lesions anoperineales de la maladie de crohn

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lesions anoperineales de la maladie de crohn
Cours semaine n°11
LESIONS ANOPERINEALES DE LA MALADIE DE CROHN
Prise en charge diagnostique et thérapeutique
Jean-Francois CONTOU - Service de Gastroentérologie et Nutrition
Hôpital Saint Antoine Paris
I- INTRODUCTION
Les lésions anopérinéales (LAP) de la maladie de Crohn (MC), dénoncées peu de temps après la description
originelle de l’entérite régionale de Crohn, en 1932, très fréquentes en fait, réalisent une entité clinique à part
entière, si singulière que les auteurs anglo-saxons l’ont individualisée en Maladie de Crohn Ano-Périnéale (MCAP).
Cette distinction tient au fait et de sa situation anatomique à la partie terminale du tube digestif, constitué d’un
cylindre musculaire tonique contrôlant la vidange intestinale, personnalisant ainsi son expression clinique et son
traitement, mais aussi de son évolution propre parfois en décalage avec la maladie intestinale sus-jacente dont elle
paraît indépendante. La MCAP est pour le thérapeute un véritable challenge, pouvant rendre la chirurgie locale
délétère pour la continence, ou obligeant parfois, en raison de complication évolutive cicatricielle rétractile grave, à
une chirurgie lourde et mutilante de dérivation fécale ou d’excision rectale alors même que la maladie intestinale
semble cliniquement contrôlée. Les indications, les modalités, le moment et les intrications du traitement médical et
chirurgical restent problématiques en raison de son caractère parfois pauci-symptomatique, de la collusion entre
lésions purement granulomateuses et infection, de son génie évolutif naturel imprévisible, éventuellement bénin à
long terme, et des risques fréquents de cicatrisation vicieuse ou retardée et de détérioration sphinctérienne ou de
récidive itérative. Il apparaît comme un préalable incontournable de définir, de décrire et d’évaluer les LAP pour les
classer et comprendre leur pathogénie et leur aspect évolutif local au sein de la maladie inflammatoire crohnienne,
permettant ainsi de faire la part dans l’arsenal thérapeutique entre indications médicales ou chirurgicales, bien
souvent intriquées. Les résultats très imparfaits reflètent notre désarroi à combattre l’inflammation granulomateuse
originelle pour ne contrôler que la surinfection et éviter la rétraction scléreuse. Les traitements biologiques ou
« biothérapies »ont modifié l’évolution naturelle et thérapeutique de la MC fistuleuse,en
réduisant les
hospitalisations,les actes invasifs ou mutilants de la chirurgie.
II-EPIDEMIOLOGIE
La prévalence des LAP au sein de la population atteinte de maladie de Crohn intestinale (MCI) est très variable,
estimée entre 20 et 80 % selon les études, disparité explicable par la labilité des critères descriptifs, évolutifs et de
recrutement. Un fait est certain, les LAP sont d’autant plus fréquentes et graves que la maladie d’amont est
distale (les localisations inflammatoires rectales s’accompagnent dans 92 % des cas de LAP,mais lors d’atteinte
iléale isolée 12% seulement de LAP sont retrouvées) Si l’on considère la population de MCI, toutes localisations
confondues, plus d’un malade sur deux a, aura, ou a eu une atteinte anopérinéale au cours de l’évolution de sa
maladie. La sévérité des lésions est liée aussi à l’atteinte distale du tube digestif :les lésions inflammatoires
(Ulcérations) sont plus fréquentes en cas d’ iléite isolée alors que les lésions suppurantes (Fistules) sont
majoritaires en cas de proctite dominante : 90 % de ces infections pénétrantes génèrent presque toujours, au cours
de l’évolution, une sténose fibreuse engainante sévère (86 %) alors que la suppuration accompagnant une atteinte
iléale est moins souvent rétractile.
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Les LAP peuvent être inaugurales et précéder l’atteinte intestinale dans 20% à 36 % des cas (60 % de ces patients
auront une MCI authentifiée dans l’année) mais le plus souvent elles sont synchrones de la MCI ou émaillent son
évolution (64%-68% des cas).L’incidence cumulée des LAP est de 74% après 10ans et celle des Fistules estimée à
21%-33% à 10 ans et à 26%- 50% après 20ans d’évolution(Schwartz DA, 2000)
III-DESCRIPTION DES LAP
Les lésions anatomiques retenues comme caractéristiques de la MCAP sont :
a. les ulcérations-fissures (U) (lésions inflammatoires primaires),
b. les abcès-fistules(F) anorectopérinéaux, anorectovaginaux, anorectourinaires (lésions suppurantes ou
infectieuses),
c. les sténoses (S) anorectales (lésions à dominante cicatricielle).
I-1 Les ulcérations-fissures (21% à 35 %) siègent sur la marge anale, l’anoderme, l’endocanal ou le rectum
distal. On distingue sur leur caractéristique macroscopique et topographique :
I-1-1 La fissure crohnienne située en aval de la LP, commissurale postérieure(41%) ou latérale(10%-20%),parfois
multiple(33%), diffère de la fissure conventionnelle par son aspect macroscopique et son expression clinique :
fissuration bleuâtre, large reposant sur un tissu granuleux à bords épais et réguliers, flanquée souvent d’un
capuchon mariscal proliférant ;elle est classiquement indolente lors de l’évacuation mais algique au déplissement
et sous le doigt qui ne retrouve pas d’hypertonie sphinctérienne .Elle est souvent associée à un sepsis :abcésfistule(26%).
Image I ici :Fissure crohnienne
I-1-2 La pseudomarisque inflammatoire et ulcérée (Ulcerated Pile Complex) est une tuméfaction
marginale,turgescente, lymphoedémateuse, exubérante, fendue à sa face interne par une ulcération linéaire effilée
profonde, se prolongeant radialement dans le canal anal , suintante, à bord granuleux épais, aménageant des ponts
cutanéo-muqueux infectés. L’examen est douloureux d’autant que le déplissement doit être énergique pour ne pas
méconnaitre l’ulcération de la face endocanalaire.
Image II ici :Pseudomarisque inflammatoire
I-1-3 L’ulcère creusant (cavitating ulcer) (2%à5%) térébrant, réalise une perte de substance profonde érodant les
tissus sous-jacents, franchissant le SIA pour entamer le SEA ou atteindre la musculeuse rectale distale, devenant
transmural, douloureux lors de la défécation en raison de l’atteinte sphinctérienne ou lors du toucher où le doigt s’y
enfonce. Il ne sera correctement visualisé que par un examen sous anesthésie générale ou locorégionale auquel il
faut avoir recours le plus souvent possible pour débusquer un prolongement fistuleux intersphinctérien sous
tension(sepsis associé fréquent) conduisant, à terme, à une suppuration postérieure profonde et ramifiée suprasphinctérienne ou antérieure vulvo-vaginale.
Image III ici :Ulcère creusant
I-1-4 L’ulcération marginale extensive constitue une large perte de substance débutant parfois au niveau du
canal anal, atteignant le scrotum ou la vulve, entamant la fesse sur une étendue variable, toujours à fond rouge,
granuleux, nodulaire, à bords bien soulignés et suintants, se prolongeant par des décollements cutanés suppurants.
Elle est particulièrement invalidante par son caractère extensif, agressif et métastatique pouvant réaliser une
véritable cellulite avec nécrobiose, parfois associée à un aspect d’hidradénite suppurative (infection concomitante
ou crohnienne des glandes sudorales ?).
Image IV ici :Ulcération marginale extensive
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I-2 Les suppurations sont soit aiguës douloureuses, collectées, définissant les abcès, soit chroniques, se
drainant spontanément, et générant un débit purulent intermittent, réalisant les fistules et sinus.
I-2-1 Les suppurations aiguës ou abcès sous-tension (44 à 61 %) se développent dans les différents plans
anatomiques périanorectaux, plus ou moins profonds : intersphinctérien, périanal, ischio-anal(40%) ou pelvirectal.
Ils émanent d’une suppuration cryptique ou d’une ulcération térébrante anorectale souvent associée et développée
dans le trajet principal ou secondaire diverticulaire d’une fistule oblitérée(70%), infiltrant douloureusement les
espaces inter et extra-sphinctériens sous un placard inflammatoire épais et étendu.
Image V ici :Abcés anal
I-2-2 Les suppurations chroniques : fistules et sinus
I-2-2-1 Les fistules sont individualisées par leur orifice de drainage cutané ou endorectal en 3 types:
Image VI ici :classification de Parks
* les fistules ano-recto-périnéales (9 à 38 %) se drainent par un ou plusieurs orifices secondaires externes
cutanés au sein d’un placard induré marginal ou périanal (grandes lèvres, scrotum) ou par un orifice secondaire
endorectal. L’orifice primaire et poids cryptique au niveau de la ligne pectinée soit ulcérée ou fissurée en amont ou
en aval de celle-ci. Le trajet principal peut être intersphinctérien avec un orifice secondaire endorectal, transsphinctérien, supra-sphinctérien ou extra-sphinctérien. Les éventuelles extensions diverticulaires secondaires sont
supra ou trans-lévatoriennes, intramurales, pelvirectales ou controlatérales.
Image VII ici :Fistule multiramifiée
*les fistules ano-recto-vaginales (10 %) sont classées en deux
catégories :
• les fistules basses anovaginales avec un orifice secondaire vulvaire ou vestibulaire, un orifice primaire
canalaire et un trajet principal inter, trans ou supra-sphinctérien.
• les fistules hautes rectovaginales avec un orifice secondaire vaginal proximal, un orifice primaire ulcéré
rectal et un trajet extrasphinctérien court.
Image VIII ici :fistule ano-vaginale
* les fistules ano-recto-urinaires rares, sont analysées, en fonction de
leur rapport avec le sphincter strié, en fistules hautes ou basses.
I-2-2-2 Les sinus sont des suppurations anorectales réalisant une collection purulente borgne drainée par un seul
orifice (le plus souvent un orifice primaire ulcéré), (en l’occurrence à la fois primaire et secondaire) , dont l’extension
en cul-de-sac peut être ischiorectale, intra-murale, supra-lévatorienne, pelvi-rectale ou contro-latérale,
De ces descriptions détaillées on ne retiendra qu’une classification simplifiée des fistules :
I- fistules basses simples :
* orifice primaire juxta-pectinéal ; trajet principal simple,
sous-pectinéal
* orifice secondaire unique ; pas de diverticule,
* rectum sain
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II- fistules hautes complexes :
* orifice primaire ulcéré profond ; extra-pectinéal,
* trajet ramifié ; orifices secondaires multiples ;
* diverticules et sinus suppurants
* rectum inflammatoire, LAP associées.
I-3 Les sténoses ou rétrécissements sont définis par leur position sur l’ano-rectum et par leur génèse :
I-3-1 sténose anale distale résultant de la cicatrisation endoluminale et membranaire rétractile d’une fissure ou
ulcération accessible au traitement par dilatation
I-3-2 sténose anorectale et
I-3-3 sténose rectale distale, toutes deux conséquence de la rétraction cicatricielle d’une suppuration
périanorectale, souvent tunnellaires, liées à un bloc scléreux engainant l’anorectum, sévères au plan
symptomatique et thérapeutique.
Image IX ici :sténose canalaire
IV- CLASSIFICATIONS
Pour permettre un langage universel au sein de la communauté spécifique, plusieurs modes de rangement
standardisés ont été proposés dans des buts divers : classification anatomique (de Cardiff), classification de gravité
pronostique (Keighley), classification clinique (index d’activité des symptomes : Allan, Irvine) et classification
pathogènique (cf plus loin) (Hugues-Ecker).
La classification de Cardiff, qui a rencontré beaucoup d’adeptes initialement, a pour but d’établir de façon
analytique, exhaustive et reproductible, l’état des lieux de l’ano-périnéum a un moment donné de la maladie. La
classification de base, à l’instar de la classification TNM, comporte trois rubriques identifiées par les initiales U (pour
Ulcération), F (pour Fistule) et S (pour Sténose). L’association à un chiffre clé permet une subdivision pronostique
semi-quantitative des lésions tenant compte de l’agressivité tissulaire (superficielle ou profonde) de la maladie de
Crohn et de l’impact clinique prévisible : 0 absence de lésion, 1 lésions superficielles, 2 profondes et sévères. Une
classification subsidiaire complète les données en décrivant les lésions anales associées (A), l’état de la maladie
intestinale proximale (P) d’amont, le degré d’activité (D) de la maladie anopérinéale. Cette classification anatomique
complexe n’a pas pris en compte la qualité de vie des patients ni la répercussion sur leur activité professionnelle ou
locomotrice.
Images X,XI,XII ici :classification de Cardiff
La classification clinique d’Irvine ou PDAI (Périanal Disease Activity Index) retient 5 items(Singh B BJS 2004) :
douleur et vie quotidienne, vie sexuelle, induration des lésions, écoulement et type de la lésion. L’index clinique
d’Allan comporte 7 paramètres : symptômes liés à l’inflammation, symptômes liés aux perturbations du sphincter et
restriction des activités générales liés à l’inconfort périanal. Ces index permettent de mieux apprécier l’évolution
après traitement mais demandent à être évalués.
Nous rappelons l’instrument de mesure des essais cliniques : « Fistula Drainage Assessment Measure »qui permet
de différencier, par compression digitale, les fistules actives des fistules asséchées, et le Score IRM de Van
Assche :nombre de fistules, localisation, extension, hyper-intensité des images T2,collection, atteinte des parois
rectales.
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V- PATHOGENIE
La MCAP participe du même mécanisme pathologique que la MCI : l’inflammation granulomateuse idiopathique
chronique et récurrente caractérisée macroscopiquement par des ulcérations endocanalaires rectales basses ou
marginales plus ou moins profondes, constitue la lésion primitive spécifique à laquelle toutes les autres
manifestations sont secondaires soit par surinfection à partir des germes fécaux, soit par cicatrisation rétractile.
V-1 Les LAP primaires ou de type 1 expriment l’inflammation crohnienne spécifique sous forme de fissure-
ulcération. Elles reflètent l’activité de la maladie de Crohn tendant à cicatriser lorsque la maladie intestinale est en
rémission, à se développer ou à s’installer lors des poussées. On rencontre donc ces lésions lors des phases
d’activation de la MCI avec laquelle elles sont pratiquement synchrones .
V-2 Les LAP secondaires infectieuses ou de type 2 suppurantes et pénétrantes sont dues à l’infection
des lésions ulcérées primaires (pression rectale qui dissèque les tissus excavés) par des bactéries intestinales
distribuées par les selles diarrhéiques (néanmoins, il n’est pas toujours possible de mettre en évidence cette
séquence car les lésions infectieuses pénétrantes peuvent apparaître comme d’emblée primitives). Cette infection
pénétrante(qui peut aussi investir les glandes anales) se développe pendant les poussées de la MCI (qui ouvrent la
porte à l’infection en initiant des ulcérations plus ou moins profondes) et persistent entre les réactivations, évoluant
alors isolément sur le mode suppuratif, apparemment indépendant de l’inflammation crohnienne initiale qui s’est
éteinte.
V-3 Les LAP secondaires mécaniques de type 3, à cicatrisation dominante se résument aux
rétrécissements et sténoses et sont la conséquence du processus cicatriciel au niveau des lésions primaires
inflammatoires (10 % des cas) et surtout au niveau des lésions infectieuses pénétrantes (50 % des cas, toutes
localisations intestinales d’amont confondues). Elle se constituent et s’installent en dehors des poussées. La
cicatrisation des LAP primaires entraine une rigidité canalaire membranaire endoluminale alors que celle des LAP
suppurantes installe une véritable sténose engainante périano-rectale par rétraction scléreuse et fibrose
cicatricielle. Lors des poussées, les LAP primaires et la surinfection se surajoutent au processus cicatriciel déjà
établi pour l’accentuer ultérieurement. On rencontre associées LAP primaires et suppurantes. « Le rétractile » ne
survient qu’au terme d’une évolution prolongée de la MCAP, faite d’une succession de poussées et rémissions. Si
on ventile les malades en fonction de l’atteinte intestinale d’amont, il apparaît que les LAP suppurantes couplées à
une iléite pure ou à une colite segmentaire proximale n’entrainent que rarement une sténose anorectale (8.8 % des
cas), alors qu’associées à une atteinte colique diffuse ou rectale maximale, les rétrécissements surviennent
respectivement dans 62 % et 86 % des cas. Lorsque l’atteinte colique est dominante, les chances de sténose
succédant aux LAP primaires sont de 21 % alors qu’elles sont pratiquement nulles en cas d’atteinte iléale pure.
Ceci confirme que les LAP sont d’autant plus sévères que l’atteinte intestinale est distale. La cicatrisation des LAP
primaires n’entraine pas seulement des rétrécissements : les pseudo-marisques ulcérées laissent place à des
marisques fibreuses et les fissures crohniennes à des fistules sous-cutanées peu actives.
On peut conclure à la lumière de la pathogénie et de l’évolution naturelle qu’il ne faut pas laisser évoluer le
processus suppuratif sous peine de complications graves (suppuration profonde complexe, rétrécissement sévère)
obligeant à des sanctions thérapeutiques mutilantes. En effet en l’absence de traitement, le taux de cicatrisation
spontanée des fistules, déduit des essais contrôlés contre placebo est d’environ 10% (in Bressler B 2006)
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VI-EVALUATION CLINIQUE – ENDOSCOPIE –IMAGERIE
VI-1 La symptomatologie
VI-1-1 La douleur permanente non liée aux évacuations signale toujours l’existence d’une rétention suppurée plus
ou moins sous tension (abcès, fistule mal drainée). (Toujours penser à ce risque de sepsis devant une fissure ou
une ulcération très algique). Cette douleur implique une exploration complète à la recherche du pus immobilisé,
justifiant très souvent un examen sous anesthésie générale (ESA) permettant le diagnostic anatomique,
topographique et le traitement.
VI-1-2 Le suintement purulent ou fécal d’intensité variable, parfois à haut débit, nécessitant une protection,
entraine une macération et une irritation périanale. Il peut être l’expression d’une suppuration profonde ou d’une
incontinence par altération pariétale du rectum ou de la musculature sphinctérienne ou d’une fistule génitale
(interroger de façon discrète mais déterminée, les femmes sur l’éventualité d’une telle atteinte génitale). Une
pneumaturie ou une fécalurie témoignent d’une fistule anorectourinaire.
VI-1-3 Le saignement est plus rare (hémorroïdes, irritation des tissus granuleux ulcérés péri-anaux).
VI-1-4 Les troubles de l’évacuation font suspectés une sténose, souvent tardivement symptomatique, en raison
de la diarrhée.
VI-1-5 Les tuméfactions marginales (pseudo-marisques inflammatoires) gênent la toilette et entretiennent une
dermite péri-orificielle.
VI-2 L’examen physique proctologique et gynécologique, effectué avec application, ne négligeant aucune
étape, permet dans la plupart des cas une estimation correcte de la nature et de la topographie des lésions. (Ne
pas oublier la palpation de la région périnéale antérieure (vulve, bourses). Les performances de l’examen physique
sont assurément réhaussées par l’examen sous anesthésie générale, permettant le repérage par coloration des
trajets, et le traitement éventuel d’une suppuration sous tension.
VI-3 L’endoscopie pratiquée lors de l’ESA précisera de mesurer initialement l’extension et l’activité de la MCI.
L’exploration sera réduite pour le moins à l’étude du rectum (rectoscopie rigide ou fibrorectosigmoïdoscopie) dont
l’atteinte modifie la stratégie thérapeutique.
VI-4 L’imagerie : Deux techniques d’imagerie sont retenues :
l’ultrasonographie anorectale et endovaginale (axiale ou sectorielle, 5 à 10 MHz) et l’IRM avec antenne
endorectale ou superficielle en réseau phasé (si sténose).L’imagerie permet dans certaines situations (suppuration
complexe, récidive après traitement chirurgical, local, sténose empêchant l’examen endoluminal) de pallier
l’insuffisance de l’exploration clinique. Elle fournit 4 informations principales lors d’une MCAP suppurante : le site
des orifices primaires et secondaires – la topographie des trajets fistuleux principal et secondaires – la situation des
collections – l’état de l’appareil sphinctérien. Les résultats de l’IRM endorectale ou externe permettent de privilégier
cette technique encore coûteuse et souvent inaccessible. Une étude récente comparant les performances de l’ESA,
de l’endosonographie et de l’IRM retrouve 100 % des lésions exacts si l’on associe 2 de ces 3 techniques. Ceci
impliquerait qu’il faille recourir systématiquement à un procédé d’imagerie en plus de l’examen sous anesthésie
générale. L’IRM, initiale avant la première perfusion d’anti-TNF, permet de prédire la nécessité de la chirurgie mais
aussi d’évaluer la cicatrisation des trajets des fistules et en cas de réponse complète de suspendre le traitement
anti-TNF (si la maladie luminale est elle aussi blanchie).
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VI-5 Le bilan clinique : le diagnostic différentiel pose peu de problèmes (tuberculose, chlamydiose, hidradénite
suppurative, fissure conventionnelle, suppuration d’immunodépression), même lorsque les LAP semblent primitives,
précédant la maladie intestinale. Les biopsies sont peu contributives si l’on retient comme critère le granulome
épithélioïde, et le recours à une endoscopie haute ou à une entéro-IRM (voire vidéocapsule) rarement justifiés sous
l’angle ano-périnéal. Il faudra écarter un carcinome devant toute lésion suspecte survenant sur une localisation
fistuleuse chronique, ancienne sous traitement IS ou biologique (Melichar B. DCR 2006 :Patient sous Infliximab)
A l’issue du bilan, il faut établir une fiche d’examen proctologique avec schémas pour - désigner les LAP
élémentaires – apprécier leur topographie – classer les anomalies – quantifier l’extension et l’activité de la MCI
d’amont et notamment au niveau rectal – juger de l’importance de la symptomatologie – s’enquérir de l’effet des
traitements antérieurs ou en cours, (médicaux ou chirurgicaux).
VII- STRATEGIE THERAPEUTIQUE
VII-1 Généralités
Le bilan clinique local et général achevé, les buts du traitement pour améliorer le confort et la qualité de vie des
patients sont d’obtenir la cicatrisation non rétractile des lésions intestinales et anopérinéales par action successive
sur le processus infectieux puis inflammatoire, de réduire les risques de récidive ou aggravation, de préserver
l’anatomie de l’intestin terminal et sa fonction de continence et d’exonération.
Les moyens thérapeutiques, médicaux et/ou chirurgicaux doivent se conjuguer pour agir sur la maladie intestinale
d’amont, le flux fécal, les LAP elles mêmes et pour agir contre l’infection et l’inflammation granulomateuse. Le
blanchissement de la MCI, les modifications du flux fécal par manipulation médico-chirurgicale guérissent ou
améliorent plus ou moins temporairement les LAP avant tout traitement portant sur celles-ci.
Les facteurs décisionnels sont l’intensité des symptômes, l’activité de la MCI et rectale, la gravité et complexité des
LAP et l’état nutritionnel.
VII-2 Moyens Thérapeutiques
Le traitement de la MCAP est le plus souvent médico-chirurgical, rarement tout l’un ou tout l’autre.
VII-2-1 Moyens médicaux :
VII-2-1-1 Antibiotiques
Le Métronidazole (MTZ) (20 mg/Kg /jour/ po) a fait l’objet de plusieurs essais ouverts non contrôlés qui ont établi
un taux de réponses de 70 à 90 % en 2 à 4 semaines avec fermeture des fistules dans 40 à 56 % des cas à 12
mois. Ce traitement est suspensif (nombreuses récidives à l’arrêt : 78 % de rechutes) nécessitant son maintien
prolongé incompatible avec ses effets secondaires : après 6 mois, 50 % des patients dénoncent des paresthésie
pédieuses bilatérales, doses – durée dépendantes, obligeant à l’arrêt ou à la prescription de doses inefficaces. La
neuropathie périphérique disparaît lentement après plusieurs mois. Deux études ouvertes (13 malades) ont mis en
évidence une réponse clinique suspensive avec la Ciprofloxacine (1 à 1.5 g/jour/po). L’association de ces deux
antibiotiques a entrainé dans une étude ouverte, 70 % de réponses cliniques avec 20 % de fermeture de fistules,
récidivant la plupart du temps à l’arrêt du traitement dont les méfaits sur les tendons sont connus. En dépit de
preuve scientifique et de leur caractère suspensif, ces antibiotiques sont largement prescrits sur des critères
empiriques.
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VII-2-1-2 Immunosuppresseurs classiques
On en distingue deux types : les immunosuppresseurs de maintien de la rémission (thiopurines et methotrexate), de
délai d’action prolongée (3 à 6 mois), prescrits durablement (effet suspensif) et les immunosuppresseurs de relais
ou « Bridging treatment »(inhibiteurs de la calcineurine) d’action rapide (2 semaines) mais épuisables permettant
d’attendre cependant l’effet retardé des premiers.
• Immunosuppresseurs de maintien de la rémission.
La 6-Mercaptopurine (6 MP) et l’Azathioprine (AZA) à la dose respective de 1.5 mg/kg/jour po et 3 mg/kg/jour
po entrainent un taux de cicatrisation des fistules entre 29% et 39 % avec 55% à 65 % de réponses cliniques après
3 à 6 mois. Les rechutes à l’arrêt du traitement sont la règle. Ces thiopurines de délai d’action tardif restent le
meilleur traitement d’entretien au prix d’effets secondaires immuno-allergiques notables qu’il faut savoir dépister et
surveiller (ajuster les doses au 6-TGN).On a originellement pensé qu’ils potentialisaient l’activité de l’Infliximab et
minimisaient certains de ses effets secondaires (hypersensibilité retardée),mais ceci est actuellement battu en
brèche.
Le Méthotrexate (MTX) (25 mg IM /semaine puis 15 mg /semaine) est un immunosuppresseur de deuxième
ligne, induisant un taux de réponses cliniques dans 56 % des cas et de fermeture fistuleuse dans 25% à 30 % en 1
à 2 mois. Son effet est lui aussi suspensif.
• Immunosuppresseurs de relais : Inhibiteurs de la calcineurine
La Ciclosporine A (4 mg IV/jour/14 jours/po) a une action rapide (1 à 2 semaines). Une méta-analyse portant sur
39 patients atteints de fistules ano-périnéales évalue à 90 % les réponses avec 50 % de cicatrisation complète en 15
jours. Malheureusement, 88 % des patients rechutent après passage ou arrêt du traitement oral. Son action rapide
et son efficacité certes transitoire en font cependant un outil de relais appréciable permettant d’installer l’activité des
traitements d’entretien.
Le Tacrolimus (0,2mg/kg/j) obtient, dans une RCT de 10 sem. un taux de réponses précoces (dés la fin de la
deuxiéme sem.) de 43% vs 8% placebo, mais pas de différence pour l’assèchement total. Les effets secondaires
(paresthésies, anomalies rénales) sont limitatifs.
VII-2-1-3 Biothérapies ou Biomédicaments
L’Infliximab (Rémicade®) (5 mg/Kg/IV – SO,2,6) est un anticorps monoclonal chimérique dirigé contre le TNF.
Son efficacité rapide (2 semaines) a été évaluée sur la MCAP suppurante dans un travail princeps (Present)
confirmé par des travaux ultérieurs randomisés : le taux de réponses cliniques est de 70 % environ et de réponses
complètes (fermetures) de 50 % avec des effets secondaires nombreux peu fréquents (attention à la tuberculose et
au lymphome). Son délai d’action est court (2 semaines), le taux de rechute après la troisième perfusion est de 30 à
40 % au-delà de 8 à12 semaines, de 90 % à un an. Cette durée d’efficacité est un réel problème. La réponse peut
être améliorée dans le temps par l’association au 6 MP – AZA. Les risques de suppuration par fermeture précoce
invitent à prescrire les antibiotiques au début du traitement (15 jours) et à laisser en place le séton de drainage
jusqu’à la deuxième perfusion. L’éventualité de sténose par cicatrisation rétractile a été dénoncée. L’imprégnation
préalable en raison d’un retard d’action ou l’association à un traitement par 6 MP- AZA minimisent les réactions
d’hypersensibilité retardée et permettent à ce traitement de jouer son rôle de relais. Les procédés d’imagerie ont
cependant mis en évidence la persistance de l’activité inflammatoire dans les trajets fistuleux considérés comme
cicatrisés cliniquement, expliquant le taux de récidives élevé .L’étude ACCENT II, analysant l’effet du traitement de
maintien de l’Infliximab (une infusion à 5mg/kg tous les 8 semaines) déclare 36% de fistules asséchées à la 54ième
semaine versus 19% dans le groupe placebo. Ainsi le traitement systématique d’entretien permet-il de stabiliser la
réponse, de réduire le recours à l’hospitalisation, à la chirurgie mutilante, au prix d’un ajustement des doses et de
leur fréquence de distribution, d’une morbidité sous contrôle. Il n’est pas certain que le traitement par Infliximab
améliore les performances de la chirurgie (60%) des fistules anales mais seulement la vitesse de cicatrisation (6.5
vs 12.1 mois)(Gaertner) !
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L’Adalimumab (Humira®), anticorps monoclonal humanisé(100%),encours d’évaluation (CHARM), fournirait 37%
de réponses complètes au niveau des fistules, à la dose de 40mg/SC toutes les deux semaines, ces résultats étant
sans signification, un peu meilleurs chez les patients naïfs que ceux antérieurement traités par Infliximab.
L’association à un IS n’est probablement pas utile si le traitement est régulier.
Un autre travail ouvert fait état de 23% de fermetures complètes de fistules et de 41% de réponses partielles,
après un mois ,chez des patients en échec ou intolérants à l’Infliximab (Hinojosa J AL ;GY 2006).Cette biothérapie
constitue déjà un recours de 2éme ligne.
Une analyse post hoc du sous-groupe de patients ayant une fistule dans les essais CHARM (ADA randomisé
pendant 12mois) et ADHERE (extension en ouvert) a montré un taux de fermeture de 63% à 120 semaines avec
peu de malades restants il est vrai !
Les autres monoclonaux( Certolizumab Pegol, Natalizumab, Vizilizumab) n’ont pas encore fait l’objet d’études sur
leur potentialité thérapeutique au niveau des LAP de la MC.
VII-2-1-4 Immunosuppresseurs autres
* CDP 571,anti-TNF (réponses cliniques 50 %, délai d’action une semaine)
* Thalidomide (200 mg/jour) anti-TNF:réponses cliniques 38%- 46% .
* Mycophenolate Mofetil (MMF), IS classique de 3ème ligne.
VII-2-1-5 Procédés thérapeutiques inclassés
*Charbon adsorbant sphérique (AST-120 Ocera) :diminution du PDAI et fermeture
des fistules,authentifiée par imagerie,après absorption orale,chez 38,5% des
patients au bout de 8 semaines (94 MC fistuleuses) (Fukuda Y et Al 2006)
*Application de Métronidazole crème à 10% réduisant le PDAI.
*Application de Tacrolimus pommade sur les LAP ulcérées et non fistulisées :
Proctopic 0,03% (Hart AL : Inflamm Bowel Dis 2007)
*Injections répétées(6ou plus) intra-fistuleuses, après drainage ,d’Infliximab,
en cas de CI systémiques : (sténose intestinale, ou échec), 2/3 des patients ont
eu une réponse complète à 18mois.
*Infiltration de Corticoïde Retard
VII-2-2 Moyens chirurgicaux
Ils se partagent entre la chirurgie locale et la chirurgie majeure :
VII-2-2-1 chirurgie locale :
*L’incision-curetage-méchage permet une cicatrisation transitoire des abcès péri-ano-rectaux dans 30 à 80 %
des cas avec un taux de récurrence à 2 ans élevé (45 à 60 %) qui pouvait conduire à une protectomie à long terme
avant l’ère des biotechnologies.
*Le drainage séton prolongé est efficace pour contrôler la suppuration des fistules complexes en évitant la
rétention et l’aggravation. Il implique une mise à plat du trajet extra-sphinctérien externe et une excision de l’orifice
primaire. Bien que l’ablation prématurée du séton s’accompagne de récidives fréquentes (40 à 50 % des cas), le
drainage prolongé sans traction, laissé en place, permet de contenir les symptômes et d’éviter la destruction des
tissus dans 60 à 85 % des cas ,mais la proctectomie, constitue parfois le seul procédé thérapeutique efficace à
long terme.
Image XIII ici :drainage-seton
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Cours semaine n°11
*La fistulotomie doit être réservée à certaines situations privilégiées rares, (rectum sain, malade non diarrhéique,
fistule basse précédemment drainée,non active). La mise à plat du trajet fistuleux (intersphinctérien,
transphinctérien inférieur) permet la cicatrisation dans 70% à 80 % des cas avec risque de plaie chirurgicale
persistante (cicatrisation imprévisible) et taux de récurrence de 20 % et d’hypocontinence de 10 % (contreindication formelle chez la femme avec fistule antérieure, même basse).
* La fistulotomie – abaissement – drainage, en plusieurs temps (avec séton coupant ou non). Ce traitement
local définitif des fistules hautes doit être proscrit à de très rares indications près (fistule unique) en raison du risque
très élevé d’incontinence ou de cicatrisation incomplète. Nous n’y avons jamais recours.
*Les lambeaux d’avancement transanaux consistent en l’excision de l’orifice primaire de fistules hautes ou
vaginales et en l’oblitération du défect par mobilisation d’un volet ano-rectal épais fixé au niveau du canal anal,
épargnant ainsi la section du sphincter externe de l’anus. Cette technique exige un drainage séton prolongé
préalable et l’absence d’atteinte rectale. Si les succès rapportés sont de 50 à 80 %, le taux de récidives à 2 ans est
de 50 % ne barrant pas cependant la route à d’autres procédés. Le résultat sur les fistules vaginales pourrait être
meilleur (93 % à 55 mois), que le lambeau soit endorectal, endovaginal ou périnéal ?
* Les colles biologiques après des travaux initiaux enthousiastes faisant état de 60% à 80% (à peine 50 % de
succès à court terme dans la maladie de Crohn et moins encore dans les derniers travaux : 90% d’efficacité
immédiate et 74% de récidives) de résultats favorables, se sont révélées efficaces à plus long terme dans moins de
20% des cas (évacuation ou mauvais remplissage de la colle) et l’obturateur ( Surgisis AFP) de forme conique,
fabriqué à partir de la sous-muqueuse d’intestin de porc :80% de fermeture après 10-12mois de recul, les résultats
étant plus probants en cas de fistule à trajet simple. Ce matériel bio-absorbable est résistant à l’infection, sans
réaction à corps étrangers, ré-investi par le tissu de l’hôte au bout de 3mois. Le cône est introduit par son extrémité
effilée attachée à un fil dans l’orifice primaire de la fistule et bloquée jusqu’à résistance, le trajet ayant été drainé au
préalable par un Seton ou simplement irrigué avec de l’H2O2 en per-opératoire .Cet enthousiasme doit être
tempéré pour toutes techniques nouvelles d’autant que son prix est élevé !!
VII-2-2-2 chirurgie majeure :
* La dérivation fécale est requise si les suppurations anopérinéales sont sévères, résistantes aux traitements
conventionnels, pour améliorer l’état général et local et pour permettre la résolution des phénomènes infectieux et
inflammatoires ou la réparation à sec (si le rectum est sain, si la maladie intestinale est quiescente). L’amélioration
symptomatique et la récidive de la MCAB sont imprévisibles au moment de la diversion ou lors de son
rétablissement. Une iléostomie (laparoscopique ?) de première intention se justifie pour les LAP réfractaires et pour
faciliter une proctocolectomie
incontournable. L’iléostomie est indiquée avant une proctectomie
(intersphinctérienne) pour améliorer la cicatrisation périnéale, en cas de LAP grave, d’incontinence avec destruction
sphinctérienne majeure, en vue d’une réparation de fistule rectopectinéale à gros débit ou d’une fistule
rectovaginale haute. Cette dérivation améliore les techniques chirurgicales de mise à plat ou de réparation locale
sur le périnée défonctionné mais aggrave assurément le processus sténosant cicatriciel. En résumé, la diversion
fécale est plutôt décevante à long terme quant à son action sur les LAP suppurantes ou sténosantes mais l’analyse
de son impact sur la maladie périnéale seule est mal évaluée : dans un travail récent (18 patients) la diversion a
amélioré les phénomènes aigus dans 83 % des cas, mais seulement 20 % des patients ont été rebranchés avec 12
% de cicatrisation anopérinéale à 36 mois.
*La résection intestinale proximale ne pourrait améliorer les MCAP dans 20 à 70 % des cas lorsque le colon
inflammatoire proximal est enlevé. Ceci ne justifie pas une gestion directe du traitement de la MCAP,
* L’Hartmann bas sous péritonéal a permis chez 25 patients une guérison complète des LAP. 15 patients et une
proctectomie périnéale de cicatrisation rapide chez 10 patients. Les risques de dégénérescence (difficiles à
dépister) sur le moignon rectal ont été récemment dénoncés invitant à une proctectomie préventive
intersphinctérienne,
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Cours semaine n°11
* La proctectomie, geste mutilant de résignation se justifie dans 5%à25 % des cas (14 %) de MCAP. L’introduction
des traitements biologiques a réduit ce pourcentage. Les LAP qui exposent à ce geste évolue depuis plus de deux
ans et sont le fait de fistules hautes extensives initiés par une ulcération profonde, de fistules rectovaginales (30 à
55 % des cas), de sepsis supra-lévatoriens et enfin de sténoses. C’est parce que l’atteinte rectale est sévère,
associée à des LAP que la proctocolectomie après iléostomie est proposée. Malheureusement la proctectomie ne
met pas toujours un terme à l’inconfort périnéal car les retards de cicatrisation avec apparition de nouvelles lésions
crohniennes sont fréquents à moins qu’une dérivation fécale ait été effectuée plusieurs mois auparavant. Les
facteurs négatifs de cicatrisation périnéale sont la sévérité de la MCAP et rectale, l’existence de fistule haute ou
rectovaginale, la contamination rectale, la dissection extrasphinctérienne et le jeune âge. L’incidence des troubles
sexuels est de 10 % (inférieur en cas d’exérèse intersphinctérienne périanale).
VII-3 Sélection et Modalités d’application des traitements
La genèse pathogénique de la MCAP suppurante individualisant deux processus pathologiques successifs distincts
a une implication thérapeutique essentielle : le recours à deux traitements successifs et différents, l’un dirigé sur la
purulence, l’autre sur l’inflammation granulomateuse. Pour viser la cicatrisation, il faut d’abord traiter l’infection (par
traitement chirurgical ou médicochirurgical) puis l’inflammation (traitement médical pur), l’échec étant la chirurgie
lourde de sauvetage (proctectomie).
VII-3-1 Traitement de l’infection .
Son but est de libérer, diriger, drainer, assécher pour permettre la réparation et la cicatrisation. Les moyens utilisés
seront donc la chirurgie locale (incision, drainage séton prolongé, fistulomie) – les antibiotiques, les anti-diarrhéiques
et l’oxygénothérapie - la chirurgie majeure avec dérivation fécale, la nutrition entérale ou parentérale pour minimiser
l’ensemencement _ le traitement médicochirurgical de la maladie intestinale (corrigeant la diarrhée infectante).
VII-3-2 Traitement de l’inflammation
Son but est d’obtenir après désinfection, la cicatrisation par contrôle de l’inflammation spécifique. C’est le rôle
essentiel des immunosuppresseurs, pivots du traitement de l’inflammation granulomateuse, débarrassée de son
contingent infectieux. Il faut pour se faire choisir judicieusement les médications immuno-suppressives en fonction de
leur efficacité (brève ou prolongée), de leur durée et délai d’action, de leurs effets secondaires et complications, de
leur potentialisation et associations possibles. On peut proposer donc un traitement initial par : - 6 MP – AZA et
attendre 3 à 6 mois l’effet bénéfique dans 30 à 40 % des cas – recourir à un immunosuppresseur rapidement actif
(Infliximab) associé avant ou dans le même temps, à un traitement d’entretien par 6 MP- AZA et antibiotique. Si la
réponse est bonne il faut poursuivre le traitement de maintenance, soit par 6 MP – AZA, soit par ré-injection toutes les
8 semaines d’INF avec dans ce dernier cas 36 % de réponses complètes à la 54ème semaine. Si la réponse est
négative, il faut changer de « booster » et remplacer l’Infliximab par l’Adalimumab. On pourra être amené à changer
de traitement de maintenance en substituant au 6 MP – AZA, du MTX.(Voir Tab. récapitulatif)
VII-4 Stratégie Thérapeutique Nosologique et Résultats
L’indication des traitements dépend de l’importance de la symptomatologie, du degré d’activité et de la topographie
de la MCI (et en particulier du rectum), de la nature et de la complexité des LAP, de l’état nutritionnel, des
interventions antérieures et de la fonction sphinctérienne. Le contrôle définitif par une chirurgie locale résolutive est
parfois réalisable si le rectum est sain mais exige pour les suppurations complexes un traitement de l’inflammation
respectant la fonction sphinctérienne. L’incontinence est liée à l’activité du chirurgien, plus rarement à la
progression de la maladie crohnienne.
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Cours semaine n°11
VII-4-1 LAP primaires inflammatoires
Le contrôle médicochirurgical de la MCI permet leur guérison de façon plus ou moins synchrone. Il n’y a pas de
place pour une chirurgie locale (pas d’exérèse de fissure ou de pseudomarisque, encore moins des hémorroïdes
sous peine de dégâts irréparables). On peut recourir en cas d’ulcère creusant, après avoir vérifié sous anesthésie
générale l’absence de suppuration occulte, à des injections de corticoïdes retard (Dépomédrol) ou à des corticoïdes
locaux (suppositoires, crèmes, lavements) en cas d’ulcérations persistantes et symptomatiques. Les ulcérations
extensives du périnée peuvent justifier à elles seules un traitement immunosuppresseur. Il faut retenir que l’examen
sous anesthésie générale est primordial en cas de persistance des troubles (sepsis cachés),
VII-4-2 Rétrécissements – sténoses
Les sténoses endoluminales membranaires seront dilatées (doigts, bougies, ballonnet), les sténoses tunnellaires
perianorectales seront dilatées de façon itérative en cas de symptomes. L’échec conduira à une dérivation fécale
avant proctectomie (40 % des cas), bien souvent en raison d’une atteinte rectale associée,
VII-4-3 Abcès – sinus – rétentions suppurées
L’imagerie (endosonographie, IRM) est indiquée et la chirurgie locale impérative, sous antibiothérapie spécifique
(MTZ – CIPRO),négligeant le degré d’activité de la maladie intestinale d’amont. La chirurgie consistera en une
incision, méchage et drainage (Pezzer Séton) prolongé si possible. Le traitement de la MCI doit être activé. La
cicatrisation est obtenue dans 30 à 80 % des cas selon les situations avec un taux de récidives de 40% à 60 %
pouvant menacer, pour les sinus et suppurations profondes d’une proctectomie,
VII-4-4 Fistules basses simples (rectum sain)
Leur caractère paucisymptomatique invite à une surveillance sous antibiothérapie. Dans le cas contraire, après une
période de drainage séton prolongé, une fistulotomie est possible si le rectum est sain, si la fistule n’est pas
antérieure chez la femme. Dans ces conditions, la cicatrisation par fistulotomie est obtenue dans 70 à 90 % des
cas avec risques de plaie persistante, de récidives (20 %) et d’hypocontinence (10 %). La fistulotomie est en
pratique courante, rarement réalisée.
VII-4-5 Fistules hautes complexes
Si elles sont pauci-symptomatiques, il est risqué de se limiter à une surveillance
passive, laissant s’aggraver à
bas bruit la détérioration de l’anatomie sphinctérienne et périrectale. Le plus souvent symptomatiques, elles exigent
après bilan topographique (imagerie requise), une ouverture extrasphinctérienne et un drainage séton prolongé.
Ultérieurement, si le rectum est sain et la fistule non ramifiée, un lambeau d’avancement est tenté, sous couvert
éventuel d’une dérivation. En cas d’atteinte rectale, le traitement médical de l’inflammation est impératif (6 MP –
AZA – INF), prolongé ou réitéré ou modifié ( Adalimumab, CsA, MTX). L’échec du traitement médical réajusté
conduit à une chirurgie majeure.
Un schéma récent prospectif ouvert, rapporté par D. Laharie, associe chirurgie conservatrice (drainage par
Seton des suppurations actives, puis éxérèse des Setons, et geste adapté tel que mise à plat, colle biologique ou
lambeau), trois perfusions d’IFX à S0-S2-S6 et Methotrexate avec réponse complète dans 73,5% des cas
(fistules complexes, rectovaginales et sténoses) à S14 et perte d’efficacité au bout de 69 semaines.
VII-4-6 Fistules anorectovaginales (Andreani DCR 2007)
Une surveillance seule avec éventuel drainage séton est souvent proposée dans les fistules basses paucisymptomatiques. Dans le cas contraire, après examen sous AG, après drainage séton préalable, une fistulotomie
basse ou un lambeau d’avancement rectal ou ano-cutané est réalisé en dehors d’une atteinte rectale, avec 58 à 75
% de cicatrisation à 3 ans (quelle que soit la voie d’abord : endorectale, endovaginale en cas de sténose, ou
périnéale quand il existe un déficit sphinctérien associé). Les reprises après échec d’ une voie d’abord sont tout
aussi performantes que l’intervention initiale (Pennincks F et Al : Colorectal Disease,2001,3,406-411). Si le rectum
est malade, il faut instituer un traitement médical dont les résultats sur la fermeture des fistules sont très inférieurs à
ceux des autres suppurations (le Rémicade ne cicatrise que 30 % des fistules anorectovaginales et dans l’étude
ACCENT II, 18% des femmes avaient une FRV dont 45% fermées à la 14éme semaine après Infliximab IV , S
0,2,6 :Sands BE.Clin Gastroenterol Hepatol 2004). L’échec conduit parfois à la dérivation-protectomie (30 % des cas).
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Cours semaine n°11
Un tableau algorithmique du traitement des fistules de la maladie de Crohn résume la stratégie.
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VIII-1 Conclusions
La gestion de la MCAP passe d’abord par un état des lieux précis exigeant un examen sous anesthésie générale avec
endoscopie au moins rectale, complétée d’une imagerie dans certaines situations complexes. Les LAP primaires
guérissent avec la MCI et doivent être chirurgicalement respectées. L’activité inflammatoire rectale, le type de la fistule
et l’intensité des symptômes conditionnent le choix thérapeutique. La stratégie consiste en cas de suppuration à
chasser l’infection et à contrôler durablement l’inflammation. Le traitement de l’infection est médical, et/ou chirurgical,
celui de l’inflammation médical pur. Le traitement chirurgical est dominant pour les abcès et fistules simples sans
atteinte rectale. L’intrication médicochirurgicale est nécessaire et incontournable pour les fistules complexes. Les
médications de l’inflammation crohnienne (immunosuppresseurs) doivent être choisies et associées en fonction de leur
efficacité, de leur propriété spécifique afin de réaliser une alchimie au plus près de la rigueur scientifique et du succès
thérapeutique. L’Infliximab et les thérapies biologiques (anticorps monoclonaux) en cours d’évaluation réalisent un
progrès incontestable ayant permis de modifier l’évolution de la MCAP en améliorant la qualité de vie et l’invalidité des
patients. Les échecs thérapeutiques sont encore sanctionnés par une chirurgie de sauvetage mutilante :diversionprotectomie, qu’il convient de repousser à tout prix. Consulter les tableaux et diapositives incluses.
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