Brigitte Girardin : «Des flux migratoires mutuellement bénéfiques»

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Brigitte Girardin : «Des flux migratoires mutuellement bénéfiques»
Actualité | France
Brigitte Girardin : «Des flux migratoires mutuellement
bénéfiques»
Propos recueillis par Pierre Rousselin .
Publié le 08 juillet 2006
Actualisé le 08 juillet 2006 : 23h19
Brigitte Girardin est ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la
Francophonie. Elle s'exprime sur la Conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et
le développement qui se tiendra au Maroc, les 10 et 11 juillet.
Le FIGARO. –Quelle est la portée de la réunion Afrique-Union européenne de Rabat sur les
questions d'immigration?
Brigitte GIRARDIN. – Pour la première fois, ce sera l'occasion de discuter en même temps des
questions d'immigration et des questions de développement, qui sont indissociables. Les événements
dramatiques de Ceuta et Melilla, l'année dernière, ont fait prendre conscience que l'on ne pourra pas
régler les problèmes de l'immigration – comme d'ailleurs du terrorisme ou des grandes pandémies – sans
développer le Sud. Politiques d'immigration et de développement doivent donc être discutées dans le
cadre d'un partenariat entre pays du Nord et du Sud, pour que les flux migratoires ne soient plus subis,
mais qu'ils deviennent mutuellement bénéfiques. C'est tout le sens de cette rencontre de Rabat, qui
réunira les pays de départ, de transit et de destination, avec pour chacun d'eux les ministres en charge
des problèmes migratoires et du développement.
Cela n'a pas toujours été compris en Afrique où l'on a beaucoup critiqué l'aspect répressif de
la nouvelle loi sur l'immigration...
S'il y a pu avoir des malentendus, c'est sans doute en raison du coup de projecteur qui a été donné
pendant les débats parlementaires sur la seule lutte contre l'immigration clandestine, en omettant tout
ce que nous entreprenons parallèlement au titre de l'aide publique au développement et qui ne relève
pas de la loi.
Comment la politique de développement peut-elle contribuer à maîtriser l'immigration ?
En s'attaquant à la pauvreté, dont on sait qu'elle est la première motivation à quitter son pays d'origine.
C'est toute la raison d'être de notre politique de développement : aider les pays de départ à créer les
conditions leur permettant de retenir leurs populations sur place. Pour cela, il nous faut mettre en place
une stratégie gagnant-gagnant entre le Nord et le Sud, une stratégie de codéveloppement pour qu'à
l'immigration choisie puisse correspondre une émigration choisie.
Quelles mesures concrètes proposez-vous ?
Trois ensembles de mesures doivent accompagner notre politique d'immigration. En premier lieu, nous
voulons faciliter le retour des immigrés qui sont en situation d'échec, en finançant des microprojets qui
leur permettent de rentrer dignement, en créant de l'activité et des emplois dans leur pays d'origine.
C'est mieux que de leur fournir une simple aide au retour qui ne sert souvent qu'à tenter de revenir en
France. Le deuxième volet de notre action concerne les transferts financiers des immigrés vers leur pays
d'origine, qui représentent des sommes évaluées à 150 milliards de dollars par la Banque mondiale, mais
dont seulement 10% profitent aux investissements productifs. Pour inciter à investir dans le
développement, nous voulons à la fois réduire le coût de ces transferts en favorisant la concurrence
entre établissements bancaires, et créer un compte «épargne développement» qui permettra de
défiscaliser les fonds consacrés au secteur productif.
Enfin, il nous faut agir contre la fuite des cerveaux qui préoccupe légitimement les gouvernements
africains : il y a par exemple plus de médecins béninois en France qu'au Bénin. Attention néanmoins aux
formules qui seraient contre-productives : si nous contraignons les étudiants étrangers à rentrer chez
eux après leurs études, nous risquons de les voir partir étudier aux États-Unis ou au Canada. La bonne
manière de procéder, c'est d'associer les élites installées chez nous au développement de leur pays
d'origine : nous allons proposer en priorité à la diaspora qualifiée (médecins, ingénieurs, universitaires,
cadres supérieurs) de participer à nos programmes de coopération dans les pays du Sud ; nous voulons
aussi leur permettre de transmettre leur savoir par l'utilisation des nouvelles technologies.
Ces mesures peuvent-elles donner lieu à un plan d'action à l'échelle de l'Union européenne ?
Oui, et c'est l'un des principaux enjeux de la réunion de Rabat : inclure dans la discussion l'Union
européenne en tant que telle et non plus seulement ses États membres les plus directement confrontés
au problème de l'immigration venue d'Afrique. La France apporte au débat qui s'ouvre son expérience en
matière d'aide au développement. Nous souhaitons conjuguer nos efforts avec ceux de nos partenaires.
Il faut en effet changer d'échelle pour être à la hauteur du défi.