Et si l`achat n`était pas une si bonne affaire?

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Et si l`achat n`était pas une si bonne affaire?
JEROME CHATIN/L’EXPANSION
ENQUÊTES IMMOBILIER
MYTHE. Le quartier Confluence, à Lyon. Dans cette ville, il faut en moyenne treize ans pour rentabiliser l’acquisition d’un bien.
Et si l’achat
n’était pas une si
bonne affaire?
Devenir propriétaire de son logement fait rêver beaucoup de Français. Un dogme souvent conforté par les
professionnels du secteur. En réalité, la location peut
souvent être une meilleure option. Démonstration.
72 | FÉVRIER 2016 | WWW.LEXPANSION.COM
«
J
E VIENS DE
mettre mon
logement en
vente, finies,
les réunions
houleuses de
co propriétaires »; « J’ai
vendu mon appartement, je
loue et je fais plein d’économies » ; « A tous les dinosaures qui pensent qu’il vaut
toujours mieux acheter pour
se constituer un patrimoine,
ouvrez les yeux, on a changé
d’époque ». Il suffit de sonder ses voisins de palier
et ses collègues pour s’en
convaincre : être propriétaire
n’est plus forcément le Graal
pour bon nombre de ménages. Un sondage réalisé par
Ipsos pour Nexity au début
de l’automne dernier le
confirme : 12 % seulement
des Français envisageaient
de passer à l’acte au cours des
douze prochains mois. Un
chiffre plutôt surprenant
dans un pays où la plupart
des ménages ont « une brique
dans le ventre » et où la location a longtemps été synonyme d’argent jeté par les
fenêtres. Alors, pourquoi,
depuis quelque temps, l’achat
ne fait-il plus recette ?
D’abord, parce que, pour
nombre de locataires, la
question ne se pose pas : « Je
n’ai pas les moyens de devenir propriétaire », tranche
Marie-Hélène. En effet, malgré la baisse des prix et des
taux d’emprunt historiquement bas, l’accès à la propriété n’est toujours pas à la
portée de toutes les bourses.
Des investissements
plombés par les frais
Une enquête du site Meilleursagents.com sur la part
des revenus mensuels consacrée au remboursement d’un
crédit immobilier ou au paiement d’un loyer le démontre. Dans 14 villes sur 30 analysées, en cas d’achat, cette
part dépassait le fameux seuil
des 33 %, au-delà duquel les
banques ne prêtent théoriquement plus. C’est le cas à
Nice, Bordeaux, Aix-en-Provence, Montpellier, Lyon,
Toulouse, Lille, Toulon,
Nantes, Villeurbanne, Marseille, Rennes et Strasbourg.
Et évidemment aussi à Paris,
où la mensualité pour l’achat
d’un appartement de 60 mètres carrés absorbe 79 % du
revenu médian d’un foyer
parisien standard ! A l’inverse, les locataires ne franchiraient la ligne rouge des
33 % que dans 7 villes sur 30.
Et encore, cette étude ne
tient compte que du prix
d’acquisition. Si on y ajoutait
les frais de notaire, les
charges de copropriété, la
taxe foncière, le déséquilibre
serait encore plus important.
Autant bien réfléchir avant
de signer une promesse de
vente. Car les coûts inhérents
– frais de notaires et éventuellement d’agence – pèseront forcément sur les finances pour un moment.
Mais combien de temps fautil conserver un bien pour que
ces frais soient absorbés ?
Cela dépend évidemment de
sa qualité et de sa situation.
D’après une simulation publiée en septembre dernier
par le courtier en crédits
Meilleurtaux.com et effectuée sur 37 villes françaises,
l’acquisition d’un 70-mètres
carrés serait rentabilisée
entre un et seize ans (voir
graphique page suivante).
Mais cette durée peut s’allonger jusqu’à quatre fois
plus pour une petite surface.
Comptez dix-sept ans en
moyenne pour un 30-mètres
carrés, contre quatre ans en
moyenne pour un 70-mètres
carrés. De quoi casser le
mythe selon lequel mieux
vaut commencer par un petit
logement que l’on revendra
pour acquérir plus grand.
« Je n’ai acheté que quand
j’étais en mesure de m’offrir
un bien où je devais, en théorie en tout cas, pouvoir rester pas mal de temps »,
énonce d’ailleurs Adeline.
Obtenir une plus-value
n’est plus systématique
En réalité, les frais liés à
l’achat, comparés à ceux de
la location, ont toujours été
beaucoup plus lourds. Alors
pourquoi, aujourd’hui plus
qu’autrefois, la balance
aurait-elle tendance à pencher en faveur de la seconde?
N’oublions pas qu’une variable influence largement les
résultats de l’équation : il
s’agit de l’évolution future
des prix. Or elle est devenue
très incertaine. « Avant, on
achetait avec l’espoir de faire
une belle plus-value, explique Thomas Lefebvre,
responsable recherche et
développement chez Meilleursagents.com. Désormais,
on ne peut plus compter làdessus. » Car non seulement
les prix, malgré la baisse
récente, ont atteint des
niveaux inaccessibles pour
une large majorité des Français, mais les facteurs de soutien du marché – à savoir des
taux bas et encore quelques
aides de l’Etat – sont fragiles.
Pour ce qui est des taux, difficile de dire quand ils repartiront à la hausse, mais il y a
peu de chances qu’ils restent
scotchés indéfiniment à leurs
niveaux actuels. Certes,
l’élargissement du prêt à taux
zéro dans l’ancien est une
bonne nouvelle, mais la majoration de la taxe foncière
sur les terrains constructibles, la taxation des logements vacants ou l’encadrement des loyers pèsent
durablement sur le marché.
Ainsi, alors que dans le
calcul consistant à comparer
l’achat et la location on tablait
sur des perspectives à long
terme de hausses des prix,
même modérées, aujourd’hui, la stabilité serait déjà
une bonne nouvelle pour les
propriétaires. Or, si les prix
stagnent, l’achat sera encore
plus long à rentabiliser qu’auparavant.
Nous avons fait le test avec
un appartement de 75 mètres
carrés dans le XVe arrondissement parisien. Acheté
autour de 600 000 euros, il
se louerait un peu moins de
1 700 euros hors charges.
Pour rentabiliser l’acquisition, en tenant compte d’une
évolution des loyers de 1 %
par an : dans l’hypothèse
d’une stagnation des prix de
l’immobilier, il faudrait plus
de vingt ans ; dans celle d’une
TÉMOIGNAGE
«Acheter, si on
sait qu’on ne
divorcera pas»
«Après notre séparation, mon ex-conjoint
et moi avons dû vendre
notre appartement
situé dans une banlieue
chic de Grenoble. Je me
retrouve désormais
seule avec ma fille et,
après une longue
réflexion, j’ai décidé de
ne pas racheter d’appartement et de redevenir locataire », raconte
Sabine. Mon entourage
était choqué: comment
ça, tu n’achètes pas un
logement? Comment
feras-tu à la retraite?
Les idées reçues ont la
vie dure. Il existe bel et
bien un mythe de la
propriété. « Ce que les
gens ont oublié, c’est
que si j’achetais, il faudrait assumer le remboursement du prêt, la
taxe foncière et les
éventuels travaux dans
la copropriété. Il pourrait peut-être m’arriver
de devoir sortir 5000 à
10000 euros d’un coup.
Non, vraiment, je n’en
ai pas les moyens.
A moins de dire adieu
aux vacances, aux soirées entre amis… Et
puis, je ne suis pas certaine d’être encore dans
la région dans sept ou
huit ans. Or, d’ici là,
comment le marché
aura-t-il évolué? Acheter aujourd’hui, cela
peut valoir le coup uniquement si l’on sait que
l’on va rester longtemps
au même endroit, qu’on
ne se séparera pas,
qu’on aura toujours un
salaire. » z
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ENQUÊTES IMMOBILIER
Conseil d’agent
immobilier :
mieux vaut louer
Pierre Cournac est catégorique: «Mieux vaut
louer qu’acheter. »
Cet agent immobilier à
Toulouse depuis une
trentaine d’années tient
un discours pas banal
pour un professionnel.
« Le neuf se vend
beaucoup trop cher »,
assène-t-il. Et de prendre
l’exemple d’un jeune
couple qui a acheté deux
appartements sur plan
début 2015, dans le
quartier Saint-Agne à
Toulouse: « Un studio
pour 115000 euros et un
T3 pour 280000 euros,
hors frais d’agence.
Mais depuis, le couple
s’est séparé et souhaite
revendre ses biens.
C’est chose faite pour
le studio, parti à
94000 euros, frais
d’agence inclus, après
avoir consenti une
sérieuse baisse, soit une
perte de 25000 euros,
sans compter les frais
de notaire. Quant au
trois-pièces, affiché à
215000 euros, il n’a pas
encore trouvé preneur. »
Acheter de l’ancien
est-il plus judicieux?
Pas forcément, quand
les mensualités d’un crédit sont largement
supérieures à un loyer.
« En raison de leur
rareté, les biens situés
dans l’ancien historique,
en plein centre-ville de
Toulouse, ne devraient
pas se dévaloriser. Mais
sur un plan strictement
budgétaire, il est plus
intéressant de louer
ce type de logement. »
majoration des prix de 1 %
en moyenne, cette durée
serait ramenée à dix-sept
ans ; et à un peu moins de
quinze ans avec une hausse
de 2 % chaque année.
Autres temps, autres mœurs,
difficile de s’engager pour la
vie. Entre les divorces, la
recomposition des familles
et la nécessité d’être plus
mobile au travail, qui peut
être certain de vivre vingt ans
au même endroit ? Au
contraire, on est de plus en
plus souvent contraint de
vendre précipitamment.
Les travaux obligatoires
alourdissent les coûts
Ceux qui ont été confrontés
à ce problème en plein blocage du marché sont sans
doute vaccinés pour longtemps contre l’achat. A
l’image de ce couple avec trois
enfants, qui a dû déménager
lorsque le petit dernier est
arrivé. Il lui a fallu plus d’un
an pour trouver un acquéreur et, durant toute cette
période, la famille a dû assumer une mensualité de crédit en plus d’un loyer. « C’est
une expérience que je ne souhaite plus jamais connaître »,
assène Quentin, le père.
Quant à la solution qui
consisterait à mettre en location en attendant le meilleur
moment pour revendre, elle
n’est plus d’actualité non
plus. « Entre la hausse de la
fiscalité, la baisse des loyers
et les difficultés à se séparer
d’un locataire indélicat, c’est
loin d’être une solution idéale»,
estime Denys Brunel, président de la Chambre nationale des propriétaires. Enfin,
n’oublions pas que, dans les
années à venir, la plupart des
propriétaires devront assumer la rénovation énergétique de leur logement. Bien
sûr, le coût de ces opérations
variera fortement selon l’ancienneté du bâtiment, les tra-
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L’ACHAT, PLUS RENTABLE QUE
LA LOCATION... À TRÈS LONG TERME
Nombre d’années en moyenne pour que l’achat d’un 70-mètres carrés
soit plus intéressant que la location.
Le Havre
1
Brest
1,5
Limoges
1,5
Reims
1,5
Orléans
2
Saint-Etienne
2
CALCUL. La simulation
Angers
2,5
Caen
2,5
Clermont-Ferrand
2,5
Lille
2,5
Montpellier
2,5
Mulhouse
2,5
Nancy
2,5
Aix-en-Provence
3
Perpignan
3
3
Tours
de Meilleurtaux.com
effectuée sur 37 villes
françaises montre que
l’acquisition d’un
logement serait rentabilisée entre un et
seize ans, une fois les
frais de notaire et
d’agence absorbés.
Dijon
3,5
Grenoble
4
Rouen
4
Nantes
4,5
Rennes
4,5
4,5
Strasbourg
Nice
Toulouse
Marseille
Toulon
Bordeaux
Lyon
Paris
Boulogne-Billancourt
5
5
5,5
6,5
9
13
14,5
16
Source : Meilleurtaux.com
vaux déjà effectués et le type
de bien, en copropriété ou en
maison individuelle.
Prenons l’exemple d’une
copropriété de plus de 50 lots
avec des travaux à prévoir,
disposant d’un système de
chauffage collectif. Il faudra
d’abord réaliser un audit spécifique avant la fin de l’année
2016. A l’issue de celui-ci, les
bâtiments privés résidentiels
dont la consommation en
énergie primaire (non transformée) dépasse 330 kilowattheures par mètre carré
et par an, soit tous ceux qui
affichent une classe énergé-
tique F ou G, devront avoir
été rénovés d’ici à 2025. Philippe, président du conseil
syndical d’une copropriété
tombant sous le coup de ces
deux obligations, a fait le calcul : « Selon la taille du logement et le remplacement ou
non des fenêtres, on arrive à
des coûts de 8 000 à 25 000
euros par appartement. »
D’ici à 2050, le parc existant devra avoir atteint le
niveau du label BBC actuel.
Pour y parvenir, c’est certain,
les propriétaires mettront
encore la main à la poche. z
VIRGINIE FRANC-JACOB
L’EXPANSION
TÉMOIGNAGE

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