Vers une "Constitution européenne"

Transcription

Vers une "Constitution européenne"
Mouvement international ATD Quart Monde
Délégation Région Europe
Document d’information et de travail
Vers une "Constitution européenne"
Qu’est-ce que la “Constitution européenne” ? D’où vient-elle ? Qu’apportera-t-elle à l’Europe et à
ses citoyens ? Et quelles avancées dans la lutte contre l’extrême pauvreté et l’exclusion contient-elle ?
Pour aider chacun à se faire une opinion, nous proposons dans cette feuille quelques éléments de réponse
à ces questions.
L’Union européenne (UE) compte, depuis le 1er mai 2004, 25 Etats membres : l’Allemagne,
l’Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la
Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le
Portugal, le Royaume-Uni, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède. D’autres Etats
ont posé leur candidature pour rejoindre l’UE (Roumanie, Bulgarie, Croatie, Turquie…). Cette Europe est
en train de se bâtir à la fois dans ses frontières et dans ses textes (traités, lois…). Si le texte de la
“Constitution” est ratifié par tous les Etats membres de l’UE, il ouvrira une nouvelle étape et sera une
référence pour la vie des Européens.
1.
Vers une “Constitution” unique pour l’ensemble de l’Europe
L’Europe s’est bâtie jusqu’ici sur la base de
plusieurs “Traités” négociés par les Etats. Dans
l’immédiat après-guerre, le Traité de Paris, signé le
18 avril 1951, créait la CECA (Communauté
européenne du charbon et de l’acier), dont l’idée
fut lancée dans la Déclaration de Robert Schuman,
inspirée par Jean Monnet, le 9 mai 1950. Cette
“Déclaration Schuman” est considérée comme
l’acte de naissance de l’Union européenne (le 9
mai est aujourd’hui fêté comme la “Journée de
l’Europe”). Les Traités de Rome de 1957 ont créé
par la suite la CEE et l’Euratom.
Bien plus tard, en 1992, le Traité de
Maastricht a institué l’Union européenne (qui
comprenait alors 12, puis 15 Etats membres).
Ensuite, il y a eu les Traités d’Amsterdam (19971999) et de Nice (2000-2001), lesquels devaient
permettre d’assurer le bon fonctionnement de
l’Union européenne lorsqu’elle passerait à 25 (puis
28, 30… Etats membres). Plusieurs questions
essentielles se posaient : Comment établir des
règles afin de pouvoir fonctionner avec un grand
nombre d’Etats membres ? Quel statut donner à la
Charte des droits fondamentaux ? Comment
simplifier les traités afin qu’ils soient plus clairs et
mieux compris par les citoyens ? Quel rôle donner
au Parlement européen et aux Parlements
nationaux ? Comme les traités d’Amsterdam et de
Nice ne répondaient pas suffisamment à ces
questions, le Conseil européen, réuni à Laeken
(Belgique) en décembre 2001, a décidé de créer
une “Convention sur l’Avenir de l’Europe”.
Cette Convention rassemblait plus d’une
centaine
de
personnes
représentant
les
gouvernements nationaux et les parlements
nationaux des 25 pays membres actuels de l’UE,
ainsi que les institutions européennes. Elle a
beaucoup travaillé en consultation avec la société
civile avant de transmettre (en juillet 2003) un
texte à la Conférence intergouvernementale (CIG).
De leur travail est sorti le projet pour une future
Constitution européenne, officiellement appelé
“Traité établissant une Constitution pour
l’Europe”. Ce projet a été plusieurs fois rediscuté
et complété. Le 18 juin 2004, les Chefs d’Etat ou
de gouvernement des 25 Etats membres l’ont
adopté, à l’unanimité. Celui-ci fut signé
officiellement à Rome, le 29 octobre 2004, après
traduction du texte dans toutes les langues.
L’entrée en vigueur de la “Constitution
européenne” est fixée au 1er novembre 2006, pour
autant que tous les Etats membres aient ratifié (=
adopté, accepté) le texte avant cette date. Ce
“processus de ratification” dépend de chaque pays.
Deux solutions existent : soit une ratification par
“voie parlementaire” (c’est la (ou les) chambre(s)
parlementaire(s) du pays qui ratifie(nt) le texte),
soit une ratification par “voie référendaire” (un
référendum est organisé : les citoyens se
prononcent pour ou contre le traité). Dans plusieurs
Etats, le référendum sera “consultatif” (les citoyens
sont consultés, mais c’est le Parlement national qui
prendra la décision).
Trois pays ont déjà ratifié le texte : la Hongrie,
la Lituanie et la Slovénie (le "oui" l’a emporté au
référendum en Espagne). Actuellement, cinq pays
ont choisi la voie du référendum : le Danemark, la
France, la Pologne, le Portugal, la République
tchèque. Et six pays envisageraient un référendum
consultatif :
Belgique,
Espagne,
Irlande,
Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni.
Vers une « Constitution européenne », Note, Avril 2005 - p.1
2.
Que contient la “Constitution européenne” ?
La version officielle du “Traité établissant
une Constitution pour l’Europe” date du 16
décembre 2004 [1]. Elle est parue dans le Journal
Officiel de l’Union européenne, dans les 20
langues parlées au sein de l’Union européenne,
sous la référence C130.
Elle compte 474 pages (dans la version du
Journal Officiel), en 3 parties :
(1) le Traité proprement dit (env. 200 pages),
qui se sous-divise en :
(i) une première partie qui définit ce qu’est
l’Union européenne, ses valeurs, ses objectifs,
ses compétences, les moyens dont elle dispose
pour décider, ses institutions, etc. ;
(ii) une deuxième partie qui est la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne ;
(iii) une troisième partie qui définit “les
politiques et le fonctionnement de l’Union
européenne” [pour l’essentiel, il s’agit de la
reprise des Traités antérieurs] et les
procédures de ratification et de révision de la
Constitution ;
(2) un premier “Addendum” (= annexe)
d’environ 200 pages reprenant une série de
“Protocoles” (= règles spéciales) comme le
“Protocole fixant le statut de la Cour de justice
de l’Union européenne” ou le “Protocole sur le
régime particulier applicable au Groenland” ;
(3) un second “Addendum” d’environ 75 pages
reprenant “l’Acte final” ainsi que diverses
“déclarations” ayant trait au Traité et aux
Protocoles.
La première partie du “Traité”
proprement dit (1.i) énonce les “valeurs” et les
“objectifs” de l’Union européenne. L’Article I2, qui définit les “valeurs”, déclare que
“ L’Union est fondée sur les valeurs de respect
de la dignité humaine, de liberté, de démocratie,
d’égalité, de l’Etat de droit [2], ainsi que de
respect des droits de l’homme, y compris des
droits des personnes appartenant à des
minorités. Ces valeurs sont communes aux États
membres dans une société caractérisée par le
pluralisme, la non-discrimination, la tolérance,
la justice, la solidarité et l’égalité entre les
femmes et les hommes. ”
L’Article I-3 définit les “objectifs” de
l’Union européenne, parmi lesquels ceux-ci :
“ L’Union a pour but de promouvoir la paix, ses
valeurs et le bien-être de ses peuples. ” ;
“ L’Union œuvre pour le développement durable
Vers une « Constitution européenne », Note, Avril 2005 - p.2
de l’Europe fondé sur une croissance
économique équilibrée et sur la stabilité des
prix, une économie sociale de marché hautement
compétitive, qui tend au plein emploi et au
progrès social… ” ; “ Elle combat l’exclusion
sociale et les discriminations, et promeut la
justice et la protection sociales, l’égalité entre
les femmes et les hommes, la solidarité entre les
générations et la protection des droits de
l’enfant. ” Dans le même article, alinéa 4, il est
écrit : “ Dans ses relations avec le reste du
monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et
ses intérêts. Elle contribue à la paix, à la
sécurité, au développement durable de la
planète, à la solidarité et au respect mutuel entre
les peuples, au commerce libre et équitable, à
l’élimination de la pauvreté et à la protection
des droits de l’homme (…). ”
Le Parlement européen et les Parlements
nationaux voient leurs pouvoirs renforcés par ce
texte. Par exemple, le Parlement européen et les
parlements nationaux prendront part dans les
décisions que prendra le Conseil européen, et ils
seront informés de toute nouvelle initiative prise
par la Commission européenne (Art.I-20 et
suivants).
De même, les citoyens européens auront la
possibilité de soumettre des propositions de
changements de la “Constitution” à la
Commission européenne (Art.I-47), pour autant
qu’ils rassemblent au moins 1 million de
personnes issues d’un nombre “significatif”
d’Etats membres de l’Union européenne. Cet
article I-47 (dénommé “Principe de la
démocratie participative”) et le suivant (Art.I48) confirment la volonté de l’UE de dialoguer
avec la “société civile”, à savoir les citoyens
rassemblés en associations (ONG…) et les
partenaires sociaux.
_________________
[1]
Le texte intégral final de la “Constitution européenne”
dans l’une des 20 langues officielles de l’Union
européenne est disponible à l’adresse suivante :
http://europa.eu.int/eur-lex/lex (doc. C130). Un résumé de
la “Constitution européenne” en allemand, anglais,
espagnol, français, italien ou néerlandais est disponible à :
http://europa.eu.int/constitution/summary_fr.htm .
► Pour suivre les processus de ratification dans les
différents pays, vous pouvez consulter le site suivant :
http://europa.eu.int/constitution/futurum/ratification_fr.htm .
[2]
Un État de droit (par opposition à État arbitraire) est
un État dans lequel les normes juridiques sont
hiérarchisées de telle sorte que sa puissance [la puissance
de l’État] s'en trouve limitée.
La deuxième partie du “Traité” (1.ii) est
la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne [3]. Cette Charte reprend en un texte
unique, pour la première fois dans l'histoire de
l'Union européenne, l'ensemble des droits
civiques, politiques, économiques et sociaux des
citoyens européens ainsi que de toutes personnes
vivant sur le territoire de l'Union. Ces droits sont
regroupés en six grands chapitres : dignité ;
liberté ; égalité ; solidarité ; citoyenneté ; justice.
L’introduction de cette Charte dans la
“Constitution européenne” inscrit les droits
fondamentaux au cœur même de l’Union
européenne. En d’autres termes, cela veut dire
que les juges nationaux et européens devront
interpréter ces droits (avec plus ou moins de
force), et devront garantir que les législations
nationales et européennes les respectent.
Le traité constitutionnel comporte aussi un
grand nombre de protocoles et deux annexes.
Ceux-ci, pour l’essentiel, reprennent les traités
européens actuels. Les protocoles nouveaux ou
réécrits viennent compléter et préciser les
avancées du traité constitutionnel.
3.
[3]
Il ne faut pas confondre la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne avec la Convention
européenne des droits de l’homme, ni avec la Charte sociale
européenne, qui sont des documents du Conseil de l’Europe.
* principe selon lequel l'UE n'agit (sauf pour les domaines
qui sont de sa compétence exclusive) que lorsque son
action est plus efficace qu'une action entreprise au niveau
national, régional ou local.
Qu’est-ce qui est nouveau par rapport aux traités précédents ?
• La “Constitution européenne” précise (pour la
première fois) de “nouveaux” objectifs sociaux à
l’Union européenne : le plein emploi, le progrès
social, la lutte contre l’exclusion sociale, la
solidarité entre les générations, etc. Elle témoigne
aussi de la volonté d’un dialogue avec la société
civile (art.I-47 et 48).
• La “Constitution européenne” donne à la
Charte européenne des droits fondamentaux une
force juridique (les citoyens peuvent l’invoquer
devant les tribunaux nationaux ou européen) et
place les droits fondamentaux au cœur de l’Europe.
Nous regrettons cependant que la Charte n’affirme
pas le droit au travail, le droit à un revenu
4.
Par exemple :
- Un protocole officialise le rôle de l’Eurogroupe
[groupe des pays qui ont l’Euro (€) comme
monnaie] dans la gouvernance économique de
l’Europe et attribue un président stable à ce groupe.
Ce président pourra contrebalancer le rôle du
gouverneur de la Banque centrale européenne et
améliorer la coordination des Etats membres dans
ce domaine.
- Les protocoles sur les parlements nationaux et
sur la subsidiarité* renforcent le contrôle
démocratique de l’Union européenne. Ainsi, les
parlements nationaux pourront par exemple saisir
la Cour de justice de l’Union européenne s’ils
considèrent que l’Union décide d’une loi dans un
domaine qui ne devrait pas être de son ressort.
_________________
minimum et le droit au logement.
“Constitution
européenne”
prévoit
• La
(art.I.20.1) que « le Parlement européen exerce,
conjointement avec le Conseil [européen], les
fonctions législative et budgétaire. » Elu
directement par les citoyens de l’Union européenne,
le Parlement européen devient donc un législateur
de plein exercice, presque sur un pied d’égalité avec
le Conseil européen. Il votera désormais tout le
budget, et voit ainsi son rôle et ses pouvoirs
augmentés.
Dans le même article I.20.1, il est indiqué : « Il élit
le président de la Commission » (sur base des
résultats des élections européennes).
La future “Constitution européenne” et la lutte contre la pauvreté
Avec d’autres organisations et personnalités,
ATD Quart Monde a agi tout au long de
l’élaboration du texte pour que “ l’éradication de
la grande pauvreté ” soit explicitement affirmée
comme l’un des objectifs de l’Union. Dans le texte
final, l’article I-3.3 dit que l’Union “ combat
l’exclusion sociale et les discriminations ”, mais
ne parle pas de l’éradication de la pauvreté.
Dans l’article I-3.4, il est dit que “ Dans ses
relations avec le reste du monde, l’Union (…)
contribue (…) à l’élimination de la pauvreté et à la
protection des droits de l’homme (…). ”
Si l’affirmation que l’Union “combat
l’exclusion sociale” représente un progrès
important par rapport aux traités actuellement en
vigueur, nous pensons qu’il n’est pas satisfaisant
que l’Union affirme sa volonté de contribuer à
l’élimination de la pauvreté dans le monde sans
affirmer en même temps qu’elle poursuit cet
objectif au sein de ses frontières. Nous
continuerons d’agir pour que soit inscrit dans les
futurs traités de l’Union qu’un de ses objectifs est
“ l’éradication de la grande pauvreté et de
l’exclusion sociale, tant en Europe que dans le
reste du monde ”.
Vers une « Constitution européenne », Note, Avril 2005 - p.3
5.
“Pour” ou “contre” la Constitution ?
Les arguments de ceux qui
disent « OUI » :
Les arguments de ceux qui
disent « OUI MAIS » :
Les arguments de ceux qui
disent « NON » :
Les
partisans
de
la
Constitution soulignent que
celle-ci ne représente aucun
recul dans le domaine social
ou
dans
le
contrôle
démocratique,
mais
au
contraire un certain nombre
d’avancées (présentées au
point 3 de ce document). Ils
estiment que cette Constitution
va donner un nouvel élan à la
construction européenne et
permettre de renforcer la place
de l’UE dans le monde.
Des personnalités et bien des
ONGs (Organisations NonGouvernementales), tout en
reconnaissant des avancées,
reprochent au texte son
manque d’ambition dans le
domaine
social.
D’autres
s’inquiètent du fait que
l’unanimité de tous les Etats
sera nécessaire pour effectuer
des changements dans le texte
de la Constitution, ce qui
rendra
son
amélioration
difficile.
Ceux qui sont décidés à refuser
le texte proposé lui reprochent
essentiellement de consacrer une
Europe
ultra-libérale
sans
garanties sociales suffisantes et
sans réelle possibilité de contrôle
démocratique. Ils soulignent
qu’il sera difficile de changer la
Constitution dans le futur, et
qu’il est donc préférable de renégocier l’ensemble du texte
maintenant, même si cela crée
dans un premier temps une crise
au sein de l’UE.
Autres sites web intéressants
(en plusieurs langues)
•
Sur les Traités européens :
http://europa.eu.int/abc/treaties_fr.htm
•
Carte disponible sur le site : http://europa.eu.int/abc/maps/index_fr.htm
Sur la Convention sur l’Avenir de l’Europe :
http://european-convention.eu.int
http://europa.eu.int/constitution/futurum/index_fr.htm
Délégation Région Europe, ATD Quart Monde, F-95480-Pierrelaye, France
tél : 33/(0)1.34.30.46.17 - fax : 33/(0)1.34.30.46.15 - e-mail : [email protected]
Vers une « Constitution européenne », Note, Avril 2005 - p.4