réseaux sociaux est assez parlant : l’éducation populaire doit s’y confronter, et s’y régénérer, en assumant évidemment les risques. Qu’il soit permis, en lisant le Projet d’orientation de la Fédération des Centres sociaux de France élaboré par les contributions actives des bénévoles et professionnels des Centres sociaux à l’occasion de leur dernier Congrès et voté à leur récente Assemblée générale, d’y lire une perspective prometteuse et qui participe de l’ambition de l’éducation populaire : « La construction de cet avenir doit prendre en compte les évolutions actuelles de notre société. La FCSF partage en effet les analyses qui évoquent une « mutation » plutôt qu’une crise. Ainsi nous ne cherchons pas à restaurer une situation antérieure, mais à participer à l’élaboration d’un futur qui sera différent de ce que nous avons connu précédemment. Pour cela, les défis à relever collectivement sont nombreux, dans un contexte mondial. Nous en retenons plus particulièrement quatre : Promouvoir des dynamiques de conscientisation, c’est-à-dire permettre aux personnes qui fréquentent le centre social d’avoir l’occasion d’interroger puis de mieux comprendre les « systèmes » qui les entourent. Décoder le fonctionnement de notre société, c’est se donner les moyens d’agir efficacement avec et/ou sur elle : repérer là où les décisions se prennent, comprendre les jeux d’influence, connaître un calendrier institutionnel, être sensibilisé à telle ou telle contrainte technique, etc. C’est aussi prendre conscience de la place qu’on occupe ou celle que l’on pourrait prendre dans ces systèmes. Pour finir, c’est comprendre que l’on n’est pas seul à cette place ou dans cette situation. (…) » Henry Colombani 8