Jean-Baptiste de Laurencin - LIRE - UMR 5611
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Jean-Baptiste de Laurencin - LIRE - UMR 5611
Les aéronautes ou les premiers pas de l’homme dans l’espace. Un pionnier : Jean-Baptiste de Laurencin (1740-1812). Le comte de Laurencin, grand propriétaire terrien avec plusieurs centaines d’hectares disséminés sur une dizaine de communes, « est le représentant original d’une noblesse à la fois militaire et d’affaires » (1). Ce futur aéronaute cultivait aussi les arts et les sciences. Outre sa passion pour la poésie, partagée avec sa femme, Julie d’Assier de La Chassagne, le comte de Laurencin fréquentait plusieurs académies, notamment celles de Lyon et de Villefranche. Aussi l’Académie de Rouen a couronné le comte de Laurencin à maintes reprises, en voici quelques poèmes récompensés : Idylle (1771), Idylle française (1775), Stances (1776) (2). Au sein de la République des Lettres, le comte de Laurencin dialoguait avec des esprits brillants, tels que Voltaire (3) et Jean-Jacques Rousseau, ses correspondants. Si le projet avait suscité l’intérêt des académiciens et scientifiques lyonnais, sa réalisation s’avère cependant délicate, vu le nombre de difficultés et problèmes à résoudre. Face à ce défi, les promoteurs de ce projet n’abdiquent pas. Au contraire, le comte de Laurencin manifeste une détermination sans faille. La Gazette d’Amsterdam suit de près l’avancement des travaux (5) : On écrit de Lyon que l’on travaille avec empressement à mettre le ballon aérostatique en éta t d’être lancé. L’accident arrivé à cette machine n’a pas découragé les entrepreneurs, mais les curieux accourus des autres endroits pour voir cette superbe expérience sont très mécontents qu’elle n’ait pas eu lieu au temps promis. M. le prince de Ligne et sa famille y attendaient aussi l’enlèvement du vaisseau aérien. Les risques sont effectivement multiples, notamment l’embrasement général du ballon ou sa chute, ce qui impose des mesures de prévention strictes. Ajoutons à cela la situation géographique de la ville. En effet, la proximité du Rhône et de la Saône rendrait tout accident fatal, si jamais il se produisait au-dessus de ces fleuves. Alors quelle est la solution la plus adéquate à ces problèmes ? Avant ce vol, académiciens et scientifiques avaient déjà réussi à trouver une parade en cas de chute : « Si le feu prend à l’enveloppe de la Lyon n’avait encore été le machine, chacun de ces aérothéâtre d’aucune ascension nautes s’élancera de la gonaérostatique […]. Joseph dole, un parasol à la main, Mongolfier se trouvait à Lyon à qui ne pouvant tomber que l’époque de l’ascension de par une gradation insensiCharles aux Tuileries, événement qui eut dans toute la ble » (6). Les candidats à l’avenFrance un retentissement ture spatiale sont rassurés extraordinaire. Le comte de puisqu’ils seront équipés d’un Laurencin, le comte de engin, l’ancêtre du parachute. Dampierre et quelques autres Une fois construit et mis en personnes distinguées de la ville de Lyon le prièrent de diriplace, l’aérostat, impressionger la construction d’un ballon nant par sa taille (23.270 m3) à feu, pour lequel une souscripJean-Baptiste de Laurencin, et ses couleurs, attire de plus tion était ouverte. peint par P. E. Cogell Académie des Sciences, Belles-Lettres en plus la curiosité des et Arts de Lyon (Cliché J. Gastineau) Lyonnais. « On n’avait pas encore vu de ballon à Lyon ; (1) Roger Chartier, « L’Académie de Lyon au XVIII siècle, 1700-1793, étude […] l’entreprise paraissait gigantesque, incroyable » (7). de sociologie culturelle », in Nouvelles études lyonnaises, Genève, Droz, 1969, p. 159. Voir aussi Robert de Saint-Loup, Dictionnaire de la noblesse Mais pourquoi tant d’attente ? En ce début d’année (1784), consulaire de Lyon, Versailles, Éd. Mémoire et Documents S.A.S., 2004, la situation paraît assez difficile, voire même compromise vu pp. 117-120. le nombre des problèmes techniques. Les lecteurs des gazet(2) Voir Vanessa Dottelonde-Rivoallan, Un prix littéraire à Rouen au XVIII siècle : le concours de poésie de l’Académie de l’Immaculée Conception de tes, médias de masse de l’époque, suivent de près les prépa1701 à 1789, [Rouen], Publications de l’Université de Rouen, 2001, ratifs de ce vol. À l’évidence, le public s’impatiente et les p. 107 ; Hubert-Martin Cazin, Chansons choisies avec des airs notés, Genève, 1782, in-24 t. III, pp. 111-112. rumeurs se multiplient (8) : Toutefois, il ne subsiste aujourd’hui, de la longue et trépidante existence du comte de Laurencin, qu’une date : lundi 19 janvier 1784, jour de son envol à bord d’un aérostat géant « Le Flesselles ». Il était accompagné de Joseph Montgolfier et cinq notables. Les préparatifs de ce vol avaient connu quelques difficultés. Voler dans l’espace n’est pas une chose aisée. Cette entreprise nécessite des investissements financiers et intellectuels (4) : e e (3) Voir S. Ben Messaoud, « Voltaire et Lyon », in Bulletin de la Société Historique, Archéologique et Littéraire de Lyon, Lyon, 2005, t. XXXIII, pp. 84-88. Signalons aussi l’appartenance du comte de Laurencin à la loge « La Parfaite Réunion », voir André Combe, Histoire de la Franc-Maçonnerie à Lyon des origines à nos jours, Lyon, Éd. des Traboules, 2006, ch. III, pp. 103-104. (4) Louis Figuier, « Les aérostats et les aéronautes », in La Revue des deux mondes, 15 octobre 1850, p. 210. (5) Livraison du vendredi 30 janvier 1784. (6) Ibid. (7) Jules-François Dupuis-Delcourt, Nouveau manuel d’aérostation, Paris, L. Laget, 1978, p. 215. (8) Gazette d’Amsterdam, livraison du 3 février 1784. La nouvelle répandue que le ballon aérostatique de Lyon aurait volé en éclats ne se confirme heureusement pas. Cependant, il a éprouvé un petit malheur qui a occasionné ce faux bruit. Lorsque le 16 de ce mois [janvier] on était occupé à remplir le globe d’air, le feu prit à la machine, ce qui occasionna une consternation générale et donna lieu au bruit que cette grande expérience, sur laquelle toute l’Europe fixait ses regards, avait absolument échoué. Heureusement, on a éteint le feu dans le moment même et le dommage que le globe a essuyé a été réparé. Désormais, le ballon est prêt ; les personnes qui s’affairaient autour ont achevé les ultimes préparatifs. Le départ dans les airs est imminent mais en ce début de janvier, l’hiver redouble de rigueur. Le froid et la neige s’abattent sur Lyon. Dans l’état actuel des choses, les candidats se contentent de scruter le ciel. Ils attendent une accalmie, un moment propice. Faut-il abandonner un tel projet, après tant d’efforts ? La réponse demeure indécise. De plus, l’hiver, avec ses températures glaciales, semble imposer sa loi. Est-ce qu’il est raisonnable de s’aventurer dans une atmosphère si instable, si froide ? (9) : Les habitants de Lyon, qui n’avaient encore assisté à aucune expérience aérostatique, doutaient fort du succès et n’épargnaient pas les épigrammes. Le comte de Laurencin, un des futurs matelots de ce vaste équipage, reçut le quatrain suivant : Fiers assiégeans du séjour du tonerre, Calmez votre colère. Eh ! ne voyez-vous pas que Jupiter tremblant, Votre demande la paix par son pavillon blanc ? Le trait était vif. M. de Laurencin répondit qu’il se chargeait d’aller chercher luimême les clauses de l’armistice. Les aéronautes piqués au jeu accélérèrent leurs préparatifs. Lundi 19 de ce mois [janvier], à une heure de l’après-midi, le ciel étant serein, s’éleva des Brotteaux, en face du Collège de la Trinité, l’immense et superbe globe aérostatique de Messieurs de Montgolfier. Cette ascension confondit l’envie qui avait répandu que cette expérience ne réussirait pas. On présume qu’il s’est élevé à environ 500 toises. Ce bref et court voyage dans les airs avait suscité l’admiration d’une ville entière pour ses héros modernes. Ont-ils souffert ? « Aucun accident n’est encore arrivé à ces hommes volants ; puisse l’histoire ne dire jamais d’aucun d’eux : Suo sepultus est triompho ! » (12). Après leur retour sur terre, les aéronautes ont été chaleureusement fêtés : « Chacun s’empressa de féliciter ces voyageurs intrépides du succès de leur heureux voyage » (13). La capitale des Gaules a fêté dignement ces aéronautes. Ils figurent désormais dans les annales de la ville ainsi que l’histoire récente des aérostats (14) : Après le dîner, ils furent à la comédie dans la loge de M. l’intendant, qui les accompagnait. À la fin de la pièce, un acteur porta dans un bassin sept couronnes à Madame l’intendance (sic) qui couronna les voyageurs en les embrassant. Il en manquait un nommé Fontaine, il était au parterre ; M. l’intendant y descendit, le couronna et le fit monter dans sa loge. Manifestement séduit par cette expérience, le comte de Laurencin procèdera, quelques jours plus tard, le 8 février 1784, à une démonstration devant les habitants de Chabreuil, sa ville natale, « en faisant enlever à leurs yeux un ballon de papier » (15). Il dirigera enfin, le 4 juin 1784, une nouvelle expérience aérostatique (16) : Les lettres de Lyon annoncent le départ de l’aérostat de M. de Mongolfier, sous la direction de M. le comte de Laurencin. […] Ce ballon, nommé Gustave III, a enlevé son auteur et Mademoiselle Tible. […] Le sieur Fleurant avoue que la Buste de J.-B. Laurencin, par Joseph Chinard, demoiselle Tible, qui a été la preArchives Municipales de Lyon (Cliché J. Gastineau) mière de son sexe portée sur les Les Mémoires secrets, dits ailes des airs, a mis une précision, de Bachaumont, datent cette une prudence attentive et réfléchie à alimenter le réchaud, placé au-dessus de l’aérostat ; il a ajouté que anecdote du dimanche 18 janvier (10), soit quelques heures le courage de sa compagne a fait tout le succès de l’expérience. seulement avant le départ des Brotteaux, en présence d’une foule absolument exceptionnelle. Une marée humaine a envahi la place. On imagine aisément les hourras et acclamations de la foule qui s’intensifiaient, une fois que l’aérostat commençait à s’ébranler, puis s’élever dans le ciel au-dessus de Lyon (11) : (9) L. Figuier, op. cit., pp. 210-211. (10) Voir t. 25, 1786, p. 87 (Londres, John Adamson -fausse adresse). (11) Gazette d’Amsterdam, livraison du 3 février 1784 : « Extrait de la lettre de Lyon, datée du 22 janvier ». Le Journal de Lyon a publié l’information, quelques heures seulement après l’ascension de l’aérostat : « Enfin le ballon a été lancé lundi 19 janvier à une heure moins quelques minutes aux acclamations d’une multitude innombrable de spectateurs » (livraison du 21 janvier 1784, p. 29). En fait, « l’ascension eut lieu […] à midi cinquante et une minutes », précise J.-B. Monfalcon dans son Histoire de la ville de Lyon, Paris, Dumoulin, 1857, t. II, p. 845. Voir enfin, Michel Faure, Les Frères Montgolfier et la conquête de l’air, Aix-en-Provence, Édisud, 1983, p. 117. On mesure au terme de ces échos, glanés dans la presse du XVIIIe siècle, la notoriété du comte de Laurencin à Lyon et dans la République des savants. Jules Verne mentionnera cette figure pionnière de l’espace dans Docteur OX. S. BEN MESSAOUD UMR LIRE 5611/CNRS-Lyon 2 (12) Louis-Sébastien Mercier, Mon bonnet de nuit, suivi Du théâtre, éd. établie sous la dir. de J.-Cl. Bonnet, Paris, Mercure de France, 1999, p. 565. (13) Gazette d’Amsterdam, livraison du 3 février 1784. (14) Ibid. (15) Adolphe Rochas, Biographie du Dauphiné, Paris, Charavay, 1860, art. « Laurencin (J.-B.) ». (16) Gazette d’Amsterdam, livraison du 25 juin 1784. Voir aussi le Journal des savants, novembre 1784, pp. 760-762.