Quand Dinan emprisonnait les `Boches`

Transcription

Quand Dinan emprisonnait les `Boches`
Pays de
14-18.
Dinan
LE PETIT BLEU
JEUDI 25 SEPTEMBRE 2014
www.le-petitbleu.fr
14
Quand Dinan emprisonnait les ’Boches’
Pendant la guerre de 14-18, les convois de prisonniers allemands se sont succédé régulièrement à Dinan. Des lycéens de la Fontaine des Eaux ont exhumé cette histoire oubliée.
D’après Gilles Bourrien, le professeur d’histoire qui encadrait
les lycéens l’an dernier, le thème des prisonniers de guerre est
très peu connu à Dinan. Ses élèves de 1ère 5S ont donc planché sur le sujet l’an dernier et mis au point un très intéressant
diaporama, dont les photos et cartes postales sont commentées par eux-mêmes. Leur travail, labellisé ’Centenaire de la
Première guerre mondiale’ est consultable sur une borne
vidéo aux archives départementales pour l’exposition Les
Côtes-du-Nord dans la Grande guerre. En voici le résumé.
Il semble que c’est à partir
du 23 août 1914 que Dinan accueille des prisonniers de guerre
allemands. Le général Magon
de la Giclais, commandant de
la place de Dinan,a informé
le maire « de l’arrivée d’un
convoi composé de 460 sousofficiers et soldats, 360 civils
dont 3 enfants et 4 femmes
qui seront placés dans la
caserne du 10ème d’Artillerie et gardés par l’autorité
militaire. Je commande un
escadron d’hussards pour
l’escorte et le service d’ordre
dans la gare ; la gendarmerie et la police assureront le
service d’ordre à l’extérieur ;
je vais adapter un itinéraire
évitant de traverser les rues
fréquentées ». Les civils n’y
resteront pas et aucun autre
n’y sera détenu. Les convois de
prisonniers se succèdent régulièrement. L’un des hebdomadaires
locaux, L’Union libérale, s’en fait
l’écho le 20 septembre : « Hier
soir 35 blessés arrivèrent à
8h15 mais tous étaient Allemands. La haie de curieux
habituelle les attendait. Les
Allemands furent transportés
au quartier de l’artillerie et
sont soignés dans des locaux
disposés à cet effet. La foule
s’abstint de toute manifestation. Ce matin, à 8h54, nouveau convoi de 54 blessés
Allemands. Tous conduits au
quartier d’artillerie, sauf trois
officiers et trois hommes qui
sont à l’hôpital militaire. La
plupart des blessés allemands
sont grièvement atteints ».
Très rapidement les effectifs
des prisonniers valides et blessés
atteignent environ les 2 000. La
place manque. Les blessés sont
installés dans les hôpitaux dinannais mais séparés des Français.
Dans la mesure du possible ils
sont soignés par des compatriotes infirmiers et médecins
prisonniers.
Un spectacle
dégradant
Le général Magon de la Giclais décide d’éviter au maximum
que les Dinannais puissent voir
ces hommes ; ce qui provoque
une certaine incompréhension
dans la population. L’Union
libérale en témoigne dans ses
colonnes : « 400 prisonniers
allemands environ sont arrivés à Dinan mercredi midi. Les
curieux qui s’étaient rendus
à la gare pour voir défiler
le bataillon d’alboches ont
été une fois de plus déçus. »
« Les prisonniers ont été débarqués auprès du dépôt des
machines. Les Dinannais ne
s’expliquent pas pourquoi on
persiste à leur refuser cette
satisfaction parfaitement excusable de voir passer devant
eux quelques échantillons des
soldats de l’empereur rouge.
La population dinannaise est
extrêmement calme et les prisonniers – d’ailleurs protégés
par les baïonnettes de nos biffins – n’ont point à redouter
de sa part des brutalités. Le
plus désagréable qui puisse
leur arriver est d’entendre
retentir à leurs oreilles les cris
répétés de : - « Vive la France ! A bas Guillaume II ! A bas
l’Allemagne ! » Et après ? En
quoi des manifestations de
ce genre peuvent-elles être
assimilées à des scènes scandaleuses ? Il n’est pas scandaleux de crier : - « Vive la
France ! » et de hurler toute
la haine que nous éprouvons
pour l’Allemand. Tant pis
pour les tympans prussiens,
si cette musique ne leur plaît
pas. »
Incompréhension
Pour des combattants, de retour en permission, il semble difficile d’accepter de risquer leur
vie, de perdre des camarades de
combat et de vivre si durement
dans les tranchées pendant
que les prisonniers allemands
paraissent mener une existence
La gêne éprouvée par ces soldats allemands prisonniers est perceptible. Les visages se détournent du photographe. Au 1er plan, ils expriment de l’agacement, voire de l’énervement.
Être jeté en pâture au regard des curieux et de la presse est dégradant.
paisible à l’arrière. Alors, le général Magon de la Giclais explique
dans L’union libérale du 20 septembre 1914 pourquoi c’est une
nécessité de traiter décemment
les prisonniers de guerre allemands. « L’obligation, pour
nous, de donner aux blessés
allemands, dont beaucoup
n’ont pu être emportés par
l’ennemi, en raison même
de la gravité de leur état,
les soins appropriés, est un
devoir à plus d’un titre impérieux. Il nous est imposé, non
seulement par le respect de la
législation internationale et
des règles de la convention
de Genève, mais encore par
un sentiment d’humanité
dont nous devons désirer la
parfaite réciprocité pour nos
propres blessés prisonniers en
Allemagne. »
■■Pour en savoir plus, le
diaporama réalisé par les
1ères S 5 est accessible sur
dailymotion : les-oublies-del’histoire
Le quotidien
La présence des prisonniers de guerre allemands est rentrée
dans le quotidien des habitants du pays de Dinan comme
le révèle cette anecdote : le tribunal correctionnel dans son
audience du 21 janvier 1915 condamne une femme pour
des propos pour le moins étonnant. « Une dame D…, originaire de Broons et habitant Dinan, se trouvant à Yvignac le 4 de ce mois et ayant bu plus que de raison,
se laissa aller à injurier les gendarmes. Elle tint même
cet intelligent propos : - « Je vous ferai fusiller par les
Allemands de Dinan. La femme D… est inscrite pour 15
jours de prison et 5 fr. d’amende. »
Les prisonniers mis au travail
Bon plan
Les Français ont fait des
dizaines de milliers de
prisonniers entre 1914 et
1918. Beaucoup ont été
contraints, comme leurs
homologues français en
Allemagne, de travailler
dans l’agriculture et donc
pour l’économie française.
Le manque de main d’œuvre
est criant dans les campagnes
en raison de la mobilisation des
hommes valides. Les autorités
décident donc « que les prisonniers que nous devons à l’héroïsme de nos soldats servent
en masse à féconder le sol de
France et à y faire pousser les
moissons nécessaires à notre
existence, à notre résistance
et à notre victoire ! » Les prisonniers de guerre participent
donc à l’économie française en
travaillant et, en contrepartie, ils
reçoivent une indemnité.
Mais cela ne se fait pas sans
tension. Sept entrepreneurs de
A la caserne Beaumanoir.
Dinan éprouvent un sentiment
d’injustice contre une concurrence déloyale car ils essaient
de maintenir leurs activités et
continuent à payer de lourds
impôts malgré des bénéfices
nuls. Ils veulent qu’une enquête
soit ouverte.
Ils dénoncent « Un sous-officier du 13e Hussard qui profiterait de sa situation de surveillant des prisonniers pour
faire à notre détriment des
entreprises considérables. […]
nous avons la certitude que
ce sous-officier qui bénéficie
pour rien ou pour presque
rien de main d’oeuvre des prisonniers de guerre, fait faire
pour son compte du matériel,
de l’outillage, livre à des particuliers des travaux exécutés
de cette façon […]. »
A Ploubalay, c’est un agriculteur qui réclame à cors et à cri
« une équipe de prisonniers
de guerre d’au moins 20
hommes que nous pourrions
utiliser environ trois mois mon
frère et moi. « J’exploite une
ferme de 25 hectares. Ma santé est délicate ; mes enfants
sont tous jeunes. J’ai sollicité
l’aide de la main d’œuvre militaire, on m’a répondu que
la pénurie de soldats dans les
dépôts ne permettait pas de
m’envoyer de l’aide. Cependant, j’ai un besoin urgent
de main d’œuvre pour arracher mes pommes de terres
(2 hectares). Couper, rentrer
et battre mon sarrazin, ramasser les pommes et fabriquer
mon cidre ; préparer mes
ensemencements d’automne.
Mon frère est seul avec 7 enfants et exploite 30 hectares.
Je voudrais des prisonniers
de profession agricole. Je
leur assurerais le logement,
la nourriture et l’indemnité
fixée. » Le maire donne un avis
favorable à cette demande.
D’énormes besoins
Le sous-préfet de Dinan
recense les besoins en main
d’œuvre agricole des communes
de son arrondissement. Ils sont
considérables. Il constate que
« les dépôts régionaux se
trouveront, aussi bien pour
la moisson que la fenaison,
dans l’impossibilité de fournir
les équipes militaires demandées. Dans ces conditions, je
me permets d’appeler votre
attention sur l’opportunité
qu’il y aurait à augmenter le
chiffre des prisonniers du dépôt de Dinan avec une partie
de ceux qui ont été faits dans
les derniers combats. Les agriculteurs ne répugnent plus à
l’emploi de la main d’œuvre
des prisonniers […]. »

Documents pareils