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0123 éclairages | 15 MARDI 16 JUIN 2015 « Charlie », chronique d’un séisme MÉDIATEUR pascal galinier J Qui est vraiment Charlie ? Ces 21 jours qui ébranlèrent les lecteurs du « Monde » Editions François Bourin 174 pages, 19 euros e déteste publier mes pensées, mais, pour une raison que j’ignore encore, j’ai le sentiment que je dois m’exprimer pu bliquement. » Tout l’objet de ce livre tient dans cette phrase de Caroline Vincent (BoulogneBillancourt), page 41. Qui est vraiment Charlie ? Ces 21 jours qui ébranlè rent les lecteurs du Monde (Editions François Bourin, 174 pages, 19 euros) est un ouvrage iné dit, qui donne la parole aux lecteurs de notre journal, en janvier et février, lors des tueries de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Ca cher de la porte de Vincennes, à Paris. Vingt et un jours de courriers. Cinquante et une lettres (et courriels), commentaires en ligne, posts de blogs, venus des quatre coins de France, de Na varre ou d’ailleurs – de Londres à Conakry en passant par Beyrouth. Ecrits parfois à chaud, toujours avec chaleur. Des voix d’« anony mes » qui disent l’onde de choc qui ébranla la France en ces jours de janvier. La Société des lecteurs du Monde, qui célèbre cette année ses 30 ans, ne pouvait rêver meilleur témoignage des liens indéfectibles qui unissent ce journal à ceux qui le lisent… Charlie, donc. Il y aura un avant, il y aura un après, entendon çà et là… Le Monde et ses lec teurs proposent, eux, un « pendant ». Pendant ces trois journées, qui virent dixsept person nes se faire assassiner – dont quatre au seul motif qu’elles étaient juives. Pendant ce di manche 11 janvier, où plus de quatre millions de personnes défilèrent dans les rues pour dire « Je suis Charlie ». Pendant les trois semaines qui suivirent, durant lesquelles nombre de lec teurs nous firent part de leur indignation et de leur espérance, « de leurs doutes aussi concer nant l’unanimisme propre aux manifestations du 11 janvier », comme le soulignait Jean Birn baum dans son éditorial du « Monde des li vres » du 12 juin. UN MESSAGE D’ESPOIR Cet ouvrage n’est pas un reportage. Ni un récit ni un essai. C’est une chronique. A l’ancienne. La chronique d’un séisme. En trois chapitres chronologiques : « Tous Charlie ! » ; « Tous Charlie ? » ; « Charlie, et après… » Les trois temps du travail de deuil qui commence. Le deuil des illusions de cette France républicaine quelque peu assoupie sur ses grands principes et qui fut brutalement réveillée par une barba rie surgissant de ses propres entrailles. « A être partout, la liberté a fini par devenir invisible », résume AnneRita Crestani, une lectrice du Loiret, le 7 janvier au soir. « Il est du devoir de chaque citoyen d’apporter sa pierre, aussi mo deste soitelle, à la résistance intellectuelle », rappelle Edouard Reichenbach, d’Antony, le 11 février. Entre les deux dates, le kaléidoscope est varié, les avis partagés, le chemin escarpé pour tenter d’éviter la « vaine dispute de la fierté gauloise contre la superstition musul mane » (Julien Mirabole, 11 janvier, page 57). Qui mieux que l’urgentiste Patrick Pelloux, chroniqueur à Charlie Hebdo, pouvait incarner l’urgence de cette « résistance intellectuelle » ? Lui qui fut – « à l’insu de son plein gré », n’auraient pas manqué de ricaner ses amis Charb, Cabu, Wolinski… – élevé au statut d’icône du mouvement « Je suis Charlie »… Il sera à ce titre le premier lecteur et le premier commentateur de ces « lettres d’anonymes qui sont la France du début du millénaire, moderne, critique, pugnace, généreuse, constructive et fort bien attachée à ses valeurs de la République, de la démocratie, de la laïcité et des droits », ainsi qu’il les salue dans sa postface. Qui eût cru, écritil, que, « à l’heure des mobilisations fa ciles par réseaux sociaux et de la mobilisation souvent bien pleutre par Internet », ils seraient si nombreux à descendre dans la rue le 11 jan vier. Qu’ils seraient si nombreux à prendre leur clavier et si talentueux, portevoix pour dire leur fait aux assassins, mais aussi aux poli tiques de tous bords. C’est vrai, constate Patrick Pelloux sur le ton de ses « Histoires d’urgences » hebdomadaires qu’il signe dans Charlie Hebdo, « la France est le nez dans le guidon de la crise économique et bosse pour s’en sortir ; avec des débats comple xes car nous restons gaulois ! ». Mais « lorsque des terroristes tuent tout le monde, femmes, en fants, policiers, journalistes, juifs, chrétiens, mu sulmans, athées, dessinateurs, ouvriers, la France est debout et descend dans la rue ! ». Un message d’espoir que ce livre d’« anonymes », après des années de déclinisme, « où quelques journalistes, éditorialistes et intellectuels trou vaient la France morte, moisie, sans idées, ba fouant ses valeurs, ridicule dans son costume des droits de l’homme ». Alors, être ou ne pas être Charlie ? Estce en core la question ? Question shakespearienne à laquelle nos lecteurs ne veulent pas se conten ter de répondre à la mode voltairienne. Prêts qu’ils sont, pour certains, à mettre la main à la pâte autant qu’à la plume. Tel cet Alain Perdrix (16 janvier, page 96), qui suggère d’ajouter trois jours fériés au calendrier national : le ramadan, le Grand Pardon et la fête de Charlie (le 11 jan vier). Pour hâter ce jour où l’on verra enfin « des enfants musulmans se réjouir de ne plus aller à l’école “grâce à” une fête juive ou “grâce à” la fête de Charlie Hebdo, ou de petits juifs se reposer le jour de la fin du ramadan… » Ce livre n’est pas un pavé (de plus) dans la mare. Juste un petit caillou sur le long chemin qui commence. « La liberté d’expression ne peut que gagner à comprendre les raisons de ces meurtres, à les prendre en compte au lieu de les nier », comme l’écrit Guillaume von der Weid (7 janvier, page 24). Pour qu’il y ait un avant, pour qu’il y ait un après… [email protected] Mediateur.blog.lemonde.fr @pasgalinier LE GRAND RENDEZVOUS EUROPE 1, « LE MONDE », ITÉLÉ Marion MaréchalLe Pen : « La France doit sortir de l’euro » Fautil aller jusqu’à l’exclusion de JeanMarie Le Pen du Front national ? Non, je ne pense pas. Ce serait un signal extrêmement négatif. Déjà, c’est allé très fort et très loin. Je pense que ça a été très compliqué pour Marine Le Pen de prendre cette décision, et certainement aussi douloureux. Très honnêtement, supprimer la présidence d’honneur et l’influence de JeanMarie Le Pen au sein des instances exécutives m’apparaît suffisant. Je crois que ce n’est pas la peine d’aller jusqu’à l’humiliation de l’exclure du mouvement. ¶ Marion MaréchalLe Pen Députée FN du Vaucluse Le Grand Rendez-vous avec « Le Monde » est diffusé chaque dimanche de 10 heures à 11 heures sur Europe 1 et i-Télé Assumezvous tout l’héritage de JeanMarie Le Pen, qui incarne les quarante ans de l’extrême droite française depuis la fondation du FN ? Je ne considère pas que JeanMarie Le Pen soit d’extrême droite. Il s’en est d’ailleurs toujours défendu. Si le Front national était un parti d’extrême droite, je n’y serais pas, comme Marine Le Pen n’y serait pas. L’extrême droite, ça ré pond à une définition précise : l’anti parlementarisme, l’autoritarisme et la doctrine basée sur la race. Ce sont des critères de sciences politiques. Objecti vement, le Front national ne répond pas à ces critères, jamais. LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE JeanMarie Le Pen a eu l’occasion durant toute sa vie de s’exprimer sur ces sujets et il a créé ce parti avec des représentants directs de la tradition de l’extrême droite française… Il a rompu très rapidement. Enfin, on ne va pas refaire l’histoire du Front na tional. L’entretien de JeanMarie Le Pen à « Rivarol », c’était une rupture avec l’extrême droite ? Précisément, cela a été très fortement condamné. Et, pendant très longtemps, JeanMarie Le Pen a été en rupture avec Rivarol. C’est pour cela que c’est d’autant plus incompréhensible, mais on ne va pas revenir làdessus. La France doitelle sortir de l’euro ? Oui, la France doit sortir de l’euro pour une raison évidente : aujourd’hui, cette monnaie reste inadaptée, même si l’euro a baissé sans qu’on ait le cata clysme annoncé. En 2010, un tiers des Français voulaient sortir de l’euro. En 2015, un quart seulement. Vous n’êtes pas suivis par la population ? Je pense qu’il y a une évolution. Non, ça régresse justement. Non, je pense qu’il y a une évolution. De toute façon, Edgar Faure disait que c’est un grand tort que d’avoir raison trop tôt. D’une certaine manière, c’est vrai. Je crois que, sur la question de l’euro, nous avons raison trop tôt, comme nous avons eu raison trop tôt sur l’immigration il y a maintenant des années. Attendez de voir les conséquences qu’aurait une sortie de l’euro pour les Grecs et la Grèce… Oui, mais là, le problème, c’est que l’on paye l’absence de sortie concertée. Comme l’euro ne fonctionne pas struc turellement, on se retrouve avec des sorties chaotiques de l’euro. C’est ce que nous déplorons. En mars 2014, 55 % des partisans des Républicains voulaient une alliance pour le FN. Maintenant, ils ne sont plus que 30 %. Estce, comme le sousentend JeanMarie Le Pen, parce que la ligne économique de Marine Le Pen est trop mélenchoni sée, pas assez libérale ? Je donne assez peu de crédit aux son dages, qu’ils soient favorables ou non. Une grande partie des électeurs des Ré publicains sont plutôt dans une vraie porosité plutôt que pour les alliances. Néanmoins, Sarkozy joue sur cet argu ment : dire que c’est le programme éco nomique de Mélenchon. Je crois qu’il ne l’a jamais lu. On est très loin du pro gramme économique de l’extrême gau che, qui est pour l’interdiction des licen ciements, pour le plafonnement les sa laires, pour l’augmentation de la fisca lité des entreprises. Ceci est tout à fait caricatural. C’est un argument des Ré publicains justement pour bloquer cette porosité de l’électorat de droite. Fautil arrêter les soins de Vincent Lambert et le laisser mourir ? Non, parce que Vincent Lambert, c’est un cas très particulier : en réalité, c’est un grand paralysé. Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Les seuls soins qu’il reçoit, c’est de l’alimentation et de l’hydratation. La décision de la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme], c’est quoi ? C’est dire que de main on arrête de l’alimenter et de l’hy drater. Cela veut dire que Vincent Lam bert va mourir de faim et de soif. « JE CROIS QUE CE N’EST PAS LA PEINE D’ALLER JUSQU’À L’HUMILIATION D’EXCLURE JEANMARIE LE PEN DU MOUVEMENT » propos recueillis par michaël darmon, jeanpierre elkabbach et arnaud leparmentier Petit précis de corruption sur la Côte d’Azur LIVRE DU JOUR philippe escande V oilà un livre qui accompagnera uti lement vos prochaines vacances sur la Côte d’Azur. Pour en apprécier tout le sel, il est même conseillé de prendre un bateau, par exemple dans le port de Cannes, et de longer doucement la côte jus qu’à Menton et la frontière italienne. Cap d’An tibes, cap Ferrat, baie des Anges, Monaco… des noms célèbres partout dans le monde. Car le monde entier rêve de ces rochers baignés de soleil, peuplés de pinèdes odorantes et cares sés par la grande bleue. Un paradis… et une malédiction. C’est l’un des grands notaires niçois qui résume le mieux cette fatalité qui s’est abattue sur ce morceau de France, il y a plus d’un siècle. Une leçon de géographie : « Au sud, vous avez la mer ; au nordest, la frontière italienne ; à l’ouest, le fleuve Var. À l’intérieur, un paradis fis cal – Monaco n’a pas d’autre raison d’être –, des vieux et du fric, beaucoup de fric. (…) Il n’y a pas de bourgeoisie à Nice. La seule richesse, c’est l’immobilier. Des terres qui ne valaient rien ont pris une valeur incroyable en moins d’un siècle. Comment voulezvous qu’un tel cadre n’attire pas l’argent sale et les escrocs du monde en tier ? » Alors durant cette promenade en bateau, à laquelle nous invite la journaliste Hélène Constanty, guettez les joyaux qui se cachent sous les pins. Ces villas Belle Epoque qui s’échangent à plus de 50 millions d’euros entre oligarques russes, émirs qataris et business men libanais. Sans oublier quelques aventu riers français qui se risquent dans cette cage aux grands fauves où les euros coulent à flots. ZONES DE NON-DROIT Dans cet océan d’argent, la corruption s’insi nue partout, et notamment du côté des élus, voire des fonctionnaires chargés d’attribuer les permis de construire, ou simplement un anneau dans un port. Entre Cannes et Nice, nombre d’élus se sont brûlé les doigts à ce pe tit jeu. Certains ont tâté de la prison, comme l’ancien maire de Cannes, Michel Mouillot, d’autres sont morts avant que la justice ne les condamne, tel le premier élu de SaintJean CapFerrat, René Vestri, dont l’immunité par lementaire avait été levée en 2010. Des fonc tionnaires sont mis à pied, à l’instar de la souspréfète de Grasse en 2013. Mais beau coup parviennent à passer habilement entre les mailles du filet. D’où l’amertume des magistrats locaux, comme Eric de Montgolfier, Charles Du chaine ou JeanPierre Murciano, qui ont tous confié dans des livres leurs désillusions. Les zones de nondroit ne sont pas réservées aux banlieues des grandes cités. Plus grave encore. Derrière les frasques, les potsdevin et les irrégularités en tout genre se cachent d’autres pieuvres aussi puissantes que discrètes. La Camorra napolitaine et sur tout la’Ndrangheta calabraise se sont infil trées partout, utilisant la France comme base arrière pour blanchir l’argent de leurs activi tés criminelles. Etrange croisière, vraiment, à laquelle nous invite ce livre, qui mêle au par fum des pinèdes celui de l’argent fou. Razzia sur la Riviera d’Hélène Constanty Fayard, 296 p., 19 €.