La Balade - Rageot Livre Attitude

Transcription

La Balade - Rageot Livre Attitude
La Balade
Je suis dans le noir, le rouge, le chaud. Je sens que l’on me poursuit, un regard braqué dans
le dos. Je me retourne mais ne vois rien, seulement l’abime. La température augmente,
l’Enfer s’enflamme. Soudain une voix sortie de nulle part lance : « Laure, je ne reviendrai
plus. Lucile non plus. » Ombe me dit cela d'un air triste, avant de s'en aller. Je la retiens:
« Ombe, dis-moi pourquoi ! » « Je ne peux pas, un jour tu comprendras. Nous ne reviendrons
pas chercher nos affaires. Adieu Laure. » Et là, elle se volatilisa. Je fondis en larmes.
Doucement, je me réveille de ce cauchemar. Je fais le même depuis la disparition de Lucile.
En tout cas, il est clair que je ne peux plus rester ici, pour vivre avec les fantômes et comme
un fantôme.
Par chance, une de mes valises est déjà prête: je suis rentrée de Provence avant-hier. En
entrant dans la salle de bains, les larmes me montent aux yeux. C'était dans cette pièce que
nous avions le plus en commun. Je rassemble mes nombreux produits et sors quand j'aperçois
la porte d'Ombe. Légèrement entrebâillée. Quelqu'un s'est introduit ici, et pas elle. Je sais que
je ne devrais pas mais je rentre. Tout a l'air normal, si ce n'est la fenêtre ouverte et le désordre
autour de son ordinateur. Je me sens mal à l'aise de me dire qu'on a pénétré chez nous mais,
de toute façon, je suis presque partie.
Mes valises à la main, je ne résiste pas et me retourne pour contempler une dernière fois la rue
Muad'Dib. Pourtant, il me faut aller de l’avant. Je m'apprête à continuer mon chemin
lorsqu'un blond me bourre dedans. Il se confond en excuses puis s'arrête devant mon visage
hilare.
-Je devrais plutôt vous offrir un verre. Ca vous dit ?
Je sais que ça ne servirait à rien mais j'accepte. En plus, il est plutôt mignon. Il m'entraine
dans un bar pas loin. Pour une fois, je préfère une bière à un coca. Il s'en amuse et me suit.
-Alors, tu t'appelles comment ?
-Jules. Et toi ?
-Laure, je lui réponds. Que faisais tu avant de me rentrer dedans ? Tu avais l'air très
concentré.
-Je suivais un type pour le compte d'une Association.
-C'est bizarre. Que fait-elle ?
-Elle intervient dans les guerres de clans. Et toi, tu avais l'air de partir ?
Il n'a pas envie d'en parler, il change de sujet. Je ne m'en offusque pas.
-Oui, mes amies et moi avons décidé de ne plus partager de colocation. Je rentre en Provence.
Je vois son sourire s'effacer. Il se dit surement qu'il n'a plus aucune chance de sortir avec moi.
-Tu pars quand ?
-Dans deux heures et demie.
-Alors nous avons encore le temps d'en profiter. Quand nous aurons fini de boire, je te
montrerai. Tu peux laisser tes valises chez moi si tu veux.
-Ok. Merci.
D'un trait, je vide ma chope. Il m'imite, étonné. Nous prenons nos affaires et sortons. Le vent
frais m'arrache un frisson. Jules, en bon gentleman, me réchauffe dans ses bras.
Je dépose mes valises dans son hall, à l'abri des regards. Il habite un petit immeuble du
19ème, sur la Butte aux cailles. Ensuite, il m'emmène à l'Ile aux Oiseaux. Nous nous
promenons lentement dans le bois, autour du lac. Il me raconte une légende urbaine:
-On dit qu'il existe de drôles de créatures dans ce bois. Des trolls deux fois plus grands que toi
et moi, velus, des gros molosses quoi. Les gens prétendent qu’ils mangent de tout, même des
humains. Heureusement pour nous, ils se planqueraient la journée mais il arrive qu'un
promeneur égaré déclare en avoir vu un. Avec moi en tout cas, tu ne crains rien.
Ca ne me rassure pourtant pas; je me serre un peu plus contre lui. Nous revenons vers la route,
lorsqu'il s'arrête sans raison.
Il me regarde tendrement et m'embrasse. D'abord délicatement, puis avec plus de fougue. Je
lui rends son baiser et nous restons enlacés un moment, sans penser à rien d'autre que nos
sentiments naissants. C’est si bon d’être dans ses bras, seuls, de nous caresser tant qu’on veut.
Jules me ramène jusqu'à son immeuble, où je récupère mes affaires. J'ouvre la bouche
lentement pour lui dire au revoir mais il pose un doigt sur mes lèvres. Il me dit qu'il n'est pas
encore temps, qu'il m'accompagne jusqu'au bout.
Nous nous mettons en route vers la gare, à pied, en métro et encore à pied. Il m’aide à tirer
mes valises, m’empêche de trébucher. Il ne me lâche pas d’une semelle, même sur le quai. Il
avise un banc libre où nous pourrons attendre mon train ensemble.
Nous discutons encore, il me questionne sur la Provence, sur mes amis, mes études. Je sens
qu’il voudrait connaître chaque parcelle de mon être. Il m’explique sa vie à lui, son petit
quotidien. Nous nous embrassons encore et encore, avec l’énergie du désespoir. Mais le
moment fatidique est là, le temps est écoulé. Il me faut partir maintenant. Nous nous
embrassons une dernière fois, longuement. Je monte dans le train sans un regard, je suis tentée
de redescendre. Mais non. Je m’installe à une fenêtre d’où je peux lui faire signe. Je continue
jusqu’à ce que je ne le voie plus, loin sur le quai.
La douleur est forte, ça me fait mal. Pour m’empêcher d’y penser, j’essaye de m’endormir. Je
suppose que j’y arrive puisque je me réveille en même temps que le soleil disparaît à
l’horizon. Je sors un livre de mon sac à main lorsqu’un petit papier en tombe. Je le ramasse et
y lis :
« Ne perds pas espoir. Je te retrouverai.
Je t’aime. Jules.
Ps : ça pourrait servir : 0417/2926 »
Il m’a laissé son numéro, bonne idée. Je me demande quand il a glissé le papier dans mon sac.
Peut-être quand je suis allée au toilettes. Tant pis. Je préfère lui envoyer un petit message :
« Merci pour tout. A bientôt alors.
Je t’aime. Laure. »
Maintenant, il a mon numéro aussi. Le trajet n’en sera que moins pénible de savoir que nous
pourrons nous revoir un jour. Néanmoins, une larme roule sur ma joue. Je la laisse glisser et
tourne mon regard vers la fenêtre. La lune règne au milieu du ciel et l’illumine. Les étoiles
brillent fort ce soir, et un petit nuage les cache de temps en temps. Celui-ci prend la forme
d’un dragon, comme s’il essayait de me dire quelque chose. Lui aussi finit par s’évaporer,
comme mes larmes pour Jules. Je ne peux effacer son souvenir car, même s’il est porteur de
chagrin, il me donne de l’espoir.
La vie mérite d’être vécue.
Toujours.

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