Le Far West à Neuilly-sur-Seine
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Le Far West à Neuilly-sur-Seine
Le Far West à Neuilly-sur-Seine Faire de sa vie un spectacle A 26 ans, Buffalo Bill décide d’utiliser le mythe né autour de lui pour créer un spectacle retraçant les grandes étapes de la conquête de l’Ouest américain. Peu à peu le « show » s’étoffe d’animations diverses et de comédiens recrutés dans les tribus indiennes alors menacées. L’ennemi des Indiens devient leur allié. Il présente le Buffalo Bill’s Wild West Show à travers le monde de 1872 à 1909, dans 2000 villes et 12 pays, pour 50 millions de spectateurs. Il effectue deux passages en France. A l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, il installe son campement de mai à novembre à Neuilly-sur-Seine. Puis d’avril à novembre 1905, il aménage le Champs de Mars près de l’Ecole militaire avec de gigantesques gradins couverts. Entre spectacle et ethnographie : Buffalo Bill’s Wild West Show Le musée du Domaine départemental de Sceaux expose sept documents insolites retraçant un épisode méconnu de l’histoire de la ville de Neuilly-sur-Seine : la venue en 1889 du célèbre Buffalo Bill’s Wild West Show et de sa troupe d’Indiens en marge de l’Exposition universelle. L’étonnant Buffalo Bill Buffalo Bill, de son vrai nom William Frederick Cody, naît en février 1846 dans l’Iowa. Excellent cavalier, il travaille dès son plus jeune âge comme coursier postal ou « Pony Express rider » avant de devenir éclaireur et guide de l’armée américaine dans les dangereuses plaines de l’Ouest. A 21 ans, il est surnommé Buffalo Bill, après avoir tué 3000 bisons et buffles pour nourrir les ouvriers construisant la ligne de chemin de fer de la Kansas Pacific Railways. Sa position l’expose régulièrement aux attaques des Peaux-Rouges mais lui permet aussi de côtoyer les grands généraux de l’armée. Il devient célèbre grâce aux journaux qui publient ses aventures. Cette affiche datée de 1889 présente deux plans ; dans la partie haute le campement de Buffalo Bill à Neuilly-sur-Seine et dans la partie basse les différents moyens de transport alors en service pour se rendre à l’Exposition universelle. L’installation à Neuilly-sur-Seine en 1889 Dans la Revue illustrée du 15 novembre 1889, Henri Lavedan raconte l’installation du Buffalo Bill’s Wild West Show et adresse ses Adieux à Buffalo sous la forme d’un texte intitulé Causerie. Loin de la féérie engendrée par le spectacle, il se souvient d’avoir assisté « au débarquement de sa troupe, tout làbas, dans la steppe qui avoisine la gare de marchandises des Batignolles. C’était un matin […] les fortifications avaient un air sinistre, la prairie s’étendait, partout immense, plate, galeuse, et au premier plan, étaient alignés une quarantaine de tombereaux d’ordures ménagères que des hommes pauvres et déguenillés déchargeaient à grands efforts de fourches et de pelles. Une odeur intolérable qui, parfois, s’affirmait horriblement comme celle de cadavres emplissait l’air, et le vent jouait avec ces pestilences qu’il promenait. » L’arrivée de la troupe Il décrit ensuite l’arrivée de la troupe et du matériel venus directement des Etats-Unis par bateau au port du Havre puis chargé sur deux trains qui accédèrent directement au terrain loué à l’armée près des fortifications, entre la porte Maillot et la porte de Champerret : « au milieu de la prairie, le train s’avança et grossit lentement. Je devrais plutôt dire les trains, car il y en avait deux : le premier, celui des bagages, comprenant le plus extravagant des matériels : châssis, caisses, ballots, pieux, bois, échelles, tout le décrochez-moi ça du Wild West, un wagon lacé d’une bâche où aboyait des chiens du Canada, celui des buffles, et puis les cent cinquante chevaux, anéantis par le voyage, incultes, dont les têtes bises, café au lait, dépassaient stupidement. Dans le second train, le reste des animaux : les hommes. Je n’en pus croire mes yeux, quand j’aperçus pour la première fois ces cow-boys, avec leur allure de forbans dégingandés. Il y a de tout sur ces faces d’écumeurs : du yankee, de l’espagnol, de l’anglais, du mulâtre, du chasseur, du pirate, du mécanicien et du policier. C’est des canailles buissonnières. […] Les Indiens, si barriolément beaux, m’apparurent-ils penchés aux portières des wagons de seconde classe, avec leurs joues peintes et leurs tiares de plumes... ». Un chantier gigantesque Dans Le Génie Civil : Revue générale des industries françaises et étrangères, publiée à Paris en avril 1889, on apprend que « la construction des tribunes, les plus grandes qui aient été élevées en France jusqu’ici, est confiée à M. Frédéric Bertrand, l’un des plus grands entrepreneurs de charpentes de Paris. L’entrée réservée au public se trouvera au coin du boulevard Victor-Hugo et du boulevard de la Révolte à Neuilly. Les chemins qui amèneront les spectateurs aux tribunes seront bitumés afin de rester toujours propres. Un réseau complet d’égouts a été installé pour assurer au camp une salubrité parfaite. En un mot, cet enclos, qui contiendra 200 tentes, pourra compter, lorsqu’il sera terminé, parmi les plus remarquables tableaux de notre Exposition universelle ». Les journaux de l’époque mentionnent que les représentations ont lieu par tous les temps dans ce « magnifique hippodrome de 60000 m² ». Un campement visitable Dans Voyages loin de ma chambre, Noémie Dondel Du Faoëdic décrit, en 1898, le spectacle et l’installation de la troupe : « Nous voici donc en pleine tribu de Peaux-Rouges. C’est un vrai village, non bâti, mais composé d’un grand nombre de tentes en toile blanche, meublées sommairement de quelques tapis, de quelques peaux, dont s’enveloppent ces exotiques pour dormir ; […] cette promenade à travers ce campement pittoresque, où l’on entrevoit de grands gaillards cuivrés qui ressemblent à des bandits, ne manque pas d’originalité, et me paraît l’une des principales attractions du spectacle qu’on va chercher à [sic] Buffalo Bill ». « Un vaste cirque solidement construit, le plus grand du monde, dit le programme, permet à plusieurs milliers de personnes de prendre place à la fois ; le fond du cirque est tendu d’immenses toiles peintes, représentant un coin de la terre mexicaine ; ce décor, ce trompe l’œil est d’un bel effet et prête à l’illusion. » La naissance du « show-business » et des produits dérivés On assiste à la naissance de la communication de grande ampleur, les murs des villes se couvrent d’affiches et la presse locale relaye chaque jour l’annonce du spectacle. Différents tarifs sont proposés de 1 franc pour une simple entrée à 40 francs pour une loge de 6 places. Les portes du campement sont ouvertes à une heure de l’après-midi pour permettre de le visiter. Noémie Dondel Du Faoëdic raconte que « pendant les entr’actes on vend une sorte de gâteau mexicain rond comme une ballotte, composé de graines de maïs rouge ». Des opérations de marketing sont menées, les spectateurs repartent avec des cartes postales, le programme, le livre de René d’Hubert, Le Dernier des Grands Eclaireurs. Les enfants sucent des sucres d’orge et s’arment de pistolet à amorces marqués « Buffalo Bill ». La promotion s’opère aussi après le spectacle grâce aux nombreux échanges de cartes postales. Des photographies inédites du spectacle et de la troupe Le spectacle créé par Buffalo Bill reconstituait « la vie pittoresque d’autrefois des plaines de l’Ouest ». La troupe était composée d’environ 800 hommes dont 100 Peaux-Rouges et de 500 chevaux. Le show commençait toujours par un défilé avec « la bannière pailletée d’étoile », morceau d’ouverture exécuté par l’orchestre de cow-boys ou Cowboys Band, suivi d’un grand défilé conduit par le Colonel W. F. Cody présentant au public son congrès des « Rough Riders of the World », indiens de différentes tribus – Sioux (Brulé et Oglala), Cheyennes, Arapahoë - et leurs chefs respectifs. Cavaleries et Indiens Le programme incluait également les cavaleries françaises, anglaises, américaines, mexicaines et même des cosaques. Des saynètes reproduisaient le Pony Express, l’attaque par les Indiens de la diligence reliant Deadwood à Cheyennes, le dressage de chevaux sauvages, les jeux de lasso par les Mexicains, une partie de football joué par des chevaux, l’attaque d’une cabane de pionniers par les Indiens, la chasse au bison, etc… Une femme était à l’honneur, Annie Oakley, tireuse émérite qui « brisait avec une rapidité et une précision extraordinaire des boules de verre lancées dans l’espace, sans prendre le temps de les viser ». Le clou du spectacle était la reconstitution du dernier combat du Général Custer un des derniers épisodes des « Guerres indiennes » qui se déroula dans le Montana au bord de la rivière Little Big Horn le 25 juin 1876. Sauvegarde d’une culture William F. Cody engageait pour ses spectacles principalement des Sioux Lakotas, Oglalas et Brûlés, originaires des réserves de Pine Ridge et de Rosebud dans les états du Nord des Etas-Unis. Entre 1887 et 1906, 50 à 70 Lakotas, selon les périodes, hommes, femmes, enfants ont été salariés du Wild West Show. Paradoxalement, leur mode de vie exhibé leur a permis de sauvegarder leurs traditions contrairement aux Indiens parqués dans les réserves américaines qui furent acculturés. Sur cette photographie, les Indiens portent leur costume traditionnel avec jambières décorées et sont parés de nombreux bijoux tels que des colliers ou wampum, des anneaux et des bracelets en métal ou en coquillage considérés comme des objets rituels et religieux. Ils portent les cheveux longs ou tressés. L’un d’eux brandit un tomahawk, ou hachette, de la main droite, en regardant fixement le photographe, rejouant ainsi, en tant qu’acteur, l’attaque de la diligence ou encore, comme l’annonçait le programme, la célèbre bataille de Little Big Horn. Entre tradition et modernité Cette photographie a été prise sur la piste, devant les gradins, où était donné le spectacle Buffalo Bill’s Wild West Show à Neuillysur-Seine. Il y avait deux représentations par jour, à 15h00 et à 20h30, devant une foule nombreuse pouvant atteindre 24000 personnes. Pour les représentations de nuit, de larges ampoules, comble de la modernité, ont été suspendues au-dessus des acteurs. Les piles des gradins sont ornées des portraits alternés de Buffalo Bill, et de la célèbre Annie Oackley, tireuse émérite. Un regard bienveillant Le regard porté par les Européens sur ces Indiens semble relativement positif bien que parfois colonialiste. Dans la revue Le Génie Civil, daté de 1889, ils sont décrits comme appartenant « aux tribus les plus indomptables qui, après avoir lutté pied à pied avec la dernière énergie contre la marche toujours victorieuse de la civilisation, ont dernièrement fait leur soumission au gouvernement des Etats-Unis. Du plus pur type, ils sont choisis parmi les plus beaux spécimens de leur race ; ils ne mesurent pas moins de six pieds chacun, lestes, agiles et énergiques, ils émerveillent Paris par la hardiesse de leurs exercices ». Ils sont d’ailleurs rémunérés pour revivre sans cesse une bataille, Little Big Horn, dont ils sortirent victorieux. Sur cette photographie, les gradins semblent différents de ceux visibles sur les autres vues. La courbe créée par le virage des tribunes, la corniche et les piles ornées, les luminaires sophistiqués laissent penser que la scène se déroule dans l’immense hippodrome construit pour l’occasion, à Neuilly-sur-Seine, par Frédéric Bertrand, entrepreneur de charpentes, et considéré, à cette époque, comme le plus grand de France. d’être, tolérer plus longtemps les odieuses exhibitions du barnum Cody Buffalo Bill, émet le vœu que le Gouvernement prenne de suite des mesures pour faire cesser l’exhibition qui a lieu à Neuillysur-Seine ». A l’arrière-plan, les éléments de scénographie nous laissent imaginer le volume des décors que devait transporter la troupe lors de ses déplacements. La presse de l’époque relate à plusieurs reprises l’intérêt des parisiens pour le spectacle et énumère les personnalités séduites par Buffalo Bill. Le 20 mai 1889, son inauguration se fait en présence du Président de la République, Sadi Carnot, accompagné de sa famille et de plusieurs ministres. Sa venue est une « preuve de ses sympathies à l’égard de citoyens des Etats-Unis ». Il est rappelé que la reine Victoria a également fait au Colonel Cody une semblable visite lors de sa venue à Londres. Le tout Paris défile, le prince et la princesse de Metternich, l’ambassadeur de Suède, le Chah de Perse et de nombreux personnages influents de cette fin de XIXe siècle. Les zoos humains et les débats politiques Le campement visitable du Wild West Show s’inscrit dans la veine des villages ethnographiques et la mode des expositions coloniales. Ce processus de mise en scène de groupes homogènes d’êtres humains dans un environnement reconstitué a perduré de 1874 à 1958. Cette pratique va rencontrer une vive opposition des édiles municipaux parisiens. Dans le Journal du droit international privé et de la jurisprudence comparée daté de 1889 est consignée une demande, au nom des principes de 1789, d’annuler les représentations de Buffalo Bill. En effet, à la suite de l’accident d’un Indien au cours d’une représentation, un débat houleux est lancé au Conseil de Paris à propos de ce « nègre indien, un prisonnier ». M. Joffrin, du parti ouvrier déclare : « Le Conseil, considérant que la grande manifestation de l’Exposition de 1889 a eu surtout pour but de célébrer le centenaire de 1789, que la révolution de 1789 a été le commencement de l’émancipation de l’être humain, sans distinction de sexe, de nationalité et de couleur, que l’exposition et les fêtes du centenaire ne sauraient, sans manquer à ce qui fait leur raison Cette demande sera rejetée dans la mesure où il sera établi que les « écuyers de Buffalo, s’ils sont des esclaves, sont certainement des esclaves volontaires ». Chaque Indien avait effectivement un contrat de travail en bonne et due forme. Fortune critique du spectacle Cette année là, Buffalo Bill se lie d’amitié avec le peintre Rosa Bonheur qui l’invite dans son domaine et fait son portrait équestre ; en échange, il lui offrira une panoplie de Sioux encore conservée dans sa propriété de By près de Thomery. Le Buffalo Bill’s Wild West Show s’est étoffé, au fil des années, de numéros de plus en plus hétéroclites jusqu’à ressembler à une troupe de forains mêlant acrobates, personnages remarquables (géant, naine, dompteur de serpents, etc…) et sportifs de haut niveau. Légendes 1) Buffalo Bill’s Wild West / Neuilly – Paris, Lithographie couleur, H. 88 x L. 65,8 cm, 1889. INV. 71.29.1b. © CG92- P. Lemaître 2) Trois femmes et deux Indiens sur leurs mustangs prenant la pose pour la photographie. INV. PH 92200.26 3) Trois Indiens sur leurs mustangs prenant la pose pour la photographie. INV. PH 92200.25 4) Acrobates répétant une scène du spectacle. INV. PH 92200.28 5) Deux femmes, un Indien et cinq cow-boys sur leurs mustangs prenant la pose pour la photographie. Deux chevaux allongés à terre participent au spectacle et jouent leur propre mort. INV. PH 92200.24 6) Deux femmes, deux Indiens et trois cow-boys sur leurs mustangs répétant une scène du spectacle sous la direction d’un « metteur en scène » peut-être John Burke, impresario de la troupe. INV. PH 92200.27 7) Quatre cow-boys (mexicains et américains) répétant une scène du spectacle. INV. PH 92200.23 2 à 7 : épreuves argentiques positives sur papier albuminé, H. 7,7 x L. 10,8 cm, Neuilly-sur-Seine, 1889.