PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE .
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Ref FST: 096F MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE : PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE. Michèle Croisier 1 Ce texte a été publié dans la revue "Aphasie et domaines associés", 1996, No 1, pp 47-57, dans le cadre d'un numéro spécial consacré aux avantages et limites de l'utilisation de supports graphiques face aux troubles acquis du langage. Résumé Les capacités de communication non verbale des personnes sévèrement aphasiques restent fréquemment très limitées. L'entourage socio-familial cherche alors divers moyens compensatoires, dont les téléthèses de communication malheureusement insuffisamment adaptées à pareil handicap. Pour certains aphasiques, de meilleures chances de communication fonctionnelle passent par la mise en place d'un classeur de communication individualisé. Les conditions à réunir sont décrites en référence aux propositions de Garrett et Beukelman (1992). L'intervention réalisée sur une durée de 6 mois auprès d'une personne aphasique de 54 ans ainsi que les résultats observés sont détaillés et le rôle prépondérant de l'entourage souligné. Zusammenfassung Die Fähigkeiten zur non-verbalen Kommunikation bei Personen mit einer schweren Aphasie bleiben häufig stark eingeschränkt. Die familiäre und soziale Umgebung sucht deshalb nach verschiedenen Mitteln zur Kompensation. Darunter fallen auch elektronische Hilfsmittel; aber nun sind diese Geräte leider ungenügend für solche Sprachstörungen konzipiert. Für einige Aphasiker sind besseren Chancen für eine funktionelle Kommunikation durch den Einsatz eines Kommunikationsbuches gegeben. Die zu berücksichtigenden Vorraussetzungen werden beschrieben und die Wichtigkeit der Rolle der Umgebung betont. Introduction La Fondation Suisse pour les Téléthèses (FST) a pour mission d'accroître l'autonomie des personnes handicapées en les faisant bénéficier des progrès réalisés en matière de microélectronique/informatique, dans les domaines de la communication, du contrôle de l'environnement et de l'accès ergonomique aux ordinateurs. Dans les années quatre-vingts, les interventions du secteur Communication concernent principalement des personnes sans expression verbale en raison de pathologies développementales associant un handicap moteur (l'infirmité motrice cérébrale, notamment). La demande des années nonantes inclut plus fréquemment les personnes souffrant d'aphasie, de mutisme ou de dysarthrie sévères liés à des pathologies acquises. Or, si la 1Psychologue spécialiste en neuropsychologie FSP et logopédiste diplômée, ancienne collaboratrice de la FST. Travaille actuellement à la Consultation de Neuropsychologie et Logopédie des Hôpitaux de la ville de Neuchâtel (expérience antérieure acquise au CHUV). FONDATION SUISSE POUR LES TELETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected] MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996) 096F – page 2 /8 mise en place d'une téléthèse de communication comme Hector2 chez un aphasique de Broca âgé de 60 ans s'est avérée limitée mais positive (Croisier et Assal, 1988), force est d'admettre que le recours à de tels appareils n'apporte pas d'amélioration dans la qualité des échanges entre une personne sévèrement aphasique et ses proches; pour l'instant, et pour quelque temps encore, l'adaptation homme-machine s'avère insuffisante. C'est pourtant généralement vers une haute technologie réparatrice que converge l'espoir des familles ou des professionnels non spécialisés partageant le quotidien de ces patients chroniques, raison pour laquelle la FST est alors contactée. Travaillant dans le cadre de la démarche dite de "Communication Augmentative et Alternative" (connue sous le sigle international AAC), nous avons cherché l'existence de stratégies d'intervention adaptées à ces patients gravement aphasiques et susceptibles de prolonger la prise en charge réalisée en milieu hopitalier spécialisé en réhabilitation. Coïncidence bienvenue, Garrett et Beukelman (1992) publient un article décrivant des principes d'intervention adaptés à l'aphasie sévère. Reprenant le "communication participation model" décrit par Rosenberg (1987) puis repris par Beukelman et Mirenda (1987;1992), ces adeptes notoires de l'approche AAC rappellent que les personnes gravement aphasiques doivent, pour avoir accès aux échanges sociaux, forcément s'appuyer sur leurs capacités résiduelles et apprendre de nouveaux modes de communication; les partenaires sociaux devraient par conséquent veiller à leur procurer l'occasion de participer à des échanges adéquats et stimulants. L'amélioration de la communication entre une personne sévèrement aphasique et son interlocuteur dépend en priorité de la qualité de leur ajustement réciproque, le rôle de l'interlocuteur étant clairement prépondérant. Les auteurs proposent de ce fait une classification distinguant divers profils aphasiques basés sur la gravité des troubles de communication et débouchant sur des stratégies d'intervention spécifiques. Concernant plus particulièrement les aphasiques globaux, deux profils sont à distinguer: les aphasiques ne communiquant que dans des situations contextuelles simples et grâce à une aide majeure de l'interlocuteur ("basic choice communicator"), et, les aphasiques capables, malgré un discours sévèrement non fluent et stéréotypé, d'initier un échange dans des situations structurées, de transmettre une information les concernant, une opinion ou un sentiment ("controlled situation communicator"). Bien différent est le groupe d'aphasiques capables de communiquer en utilisant différentes modalités (production verbale réduite/tronquée, gestes ébauchés, épellation de la première lettre, pointage dans une banque de données spécifiques et autres), l'interlocuteur reconstruisant le message à partir des divers éléments fournis (profil-type du "comprehensive communicator"). Il s'agit de patients présentant d'assez bonnes capacités de compréhension et décrits comme communicatifs malgré une sévère aphasie de type Broca, ou plus rarement une aphasie de conduction massive. Ces patients-là bénéficient largement d'une meilleure harmonisation de leur communication plurimodale. Quel que soit le profil concerné, les principes d'intervention AAC retenus par Garrett et Beukelman dans ce contexte peuvent se résumer de la manière suivante: • mode global de prise en charge centré sur l'entourage socio-familial et tenant compte de la personnalité et du style de vie actuel de la personne aphasique; • renforcement de la participation de l'aphasique dans les activités de la vie quotidienne; • accent mis prioritairement sur la signification et l'intention du message, reconnaissance d'une communication plurimodale avant tout fonctionnelle; • acceptation du caractère idiosyncratique et individuel de la communication; impliquant la 2Ordinateur réalisé par la FST en 1984 afin de permettre la communication orale par voix synthétique, sur entrée orthographique ou libre codage, avec mini-écran et imprimante incorporés, ainsi qu'accès ergonomiques. FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected] MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996) 096F – page 3 /8 • refus de la mise en évidence préférentielle des déficits et d'un traitement visant l'entraînement systématique de capacités souvent considérées comme sous-jacentes à la communication (répétition de mots, complétion de phrases, exécution d'ordres et mouvements divers), en faveur d'une meilleure utilisation des ressources résiduelles; • sensibilisation particulière des partenaires sociaux permettant le maintien/développement d'occasions naturelles d'échanges. A côté de ces principes, Garrett et Beukelman reprennent par ailleurs les quatre fonctions de communication établies par Light (1988) distinguant besoins et désirs, transfert d'information, conversation liée à la vie sociale ("social closeness") et politesse. En effet, l'importance relative attribuée à chacune de ces fonctions ainsi que leur contenu varient selon l'âge (indépendamment de l'aphasie déjà), ce qui se comprend aisément sans pour autant être toujours pris en compte. Cette évolution est par ailleurs modulée par le stade de la maladie: ainsi, en phase aiguë, les deux premières fonctions citées sont prépondérantes, le malade étant souvent très dépendant physiquement et très questionné sur son identité au sens large. L'avancement vers un stade chronique se traduit par une dominance des deux dernières fonctions. Ces constatations conduisent à l'élaboration d'un plan d'intervention adapté à la situation actuelle de la personne aphasique ainsi qu'aux besoins et ressources de son environnement. Mise en place d'un support de communication chez Monsieur NN Contactées par l'ami de Monsieur NN (abrégé NN par la suite) âgé de 54 ans et resté sévèrement aphasique 10 mois après AVC sylvien gauche massif, nous avons proposé la mise en place d'un support graphique de communication, comprenant trois phases d'intervention sur une durée totale de 6 mois (total de 10 séances de 2 heures, dont 8 sur les quatre premiers mois). 1. Evaluation neuropsychologique confirmant la persistance d'une importante aphasie globale caractérisée par une expression verbale sévèrement non fluente et stéréotypée, de nets troubles de la compréhension auditivo-verbale, grave agraphie et lecture limitée aux mots isolés; troubles associés sous forme d'apraxies marquées et de signes frontaux (persévérations, irritabilité); hémisyndrome sensitivo-moteur droit avec hémianopsie; - compétences résiduelles caractérisées par une bonne compréhension des mots écrits isolés, une conservation des gnosies visuelles et une motivation visible pour les échanges sociaux (NN est décrit comme un homme très sociable avant son AVC); - aphasique correspondant, sur le plan de la qualité de ses capacités de communication, au profil du "controlled-situation communicator". 2. Rencontre de ses fidèles amis (la famille n'étant pas disponible en raison d'un conflit conjugal antérieur à la maladie) afin de discuter de la maladie, des séquelles, des objectifs actuels compte tenu du stade chronique de la maladie et du milieu médicalisé peu spécialisé où NN se trouve, et, des stratégies d'intervention envisageables; - compte tenu de l'engagement des amis, élaboration d'un support de communication basé sur les intérêts et besoins de NN, incluant les conseils habituels destinés aux partenaires sociaux et à leur rôle de facilitateurs (Collins, 1986) ainsi que le recours à la technique dite de la conversation sur choix écrits ("written choice conversation", Garrett et Beukelman, 1992) permettant des échanges structurés et une meilleure participation de la personne aphasique. 3. Réunions régulièrement agendées associant la présence de la personne aphasique et d'au moins l'un de ses amis, afin de faciliter la préparation d'un contenu adapté et de permettre l'entraînement en situation réelle. FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected] MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996) 096F – page 4 /8 La première phase n'appelle pas de commentaires particuliers dans la mesure où elle correspond à l'approche traditionnelle des professionnels spécialisés en aphasiologie. La phase de sensibilisation des partenaires sociaux a été réalisée lors de deux soirées réunissant les amis de NN, soit plus de quinze personnes de bon niveau socio-culturel et se connaissant bien entre elles. L'objectif de la première rencontre était d'exposer le projet puis de poser diverses questions destinées à s'assurer d'une vision commune des atouts et limites de NN. Nous nous sommes inspirées des questionnaires établis par Garrett et Beukelman pour l'évaluation des aptitudes des partenaires et leur ajustement face au handicap de communication que constitue l'aphasie sévère. Les réponses obtenues ont montré une bonne reconnaissance des difficultés, mais un faible impact sur la façon de converser avec NN. La deuxième soirée a permis la présentation du classeur décrit plus bas. En plus des conseils habituels, la stratégie de la conversation sur choix écrits a alors été démontrée: 1. choisir un thème intéressant l'aphasique et son interlocuteur; 2. l'interlocuteur commence par poser une question; 3. si l'aphasique ne répond pas, l'interlocuteur écrit 2 à 5 réponses potentiellement logiques sous forme de mots-clés écrits en majuscules, ou dessine une échelle permettant de donner une appréciation qualitative sur 5 points; 4. l'interlocuteur encourage l'aphasique à pointer une réponse; 5. l'interlocuteur renforce la réponse dans son intention et son contenu; 6. l'interlocuteur pose une autre question et pratique comme décrit sous 3, jusqu'à ce que le thème choisi soit épuisé ou que l'un ou l'autre des partenaires de dialogue désire changer de sujet. La troisième phase a permis de faire mieux connaissance de NN, de ses intérêts et habitudes de vie. Séjournant en milieu hospitalier dans l'attente de trouver un appartement adapté, le patient aime s e rendre en ville, seul s'il le faut, prenant alors le taxi pour aller voir un film au cinéma, par exemple. Très entouré par ses amis, il sort volontiers en leur compagnie manger au restaurant. Il regarde par ailleurs régulièrement quelques émissions de TV. Suivant l'organisation sémantique proposée par les auteurs du "gespreksboek" (Verschaeve et al., 1992), ces données initiales ont permis la constitution de différentes catégories regroupant notamment: objets importants (médicaments, attelle, téléphone, etc.), coordonnées complètes des amis, prénoms des membres de sa famille, calendrier, boissons et plats favoris, articles spécifiques de shopping, grands cinémas, émissions TV, cartes géographiques, alphabet. Compte tenu des capacités de compréhension des mots isolés, le contenu est présenté sous forme de listes dactylographiées (soit 70 à 100 mots au total) illustrées par quelques pictogrammes destinés à faciliter le repérage. Complètent ce dispositif : • une page de garde destinée à dissiper les malentendus comprenant des messages de régulation comme "je ne comprends pas, répéte(z) SVP, parle(z) plus lentement, écrivez les mots importants en majuscules" ou "ça n'est pas dans mon classeur, essaie(z) de deviner"; • une première page où figure l'adresse et le No de téléphone du lieu de résidence de NN; • une deuxième page expliquant brièvement son handicap de communication et la manière de s'y prendre en cas de difficulté; • des pages intercalaires situées dans les rubriques "amis/famille/cinémas/TV", permettant aux partenaires sociaux de noter la date de leur visite ou le film vu ensemble, mais aussi de converser sur le passage récent d'un ami, un autre film, une émission de TV intéressante..., etc; FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected] MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996) 096F – page 5 /8 • une échelle d'appréciation qualitative qui figure dans la rubrique "cinémas"; • une fourre plastic intitulée "Quoi de neuf ?" où peuvent figurer des nouvelles inédites, à caractère sympathique ou plus grave, concernant NN, sa famille et ses amis, ou des photos de sorties (contenu à dater pour mise à jour régulière); • un bloc et un stylo destiné à l'application de la stratégie de "conversation sur choix écrits" (incluant les consignes écrites); • une brochure "Qu'est-ce que l'aphasie ?"; • des pages vides. Ce matériel incluant tant des catégories sémantiques que des éléments à visée interactive ("dynamic cues") est présenté sous la forme d'un classeur A5 (32 pages de 23 x 20 cm). Un répertoire pictographique facilite l'accès aux différentes rubriques. Avant que ce classeur ne soit terminé, NN a clairement manifesté son désir d'un carnet de communication de format de poche, pouvant être glissé dans le sac-banane qu'il porte régulièrement. Ce carnet comporte les mêmes rubriques mais la présentation est forcément plus dense (23 pages de 8,5 x 6,5 cm) et les "dynamic cues" absents. Les avantages et les inconvénients de chacun des systèmes ont été discutés lors de la deuxième réunion regroupant les amis de NN. Le classeur et ses pages intercalaires rencontrent la faveur des amis, par son côté interactif et son rôle d'aide-mémoire (NN étant susceptible d'oublier les faits récents). NN préfère quant à lui le mini-carnet. Les séances restantes ont été consacrées à l'utilisation pratique sous forme de jeux de rôles souvent peu investis par NN. L'entraînement en situation réelle a de ce fait dû être confié à ses amis. Résultats L'évaluation des résultats a été principalement réalisée par le biais de réponses obtenues s u r questionnaires adressés le sixième mois aux amis, à la famille et à la clinique (soit 10 exemplaires envoyés et 8 retournés dûment complétés, en provenance exclusive des amis). Le but premier était de comparer les possibilités apportées par l'utilisation du support de communication (classeur ou carnet) avec les propres capacités de NN, caractérisées par une compréhension verbale modérément altérée et une expression alliant stéréotypie ("pa-pa-pa..." et "non-non-non..."), modulation du volume vocal plus que de la prosodie, mouvements de tête et du bras gauche, mimiques faciales, gestes flous à l'exception du pointage dans l'environnement immédiat. Les réponses montrent alors la supériorité du support de communication lorsque le pointage s'avère non informatif (personnes absentes, lieux, dates) ou que NN se trouve face à un interlocuteur non familier. Le rôle d'aide-mémoire est également souligné, plus fortement encore que celui de facilitation de la compréhension de NN à l'égard des propos de son interlocuteur. Les amis sont favorables à l'utilisation complémentaire des deux supports de communication: le classeur est plus particulièrement destiné aux amis qui l'emploient pour parler des visites récemment reçues ainsi qu'à titre d'agenda collectif pour mieux prévoir les visites ultérieures (éviter de se retrouver trop nombreux le même jour); NN emporte quant à lui le carnet format de poche dans tous s e s déplacements. La communication à l'aide du carnet est plus fréquemment obtenue sur incitation que spontanément. Certains se sentent plus à l'aise que d'autres qui disent être gênés par le côté structuré de la relation qui induit une spontanéité moindre. Beaucoup pensent que leur ami sousestime les difficultés qu'ils éprouvent à communiquer avec lui. Ces données qualitatives montrent donc un meilleur ajustement des partenaires sociaux, dans le sens d'une diminution des échanges principalement verbaux au profit d'une communication plus fréquemment plurimodale. De son côté, NN rejette le classeur et son agencement destiné à de plus riches interactions. Il le trouve encombrant et montre qu'il doit déjà se déplacer avec une chaise roulante et marcher avec une attelle. Il manifeste souvent sa désapprobation lorsque ses amis souhaitent écrire dans le classeur. Plus encourageantes sont les capacités d'utilisation spontanée de son carnet pour demander l'appel d'un taxi, aller seul au cinéma et en revenir, faire savoir aux visites qui veulent l'emmener faire une FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected] MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996) 096F – page 6 /8 promenade qu'il attend encore une autre personne, passer commande au restaurant, indiquer l'oubli de ses médicaments, obtenir un rendez-vous chez le dentiste. Sur incitation à sortir son carnet pour mieux se faire comprendre, NN a pu notamment préciser où des amis communs se trouvaient en vacances et où il désirait aller manger. Une année plus tard, NN utilise toujours son carnet, sans modification du contenu; l'emploi du classeur a par contre été abandonné. Commentaires L'ajustement des partenaires sociaux constitue un résultat encourageant; le bon niveau socioculturel et la cohésion des amis de NN ont sans doute facilité notre contribution. L'utilisation du carnet de communication de format de poche, bien que fonctionelle, reste néanmoins limitée. Le classeur susceptible de favoriser des échanges plus riches remporte l'adhésion des amis mais pas celle de NN. S'agit-il d'une attitude fréquente chez les personnes aphasiques, se rapprochant de leur réticence générale à recourir à d'autres moyens d'expression que la parole ? Ce rejet est-il lié à la personnalité de NN ? La durée de mise en place est-elle insuffisante ? Faut-il évoquer des différences culturelles (américain versus helvétique) ? Présentés à ISAAC (Croisier, 1994), les résultats de cette application ont été soumis au professeur D.R. Beukelmann qui en fait les commentaires suivants: une certaine réticence de l'aphasique face à l'utilisation du support de communication est connue également outre-atlantique; la valeur de la stratégie de conversation sur choix écrits pour les personnes gravement aphasiques se confirme; le classement sémantique étant souvent difficile d'accès pour ces aphasiques-là, une organisation plus directement spatiale ou géographique a été proposée depuis peu, avec des résultats encourageants; il est important de ne pas sous-estimer le temps à consacrer aux instructions destinées à la famille et à l'entourage, puis à la mise en pratique, le recours fonctionnel aux moyens proposés n'apparaissant généralement qu'après quelques mois; un suivi moins intense est nécessaire à plus long terme pour encourager les aphasiques (et leur entourage) à en poursuivre l'utilisation. Le professeur Beukelmann tient également à souligner l'importance d'une mise en place d'une communication plurimodale appropriée chez les aphasiques correspondant au profil type "comprehensive communicator", aphasiques qu'on a peut-être tendance à moins prendre en considération compte tenu de leurs capacités résiduelles jugées suffisantes pour un cercle d'initiés, alors que ce sont probablement les candidats susceptibles de bénéficier au mieux de l'approche AAC décrite. A. Waller (1994) retient quatre conditions déterminantes pour poser fonctionnels par le biais d'un support de communication: • • • • l'objectif d'échanges l'aphasique a conscience de ses troubles; l'aphasique et son répondant (conjoint, thérapeute, ami ou autre) sont motivés pour le recours à des moyens dits augmentatifs; une bonne appétence au dialogue préexiste à la maladie; malgré la restriction du cercle des interlocuteurs potentiels, des occasions d'échanges naturels demeurent présentes. Cette dernière condition mérite un commentaire. La participation effective (bien que limitée) de l'aphasique aux choix comme aux échanges s'inscrivant dans la vie quotidienne est une notion prioritaire dans le contexte AAC, en étroite dépendance avec celle d'ajustement des partenaires sociaux. Essentiellement confrontées à des personnes aphasiques de longue date, nous constatons fréquemment combien l'entourage très proche (et la famille plus particulièrement) a remarquablement su s'adapter, sans support de communication spécifique, pour saisir l'aphasique et se faire comprendre de lui. Economique pour le patient qui, dans bien des cas, n'a qu'à approuver ou refuser de la tête, cette sur-adaptation de l'entourage restreint pourtant sa participation et s'accompagne de moindres chances de succès dans la mise en place d'un support de communication. La sensibilisation des partenaires sociaux à cette distinction entre "sur-adaptation spontanée" et "ajustement volontaire" de leur part n'est pas simple; elle doit cependant contribuer à FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected] MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996) 096F – page 7 /8 rendre les attentes de l'entourage plus réalistes et à préciser leur motivation à recourir un support de communication. Par ailleurs, comme le mentionne A. Kraat en 1990 déjà, il est clair que l'utilisation d'un support de communication, quel qu'il soit, ne peut s'ajuster à toutes les situations d'échanges sociaux, ni à tous les partenaires potentiels. Beaucoup s'en faut. C'est pourquoi est préconisée de plus en plus fréquemment la réalisation de "mini-tableaux" par contexte d'utilisation (jeux de cartes versus restaurant, par exemple). En effet, plus le support correspond à une situation spécifique, plus aisé il est pour l'interlocuteur d'en démontrer naturellement l'utilisation (modelling) et plus facile semble la participation de l'aphasique. Un recours plus systématique du pointage par le partenaire est de plus certainement profitable à ces aphasiques dont la compréhension verbale s'avère généralement largement surestimée. Le travail réalisé par la FST intervient tardivement dans le processus thérapeutique, en phase chronique de la maladie (près d'un an après l'AVC dans le cas de NN). Les conditions d'une mise en place plus précoce en cours de l'hospitalisation sont abordées dans l'article d'A.-F. Rod (1996) qui propose notamment un questionnaire de sensibilisation plus particulièrement destiné au personnel de soins. Demeure posée la question du moment favorable à l'introduction de moyens compensatoires: ont-ils plus de chance de rencontrer l'adhésion de l'aphasique et de son entourage en phase tardive, lorsque le deuil des capacités d'expression verbales est bien amorcé ? Les adeptes de la démarche AAC pensent plutôt que leur mise en place contribue activement au processus d'acceptation du handicap par l'aphasique, et plus nettement encore par son entourage. Les entretiens informels que nous avons régulièrement l'occasion d'avoir avec les familles et les divers professionnels qui visitent la FST montrent souvent un décalage flagrant entre le travail réalisé par les logopédistes et la conception réduite apparaissant au travers des exercices spontanément proposés par l'entourage socio-familial (par désarroi ?), exercices qui s'inspirent davantage des débuts de la scolarité primaire que du contexte et de l'expérience de vie de la personne aphasique concernée. C'est pourquoi, même si la mise en place d'un support de communication ne débouche pas sur une communication spontanée fonctionnelle, elle aura sans doute le mérite de rapprocher les perspectives de chacun, de favoriser un meilleur ajustement des partenaires sociaux et d'influencer ainsi favorablement le processus d'acceptation déjà évoqué. B. Franklin rejoindrait sans doute cet avis, défendant le principe d'apprentissage/appropriation suivant: "Parle-moi et j'oublierai, montre-moi et je comprendrai, engage-moi et j'apprendrai ...". Il en va de même pour l'aphasique qui en participant davantage, sans que soit directement sollicitée une production verbale, progresse, donne et retrouve peu à peu une image de lui-même plus valorisante. Perspectives d'avenir Envisagés par A. Kraat dans sa synthèse publiée en 1990, les progrès en micro-informatique s e précisent. Toujours plus conviviaux, des logiciels dits de communication récemment mis sur le marché permettent notamment la création de tableaux organisés en arborescences (ou "écrans dynamiques") pouvant être couplés à une voix digitale ou synthétique. Ces dispositifs, en facilitant significativement les passages entre les diverses modalités d'entrée et de sortie (oral versus écrit, dessin ou photo versus mot, et autres apports liés à la prédiction automatique), enrichissent d'abord le matériel thérapeutique. Susceptibles de diminuer la charge cognitive, ils ne l'annulent évidemment pas, rendant leur utilisation possible dans un "environnement protégé", et souvent peu fonctionnelle à l'extérieur. Peut-être faut-il encore rappeler que les opérations mentales contribuant au traitement d'un systéme symbolique non verbal sont similaires aux mécanismes de traitement langagier (Bertoni et Weniger, 1991). Souhaitons qu'à l'image des applications réalisées dans le cadre des pathologies développementales, ces systèmes "high tech'" s'avèrent complémentaires aux carnets de communication. Si attrayants soient-ils, ils ne permettent cependant en aucun cas de faire l'économie du processus d'acceptation du handicap, du choix d'un contenu réellement individualisé, et moins encore de la sensibilisation des partenaires sociaux. Quel que soit le système choisi, la partition d'une communication fonctionnelle dans l'aphasie sévère bien interprétée reste écrite pour soliste et orchestre. FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected] MISE EN PLACE D'UN CARNET DE COMMUNICATION CHEZ UNE PERSONNE SEVEREMENT APHASIQUE: PARTITION POUR SOLISTE ET ORCHESTRE (01.1996) 096F – page 8 /8 Remerciements Notre reconnaissance s'adresse à Monsieur NN et à ses proches amis qui, en s'engageant avec nous dans ce projet-pilote, nous ont permis d'apprendre dans ce domaine où les applications francophones semblent encore discrètes. BIBLIOGRAPHIE Collins M. (1986) Diagnosis and Treatment of Global Aphasia, chap. 5, pp. 65-80. Taylor and Francis Ltd, London. Light J. (1988) Interaction involving Individuals using AAA Systems: State of the Art and Future Directions. AAC Journal, 4, pp. 66. Croisier M., Assal G. (1988) Hector à un aphasique: "A vous la parole !". Aphasie et domaines associés, pp. 25-34. Kraat A. W. (1990) Augmentative and Alternative Communication: does it have a Future in Aphasia Rehabilitation ? Aphasiology, 4, pp. 321-338. Bertoni B., Stoffel A.-M., Weniger D. (1991) Communicating with Pictographs: a Graphic Approach to the Improvement of Communicative Interactions. Aphasiology, 5,4-5, pp.341-353. Garrett K.L., Beukelman D.R. (1992) Augmentative Communication Approaches for Persons with Severe Aphasia. In : Augmentative Communication in the Medical Setting, pp, 245-338. Communication Skill Builders, Tucson, Arizona. Verschaeve M., Duinker G., Muller I., Regoort A. (1992) The “Gespreksboek”, a Verbal and Pictographic Aid to Support Conversation Aphasia Rehabilitation Congress, Zürich, (poster). Croisier M. (1994) Talking with a Global Aphasic through an Interactive Communication Book: Dream or Reality ? International Society of Augmentative and Alternative Communication (ISAAC) Conference, Maastricht NL (poster). Waller A. (1994) Dysphasia: the Cinderella of the AAC World ? ISAAC Research Symposium, Kerkrade NL, Proceedings, pp.41-46. Rod A.-F. (1996) Recherche clinique sur l'introduction d'un support de communication. Aphasie et domaines associés, 1, (voir dans ce même numéro). FONDATION SUISSE POUR LES TETETHESES STIFTUNG FÜR ELEKTRONSICHE HILFSMITTEL FONDAZIONE SVIZZERA PER LE TELETESI SWISS FOUNDATION FOR REHABILITATION TECHNOLOGY Charmettes 10b-CP CH-2006 Neuchâtel 6 Switzerland Tél : 032 732 97 77 (français) Tél : 032 732 97 97 (deutsch) Fax : 032 730 58 63 www.fst.ch [email protected]