Les douze ans de nazisme dans une faculté de médecine

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Les douze ans de nazisme dans une faculté de médecine
mémoire
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LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 888 - juillet-août 2014
Les douze ans de nazisme dans une
faculté de médecine allemande
A Kiel dans le nord de
l’Allemagne, la Faculté de
médecine apporta un soutien
pratique à l’idéologie raciale
nazie et s’accommoda facilement
de l’ensemble des crimes commis
de 1933 à 1945.
L
e régime hitlérien prétendait utiliser
la science médicale au service de ses
théories racistes. Une étude récente
a pour objet les 12 années de nazisme au
sein d’une faculté de médecine du nord
de l’Allemagne. Kiel, port militaire, ville
danoise rattachée à la Prusse en 1867, fut
longtemps au deuxième rang des facultés de médecine de cet Etat. Au début des
années 30, cette faculté comptait 16 professeurs titulaires, et pour l’acti­v ité pratique de l’enseignement, huit « cliniques »
et huit Instituts (1).
Le personnel enseignant des Universités
allemandes faisait partie des notables des
villes où elles étaient situées. Il s’agissait en
règle générale de grands bourgeois, sous le
Kaiser en général fidèles à la monarchie,
conservateurs, souvent racistes et antisémites. Après la défaite de 1918, ils ne se
reconnaissaient en général aucu­nement
dans les institutions démocratiques de la
République de Weimar et si, dans leur majorité, ils n’ont guère été atti­rés par le national-socialisme avant la prise du ­pouvoir
par Hitler en 1933, ils ne s’y oppo­saient
que rarement de f­ açon explicite.
À la fin des années 20 et au début des
années 30, le corps professoral universitaire affichait peu ses opinions politiques,
contrairement aux étudiants (et d’ailleurs à
d’autres catégories d’enseignants). Le quotidien du parti nazi Völkischer Beobachter
publia ainsi le 5 novembre 1932 une déclaration d’universitaires et enseignants de
l’enseignement supérieur en faveur d’Adolf
Hitler, souhaitant qu’il accède au pouvoir.
Un seul des professeurs de médecine de
Kiel l’avait signé. Par contre, quelques
jours avant les élections du 5 mars 1933
et alors qu’Hitler n’était chancelier que
depuis un peu plus d’un mois, ce sont 22
enseignants de la Faculté de médecine
de Kiel sur 52 qui signèrent un appel en
­faveur du parti nazi.
Au début des années 30, les enseignants
dans les universités n’avaient pas de grandes
perspectives de progression professionnelle, et on estimait qu’un seul candidat
sur sept avait une chance d’obtenir une
chaire de professeur, alors que plus de la
moitié des titulaires avaient plus de 60
ans. Les étudiants nazis, déjà nombreux,
se montraient de plus en plus agressifs envers les étudiants juifs ou « marxistes », de
sorte que la désignation d’Hitler comme
chancelier le 30 janvier 1933 libéra, offi­
cialisa en quelque sorte cette violence.
Ces étudiants fanatisés (36 % des étudiants de Kiel se destinaient à la médecine) exigèrent bientôt que les étudiants
juifs soient interdits d’accès à l’Université,
ils chassèrent de la bibliothèque universitaire un professeur et une bibliothécaire,
s’en prirent encore à d’autres personnes,
réclamant le licenciement de 28 membres
du personnel universitaire, dont un tiers
fut effectivement renvoyé. La situation
à Kiel était si exceptionnellement grave
qu’un journal de Göttingen, grande ville
universitaire, s’étonna de ces exactions.
En mai 1933 ces mêmes étudiants organisèrent, à l’instar de ce qui se passait
dans le reste du pays, l’autodafé de livres
­d ’auteurs haïs par les nazis.
Mainmise du pouvoir nazi
sur la Faculté
L’Association des étudiants de Kiel était
organisée en branches spécialisées, dirigées par des étudiants nazis, et plusieurs
d’entre elles justement par des étudiants en
médecine. A l’été 1933, le ministère pour
la Science, l’Art et l’Education du peuple
fit savoir que, dorénavant, les f­acultés
n’avaient plus à faire de propositions pour
la nomination de professeurs, mais que
ces propositions viendraient du ministère… A l’automne, Hitler décida la création d’« Offices universitaires SA » qui
devaient contrôler la prise du pouvoir
par le parti (et qui disparurent en 1934,
sans doute dans le cadre de l’assassinat de
Roehm). Le corps enseignant de l’Université comptait un nombre restreint de professeurs titulaires, fonctionnaires ou non,
et une majorité de Dozenten, chargés de
cours à l’esprit souvent revendicatif, insatisfaits sous le gouvernement de Weimar,
en grande partie nazis, et qui fournirent
nombre des nouveaux cadres. C’est ainsi
qu’un Dozentenführer pour la région (Gau)
et l’Université de Kiel, Lothar Löffler, fut
nommé en avril 1933. Son acti­v ité fut
grande, et par exemple il ordonna en novembre 1933 à tous les Dozenten d’adhérer à la SA dans les trois jours…
La Loi bien connue sur l’épuration parmi les fonctionnaires (7 avril 1933) toucha
un seul des professeurs de médecine de
Kiel, le physiologiste Rudolf Höber, pourtant a­ ncien recteur. En ce qui concerne les
non-fonctionnaires, on sait que par ailleurs
cinq médecins de la clinique neurologique
universitaire furent aussitôt licenciés, soit
en tant que juifs, soit comme opposants
politiques. Parmi les étudiants de Kiel, on
comptait encore en 1933 52 juifs, mais en
1933-1934 déjà seulement 16, et en 1936,
cinq « non-aryens ». Pour le personnel
responsable de l’Université, un renouvellement des recteurs et doyens avait été programmé rapidement, dès avril 1933, par les
nazis, avant que le recteur obtienne finalement tous les droits dès le 1er novembre.
C’est un hygiéniste, Hermann Dold, qui
fit fonction de doyen de la Faculté de médecine dès juin 1933, avant d’être officiellement nommé en novembre, mais il partit
bientôt occuper un poste à Tübingen. Il
fut alors remplacé en février 1934 par le
gyné­cologue nazi Robert Schröder. La
prise du pouvoir continua par la Directive
pour l’unification de l’administration
de l’Enseignement supérieur du 1er avril
1935, supprimant toute autonomie universitaire, et créant deux organismes réunissant, l’un l’ensemble des enseignants
universitaires, quel que soit leur statut,
et l’autre l’ensemble des étudiants « d’ori­
gine et de langue maternelle allemande »
quelle que soit leur nationalité. Le recteur
était doré­navant Führer de l’Université, et
­serait, comme l’ensemble des responsables
et les doyens, directement nommé par le
­ministre des Sciences du Reich.
La science
subordonnée à l’Etat
Un complexe jeu d’influences finit par
installer comme doyen de la Faculté de
médecine de Kiel un nazi prêt à tout. Elève
d’Alfred Schittenhelm, un professeur de
médecine interne de grande réputation,
Hanns Löhr n’avait pourtant pas le « format » nécessaire habituellement pour occuper un tel poste-clé. Une succession de
manœuvres, dans lesquelles des personnalités allant jusqu’à Himmler lui-même, intervinrent pour lui ouvrir la voie. Il fut même
nommé colonel SS en septembre 1936, et
affecté à l’Office central SD, un exemple
unique d’union en une même personne
de responsabilité politique et d’un poste
d’enseignant en médecine. L’« Homme de
confiance de la direction nationale du parti NSDAP ­auprès de la Faculté de médecine » (2), Fritz Specht, un médecin ORL de
Kiel également professeur à l’Université,
intervint aussi. Finalement Löhr prit peu
à peu tous les pouvoirs, d’abord directeur
de la clinique médicale, puis « homme de
confiance etc… », doyen de la Faculté de
médecine, « Führer régional des Dozenten »
et finalement jusqu’à sa mort en 1941,
­recteur de l’Université de Kiel.
La Faculté connut encore quelques soubresauts, comme à l’occasion de la nomination du remplaçant de Rudolf Höber. C’est
évidemment un nazi, Ernst Holzlöhner,
qui fut choisi, mais pour diverses raisons, et essentiellement en raison du caractère uniquement politique de ce choix,
une opposition se manifesta qui, durant
quelque six mois, empêcha sa nomination. Finalement celle-ci fut acquise, alors
qu’il était évident qu’à ses yeux « la science
n’était pas seulement au service du nouvel
Etat, mais devait lui être subordonnée ». Le
choix des responsables scientifiques devait
dès lors être systématiquement biaisé : les
responsables de l’Enseignement supérieur
jugeaient les candidats sur la base de l’idéologie, le ministère attachait théoriquement
plus d’importance à la valeur scientifique
des candidats, mais devait laisser l’idéologie dominer, seuls les responsables de la
Faculté tentèrent de maintenir leurs critères, mais sous la férule de Löhr, cette
résistance cessa assez vite.
« Race » et génétique
Un des premiers domaines où souffla
l’esprit nazi fut naturellement tout ce qui
touchait aux notions de « race ». anthropologie, hygiène raciale, génétique étaient
des secteurs promis à un grand avenir
par les nazis. Il existait à Kiel un Institut
d’Anthropologie, dirigé depuis de longues années par Otto Aichel, qui avait
formé plusieurs étudiants brillants, dont
l’évolution est intéressante. Aichel n’avait
guère pris position en matière raciale, ses
­recherches portaient surtout sur l’embryologie, les tissus animaux et humains et
leur développement. Il eut à lutter contre
la volonté de nommer un concurrent, infiniment moins qualifié que lui dans le domaine anthropologique, mais nazi fidèle.
Il finit par gagner ce combat, mais mourut
en janvier 1935. Ses élèves, quant à eux,
eurent des évolutions divergentes. L’un
d’eux, Karl Saller, eut le courage de critiquer publiquement l’évolution de certains
collègues, leur reprochant de trahir l’objectivité scientifique. Il se vit interdire de
publication dès fin 1934 et dut abandonner
la recherche. Deux autres eurent un trajet
plus « conforme ». Rudolf Frercks fut un
des théoriciens des processus de sélection
et d’extermination nazis, actif entre autres
au sein de l’Office de politique raciale du
parti nazi, auteur du scénario d’un film
prônant l’eugénisme et l’« euthanasie ».
Un autre, Lothar Löffler, consacra toute
son activité à répandre et faire appliquer
les théories raciales, en particulier dans le
domaine de l’« euthanasie » des enfants.
La désignation du successeur d’Aichel
prit plusieurs semaines. Les spécialistes
d’anthropologie étaient relativement rares,
et tous occupaient déjà des postes dans
les universités. Finalement le ministère
se vit obligé de nommer le 20 avril 1935
un non-médecin, Hans Weinert, qui occupait un poste de remplaçant à Berlin.
Nazi convaincu, Weinert travaillait pour
l’Office de la Race et de la Colonisation de
la SS et il était auteur d’une série de manuels traitant des « Bases biologiques de la
science et de l’hygiène raciale ». Il défendait
ainsi, la main sur le cœur, l’obligation de
stériliser tous ceux que les nazis considéraient comme inférieurs ou susceptibles
de procréer des descendants porteurs
d’une tare nuisible à la « race aryenne ».
Weinert fut entre autres actif dans l’opération de stérilisation des « bâtards de
Rhénanie », ­plusieurs centaines d’enfants
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nés de r­ apports entre des femmes allemandes et des soldats français de couleur,
Sénégalais ou autres, durant l’occupation
de la Rhénanie des années 1920 [photos].
Ce Weinert était un personnage singulier, qui lança les étudiants de son Institut
dans des travaux de recherches concernant
l’évolution des habitants du SchleswigHolstein, où se situe Kiel, depuis les temps
les plus anciens. Ses conclusions pouvaient
mettre en doute l’appartenance de ces populations à la race « aryenne », mais il finit par ajouter des interprétations plus ou
moins acrobatiques, plus orthodoxes. Ceci
n’est qu’un aspect de la personnalité d’un
chercheur capable de parler (en privé) des
mensurations utilisées dans les « expertises
raciales » comme de « jeux prétendument
scientifiques » (scheinwissenschaftliche
Spielereien). Un autre aspect de la personnalité de Weinert vaut encore d’être mentionné : en tant qu’expert, il fut un grand
fournisseur d’attestations diverses, et en
particulier il se rendit souvent aux PaysBas à l’appel d’un confrère, pour déterminer si des personnes étaient de « race
juive » ou non. On lui attribue ainsi le
sauvetage de 300 à 500 personnes, dont
il attesta la non-judéité… à vrai dire en
fonction d’honoraires atteignant quelque
1 000 marks par cas. Dernier détail : ses
examens, lorsqu’il s’agissait de femmes,
s’accompagnaient éventuellement d’abus
sexuels plus ou moins poussés.
Une Faculté
fer de lance du nazisme
La « politique de population » était depuis longtemps au nombre des préoccupations d’une partie des médecins de Kiel.
En particulier l’idée de stériliser les individus considérés comme « inférieurs » était
dans l’air, et une discussion de l’Union
des médecins de la ville avait abouti le
10 ­février 1934 au vœu que leur « stérilisa­
tion obligatoire » devienne la règle. C’était
bien dans la ligne, un peu en avance sur la
Loi pour la prévention de maladies héréditaires, qui sera publiée le 14 juillet, définissant les syndrômes en cause, surtout
neurologiques. À Kiel, on compta les premières années plusieurs centaines de cas
par an, homme et femmes plus ou moins
en nombre égal.
Le titulaire de la chaire de neurologie de
Kiel était depuis 1926 Georg Sterz, spécialiste reconnu, qui avait été assistant à
Breslau du célèbre Alzheimer (dont il avait
d’ailleurs épousé la fille). Sterz était opposé à la stérilisation prévue par la nouvelle
loi, et ses collaborateurs et lui parvinrent
souvent à en protéger des patients, ce qui le
fit mal voir des autorités nazies. Sous prétexte de sa parenté avec Alzheimer, dont
la femme était juive, on le mit prématurément à la retraite en 1937. Son successeur, brillant médecin, n’était pas inscrit
au parti nazi, mais d’accord avec lui sur
bien des points et prêt à des concessions.
Il s’agissait de Hans Gerhard Creutzfeldt
(qui a donné son nom à la maladie de
Creutzfeldt-Jakob, apparentée à celle de
la « vache folle »).
La nomination de Löhr comme doyen
avait reposé sur ses convictions nazies,
rassurant les autorités sur l’orthodoxie
des choix de nouveaux enseignants. En
moins de cinq ans, et surtout sous son
impulsion tatillonne, une Faculté traditionnellement réactionnaire se transforma
en fer de lance du nazisme universitaire.
Un nouveau recteur de l’Université, Paul
Ritterbusch, fervent nazi et ami de Löhr,
nommé en 1937, renforça l’implantation
nazie pour les années à venir. L’orientation
était dès lors solide. Comme l’avait ­affirmé
en 1934 le ministre bavarois des Cultes,
Hans Schemm, « dorénavant il ne s’agit plus
de savoir si une donnée est exacte, mais si
elle va dans le sens de la Révolution na­
tional-socialiste ». Bien entendu tous les
enseignants n’acceptaient pas cette façon
de voir, mais en pratique, quelques exceptions mises à part, tous courbèrent l’échine.
Une exception est Albert Wilhelm Fischer,
chirurgien venant de Berlin, « docile »
en principe, mais qui lors du pogrome
de novembre 1938 soigna efficacement
deux victimes juives de brutalités des SS,
et qui traîna longtemps les suites de son
intervention.
Il faut d’abord évoquer un autre évènement « médical » lancé en même temps que
la guerre, le déclenchement de la campagne
de soi-disant « euthanasie », visant à éliminer toute une catégorie de la population,
malades mentaux, invalides congénitaux,
handicapés graves considérés comme inguérissables. Nous avons déjà à plusieurs
reprises évoqué cette « Action T4 », stoppée en apparence en 1941, mais prolongée entre autres par l’« Action 14f13 » dans
les KZ. Un certain nombre des médecins
de Kiel y jouèrent leur rôle, en particulier
les membres de la clinique neurologique.
Creuzfeldt, déjà mentionné, bien qu’il ait
par la suite soutenu avoir été opposé à ces
meurtres, semble bien y avoir contribué au
moins en partie.
Dans tous les domaines
de la médecine de guerre
À partir du printemps 1941, les Alliés
commencèrent à bombarder régulièrement
la ville (60 alertes en 1940, 120 en 1941)
avec d’importantes destructions (4). Le pays
commençait à sérieusement manquer de médecins, auxquels on tenta
de suppléer avec l’aide de
« médecins auxiliaires »
(Hilfsärzte), infirmiers ou
étudiants, très souvent
des femmes. Surtout les
chercheurs de l’Institut de
pharmacologie, Behrens,
et ses assistants Malorny
et Orzechowski, travaillèrent dans tous les domaines de la médecine
de guerre : gaz de combat
et toxicologie militaire,
a la faculté de médecine de kiel comme dans d’autres
­problèmes spécifiques des
universités, on s’intéressait de près à la « pureté »
de la « race aryenne ». ci-dessus, une affiche dénonce sous-marins : lutte contre
l’oxyde de carbone (aussi
« la honte raciale » que sont les couples mixtes.
ci-dessous : les yeux de ces enfants illustrent une
pour les véhicules à gazoétude « scientifique » publiée en 1937 dont l’auteur
gène), les vapeurs de carconclut sans surprise à la dégénérescence de ces
burants, l’aération dans
enfants, nés de mère allemande et de père noir,
tous les engins en plonarabe ou indochinois, soldats de l’armée française
gée, maintien de l’éveil,
qui occupa la rhénanie dans les années vingt.
mal de mer, lutte contre le
froid. De repli en repli, les
équipes de toxico-pharmacologie finirent par se
voir transférer en France,
à Carnac en Bretagne
du sud, jusqu’au débarquement de juin 1944.
D’autres recher­ches, en
particulier des doctorants
d’Orzechowski, portèrent
sur des produits amphétaminiques très puissants.
D’autres recherches à
Kiel portèrent sur des
Les besoins des futures forces armées étaient problèmes de méde­cine de l’aviation, sur
cruciaux pour Hitler. Kiel, en tant que port un appa­reillage de détection par haute-­
de guerre se devait de prévoir l’évolution de fréquence de projectiles dans l’orga­nisme,
la Marine. En ce qui concerne la Faculté de ou encore sur la méthode de réparation de
médecine de Kiel, il est clair que les choix fractures des os longs par broche intraméd’enseignants et surtout enseignants-cher- dullaire. Certaines thèses de doctorat en
cheurs ont été orientés dès les premiers mois médecine de l’époque ont contribué aux
du régime nazi. Cette orientation s’affirma progrès de la médecine de guerre.
On peut encore citer le cas de Hans Netter,
bien entendu au fil des années, dès la création (3) et le développement de la Wehrmacht. un chercheur reconnu dans le domaine phyOn va en reparler au sujet de l’évolution de sico-chimique, qui avait mené des ­recherches
la Faculté de Kiel avec le début de la guerre. remarquables sur le transfert de substances à
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travers la membrane cellu­laire, les échanges
d’ions dans les c­ ellules musculaires, les nerfs
et les globules rouges. Toutes ces recherches
pouvaient avoir une importance très grande
en matière de médecine du travail comme
pour la médecine de guerre, et il allait de
soi que Netter devait avoir un rôle, par la
suite, dans les travaux de recherche en matière de médecine concernant les sous-marins. En particulier il fut appelé à donner
un avis lors des essais sur l’homme qui se
déroulèrent en 1944 au KZ de Dachau, durant lesquels une quarantaine de détenus
furent soumis à des expériences sur la résistance au froid (le cas de naufragés), et
sur la consommation exclusive d’eau salée
(pour des survivants), qui entraînèrent la
mort de plusieurs des « cobayes ». Netter
n’avait pas lui-même participé à ces essais,
mais juste porté un jugement sur la valeur
de deux méthodes concernant la modification de l’eau de mer comme boisson, jugeant l’une « inutilisable ».
Peut-on résumer la vie de cette Université,
de cette Faculté de Médecine au long des 12
ans de nazisme ? Empruntons un passage
de la conclusion de Karl Werner Ratschko :
« L’idéologie raciale nazie ne rencontra pas
seulement un acquiescement, mais un sou­
tien pratique. Il n’y eut pas de résistance
contre l’ “euthanasie” et l’ “holocauste” pra­
tiqués par les nazis. La guerre fut considérée
comme un devoir national, auquel étaient
subordonnées toutes les forces, ainsi que les
normes éthiques et le sentiment humani­
taire. Des évènements comme les massacres
de masse des campagnes de Pologne et des
Balkans ou à l’arrière du front de l’est furent
aussi bien acceptés que les essais sur l’homme
dans les KZ, l’exploitation des travailleurs
­forcés, l’existence des camps de concentra­
tion et de travail, de même que l’augmen­
tation constamment croissante du nombre
des exécutions capitales ».
On ne saurait mieux dire ! Mises à part les
conditions propres à l’Allemagne (aprèsguerre et crise de 1929), il vaut la peine de
réfléchir à la passivité et la lâcheté suscitées par l’arrivée au pouvoir des fascistes !
Jean-Luc Bellanger
1) Cliniques : Médicale, Chirurgicale,
Gynécologique, Pédiatrique, Ophtalmologique,
Dermatologique, ORL, Neurologique. Instituts :
Anatomie, Anthropologie, Physiologie, Chimie,
Pathologie, Pharmacologie, Hygiène, Médecine
légale.
2) En mai 1934, un tel « surveillant » nazi avait
été nommé pour chaque Faculté de médecine.
3) Le service militaire obligatoire avait été
­rétabli en mars 1935.
4) Les nuits des 7 et 9 avril 1941, le quartier
de Kiel de Gaarden subit des bombardements
intenses (15 000 bombes incendiaires et 1 000
bombes explosives), ce qui fit employer par Löhr
­l ’expression cynique de « fortement coventrysé ».
Karl-Werner Ratschko, Kieler Hoch­schul­
mediziner in der Zeit des Nationalsozialismus :
Die Medizinische Fakultät der ChristianAlbrechts-Universität im « Dritten Reich »
(Enseignants en médecine de l’Université de
Kiel sous le nazisme, La Faculté de médecine
de l’Université Christian-Albrechts sous le
« Troisième Reich »), Editions Klartext, 2014,
582 pages (non traduit).
n

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