Commentaire sur la décision Piché c. Fournier – L`assassin digne d

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Commentaire sur la décision Piché c. Fournier – L`assassin digne d
BULLETIN
Fiducies, testaments, successions et
œuvres de bienfaisance
5 juillet 2010
Commentaire sur la décision Piché c. Fournier – L'assassin digne
d'hériter…
Par : Antoine Aylwin
Résumé
L'auteur commente cette décision dans laquelle la Cour d'appel conclut qu'un enfant qui a tué ses parents n'est pas indigne de succéder à
ses parents, puisqu'il était sous le coup d'un délire et qu'il n'était pas en mesure de former une intention de poser ce geste.
Introduction
Il peut choquer, à première vue, qu'un enfant qui a causé la mort de ses parents puisse hériter de ceux-ci. Dans l'arrêt Piché c. Fournier[1],
les juges Chamberland, Giroux et Dufresne ont eu à trancher un tel cas limite dans l'application des principes de l'indignité successorale et
des articles 620 et 621 du Code civil du Québec.
Les faits
Les 21 et 22 mars 2007, l'appelant tue tour à tour sa mère et son père à coup de hache pour ensuite les décapiter et placer leur corps dans
un congélateur. Deux psychiatres déterminent que l'appelant, atteint d'une maladie mentale, avait formulé la conclusion délirante que la
seule façon d'éviter un génocide de 5 millions de personnes, de sauver son peuple et sa race, et de préserver le paradis terrestre était de
tuer ses parents.
Le 4 juillet 2008, l'appelant est déclaré non responsable de ces deux meurtres pour cause de troubles mentaux, conformément à l'article
16 du Code criminel.
En 2008, des procédures civiles sont entreprises pour que l'appelant soit déclaré indigne de succéder à sa mère et à son père. Les parties
admettent la façon dont l'appelant a tué ses parents et le dépôt des deux rapports d'experts des psychiatres.
o
Le juge de première instance accueille la demande de déclaration d'indignité. Il fait la distinction entre l'article 620(1 ) C.c.Q., qu'il juge
o
inapplicable en raison du verdict en matière criminelle, et l'article 621(1 ) C.c.Q., qu'il applique. Il convient de reproduire ces deux articles :
620. Est de plein droit indigne de succéder :
1.
2.
Celui qui est déclaré coupable d'avoir attenté à la vie du défunt;
Celui qui est déchu de l'autorité parentale sur son enfant, avec dispense pour celui-ci de l'obligation alimentaire, à l'égard de la
succession de cet enfant.
621. Peut être déclaré indigne de succéder :
1.
2.
3.
Celui qui a exercé des sévices sur le défunt ou a eu autrement envers lui un comportement hautement répréhensible;
Celui qui a recelé, altéré ou détruit de mauvaise foi le testament du défunt;
Celui qui a gêné le testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament.
o
En faisant cette distinction, le juge de première instance conclut que l'application de l'article 621(1 ) C.c.Q. ne nécessite pas la preuve
d'une intention, mais que la preuve du fait dommageable (l'équivalent de l'actus reus) est suffisante pour trouver une personne indigne de
succéder.
Le juge de première instance conclut d'ailleurs comme suit :
[39] De toute façon, il répugne au sens commun qu'une personne qui en assassine une autre puisse hériter de cette dernière d'autant plus
lorsqu'il s'agit d'un enfant qui tue ses parents dont il est l'héritier.
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La décision
Les principes juridiques
La Cour d'appel casse la décision de première instance et conclut que l'appelant n'est pas indigne de succéder à ses parents. En effet, elle
conclut que l'intention est un facteur pertinent dans l'application de l'article 621(1) C.c.Q.
o
Tout d'abord, il convient de noter que la conclusion du juge de première instance à l'égard de l'article 620(1 ) C.c.Q. ne faisait pas l'objet de
l'appel.
o
Pour la Cour d'appel, la notion de « comportement hautement répréhensible », utilisée à l'article 621(1 ) C.c.Q., est suffisamment large
pour inclure un comportement fautif qui n'est pas pour autant prohibé comme infraction criminelle ou pénale. Toutefois, cette interprétation
large ne saurait être faite sans considérer l'intention comme facteur d'appréciation.
Alors que le juge de première instance met de l'avant une analyse portant spécifiquement sur les articles 620 et 621 C.c.Q., la Cour
d'appel préconise une approche d'interprétation plus globale du Code civil du Québec, dans un souci de cohérence et de respect de
l'économie générale de cette loi.
À ce titre, la Cour d'appel rappelle que le Code civil n'accorde pas de conséquences juridiques aux gestes posés sans la faculté de
discernement, ce qui milite pour la considération de l'intention comme facteur d'appréciation.
Les articles du Code civil qui traitent de l'indignité reprennent en grande partie les éléments qui se trouvaient dans le Code civil du BasCanada. La Cour d'appel fait d'ailleurs référence à une décision de la Cour supérieure rendue à l'époque, qui concluait que l'élément
intentionnel était pertinent lors de l'analyse d'une demande de déclarer l'indignité d'un successible.
En conséquence, la Cour d'appel conclut que l'horreur des gestes posés dans le présent dossier n'est pas suffisante pour conclure à
l'indignité de l'appelant, ces gestes ayant été commis alors qu'un délire privait ce dernier de la possibilité de discerner le bien du mal.
D'ailleurs, elle note que la version anglaise du texte utilise l'expression « guilty of cruelty », ce qui fait bien apparaître la nécessité d'évaluer
le caractère volontaire et conscient du geste posé.
Les enjeux du point de vue de la preuve
Afin de démontrer un élément volontaire ou intentionnel à la base des actes posés par l'appelant, les intimés tentent de se servir d'une
expertise au dossier pour que la Cour retienne la responsabilité de ce dernier quant au décès de ses parents. En effet, les intimés
soutiennent que la décision de l'appelant de cesser de prendre sa médication a causé le délire propice à la commission des gestes
reprochés.
La Cour rejette cet argument, puisque la preuve d'expert démontre qu'il n'y a pas de lien entre la cessation de la médication et le délire
causé.
Les intimés plaident également d'autres gestes hautement répréhensibles posés par l'appelant envers ses parents antérieurement à leur
décès, gestes qui ont notamment donné lieu à neuf appels au 9-1-1 sur une période de deux ans et demi et à trois autres interventions de
la police à l'adresse des parents, notamment pour des menaces de mort et des voies de fait de l'appelant à l'endroit de sa mère.
La Cour rejette également cet argument, puisque la preuve d'expert révèle qu'à cette époque, l'appelant était déjà sous l'emprise de son
délire, ce qui élimine à nouveau l'élément intentionnel des gestes posés. De plus, la Cour retient que, malgré tous ces gestes, la mère de
l'appelant n'a jamais modifié les termes de son testament qui instituait ce dernier seul légataire universel.
Le commentaire de l'auteur
Dans cet arrêt, deux éléments factuels ont été déterminants pour la Cour d'appel, soit la présence d'une preuve d'expert non contestée sur
l'intention de l'appelant, laquelle preuve a été également déterminante dans le dossier criminel, et l'intention de la testatrice, qui n'a pas
modifié son testament malgré les différents gestes de l'appelant commis à son endroit, qui sont allégués dans la demande de déclaration
d'indignité.
Ce dernier point est très intéressant, malgré le développement très bref de la Cour d'appel à ce sujet, puisque cela nous ramène à nous
questionner sur le principe de base en matière de succession, soit l'autonomie de la volonté exprimée dans le testament, laquelle doit
primer.
Cette intention exprimée par le défunt peut être mise de côté en raison de la captation, qui constitue un détournement de l'intention, ou de
l'indignité, qui présume que certains gestes n'auraient pas été voulus par le défunt.
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Il est donc important de se rattacher à ce concept de volonté du testateur lorsque vient le temps de juger une situation relative au droit à
succéder.
Dans ce cas-ci, l'effet du verdict dans le dossier criminel a été important, puisqu'il a forcé le tribunal à sortir du cadre automatique de
l'article 620 C.c.Q., pour se pencher véritablement sur la portée de l'article 621 C.c.Q.
Cela vient porter un éclairage intéressant sur la modification apportée par l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, alors que le libellé
o
de l'article 621(1 ) C.c.Q. a été modifié de façon à s'éloigner de la connotation pénale de l'ancien texte. La Cour d'appel vient nous dire en
quelques mots que le concept de mens rea propre au droit criminel a été remplacé par celui d'« intention » au sens du Code civil. Cela
nous rappelle également que les recours sous l'article 621 C.c.Q. font appel à une certaine part de discrétion de la part du tribunal et que la
déclaration d'indignité est une mesure d'exception.
Bien que la situation puisse avoir été suffisamment choquante pour justifier l'intervention du juge, la Cour d'appel rappelle donc que
l'économie de notre Code civil est essentiellement fondée sur l'autonomie de la volonté, le consentement et la possibilité de déterminer une
intention. Sur ce point, cet arrêt risque d'avoir un impact non seulement sur les seules matières relatives au droit des successions, mais
également sur l'interprétation entière du Code civil.
Conclusion
À la lumière de cet arrêt, il est clair que les demandes pour faire déclarer une personne indigne de succéder selon l'article 621 C.c.Q. ne
peuvent se baser uniquement sur des actions; les demandes doivent également se baser sur une intention, contrairement à ce que prévoit
l'article 620 C.c.Q., où le tribunal doit seulement prendre acte des décisions antérieures d'un autre tribunal.
En contrepartie, une preuve d'expertise sur l'intention a une importance capitale pour la détermination de l'indignité de succéder.
[1] EYB 2010-169176 (C.A.).
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Le présent document est un instrument d'information et de vulgarisation. Son contenu ne saurait en aucune façon être interprété comme un exposé complet
du droit ni comme un avis juridique de Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. ou de l'un des membres du cabinet sur les points de droit qui y sont
discutés.
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