Avant-propos - Le Cercle Points
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Avant-propos - Le Cercle Points
Avant-propos Cet ouvrage est composé de six biographies de tueurs en série depuis Peter Kürten, exécuté en juillet 1931, jusqu’à Ed Kemper, emprisonné en 1972 et toujours derrière les barreaux depuis trente-sept ans. Les confessions totalement inédites en France de Peter Kürten, le Vampire de Düsseldorf, qui inspirent Fritz Lang pour son chef-d’œuvre M le maudit avec Peter Lorre dans le rôle principal, sont un document extraordinaire pour l’étude de ces tueurs en série. Jusque lors, nous en connaissions quelques bribes ou extraits publiés dans divers ouvrages. Cinquante ans avant le programme établi par les agents du F.B.I. afin de dresser un profil psychologique de ces criminels, un psychiatre allemand, le DrÞKarl Berg, a mis à jour les principales caractéristiques du psychopathe sadique sexuel. Dans ses aveux, Kürten explique – sans omettre le moindre détail et dans toute son horreur – ses fantasmes, sa soif de sang, ce qui lui passe par la tête avant, pendant et après le crime, son absence de remords, son besoin de retourner sur les lieux de ses crimes pour les revivre intensément, son amour irraisonné pour la pyromanie, en un mot toute une organisation d’une existence vouée au crime. Incarné au cinéma sous les traits d’un Tony Curtis hallucinant, Albert DeSalvo n’a jamais été officiellement 9 inculpé des meurtres attribués à l’Étrangleur de Boston. En échange de ses aveux, il a été condamné à perpétuité pour les multiples viols qu’il a commis et qui lui ont valu le surnom de l’Homme Vert. Le cas de DeSalvo est très inhabituel puisqu’il s’attaque à deux catégories de victimes totalement différentes, d’abord des femmes âgées puis des jeunes filles. Il commence par des meurtres pour enchaîner par des viols, ce qui le différencie aussi de la grande majorité des tueurs en série chez lesquels on constate plutôt une progression dans l’échelle des crimes. Depuis quelques années, plusieurs experts et membres de familles des victimes demandent une réouverture de l’enquête et des examens ADN afin de dissiper les doutes qui entourent la culpabilité d’Albert DeSalvo. Relâché par la justice après le meurtre de deux enfants en 1972, Arthur Shawcross, lui, démontre les talents de manipulation des serial killers et les failles du système judiciaire. Une fois libéré en conditionnelle, le tueur s’installe à Rochester, dans l’État de New York, sans que quiconque pense à prévenir les autorités locales de la présence d’un dangereux prédateur. RésultatÞ? Pendant plusieurs années, Shawcross s’attaque à des prostituées qu’il tue sans le moindre remords. Lors de son procès, il tente en vain de se faire passer pour irresponsable, arguant qu’un démon du Moyen Âge lui aurait ordonné d’assassiner ses victimes. Il invente des sévices qu’il aurait subis durant son enfance et des traumatismes liés à de terribles expériences vécues pendant la guerre du Vietnam où il fut un magasinier et loin de toute ligne de front. Arthur Shawcross est décédé le 10þnovembre 2008 des suites d’une crise cardiaque. Le rêve de Jeffrey Dahmer est de créer des esclaves sexuels, d’authentiques zombies, par l’injection d’acide dans le crâne de ses victimes encore vivantes. Son 10 appartement de Milwaukee est transformé en abattoir, rempli de restes démembrés, de crânes peints, d’un squelette accroché dans la douche, de têtes coupées et stockées dans le Frigidaire. Le cauchemar de toute une communauté se termine le 24Þjuillet 1991 après une longue série de dix-sept victimes masculines étranglées, puis violées et démembrées sur une période de treize ans. Dans cette affaire très largement médiatisée, les communautés noire et homosexuelle accusent les autorités de ne se préoccuper que de la sécurité des «ÞautresÞ». Une fois condamné, Jeffrey Dahmer est assassiné en prison, une fin similaire à celle d’Albert DeSalvo. Géant de plus de deux mètres, Edmund Emil Kemper possède un quotient intellectuel qui confine au génie. Dès sa plus tendre enfance, il voue une haine féroce à l’encontre de sa mère et nourrit des fantasmes morbides mêlant la décapitation à la nécrophilie. À quatorze ans, il tue ses grands-parents par simple jeu. Interné dans un établissement spécialisé, Kemper se documente et apprend à manipuler les psychiatres qui le considèrent comme guéri sept ans plus tard. En l’espace de deux ans, il mutile, décapite, viole et dévore parfois dix nouvelles victimes. Contrairement à la plupart des tueurs en série, il se livre volontairement à la police. La saga meurtrière du couple homosexuel formé de Henry Lee Lucas et d’Ottis Toole court d’un bout à l’autre des États-Unis et met en lumière les problèmes de communication entre les polices locales. Nécrophiles, cannibales, adeptes de la crucifixion, Toole et Lucas manipulent des enquêteurs parfois trop pressés de clore des dossiers et ils vont même prétendre appartenir à une mystérieuse secte satanique pour laquelle ils auraient sacrifié des dizaines d’enfants. Pour mieux comprendre la psychologie particulière de ces criminels en série dont les mobiles sont liés à 11 leurs pulsions, il est nécessaire, voire indispensable, de saisir ce qui se passe dans leur tête et de s’immiscer dans leurs fantasmes, de se mettre en quelque sorte «Þdans la peau du tueurÞ». Et d’espérer qu’à l’avenir, cette compréhension nous permettra de les appréhender plus rapidement. 1 Le vampire de Düsseldorf I. Düsseldorf, 19291 Il fait froid et sombre en cette nuit du 3Þfévrier 1929 lorsque MmeÞAppelonia Kühn, âgée de cinquante ans, se dépêche de rentrer chez elle le long d’une ruelle déserte du quartier de Flingen, à Düsseldorf. Elle sent une présence à ses côtés. La voix plaisante d’un homme lui adresse la parole et, avant qu’elle ait eu le temps de lui répondre, l’inconnu l’agrippe par son manteau pour la frapper à coups de ciseaux. Personne n’entend ses appels à l’aide quand l’agresseur la transperce à vingt-quatre reprises avec une férocité sans égale. Le dernier coup est si violent qu’une des lames se brise et la pointe reste enfoncée dans le dos de MmeÞKühn. L’inconnu s’enfuit en laissant la victime allongée sur le trottoir. Heureusement pour elle, un passant la découvre et la fait transporter à l’hôpital où les médecins parviennent à la sauver. «ÞIl est environ six heures du soir en ce dimanche et j’étais à la recherche d’une victime dans les environs 1. Les confessions de Peter Kürten ont été traduites de l’allemand par l’auteur. 13 du Hellweg. Dans ce but, j’avais emmené une paire de ciseaux. J’ai aperçu cette femme sur la Berthastrasse. Je me suis approché d’elle pour lui crier “StopÞ!”, puis “Pas un bruitÞ!”. Ensuite, je l’ai frappée à l’aveuglette. Elle était allongée par terre lorsque j’ai entendu des appels au secours. Je me suis enfui le long du Hellweg. De retour chez moi, je me suis rendu compte qu’une des lames avait été brisée sur une longueur d’environ un centimètre. Je pensais l’avoir transpercée bien plus profondément que ça.Þ» Quelques jours plus tard, le 9Þfévrier 1929, des ouvriers du bâtiment qui travaillent sur un chantier proche de l’église St. Vincent, dans le quartier de Flingen, découvrent le cadavre mutilé d’une fillette de neuf ans, Rosa Ohliger. Elle est lardée de nombreux coups de ciseaux. Elle a disparu de son domicile depuis trois jours. Le corps est en partie brûlé. «ÞCe 8Þfévrier 1929, je quitte la maison vers six heures du soir pour me diriger vers l’église St. Vincent où je rencontre cette petite fille de huit à dix ans. Je lui demande où elle souhaite se rendre. “À la maison. –ÞOù habites-tuÞ? –ÞDans la Langerstrasse.” Je déclareÞ: “Allez, viens, je te raccompagne.” Je la prends par la main et nous marchons le long de la Kettwiger Strasse jusqu’à un terrain vague clôturé par une palissade. Je la saisis à la gorge, je l’étrangle et je la dépose sur le dos. De la main droite, je prends mes ciseaux pour la frapper à la tempe gauche et à divers endroits dans la région du cœur. L’enfant semblait morte. Je rentre chez moi pour examiner mes vêtements, à la recherche de traces de sang. J’ai aussi nettoyé les ciseaux. Il n’y avait aucune tache sur mes habits. Puis je suis allé au cinéma car je possédais encore un billet gratuit, avant de rentrer de nouveau chez moi. 14 J’ai rempli une bouteille de bière avec du pétrole – nous possédons une lampe à pétrole – pour retourner auprès du corpsÞ; mon intention était de le brûler. Mais il y avait trop de monde. J’ai donc déposé la bouteille contre la palissade pour revenir à la maison. Le lendemain matin, vers les six heures, je me suis levé en indiquant à ma femme que j’allais aux toilettes. J’ai couru à toute vitesse jusqu’au lieu du crime pour verser le pétrole sur le cadavre et y mettre le feu. Le trajet aller-retour ne m’a pas pris plus de cinq ou six minutes. Je n’éprouvais aucune excitation sexuelle et je n’ai pas touché à la fille. Ma motivation consistait seulement à engendrer de l’agitation et de l’indignation. Je voulais encore augmenter ce sentiment d’indignation en mettant le feu au corps. «ÞJe ne me suis pas masturbé sur le corps et je ne l’ai pas touché sexuellement. L’endroit où je l’ai étranglée et poignardée ne se trouvait qu’à un ou deux mètres de celui où je l’ai laissée. Elle était debout quand je l’ai étranglée de mes deux mains.Þ» Le 12Þfévrier, Rudolph Scheer, un mécanicien d’une quarantaine d’années, est trouvé mort dans un fossé de Gerresheim, dans la banlieue de Düsseldorf. On l’a poignardé à vingt reprises à coups de ciseaux alors qu’il rentre chez lui après une soirée bien arrosée entre amis. «ÞLe 12Þfévrier 1929, j’ai quitté mon domicile vers huit heures du soir pour chercher en vain une victime pendant trois heures. Je savais que ma femme devait rentrer à la maison vers une heure. À Hellweg, j’ai heurté accidentellement un homme. Il faisait beaucoup de bruit et semblait ivre. Il m’a repousséÞ: “Que voulezvousÞ?” J’ai jeté un coup d’œil à ses mains pour voir s’il était armé. Puis, du plat de la main, je l’ai frappé à 15 la gorge. Il a chancelé pour chuter face contre terre. J’ai pris les ciseaux pour le poignarder de toutes mes forces. Il a essayé de s’agripper à mes jambes et, à moitié allongé, à moitié agenouillé, me faisant face, il s’est accroché à moi. Du coup, je l’ai frappé à la tempe droite, puis dans le cou. J’ai enfoncé les ciseaux tellement fort dans son dos que c’est à peine si j’ai pu les retirer. Au coup suivant dans le dos, j’ai entendu le sang jaillir. Scheer s’est effondré. Ses doigts ont lâché prise et libéré mes jambes, il est tombé face contre terre. Malgré l’obscurité je voyais la mare de sang. Je l’ai tiré par les pieds pour le faire basculer dans le fossé. Ensuite, je me suis décidé à rentrer chez moi mais, au bout d’une trentaine de mètres, je suis revenu sur mes pas afin d’effacer les traces de mes empreintes digitales sur le haut de ses bottes. Le tout a dû me prendre environ huit minutes, pas plus. Le lendemain matin, vers huit heures, je suis retourné sur le lieu du crime. En chemin, j’ai rencontré un détective avec lequel j’ai engagé la conversation. Lui aussi se rendait sur place pour rejoindre un groupe de policiers que j’ai aperçu près du fossé. L’inspecteur m’a observé avec suspicion. Comment étais-je au courant du meurtreÞ? m’at-il demandé. Je lui ai répondu qu’on m’avait averti par téléphone. Entre-temps, nous étions arrivés sur place et j’ai été stoppé devant le cordon.Þ» Le règne de terreur du Vampire de Düsseldorf vient juste de commencer. En raison des similitudes entre ces trois affaires, la police estime qu’un même homme est responsable des trois meurtres. Mais l’aspect le plus étonnant réside dans la sélection des trois victimesÞ: une femme, un homme d’âge moyen et une fillette. Du coup, aucun des habitants de Düsseldorf ne peut se sentir à l’abri des attaques du mystérieux assassin. La panique 16 engendrée augmente d’autant plus lorsque la police reconnaît qu’elle ne possède aucun indice ni piste sérieuse. On arrête un coupable L’agitation monte d’un cran le 2Þavril 1929 quand Erna Penning, une jeune fille de seize ans, est poursuivie par un inconnu qui lui lance un nœud coulant autour du cou. Fort heureusement, elle se débat et crie avec une telle vigueur que l’assaillant prend la fuite. Voici sa déposition telle qu’elle est consignée dans le rapport de policeÞ: «ÞMes deux mains étaient sous la corde et, de toutes mes forces, j’ai essayé d’empêcher l’homme de serrer le nœud coulant. Il était très excité et tentait à tout prix de resserrer son emprise. J’ai titubé en direction du fossé. L’agresseur tenait la corde d’une main et, de l’autre, il tentait de m’étrangler. Il est parvenu à me faire basculer sur le dos, s’est agenouillé à côté de moi tout en continuant sa strangulation. Je lui ai saisi le nez pour pincer fortement les narines. Dans un ultime effort, j’ai réussi à me relever. L’inconnu a reculé et il a retiré son lasso. Pendant tout ce temps, il est resté muet. Je me suis enfuie en courant.Þ» Voici les déclarations de Peter KürtenÞ: «ÞLa fille me dépassait d’une tête. Elle avait remonté le col de son manteau, un manteau de fourrure. À cause de ça, je n’ai pas pu bien serrer la corde que j’avais apportée avec moi. À un bout, j’avais fait un nœud et une boucle à l’autre extrémité pour mieux la tenir en main. Lorsque je l’ai aperçue, j’ai pris la corde dans ma poche 17 pour la lui passer autour du cou. Elle s’est débattue, m’a donné des coups de pied et elle s’est mise à hurler. On était tous les deux par terre. Elle m’a violemment pincé les narines et j’ai dû la relâcher. Tout cela s’est déroulé en silence, et je suis parti en courant.Þ» La nuit suivante, une jeune femme, MmeÞFlake, est victime de l’homme au lasso. Il l’attire dans un champ et elle ne doit son salut qu’à l’intervention d’un couple qui a entendu ses cris. Les témoins sont incapables de donner une description précise de l’agresseur, mis à part qu’il doit être jeune pour s’enfuir aussi vite. Le récit qui suit est le témoignage de MmeÞFlakeÞ: «ÞCe 3Þavril 1929, je rentrais du travail dans la partie nord de la ville en empruntant une rue mal éclairée lorsque j’ai entendu des pas d’homme s’approcher de moi. J’ai ralenti mon allure pour le laisser me dépasser. Il a dû se jeter très rapidement sur moi car j’ai senti quelque chose passer au-dessus de ma tête et j’ai été brusquement tirée en arrière. On m’a fait quitter le chemin pour un champ voisin. J’étais incapable de crier, l’inconnu ayant tenté de forcer un mouchoir dans ma bouche. J’ai serré les dents. Il a pris la parole, criantÞ: “Ouvre ta boucheÞ!” Il a resserré le nœud d’un cran. Puis il s’est penché pour voir si je respirais encore et il a tenu une main devant ma bouche. Il m’a tirée dix mètres plus loin dans le champ. J’ai entendu des bruits de pas mais j’étais dans l’impossibilité de crier au secours. Je me suis débattue avec les jambes. C’est alors que l’étreinte s’est relâchée et que l’agresseur m’a tourné le dos pour s’enfuir en courant. J’ai défait le nœud coulant et je me suis relevée pour m’approcher de gens qui se trouvaient sur la route.Þ» 18 Stéphane Bourgoin LE LIVRE NOIR DES SERIAL KILLERS Bernard Grasset ÉDITION MISE À JOUR ET CORRIGÉE ISBN 978-2-7578-1681-3 (ISBN 978-2-246-66191-7, 1re publication) © Éditions Grasset et Fasquelle, 2004 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Ce livre est dédié à Isabelle Longuet