quand le petit ange est devenu... grand m chant loup

Transcription

quand le petit ange est devenu... grand m chant loup
Psycho
Le bandeau sur votre livre annonce
qu’il brise un tabou. Lequel ?
Le discours actuel sur la fonction
parentale nous intime de prendre nos
enfants comme ils sont, notre amour
devant être forcément inconditionnel.
Or quand les relations ne sont pas au
beau fixe, les parents se sentent gênés.
Ce n’est pas tant le fait de pardonner
à ses enfants qui est tabou que la
notion de faute et, au-delà, l’accusation
que cette démarche sous-entend…
Pourquoi avons-nous tant de mal
à l’admettre ?
Pendant des siècles, les parents
exprimaient tout haut leurs reproches
à leurs enfants. Avec la venue de
la contraception, nous nous sommes
mis à confondre « l’enfant, quand
je le veux » avec « l’enfant, comme je le
veux ! », c’est-à-dire conforme à notre
idéal. Aujourd’hui, le parent doit
être fier de sa progéniture, laquelle
a le devoir de réussir pour le rassurer.
Si nos enfants se comportent mal,
cela signifie que nous ne sommes pas
de bons parents. D’où nos réticences.
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FemmeMajuscule ✽ m a r s - av r i l 2013 ✦ N o13
Difficile à admettre dans la société d’aujourd’hui : il arrive
que notre enfant nous ait déçu, et même blessé, jusqu’à
la rupture. Pour retrouver une sérénité, Il faut renoncer
à l’idée d’être LE parent parfait d’un enfant parfait et savoir
faire la paix, en pardonnant. Propos recueillis par Bernadette Costa-Prades
grand
m chant
loup !
Mais ne passons-nous pas notre
temps à pardonner à nos enfants ?
Bien sûr, cela fait même partie de
l’éducation. Mais ce sont des petits
pardons quotidiens pour des broutilles.
Mon livre parle de véritables
déchirures, qui conduisent souvent
à l’éloignement, voire à la rupture.
Vos témoignages sont en effet
terribles : ces enfants volent,
font de la prison… Pourquoi des
situations aussi extrêmes ?
Ces déceptions très lourdes mettent
en lumière le travail que tout parent
doit faire. Elles permettent au lecteur
de prendre le livre avec un certain
recul, de se dire « Ouf, je n’en suis pas
là ! » tout en s’interrogeant quand
même. Je dénonce le refus d’accepter
que nos enfants ne se comportent pas
tout le temps comme nous le
souhaitons, car ce déni peut laisser la
porte ouverte à la rancœur. Nous ne
commandons ni nos sentiments ni nos
ressentiments, et ces derniers peuvent
se transformer en cailloux qui risquent
de gripper la relation, de creuser
de la distance quand les enfants
quittent la maison.
Mais le parent insatisfait
de son enfant n’a-t-il aucune
responsabilité ?
J’ai voulu entendre la souffrance, ne
pas juger. Il ne sert à rien de ressasser
ce que nous avons fait ou oublié de
faire. Qu’il y ait faute ou pas ne
m’intéresse pas. En tant que parent,
nous sommes toujours prêts à penser
que nous sommes coupables de
ce que font nos enfants, ce qui n’est pas
toujours le cas car ils ne sont pas
uniquement le fruit de leur éducation.
Ce qui est entièrement de notre ressort
en revanche, c’est d’enclencher
le processus du pardon.
Quel est ce processus ?
Le pardon suit à peu près les mêmes
étapes que le deuil. Il y a d’abord
le déni, que j’évoquais et qu’il faut
dépasser. Vient ensuite le temps
de la colère, qu’il est bon de
reconnaître également. Dois-je me
réjouir que mon enfant arrête ses
études, se comporte mal, soit égoïste ?
Bien sûr que non. L’étape ultime sera
l’acceptation de cette déception,
qui ne nous empêchera nullement
de continuer à l’aimer.
Doit-on en parler avec lui ?
Ce pardon-là est essentiellement un
processus psychique de soi à soi.
Inutile de le convoquer pour lui dire
Caroline Barbera / PICTURETANK
L’amour inconditionnel que nous
portons à nos enfants serait-il une
fiction ? De nombreux exemples
démontrent qu’en tout cas,
« inconditionnel » ne va pas de soi.
Et qu’il arrive que nos enfants nous
déçoivent, et cruellement. Pour panser
cette blessure il faut accepter les
failles de notre enfant, faire la paix
avec ce qu’il est devenu. C’est ce que
nous explique Maryse Vaillant dans
Pardonner à ses enfants(1). Interview.
Quand
le petit
ange
est
devenu...
« Je te pardonne de ne pas être conforme
à mes rêves ! » Le terme « pardon »
comprend la notion de don, qui permet
d’être dans la générosité, et aussi celle
de deuil, qui nous pousse à lâcher
nos exigences. Pardonner à ses enfants,
comme à ses parents, permet d’avancer
dans l’âge plus sereinement.
Si nous voulons une
relation apaisée avec
nos enfants une fois
adultes, acceptons
d’abord qu’ils aient
pu nous contrarier.
Tout est-il pardonnable ?
Il ne faut pas pardonner trop vite,
notamment quand la déception est
trop forte. Je crois même parfois
à la nécessité de la rupture, d’une
distance qui permet d’y voir clair.
Il est nécessaire d’accepter qu’il puisse
y avoir du froid, du vide entre parents
et enfants. Mais il y a un après
la rupture, et c’est là qu’intervient
le pardon. Si nous voulons une relation
apaisée avec nos enfants une fois
adultes, acceptons d’abord qu’ils aient
pu nous contrarier…
Le pardon s’apparente donc à un
long chemin de renoncement…
Mais oui ! Si le but de tout parent
est d’aider ses enfants à naître
à eux-mêmes, il faut avoir l’humilité
de renoncer à la réussite. Mon livre
va à contre-courant d’un message
qui consiste à affirmer que nous
pouvons réussir l’éducation de nos
enfants ! Eh bien non, pas totalement,
et heureusement : c’est dans cet espace,
cet échec relatif, qu’ils se dégagent
de nous. Je déplore le mensonge
et du coup le manque de solidarité de
la plupart des parents : au lieu de se
soutenir, de dire librement que leurs
enfants les déçoivent, ils entrent en
compétition, font comme si tout allait
bien. Un parent en bonne santé est un
parent forcément un peu déçu. ✦
1. Pardonner à ses enfants : de la déception
à l’apaisement, coécrit avec Sophie Carquain,
Albin Michel.
Hommage. Maryse Vaillant nous a quittés le
19 janvier dernier. Depuis le début de l’aventure
de Femme Majuscule, cette psychothérapeute
hors du commun nous a accompagnés,
soutenus. Notre combat pour une parole
sans tabou sur l’âge l’avait d’emblée séduite,
elle qui s’est insurgée toute sa vie contre
les injustices faites aux femmes, loin des
idées reçues et du politiquement correct.
Ses analyses fines, son humour, sa grande
humanité, vont cruellement nous manquer.