Subject: Actualité Marocaine

Transcription

Subject: Actualité Marocaine
Maroc
Subject: Actualité Marocaine
Topic: Dans les coulisses d’une mode royale
Dans les coulisses d’une mode royale
Posté par: Redacteur
Posté le : : 1176205540
URL:
Mohammed VI aime la peinture, et il y met le prix. Les courtisans, puis les élites, suivent le
mouvement. Du coup, le m arché de l’art flambe : un tableau peut atteindre, aujourd’hui, jus qu’à 3
millions de dirhams.
Nous sommes en 2006. Mohammed VI, comme cela lui arrive souvent, quitte le palais royal avec un
cortège de sécurité allégé. Quelques kilomètres plus loin, sur la route des Zaers, le roi s’arrête
devant une somptueuse demeure : celle du peintre Hassan Glaoui. “Il s’est arrêté d’un coup, ses
proches collaborateurs étaient perplexes car personne ne connaissait exactement l’objet de ce court
déplacement, ni sa durée. Le roi s’est enfermé durant deux heures avec Hassan Glaoui, les deux
hommes ont discuté peinture tout simplement”.
L’épisode en dit long sur la passion du souverain pour les arts plastiques, il renseigne aussi sur la
cote d’un Hassan El Glaoui devenu, depuis l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir, le peintre
marocain le plus “hot”, celui dont les tableaux s’arrachent littéralement par la bourgeoisie de
Casablanca, Rabat ou Marrakech. L’homme qui nous raconte l’anecdote ne fait pas exception à la
règle : il possède “son” El Glaoui, une superbe peinture à l’huile fièrement accrochée au mur de son
salon. “Je ne suis pas un fan, mais avoir un El Glaoui chez soi revient à posséder une partie de
l’histoire de ce pays”.
Hassan El Glaoui est un phénomène, une mode aux effets dévastateurs. Fils du fameux pacha de
Marrakech, l’homme peint comme il respire. Son talent indéniable n’a d’égal que sa passion (et sa
patience) pour les chevaux, qu’il peint et repeint depuis plus d’un demi-siècle. “Hassan El Glaoui a
peint plus de chevaux qu’il n’y en a dans tout le Maroc !”, dit de lui, avec une pointe d’ironie, un
célèbre galeriste à Casablanca. Il n’y a pourtant pas que des chevaux dans la vie, et l’art, de El
Glaoui. L’homme a longtemps évolué dans l’entourage de Hassan II. Mais le défunt monarque,
connu pour son étonnant sens du contre-pied, avait choisi de placer le fils El Glaoui dans son
secrétariat particulier en tant que chargé de mission… spécialisé dans le golf. Peintre et golfeur,
Hassan El Glaoui a collectionné les portraits de ses proches, dont deux méritent particulièrement
l’attention : ceux dédiés, très logiquement, à son père Thami et à Hassan II, qui se taillent la part du
lion dans sa collection privée, celle qu’il fait admirer à ses visiteurs triés au compte-gouttes. “Il a
aussi peint beaucoup de natures mortes, très belles par ailleurs, mais rien à faire, ce que les gens
attendent de lui tient en deux mots : la fantasia, les chevaux”, explique ce connaisseur. Depuis
l’avènement de Mohammed VI, le peintre, enfin débarrassé de l’étiquette de golfeur, a vu sa cote
flamber. L’effet royal n’y est sans doute pas étranger. Le jeune monarque, fan de toujours, a même
réussi à “convertir” (à la passion pour El Glaoui) Jacques Chirac et tout le gouvernement marocain
réuni puisque, comme nous le rappelle ce collectionneur, “c’est bien un El Glaoui qui est suspendu
derrière Driss Jettou, quand il préside les Conseils de gouvernement”.
Tous ces petits détails n’échappent pas à l’œil aiguisé des artistes, collectionneurs, galeristes et
marchands d’art. Acheter un El Glaoui revient à acheter une partie de l’histoire du Maroc… et à faire
http://www.mre.ma
21/2/2017 3:30:00 / Page
preuve d’un goût sûr, une qualité appréciée dans les milieux de la haute bourgeoisie. “On peut
l’acheter par mimétisme, par caprice ou, tout simplement, par admiration devant le grand peintre qu’il
est. Mais les plus sceptiques peuvent toujours se dire qu’ils ont fait un bon placement”, explique ainsi
Aziz Aouadi, collectionneur et revendeur d’œuvres d’art à Casablanca. El Glaoui, comme bon
nombre de peintres marocains, a vu sa cote doubler, voire tripler en quelques années. “Un El Glaoui
qui se négocie aujourd’hui à 150 000 dirhams, valait 40 000 dirhams il y a encore trois ans”, nous
confie un critique d’art. A la maison de vente aux enchères CMOOA (Compagnie marocaine des
œuvres et objets d’art), on nous explique que trois tableaux du maître de la fantasia, de valeur et de
dimensions similaires, ont été adjugés à 140 000 dirhams en décembre 2005 avant de grimper à 245
000 DH en juin 2006 et à 400 000 DH en décembre de la même année ! Et ce n’est sans doute pas
fini.
Mahi Binebine est à ranger dans la même catégorie des peintres “gagnants”, ceux qui flambent et
que l’on peut acheter aussi bien par goût personnel que par souci de placement. Ecoutons-le : “Si
quelqu’un m’avait dit qu’il viendrait un jour où je vivrais aisément de mon art, je lui aurais simplement
ri au nez. Aujourd’hui, c’est une réalité, pour moi comme pour d’autres peintres. Je ne m’en plains
pas”. Binebine, probablement le plus international des artistes marocains, a longtemps vécu entre
Marrakech et Paris. En 2003, il a décidé de s’installer définitivement dans l’ancienne capitale du
royaume. Pour son plus grand confort matériel et artistique. “Je n’ai plus tellement besoin d’exposer
à l’étranger. Je ne m’explique pas tout le succès actuel de la peinture marocaine, mais je me dis qu’à
Marrakech, où un nombre croissant d’Européens se sont installés, il y a de plus en plus de murs à
meubler (de tableaux). Je me dis aussi que la bourgeoisie casablancaise a compris que l’acte
d’acheter ne revient pas à perdre son argent, bien au contraire”. Bienbine ne croit pas si bien dire. A
Marrakech, et surtout à Casablanca, on ne compte plus le nombre de personnes qui ont pu acheter
et revendre, en un temps record (quelques mois à peine), des tableaux acquis quatre ou cinq fois
moins cher. Quand on sait que la cote des artistes peut grimper jusqu’à 400 000 dirhams, on
comprend que le marché prend, aujourd’hui, les allures d’un gros business, attirant aussi bien les
mordus de peinture que les hommes d’affaires.
La ruée vers l’art
Pour bien mesurer ce que certains appellent déjà la “marocomania” actuelle, il faut sans doute
remonter à la fin des années 1990, quand le roi Mohammed VI est monté sur le trône. “Il (le roi) a
toujours aimé et acheté de la peinture, même à l’époque où il était encore prince héritier. Mais, en
devenant roi, il a eu les moyens d’assouvir sa passion, décuplant ses acquisitions et faisant honneur,
avant tout, à la peinture marocaine”, explique Fadel Iraki, collectionneur à Casablanca. “Mohammed
VI a eu deux comportements décisifs : aimer la peinture et acheter marocain”, nous confirme un
autre collectionneur, toujours à Casablanca.
Pendant très longtemps, collectionner des tableaux d’art n’était pas exactement un sport national.
Beaucoup de passionnés et de “convertis” ont dû attendre de puiser dans la collection personnelle
d’un certain Abderrahmane Serghini, mort en 1990. “Serghini était tout simplement le plus grand
collectionneur marocain. Proche de la plupart des grands artistes marocains (les Miloud Labied, Jilali
Gharbaoui, etc.), il achetait par lots entiers et offrait beaucoup de pièces pour le plaisir pur de
partager. A sa mort, son impressionnant capital estimé à près de 4000 tableaux a été revendu
auprès de multiples amateurs d’art”, nous raconte par exemple ce témoin. Une partie de la collection
Serghini a échoué chez des particuliers, dont les hommes d’affaires Faouzi Chaâbi et Fadel Iraki.
Une autre partie, sans doute la plus importante, a atterri à l’ONA, le holding royal alors dirigé par
Fouad Filali, l’un des tout premiers grands patrons et hommes du sérail à s’intéresser de près à la
http://www.mre.ma
21/2/2017 3:30:00 / Page
peinture.
Mohammed VI, en 1999, allait donc bousculer l’ordre établi et devenir rapidement le premier
collectionneur du pays. Son appétit pictural a sans doute dopé le marché local, comme nous le
confirme Fadel Iraki : “Le mimétisme a fonctionné à fond, c’est sûr. Le regard sur la peinture a
changé, beaucoup de personnes se sont découvert un intérêt, parfois une passion, pour l’art. Dans
la foulée, c’est la valeur même des artistes qui a logiquement flambé”. Aziz Aouadi partage la même
opinion, à la nuance près qu’il place la ruée vers l’art dans un contexte plus global : “Il ne faut pas
oublier que l’avènement de Mohammed VI a aussi coïncidé avec un boom de la consommation tous
azimuts. Les Marocains se sont mis à consommer plus, de plus en plus jeunes. Une nouvelle culture
s’est progressivement répandue, notamment dans les milieux aisés. Des franchises internationales
se sont installées au Maroc, etc. Aimer et acheter de la peinture s’inscrivent d’abord dans ce réveil
général à la consommation”.
Mais c’est à partir de 2002 que la “fièvre” s’est muée en quelques mois, le temps que les premières
maisons de ventes aux enchères voient le jour, en marché proprement dit. “Les maisons de vente
ont permis de mettre des prix publics sur des artistes et des œuvres d’art. Cela a permis d’établir des
cotes, qui servent de repères aux acheteurs potentiels et donnent une meilleure visibilité à
l’ensemble du marché”, souligne Mahi Binebine. “Avant l’arrivée des enchères, les transactions se
passaient parfois dans les galeries d’art ou, le plus souvent, en privé, dans les salons des maisons,
voire chez les brocanteurs, sans aucune certification sur l’authenticité des œuvres à vendre”,
souligne un galeriste à Marrakech. Acheter et vendre en privé reste une tradition bien ancrée dans
les rapports entre artistes et collectionneurs, mais l’apparition des cotes a rendu, de l’avis de tous,
les transactions plus “clean”, réduisant le risque d’erreurs, voire d’arnaque pure et simple.
Qui achète quoi et pourquoi
Un marchand d’art raconte : “Un jour, un client m’a appelé pour me demander de lui trouver un
tableau de Gharbaoui, le même que celui qui était suspendu dans le bureau de son patron. Il ne
savait pas que les tableaux sont des œuvres uniques !”. Tous les acheteurs ne sont pas des “accros”
véritables et certains, comme l’explique Mahi Binebine, “ne savent pas très bien ce qu’ils achètent”.
Mais ils achètent quand même ! “Dans les conversations des salons, dans les réceptions officielles, il
est courant que la discussion bascule vers la peinture. Il est de bon ton, alors, de dire ou de montrer
que l’on a un El Glaoui, un Labied, un Cherkaoui”, nous explique ce familier des nouvelles coutumes
bourgeoises à Marrakech. “Les mêmes personnes peuvent investir des millions de dirhams dans leur
collection personnelle sans jamais mettre les pieds dans une galerie d’art, ni miser sur un talent
nouveau qui ne coûte pas très cher”, poursuit notre source.
Snobisme, suivisme et arrivisme intellectuel n’expliquent pas tout. “Un tableau ne prend de la valeur
et ne s’apprécie qu’avec le temps. C’est comme le bon vin, c’est sur la durée que l’on apprend à y
goûter”, nous avoue, non sans humour, ce collectionneur. Cela explique, dans une certaine mesure,
la passion générale pour les “morts”, des peintres, il est vrai, d’une très grande qualité comme un
Gharbaoui ou un Kacimi. “Mais attention, rectifie toutefois Aziz Aouadi, 90 % des morts passent
automatiquement à la trappe. Si le temps donne de la profondeur à une œuvre, il peut la détruire tout
aussi sûrement. La peinture, ne l’oublions pas, n’est pas en phase avec la société, mais plutôt en
rupture. Il est très difficile d’en capter l’essence sans le recul du temps”. Voilà sans doute ce qui
explique que la plupart des peintres cotés, au Maroc comme ailleurs, ont largement dépassé le cap
de la cinquantaine.
http://www.mre.ma
21/2/2017 3:30:01 / Page
Morts ou vivants, les peintres marocains tapissent aujourd’hui les murs des villas, des appartements
chics, et de plus en plus de bureaux. La peinture, ce n’est pas forcément comme la confiture : plus
on en a, plus on en décore les murs ! Un collectionneur raconte : “Chez moi, j’en mets partout, dans
le salon, la salle à manger, la chambre à coucher, par thématiques, par époques, etc. Il m’est même
arrivé, le jour où j’ai cessé d’aimer un tableau, de le placer dans les toilettes, mais derrière la chasse
d’eau, de façon à ne pas le voir !”. En règle générale, l’exposition n’a pas pour seule vocation de
montrer “que l’on a du goût”, elle peut aussi servir d’appât quand le visiteur est un client potentiel.
“Entre collectionneurs, on peut s’échanger des tableaux, voire en vendre. Mais quand on tient à un
tableau, il faudra vraiment que l’autre y mette le prix…”, poursuit notre source.
Toujours est-il que les vrais passionnés gardent jalousement leur collection qui meuble tous les
décors de leur quotidien, à la maison comme au bureau. Le phénomène est de plus en plus visible
dans les grandes banques, sociétés et administrations du royaume. Commentaire de ce connaisseur
: “Une fois, je me suis amusé à évaluer la valeur des tableaux accrochés aux murs d’une banque.
C’est très simple : plus je montais dans les escaliers pour me rapprocher de la direction, plus la cote
des peintres montait. La répartition des tableaux était calquée, à la perfection, sur l’organigramme et
la grille des salaires des employés !”. Aux directeurs les originaux d’un Belkahia ou d’un Qotbi, aux
agenciers les lithographies… ou les calendriers illustrés.
Prêts pour le projet Camembert
Signe des temps : depuis le décollage du marché, en 2002, quatre maisons de ventes aux enchères
ont vu le jour, presque coup sur coup. Ce n’est pas un hasard si ces maisons ont toutes choisi de
s’établir à Casablanca, près des collectionneurs et des marchands d’art les plus importants. Ce n’est
pas un hasard, non plus, si un ancien ministre (de le Privatisation), Abderrahmane Saaïdi,
expert-comptable de formation, a choisi à son tour d’investir le marché : il est à la fois galeriste et
responsable d’une maison de ventes aux enchères. Le marché, d’abord inexistant, ensuite
prometteur, est loin d’être saturé. “Même si nous ne ciblons qu’une minorité parmi la bourgeoisie,
même si nous avons le plus grand mal à importer des œuvres d’art (taxes prohibitives), ou à les
trouver sur le marché local, notre cible est appelée à se développer, tant en quantité qu’en qualité”,
annonce par exemple Aziz Aouadi, dont l’ordinateur portable est en permanence connecté aux sites
dédiés au marché de l’art de par le monde, accessibles seulement sur abonnement.
Le meilleur est donc à venir. Un Fadel Iraki, par exemple, a acquis, en association avec le prince
Moulay Ismaïl, un authentique bijou architectural : la villa dite Camembert (en raison de sa forme),
tout près du Golf royal à Casablanca. “L’idée est de transformer la villa (4000 m2 dont la moitié en
surface couverte) en un vaste espace de rencontres avec galeries, expositions, etc.”. Le projet
devrait être finalisé courant 2008...
Zoom : Quand le roi achète
Ce n’est un secret pour personne, Mohammed VI est un grand amateur d’art. “Il lui arrive même de
peindre”, nous confie un collectionneur. “Quand il était prince héritier, il faisait lui-même directement
ses acquisitions, souvent à l’étranger, et avait un goût particulier pour les peintres orientalistes”,
poursuit notre source. Aujourd’hui, comme nous l’explique un galeriste à Casablanca, le roi, qui a
appris à diversifier ses goûts pour incorporer de plus en plus de Marocains (Gharbaoui, Labied, etc.)
dans sa collection privée, se fait plus discret, même s’il continue d’acheter. “Il nous arrive de recevoir
une commande du palais royal.
http://www.mre.ma
21/2/2017 3:30:01 / Page
Souvent, c’est un membre du secrétariat particulier (Mohamed Mounir Majidi), ou un proche
collaborateur (Hassan Mansouri, longtemps directeur de la société royale Primarios), qui nous
demande un thème de peinture ou la collection d’un artiste en particulier”. Les acquisitions diffèrent
selon le souhait royal car, poursuit notre source, “un tableau à accrocher au mur n’a pas la même
valeur qu’un tableau à offrir”. C’est en effet une tradition, héritée du temps de Hassan II : le Palais
offre aussi des tableaux, notamment aux prestigieux visiteurs étrangers (chefs d’Etat, particuliers,
représentations diplomatiques). Sans oublier, bien entendu, que les collectionneurs, voire les
artistes, peuvent offrir à leur tour des tableaux bien choisis au souverain. “C’est même devenu un
code social : quand une personne veut se rapprocher du roi, ou tout simplement lui faire plaisir, elle
lui offre un cadeau. Mais attention, le roi n’aime pas forcément tout ce qu’on lui offre !”, nous explique
ce fin connaisseur des mœurs du palais. Les quelques galeristes qui ont eu le privilège de vendre ou
offrir un tableau au roi s’en servent comme gage de confiance vis-à-vis à leurs clients potentiels. à
Casablanca, on raconte qu’un galeriste a longtemps accroché, derrière son bureau, la photocopie
d’un chèque royal, histoire d’en imposer à ses visiteurs...
Tendance : Quand les people achètent
Tout le monde est unanime : en dehors des collectionneurs privés (dont le défunt Abderrahmane
Serghini), deux patrons de banque ont joué un rôle de précurseurs dans l’introduction, dès les
années 1970-1980, de la peinture sur les lieux de travail : Abdelaziz Alami (collectionneur-né et
amateur de Gharbaoui, il nouait des relations particulières avec les peintres chez qui il
s’approvisionnait parfois directement) et Abdelaziz Tazi, respectivement patrons de la BCM et la
Société générale. Une tendance qui a été dûment transmise à leurs subordonnés et plus tard à leurs
successeurs, si bien que les deux banques (Attijari a aujourd’hui remplacé BCM) sont de très loin
leaders en la matière. D’autres banques, d’autres secteurs, leur ont emboîté le pas : exemples de
Bank Al-Maghrib ou de l’OCP, surtout depuis le passage de Karim Lamrani. Depuis les années 1990,
c’est l’ONA, sous la conduite de Fouad Filali, qui a repris le flambeau, après avoir récupéré une
partie de l’héritage de Serghini. Plus près de nous, des institutions comme Ittissalat Al-Maghrib, le
Crédit Agricole… ou le gouvernement marocain (avec mention spéciale pour le ministère des
Finances de Fathallah Oualalou) s’y sont mis, sans doute dans la foulée de l’enthousiasme royal
pour la peinture. A signaler qu’une bonne partie de ces institutions ont choisi de confier la gestion de
leurs acquisitions à des peintres ou à des experts reconnus.
Chez les particuliers, comment ne pas noter la passion précoce, et sans doute le flair et le sens des
affaires, de l’assureur Fadel Iraki ou du promoteur immobilier Anas Sefrioui, qui s’y sont mis avant
tout le monde.
Le premier figure parmi les grands spécialistes des peintres marocains, le deuxième a des goûts
plus classiques… mais qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux du souverain : beaucoup
de peintures orientalistes et du Glaoui, bien évidemment. Omar Benjelloun, plus que son frère
Othman, était également un véritable amateur d’art. Inutile de préciser, pour finir, que la plupart des
hommes du sérail, Mounir Majidi et Hassan Mansouri en tête, se sont ralliés depuis peu à la passion
(caprice ?) pour la peinture. Avec un goût sans surprise pour l’orientalisme et le “glaouisme”.
Enchères : Des maisons qui rapportent gros
Le Maroc compte aujourd’hui quatre maisons de ventes aux enchères. La plus importante reste, de
loin, la CMOOA (Compagnie marocaine des œuvres et objets d’art). Lancée en fin 2002 par un jeune
trentenaire… diplômé en chimie (Hicham Daoudi), la maison, nichée dans un quartier huppé à
http://www.mre.ma
21/2/2017 3:30:01 / Page
Casablanca, assure un rythme de trois à quatre ventes annuelles. “Nous ciblons une clientèle fidèle
de 100 personnes”, annonce Hicham Daoudi. Les séances de vente, conduites par un
commissaire-priseur dépêché de France, accueillent jusqu’à 150 personnes dont la moyenne d’âge
avoisine les 50 ans.
Sur la dernière vente, organisée en décembre 2006, la compagnie affirme avoir réalisé un chiffre
d’affaires global de 21 millions de dirhams, répartis sur une centaine d’unités (tableaux, œuvres
d’art) écoulées. A signaler que c’est à la CMOOA que toutes les ventes records ont été enregistrées
(celle à venir, du 14 avril, devrait établir de nouveaux records, si l’on en croit les prévisions). Derrière
la CMOOA, on retient Mémoarts, une maison conduite par Abderrahmane Saaïdi, ancien ministre de
la Privatisation sous Hassan II. D’abord galerie et maison de ventes aux enchères “virtuelle”,
Mémoarts a réalisé sa première vente publique en mars 2005. “Nous projetons d’atteindre le rythme
de huit ventes annuelles”, nous annonce son responsable qui met, par ailleurs, le doigt “sur le vide
juridique et les taxes (prohibitives) à l’importation d’œuvres d’art”. Les deux autres maisons de
ventes aux enchères, toujours à Casablanca, s’appellent Athar et Eldon & Choukri, elles aussi sur la
pente ascendante depuis la date de leur création.
Les dix peintres les plus cotés
Cette sélection a été rendue possible grâce à la collaboration de plusieurs connaisseurs. Pour des
raisons d’espace, nous n’avons pu y ajouter les noms de nombreux artistes de talent comme Melehi,
Bellamine, Rbati, Bennani, Bencheffaj, Hassani, Abouelouakar, Chaïbia, etc.
- Mohamed Benallal (1928 - 1995) 150 000 - 400 000 DH D’origine modeste, le recordman de vente
sur un tableau (855 000 DH en 2006) peint surtout des instantanés de vie, sans fioriture.
- Farid Belkahia (né en 1934) 50 000 - 300 000 DH Entre tradition et modernité, sans doute le plus
fédérateur parmi les peintres marocains contemporains.
- Ahmed Cherkaoui (1934 - 1967) 60 000 - 300 000 DH Généralement considéré comme le
précurseur de la peinture moderne au Maroc, il a tout fait, trop tôt, trop vite (mort à 33 ans
seulement).
- Hassan El Glaoui (né en 1924) 100 000 - 400 000 DH Favori pour être le premier peintre marocain
à passer la barre d’un million de dirhams, son paravent mis en vente le 14 avril à la CMOOA est
estimé entre 600 et 700.000 DH.
- Jilali Gharbaoui (1930 - 1971) 100 000 - 300 000 DH Le plus mythique des peintres marocains,
peut-être aussi le plus universel autant par son œuvre que par son parcours personnel.
- Meriem Mezian (née en 1930) 100 000 - 400 000 DH Fille du célèbre maréchal, son style,
généralement qualifié de nostalgique, est dominé par le figuratif.
- Mahi Binebine (né en 1959) 50 000 - 150 000 DH Poète (et mathématicien), il est l’un des rares à
avoir pu accéder au prestigieux musée Guggenheim à New York.
- Miloud Labied (né en 1939) 50 000 - 150 000 DH Entre le naïf et le “narratif”, sa cote promet encore
de grimper (il expose à partir du 5 avril à la galerie Venise Cadre à Casablanca).
http://www.mre.ma
21/2/2017 3:30:01 / Page
- Mehdi Qotbi (né en 1951) 50 000 - 150 000 DH Le plus institutionnel des peintres marocains,
travaille beaucoup sur commande (banques, institutions, etc)
- Mohamed Kacimi (1942 - 2003) 50 000 - 300 000 DH Grand peintre, proche de l’USFP, il a légué
une œuvre colossale au moment de sa disparition.
Plus loin : L’argent et la culture
Hassan II aimait l’architecture, Mohammed VI la peinture. Il y a une logique à tout. Le marché de l’art
a pris son envol depuis que le chef de l’Etat en est devenu le premier consommateur. Quand le roi
aime et achète, d’autres, plus nombreux que le petit cercle des collectionneurs de la première heure,
aiment et achètent aussi. C’est du mimétisme, et cela s’inscrit parfaitement dans une certaine
tradition marocaine. Mais l’effet de mode n’explique pas tout. Le marché de l’art se développe aussi
du moment que le Maroc dispose, comme cela nous a été expliqué ici et là, d’un surplus de
liquidités.
En clair, il y a de plus en plus d’argent en circulation. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la
courbe d’évolution de ce marché naissant épouse, à la perfection, celle de la Bourse. En résumé,
l’art et la Bourse ont réellement décollé à partir de 2003, tous les deux ont enregistré des chiffres
records à fin 2006. Rien d’étonnant, donc, à ce que des Marocains, aujourd’hui, se comportent d’une
manière “boursière” avec l’art. Un tableau, pour un jeune quadra, un patron d’entreprise ou un
courtisan, c’est aussi un placement. Les plus performants en Bourse figurent d’ailleurs parmi les
premiers collectionneurs du pays, et un Anas Sefrioui en est l’exemple le plus éloquent. Ce n’est pas
un hasard, non plus, si le projet de loi sur la déclaration de patrimoine, toujours en discussion au
Parlement, a prévu… d’incorporer tableaux et objets d’art comme biens quantifiables. Preuve, s’il en
est, que le marché se développe et que les transactions atteignent des chiffres très intéressants…
Il y a lieu de faire, par ailleurs, deux remarques plus “culturelles” : la première, c’est que les artistes
les plus tendance sont des “fils de…” (El Glaoui pour les hommes, Meziane pour les femmes), ce qui
perpétue une forme de conservatisme bien de chez nous. La deuxième remarque est beaucoup plus
réjouissante : en achetant de la peinture marocaine (ou orientaliste, ce qui revient presque au
même), les Marocains ne sont pas loin de se réconcilier avec leur histoire et leur passé. Ce qui n’est
pas le cas de nos voisins immédiats. Que du bonus, en somme.
TelQuel - Karim Boukhari
http://www.mre.ma
21/2/2017 3:30:01 / Page