PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE .

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PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE .
Ref FST: 096F
MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION
CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE :
PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE.
Michèle Croisier 1
Ce texte a été publié dans la revue "Aphasie et domaines associés", 1996, No 1, pp 47-57, dans le
cadre d'un numéro spécial consacré aux avantages et limites de l'utilisation de supports graphiques
face aux troubles acquis du langage.
Résumé
Les capacités de communication non verbale des personnes sévèrement aphasiques restent
fréquemment très limitées. L'entourage socio-familial cherche alors divers moyens compensatoires,
dont les téléthèses de communication malheureusement insuffisamment adaptées à pareil handicap.
Pour certains aphasiques, de meilleures chances de communication fonctionnelle passent par la
mise en place d'un classeur de communication individualisé. Les conditions à réunir sont décrites en
référence aux propositions de Garrett et Beukelman (1992). L'intervention réalisée sur une durée de
6 mois auprès d'une personne aphasique de 54 ans ainsi que les résultats observés sont détaillés
et le rôle prépondérant de l'entourage souligné.
Zusammenfassung
Die Fähigkeiten zur non-verbalen Kommunikation bei Personen mit einer schweren Aphasie bleiben
häufig stark eingeschränkt. Die familiäre und soziale Umgebung sucht deshalb nach verschiedenen
Mitteln zur Kompensation. Darunter fallen auch elektronische Hilfsmittel; aber nun sind diese Geräte
leider ungenügend für solche Sprachstörungen konzipiert. Für einige Aphasiker sind besseren
Chancen für eine funktionelle Kommunikation durch den Einsatz eines Kommunikationsbuches
gegeben. Die zu berücksichtigenden Vorraussetzungen werden beschrieben und die Wichtigkeit der
Rolle der Umgebung betont.
Introduction
La Fondation Suisse pour les Téléthèses (FST) a pour mission d'accroître l'autonomie des personnes
handicapées en les faisant bénéficier des progrès réalisés en matière de microélectronique/informatique, dans les domaines de la communication, du contrôle de l'environnement
et de l'accès ergonomique aux ordinateurs. Dans les années quatre-vingts, les interventions du
secteur Communication concernent principalement des personnes sans expression verbale en
raison de pathologies développementales associant un handicap moteur (l'infirmité motrice
cérébrale, notamment). La demande des années nonantes inclut plus fréquemment les personnes
souffrant d'aphasie, de mutisme ou de dysarthrie sévères liés à des pathologies acquises. Or, si la
1Psychologue spécialiste en neuropsychologie FSP et logopédiste diplômée, ancienne collaboratrice de la FST.
Travaille actuellement à la Consultation de Neuropsychologie et Logopédie des Hôpitaux de la ville de Neuchâtel (expérience
antérieure acquise au CHUV).
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mise en place d'une téléthèse de communication comme Hector2 chez un aphasique de Broca âgé
de 60 ans s'est avérée limitée mais positive (Croisier et Assal, 1988), force est d'admettre que le
recours à de tels appareils n'apporte pas d'amélioration dans la qualité des échanges entre une
personne sévèrement aphasique et ses proches; pour l'instant, et pour quelque temps encore,
l'adaptation homme-machine s'avère insuffisante. C'est pourtant généralement vers une haute
technologie réparatrice que converge l'espoir des familles ou des professionnels non spécialisés
partageant le quotidien de ces patients chroniques, raison pour laquelle la FST est alors contactée.
Travaillant dans le cadre de la démarche dite de "Communication Augmentative et Alternative"
(connue sous le sigle international AAC), nous avons cherché l'existence de stratégies
d'intervention adaptées à ces patients gravement aphasiques et susceptibles de prolonger la prise
en charge réalisée en milieu hopitalier spécialisé en réhabilitation.
Coïncidence bienvenue, Garrett et Beukelman (1992) publient un article décrivant des principes
d'intervention adaptés à l'aphasie sévère. Reprenant le "communication participation model" décrit
par Rosenberg (1987) puis repris par Beukelman et Mirenda (1987;1992), ces adeptes notoires de
l'approche AAC rappellent que les personnes gravement aphasiques doivent, pour avoir accès aux
échanges sociaux, forcément s'appuyer sur leurs capacités résiduelles et apprendre de nouveaux
modes de communication; les partenaires sociaux devraient par conséquent veiller à leur procurer
l'occasion de participer à des échanges adéquats et stimulants. L'amélioration de la communication
entre une personne sévèrement aphasique et son interlocuteur dépend en priorité de la qualité de
leur ajustement réciproque, le rôle de l'interlocuteur étant clairement prépondérant. Les auteurs
proposent de ce fait une classification distinguant divers profils aphasiques basés sur la gravité des
troubles de communication et débouchant sur des stratégies d'intervention spécifiques. Concernant
plus particulièrement les aphasiques globaux, deux profils sont à distinguer: les aphasiques ne
communiquant que dans des situations contextuelles simples et grâce à une aide majeure de
l'interlocuteur ("basic choice communicator"), et, les aphasiques capables, malgré un discours
sévèrement non fluent et stéréotypé, d'initier un échange dans des situations structurées, de
transmettre une information les concernant, une opinion ou un sentiment ("controlled situation
communicator"). Bien différent est le groupe d'aphasiques capables de communiquer en utilisant
différentes modalités (production verbale réduite/tronquée, gestes ébauchés, épellation de la
première lettre, pointage dans une banque de données spécifiques et autres), l'interlocuteur
reconstruisant le message à partir des divers éléments fournis (profil-type du "comprehensive
communicator"). Il s'agit de patients présentant d'assez bonnes capacités de compréhension et
décrits comme communicatifs malgré une sévère aphasie de type Broca, ou plus rarement une
aphasie de conduction massive. Ces patients-là bénéficient largement d'une meilleure harmonisation
de leur communication plurimodale.
Quel que soit le profil concerné, les principes d'intervention AAC retenus par Garrett et Beukelman
dans ce contexte peuvent se résumer de la manière suivante:
•
mode global de prise en charge centré sur l'entourage socio-familial et tenant compte de la
personnalité et du style de vie actuel de la personne aphasique;
•
renforcement de la participation de l'aphasique dans les activités de la vie quotidienne;
•
accent mis prioritairement sur la signification et l'intention du message,
reconnaissance d'une communication plurimodale avant tout fonctionnelle;
•
acceptation du caractère idiosyncratique et individuel de la communication;
impliquant la
2Ordinateur réalisé par la FST en 1984 afin de permettre la communication orale par voix synthétique, sur entrée
orthographique ou libre codage, avec mini-écran et imprimante incorporés, ainsi qu'accès ergonomiques.
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•
refus de la mise en évidence préférentielle des déficits et d'un traitement visant l'entraînement
systématique de capacités souvent considérées comme sous-jacentes à la communication
(répétition de mots, complétion de phrases, exécution d'ordres et mouvements divers), en
faveur d'une meilleure utilisation des ressources résiduelles;
•
sensibilisation particulière des partenaires sociaux permettant le maintien/développement
d'occasions naturelles d'échanges.
A côté de ces principes, Garrett et Beukelman reprennent par ailleurs les quatre fonctions de
communication établies par Light (1988) distinguant besoins et désirs, transfert d'information,
conversation liée à la vie sociale ("social closeness") et politesse. En effet, l'importance relative
attribuée à chacune de ces fonctions ainsi que leur contenu varient selon l'âge (indépendamment de
l'aphasie déjà), ce qui se comprend aisément sans pour autant être toujours pris en compte. Cette
évolution est par ailleurs modulée par le stade de la maladie: ainsi, en phase aiguë, les deux
premières fonctions citées sont prépondérantes, le malade étant souvent très dépendant
physiquement et très questionné sur son identité au sens large. L'avancement vers un stade
chronique se traduit par une dominance des deux dernières fonctions. Ces constatations
conduisent à l'élaboration d'un plan d'intervention adapté à la situation actuelle de la personne
aphasique ainsi qu'aux besoins et ressources de son environnement.
Mise en place d'un support de communication chez Monsieur NN
Contactées par l'ami de Monsieur NN (abrégé NN par la suite) âgé de 54 ans et resté sévèrement
aphasique 10 mois après AVC sylvien gauche massif, nous avons proposé la mise en place d'un
support graphique de communication, comprenant trois phases d'intervention sur une durée totale
de 6 mois (total de 10 séances de 2 heures, dont 8 sur les quatre premiers mois).
1. Evaluation neuropsychologique confirmant la persistance d'une importante aphasie globale
caractérisée par une expression verbale sévèrement non fluente et stéréotypée, de nets troubles
de la compréhension auditivo-verbale, grave agraphie et lecture limitée aux mots isolés; troubles
associés sous forme d'apraxies marquées et de signes frontaux (persévérations, irritabilité);
hémisyndrome sensitivo-moteur droit avec hémianopsie;
-
compétences résiduelles caractérisées par une bonne compréhension des mots écrits isolés, une
conservation des gnosies visuelles et une motivation visible pour les échanges sociaux (NN est
décrit comme un homme très sociable avant son AVC);
-
aphasique correspondant, sur le plan de la qualité de ses capacités de communication, au profil
du "controlled-situation communicator".
2. Rencontre de ses fidèles amis (la famille n'étant pas disponible en raison d'un conflit conjugal
antérieur à la maladie) afin de discuter de la maladie, des séquelles, des objectifs actuels compte
tenu du stade chronique de la maladie et du milieu médicalisé peu spécialisé où NN se trouve, et,
des stratégies d'intervention envisageables;
-
compte tenu de l'engagement des amis, élaboration d'un support de communication basé sur les
intérêts et besoins de NN, incluant les conseils habituels destinés aux partenaires sociaux et à
leur rôle de facilitateurs (Collins, 1986) ainsi que le recours à la technique dite de la conversation
sur choix écrits ("written choice conversation", Garrett et Beukelman, 1992) permettant des
échanges structurés et une meilleure participation de la personne aphasique.
3. Réunions régulièrement agendées associant la présence de la personne aphasique et d'au moins
l'un de ses amis, afin de faciliter la préparation d'un contenu adapté et de permettre
l'entraînement en situation réelle.
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La première phase n'appelle pas de commentaires particuliers dans la mesure où elle correspond à
l'approche traditionnelle des professionnels spécialisés en aphasiologie. La phase de sensibilisation
des partenaires sociaux a été réalisée lors de deux soirées réunissant les amis de NN, soit plus de
quinze personnes de bon niveau socio-culturel et se connaissant bien entre elles. L'objectif de la
première rencontre était d'exposer le projet puis de poser diverses questions destinées à s'assurer
d'une vision commune des atouts et limites de NN.
Nous nous sommes inspirées des questionnaires établis par Garrett et Beukelman pour l'évaluation
des aptitudes des partenaires et leur ajustement face au handicap de communication que constitue
l'aphasie sévère. Les réponses obtenues ont montré une bonne reconnaissance des difficultés, mais
un faible impact sur la façon de converser avec NN. La deuxième soirée a permis la présentation du
classeur décrit plus bas. En plus des conseils habituels, la stratégie de la conversation sur choix
écrits a alors été démontrée:
1. choisir un thème intéressant l'aphasique et son interlocuteur;
2. l'interlocuteur commence par poser une question;
3. si l'aphasique ne répond pas, l'interlocuteur écrit 2 à 5 réponses
potentiellement logiques sous forme de mots-clés écrits en majuscules, ou
dessine une échelle permettant de donner une appréciation qualitative sur
5 points;
4. l'interlocuteur encourage l'aphasique à pointer une réponse;
5. l'interlocuteur renforce la réponse dans son intention et son contenu;
6. l'interlocuteur pose une autre question et pratique comme décrit sous 3,
jusqu'à ce que le thème choisi soit épuisé ou que l'un ou l'autre des
partenaires de dialogue désire changer de sujet.
La troisième phase a permis de faire mieux connaissance de NN, de ses intérêts et habitudes de vie.
Séjournant en milieu hospitalier dans l'attente de trouver un appartement adapté, le patient aime s e
rendre en ville, seul s'il le faut, prenant alors le taxi pour aller voir un film au cinéma, par exemple.
Très entouré par ses amis, il sort volontiers en leur compagnie manger au restaurant. Il regarde par
ailleurs régulièrement quelques émissions de TV. Suivant l'organisation sémantique proposée par les
auteurs du "gespreksboek" (Verschaeve et al., 1992), ces données initiales ont permis la
constitution de différentes catégories regroupant notamment: objets importants (médicaments,
attelle, téléphone, etc.), coordonnées complètes des amis, prénoms des membres de sa famille,
calendrier, boissons et plats favoris, articles spécifiques de shopping, grands cinémas, émissions
TV, cartes géographiques, alphabet.
Compte tenu des capacités de compréhension des mots isolés, le contenu est présenté sous forme
de listes dactylographiées (soit 70 à 100 mots au total) illustrées par quelques pictogrammes
destinés à faciliter le repérage. Complètent ce dispositif :
•
une page de garde destinée à dissiper les malentendus comprenant des messages de régulation
comme "je ne comprends pas, répéte(z) SVP, parle(z) plus lentement, écrivez les mots
importants en majuscules" ou "ça n'est pas dans mon classeur, essaie(z) de deviner";
•
une première page où figure l'adresse et le No de téléphone du lieu de résidence de NN;
•
une deuxième page expliquant brièvement son handicap de communication et la manière de s'y
prendre en cas de difficulté;
•
des pages intercalaires situées dans les rubriques "amis/famille/cinémas/TV", permettant aux
partenaires sociaux de noter la date de leur visite ou le film vu ensemble, mais aussi de
converser sur le passage récent d'un ami, un autre film, une émission de TV intéressante..., etc;
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•
une échelle d'appréciation qualitative qui figure dans la rubrique "cinémas";
•
une fourre plastic intitulée "Quoi de neuf ?" où peuvent figurer des nouvelles inédites, à
caractère sympathique ou plus grave, concernant NN, sa famille et ses amis, ou des photos de
sorties (contenu à dater pour mise à jour régulière);
•
un bloc et un stylo destiné à l'application de la stratégie de "conversation sur choix écrits"
(incluant les consignes écrites);
•
une brochure "Qu'est-ce que l'aphasie ?";
•
des pages vides.
Ce matériel incluant tant des catégories sémantiques que des éléments à visée interactive ("dynamic
cues") est présenté sous la forme d'un classeur A5 (32 pages de 23 x 20 cm). Un répertoire
pictographique facilite l'accès aux différentes rubriques. Avant que ce classeur ne soit terminé, NN
a clairement manifesté son désir d'un carnet de communication de format de poche, pouvant être
glissé dans le sac-banane qu'il porte régulièrement. Ce carnet comporte les mêmes rubriques mais la
présentation est forcément plus dense (23 pages de 8,5 x 6,5 cm) et les "dynamic cues" absents.
Les avantages et les inconvénients de chacun des systèmes ont été discutés lors de la deuxième
réunion regroupant les amis de NN. Le classeur et ses pages intercalaires rencontrent la faveur des
amis, par son côté interactif et son rôle d'aide-mémoire (NN étant susceptible d'oublier les faits
récents). NN préfère quant à lui le mini-carnet. Les séances restantes ont été consacrées à
l'utilisation pratique sous forme de jeux de rôles souvent peu investis par NN. L'entraînement en
situation réelle a de ce fait dû être confié à ses amis.
Résultats
L'évaluation des résultats a été principalement réalisée par le biais de réponses obtenues s u r
questionnaires adressés le sixième mois aux amis, à la famille et à la clinique (soit 10 exemplaires
envoyés et 8 retournés dûment complétés, en provenance exclusive des amis). Le but premier était
de comparer les possibilités apportées par l'utilisation du support de communication (classeur ou
carnet) avec les propres capacités de NN, caractérisées par une compréhension verbale
modérément altérée et une expression alliant stéréotypie ("pa-pa-pa..." et "non-non-non..."),
modulation du volume vocal plus que de la prosodie, mouvements de tête et du bras gauche,
mimiques faciales, gestes flous à l'exception du pointage dans l'environnement immédiat. Les
réponses montrent alors la supériorité du support de communication lorsque le pointage s'avère
non informatif (personnes absentes, lieux, dates) ou que NN se trouve face à un interlocuteur non
familier. Le rôle d'aide-mémoire est également souligné, plus fortement encore que celui de facilitation
de la compréhension de NN à l'égard des propos de son interlocuteur. Les amis sont favorables à
l'utilisation complémentaire des deux supports de communication: le classeur est plus
particulièrement destiné aux amis qui l'emploient pour parler des visites récemment reçues ainsi qu'à
titre d'agenda collectif pour mieux prévoir les visites ultérieures (éviter de se retrouver trop
nombreux le même jour); NN emporte quant à lui le carnet format de poche dans tous s e s
déplacements. La communication à l'aide du carnet est plus fréquemment obtenue sur incitation que
spontanément. Certains se sentent plus à l'aise que d'autres qui disent être gênés par le côté
structuré de la relation qui induit une spontanéité moindre. Beaucoup pensent que leur ami sousestime les difficultés qu'ils éprouvent à communiquer avec lui. Ces données qualitatives montrent
donc un meilleur ajustement des partenaires sociaux, dans le sens d'une diminution des échanges
principalement verbaux au profit d'une communication plus fréquemment plurimodale. De son côté,
NN rejette le classeur et son agencement destiné à de plus riches interactions. Il le trouve
encombrant et montre qu'il doit déjà se déplacer avec une chaise roulante et marcher avec une
attelle. Il manifeste souvent sa désapprobation lorsque ses amis souhaitent écrire dans le classeur.
Plus encourageantes sont les capacités d'utilisation spontanée de son carnet pour demander l'appel
d'un taxi, aller seul au cinéma et en revenir, faire savoir aux visites qui veulent l'emmener faire une
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promenade qu'il attend encore une autre personne, passer commande au restaurant, indiquer
l'oubli de ses médicaments, obtenir un rendez-vous chez le dentiste.
Sur incitation à sortir son carnet pour mieux se faire comprendre, NN a pu notamment préciser où
des amis communs se trouvaient en vacances et où il désirait aller manger.
Une année plus tard, NN utilise toujours son carnet, sans modification du contenu; l'emploi du
classeur a par contre été abandonné.
Commentaires
L'ajustement des partenaires sociaux constitue un résultat encourageant; le bon niveau socioculturel et la cohésion des amis de NN ont sans doute facilité notre contribution. L'utilisation du
carnet de communication de format de poche, bien que fonctionelle, reste néanmoins limitée. Le
classeur susceptible de favoriser des échanges plus riches remporte l'adhésion des amis mais pas
celle de NN. S'agit-il d'une attitude fréquente chez les personnes aphasiques, se rapprochant de leur
réticence générale à recourir à d'autres moyens d'expression que la parole ? Ce rejet est-il lié à la
personnalité de NN ? La durée de mise en place est-elle insuffisante ? Faut-il évoquer des
différences culturelles (américain versus helvétique) ?
Présentés à ISAAC (Croisier, 1994), les résultats de cette application ont été soumis au professeur
D.R. Beukelmann qui en fait les commentaires suivants: une certaine réticence de l'aphasique face à
l'utilisation du support de communication est connue également outre-atlantique; la valeur de la
stratégie de conversation sur choix écrits pour les personnes gravement aphasiques se confirme; le
classement sémantique étant souvent difficile d'accès pour ces aphasiques-là, une organisation plus
directement spatiale ou géographique a été proposée depuis peu, avec des résultats encourageants;
il est important de ne pas sous-estimer le temps à consacrer aux instructions destinées à la famille et
à l'entourage, puis à la mise en pratique, le recours fonctionnel aux moyens proposés
n'apparaissant généralement qu'après quelques mois; un suivi moins intense est nécessaire à plus
long terme pour encourager les aphasiques (et leur entourage) à en poursuivre l'utilisation. Le
professeur Beukelmann tient également à souligner l'importance d'une mise en place d'une
communication plurimodale appropriée chez les aphasiques correspondant au profil type
"comprehensive communicator", aphasiques qu'on a peut-être tendance à moins prendre en
considération compte tenu de leurs capacités résiduelles jugées suffisantes pour un cercle d'initiés,
alors que ce sont probablement les candidats susceptibles de bénéficier au mieux de l'approche
AAC décrite.
A. Waller (1994) retient quatre conditions déterminantes pour poser
fonctionnels par le biais d'un support de communication:
•
•
•
•
l'objectif d'échanges
l'aphasique a conscience de ses troubles;
l'aphasique et son répondant (conjoint, thérapeute, ami ou autre) sont motivés pour le recours
à des moyens dits augmentatifs;
une bonne appétence au dialogue préexiste à la maladie;
malgré la restriction du cercle des interlocuteurs potentiels, des occasions d'échanges naturels
demeurent présentes.
Cette dernière condition mérite un commentaire. La participation effective (bien que limitée) de
l'aphasique aux choix comme aux échanges s'inscrivant dans la vie quotidienne est une notion
prioritaire dans le contexte AAC, en étroite dépendance avec celle d'ajustement des partenaires
sociaux. Essentiellement confrontées à des personnes aphasiques de longue date, nous constatons
fréquemment combien l'entourage très proche (et la famille plus particulièrement) a remarquablement
su s'adapter, sans support de communication spécifique, pour saisir l'aphasique et se faire
comprendre de lui. Economique pour le patient qui, dans bien des cas, n'a qu'à approuver ou
refuser de la tête, cette sur-adaptation de l'entourage restreint pourtant sa participation et
s'accompagne de moindres chances de succès dans la mise en place d'un support de
communication. La sensibilisation des partenaires sociaux à cette distinction entre "sur-adaptation
spontanée" et "ajustement volontaire" de leur part n'est pas simple; elle doit cependant contribuer à
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rendre les attentes de l'entourage plus réalistes et à préciser leur motivation à recourir un support
de communication.
Par ailleurs, comme le mentionne A. Kraat en 1990 déjà, il est clair que l'utilisation d'un support de
communication, quel qu'il soit, ne peut s'ajuster à toutes les situations d'échanges sociaux, ni à tous
les partenaires potentiels. Beaucoup s'en faut. C'est pourquoi est préconisée de plus en plus
fréquemment la réalisation de "mini-tableaux" par contexte d'utilisation (jeux de cartes versus
restaurant, par exemple). En effet, plus le support correspond à une situation spécifique, plus aisé il
est pour l'interlocuteur d'en démontrer naturellement l'utilisation (modelling) et plus facile semble la
participation de l'aphasique. Un recours plus systématique du pointage par le partenaire est de plus
certainement profitable à ces aphasiques dont la compréhension verbale s'avère généralement
largement surestimée.
Le travail réalisé par la FST intervient tardivement dans le processus thérapeutique, en phase
chronique de la maladie (près d'un an après l'AVC dans le cas de NN). Les conditions d'une mise en
place plus précoce en cours de l'hospitalisation sont abordées dans l'article d'A.-F. Rod (1996) qui
propose notamment un questionnaire de sensibilisation plus particulièrement destiné au personnel
de soins. Demeure posée la question du moment favorable à l'introduction de moyens
compensatoires: ont-ils plus de chance de rencontrer l'adhésion de l'aphasique et de son entourage
en phase tardive, lorsque le deuil des capacités d'expression verbales est bien amorcé ? Les
adeptes de la démarche AAC pensent plutôt que leur mise en place contribue activement au
processus d'acceptation du handicap par l'aphasique, et plus nettement encore par son entourage.
Les entretiens informels que nous avons régulièrement l'occasion d'avoir avec les familles et les
divers professionnels qui visitent la FST montrent souvent un décalage flagrant entre le travail
réalisé par les logopédistes et la conception réduite apparaissant au travers des exercices
spontanément proposés par l'entourage socio-familial (par désarroi ?), exercices qui s'inspirent
davantage des débuts de la scolarité primaire que du contexte et de l'expérience de vie de la
personne aphasique concernée. C'est pourquoi, même si la mise en place d'un support de
communication ne débouche pas sur une communication spontanée fonctionnelle, elle aura sans
doute le mérite de rapprocher les perspectives de chacun, de favoriser un meilleur ajustement des
partenaires sociaux et d'influencer ainsi favorablement le processus d'acceptation déjà évoqué. B.
Franklin rejoindrait sans doute cet avis, défendant le principe d'apprentissage/appropriation
suivant: "Parle-moi et j'oublierai, montre-moi et je comprendrai, engage-moi et j'apprendrai ...". Il en
va de même pour l'aphasique qui en participant davantage, sans que soit directement sollicitée une
production verbale, progresse, donne et retrouve peu à peu une image de lui-même plus
valorisante.
Perspectives d'avenir
Envisagés par A. Kraat dans sa synthèse publiée en 1990, les progrès en micro-informatique s e
précisent. Toujours plus conviviaux, des logiciels dits de communication récemment mis sur le
marché permettent notamment la création de tableaux organisés en arborescences (ou "écrans
dynamiques") pouvant être couplés à une voix digitale ou synthétique. Ces dispositifs, en facilitant
significativement les passages entre les diverses modalités d'entrée et de sortie (oral versus écrit,
dessin ou photo versus mot, et autres apports liés à la prédiction automatique), enrichissent
d'abord le matériel thérapeutique. Susceptibles de diminuer la charge cognitive, ils ne l'annulent
évidemment pas, rendant leur utilisation possible dans un "environnement protégé", et souvent peu
fonctionnelle à l'extérieur. Peut-être faut-il encore rappeler que les opérations mentales contribuant
au traitement d'un systéme symbolique non verbal sont similaires aux mécanismes de traitement
langagier (Bertoni et Weniger, 1991). Souhaitons qu'à l'image des applications réalisées dans le cadre
des pathologies développementales, ces systèmes "high tech'" s'avèrent complémentaires aux
carnets de communication. Si attrayants soient-ils, ils ne permettent cependant en aucun cas de faire
l'économie du processus d'acceptation du handicap, du choix d'un contenu réellement
individualisé, et moins encore de la sensibilisation des partenaires sociaux. Quel que soit le système
choisi, la partition d'une communication fonctionnelle dans l'aphasie sévère bien interprétée reste
écrite pour soliste et orchestre.
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MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT
APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996)
096F – page 8 /8
Remerciements
Notre reconnaissance s'adresse à Monsieur NN et à ses proches amis qui, en s'engageant avec
nous dans ce projet-pilote, nous ont permis d'apprendre dans ce domaine où les applications
francophones semblent encore discrètes.
BIBLIOGRAPHIE
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Rod A.-F. (1996)
Recherche clinique sur l'introduction d'un support de communication.
Aphasie et domaines associés, 1, (voir dans ce même numéro).
FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES
STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL
FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI
SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY
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