E. Roudinesco - "Indigne Psychologie de Bazar"

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E. Roudinesco - "Indigne Psychologie de Bazar"
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Indigne psychologie de bazar. Par Élisabeth Roudinesco,
Psychanalyste
06/10/12 19:51
Extranet des Psys
n° 06102012
SOCIÉTÉ
Par ÉLISABETH ROUDINESCO, Psychanalyste, liberation.fr le
04/10/2012
Face à un projet de loi destiné à permettre aux couples de même sexe de se marier
et d’élever des enfants, voilà que de nouveau des psychanalystes, pédopsychiatres
et autres cliniciens «experts» se livrent à leur sport favori : la chasse aux
homosexuels.
Partout dans les médias et maintenant dans le Figaro (daté du 3 octobre), ils
prédisent que, si cette loi est votée, il n’y aura plus de père, ni de mère, ni de
famille. Quant à nos enfants, éduqués dans le déni de la différence des sexes, ils
seront voués à la pédophilie et aux ravages d’une sexualité incestueuse. L’un de
ces «experts» va même jusqu’à vouloir nous convaincre que les enfants élevés par
des personnes du même sexe seraient comparables à des SDF : des «sans domicile
filiatif». Propos indigne !
Déjà, au moment du vote du Pacs, en novembre 1999, on avait eu droit à la même
déferlante. S’appuyant sur une psychologie de bazar, les mêmes affirmaient que
toute transformation du statut de la famille serait contraire au sacro-saint complexe
d’Œdipe, comme si la tragédie de Sophocle, remise à l’honneur par Freud à la fin
du XIXe siècle, pouvait servir à énoncer des jugements à l’emporte-pièce en lieu et
place d’une réflexion. Les psys qui s’expriment ainsi semblent oublier que, si un
concept ne convient plus à une situation, alors il faut le modifier. Et de même que
l’on ne dissout pas le peuple quand le peuple vote contre un gouvernement, de
même on ne dissout pas une réalité quand celle-ci nécessite d’être pensée selon un
nouvel ordre juridique.
On peut comprendre que des religieux ou des hommes politiques s’opposent à une
telle loi : les uns regardent le mariage comme une institution sacrée - une loi divine
-, les autres invoquent la tradition ou la nécessité en temps de crise économique de
ne pas diviser la communauté des citoyens. Mais des psychanalystes, des
thérapeutes, des psychiatres ? Comment osent-ils tenir de tels discours ? Comment
osent-ils aller à l’encontre de toutes les études sociologiques qui montrent que,
depuis des décennies, les enfants élevés par des couples homosexuels ne sont pas
très différents des autres enfants, et surtout que ce dont ils soufrent ce n’est pas de
l’homosexualité de leurs parents mais du regard que portent sur eux, à l’école ou
ailleurs, ceux qui cherchent à les stigmatiser. Mais il y a pire : comment ces
spécialistes de la petite enfance et de l’adolescence peuvent-ils prétendre traiter les
problèmes des familles en souffrance - qu’elles soient ou nom homoparentales - en
tenant de tels propos ? Un thérapeute n’a pas à proférer des injures, il n’a pas à
énoncer des diagnostics foudroyants qui n’ont d’ailleurs aucun fondement. Un
thérapeute est là pour écouter, apprendre, aider, voire interpréter un discours. Il n’a
pas à se prendre pour l’incarnation d’on ne sait quelle «loi du père» qui aurait été
bafouée par les transformations normales de la famille.
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06/10/12 19:51
Ce qui gêne ces nouveaux inquisiteurs, c’est que des homosexuels aient voulu se
normaliser et intégrer un ordre familial dont ils avaient été exclus pendant des
siècles. Ce qui les gêne, c’est d’avoir affaire aujourd’hui à des homosexuels qui ne
sont plus à leurs yeux les héritiers de Proust ou d’Oscar Wilde. Ce qui les gêne,
c’est que les homosexuels aient réussi à être des parents comme les autres, soit en
se conformant au modèle de la famille recomposée, soit en ayant recours à
l’adoption, à la procréation médicale assistée ou encore à la gestation pour autrui.
Ce qui les dérange, c’est la norme qu’ils prennent pour la déviance.
En récusant cette réalité et en déniant aux homosexuels des droits aussi
fondamentaux, ces «experts» en psychopathologie occupent, de fait, la place des
pervers un peu benêts de notre société. Ce sont eux qui imaginent des vices cachés
là où il n’y en a pas et ce sont eux qui auraient sérieusement besoin d’une bonne
cure freudienne pour se débarrasser de leurs terreurs. Ces procureurs sont
minoritaires dans leur profession et on se demande pourquoi les associations de
psychanalystes et autres pédopsychiatres et psychologues refusent de condamner
publiquement de tels propos. Elles comptent pourtant dans leurs rangs des
praticiens hostiles à toute homophobie, mais aussi des homosexuels vivant en
couple et élevant des enfants. Il serait temps pour la communauté psychiatropsychanalytique de se réveiller et de cesser, par son silence, d’apporter une caution
implicite à un discours qui déshonore leur discipline.
A publié sur le sujet : «la Famille en désordre», Le livre de poche, Biblio-essai
2010.
Indigne psychologie de bazar
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