Vivre en situation de précarité énergétique en Provence-Alpes
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Vivre en situation de précarité énergétique en Provence-Alpes
Vivre en situation de précarité énergétique en Provence-Alpes-Côte d’Azur Dispositif Régional d’Observation Sociale – Dros Réalisé par : Jean-Christophe Charles, Julie Bertrand Juin 2015 phénomène en Paca. Compte tenu de la méthodologie retenue (ratio dépenses d’énergie / revenus), elle n’aborde pas les pratiques de restriction et d’adaptation, voire de résignation, qui peuvent concerner certains ménages. Éléments de méthodologie S ous l’effet conjoint de la croissance du prix des combustibles fossiles au cours des dix dernières années, de l’évolution des conditions de logement et des besoins en mobilité, les dépenses énergétiques pèsent de plus en plus lourd dans le budget des ménages. C ’est ce qui a incité le Dros à aller à la rencontre des familles en situation de précarité énergétique pour explorer les différentes formes qu’elle peut recouvrer. Cette étude s’est également intéressée à la façon dont les personnes se positionnent par rapport à la question de la transition énergétique. Une première phase d’enquête par questionnaire a été réalisée autour de plusieurs thèmes : logement, habitat, pratiques de consommations, difficultés rencontrées… Plus de 30 000 allocataires des Caisses d’allocations familiales de la région ont été destinataires du questionnaire, sélectionnés sur le seul critère de résidence 4. Cette méthode a permis d’enquêter tant auprès de personnes en difficultés que de ménages aux revenus plus élevés (supérieurs à 4 000 € par personne dans le ménage). Dans un second temps, des entretiens en face-à-face ont été menés auprès de 63 personnes volontaires sur l’ensemble de la région, dans différents territoires et avec des profils variés (âge, composition familiale, revenus, statut d’occupation du logement…). L’objectif était d’approfondir les questions relatives à la situation des ménages : logement, parcours résidentiel, besoins en mobilité, factures, ressources ; mais également d’approfondir des questions plus subjectives et plus personnelles sur leurs pratiques de consommations, de privation, leur ressenti quant à la chaleur et au froid, l’impact des dépenses d’énergie dans leur budget, leur connaissance et recours aux différents dispositifs de soutien... En complément, des entretiens ont été réalisés auprès de travailleurs sociaux (Caf, Conseils départementaux, CCAS …) et d’associations qui accompagnent les ménages exposés à la précarité énergétique. R enforcé par des facteurs socio-économiques et résidentiels, ce poids peut entraîner le basculement du ménage dans une situation de précarité énergétique. En effet, cette charge peut se traduire pour les ménages par d’importantes restrictions sur les consommations d’énergie, les dépenses alimentaire, de santé, voire générer une situation d’impayés et de dettes. E n France coexistent à ce jour plusieurs mesures du phénomène qui se distinguent à la fois par l’approche retenue et par les données mobilisées. Selon les dernières estimations de l’Observatoire national de la précarité énergétique (Onpe), plus de 5 millions de ménages1 sont en situation de précarité énergétique liée au logement, mesurée au travers de critères objectifs (taux d’effort énergétique…) et subjectifs (froid ressenti). Par ailleurs, selon l’Insee2, 5,9 millions de ménages seraient en France en situation de vulnérabilité énergétique liée au logement et/ou à leurs déplacements, au regard du seul critère du taux d’effort énergétique, en 2008. A fin de mieux appréhender le phénomène de précarité énergétique et de définir une politique régionale adaptée en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Conseil Régional, la Dreal et l’Insee ont conduit en partenariat une étude mesurant le niveau de vulnérabilité énergétique 3. Ainsi, 256 000 ménages seraient en région Paca en situation de vulnérabilité énergétique (logement et/ou mobilité). Cette étude inédite éclaire et donne à voir l’ampleur du 1 Données 2006 N. Cochez, É. Durieux, D. Levy, « Loin des pôles urbains, chauffage et carburant pèsent fortement dans le budget », Insee Première, n°1530, janvier 2015 3 J. Domens, M. Martin, S. Samyn, « 256 000 ménages en situation de vulnérabilité énergétique », Insee Analyses Provence-Alpes-Côte d'Azur, n° 10, février 2015 2 4 Une proportion identique à la répartition de la population allocataire sur l’ensemble de la région a été retenue selon deux critères : le poids du département dans la région ; le poids de la préfecture de département dans le département. 1 La précarité énergétique au quotidien Souffrir du froid Restrictions budgétaires et situations d’endettement Quelle qu’en soit la raison, souffrir du froid est la forme de la précarité énergétique la plus courante. Parmi l’ensemble des ménages questionnés, plus de la moitié d’entre eux a déclaré souffrir du froid l’hiver. La principale raison évoquée est la mauvaise isolation du logement (57 %), viennent ensuite les difficultés financières (47 %) et l’insuffisance de l’installation (35 %). Près de 75 % des ménages modestes enquêtés (ressources inférieures à 2 000 € / mois) déclarent avoir eu des difficultés au cours des dernières années pour payer leurs factures d’énergie. Parmi ceux qui n’ont pas connu de difficultés pour payer leurs factures, 60 % ont dû restreindre leur consommation sur d’autres postes budgétaires. « Il n’y a aucune isolation. J’avais très froid, en plus ce sont des radiateurs qui sont très vieux, mais moi je n’ai jamais osé en parler. C’est juste après avec mon assistante sociale, parce qu’il y avait des factures énormes d’électricité. » « Je ne peux pas m’habiller comme je veux, je paye mes factures, mon essence, mon alimentation, c’est tout. Des loisirs, je ne peux pas et ça fait longtemps que cela dure. » Mme, monoparent (1 enfant), Var Plus de 45 % des ménages modestes enquêtés ont connu des situations d’impayés de factures d’énergie en lien avec la faiblesse de leurs revenus. L’importance des restrictions est souvent apparue comme une contrainte liée au mode de règlement des factures, le prélèvement automatique. Parmi l’ensemble des ménages qui déclarent souffrir du froid, plusieurs pratiques de consommation énergétique se distinguent : La majorité d’entre eux adaptent leur mode de consommation énergétique à leur quotidien en ne chauffant que certaines pièces, pour raisons financières ou du fait d’une mauvaise isolation. 6,5 % de ces ménages déclarent ne pas chauffer leur logement en raison de difficultés financières. Adopter des stratégies pour améliorer le quotidien Plus de la moitié des ménages enquêtés ont déclaré vivre dans un logement mal, voire très mal isolé, et près d’un sur trois est concerné par des problèmes d’humidité. Lorsqu’ils habitent dans un logement énergivore, dégradé, voire indigne, certains ménages sont amenés à surchauffer. « Si dehors il fait plus froid, avec les pluies, à mon avis ça descend à 15-16°C. Cette pièce [la pièce de vie] je la chauffe jour et nuit, sinon la chaleur ne reste pas. » Mme, monoparent (1 enfant), Var D’autres ont parfois recours à un chauffage d’appoint (25 % des personnes ayant souffert du froid). Mais ces solutions ne sont pas toujours envisageables, pour des raisons techniques et/ou financières, obligeant ainsi les personnes à se replier sur des pratiques résidentielles alternatives. « Mais la journée je ne reste pas chez moi… ah non, non, c’est pas possible, je fais comme les précaires, je vais dans une galerie marchande, dans un endroit chauffé… sinon, ce n’est pas possible » Mme, divorcée, Vaucluse Mme, célibataire, Vaucluse « De toute façon, je suis mensualisé partout. Tout est en prélèvement automatique. Donc ça, ça sort tous les mois, je n’ai pas à m’en occuper. Après oui, je jongle pour mettre l’essence, pour manger, … » M., divorcé, Alpes-de-Haute-Provence Ces difficultés ne concernent pas seulement les personnes modestes ou avec d’importantes dépenses d’énergies. En effet, près d’un enquêté sur cinq dont les ressources sont supérieures à 4 000 € par mois a également déclaré connaître des difficultés pour régler ses factures. Parmi ceux qui n’ont pas de difficultés, près de 20 % opèrent des restrictions sur d’autres postes. Limiter ou adapter ses déplacements contraints « Avant, la voiture, c’était un moyen de transport, et là, elle devient un poids, avec les assurances, tout ça… » M., divorcé, Var Si certains ménages peuvent se passer de ce moyen de locomotion, d’autres n’ont toutefois pas le choix : école, travail, rendez-vous institutionnels, professionnels ou médicaux nécessitent la plupart du temps l’utilisation d’un véhicule. Pour ne pas se priver de ce moyen de transport, tout en limitant l’impact financier sur le budget, les ménages ont parfois recours à certaines solutions alternatives. « Je l’assure [la voiture] qu’une partie de l’année. L’hiver, c’est la galère, il vaut mieux avoir un véhicule. L’été, je profite des navettes gratuites, je fais du stop, je marche. Sinon, je ne pourrais pas avoir de bagnole je pense. » M., divorcé, Alpes-de-Haute-Provence 2 Comment se retrouve-t-on en situation de précarité énergétique ? Enfin, au-delà des ressources et des conditions d’habitat, cette étude a cherché à appréhender d’autres facteurs déterminants de la précarité énergétique. D’autres ménages ont modifié leurs pratiques de consommation du fait de leur nouvelle situation (jeunes parents, personnes âgées…), et ont dû faire face à une augmentation de leurs dépenses énergétiques. L’impact d’un évènement marquant Les ménages confrontés à un évènement marquant (maladie invalidante, perte d’emploi, rupture familiale, obligation de déménagement) sont susceptibles de basculer dans la précarité au moindre accident de la vie, lorsque celui-ci les impacte dans la durée. « La première année on a eu pour 1000 €. Mais bon, c’est là que mon dernier fils est né et du coup on chauffait tout le temps. » M., couple (3 enfants), Bouches-du-Rhône Le non-recours aux dispositifs d’aide C’est le cas de plusieurs ménages rencontrés, qui ont évoqué notamment des séparations fragilisantes les ayant obligé à trouver un logement sous contraintes : rester à proximité du lieu de vie actuel pour les enfants (pour l’école, les amis) et maintenir un standing équivalent pour ne pas les perturber (1 chambre par enfant, 1 extérieur …), et ce malgré une baisse significative des ressources et des délais limités. Que ce soit par refus, méconnaissance, insuffisance de l’aide apportée…, le non-recours participe à faire basculer ou à ancrer un ménage en situation de précarité énergétique. Les propriétaires dont le logement nécessite des travaux de rénovation pour améliorer la performance énergétique peuvent bénéficier des aides de l’Anah6. Il faut pour cela en avoir connaissance, pouvoir financer l’ensemble des travaux (en attendant le remboursement) et en assumer le reste à charge. Pour des propriétaires accédants, mais également pour des non-accédants disposant de faibles revenus, cette aide n’est parfois pas suffisante. C’est le cas de ce couple propriétaire, dont la toiture est à refaire (nombreuses fuites) ainsi que l’isolation de plusieurs pièces, pour un coût de 13 000 à 15 000 €. « Avant j’étais dans une villa avec jardin et c’est vrai que pour les enfants, je voulais quelque chose ici parce qu’ils y étaient scolarisés […]. Au niveau des prix, là c’était 50 euros de plus que d’autres logements mais j’avais quasiment 30m² de plus donc malgré l’état de l’appartement et les moisissures, on s’est dit qu’il y avait plus de place, un bout de jardin et une grande terrasse. » « En fait, on ne sait pas trop à qui s'adresser. Je sais qu'il y a l'amélioration de l'habitat. D'ailleurs, il y avait quelqu'un qui devait venir, il m'a donné deux fois rendez-vous, il n’est jamais venu… » Mme, monoparent (2 enfants), Alpes-Maritimes Devoir se reloger en urgence peut être problématique et avoir des conséquences importantes à long terme. En effet, pour un ménage dont la situation est complexe (sans emploi, faibles revenus, handicap, …), l’accès à un logement peut être difficile : compte tenu notamment des délais pour accéder à un logement HLM ou pour faire valoir un recours Dalo5, il n’a généralement pas le choix et doit souvent loger dans le parc privé. Si le logement présente des problèmes d’isolation, d’absence ou de dysfonctionnement du chauffage, cela peut contribuer à enfermer le ménage dans une situation de mal-logement, de précarité – notamment énergétique - au risque de l’ancrer dans cette situation. M. et Mme, couple, Alpes-de-Haute-Provence Le législateur impose au propriétaire bailleur de louer un logement décent, en bon état d'usage et de réparation. Cette obligation emporte pour les locataires d'un logement dégradé, insalubre, voire indigne des droits auxquels ils ne recourent pas nécessairement. Le non-recours peut être lié à un choix personnel du locataire (crainte d'éventuelles conséquences (hausse du loyer, représailles...), empathie envers le propriétaire (« Je n'ai pas envie de l'embêter avec ça », « Les temps sont durs pour tout le monde »), ressenti (ne pas être exigeant, sentiment de honte...)). Le refus peut être également lié à des contraintes (difficultés pour joindre le propriétaire), ou encore à la non-réception (le propriétaire est sollicité mais ne fait rien). Les pratiques de consommation d’énergie Suite à l’entrée dans un nouveau logement, plusieurs ménages rencontrés ont dû faire face à une régularisation importante qui les a placés en difficultés financières. Cela s’explique par un manque de connaissance de l’usage de l’installation et des caractéristiques du logement. Dans tous les cas (propriétaire ou locataire), l'absence de travaux de réhabilitation entraîne une dégradation du logement induisant souvent pour le ménage une surconsommation pour maintenir le confort de son logement et par là-même un accroissement de sa dépense d'énergie, ou une restriction de sa consommation (jusqu'à ne plus chauffer son logement) avec des conséquences éventuelles sur le bâti, mais également sur les membres du foyer (vie sociale, santé...). « Alors la première année, comme je ne connaissais rien, je me suis fait avoir. J’avais une chaudière, on ne m’a jamais expliqué comment ça marchait. Je mettais souvent à 23-24°C, alors que j’aurais dû mettre plutôt à 20-21°C. Et à chaque fois que je sortais j’éteignais la chaudière. Alors qu’il ne faut pas l’éteindre, il faut juste baisser le thermostat à 18-19°C. Mais moi je ne savais pas » M., divorcé, Hautes-Alpes 5 6 Droit au logement opposable 3 Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat Conclusion Cette étude a amené le Dros à repenser le concept de précarité énergétique en distinguant deux formes : une précarité conjoncturelle et une précarité structurelle. En effet, si le concept s’applique à une situation évaluée à un instant T, l’effet durable de celle-ci semble avoir un impact sur l’intensité et les conséquences de cette précarité. Ainsi, il est proposé de caractériser ces deux formes par les éléments suivants : ce qui impacte directement la précarité énergétique : les conditions de logements ou les ressources ; Ainsi, la situation de précarité énergétique d’un ménage avec de faibles ressources, résidant dans un habitat sans consommation d’énergie excessive, peut être considérée comme conjoncturelle ; une amélioration de la situation (familiale, professionnelle …) permettant une sortie de la précarité énergétique. En revanche, si le logement est en cause, seuls un déménagement ou la mise en œuvre de travaux de rénovation/réhabilitation (conditionnés par un coût, des délais, voire un accord du propriétaire…), permettraient d’améliorer la situation. Cette forme de précarité énergétique peut alors être qualifiée de structurelle. la présence de ces deux facteurs ; Cette accumulation impactant directement le ménage a pour effet de diminuer ses chances de sortie voire de l’ancrer dans cette situation. On peut alors parler de précarité énergétique structurelle. l’antériorité de la situation. Les ménages qui subissent dans la durée la précarité énergétique, sans amélioration de leur situation, se trouvent également dans une précarité énergétique que l’on peut considérer comme structurelle. Si la plupart des personnes en situation de précarité énergétique structurelle rencontrées disposent de faibles ressources, d’autres, qui disposent de revenus plus élevés, peuvent également être concernées par la précarité énergétique. La précarité énergétique ne peut donc être appréhendée sur la base du seul critère des ressources disponibles. Le Dros remercie l’ensemble des personnes (institutionnels, associatifs, allocataires…) qui ont permis la réalisation de cette étude. 4