Invitation à franchir les 24 colonnes

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Invitation à franchir les 24 colonnes
Invitation à franchir
les 24 colonnes
COUR D’APPEL DE LYON
En traversant la Saône pour rejoindre le quartier historique de Lyon, le regard du promeneur est à
nouveau saisi par l’imposante façade de l’un des plus remarquables témoignages de l’architecture
néo-classique en France.
Entièrement classé monument historique sur un site d’exception inscrit au Patrimoine mondial de
l’UNESCO, le palais de justice historique de Lyon méritait pareille entreprise.
Ancré sur les bords de la Saône, aux côtés de la cathédrale Saint-Jean et de la basilique de Fourvière,
le palais de justice historique de Lyon a toujours été l’objet d’un fort attachement de la part des
lyonnais qui l’appellent familièrement « Les 24 colonnes ». Il est loin le temps où ses premiers
détracteurs, heurtés par les choix architecturaux de Louis-Pierre Baltard, comparaient les colonnes
ornant sa façade à des filles publiques en attente de clients. L’édifice n’en est pas moins, de par
sa vocation régalienne mais aussi de par sa monumentalité revendiquée, un de ces lieux que le
promeneur ne franchit sans une certaine appréhension.
Sources :
« La justice à Lyon, d’un palais à l’autre »,
C. Cadiot, J.O. Viout, D. Bertin, C. Bodet – département du Rhône – avril 1995
« Visite artistique et symbolique du palais de justice historique de Lyon »,
C. Cadiot, président de chambre, 31 août 2005
« Expressions artistiques de la justice rassemblées au palais de justice de Lyon »
D. Roux, conseiller
« La restauration du palais de justice historique de Lyon »,
D. Eyraud, D. Repellin, D. Bertin, Y. Neyrolles – éditions EMCC – décembre 2012
Un lieu emblématique de la cité qui recèle un patrimoine caché sous les strates du temps qui, après
quatre années de restauration et de réhabilitation, se révèle dans son éclat originel.
Puisse la présente invitation être l’occasion d’apprécier le travail de celles et ceux qui, tous corps
de métiers confondus, ont contribué à la pleine réussite du chantier. L’occasion aussi de mettre en
valeur le rôle de celles et ceux qui se consacrent à la restauration des monuments historiques, de
leurs décors et de leur mobilier. L’ occasion plus généralement d’apprécier le travail de celles et ceux
qui oeuvrent pour que le patrimoine demeure, à l’instar de la justice, un bien commun.
Jacques BEAUME
Procureur général
près la cour d’appel de Lyon
Jean TROTEL
Premier président
de la cour d’appel de Lyon
Rédaction : Jean-Michel Etcheverry, secrétaire général première présidence cour d’appel de Lyon
Photographies : Yves Neyrolles, photographe
Conception : Brigitte Bertrand, imprimerie cour d’appel de Lyon
Janvier 2013
Le présent document consiste pour l’essentiel en la mise à jour d’un précédent document de présentation réalisé en 2005 par
Christian Cadiot, conseiller à la Cour de cassation.
La façade
Ornée de 24 colonnes corinthiennes de près
de douze mètres de hauteur, la façade marque
par sa sobriété. Dépourvue du traditionnel
fronton triangulaire, elle n’offre aucune frise
et seules 24 têtes de lions, une par colonne,
se détachent du larmier. Baltard avait
imaginé de décorer l’entablement d’une frise
de lions ailés exécutés en bronze mais son
idée se heurta notamment à l’opposition des
magistrats de l’époque.
Le nombre de 24 voulu par Baltard est à rapprocher de celui des heures de la journée de sorte que
la façade, située à l’est d’où l’atteignent les premiers rayons du soleil, emprisonne ainsi le jour qui
s’écoule alors, symboliquement, au rythme de la colonnade en suivant le cours de la Saône.
Les fûts cannelés des colonnes et l’entablement ont été réalisés en pierre de Villebois alors que, pour
assurer une bichromie, les chapiteaux et les caissons du plafond du péristyle ont été exécutés en
pierre jaune de Cruas et de Rocheret.
Un escalier monumental conduit à l’entrée principale de l’édifice. Celui-ci a fait l’objet, entre le 3
avril 2006 et le 20 mars 2007, d’un premier chantier tendant à sa mise en sécurité tant son état de
dégradation présentait un risque important de chute pour les usagers et mettait en péril la pérennité
même de cette partie du bâtiment. Après un important travail de diagnostic afin de rechercher
les causes des désordres, les voûtes supportant les marches ont été réparées et restituées selon les
techniques pratiquées à l’époque de la construction de l’escalier. Les pierres dont l’état le permettait
ont été réutilisées alors que de nouvelles marches ont été taillées dans la pierre de Villebois identique
à celle d’origine, extraite dans une carrière de l’Ain.
Edifié entre 1835 et 1847 sous le règne de Louis Philippe (la première pierre fut posée le 28 juillet
1835 dans le cadre de la célébration du cinquième anniversaire des Journées de juillet 1830), sur
les lieux mêmes où était rendue la justice à Lyon depuis le Xème siècle, d’abord dans une maison
forte puis dans un bâtiment appelé « Palais de Roanne » en souvenir de ses anciens propriétaires,
les comtes de Forez, le palais de justice de Lyon est avant tout l’œuvre d’un homme, LouisPierre Baltard, qui, au sommet de son art, a conçu son projet depuis la villa Médicis où, Grand
prix de Rome, il séjournait et a pu, durant plusieurs années, s’inspirer des monuments antiques
qui l’entouraient. Une œuvre totale entièrement dessinée par Baltard (nombre de croquis ont été
retrouvés) jusque dans le mobilier et les plus petits détails de son ornementation. Décédé en 1846, à
l’âge de 82 ans, ce dernier ne put assister à l’inauguration de son œuvre.
De part et d’autre de l’escalier, se trouvent deux guérites de garde qui étaient destinées à recevoir
des statues qui ne furent jamais réalisées faute de deniers publics. Deux lions en bronze, conçus sur
le modèle de ceux de la villa Médicis à Rome où Baltard avait puisé son inspiration, y seront posés
dans quelques mois.
Au sommet de l’escalier, se trouve une galerie au plafond caissonné en pierre richement orné de
motifs floraux sculptés.
Au droit de chaque intervalle entre deux colonnes, des fenêtres au nombre de neuf ouvrent sur la
galerie. Sur les trumeaux entre chaque fenêtre, l’architecte a fait figurer en bas relief des faisceaux de
licteurs romains avec leur hache, symbole de la justice et de la force, surmontée d’une tête de lion,
d’aigle ou de chien représentant respectivement la force, la vigilance et la garde.
Enfin deux dernières colonnes, de plus petite taille, soutiennent le portail de la salle des pas perdus.
Baltard avait prévu de réaliser lui-même le bas-relief surmontant la porte d’entrée de la salle des pas
perdus et avait commencé en personne son exécution mais son projet fut très critiqué et un autre
sculpteur très en vue, Jean-François Legendre-Héral, fut invité à prendre la relève.
La salle des pas perdus
D’une superficie de 625 m2, la salle des
pas perdus était à l’origine ouverte sur
l’extérieur mais, très rapidement après sa
livraison, on décida de la clore par une
verrière et une porte à tambour qu’un
sas d’entrée vitré vient de remplacer
avantageusement. Deux verrières latérales,
situées au nord et au sud, assurent son
éclairage naturel.
Conçue comme une nef surmontée de trois coupoles circulaires d’une élévation de près de 17 mètres,
la salle des pas perdus a été créée par Baltard sur le modèle des temples de l’Antiquité. Chaque
coupole, ornée en son centre d’un motif floral, repose par l’intermédiaire de pendentifs joignant
quatre arcs de plein cintre sur quatre puissantes colonnes en marbre de Crussol à chapiteaux
corinthiens en pierre de Cruas de 8 mètres de hauteur. Sur chaque pendentif, au nombre de douze,
figurent, dans le désordre, les signes du zodiaque représentés dans leur figuration traditionnelle.
D’autres symboles, parfois énigmatiques, en rapport avec les saisons complètent la composition.
Enfin, chaque coupole porte à sa base une frise représentant à la fois des cornes d’abondance et les
vagues de la mer, selon qu’elle est observée en relief ou en creux.
Le coût particulièrement onéreux de l’ensemble entrava la poursuite de la réalisation de la salle,
d’autant que d’importantes infiltrations d’eaux endommagèrent par deux fois les stucs polychromes
(vert, rouge et or) que Baltard avait prévus pour orner
la partie inférieure des murs latéraux. Ceux-ci furent
remplacés progressivement par des soieries avec des motifs
de style Empire.
Dans le but d’améliorer l’acoustique jusqu’alors très
médiocre de la salle, l’opération de réhabilitation a permis
de retirer les tissus sur papier d’un ton rose dont les murs
avaient été recouverts dans les années 1960, de coller sur
ces derniers un revêtement en mousse acoustique et de
tendre, pour parachever le décor, des panneaux de soie de
couleur grise à grands feuillages s’intégrant parfaitement
aux marbres de Crussol des corniches et des colonnes. De
même, afin d’améliorer le confort de cette salle, le dallage
du sol constitué d’une marqueterie de pierres grises et
noires a été entièrement déposé et une dalle chauffante a été
réalisée sur toute sa superficie.
« La ville de Lyon accueillant les Beaux-Arts, le Commerce, l’Industrie et l’Agriculture », exécuté
en 1846-1847 (42 blocs de pierre de Seyssel, 9 mètres de long, 4,50 mètres de hauteur) : la ville de
Lyon y est symbolisée, au centre, par une femme couronnée, le visage tourné vers les Arts, un lion
endormi à ses pieds. Au premier plan : le Rhône et la Saône dans leur représentation traditionnelle
d’un homme et d’une femme allongés. Sur la gauche : l’architecte portant un plan coloré de rouge
qui n’est autre que le plan du palais de justice de Lyon !
Son décès survenu en 1851 empêcha Legendre-Héral de réaliser le second bas-relief situé à l’autre
extrémité de la salle, au dessus de la porte d’entrée de la cour d’assises. Alors qu’il avait été imaginé
dans un premier temps d’y apposer un cadran d’horloge, ce ne fut qu’en 1859 que l’architecte
du palais eut recours à un autre sculpteur réputé, Guillaume Bonnet, pour réaliser l’œuvre
actuellement en place. Exécutée entre 1860 et 1862, la Justice y est figurée par une femme assise
tenant le sceptre et les tables de la loi. A sa gauche, les criminels à la tête courbée. A sa droite, les
victimes dont une femme portant un enfant et un vieillard tandis qu’un père enseigne à son fils
encore innocent les principes de la morale.
Deux statues de bronze fondues au début du second Empire, adossées aux murs latéraux après 1960,
représentent au nord la Loi, figurée par la déesse Thémis (oeuvre de Jean-Baptiste Klagmann), au
sud la Force sous les traits du dieu Mars (œuvre de Georges Diebolt).
Orientée selon un axe est-ouest, la salle donne accès à six salles d’audience disposées de part et
d’autre (au sud : salles Domat, Montesquieu et Pothier, au nord : salles Lamoignon, D’Aguesseau et
Cujas) ainsi qu’à son extrémité ouest à la salle des assises.
Les trois salles situées au sud étaient celles de la cour royale puis de la cour d’appel alors que celles
situées au nord étaient réservées au tribunal civil puis au tribunal de grande instance avant que ce
dernier rejoigne en 1995 le Nouveau Palais de Justice édifié à la Part-Dieu.
Ces salles étaient désignées par de simples lettres de l’alphabet (A à F) jusqu’à ce que, dans
le prolongement de leur restauration, les chefs de cour décident de leur attribuer les noms de
personnalités ayant porté au plus haut niveau les valeurs du droit et de la justice (lire « Aux grands
hommes, la Justice reconnaissante »).
L’entrée de la salle d’Aguesseau (anciennement première chambre du tribunal civil) est ornée de bas
reliefs de type mésopotamien à tête de lions (ou de chiens selon l’interprétation qui peut en être
faite) surveillant une vasque figurant Hermes (arts, commerce et industrie) alors que les griffons
ornant l’entrée de la salle Montesquieu (anciennement première chambre de la cour d’appel) ont
reçu des têtes d’aigles surveillant une urne portée par des lions : probablement un avertissement aux
magistrats du tribunal de Lyon pour leur rappeler qu’ils exercent sous le regard de la cour.
La salle des assises
Accessible par un escalier de 13 marches
en marbre de Crussol, encadré de part et
d’autre de deux anciens réverbères à gaz
(ils avaient disparu dans les années 1960 et
ont pu être remis en place à l’occasion de
l’opération de rénovation), la cour d’assises
n’a pu être achevée pour des raisons
financières et par suite de désaccords
entre l’architecte et les autorités locales.
Initialement, Baltard avait prévu de la
couvrir de deux coupoles mais il y renonça à la demande des magistrats et opta, afin de privilégier
l’acoustique de la salle, pour un plafond plat, resté sans décor malgré les esquisses qu’il avait pu en
faire. Seul le compartimentage du plafond, destiné à l’origine à recevoir trois toiles peintes, a été
réalisé de façon luxueuse, entièrement en noyer, sculpté et rehaussé d’or.
Pour autant, la salle marque par la profusion et la richesse de ses décorations. Elle est aussi la plus
grande des salles d’audience du palais (200 m2 de surface et 12,50 m de hauteur).
Une impressionnante double porte en noyer sculptée, de 5 mètres de hauteur, délimite l’entrée de
la salle. En haut de chaque ventail, l’œil de Caïn, symbole biblique de la réprobation des criminels.
Au milieu, trois faisceaux de licteurs, similaires à ceux des trumeaux de la façade, avec leur hache
surmontée de la tête d’un chien, d’un aigle puis d’un lion représentant la garde, la vigilance et la
force. En bas, une tête de lion.
A l’intérieur, les boiseries sont en noyer et en thuya. Les trois portes latérales, encadrées par des
pilastres corinthiens, sont surmontées d’une guirlande de feuilles de chêne et de fleurs. Les marbres
jaspés rouge, vert et ivoire sont véritables pour certains, peints pour d’autres. Les bancs des accusés
comme des parties civiles sont ornés de trèfles à quatre feuilles.
A l’arrière des sièges des magistrats, une alcôve entourée d’une arcade en marbre dont se détachait
autrefois un Christ en croix peint vers 1843 par Claude Bonnefond, visible sur les croquis
d’audience du procès en 1894 de l’anarchiste Santo Caesario, assassin du Président Sadi Carnot
(la toile se trouve à présent dans la chapelle de l’hôpital du Vinatier). Dans l’alcôve, des médaillons
dont se détache notamment un lion tenant un glaive entre ses pattes avant.
Le mobilier a été entièrement restauré mais, compte tenu du nombre plus important à l’époque
actuelle de jurés appelés à siéger, il n’a pas été possible de remettre en place tous les fauteuils
d’origine devenus trop encombrants. Seuls les sièges des magistrats professionnels et du greffier sont
anciens alors que les sièges réservés aux jurés sont contemporains.
La salle Montesquieu
Anciennement salle de la première chambre
de la cour d’appel, la salle Montesquieu est
particulièrement majestueuse. Le plafond
en caissons, d’une hauteur de 10 mètres,
particulièrement ouvragé et doré à la
feuille, est rehaussé de lambris en noyer
vernis au tampon donnant au bois l’aspect
du cuir.
D’une superficie de 155 m2, la salle est
éclairée par six verrières (trois de part et d’autre) encadrées chacune par deux médaillons en pierre
comportant les effigies, telles des figures tutélaires veillant sur les magistrats de la cour, d’illustres
juristes dont les noms ont été gravés.
Sur le mur ouest : De Lamoignon, D’Aguesseau, Montesquieu, Pothier, Dumoulin et Cochin.
Sur le mur est : Mathieu Molé (garde des Sceaux et président du parlement de Paris au 17ème siècle,
dont il est possible de penser que Baltard a placé l’effigie à la droite même des juges afin de plaire
à Louis-Mathieu Molé, l’un de ses descendants, alors Premier ministre de Louis-Philippe), De
L’Hopital, Cujas, Domat, Gerbier et Portalis.
Dans le prolongement de la rénovation du bâtiment, leurs noms ont été attribués à des salles
d’audience, galeries ou chambres du conseil du palais.
Comme dans chacune des salles d’audience, une tribune destinée à l’origine à permettre aux
invités des magistrats d’assister aux audiences à l’écart des justiciables, s’avance au-dessus de
la porte d’entrée. Similaire à une loge de théâtre, dotée d’un garde-corps en bronze doré, elle
permet d’accueillir une vingtaine de personnes mais elle n’est plus accessible au public en raison
de l’exiguïté de l’escalier qui la dessert. Dans chaque salle, la tribune a permis de dissimuler les
conduits d’amenée d’air nécessaires à la climatisation.
Le décor, tout entier en noyer, hormis les pilastres de marbre de carrare intercalés entre les panneaux
de lambris, impressionne par sa majesté. Chaque panneau lambrissé est formé de trois parties : au
centre un trophée ou un écusson rehaussé d’une frise d’où se détachent des têtes de lion alors que
sous et au-dessus du panneau central a été sculptée la fleur de Baltard.
Les écussons représentent à l’est la Bresse, à l’ouest le Forez et au sud, derrière les magistrats, le
Lyonnais, marquant ainsi le ressort de la cour d’appel. Chaque emblème est cerclé d’une couronne
de feuillage dont la branche droite est formée d’un rameau de chêne, symbole de la justice, et la
branche gauche d’un rameau d’olivier, symbole de la sagesse. Les trophées ont reçu une couronne
identique mais sous laquelle sont entrecroisés le sceptre et la main de justice du roi de France. Enfin
chaque écusson ou trophée est surmonté d’une étoile à cinq branches, symbole de la perfection selon
Pythagore.
Le bureau à pilastre du procureur général, en noyer, reprend le motif du trophée : la main de justice
évoquant la sagesse et le sceptre du roi représentant la force exécutoire que le roi délègue à ses
procureurs. Le bureau du premier président comporte un livre de loi encerclé d’une couronne de
feuillage de chêne et d’olivier et encadré de la main de justice et d’un glaive rappelant qu’il doit
trancher les litiges, le tout surmonté d’une étoile.
A l’inverse des autres sièges qui sont en noyer, les fauteuils du premier président et du procureur
général sont en acajou et leur dossier est entouré d’un rameau d’olivier. Pour marquer encore la
prééminence de ceux qui y siègent, leurs fauteuils sont confortés par des têtes de lion en bout
d’accoudoir et un piètement en forme de pattes de lion. Sur chaque pupitre, des lampes « Art
Nouveau » à piètement en bronze et coupole d’opaline blanche qui, comme l’ensemble du mobilier,
ont été restaurées.
La loi est doublement représentée : au niveau du sol, sur le bureau du premier président, par le livre
évoqué ci-dessus comportant la mention LEX, et au niveau des verrières, surplombant le premier
président, sous la forme sculptée de deux tables accolées du décalogue de Moïse comportant la
mention LA LOI.
A l’inverse de la salle de la première chambre du tribunal civil (désormais salle D’Aguesseau,
lire ci-après) qui impressionne par son faste, la salle de la première chambre de la cour d’appel
apparaît plus sévère notamment dans son mobilier moins ouvragé. C’est à la demande même des
magistrats de la cour royale qui, reprochant à Baltard sa fantaisie et ses goûts luxueux, réclamèrent
officiellement davantage de sévérité et de convenance.
Les salles Domat et Pothier
Attenantes à la salle Montesquieu, les salles
Domat et Pothier, anciennement deuxième
et quatrième chambres de la cour d’appel,
sont de dimensions plus modestes (100
m2 de surface et 8 m de hauteur) mais
présentent des lambris en noyer d’aussi
bonne facture, surmontés, sur les faces
latérales, d’un décor de fausses pierres.
Deux toiles du 17ème siècle attribuées
au peintre lyonnais Thomas Blanchet qui ornaient l’ancien palais de Roanne, ont été intégrées en
1854 au plafond de chacune des salles. Elles faisaient partie d’un triptyque dont l’élément central
représentant « Le châtiment des vices » se trouve à présent au musée des beaux arts de Lyon.
Salle Domat : « Le triomphe éternel de la vérité ». Réalisée en 1687, la toile présente la vérité sous
les traits d’une femme coiffée d’une couronne de lauriers. A ses pieds, une autre femme tenant une
main de justice représente l’autorité alors qu’un homme armé d’une pique représente l’acte vertueux
et qu’une figure ailée dont le coeur s’orne d’un soleil représente la vertu. Ainsi, la vérité triomphe
éternellement grâce à l’autorité servie par la vertu et l’acte vertueux.
Salle Pothier : « La séparation du juste et de l’injuste ». Réalisée à la même époque, la toile
représente la distinction du juste et du faux. La justice y a les traits d’une femme tenant un tamis.
Son action est soutenue par le temps (vieillard ailé muni d’une faux et d’un sablier), la prudence
(une femme tenant dans sa main droite un miroir et dans sa main gauche un serpent) et le conseil
(un second vieillard). Ainsi, la justice sépare le juste de l’injuste ou le vrai du faux avec l’appui du
temps, de la prudence et du conseil.
L’une et l’autre ont été restaurées en atelier avant d’être remises en place.
La salle d’Aguesseau
Anciennement salle d’audience de la
première chambre du tribunal civil,
réalisée par Baltard en début de chantier
alors qu’il n’était pas encore confronté aux
contraintes budgétaires, elle est celle qui
offre au regard la décoration la plus variée.
Tant au niveau du plafond à caissons
sculptés que sur les murs et sur le sol,
l’architecte a alterné des boiseries sombres
et claires par l’utilisation de différentes essences (chêne clair, chêne foncé, érable moucheté). Des
colonnes corinthiennes en marbre supportent la salle alors que des panneaux de soieries couvrent
les murs latéraux. Le mur par devant lequel siègent les magistrats est entièrement lambrissé alors
qu’à l’opposé le mur au fond de la salle côté public est couvert de faux marbre d’une qualité
exceptionnelle. Au centre de chaque caisson du plafond, un couronne de chêne dorée à la feuille
comportant des glands à grandeur réelle et comportant les creux de véritables glands : un détail qui
force d’autant plus l’admiration qu’il n’est pas visible depuis le sol de la salle.
A l’entrée de la salle, le sol où stationne le public debout est constitué, de même que dans chaque
salle, d’une alternance de carreaux de marbre de deux couleurs différentes à la manière des auditoires
de justice du Moyen Age où le « carreau » regroupait les personnes étrangères à la cause tandis que
les parties accédaient au « parc » ou « parquet ». Les premiers bancs sont d’ailleurs disposés sur un
parquet de bois et le parquet d’origine en marqueterie est encore en place au niveau du prétoire.
L’estrade et les bureaux d’audience, en noyer, présentent plusieurs symboles. Devant le président,
une balance particulièrement ouvragée dont l’axe, entouré
du caducée d’Hermès, jaillit d’une tête de lion d’où sortent
latéralement deux cornes d’abondance. Ainsi, l’équité de
la justice lyonnaise assure la prospérité générale. Quant au
procureur, des griffons à bec d’aigle veillant sur un flambeau
sont là pour lui rappeler qu’il doit veiller à l’exécution des lois
et des décisions de justice.
Uniques par leur forme dans le mobilier du palais, les fauteuils
du président et du procureur, tout en noyer façon acajou,
présentent un impressionnant piètement constitué de quatre
pattes de lion dont les deux avant remontent pour devenir des
montants à la forme du torse de l’animal dont la tête reçoit, de
part et d’autre, l’extrémité d’un accoudoir en forme de corne
d’abondance. Le dossier, de velours mohair pourpre, a été réalisé
en forme de médaillon sur le modèle du trône de Louis-Philippe.
Les salles Lamoignon et Cujas
Les escaliers d’honneur
Plus sobres et de taille plus modeste
(superficie de 100 m2, hauteur de 8 m)
que l’ancienne salle d’audience de la
première chambre du tribunal civil qu’elles
jouxtent, les salles Lamoignon et Cujas,
anciennement deuxième et troisième
chambres du tribunal, ont conservé
leurs faux marbres d’origine sur lesquels
apparaissent entre autres symboles des
cornes d’abondance.
Elles marquent par leurs panneaux de
soierie tendue, de couleur verte dans
la salle Lamoignon, rouge dans la salle
Cujas, incorporés à des boiseries en noyer.
Avant la restauration des salles, sous les
tribunes, de part et d’autre de l’entrée, se
trouvait un décor de faux marbre vert
foncé probablement réalisé dans les années
1970. Sous celui-ci, ont été retrouvés les
faux marbres d’origine, de bien meilleure
qualité, verts dans la salle Lamoignon,
rouges dans la salle Cujas. D’où la couleur
des soieries choisies pour chaque salle.
Deux escaliers permettant d’accéder aux deux premiers étages
des ailes nord et sud du palais marquent par leur monumentalité
et la taille considérable des pierres de Villebois utilisées pour leur
construction. Ainsi, une volée de 2 mètres de largeur, comportant
14 marches, deux limons et une sous-face entièrement sculptée,
est-elle constituée d’une seule pierre. Deux colonnes monolithes,
de marbre de Crussol ou de pierre de Villebois selon les escaliers,
soutiennent les paliers d’étage. Deux tableaux aux dimensions
impressionnantes ajoutent à la majesté des lieux : l’un de Ranvier
représentant « Promethée délivré » (escalier d’honneur Josserand),
l’autre de Joanny Chatigny représentant les célébrités lyonnaises
de tous âges regroupées en 1873 sur la place Bellecour (escalier d’honneur Garaud). Les plafonds
en plâtre ont été peints, l’un en harmonie avec la pierre de Villebois (escalier d’honneur Garaud),
l’autre en faux bois orné des blasons des trois départements du ressort de la cour d’appel (escalier
d’honneur Josserand). De part et d’autre, un ascenseur a pu être incorporé au décor existant.
Les galeries et bureaux de prestige
Dans le prolongement des escaliers d’honneur, six galeries que
Baltard avait imaginées ouvertes sur l’extérieur permettent la
distribution des bureaux des ailes nord et sud. Les dalles du sol sont
en pierre épaisse dont la sous-face sculptée constitue le décor du
plafond inférieur. La rénovation des lieux a permis de dissimuler les
réseaux électriques qui jusque là nuisaient au décor que plusieurs
tableaux de Crétey et Chabry sont venus compléter. Mais la plus
majestueuse des galeries du palais est assurément celle située sous
le péristyle que la restauration qui vient de s’achever a permis de
redécouvrir. Dotée de part et d’autre de pilastres réguliers en
pierre, d’un plafond à caissons et d’un sol en pierre de taille, son éclairage naturel est assuré par
de véritables puits de lumière au moyen de dalles de verre incorporées au sol même de la galerie
supérieure. Au centre un vestibule vitré s’ouvre sous les voûtes de la salle des pas perdus et permet
d’accéder aux cours intérieures du palais ainsi qu’aux nouvelles salles d’audience du rez-de-chaussée.
Bordée notamment par les locaux d’accueil et d’information du public, elle constitue le nouveau
hall d’entrée dans la cour et porte désormais le nom de Louis-Pierre Baltard.
Constitué de près de 600 pièces entièrement restaurées, le mobilier dessiné pour partie par Baltard
lui-même a repris place dans les salles d’audience, salles de réunion, bibliothèque et bureaux de
prestige. Parmi ces derniers les bureaux du premier président et du procureur général ainsi que la
bibliothèque historique qui abrite encore partie du fonds d’ouvrages anciens de la cour (plus de 2
000 volumes, essentiellement des 18ème et 19ème siècles, dont le plus ancien date de 1539).
Des lieux chargés d’histoire
Les 24 colonnes, et avant elles, le palais de Roanne ont été le théâtre de procès majeurs de
l’histoire de France :
- dès le 12 septembre 1642, Cinq Mars et son compagnon du Thou y furent condamnés à mort
par une juridiction d’exception spécialement constituée par Richelieu pour avoir, à ses yeux,
entraîné dans une conjuration contre la couronne, le frère du Roi, Gaston d’Orléans
- le 2 août 1884, l’anarchiste italien Santo Caserio y fut jugé pour avoir assassiné à Lyon, le 24
juin de la même année, le président de la République Sadi Carnot. Condamné à mort, il fut
guillotiné dès le 16 août 1884
- le 9 janvier 1943, le général Jean de Lattre de Tassigny y fut poursuivi du chef de trahison pour
avoir refusé d’obéir à l’ordre reçu de Vichy de ne pas intervenir devant la progression des armées
allemandes
- le 24 janvier 1945, Charles Maurras y fut jugé et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité
pour intelligence avec une puissance ennemie
- du 11 mai au 4 juillet 1987, Klaus Barbie y fut jugé pour crime contre l’humanité.
Quatre années de chantier : des chiffres et des hommes
Une entreprise menée conjointement par l’Etat et le département du Rhône qui a assuré la maîtrise
d’ouvrage
Une maîtrise d’œuvre confiée en 2005 à une équipe composée notamment du cabinet Metropolis
Architectes associés (Denis Eyraud), du cabinet Didier Repellin, architecte en chef des monuments
historiques, et de Gaël Robin, architecte du patrimoine
Un bâtiment de 11 391 m2 sur cinq niveaux
Une opération de près de 60 millions d’euros
Plus de 550 000 heures de travail
Près de 350 professionnels issus de tous les corps de métiers
Plus de 500 pièces de mobilier historique restaurées
Une livraison intervenue le 15 mai 2012
Initiée en mai 2005, l’opération a été conduite dans le respect des délais et du budget impartis.