Paris Match

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Paris Match
Paris_Match N°2900
du 16/12/2004
« Avec moi, on ne s'ennuie pas »
Paris Match.
Vous avez 33 ans et déjà deux César. Un palmarès qui correspond à un plan de carrière ?
Sylvie Testud.
Pas du tout. Ces surprises m’ont fait très plaisir. J’étais heureuse, bien sûr. J’ai reçu ces
récompenses comme des cadeaux, une reconnaissance de mon travail. J’ai trouvé les jurys très
gentils, très bienveillants.
Paris Match
Trente films en dix ans. Vous n’arrêtez pas. Vous enchaînez film sur film. Pourquoi cette
boulimie ?
Sylvie Testud.
J’ai besoin de faire quelque chose, d’avancer, de changer d’univers. Très fidèle à un même
mode de vie, j’ai besoin de l’inverse dans ma vie professionnelle, de me perdre dans des
mondes complètement différents, fous parfois. Ça me donne un équilibre, un épanouissement
personnel.
Paris Match
Comment choisissez-vous vos rôles ? On a l’impression que vous ne savez pas dire non...
Sylvie Testud.
Je dis oui par instinct. Difficile d’expliquer pourquoi j’aime. Si je sens le personnage, c’est
bon. En revanche, je dis non lorsque les choses sont trop en place, que le personnage peut
vivre sans moi. C’est sans intérêt. Je lui dis “bonne vie” et je tourne la page. J’ai un besoin
viscéral d’être indispensable, d’apporter quelque chose au personnage. Comme dans une
relation amicale ou amoureuse, il me faut avoir des clés, un petit mystère pour avancer
ensemble. Un film, c’est plusieurs mois de travail. On se lève tous les jours à 6 heures du
matin, on part pour une aventure. S’il n’y a pas ça, ça ne sert à rien.
Paris Match
Vous êtes une jeune femme gaie, spontanée, drôle, simple... j’allais dire normale.
Sylvie Testud.
Malheureusement oui, je suis “normale”, très bêtement. Rien à dire de plus.
Paris Match
Toute menue, toute fragile, vous mesurez 1,63 mètre et pesez 50 kilos, une grâce juvénile.
Vous jouez des rôles durs, difficiles, de fille forte, psychopathe, tueuse, meurtrière, à l’inverse
de votre image. Comment vivez-vous ce décalage ?
Sylvie Testud.
J’aime les paradoxes. Je suis fine, moins maintenant. [Et Sylvie caresse tendrement son
ventre rond.] Très bizarrement, même si je n’éprouve pas le besoin de le faire, je comprends
les femmes qui trompent leur mari, quittent leur amant à 17 heures, rentrent chez elles
normalement le soir, et vivent une autre vie, une seconde vie. J’ai cette faculté. Grâce au
cinéma, je vis dans deux bulles différentes. Je passe de l’une à l’autre sans problème, je mène
deux vies de front. C’est drôle et passionnant. Dans mon dernier film, “Victoire”, je tue un de
mes proches l’après-midi, le soir je suis dans mon loft, tout naturellement à ma place ; sur un
fond de jazz, je prépare le dîner pour des amis. Ce décalage m’amuse. Une vie linéaire, trop
bien réglée tout le temps, ça m’ennuierait.
Paris Match
En parlant de vous, les critiques disent “inclassable”, “la plus singulière de sa génération”...
Sylvie Testud.
Certains parlent même de “souillon”, ils n’ont pas tout à fait tort. J’ai du mal à me définir
moi-même.
Paris Match
Que vous apporte le cinéma ?
Sylvie Testud.
Ça me rassure de jouer. J’ai quelqu’un qui décide pour moi. Je suis d’une lâcheté incroyable
par rapport aux décisions à prendre. J’aime que quelqu’un me dise : “Aujourd’hui, c’est
comme ça. Il faut faire telle chose de telle manière.” Et je suis ses consignes.
Paris Match
Qu’est-ce qui a déclenché votre vocation ?
Sylvie Testud.
Sans aucun doute “L’effrontée”, de Claude Miller. J’avais 12-13 ans. Charlotte Gainsbourg,
c’était moi. Le film m’a émue. Je n’aime pas les mots révélation ou déclic. Je n’ai pas pensé
devenir actrice immédiatement, mais c’est entré en moi. Je suis devenue cinéphile puis, à 18
ans, à Paris, j’ai ressenti comme une évidence. J’ai laissé tomber mes études d’histoire. Je me
suis dit : “Je vais quand même essayer de jouer. J’en aurai le cœur net.” Je me suis inscrite au
Cours Florent, puis au Conservatoire.
Paris Match
Vous êtes une jeune femme hyperactive.
Sylvie Testud.
J’ai besoin de faire quelque chose, de m’occuper. Je suis très touche-à-tout. Lorsque je ne
tourne pas, je fais de la peinture, de la musique, de la couture... J’ai un rythme haletant toute
l’année, mais je m’accorde un mois de vacances pour souffler, à l’île d’Oléron, un paradis, et
là, je ne fais rien. Personne n’est aussi capable que moi de ne rien faire ! Je suis alors une
vraie fainéante.
Paris Match
Dans la vie, vous êtes plutôt jean-baskets, strass-paillettes, ordonnée ou bohème ?
Sylvie Testud.
Pas disciplinée du tout. Plutôt bohème. On dirait une roulotte chez moi ! C’est tout ou rien.
Du jour au lendemain, d’une heure à l’autre, je peux troquer mon jean et mes baskets pour une
robe sexy et des talons hauts. J’ai une collection de paires de chaussures incroyable et pas mal
de robes du soir dans mon dressing.
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Qu’est-ce que vous détestez ?
Sylvie Testud.
Les étiquettes. Je ne supporte pas d’être rangée, cataloguée à une place bien définie, ça me
rend folle.
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Vous changez facilement de registre dans vos films. Pourtant, vous paraissez fidèle dans la
vie.
Sylvie Testud. Je suis très très fidèle à mes amis, à ma famille – je retourne régulièrement à
Lyon, à la Croix-Rousse, où j’ai vécu et où vivent encore ma mère et mes sœurs –, à mon
compagnon. J’aime ce qui est très en place, stable. Ça me donne de la liberté pour ma
deuxième vie, le cinéma, celle où je prends des risques.
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Votre compagnon, justement, c’est une longue histoire d’amour.
Sylvie Testud.
Je l’ai rencontré il y a longtemps (ne comptez pas, ça va faire vieux couple) à Paris, par le
biais de l’école. Au bout d’une heure, j’ai eu l’impression de le connaître depuis toujours. Une
certitude. Et il est toujours là, facile à vivre, plutôt sympa, chouette, formidable, on rigole
bien... Que dire de plus, je suis bien avec lui.
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Vous attendez donc un bébé.
Sylvie Testud.
C’était un désir depuis longtemps, mais sans impératifs précis. Il est là, je suis heureuse. Je ne
réalise pas encore tout à fait. La première fois que j’ai senti un coup de pied, j’ai eu la
révélation. Un petit être grandissait en moi. Je me sens enfin utile. Je sers à quelque chose.
Paris Match
Comment le vivez-vous ?
Sylvie Testud.
Formidablement bien. En toute sérénité. Pour la première fois de ma vie, j’ai annulé tous mes
engagements. Je sais que c’est un petit garçon, il a 7 mois, et je vis à son rythme. Je prends
enfin mon temps. Chaque matin, je presse tranquillement une orange ou deux même, pour lui.
Avant, j’avalais en vitesse une vitamine C. [Tout en parlant, Sylvie caresse de nouveau
tendrement son ventre rond.]
Paris Match
Quel genre de mère serez-vous ?
Sylvie Testud.
Pas trop louve, j’espère.
Paris Match
Vous avez peur de vieillir ?
Sylvie Testud.
Non, le plus important, être en bonne santé.
Paris Match
Seriez-vous prête à pratiquer la chirurgie esthétique pour devenir plus belle ?
Sylvie Testud.
Je me trouve plutôt jolie, même si, dans mes films, je ne suis pas toujours au top. Je n’ai pas
envie de changer. La beauté n’est pas une angoisse pour moi. Lorsque je sors, je me maquille,
et ça va bien. Je n’ai pas de soucis, pas de complexes.
Paris Match
Dans votre prochain film, “Victoire”, qui sort le 22 décembre, vous avez un passage “nu”.
Sylvie Testud.
Ça ne me gêne pas. Si le scénario me plaît, je peux me déshabiller. Ce qui me fait surtout
peur, c’est la tendance actuelle, ce puritanisme qui fait que, même dans la rue, les femmes
sont de moins en moins sexy.
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Vous déménagez très souvent, un signe d’instabilité ?
Sylvie Testud.
Non, c’est ma dualité. Lorsque les choses sont finies, je me sens enfermée, étriquée. C’est
plus fort que moi, il faut que je bouge, que je change. Je rêve d’autre chose. On ne s’ennuie
pas avec moi.
Paris Match
Comment voyez-vous l’avenir ?
Sylvie Testud.
J’ai du mal à me projeter dans un avenir lointain. Je laisse une grande part au hasard, les
choses se faire comme elles doivent. Lorsqu’on m’offre une chance, je la saisis, j’aime bien
qu’on m’emmène ailleurs.
Paris Match
Un rêve particulier...
Sylvie Testud.
Je suis heureuse de la vie que j’ai maintenant. Je voudrais que ça dure, avec mon bébé. Ma
seule préoccupation actuelle, comme toutes les mères, pas très original, qu’il soit beau,
normal, en bonne santé. Pour me rassurer, j’ai fait de très nombreuses échographies. J’aime
m’entendre dire : “Tout va bien.”