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mardi 15 novembre 2011 LE FIGARO
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Le mois dernier, au large des Comores, Rudy Attagnant en mission de protection appuyée par une vedette d’escorte.
GALLICE SECURITY
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PIERRE PRIER
[email protected]
Q
uand il a vu neuf bateaux chargés de pirates somaliens attaquer simultanément son cargo,
Rudy Attagnant savait ce qu’il
avait à faire. L’explosion d’une
roquette de RPG sur le pont ne
l’a pas fait broncher. En cinq
ans de commandos de marine
et dix ans de légion étrangère, cet ex-militaire en a
vu d’autres, de l’ex-Yougoslavie à l’Afghanistan
en passant par l’Afrique. Retraité des troupes
d’élites, il a rempilé dans un métier d’avenir.
Aujourd’hui, il supervise les équipes embarquées
de Gallice Security, une société française fondée
par des anciens de la DGSE, les services de renseignement, et du GIGN, les troupes de choc de la
gendarmerie nationale. À 39 ans, l’ancien commando à la barbe poivre et sel combat contre un
nouvel ennemi brutal et sans peur. Les pirates, qui
détiennent en otage 47 bateaux et au moins
482 otages, sont de plus en plus violents. Les otages emmenés en Somalie, marins professionnels
ou plaisanciers, sont désormais souvent frappés et
torturés, puis forcés d’appeler leurs familles par
téléphone satellite pour les supplier de payer une
rançon. Toujours plus nombreux, les pirates inventent de nouvelles tactiques. Ils attaquent en
meute, chargeant de plusieurs côtés à la fois, tout
en arrosant les passerelles à la kalachnikov et au
lance-roquettes.
L’océan Indien est en guerre. Une guerre que les
marines militaires européennes, américaines,
chinoises, indiennes, russes qui patrouillent en
permanence ont perdue, accuse le président de la
Chambre internationale de la marine marchande,
Spyros Polemis : « La réalité, c’est que les gouvernements ont cédé le contrôle de l’océan Indien aux
pirates », a-t-il tonné le mois dernier. Nerveux,
les opérateurs du monde entier en ont tiré la
conséquence.
La vitesse ne sert plus de protection
« Début 2011, nous avons décidé de poster des gardes armés privés sur ceux de nos bateaux qui ravitaillent les côtes africaines », explique le général
Pierre de Saqui de Sannes, conseiller institutionnel
de l’armateur français CMA-CGM. « Les mesures
d’autodéfense ne suffisent plus », ajoute-t-il. Les
pirates ont trouvé une réponse aux précautions en
vigueur : pose de barbelés, lances à eau en batterie, etc. Même la vitesse ne sert plus de protection.
« Ils tirent jusqu’à ce que le bateau s’arrête. Ils le
doublent et l’attendent plus loin », dit Gilles Sacaze,
PDG de Gallice Security. Seule solution, répondre
présente
MEMBRE OFFICIEL DE
«BIG & TALL ASSOCIATES»
A
Capelstore Paris Madeleine
26, bd Malesherbes
75008 Paris
Tél : 01 42 66 34 21.
Capelstore Paris Sébastopol
74, bd de Sébastopol
75003 Paris
Tél : 01 42 72 25 09.
«
Le premier procès
de pirates somaliens
jugés en France s’ouvre
aujourd’hui à Paris.
Pour contrer leurs
menaces, les armateurs
du monde entier
embarquent de plus
en plus de gardes armés,
qui refusent d’être traités
de mercenaires.
au feu par le feu. Les armateurs français se sont
d’abord reposés sur les équipes de protection embarquées (EPE) proposées par la Marine nationale,
puis en ont vu rapidement les limites. Les EPE militaires sont réservées aux navires battant pavillon
français, et pas toujours disponibles à temps. La
demande est pourtant générale, malgré les fortes
réticences du début. « Nous avons dû faire un virage à 180 degrés », reconnaît Anne-Sophie Avé,
déléguée générale de l’organisation professionnelle Armateurs de France. Il y a peu de temps encore, Mme Avé dénonçait violemment les sociétés de
sécurité privées. « Ce sont des mercenaires, qui se
nourrissent de la guerre. Ils feraient monter le niveau de violence de façon exponentielle. On aurait
des morts de part et d’autre. » Le risque de voir de
simples vigiles monter sur les navires inquiète
toujours Hubert Ardillon, président de l’Association française des capitaines de navires. Ses adhérents ont néanmoins, eux aussi, changé d’avis. « Si
l’armée française n’est pas disponible, on préférerait avoir tout de même quelqu’un, à condition que
ce soient des sociétés certifiées par l’État. » Mais,
pour l’instant, les gardes armés privés ne peuvent
être embarqués sur les navires battant pavillon
français. L’État refuse d’accorder quelque reconnaissance que ce soit aux firmes de sécurité, même
Nous ne voulons pas
de gens qui
viennent chercher l’aventure.
Nos hommes sont des personnes
équilibrées, qui ont une famille
et quelque chose à perdre
●●●
»
GILLES SACAZE, LE PDG DE GALLICE SECURITY
quand un armateur étranger s’enquiert du sérieux
d’une société française. Cette indifférence irrite
Gilles Sacaze, le PDG de Gallice, qui réfute le terme
de « mercenaires ». « Nous ne voulons pas de gens
qui viennent chercher l’aventure. Nos hommes sont
des personnes équilibrées, qui ont une famille et
quelque chose à perdre. Tous sont des anciens des
forces spéciales de toutes les armes. Les chefs
d’équipe, eux, sont toujours des anciens des commandos de marine. »
Un tir direct sur les pirates
La compétence a un prix. Environ 5 000 dollars par
jour pour une équipe de quatre personnes. Les salaires tournent autour de 12 000 dollars par mois.
« On ne peut pas faire du low-cost », estime Gilles
Sacaze. Ses hommes respectent les règles d’engagement des équipes de la Marine française, fondées sur la légitime défense. On tire si on vous tire
dessus. Les pirates ne sont pas toujours dissuadés
par la riposte armée. Le jour où le bateau défendu
par Rudy Attagnant est poursuivi par huit skiffs
rapides plus un « bateau mère », l’ancien commando applique la procédure : envoyer l’équipage
dans la chambre de sécurité, une pièce protégée au
cœur du navire. Et répliquer. « Le périmètre de sécurité est fixé à cinq cents mètres ; c’est la portée
d’un RPG, le lance-roquettes individuel utilisé par
les pirates. » Les gardes ont riposté avec des tirs de
semonce devant les bateaux des pirates. Ce qui n’a
pas empêché une roquette d’atteindre le pont.
« Elle a explosé à huit mètres. On a senti son souffle,
mais personne n’a été blessé. »
Les gardes ont alors répondu par un tir direct
sur les pirates, sans en dire plus. La bataille a duré
une heure en tout, les pirates revenant sans cesse à
l’attaque, avant de jeter l’éponge. Des incidents
comme celui-là risquent de se multiplier. Qui sera
responsable en cas de mort d’un côté ou de
l’autre ? « La question est complexe, répondent
Guillaume Brajeux et Xavier McDonald, avocats
chez Holman Fenwick Willan, cabinet international spécialisé dans le droit maritime. Cela dépend
des circonstances et du cadre juridique, le droit de
l’État du pavillon s’appliquant. » La légitime défense ne pourra être reconnue qu’après enquête. Qui
peut être poursuivi ? « Beaucoup de gens ou de personnes morales, disent les avocats : l’État qui a
autorisé l’embarquement de gardes armés, l’armateur, les gardes armés, le capitaine lui-même… Nous
recommandons à nos clients de bien réfléchir et de
prévoir les règles d’engagement dans le contrat
passé avec les sociétés de sécurité. »
Pour les députés Christian Ménard (UMP) et
Jean-Claude Viollet (PS), qui préparent un rapport
sur les sociétés militaires et les sociétés de sécurité,
la solution passe par une « labellisation » officielle.
Ce qui aurait l’avantage de promouvoir les sociétés
françaises et le savoir-faire des anciens militaires
français, recherchés par les grosses sociétés britanniques comme Triskel ou G4S, qui les proposent ensuite à leurs clients français… Le premier
ministre David Cameron vient d’ailleurs de donner un sérieux coup de pouce à ces compagnies en
autorisant les navires sous pavillon britannique à
emmener des hommes armés. « On ne peut pas
laisser le marché aux Anglo-Saxons », plaident les
députés. ■

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