Action d`éducation et autorité éducative

Transcription

Action d`éducation et autorité éducative
Ministère de la Justice
Direction de la Protection judiciaire de la Jeunesse
Agnès GAVARD
Promotion 2011/2013
Action d'éducation et autorité éducative
Pédagogie et cadre institutionnels
Sous la direction de Chantal COSTA-IBRARD,
Docteure en Sciences de l’Éducation
Mémoire de validation de la formation d'éducateur
de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Master I – Mention Sciences de l’Éducation et de la Société
Spécialité « Travail éducatif et social »
UFR Sciences de l'éducation – Université Lille 3
École Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse
Pôle territorial de formation Île-de-France
REMERCIEMENTS
− les membres de l'institution pour m'avoir donné ce sujet épineux mais qui m'a permis de
beaucoup apprendre sur mon métier,
− mes collègues pour leur collaboration,
− Madame COSTA-IBRARD pour m'avoir guidée sans être directive...,
− Monsieur SACEDA pour m'avoir poussée dans mes retranchements et vers ce sujet,
− Monsieur COLLE pour son écoute active et son soutien,
− « l'esprit de la 11-13 » pour être toujours là quand on perd le moral...,
− mes amis pour être restés présents pour moi alors que j'étais cloîtrée chez moi...,
− Isabelle, Catherine et Chloé pour leur relecture spécifique,
− ma famille pour son soutien...
« Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez »
Nicolas BOILEAU, De l'art poétique, Chant I (1674)
Table des matières
Introduction ..........................................................................................................................................1
Chapitre 1 : Le placement judiciaire : pour qui ? pour quoi ?..............................................................7
1. Des jeunes en difficultés......................................................................................................... 7
1.1 Des difficultés sociales ...........................................................................................7
1.2 Des difficultés psychologiques : « la crise d'adolescence »....................................8
1.3 Des difficultés éducatives .......................................................................................9
1.3.1 Intolérance à la frustration .........................................................................9
1.3.2 Difficulté à reconnaître l'altérité...............................................................10
1.3.3 Identification aux pairs.............................................................................10
2. Les jeunes et la délinquance ................................................................................................. 11
2.1 Faire face à l'exclusion sociale..............................................................................11
2.2 L’expression d'un mal-être....................................................................................12
2.3 Nouveau « rite initiatique » ou prise de risque ? ..................................................13
2.4 Manifestation d'une opposition aux lois, aux règles .............................................15
3. Les missions : un cadre pour aider les jeunes à se construire............................................... 16
3.1 Depuis 2007 : « tout pénal » .................................................................................16
3.2 Une réponse éducative ou une punition ? .............................................................17
3.3 Se soucier du cadre... ............................................................................................19
3.3.1 … pour les jeunes.....................................................................................19
3.3.2 … pour les professionnels........................................................................23
Chapitre 2 : Le rapport entre le cadre et l'instauration d'un travail éducatif dans ce foyer ................27
1. Présentation du foyer ............................................................................................................ 27
1.1 Le bâtiment ...........................................................................................................27
1.2 L'équipe pluridisciplinaire ....................................................................................28
1.3 L'histoire de l'institution .......................................................................................29
2. Faire équipe : pour garantir un cadre.................................................................................... 30
2.1 Engager une réflexion ...........................................................................................31
2.2 Retrouver un esprit d'équipe .................................................................................33
2.3 Revenir aux médiations ........................................................................................36
2.4 Rendre la sanction éducative ................................................................................40
3. L'absence de cadre en question ............................................................................................ 44
3.1 Expression d'un mal-être communicatif................................................................44
3.2 Un cadre non « secure » .......................................................................................47
Chapitre 3 : La parole comme outil à la reconnaissance.................................................................... 53
1. L'autorité éducative .............................................................................................................. 54
1.1 Les trois conceptions de l'autorité selon Bruno ROBBES ...................................54
1.2 Les caractéristiques de l'autorité éducative ..........................................................55
2. Les directions éducatives prises pour réinstaurer une figure d'autorité auprès des jeunes .. 58
2.1 Travailler sur soi-même ........................................................................................59
2.2 Pour un apprentissage progressif des règles .........................................................60
3. Une recommandation : mettre en place un conseil .............................................................. 63
3.1 Constat d'échec des « réunions jeunes »...............................................................64
3.2 Pourquoi instituer un conseil ? .............................................................................65
3.3 Le partage de la parole pour la reconnaissance de chacun ...................................67
Conclusion ......................................................................................................................................... 71
Bibliographie...................................................................................................................................... 75
ANNEXES ............................................................................................................................................I
Encart méthodologique ...................................................................................................................... III
Questionnaire de l'éducatrice n°1..................................................................................................... VII
Questionnaire de l'éducatrice n°2.......................................................................................................XI
Questionnaire de l'éducatrice n°3..................................................................................................... XV
Questionnaire de l'éducatrice n°4.................................................................................................... XIX
Réunion sur la Sanction .................................................................................................................. XXI
Introduction
Travailler pour la Justice et plus précisément à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), c’est
travailler dans un cadre très spécifique. En effet, il est question de suivre des jeunes qui ont
commis des actes enfreignant les Lois Françaises, ce qui les a conduits devant un magistrat. Ce
dernier ordonne que les mineurs soient accompagnés, aidés, protégés par les différents membres
d'une équipe éducative, en milieu ouvert ou en hébergement afin qu'ils puissent se réinsérer dans
le droit commun. Le travail sur les actes, par conséquent sur les limites qu'ils ont dépassées, doit
leur permettre d'en intégrer les principes, les valeurs. Le travail des équipes pluridisciplinaires est
de comprendre pour quelles raisons ils ont agi de la sorte et que les jeunes en prennent
conscience pour entamer un processus de changement.
Mais comment travailler avec des jeunes en difficulté, souvent en rupture familiale, en pleine
adolescence, qui n’ont pas choisi d’être placés pour qu’ils comprennent leurs manquements et
acceptent les règles (d’abord à l’échelle du foyer, puis celles de la société) et les principes de la
Loi ?
André CAREL, psychiatre et psychanalyste, s'est longtemps penché sur les questions relatives à
la famille et à la petite enfance, avec un intérêt particulier pour l'autorité.
« Le processus d’autorité dans sa forme optimale procède de cette différence générationnelle et
culturelle et va générer de la différenciation tout en inscrivant le sujet dans le lien social. L’autorité est
acte de médiation entre soi et l’autre, entre le groupe et le socius. Le processus d’autorité va donc
tendre à s’appuyer sur et à promouvoir les valeurs [...], les lois et les règlements qui organisent le
socius. »1
Ainsi c’est bien la transmission générationnelle, par le biais de l’autorité (en tant qu’acte de
médiation), qui va permettre la construction de l’être social. Or, avec ces jeunes placés, en
rupture familiale et sociale, ce sont les éducateurs et le cadre de leur intervention qui vont se
substituer à cette autorité qui fait défaut. Mais comment faire justement pour que cette
substitution se fasse de manière claire et cohérente pour l’adolescent en crise ?
Ainsi, il m’a paru important de questionner le lien entre le cadre et le concept d'autorité dans le
travail d'éducateur au sein d'un Établissement de Placement Éducatif (EPE), en hébergement
collectif. Ce contexte d'intervention rend impératif que chacun respecte l'autre afin que la vie en
commun se déroule le plus agréablement possible. Les jeunes disent souvent « vous vous en
foutez, vous, le soir, vous rentrez chez vous, alors que nous, on reste ici », c'est leur façon de nous
rappeler la nécessité que ce soit le plus clair et juste pour tous. Et peut-être même leur crainte
que le désordre s'installe. En effet, dans toute vie collective, autant chez les jeunes que chez les
1
CAREL André, « Le processus d'autorité », Revue française de psychanalyse, 2002/1 Vol. 66, p. 21-40 (p. 30).
-1-
adultes, chacun arrive avec son histoire, ses expériences,… Il est ainsi difficile d'arriver dans une
structure et de devoir se contraindre à des règles auxquelles on n'avait jamais adhéré avant. Et
c’est d’autant plus vrai pour ces jeunes qui n’ont pas décidé eux-mêmes ce placement, et qui
n’en comprennent pas forcément le but. Or pour reconnaître l'autorité d'autrui, il faut avoir
compris le sens du placement, du rôle de l'éducateur et des règles qu'il tâche de faire respecter.
À mon arrivée dans ce foyer, lors de nombreuses réunions, une question revenait régulièrement
chez les éducatrices : comment pouvaient-elles « faire figure d'autorité » face à des jeunes
garçons qui ne les reconnaissaient pas forcément dans leurs fonctions et les mettaient en
difficulté en allant sur le terrain de la séduction avec elles ? En tant que femme, cette question
m'a intéressée et j'ai essayé de décortiquer ce processus. Mais j'ai rapidement eu le sentiment que
la question du genre n'était pas le principal problème dans ce foyer. Je devais analyser notre
manière de mettre en place la figure d'autorité. En écho, fin novembre, nous avons vécu une
période assez compliquée où les jeunes ont fortement mis à mal le cadre, l'infrastructure. Cela
nous a amenés à nous remettre en cause dans notre façon d'agir avec eux : aucun jeune en
insertion, pas d'activités, peu d'espaces de parole jeunes-éducateurs repérés, pas de sanctions
éducatives en cas de transgression (avec des refus de la part des magistrats des mains-levées
demandées, qui discréditaient la seule action effectuée),… Ainsi, petit à petit, lors des
accompagnements d'équipe, la question du cadre a été posée. Mais qu'entend-on par « cadre » ?
Le fonctionnement, les objectifs de travail, les outils, les règles, la hiérarchie,… Les réunions de
fonctionnement, initialement mensuelles, ont été doublées afin que nous puissions réfléchir à ces
différentes questions et « reprendre le pouvoir » au foyer.
Ainsi, dans ce contexte, il m'a paru intéressant de questionner le cadre. J'ai d'abord chercher à
trouver sa définition dans le contexte d'un foyer PJJ, pour pouvoir comprendre quelle influence il
peut avoir dans la sécurisation psychique des jeunes et l'instauration de l'autorité éducative dans
un foyer.
Mes hypothèses de recherches initiales étaient :
− les adolescents que nous accueillons ont besoin d'être sécurisés pour pouvoir grandir.
− les actes de délinquance qu'ils commettent sont des appels à l'aide et au cadre.
− un cadre sécurisant favorise la communication entre professionnels.
− après des incidents, entamer une réflexion avec les professionnels sur le cadre permet une
reprise en main du travail éducatif.
− la mise en place d'une « réunion jeune » permettant aux jeunes de s'exprimer contribue à
-2-
leur reconnaissance par l'institution.
− la communication avec les jeunes permet d'individualiser la prise en charge en faisant
émerger leurs pensées, avis, désirs, etc.
− la reconnaissance par les jeunes de l'autorité éducative permet d'instaurer un travail
éducatif.
La thématique de l'autorité et de la nécessité de poser un cadre aux enfants dans le but de leur
inculquer des limites est un sujet qui touche de nombreux domaines, la famille, l'école, mais
également la société. En effet, depuis une trentaine d'années, le débat sur l'autorité fait rage, en
opposant deux visions totalement différentes. « D’un côté, ceux qui stigmatisent l’autorité comme
une figure douce de la violence. [...] Celui qui exerce l’autorité est toujours un dominus, c’est-à-dire un
maître au sens de celui qui entend maîtriser. De l’autre côté, il y a ceux qui pensent que l’autorité
libère. La supprimer reviendrait purement et simplement à supprimer la possibilité même d’éduquer. »2
Cela est fortement influencé par les deux aspects du terme « autorité » : d'une part, la racine
latine « auctoritas » dérivé de « auctor », lui-même provenant du verbe « augere » (augmenter)
sous-entend le fait de se plier à l'autorité permet de grandir. D'autre part, l'autorité étant souvent
en lien avec le pouvoir, le second aspect de l'autorité dérive de la « potestas », qualifiant la
personne fondant son pouvoir de son statut, de sa fonction, c'est le cas par exemple des
professeurs. Ces deux aspects de l'autorité n'ont pas forcément de lien sans pour autant s'exclure.
L’« auctoritas » émane de la personne, c'est l'influence que l'on peut avoir sur autrui, pour obtenir
quelque chose sans avoir à utiliser ni la force, ni la contrainte. Pour Hannah ARENDT,
« là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. L’autorité, d’autre part, est
incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation.
Là où on a recours à des arguments l’autorité est laissée de côté. [...] S’il faut vraiment définir
l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par
arguments… »3
Le pédagogue Eirick PRAIRAT estime que « l’autorité est nécessaire mais il ne suffit pas qu’elle
soit nécessaire pour s’exercer ; encore faut-il [...] qu’elle soit perçue comme légitime. »4 En
effet, généralement, l'autorité est vécue comme étant illégitime dans notre société car elle fait
l'objet d'une relation de type hiérarchique, dissymétrique, donc contraire à l'égalité prônée par les
valeurs démocratiques. Ainsi la crise de l'autorité « est une « crise structurelle », comme
l’explique très justement Alain RENAUT5, car elle découle de notre choix même des valeurs de
2
3
4
5
PRAIRAT Eirick, « Autorité et respect en éducation », Le Portique [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 15
décembre 2005, Consulté le 21 septembre 2012. URL : /index562.html
ARENDT Hannah, « La crise de la culture », Paris, Gallimard/Folio, 1995, p. 123
PRAIRAT Eirick, op. cit.
Dans l'ouvrage La Libération des enfants. Contribution philosophique à une histoire de l’enfance
-3-
liberté et d’égalité. »6
« À un niveau phénoménologique, il importe de préciser que l’autorité poursuit des objectifs
différenciés. Elle proscrit, elle interdit […], elle impose le renoncement pulsionnel en disant
« non » ! »7 André CAREL explique de cette manière pourquoi les parents se culpabilisent
lorsqu'ils essaient d'exercer leur autorité proscrivante sur leurs enfants. Ainsi ils se confondent en
explication, en argumentation comme pour excuser leur acte. Mais « l’enfant, à partir des indices
perceptifs (notamment le ton de la voix, le regard) qui infiltrent l’énoncé autoritaire, prend
connaissance, préconsciemment, du sentiment inconscient de culpabilité de son parent, agent
d’autorité. »8 L’enfant va faire son possible pour se dégager des exigences de l'adulte, en jouant
avec la culpabilité de ce dernier, dans le but final d'inverser l'ordre générationnel en imposant son
autorité ! En fin de compte, cela donne lieu à une autorité permissive. Mais c'est oublier que
« l’autorité [...] prescrit : des actes, des valeurs, des objectifs […]. [Le « non »] entre dans la
fonction de l’autorité d’autoriser, de dire « oui » à bon escient, »9 On voit ici l’importance
d’apporter un cadre cohérent pour la construction psychique des enfants. Le nourrisson puis le
petit enfant ont besoin d'être stimulés dans leurs développements moteur et cognitif, mais d'un
point de vue psychologique, des limites doivent leur être imposées, pour les protéger et pour
qu'ils apprennent à gérer la frustration et à obéir.
« Et c'est parfois à ce stade que les parents sont en difficulté. Ils ont pris l'habitude de laisser une
grande liberté à l'enfant, et celui-ci supporte mal qu'on lui impose soudainement des limites. Les
enfants sont devenus conquérants, dans le sens positif du terme, ce qui ne facilite pas la tâche des
parents. Parallèlement, il y a une sorte de lâcheté sociale qui fait que, lorsqu'un enfant ou un
adolescent se met à déborder, plus personne ne cherche à le contenir. »10
Ainsi, l'autorité « se révèle au fondement de l’humain comme phénomène à la fois psychologique et
relationnel (social), dans une triple signification indissociable : être l’autorité (autorité statutaire potestas), avoir de l’autorité (autorité qui s’autorise - auctor - et fait grandir l’autre - augere) et faire
autorité (autorité de capacité et de compétence). »11
Mais pour en revenir aux adolescents placés, comme nous l’avons vu, ceux-ci n'adhèrent souvent
pas au placement ordonné par le magistrat. Par ailleurs, ils sont souvent en rupture sociale. De
plus, pour eux l’Autorité telle que la société la conçoit n’existe pas. Dans ce contexte, il n'y a
aucune raison qu’ils reconnaissent une autorité au sein du foyer puisqu’ils ne comprennent pas
6
7
8
9
10
11
PRAIRAT Eirick, op. cit.
CAREL André, op. cit., p. 27
Ibid., p. 33
Ibid., p. 27
« L'autorité, c'est reconnaître l'autre dans sa faiblesse », Rencontre avec DANIEL MARCELLI, propos recueillis
par JÉRÔME VACHON, Actualités Sociales Hebdomadaires : N° 2653 du 02/04/2010
ROBBES Bruno, « Les trois conceptions actuelles de l'autorité », in http://www.cahierspedagogiques.com/spip.php?article2283
-4-
forcément le sens du placement, le rôle de l'éducateur et les règles qu'il tâche de faire respecter.
Ainsi pour traiter de cette question éducative en foyer PJJ, cette recherche va utiliser des notions
d’ordre éducatif, institutionnel et psychologique.
Nous pourrons ainsi voir dans une première partie la présentation des difficultés que peuvent
rencontrer les jeunes qui sont accueillis au titre d’une ordonnance de placement provisoire au
pénal, afin de tenter de comprendre pourquoi ces jeunes en sont venus à commettre des actes de
délinquance. Par ailleurs, nous verrons également quel est le but et le cadre d’intervention d’un
Établissement de Placement Éducatif.
Dans une deuxième partie, je présenterai la structure dans laquelle j’effectue mon stage de
professionnalisation. Au travers d’exemples de problèmes que nous avons pu rencontrer durant
les six premiers mois, je tenterai de définir le cadre d’action pour la mise en place d'une prise en
charge éducative, et de comprendre pourquoi nous avons eu ces problèmes.
Enfin, dans une troisième partie, je montrerai comment la mise en place d’espace éducatif de
socialisation, mêlant la communication et l’action peut permettre de créer un nouveau cadre
d’action.
-5-
-6-
Chapitre 1 : Le placement judiciaire : pour qui ? pour quoi ?
Commençons par le début : un placement judiciaire, c'est quoi ? Dans le cas présent, les jeunes
placés dans ce foyer PJJ sont des mineurs qui ont rencontré un magistrat, suite à une
interpellation pour des actes de délinquance. Le juge a estimé que le jeune devait être confié à un
service éducatif judiciaire durant une certaine durée afin de l'éloigner d'un milieu qui lui est
néfaste.
1. Des jeunes en difficultés
Le comité interministériel de l'évaluation des politiques publiques, dans le cadre de l'Inspection
Générale des Affaires Sociales12 a publié en 1993 un rapport sur « L'insertion des adolescents en
difficulté », dans lequel est élaboré :
« une typologie, permettant de noter que beaucoup de facteurs se conjuguent dans le processus de
fragilisation de l'adolescence : familiaux, éducatifs, sociaux, économiques, psychoaffectifs. L'intérêt
de cette typologie, qui n'est pas une typologie fermée, consiste notamment à faire « ressortir la
dynamique interne des attitudes et des conduites des adolescents en difficulté ». »13
Toutefois, ces jeunes « peuvent appartenir à toutes les catégories socio-culturelles.
Paradoxalement, leur situation sociale rend parfois plus difficile le repérage comme la prise en
charge. »14
1.1 Des difficultés sociales
Sur la demi-année de stage que j’ai effectuée dans ce foyer, je peux, sans faire de généralités,
dire que les jeunes accueillis (environ une vingtaine, en dehors des mises à pieds ou accueils
inférieurs à quinze jours...) sont issus de familles qui rencontrent des difficultés relationnelles
(couples séparés, recomposés, familles monoparentales, comportements conflictuels entre les
parents et/ou avec les enfants), et sauf exception, les familles ont des difficultés sociales
(chômage, maladie, paupérisation, emplois peu rémunérés, difficultés dans l'usage de la langue
française).
Au début de mon stage, aucun jeune n'était scolarisé. Dans le second groupe de jeunes constitué
en cours d’année, cette particularité s'est inversée ; leur parcours scolaire montre tout de même
un niveau assez faible, se cumulant pour certains avec des carences cognitives. Nous remarquons
12
13
14
L’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) est le service interministériel de contrôle, d’audit et
d’évaluation des politiques sociales pour éclairer la décision publique. Elle réunit 130 experts de la Cohésion
sociale (Famille, Protection de l’enfance, Lutte contre l’exclusion, Travail social…), de la Protection sociale
(Sécurité Sociale, Prestations sociales....), du Travail, emploi, formation professionnelle, et de la Santé.
BOUTEREAU-TICHET, JOURDAIN-MENNINGER, LANNELONGUE, « Le travail social auprès des jeunes
en difficulté dans leur environnement », rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales, n° 2005 013 –
Tome I/II, juillet 2005, p. 24
Ibid., p. 25
-7-
également chez ces jeunes d'importantes lacunes langagières. Ces particularités ont des
conséquences sur leur insertion sociale à plus ou moins court terme. En effet, l'environnement
social dans lequel les jeunes vivent a des répercussions sur leur investissement dans la scolarité
mais aussi dans leur « socialisation scolaire ». Par ailleurs, en fonction des établissements
scolaires, les options proposées sont différentes et offrent ainsi aux jeunes des possibilités
d'orientation inégales. François DUBET, sociologue15, explique dans son article « « Plus
d'école » et après ? », paru dans la revue Enfances et psy, les dérives de la massification
scolaire16. La massification scolaire est donc un échec relatif qui contribue à l'exclusion, via le
chômage d'une partie des jeunes de certains quartiers, par manque de moyens pour qu'ils puissent
bénéficier d'une formation adaptée. Cela les conduit, petit à petit, à se déscolariser.
Nous avons également accueilli au foyer trois mineurs isolés étrangers, ayant vécu un parcours
migratoire assez complexe. Certains ont bénéficié d’une scolarité dans leur pays d'origine mais
ils ne parlent pas toujours bien la langue française. Pour ces jeunes, il faut mettre en place un
partenariat spécifique, avec des avocats spécialisés dans le droit des étrangers, des associations
pour l'alphabétisation, ...
1.2 Des difficultés psychologiques : « la crise d'adolescence »
Comme le rapport interministériel sur l'insertion des jeunes en difficulté l'exprime très bien,
l'adolescence est une période de transformations multiples dans lequel toutes les modifications
interviennent.
« L'état de « jeune » étant par nature un état transitoire, il existe dans la catégorie des jeunes en révolte
des jeunes dont la trajectoire se normalisera au terme de la « crise d'adolescence », alors que d'autres
s'enfonceront dans des difficultés multiples. Les jeunes en révolte se définissent souvent par rapport à
des raisons d'ordre relationnel et familial, avec à terme des comportements auto-destructeurs, un état
dépressif. »17
Les transformations physiques et psychiques empêchent les jeunes de se reconnaître et par
conséquent peuvent avoir un impact sur leur estime d'eux-mêmes. Ainsi, les adolescents
cherchent à devenir des adultes sur un plan psychologique, puisqu'ils en ont à présent la
morphologie. Ce désir passe par une volonté d'autonomisation, d'affirmation de soi et de remise
en question de l'autorité de leurs référents, qui contribue à la perte de « l'image parentale
idéalisée »18. Cette perte leur cause une grande douleur.
15
16
17
18
François DUBET est également professeur à l’université Victor Ségalen, Bordeaux 2, directeur d’études à
l’École des hautes études en sciences sociales, chercheur au CADIS (Centre d’analyse et d’intervention
sociologiques, EHESS/CNRS).
Ce terme se rapporte au phénomène de développement et d’accroissement du nombre de jeunes accédant aux
enseignements secondaires et supérieurs, cela s’est produit en France à partir des années 1960.
BOUTEREAU-TICHET, JOURDAIN-MENNINGER, LANNELONGUE, op.cit., p. 24
BRACONNIER Alain, « Troubles », in Adolescences : Repères pour les parents et les professionnels,
JEAMMET Philippe, sous la direction de, Paris : éditions La Découverte, 2004, p. 100
-8-
Par ailleurs, ils sont confrontés à leurs pulsions sexuelles. Si ces pulsions peuvent être positives
dans le sens où il s’agit « de pulsions de vie » (Eros), l'énergie qui en découle peut être utilisée
par les jeunes dans un élan destructif « de pulsion de mort » (Thanatos). En effet, « l'adolescence
est un bain émotionnel, où l'anxiété, l'angoisse, la peur, le cafard, la tristesse, le dépression, la
honte et même le dégoût succèdent au plaisir, à l'exaltation, à la joie, à l'élation (sentiment de
toute-puissance, identique à celui qui entraîne le jeune vers des conduites à risque sans qu'il les
appréhende comme telles). »19
Tous ces changements effrayent les jeunes et les contraignent à mettre en place des techniques
de défense. Chacun réagit de manière différente, allant de l'ascétisme dans le but de contrôler
leurs émotions, à une isolation pour nier ou s'éloigner des problèmes, en passant par le passage à
l'acte, qui «court-circuite l'affect »20. Comme le montre Alain BRACONNIER21, ainsi « on passe
à l'attaque, y compris contre son corps. »22
1.3 Des difficultés éducatives
1.3.1 Intolérance à la frustration
Durant la petite-enfance, le bébé est dans une relation de « toute-puissance », il a l'impression
d'être le centre du monde. C'est, selon Freud, le narcissisme infantile. Au moindre de ses gestes
ou cris, ses parents interviennent pour satisfaire à ses désirs ou problèmes. Dès lors, l'éducation
intervient : les parents doivent apprendre au nourrisson que sa vie est régie par les règles établies
par l'adulte et non par lui. Pour cela, en théorie, la mère s’appuie sur le père pour qu'il fasse tiers
dans la relation mère/enfant. La figure paternelle joue le rôle interdicteur, permettant l'intégration
de la Loi, des limites et des interdits fondamentaux. Or beaucoup de jeunes sont issus de famille
monoparentale, ce rôle séparateur et médiateur n'est pas connu et ne peut être intégré, ce qui peut
insécuriser les enfants, les laissant face à leur toute-puissance. En outre, dans d'autres familles,
pour éviter le conflit et obtenir une satisfaction immédiate, ces premières règles ne sont pas
imposées, les parents cédant face aux cris de leur bébé.
Par conséquent, certains jeunes abordent l'adolescence sans avoir appris à gérer et canaliser leurs
désirs et leur frustration. Ils n’ont pas intégré les principes du vivre ensemble ; d'enfants-rois, ils
passent au statut d'adolescents violents. Le « tout, tout de suite » devient un mode de
fonctionnement, fortement influencé par la société de consommation. Les jeunes développent
alors « des conduites de l'instant […], ne savent plus attendre, car ceci n'est possible que s'ils
19
20
21
22
Ibid., p. 101
Ibid., p. 101
Alain BRACONNIER est docteur en médecine, diplômé de psychologie, psychanalyste, psychiatre.
Ibid., p. 102
-9-
sont suffisamment sécurisés quant à l'avenir. »23
1.3.2 Difficulté à reconnaître l'altérité
Un enfant qui n'a pas appris à accepter le sentiment de frustration, aura beaucoup de mal à
reconnaître l'autre car ce dernier peut lui « voler la vedette ». En effet, l'altérité nécessite pour le
jeune de se plier au principe de réalité qui consiste à accepter qu'il ne soit pas le centre du monde
et à dépasser son égocentrisme.
Toutefois, la confrontation à l'autre peut aussi lui donner à voir une façon différente de vivre, de
se comporter. Cette expérience peut lui permettre de découvrir de nouveaux univers. Lionel
DANY, directeur du département de Psychologie sociale, à l'université d'Aix-Marseille, a
effectué une enquête qualitative auprès de 39 jeunes suivis à la PJJ. Il explique que :
« Le processus de comparaison sociale, qui participe à la détermination des évaluations de soi, de ses
compétences [...] est important durant l’adolescence. Les jeunes y trouvent la possibilité d’explorer et
de supporter leur propre identité24, en se centrant sur leur unicité : « ne pas être comme les autres », et
leur similarité [...]. Les efforts « consentis » par les jeunes vont tendre vers la réduction de l’écart entre
l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et celle imposée par la norme (les autres). »25
Or la réalité de la différence représente un danger pour certains jeunes qui aspirent à un modèle
unique. Ils se regroupent alors en fonction de leurs similitudes sociales, ethniques et de leurs
affinités.
1.3.3 Identification aux pairs
L'adolescence est un point de rupture entre l'enfance et l'âge adulte. Durant cette période de la
vie, les adolescents s'éloignent de leur famille, s'opposent à leurs parents. Ils sortent de leur
cocon familial, attaquent les règles instituées par les adultes et ne les écoutent plus. Pour
surmonter cette expérience, ils se rapprochent des jeunes qui vivent la même chose qu'eux pour
faire groupe face à ce chamboulement aussi bien physique, social, que psychologique. Une de
leurs difficultés réside, comme l’explique Simone COURAUD, psychologue clinicienne à la PJJ,
dans le fait qu'on « ne peut reconnaître l'autre et le respecter dans sa différence et dans son désir,
si on ne se reconnaît pas soi-même. Les règles ne sont là ensuite que pour permettre de vivre
ensemble avec ses différences et ses désirs souvent contradictoires, sans se faire trop de mal. »26
Leur socialisation s'effectue par la fréquentation des groupes de pairs. Ce phénomène a été
théorisé par Albert K. COHEN sous le nom de « sous-culture ». Ils expérimentent les relations
23
24
25
26
PETITCLERC Jean-Marie, Enfermer ou éduquer ? Les jeunes et la violence, Paris : Dunod, 2004, p. 43-44
ERIKSON Erik, Adolescence et crise, Paris, Flammarion, 1972.
DANY Lionel, « L’expérience de la prise en charge éducative », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne],
n°2 | automne 2006, mis en ligne le 17 octobre 2006, Consulté le 03 décembre 2012. URL :
http://sejed.revues.org/index152.html
COURAUD Simone, « Pas le liberté sans cadre », les cahiers dynamiques n° 21, p. 41
- 10 -
amicales, amoureuses, les phénomènes d'influence plus ou moins réciproques, mais également
d'exclusion afin d'essayer de se construire une identité personnelle et sociale. L'élaboration de la
personnalité s'avère compliquée car les jeunes ont besoin de limites, de cadre pour les aider à
grandir. Or le phénomène de fuite des adultes qui s’impose à l’adolescence, déplace les modèles
identificatoires vers leurs pairs. Pour les jeunes dont nous nous occupons, les modèles
deviennent ceux des jeunes de la rue. Cela peut les conduire à commettre des actes de
délinquance, parfois en réunion. Dans son ouvrage Repris de justesse, Yazziz KHERFI, ancien
délinquant, explique sa jeunesse avec ses copains et met en évidence l'importance en terme de
sécurité que la bande représentait pour lui. « La bande était mon environnement et mon milieu.
Elle était notre identité et notre sécurité, si tu en sortais tu te retrouvais seul, isolé, et tu vivais
dans la peur »27
2. Les jeunes et la délinquance
Les propos du sociologue français Gérard MAUGER et des interactionnistes américains aident à
comprendre le pouvoir que la société a dans la construction de la délinquance.
En France, nous vivons depuis quelques années dans la peur de l'insécurité. Par un jeu
d'étiquetage des actes déviants sur quelques zones urbaines (jeu assidûment pratiqué par certains
médias), une stigmatisation des populations de ces quartiers se met en place. Par ailleurs, les
difficultés sociales rencontrées accentuent l'exclusion de certains habitants, aussi bien de l'école,
que du monde du travail et des administrations. Les adolescents en difficultés sont
particulièrement touchés par ce phénomène. Ils se retrouvent alors oisifs, se regroupent entre
eux, ce qui alimente le discours sur la dangerosité des bandes de jeunes délinquants. Ainsi, une
partie de la jeunesse des quartiers, même si elle n'est pas concernée par ces actes de délinquance,
est stigmatisée par ce discours de la société, du simple fait de son environnement social.
2.1 Faire face à l'exclusion sociale
Comme l’a montré Jean-Marie PETITCLERC28, les actes de délinquance deviennent une sorte
de tentative pour certains jeunes d’exister contre cette société dont ils se sentent exclus. La
délinquance devient un « mode d'affirmation de soi d'une jeunesse qui ne se sent pas reconnue,
tant elle est engoncée dans l'échec »29. Problèmes sociaux et échecs scolaires, stigmatisation…
empêchent ces jeunes de s’insérer dans la société et surtout de se projeter dans l’avenir. Et face à
27
28
29
KHERFI Yazziz et LE GOAZIOU Véronique, Repris de justesse, Paris : La Découverte et Syros, 2000, p.48
Jean-Marie PETITCLERC est prêtre salésien, mais également éducateur spécialisé.
PETITCLERC Jean-Marie, op. cit., p. 86
- 11 -
cette situation d’échec, se développe une sorte d’« urgence de vivre » qui les mène à une
« tendance à développer des conduites délinquantes »30. Car comme le démontre J.-M.
PETITCLERC, « une société qui ne permet pas à une frange importante de sa jeunesse de se
projeter dans l'avenir est une société qui, en quelque sorte, fabrique de la délinquance ! »31
Cette société est de surcroît une société de consommation, qui impose de posséder certains biens
matériels que les jeunes n’ont pas forcément les moyens de se payer. Or plus les jeunes sont
exclus de la société économique, plus ils sont intégrés dans cette société marchande.
Souvent, les faits commis sont expliqués par le « besoin d'argent », pour s'acheter des baskets de
marque, le dernier téléphone portable pour être reliés à leurs amis,… On peut se demander si ce
rapport aux objets et à ces « besoins » inassouvissables, ne sont pas, pour certains, une manière
de contrer les manques matériels (ou relationnels) dont ils ont pu souffrir dans leur famille.
Lorsqu'on parle avec les jeunes du foyer, ils expliquent que leur conduite délictueuse (vol, trafic
de stupéfiants, recel,...) est un moyen de se procurer les objets désirés sans devoir demander à
leurs parents de l'argent, qu'ils n'ont pas forcément. Ils ont conscience que ces biens sont
superflus mais ne veulent pas s'en priver. Cela montre bien l'impossible rapport qu'ils ont à la
frustration. D'autres mineurs mettront en avant un souhait de « se sortir de la galère », ils
cherchent à accumuler de l'argent pour pouvoir ensuite ouvrir un commerce et ainsi avoir un
métier. De même, « subordonné aux « relations » entretenues et au capital agonistique détenu,
l'accès au « bizness » apparaît comme un vecteur de réhabilitation économique et symbolique
par rapport au groupe de pairs. »32
En effet, l'implication dans les économies parallèles est un moyen pour des jeunes discrédités
dans le domaine scolaire, familial ou amical de gagner du « capital symbolique » auprès des
pairs ou d'une partie de leur entourage.
2.2 L’expression d'un mal-être
Les mineurs qui commettent des actes de délinquance expriment de cette manière un mal-être
psychologique, social, temporaire ou plus prégnant. Il s’agit d’appels à l'aide, d’un moyen pour
les jeunes dont les difficultés ne sont pas reconnues, de communiquer leur mal-être. On retrouve
en particulier ces manifestations chez des jeunes qui n'ont pas les outils pour exprimer par la
parole ce qu'ils ressentent. Gilles RAYMOND, chargé d'études à l'ENPJJ33 exprime ce principe
30
31
32
33
Ibid., p. 44
Ibid., p. 44
MAUGER Gérard, La sociologie de la délinquance juvénile, Paris : Editions La Découverte, 2009, p. 94
L'Ecole Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (ENPJJ) dépend du ministère de la Justice et des
Libertés. Elle forme les professionnels de la Justice des Mineurs. Elle a pour objectif de donner aux agents les
capacités nécessaires pour exercer pleinement leur métier, puis de maintenir et de développer ces capacités tout
au long de leur carrière. Depuis septembre 2008, elle se situe à Roubaix.
- 12 -
dans un article sur « L'existence d'un cadre de soin à la PJJ ? » : « On souffre dans son
psychisme, et le délinquant est en panne à ce niveau : il est dans le passage à l'acte, ce qui lui
tient lieu [...] de pensée. »34
Ces actes peuvent aussi être analysés comme une manière de s'affirmer pour des adolescents qui
ont une mauvaise estime d'eux-mêmes. « L'agressivité exacerbée, avec son lot de destructivité,
comporte cependant une part de vie, car elle constitue une sorte d'appel et de protestation. »35
Cela devient ainsi un moyen de vérifier l'intérêt que leur entourage, et plus précisément les
personnes qui doivent prendre soin d'eux leur portent. En outre, l'ambiguïté de l'adolescent le
pousse à s'attaquer aux personnes dont il a le plus besoin, alors qu'il n'est pas encore autonome.
Tout comme, nous le verrons plus tard, les adolescents attaquent le cadre pour que les règles leur
soient rappelées, ils cherchent à se détacher de ceux dont ils sont dépendants, impliquant la
nécessité pour ces derniers de les retenir. « La violence peut apparaître comme une solution pour
sortir d'un tel paradoxe. »36
Dans la structure où je suis pré-affectée, nous avons ainsi accueilli quatre jeunes placés suite à
des violences sur ascendant, en l'espèce sur leur mère. Notons que trois d'entre eux avaient des
troubles relevant de la pédopsychiatrie. Nous nous sommes rapidement rendu compte que les
actes commis étaient en lien avec un contexte de violences psychologiques au domicile, voire
d'abus ou de troubles psychiques de la part des mères. Ces jeunes sont en quelque sorte devenus
agresseurs en réaction à leur propre vécu de l'agression d'autrui et par la non-reconnaissance de
leur statut de victime.
2.3 Nouveau « rite initiatique » ou prise de risque ?
Comme nous l'avons déjà vu, les problèmes scolaires puis économiques empêchent une
importante partie de la jeunesse de s’intégrer dans la société et de se projeter dans l’avenir. Il est
alors extrêmement difficile d'obtenir un emploi, de prendre un logement, de fonder une famille,...
Leur autonomisation est en quelque sorte sans cesse repoussée à plus tard, ce qui contribue à
augmenter la durée de l'adolescence.
Par ailleurs, la société actuelle a modifié et réduit les possibilités de rites de passage, qui
symbolisaient le passage du monde des enfants à celui des adultes. Ces rites permettaient
l’apprentissage de codes nécessaires à l’intégration de cette partie de la population vers un
nouveau statut dans la société des adultes. Ils favorisaient pour les jeunes l’identification aux
34
35
36
RAYMOND Gilles, « L'existence d'un cadre de soins à la PJJ ? », Les Cahiers Dynamiques, n°21, décembre
2001, p. 44
PETITCLERC Jean-Marie, op. cit. p. 80
Ibid., p. 80
- 13 -
adultes qui les avaient initiés et à leurs valeurs et par conséquent créaient une cohésion sociale.
La disparition du service militaire en est un bon exemple. Il symbolisait pour des dizaines de
générations de jeunes hommes, l'entrée dans l'âge adulte, permettant également la canalisation de
l'énergie liée aux changements physiologiques de la puberté.
On peut se questionner sur les conséquences des suppressions de ces repères dans le temps et
dans la vie sociale. Auraient-elles un lien avec l'amoindrissement de la cohésion sociale, avec
l'individualisme ? Les derniers (et nouveaux) rites de passage pourraient être le BAFA (pour
pouvoir effectuer des « jobs » d'été), le baccalauréat, le permis de conduire, le premier emploi
permettant de partir du domicile parental ou la vie en couple,... La plupart de ces rites initiatiques
contemporains sont difficilement accessibles à certains jeunes, notamment à ceux dits des
quartiers (par exemple en Île-de-France), en raison des diverses difficultés liées au travail et au
logement.
Les jeunes recherchent des cadres, que la société ne leur fournit plus. Je suis toujours surprise du
nombre de jeunes qui désirent s'engager dans l'armée. Face à cette absence de repère, pour se
construire, certains jeunes ont besoin de tester leur corps et de mettre leur vie en jeu. Le site
internet « Jeunes Violences Ecoute »37 tâche d'apporter des explications aux prises de risques à
l'adolescence. « La prise de risque se retrouve le plus souvent à l'adolescence où elle fait partie
de la recherche de soi et d'une sensation enivrante qui permet de se sentir exister. […] Elles
[peuvent être] assimilées à des rites d'initiation en apparence mais ressembleraient plus à des
défis ou des comportements dangereux. »38
Fuyant leur groupe d'appartenance, leurs parents, les adolescents intègrent un groupe de pairs,
qui devient vite le nouveau groupe de référence, leur permettant de s'identifier à de nouvelles
normes, valeurs. Des défis peuvent ainsi être lancés afin d'être reconnus par le groupe. Tout
comme dans certains rites initiatiques des sociétés traditionnelles, ces défis permettent aux
adolescents de se prouver, à eux et aux autres, qu'ils sont des hommes, capables de virilité, de
courage et d'une part d'agressivité. Toutefois, la différence avec les rites de passage est l'absence
de référents du monde adulte et la non-acquisition de valeurs permettant une intégration sociale.
On peut ainsi se questionner sur le sens que certains jeunes mettent dans les actes délinquants
qu'ils commettent. Serait-il envisageable que ce soit un appel à l'aide des adultes pour que des
limites, par l'intervention de la Loi, leur soient imposées ?
37
38
Site internet mis en ligne à la rentrée 2006, il complète le service offert par le numéro vert 0808 807 700.
http://www.jeunesviolencesecoute.fr/espace-professionnels/dossiers-thematiques/la-prise-de-risques-aladolescence/prise-de-risque-a-ladolescence-rites-de-passage-rites-dinitiation-recherche-de-soi-et-de-limites.html
- 14 -
2.4 Manifestation d'une opposition aux lois, aux règles
Par définition, l'adolescence est une période où les jeunes sont en transition entre deux statuts,
celui de l'enfance et celui de l'âge adulte, donc entre deux types de normes. La société détermine
le chemin que doivent suivre les individus pour l'intégrer. Se détourner de ce chemin tracé est la
manifestation d'une déviance. Or comme l’a montré Gérard MAUGER, « la distinction entre la
déviance et la délinquance repose sur la réaction sociale : diffuse, informelle et de faible
intensité en matière de déviance, elle est institutionnalisée et codifiée en matière de
délinquance »39. C’est également ce qu’explique l’historien de la délinquance juvénile, JeanJacques YVOREL, qui montre que la déviance est un comportement en non-conformité aux
normes sociales. La délinquance, elle, est un ensemble de transgressions à ces mêmes normes,
mais incriminées dans un code ou une loi.
Ainsi, par définition, les adolescents se situent dans un état de rupture et sont naturellement
déviants. Un contexte social ou éducatif compliqué peut les faire passer du côté de la
délinquance.
Les adolescents peuvent avoir des façons étranges de demander de l'aide. Le vol, la destruction,
le mensonge, l'agressivité, etc. peuvent être des moyens d'attirer l'attention des adultes, un appel
aux soins et à l'attention. Or comme l’a démontré Donald W. WINNICOTT dans plusieurs de ces
articles40, la délinquance est une conséquence d'un comportement antisocial. Un jeune peut être
qualifié de « délinquant » quand cette tendance déviante et antisociale « se fige et devient une
identité sociale pour [lui], lui apportant alors des bénéfices secondaires qui vont interférer avec
le lien « deep and early » [profond, archaïque et précoce] recherché inconsciemment dans les
manifestations de la tendance antisociale. »41 En effet, l'enfant demande aux adultes de lui
imposer des limites, le préalable d'un cadre indispensable à sa construction personnelle.
Ainsi, les attaques du cadre, des symboles de l'autorité font partie du processus de la phase de
l'adolescence, par la déconstruction des repères que les parents leur ont inculqués durant leur
enfance. Dans ce phénomène fondamental d'opposition « au Père », le jeune, en ne reconnaissant
plus son autorité et sa parole, ne peut plus respecter la loi de la société. Pour rétablir cette
autorité, une force extérieure doit être mise en place, sous forme, par exemple, de sanctions.
Dans la société actuelle, le problème s'avère être la difficulté des adultes à assumer actuellement
cette responsabilité et par conséquent, leur « mission » de remettre les adolescents sur le droit
39
40
41
MAUGER Gérard, op. cit., p. 11
Il en est question dans « Quelques aspects psychologiques de la délinquance juvénile », « La délinquance, signe
d'espoir » (1967) ou dans « La tendance antisociale » (1956).
CAÏTUCOLI Dominique, « Winnicott : voler, détruire, l'appel au secours ou la tendance antisociale », Filigrane,
volume 14, n°1, printemps 2005, p. 33
- 15 -
chemin.
Lorsqu'un adolescent multiplie les actes de délinquance et que l'encadrement dont il a besoin
n'est apparemment pas suffisamment présent au domicile, le juge pour enfants qui rencontre le
jeune lors d'un déférement, ordonne une mesure de placement éducatif. Le mineur est alors
conduit dans un foyer de la PJJ où les éducateurs vont l'accompagner au quotidien. Le but est de
leur permettre de reprendre une vie de jeune de leur âge, avec un rythme de vie, une activité
adaptée et un cadre de vie sécurisant pour pouvoir se construire.
3. Les missions : un cadre pour aider les jeunes à se construire
L'U.E.H.C.42 dans laquelle je suis pré-affectée accueille des mineurs ou jeunes majeurs, filles et
garçons, âgés de 15 à 18 ans à l'admission. La structure peut, depuis 2012, accueillir douze
jeunes. Ces derniers sont issus des différents départements de la région Île-de-France. Ils font
l'objet d'une ordonnance de placement d'un magistrat pour des faits de délinquance. La durée de
leur placement peut aller de un à six mois, avec un accueil préparé ou non. En outre, la structure
a une place dans une famille d'accueil dans une ville limitrophe.
3.1 Depuis 2007 : « tout pénal »
Depuis la loi du 5 mars 2007, la prise en charge des mineurs en danger relève uniquement du
Conseil Général, son président étant devenu le chef de file de la Protection de l'Enfance. Par
conséquent, les foyers de la PJJ ne reçoivent plus que des jeunes suivis pour des actes de
délinquance, alors qu’auparavant les adolescents accueillis venaient aussi bien du pénal que du
civil. Ce mélange « créait une alchimie dans la prise en charge du collectif et une autorégulation des jeunes était visible »43, du fait des différentes personnalités des adolescents. Des
jeunes placés sous ordonnance de 1945, d'autres sous l'article 375 du code civil, en danger
physique ou moral, pouvaient côtoyer des jeunes majeurs en difficulté d'insertion sociale et des
Mineurs Étrangers Isolés. Une motivation pour sortir des difficultés sociales pouvait être portée
par certains jeunes et entraîner les autres.
Actuellement, les hébergements en Île-de-France deviennent des « ghettos » où la population
accueillie est relativement homogène : les mineurs présentent les mêmes difficultés familiales,
sociales et culturelles. Résultat, aucune régulation interne entre les jeunes ne peut s’opérer dans
42
43
Unité Éducative en Hébergement Collectif
En annexe, questionnaire de l'éducatrice n°3
- 16 -
le sens positif du terme. En outre, ces placements ont pour objectifs de les éloigner de leur milieu
naturel, mais j'ai l'impression que cela n'a pas l'effet escompté puisque de nombreuses structures
franciliennes sont elles-mêmes situées à proximité de cités. Ainsi, les foyers deviennent des
« nids de jeunes à problème ». Face à la forte médiatisation de la délinquance des mineurs, un
climat de méfiance mais également de fantasme règne autour de ces structures.
L'incompréhension vis-à-vis du changement opéré par une frange de la jeunesse et la dangerosité
qu'elle représente ont contribué à un discours moralisateur autour de cette question. En écho, les
parents sont souvent accusés d'être démissionnaires face à leurs responsabilités. Cela crée une
forte stigmatisation d'une partie de la jeunesse et de la population.
Pour finir, on voit poindre une tendance à la répression à outrance, cela met en avant le profil du
délinquant et non plus celle du mineur en danger qui se cache souvent derrière cette carapace de
« gros dur ».
3.2 Une réponse éducative ou une punition ?
Le principe de la Justice des Mineurs Française est d'accorder du temps aux jeunes pour leur
donner l'opportunité de changer. Ainsi un décalage dans le temps entre les faits commis et leur
jugement est instauré. Toutefois, l'incertitude vis-à-vis de la durée du placement est très
insécurisante pour les jeunes. Au moment de l'audience de jugement ou de placement, le
magistrat estime le temps nécessaire pour ramener le jeune à une certaine normalité dans son
comportement. Dans « normalité », on peut entendre un retour à des valeurs, des conditions de
vie permettant une insertion sociale. L'acquisition d'un rythme de vie favorise une prise en
charge globale et quotidienne (scolarité, prise en charge de problème de santé, socialisation, liens
avec la famille, de dépendance, etc.).
Un jeune placé dans une structure d'hébergement peut voir son placement prorogé ou
s'interrompre (pour être incarcéré), suite à une audience de jugement d'une affaire antérieure à
son placement actuel. Toutefois, le cours de ce placement peut également être conditionné par
des actes qu'il commet durant ce suivi éducatif. En effet, j'ai rencontré des jeunes qui multiplient
les passages à l'acte, ne parvenant pas à exprimer verbalement leur mal-être. Par exemple, suite à
un retour en famille pour Noël, qui ne s'était pas déroulé comme il l'avait imaginé, un jeune du
foyer se sentait particulièrement mal. En janvier 2013, après nous avoir montré qu'il consommait
à nouveau du cannabis, il en est venu à agresser physiquement un éducateur. Cela l'a conduit en
détention, suite à une révocation de son contrôle judiciaire. En ressortant de prison, il nous a
appelés pour nous remercier car à présent il allait mieux. Il avait ainsi pris le temps de réfléchir
durant sa détention et avait pris conscience de l'intérêt de retourner en insertion. On se rend bien
compte ici, que les actes commis par certains jeunes sont une demande d'aide pour être stoppés
- 17 -
dans leur escalade.
L’incertitude concernant la durée du placement, donne à des jeunes un sentiment d’insécurité, lié
à une notion de temps qui se fige. Cette sensation les met dans une situation d’attente, les
empêchant de progresser. Avant une audience importante, certains jeunes peuvent stopper toute
démarche et même régresser, convaincus qu'ils vont être incarcérés. Un jeune m'expliquait qu'il
avait l'impression de vivre dans un univers où tout peut, à tout moment, s'arrêter et que ça lui
faisait peur. Pour contrer cet état, nous pouvons travailler avec les jeunes sur un principe de
contrat, avec des objectifs à plus ou moins longs termes. Cela leur permet d'appréhender de
manière moins anxiogène le temps, voire de les aider à se projeter dans le futur et d'être
régulièrement valorisés.
Par ailleurs, souvent la décision judiciaire de placement peut être vécue comme une punition par
le jeune. Il peut la considérer comme une « peine à endurer », en réponse à un délit pour lequel il
a été interpellé (c'est par exemple le cas pour certains jeunes placés en alternative à
l'incarcération). Le travail de recherche de l'adhésion du mineur s'en trouve alors compliqué.
Toutefois, dans le référentiel des mesures, « le placement éducatif sur décision judiciaire est en
matière civile comme en matière pénale, une mesure de protection, d'assistance, de surveillance
et d'éducation. »44 Le placement permet l'éloignement du milieu naturel, de la famille et des
fréquentations. Cette mise à l'écart de leurs parents peut être vécue comme une remise en cause
du rôle éducatif de la famille par l'institution judiciaire et par conséquent créer un contexte de
conflit de loyauté.
Une des difficultés du travail dans ce type de structure se trouve dans la nécessité de prendre du
recul par rapport à la « façon d'être » des jeunes. Pour les éducateurs, le fait de les côtoyer
quotidiennement peut contribuer à une tendance à la banalisation des comportements ou des
attitudes des mineurs pour lesquels la violence et l'agressivité ont souvent été un mode de
communication depuis leur enfance. Dans un article sur la prévention de la violence, Caroline
HELFTER, journaliste, parle d'un désespoir face à la violence que peuvent parfois ressentir les
professionnels. « Hurlements, coups, insultes, menaces, destruction de biens, d’autrui ou de soimême : ces jeunes, qui font de l’agression le support privilégié de leur sentiment d’exister,
mettent à mal les groupes de vie et les institutions. »45
44
45
Référentiel des mesures et des missions confiées aux services de la Direction de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse, septembre 2005, p. 68
HELFTER Caroline, « Face à la violence, développer une culture de la prévention », ASH, N° 2774 du
14/09/2012, http://www.ash.tm.fr/Recherche/Resultat/681fa13c84735fc5a0f22470f73de97e/2
- 18 -
Or la réponse répressive, avec la multiplication des mesures de probation, rend le contexte du
placement de plus en plus lourd de conséquences pour les jeunes. Le non-respect des différentes
obligations des Contrôles Judiciaires, Sursis avec Mise à l’Épreuve,... peut conduire les mineurs
en incarcération. Cela peut amener des équipes à « fermer les yeux » sur le comportement, les
agissements de certains jeunes, sous prétexte qu'en parallèle, un travail est en train de se mettre
en place. Les difficultés des adolescents peuvent être mises en avant, leurs nécessités de tester le
cadre pour vérifier si il tient. Parfois aussi nous pouvons faire en sorte qu'un mineur ait une
dernière chance, en espérant qu'il la saisisse, avant l'incarcération.
Ainsi, il est bien question de réponse éducative et toute la difficulté du travail éducatif se trouve
dans la nécessité de gérer tous ces aléas. Notre mission est de re-socialiser, voire de ré-éduquer
ces jeunes qui sont victimes d'un contexte de vie, qui les a amenés à commettre ces actes
déviants. Le but ultime des professionnels est d'aider les mineurs à changer leur façon d'agir au
profit d'un fonctionnement plus propice à la société actuelle. Il est donc question de projet de resocialisation et non uniquement de sanction d'un acte répréhensible.
3.3 Se soucier du cadre...
Les structures d'hébergement de la PJJ accueillent des jeunes placés par des magistrats (juge des
enfants, juge d'instruction et juge des libertés et de la détention) au titre de l'ordonnance du 2
février 1945. Les UEHC permettent à des mineurs primo-délinquants ou installés dans ce
fonctionnement de bénéficier d'un accompagnement éducatif au quotidien. Le cahier des charges
des UEHC délimite le cadre d'intervention de l'accompagnement éducatif comme tel :
− « Expliciter au jeune et à ses parents les fondements, les conditions et les objectifs du placement de
manière à redéfinir le rapport que le jeune entretient, en tant que victime ou en tant qu’auteur, avec
la loi,
− Inscrire le jeune dans le quotidien du foyer en travaillant avec lui notamment le respect des règles
domestiques et sociales et la restauration de l’estime de soi au travers de l’organisation d’activités
partagées, sportives, culturelles ou ludiques, etc,
− Organiser le suivi formalisé des parcours d’apprentissage et de socialisation,
− Prendre en compte la santé,
− Travailler les liens familiaux. »46
3.3.1 … pour les jeunes
Par conséquent, cette action éducative, que l'on qualifie de contrainte, a pour objectif de
permettre une réinsertion sociale et une non-réitération des actes de délinquance par les mineurs.
Un travail sur les droits et les devoirs de chacun, mais également sur une acceptation de l'autorité
des adultes est effectué durant ce suivi éducatif au quotidien.
L'interpellation des mineurs concernant les agressions dans les transports en commun à Grigny,
46
Cahier des charges Unités Educatives d'Hébergement Collectif (UEHC), transmis conjointement à la note de P.P. CABOURDIN en date du 7 avril 2008, à l'attention des directeurs, p. 9
- 19 -
fin mars 2013, nous en donne un exemple. Ces jeunes ont été présentés comme des adolescents
« livrés à eux-même, sans repères », « sortis du système scolaire »47. Cet incident a réactivé le
débat sur la prévention, sur l'intérêt de remettre sur le terrain, des adultes référents, présents pour
dire aux jeunes les interdits, leur rappeler les normes. Rémi CASANOVA, docteur en Sciences
de l'Éducation, relie la vie à la nécessité d'un cadre et démontre que ce dernier est indispensable
pour la survie.
« La nature, l'entendement, la réalité imposent à tous, objets et sujets, un cadre [...] parce que la
perception humaine ne peut que concevoir du fini, du borné, du limité. […] On peut repousser les
limites de ce cadre, il existera toujours, peut-être plus souple, plus lâche, moins contraignant, mais il
existera toujours. Au moment où le cadre est si souple, si peu contraignant qu'il ne contient plus, il ne
remplit plus sa fonction et le contenant s'évapore, se dilue, meurt […]. »48
Pour remédier à cela, une équipe pluridisciplinaire composée d'un directeur, d'un responsable
d'unité éducative, d'une secrétaire, d'éducateurs et d'une psychologue ainsi que d'agents
techniques cuisine et d'entretien est en relation 365 jours par an avec les jeunes, 24 heures sur 24.
Le cadre d'intervention institué contribue à l'instauration d'un environnement cadrant pour
sécuriser les adolescents afin qu'ils puissent évoluer et réfléchir sur leurs comportements et les
actes qu'ils ont commis. La notion de « sécurisation » est très importante car d'une part
l'adolescence est une période très anxiogène pour les jeunes, d'autre part, les mineurs qui sont
accueillis vivent cette période en se mettant eux-mêmes en danger. On peut s'inspirer des
principes du « holding »49 dont Donald W. WINNICOTT a mis en évidence la nécessité pour le
bon développement du nouveau-né. Ce concept doit être la base de la relation entre une mère et
son enfant.
Toutefois, les jeunes n'ont jamais été exempts de cadre. En Île-de-France, les mineurs suivis pour
des affaires de trafic de stupéfiants, vols et violences représentent un pourcentage important des
prises en charge des affaires au pénal. Ces jeunes, intégrés dans des affaires de trafic de
stupéfiants, bénéficient d'une formation, d'une initiation mise en place au sein des quartiers. Par
exemple, un jeune que j'appellerai Quentin, a été intégré dans le « bizness » par l'intermédiaire
de son grand frère, qui avait acquis une place influente. Il a, par conséquent, été projeté dans le
système tout en étant « protégé » du fait de son statut de « frère de ». Un cadre très réglementé
47
48
49
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/03/27/a-grigny-une-bande-de-jeunes-interpelles-apres-l-agressiondu-rer-d_3148671_3224.html
CASANOVA Rémi, « Vivre un cadre structurant dans les institutions de la PJJ et d'ailleurs », Les Cahiers
dynamiques, n°21, p. 32-33
Par le terme de « holding » (maintien), Winnicott qualifie l’action de la mère qui prend soin de son bébé dans
l'objectif de répondre à ses besoins physiologiques. L'intuition et la sensibilité de la mère sont alors en éveil, la
façon de tenir, de maintenir physiquement l'enfant diffèrent, s'adaptent à ses changements physiques et
psychologiques. Le but en est de transférer le centre de gravité de l'enfant de son corps à un « lieu » se situant
entre la mère et lui.
Par la suite, si ce lien à la mère a été secure et continue, il permet à l'enfant de se développer normalement.
- 20 -
est mis en place, dans lequel « les grands » prennent en charge les « plus petits » pour les
intégrer à un système parallèle. Ce dernier répond à :
« un ensemble de règles et de normes propres aux cités, garanties de la cohérence et de la survie du
groupe de ces cités, reconnues par tous, et qui se pérennisent et se transmettent. Les plus grands
« éduquent » les petits (les plus jeunes) en leur montrant l’exemple et en leur parlant. Ainsi parce que
les grands peuvent se faire 1000 euros en une soirée, le petit voudra faire l'identique. »50
Une des missions des éducateurs est alors de ré-éduquer les mineurs confiés, de les ré-adapter au
vue de cette éducation spécifique.
Un autre objectif du placement judiciaire est de les éloigner des jeunes qu'ils côtoient au
quotidien, qui peuvent avoir une mauvaise influence sur eux. Or toute l’ambiguïté et la difficulté
de cette mesure éducative est de les intégrer à un groupe de mineurs également placés dans le
cadre d'affaires au pénal. Toute la complexité du travail d'éducateurs et des structures
d'hébergement est de parvenir à instaurer un cadre qui contribue à la contenance des jeunes
accueillis. Un lieu est contenant quand l'espace et le temps sont délimités afin d'apporter aux
jeunes un cadre physique avec des horaires, des activités pour les aider à se structurer.
René KAËS, psychanalyse, a démontré que les éducateurs en faisant appliquer un cadre,
endossaient une « fonction contenante » pour le psychisme des jeunes. Les règles jouent un rôle
de « conteneur ». Une fois que ces deux fonctions (conteneur et contenante) sont intégrées par
les jeunes, ils peuvent accéder au stade « structurant » que le cadre leur permet d'atteindre. Le
cadre du placement doit leur permettre de réaliser que la vie est constituée de limites, qu'ils
doivent respecter au quotidien, tant au foyer que dans leur comportement avec autrui. Le foyer
est géré selon des règles auxquelles chacun doit se plier, aussi bien les jeunes que les adultes.
L'acceptation des contraintes du fonctionnement du foyer (règlement, devoirs, droits, etc.) se fait
en parlant avec les éducateurs, en en comprenant la signification, les raisons et les conséquences
pour eux et pour les autres. Cela donne la possibilité aux jeunes de réaliser, à une moindre
échelle, l'utilité et le sens des lois que la société met en place et qu'ils ont enfreintes. Nous
tentons durant les entretiens de recadrage et également par la suite, d'entamer un travail de
réflexion et de verbalisation sur les actes. Ce retour réflexif leur offre la possibilité de prendre
conscience de la responsabilité qu'ils engagent dans leurs agissements. En effet, comme je l'ai
évoqué plus haut, les jeunes vivent dans l'immédiateté et dans une aspiration à une toutepuissance. Ce fonctionnement nie l'existence de l'autre, de ses droits, de sa liberté et maintient les
jeunes dans une non-gestion de la frustration. Le travail éducatif sur le cadre a donc également
pour objectif de leur faire appréhender des notions comme celle de la liberté (aussi bien celle
d'autrui que la leur), pour acquérir le principe de l'altérité.
50
BOUTEREAU-TICHET, JOURDAIN-MENNINGER, LANNELONGUE, op. cit., p.17
- 21 -
Rémi CASANOVA, chercheur en science de l'éducation, estime qu'un cadre doit être « inscrit
dans une perspective sociale »51. C'est une des raisons pour laquelle un cadre structurant et
sécurisant donne l'opportunité aux usagers de s'émanciper, de faire des projets, de se projeter
dans l'avenir. La Pédagogie Institutionnelle52 (sous l'impulsion de Célestin FREINET, Fernand
OURY et Jacques PAIN) a longuement réfléchi et écrit sur la nécessité d'instaurer un cadre
sécurisant. La loi des 4 L, qui se décline ainsi : Lois, Lieux, Limites et Langage commun a pour
objectif de permettre un cadre de vie basé sur la sécurité et la confiance car tout est clairement
exprimé. Les 4 R, respectivement Repères, Responsabilisation, Reconnaissance et Respect,
permettent de mettre en place un « modèle socialisant »53. La reconnaissance et le respect sont
les deux notions qui sont probablement les plus longues à acquérir car elles sont les
conséquences de tout un travail à effectuer en amont. La reconnaissance signifie que le jeune est
reconnu pour ces compétences par le groupe mais qu'il reconnaît également les autres dans leurs
différences. Cette reconnaissance mutuelle est le signe d'un respect partagé, d'où le qualificatif de
« socialisant » pour qualifier ce modèle éducatif. Ce fonctionnement est valorisant pour les
jeunes car il leur permet de reprendre confiance en eux.
Le cadre de la prise en charge en institution donne la possibilité de travailler sur la structuration
sociale et psychique des jeunes. Dans un article paru dans la revue n°2 de Sociétés et jeunesses
en difficulté, Romain GÉNY parle de « conversion des habitus »54. L'habitus55 est décrit comme
« un système de dispositions profondes, « fabriquées » par une socialisation relativement cohérente
et systématique [...]. Ces dispositions amènent l’individu à intégrer une certaine vision du monde
(catégories de pensée, de découpage de la réalité) liée à sa position sociale, et lui permettent de
savoir comment se comporter dans le monde tel qu’il le perçoit. »56 L'objectif des éducateurs est
par conséquent de parvenir à modifier ces habitus de manière durable en donnant aux jeunes la
possibilité de réfléchir sur ses mécanismes de fonctionnement personnel. Cette action passe entre
autre par un travail sur la problématique des mineurs, en les conduisant à mettre des mots sur
51
52
53
54
55
56
CASANOVA Rémi, op. cit., p. 33
La Pédagogie Institutionnelle est une méthode inspirée des théories et pratiques élaborées par Célestin
FREINET. La pédagogie institutionnelle a pour but de faire de nos institutions des lieux de vie. Quelle que soient
leurs fonctions (éduquer, enseigner, former, produire, servir,...), elles doivent accompagner les usagers dans leur
évolution et l'expression de leurs sentiments. Actuellement, la Pédagogie Institutionnelle comporte deux
courants : celui porté par F. OURY et A. VASQUEZ plus influencé par la psychanalyse et un autre (sous la
direction de M. LOBROT, G. LAPASSADE et R. LOURAU) qui s’inscrit dans une perspective plus politique et
autogestionnaire.
CASANOVA Rémi, op. cit., p. 36
GÉNY Romain, « « Réponse éducative » de la PJJ et conversion des habitus », Sociétés et jeunesses en difficulté
[En ligne], n°2 | automne 2006, mis en ligne le 17 octobre 2006, Consulté le 27 septembre 2010. URL :
http://sejed.revues.org/index183.html
Le concept de l'« habitus » a été popularisé en France par le sociologue Pierre BOURDIEU.
GÉNY Romain, op. cit.
- 22 -
leurs actions et réactions. Romain GENY parle « d'entreprise de conversion des habitus
désordonnés en habitus ordonnés »57. Toutefois, les jeunes placés sont très réticents à cette
mentalisation de leur façon d'être. Nous devons nous appuyer sur le cadre, sur les outils dont
nous disposons (les activités, les différentes échéances, les diverses démarches à réaliser avec
eux), mais aussi sur leurs « obligations » pour les amener à se risquer à cette conversion.
Comme je viens de le mettre en avant, le cadre doit être clair, contenant pour être sécurisant et
structurant. Mais il faut se garder de le rendre trop rigide car les usagers perdent en liberté et en
socialisation. De même, une trop forte responsabilisation peut créer un stress de ne pas être à la
hauteur ou un désinvestissement. Ainsi, une bienveillance basée sur de l'adaptabilité doit être
mise en place afin d'entrer en relation avec les jeunes et de créer une relation de confiance. Cette
dernière doit reposer sur des actes et non des promesses irréalisables. L'honnêteté que l'on doit
accorder aux jeunes les aide dans leur construction identitaire.
3.3.2 … pour les professionnels
D'un point de vue institutionnel, les textes d'orientation de la PJJ, les cahiers des charges des
structures, les projets de services,... fournissent un cadre au travail des professionnels.
Individuellement, pour chaque jeune, les mesures ordonnées par le magistrat, parmi lesquelles
des exigences (obligations, interdictions), servent également à encadrer sa prise en charge en
hébergement. La mesure judiciaire délimite et oriente un accompagnement éducatif dans
certaines directions et en rythme les échéances. Elle demande à être expliquée et clarifiée pour
les protagonistes de ce suivi éducatif (jeune, famille et divers éducateurs intervenant dans
différents services). Dans le cas du travail en hébergement, l'audience de placement est
primordiale car elle permet aux personnes précédemment citées d'entendre les raisons et les
attendus du magistrat dans le cadre de ce placement.
Le corps de professionnels est composé en majorité de titulaires de la fonction publique, formés
à l'ENPJJ. Leur travail est ainsi basé sur la théorie, leurs expériences éducatives antérieures et les
objectifs éducatifs déterminés pour chaque mineur. En outre, leur action est légitimée par leurs
compétences et leur éthique de fonctionnaires et de travailleurs sociaux. Les compétences
professionnelles et personnelles de chaque agent orientent aussi leur façon d'intervenir auprès
des jeunes. En effet, un éducateur présentant des appétences pour le sport ou la musique ne
s’appuie pas sur les mêmes supports que ses collègues pour travailler avec les adolescents
accueillis. De la même façon, un psychologue formé à la systémie ou l'art-thérapie n'agira pas de
la même manière qu'un de ses collègues ne possédant pas ces techniques. Cette hétérogénéité des
57
Ibid.
- 23 -
individus encadrants est très enrichissante pour l'équipe mais surtout pour les jeunes.
Afin de travailler dans l'interdisciplinarité, une bonne connaissance de chacun est indispensable.
Cela « nécessite un cadre de travail, notamment des temps et des lieux de parole, d'échanges et
d'élaboration collective clairement repérés dans le fonctionnement du service […]. Cela
implique aussi pour tous les professionnels la reconnaissance mutuelle de leurs compétences
spécifiques, mais aussi de leurs limites. »58 Être conscient des limites de ses compétences, savoir
passer le relais, le cas échéant, favorise la relation de confiance, basée sur l’honnêteté, entre les
jeunes et les éducateurs. L'instauration de cette relation permet petit à petit au jeune d'accepter le
placement. Dans un second temps, les éducateurs tâchent de faire comprendre au jeune le sens et
les raisons de la décision du magistrat, le travail sur les faits peut alors s'entamer.
Confrontés aux diverses difficultés des jeunes, les réunions permettent de réfléchir sur les
stratégies éducatives à mettre en place pour chacun d'eux. Les professionnels peuvent être
amenés à être découragés face aux mises en échec de leurs actions par les jeunes. Pour contrer
cette éventualité, « il est nécessaire de travailler ensemble pour sortir du factuel, élaborer
collectivement un projet cohérent qui ne soit pas remis en cause à la moindre incartade. »59 Cela
peut contribuer à casser les mécanismes de rupture mis en place par les adolescents qui ont sans
cesse été rejetés mais cela demande beaucoup d'investissements. Or ces jeunes ont justement
besoin de personnes qui puissent leur servir de modèles identificatoires solides, constants et
cohérents. Ces qualités ne peuvent être renforcées que dans le cadre d'une équipe unie par une
forte cohésion. Ce travail se fait par le biais de réunions (de service, de fonctionnement,
d'accompagnement d'équipe) permettant de libérer la parole et la pensée.
Le cadre judiciaire de notre travail nous impose de nous référer régulièrement aux Lois. Le cadre
renvoie toujours à la symbolique de la Loi et permet d'aborder les différentes Lois, celles de la
République mais également celles qui définissent les interdits fondamentaux. La question que j'ai
posée à des éducateurs concernant « leur top 3 des règles à faire absolument appliquer », a donné
plusieurs fois la réponse des interdits fondamentaux. Ceux-ci sont au nombre de trois : le
meurtre, le parasitage et l'inceste. En effet, les jeunes placés par un magistrat ont commis des
actes qui, la plupart du temps relèvent de variantes de ces interdits fondamentaux (la violence, le
vol, etc.). Ces interdits n'ont pas été intégrés, peut-être par manque de communication entre les
adultes et les jeunes. Un des objectifs de ces placements est de donner la possibilité à ces
mineurs de comprendre ces interdits et de les assimiler. Le contact avec des adultes qui les ont
58
59
COURAUD Simone, op. cit., p. 39
Ibid., p. 41
- 24 -
intégrés doit leur permettre d'acquérir des repères pour pouvoir accéder à l'altérité et vivre en
société.
Ainsi, comme nous avons pu le voir, les foyers PJJ prennent en charge des jeunes « placés » par
la justice suite à des actes de délinquance. Ces passages à l'acte sont souvent signe d'un mal-être,
d'une fragilité du jeune (qu’elle soit familiale, sociale, économique, psychologique,
éducative,…). Le mineur ne parvient pas à s’intégrer dans une société dont il se sent exclu et
dans laquelle il ne réussit pas à se projeter dans l’avenir. Privés de cadre, certains adolescents
intègrent une vie parallèle, déviante qui les amène à commettre des délits condamnables en vertu
de la Loi. Leur placement reste souvent une alternative à l’incarcération, et la mission des foyers
est donc de leur apporter un « cadre », pour faire avec eux un travail de resocialisation.
Néanmoins, le travail éducatif demande un temps suffisamment important dont nous ne
bénéficions pas dans le cadre des placements PJJ au pénal. Les foyers peuvent également avoir à
faire face à toutes sortes de difficultés, qui compromettent ce travail éducatif, et avoir des
conséquences réelles sur le comportement des jeunes placés. C’est ce que nous verrons dans le
second chapitre de ce travail, au travers de situations concrètes vécues lors de mon stage.
- 25 -
- 26 -
Chapitre 2 : Le rapport entre le cadre et l'instauration d'un travail
éducatif dans ce foyer
José BLEGER, psychanalyste argentin, poursuivant les réflexions sur le cadre initiées par René
KAËS, définit le lien thérapeutique entre l'analyste et son patient en mettant en avant la nécessité
d'un cadre immuable. Pour lui, la constance, la permanence de certains éléments (le rôle de
l'analyste, le lieu, la durée, le paiement, le « contrat psychanalytique »...) créent un
environnement stable, qui permet au patient, de s'ouvrir, première étape du processus de
changement. Or, comme le montre José BLEGER60, le travail engagé est un processus de
changement, qui est autorisé par la présence du cadre, « non-processus », puisque symbolisé par
des caractéristiques inchangeantes. Il faut ainsi comprendre dans cette définition, que le cadre,
indispensable à la guérison du malade, n’est pas totalement fixe car il se construit en relation
avec le processus que l’on souhaite initier et développer.
Dans le cas des adolescents délinquants, les processus recherchés sont variés. Il s’agit
d’accompagner les jeunes dans leur construction de futur adulte, tout en les aidant à comprendre
et à surmonter les difficultés qui les ont conduits à commettre ces actes de délinquance. C’est à
partir de la connaissance (et la reconnaissance) des difficultés rencontrées par ces jeunes, et de
leurs difficultés à les surmonter que pourra être mis en place ce cadre défini par José BLEGER.
C’est ce que nous pourrons voir au travers de situations auxquelles j’ai été confrontée lors de
mon année de stage dans ce foyer.
1. Présentation du foyer
La structure dans laquelle je travaille depuis maintenant près de 8 mois est un foyer qui se situe
dans une zone pavillonnaire d'une ville des Hauts de Seine, à quelques minutes de marche à
pieds du périphérique parisien.
1.1 Le bâtiment
Le foyer se situe dans une villa en pierres meulières, qui s'élève sur quatre niveaux.
− un sous-sol, où se trouvent une salle d'activités, diverses réserves et une buanderie.
− un rez-de-chaussée, où se situent les bureaux des éducateurs et de la secrétaire, la cuisine
ainsi que la salle commune dans laquelle se déroulent les repas, les réunions jeunes et où
les adolescents regardent la télévision,…
− deux étages supérieurs, qui desservent dix chambres dont deux doubles, deux toilettes et
60
BLEGER José, « Psychanalyse du cadre psychanalytique », in KAËS René, MISSENARD André, KASPI
Raymond et al., Crise, Rupture et dépassement, Dunod, 1979, pp. 255-285
- 27 -
deux douches à chaque étage, ainsi qu'une chambre de veille au premier étage.
On trouve, également dans le jardin, des algécos qui servent de débarras.
Si cette villa présente l'avantage d'évoquer une maison familiale, de part ses dimensions
humaines et la manière dont sont desservis les espaces, elle s'avère exiguë au vu des douze
adolescents qu'elle peut recevoir et des normes actuelles. Aucune pièce spécifique ne permet
d'accueillir les familles de manière décente et les réunions de service ne peuvent se faire dans
l'enceinte du foyer. Celles-ci sont ainsi animées dans l'espace administratif se situant à proximité.
En effet, une annexe située à quelques mètres, dans le jardin, abrite les bureaux du Directeur de
Service, de la directrice stagiaire, du Responsable d'Unité Éducative (RUE), de la psychologue
ainsi qu'une salle de remise en forme. Cette partie était, il y a trois ans, une antenne de l'insertion
du département dédiée à la restauration. Les personnes se trouvant dans ces locaux (comme c'est
le cas lors des réunions de service) y sont isolées aussi bien d'un point de vue sonore que visuel.
Cet espace administratif est complètement coupé de l'activité du foyer, tant des éducateurs que
des jeunes placés.
1.2 L'équipe pluridisciplinaire
L'équipe interdisciplinaire comprend vingt-quatre personnes, se composant de la manière
suivante :
− un directeur de service
− un responsable d'unité éducative,
− une directrice stagiaire,
− dix éducateurs titulaires,
− trois éducateurs contractuels travaillant uniquement la nuit,
− deux éducateurs stagiaires pré-affectés dans cette structure,
− deux éducatrices spécialisées stagiaires se succédant au cours de l'année (la première
stagiaire étant en 2de année de sa formation a été présente de septembre 2012 à février
2013 et la seconde en 3ème année de sa formation effectue son stage de mars 2013 à
janvier 2014),
− une psychologue à mi-temps sur le foyer (l'autre mi-temps sur un milieu ouvert),
− un agent administratif,
− deux agents techniques-cuisine,
− un agent d’entretien à 50%.
- 28 -
1.3 L'histoire de l'institution
Le pavillon a été acquis en 1964 par l’Éducation Surveillée pour y installer un « foyer de semiliberté ». Un groupe de 25 garçons de moins de 21 ans y est placé par un magistrat suite à des
actes de délinquance. Ils sont rejoints en journée par des externes pour y suivre une scolarité.
Au début des années 1970, ce foyer se transforme en Institution Spéciale d’Éducation Surveillée
(ISES) et accueille des jeunes relevant de l'assistance éducative. Dans les années 1980, la
formation professionnelle s'externalise, les jeunes sont inscrits dans des dispositifs extérieurs à la
structure d'hébergement. En parallèle, des éducateurs s'investissent dans des projets spécifiques
afin d'accompagner les jeunes de plus en plus confrontés au chômage. Un centre de jour est créé
et propose une formation professionnalisante. Des jeunes placés au foyer ainsi que des externes
peuvent y apprendre les métiers de cuisinier et de serveur. (En 1996, cette activité a été rattachée
au Service Départemental d'Insertion.) La question de l'apprentissage d'un métier est présente
depuis les débuts dans cette structure. Actuellement, l'âge médian des jeunes accueillis est de
16,5 ans, par conséquent, la problématique de leur insertion est constante. Cela est également
prégnant puisque le directeur dirige un Établissement de Placement Éducatif et d'Insertion (à
savoir le foyer et une Unité Éducative d'Activités de Jour).
En 1975, le foyer se dote d'un appartement de quatre pièces. Il permet à des jeunes du foyer
d'acquérir une certaine autonomie en continuant de bénéficier d'un suivi éducatif. Face aux
difficultés pour les jeunes à rompre avec le foyer et pour les adultes à gérer ces deux sortes
d'hébergement, la structure s'en sépare en 2000. Une place en famille d'accueil est maintenue
pour y orienter des jeunes ayant des difficultés avec le placement en collectif. Les quelques
places que représentait l'appartement offraient l'occasion aux jeunes de découvrir et d'apprendre
l'autonomisation, sans devoir en subir les dangers. Malgré cette disparition, l'équipe cherche à
maintenir cette mentalité de préparer les adolescents à l'autonomisation, au vu de leur majorité
approchante pour beaucoup d'entre eux.
En 1993, des jeunes demandent à leurs éducateurs un peu plus d'argent de poche pour faire des
activités extérieures pendant les vacances d'été. « Une discussion s’amorce, les éducateurs
trouvent la demande légitime, mais sont profondément convaincus que cet argent ne doit pas être
donné mais gagné. »61 Un éducateur de l'équipe, ayant auparavant travaillé dans le milieu de la
brocante, propose aux jeunes de collecter divers objets, meubles, etc. chez des particuliers pour
les revendre. L'activité « Brocante » était née. Elle a permis durant plusieurs années de financer
61
Projet de service, p. 11
- 29 -
en partie des projets montés par les jeunes (comme des camps), mais aussi « et surtout » de
changer progressivement la manière de penser des jeunes qui y participaient. Ils se mettaient à
gagner de l’argent par le biais d'une activité à laquelle ils avaient participé. Cet argent gagné (et
par conséquent celui qu’ils désiraient pour s’acheter quelque chose) devenait représentatif en
terme de journées de travail à la Brocante. Cette démarche a montré la prise de conscience du
principe de l'insertion sociale. (En 1998, cette activité a été, elle aussi, rattachée au Service
Départemental d'Insertion.) Avec cette expérience, on voit apparaître un des principes de la
pédagogie de projet. Partir des envies, demandes des jeunes, pour monter avec les compétences
et désirs des éducateurs un projet commun, qui permet d'effectuer un travail orienté sur
l'individualisation, tout en créant une dynamique groupale et positive.
Ce rappel succinct de trois grands épisodes de l'histoire de ce foyer montre l'esprit qui a animé et anime
encore ce lieu. « L’individualisation du travail éducatif, la mise en place d’activité par le projet et
l’ouverture sur l’extérieur et l’environnement social, scolaire, culturel, sportif… »62 sont les
orientations pédagogiques visées dans ce foyer.
2. Faire équipe : pour garantir un cadre
Comme nous avons pu le voir, les orientations pédagogiques du foyer se sont imposées
progressivement tout au long de son histoire, au travers d’expériences souvent positives mais qui ont pu
aussi se solder par des échecs. D’abord éducateur dans cette structure, le directeur actuel a pris son
poste il y a une dizaine d’années. Il a ainsi participé activement à l'histoire récente du foyer et se bat
pour que perdurent ces grands principes éducatifs.
Je suis pour ma part arrivée dans ce foyer en septembre 2012, en tant qu’éducatrice pré-affectée sur
cette structure. La première partie de mon stage (de septembre 2012 à mars 2013) a été une phase
d’observation, qui m’a permis également en interrogeant les éducateurs de comprendre le
fonctionnement du foyer. Je souhaiterais préciser qu'au cours de mon parcours professionnel, j'ai
exercé dans un Centre d'Hébergement de Réinsertion Sociale (CHRS) et dans diverses structures
PJJ, comme « agent de justice » (emploi jeune) puis éducatrice contractuelle. J'ai donc eu la
possibilité de voir des fonctionnements différents de celui exercé dans ce foyer, avant cette préaffectation. Ces expériences antérieures, ainsi que la formation à laquelle j’ai assisté à l’ENPJJ et
en Pôle Territorial de Formation, m’ont donné des points de comparaisons concernant les
62
Ibid., p. 11
- 30 -
démarches éducatives. Ils m’ont permis d’acquérir un recul nécessaire pour pouvoir questionner,
à situation identique, la mise en place du cadre dans ces structures éducatives, et la manière dont
celui-ci fonctionne dans cet hébergement.
2.1 Engager une réflexion
L’instauration d’une autorité éducative dans les foyers passe par un travail d’accompagnement
des jeunes dans leur construction de futurs adultes en les aidant à comprendre et surmonter les
difficultés qui les ont conduits à commettre des actes de délinquance. Ce travail
d’accompagnement, peut difficilement se faire sans, au préalable, définir un cadre. Pour René
KAËS, il symbolise une « action psychique qu’est la « contenance », voire la contention, ainsi que
la fonction de « conteneur » d’un groupe, d’un dispositif, voire d’une institution. Sous cet angle, le
cadre est ce qui procure une suffisante sécurité psychique pour que le sujet puisse assumer
l’incertitude du changement auquel il a pourtant à se confronter pour grandir et se former. »63
Ainsi, le cadre permet aux jeunes en difficulté de se « cadrer », d’obéir à des règles qui vont leur
procurer une sécurité. C’est à partir de cette sécurité que le travail éducatif peut se mettre en
place.
Mon travail d’observation dans les premiers mois de mon stage m'a permis en m’appuyant sur
les principes de l’Analyse Institutionnelle64, d'alimenter une réflexion personnelle sur le
fonctionnement du foyer et sur la mise en place du cadre. En effet, l’Analyse Institutionnelle a la
particularité de définir les principes devant gérer les institutions en s'appuyant sur une analyse de
leurs interventions. Elle comporte deux aspects. L'un est sociologique : décortiquer le
fonctionnement d'une institution (entre autre, ses faiblesses, ses difficultés) et ainsi générer un
changement pour réinstituer la structure collectivement permettent de gagner en cohésion
éducative et en finesse d'intervention. L'autre, psychanalytique, permet de mettre en avant et de
mieux assumer la dimension inconsciente présente dans le métier d'éducateur. Si je me suis
appuyée sur ces principes, je n’ai pas réellement réalisé une Analyse Institutionnelle. D'une part,
je n'en ai ni les compétences, ni la capacité, d'autre part, réalisant ce travail de manière plus ou
63
64
GINET Dominique, « L'école en tant que « cadre » pour les élèves et les professeurs », in Enseigner, un métier
pour demain, OBIN Jean-Pierre, Paris : La Documentation Française, 2002, p. 186
L'Analyse Institutionnelle est née en France, en 1943, sur le terrain de la psychiatrie. F. TOSQUELLES,
psychiatre, a créé la psychothérapie institutionnelle pour contrer le pouvoir particulièrement puissant que la
hiérarchie détenait dans les hôpitaux psychiatriques. J. OURY et F. GUATTARI ont poursuivi son travail dans les
années cinquante. L’analyse institutionnelle a la particularité de définir les principes devant gérer les institutions
en s'appuyant sur une analyse de leurs interventions. L’Analyse Institutionnelle se base sur des courants
théoriques, des constats, des recherches sur le terrain et a fortement influencé le courant pédagogique
institutionnelle, par l'intermédiaire, entre autre, de F. OURY.
- 31 -
moins autonome65, dans le cadre de cette recherche, la vision, la compréhension et
l’interprétation de la situation du foyer à un temps T, me sont personnelles.
Cependant, au regard de mes précédentes expériences et de la formation, il me semble que dans
le métier d’éducateur, le travail sur la connaissance des émotions et du transfert devrait être
diligenté. Notre fonction nous place sur le chemin de jeunes dont la subjectivité est en pleine
construction, et qui demandent à être reconnus. Cette profession demande, à mon sens, une
grande disponibilité et une implication personnelle. Elle nécessite également une bonne
communication avec ses collègues pour que toutes les individualités qui travaillent ensemble
puissent constituer une équipe éducative cohérente.
Les incidents (dégradations, violences,...) auxquels l'équipe a été confrontée lors des premiers
mois de ma pré-affectation, m'ont beaucoup interrogée sur la manière d’y faire face mais
également sur la difficulté à revenir sur les actes en eux-mêmes, afin de les reprendre avec les
jeunes mineurs. Ces problèmes, mais également des dysfonctionnements de l’équipe en poste
(difficulté pour réfléchir entre professionnels aux problématiques des jeunes et aux problèmes
auxquels nous sommes confrontés, peu de sanctions limitant l'accessibilité à la réparation,...) ont
ainsi nourri ma réflexion pour réaliser ce travail.
En effet, pourquoi ces jeunes avaient débordé à ce point, qu’essayaient-ils d’exprimer au travers
de ces actes ? Comment l’équipe éducative y avait fait face, qu’aurait-elle pu faire pour les
éviter ? Ces questions ont été la base de mon travail, d'autant plus que les jeunes adolescents
tentent souvent de tester les limites (en l’occurrence celles du foyer pour les jeunes accueillis),
elles m’ont amenée à questionner le cadre donné à ces mineurs et sa mise en place dans la
structure, qui manifestement rencontrait quelques difficultés.
Suite à ces incidents avec les jeunes, la direction de la structure a programmé des réunions de
fonctionnement et d'accompagnement d'équipe à une fréquence plus rapprochée afin que l'équipe
éducative essaie de comprendre ce que le foyer était en train de vivre. Je me suis beaucoup
appuyée sur ce qui a pu être exprimé durant ces instances de travail66 pour réaliser ce mémoire.
65
66
Le travail que nous avons effectué durant les réunions de fonctionnement n'était pas fait dans le cadre d'une
analyse institutionnelle en bonne et due forme. Je me suis donc beaucoup appuyée sur ce qui se disait lors des
diverses réunions pour essayer de comprendre les différents points de blocage de cette structure.
Le cadre des accompagnements d'équipe demande de respecter la confidentialité des échéances effectuées. Ils
ont néanmoins été une mine d’informations pour l'étude que j'ai effectuée. Pour autant, j'ai veillé à ne pas citer de
brides de séances de ces instances, afin d'observer ce cadre déontologique.
- 32 -
2.2 Retrouver un esprit d'équipe
Lors des réunions de service, l’équipe a fait le constat que depuis plusieurs mois, lors des
passages de consignes, des informations ne sont pas (ou mal) transmises, ce qui implique que
certaines démarches ne sont pas effectuées, que des rendez-vous ne sont pas annulés ou reportés,
etc.
Par ailleurs, les différents outils de gestion (des sorties des valeurs, de l'hygiène, le suivi
kilométrique des véhicules,...) ne sont pas remplis. Parfois même, certains événements ne sont
pas relatés dans le cahier de consignes67 et les informations concernant les jeunes ne sont pas
reportées dans leurs cahiers de suivi individuel68. Cela explique aussi que les rapports ne sont pas
toujours écrits en temps et en heure pour être envoyés aux magistrats. Ainsi, le manque
d’organisation ambiant transforme les actes du quotidien en urgence. Tous les éducateurs ne se
rendent pas aux réunions de service ; il a pu arriver que l'on soit cinq ou six professionnels sur
une équipe comptant une vingtaine de personnes.
La vignette de situation ci-dessous, marque précisément ce point, notant un absentéisme
important des éducateurs durant les instances de réflexion mises en place pour remédier aux
problèmes rencontrés. La prise de décisions qui s’imposent pour remédier aux difficultés que le
foyer rencontre, ne peut, par conséquent, pas se mettre en place de manière effective.
A la suite des incidents rencontrés durant le second semestre 2012, le directeur de service
a décidé de modifier le rythme des réunions de fonctionnement. Initialement, elles avaient lieu
une fois par mois. Il en instaurait à présent une tous les quinze jours afin de donner à l'équipe
éducative l'opportunité de réfléchir aux difficultés rencontrées, à leurs causes, leurs
conséquences et à comment y remédier. Le cadre de cette instance convient tout à fait à cette
situation puisque la réunion de fonctionnement est définie dans le projet de service comme
servant à « la régulation du fonctionnement quotidien de l’UEHC, par un travail commun de
rappel, d’adaptation ou de modification des procédures habituelles de travail. »69
Pour nous aider dans cette réflexion, un accompagnement d'équipe animé par un psychiatre a
été remis en place (après une interruption de huit mois). Ce lieu de parole obligatoire permet à
l'ensemble du personnel de s'exprimer sur les éventuelles difficultés rencontrées, auprès des jeunes
67
68
69
Les éducateurs indiquent sur ce cahier ce qu'il se passe au foyer, les différents événements, les allées et venues
des jeunes, l'ambiance, les différentes démarches effectuées. Il permet aux éducateurs prenant leur service de
savoir ce qu'il s'est passé durant leur absence.
Les éducateurs relatent dans un cahier sur lequel le nom du jeune est indiqué, les principaux événements,
comptes rendus d'entretiens, de démarches, concernant chaque jeune. Toutefois les mineurs n'ont pas accès à cet
outil de travail. Ces cahiers nous permettent d'avoir une vision globale sur chaque jeune pour rédiger une note,
pour s'informer sur son évolution après une longue absence du service, etc.
Projet de service, p. 17
- 33 -
ou dans le fonctionnement général. Il a pour but de créer une cohésion d'équipe. Il a également été
renforcé dans sa régularité, une fois toutes les trois semaines, contrairement à ce qui est initialement
prévu, à savoir « une fois par mois (huit réunions dans l’année) »70.
Ces instances sont conçues nous aider à repenser nos outils pour travailler, mais elles ne
sont pas investies par le personnel. Des accompagnements d'équipe ont du être annulés faute
d'éducateurs pour y assister (arrêt maladie, démarche à faire sur ce temps de réunion, congés
ou absence). Ainsi, le travail sur les difficultés rencontrées ne peut pas être effectué. En petit
comité, tous les points de vue ne peuvent pas être évoqués, et lorsqu'une décision est prise, tous
les membres de l'équipe ne se reconnaissent pas forcément dans le nouveau fonctionnement.
Cela a été le cas, par exemple, pour l'instauration des horaires de travail pour les éducateurs
durant les week-ends ou pour les plages horaires d'accès aux salles d'activités et de sport. Par
conséquent, en fonction des éducateurs et des jeunes présents, lesdites salles peuvent être
ouvertes en dehors des horaires annoncés aux mineurs.
Quel est le sens du désinvestissement de ces espaces de parole qui sont là pour analyser
les problèmes que nous subissons, pour créer un collectif mais aussi pour prendre des décisions
de manière collégiale ?
Je pense, pour ma part, que cet absentéisme est dû à un désinvestissement de certains éducateurs
face à leur travail au foyer. La question serait donc de savoir pourquoi ce désinvestissement de
l’équipe ?
Il existe diverses hypothèses à ce constat : un sentiment de perte d'un point de vue éducatif face
aux orientations politiques prises par la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, une
baisse de motivation pour ce métier, une opposition avec le fonctionnement général de la
structure, un épuisement professionnel, ... Après considérations, toutes ses hypothèses sont
justes. En effet, plusieurs professionnels ont évoqué dans les réponses au questionnaire distribué
la perte du public suivi au civil pour expliquer certains problèmes que les établissements
d'hébergement rencontrent actuellement. Le fait de n'accueillir que des jeunes au pénal ne permet
pas de constituer un groupe hétérogène. D'autres éducateurs ont pu exprimer leur désillusion face
à ce métier, comment travailler dans un tel contexte.
De plus, durant deux mois et demi, le directeur a été en arrêt de travail, ce qui a mis en difficulté
la structure. L'intérim de direction du foyer ainsi que du service d'insertion a été assuré par le
RUE71 et la directrice stagiaire, qui n'avaient pas le soutien nécessaire pour le mener de façon
70
71
Ibid., p. 18
Or le RUE travaillait auparavant, dans ce foyer, en tant qu'éducateur contractuel. Il a été promu au poste de RUE
sans pouvoir suivre la formation inhérente à cette fonction. De ce fait, les professionnels qui l'ont connu avant,
ne voient pas toujours en lui un cadre supérieur hiérarchique.
- 34 -
optimale. Les bureaux de la hiérarchie étant éloignés du foyer72, la communication se fait
essentiellement par téléphone. Ainsi la distance physique de la hiérarchie, ajoutée à un éloignement
des jeunes, dûs à un surcroît de travail, ont contribué à la souffrance que l'équipe éducative a
ressentie face à l'absence de repères fixes et étayants.
Tous ces différents éléments nous amènent à la prise en considération, pour quelques collègues,
de l'hypothèse d'un épuisement professionnel, plus couramment appelé « burnout »73.
Les psychologues Wilmar SCHAUFELI et Dirk ENZMANN, en 1998, ont défini l'épuisement
professionnel comme « un état permanent, négatif, lié au travail se produisant chez des individus
normaux74 ; il se caractérise essentiellement par une fatigue générale, du stress, un sentiment de
diminution des compétences, de baisse de motivation et le développement d’une attitude
dysfonctionnelle à l’égard du travail. »
Pour en revenir au foyer : au cours de l'année 2012, les travaux réalisés dans la structure ont
contraint à diminuer de moitié le nombre de jeunes pris en charge. A partir de septembre 2012, le
foyer a été progressivement rempli par des accueils préparés et d'autres inconditionnels. Cette
modification rapide des conditions de travail a été relativement brusque pour des professionnels,
qui, après s'être pleinement investis, ont craqué face à la tension ambiante. En effet, l'arrivée
simultanée de trois jeunes souffrant de troubles du comportement a participé à l'instauration d'un
climat particulièrement lourd. Le sentiment d'insécurité que ces derniers induisaient de part un
comportement violent envers les femmes, le manque de soutien de la part de la direction
territoriale75, la nécessité de flexibilité imposée par ce travail, ont contribué à une sensation
d’usure.
On retrouve ainsi chez les éducateurs certains symptômes que le psychothérapeute américain
FREUDENBERGER avait observés, dans les années 1970, auprès des bénévoles d'un hôpital de
jour accueillant des toxicomanes : problèmes dorsaux, gastro-intestinaux, multiplication des états
grippaux, difficultés d'ordres émotionnel et nerveux.
Globalement, une sorte de réticence à la nouveauté semble gagner chaque agent. Au vu des
72
73
74
75
Avant son déménagement dans l'annexe dans le jardin, le bureau du directeur se situait au premier étage, au
niveau des chambres des jeunes. Actuellement les bureaux du directeur, du RUE et de la Directrice stagiaire sont
tous trois dans l'annexe.
Le mot « burnout » vient du domaine de l’aérospatiale. Il désigne la situation pendant laquelle une machine
surchauffe et risque de s’abîmer par manque de carburant. Dans les relations humaines, il est lié au stress et à une
frustration personnelle dans le domaine professionnel.
Dans « normaux », entendons individus non dépressifs, puisque au début des recherches sur l'épuisement
professionnel, certains chercheurs avaient associé le burnout et la dépression.
Un des trois jeunes présentant des troubles du comportement nous avait été imposé par la Direction Territoriale,
malgré les arguments que nous donnions pour ne pas le prendre. Nous manquions à ce moment de personnels,
nous avions déjà accueilli les deux autres mineurs, il avait été accueilli dans l’Établissement de Placement
Provisoire d'Observation et d'Orientation (EPPOO) du département sans grand espoir. Que pouvions-nous lui
apporter de plus dans ces conditions ?
- 35 -
difficultés à utiliser les différents outils actuels, des éducateurs ont proposé d'en créer de
nouveaux, proposition accueillie avec pessimisme. Face aux questions relatives aux activités des
jeunes, le même défaitisme a été exprimé.
2.3 Revenir aux médiations
La pertinence de l'action éducative se basant sur le « faire avec » n'est plus à démontrer. Le
cahier des charges des UEHC insiste sur la mise en place d'activités dans les structures
d'hébergement.
« Les activités médiatisées éducatives - activités ludiques et pédagogiques favorisant la créativité,
activités sportives, activités culturelles, d'éducation à la santé... – [sont] indispensables au
développement personnel du jeune et à la vie collective. Ces activités sont institutionnalisées et
pérennisées. Pour prendre sens, elles sont programmées à un rythme soutenu au cours de la
76
semaine. »
Malgré cela, cette manière d'agir peut être compliquée à mettre en œuvre sur le terrain. Cette
vignette de situation, en partie tirée de l'analyse que j'ai effectuée suite à la mise en place de mon
projet de média pédagogique, tente de présenter les réticences qu'induisent les activités dans
cette structure.
En septembre 2012, aucune activité n'était mise en place. Toutefois, le règlement de
fonctionnement du foyer informe les jeunes que « dans le cadre du Dispositif Accueil et
Accompagnement, des activités culturelles, sportives et de soutien scolaire, individuelles ou
collectives, sont proposées par les personnels de l’UEHC. Ces activités ont lieu en priorité les
mardis, mercredis et jeudis et sont obligatoires en fonction des disponibilités de chacun. »77
Aucun jeune n'étant scolarisé, ni en insertion, nous nous retrouvions face à huit jeunes
désœuvrés. Nous rencontrions avec eux de grosses difficultés à les coucher, les lever et les
motiver pour effectuer la moindre démarche.
J'ai rapidement proposé de monter une activité axée sur différents supports culturels (la lecture
de bandes dessinées, le visionnage d'œuvres cinématographiques) et d'assister à un spectacle
d'art vivant. Je souhaitais contribuer à créer une dynamique permettant de motiver les jeunes à
se lever et à avoir des objectifs pour leurs journées. Des éducateurs m'ont reproché d'être trop
ambitieuse par rapport aux jeunes que nous accueillions. Les actions que j'ai tentées de mener
ont été des échecs par manque de communication, de soutien et l'absence d'intérêt pour ce
projet.
Le RUE a dit à de nombreuses reprises que « nous avions perdu l'esprit de l'activité, par
76
77
Cahier des charges des UEHC, p. 9
Règlement de fonctionnement, juin 2011, p. 11
- 36 -
conséquent les jeunes ont du mal à adhérer aux activités qu'on peut leur proposer ».
Finalement, les rares projets qui voient le jour, sont des activités menées par des intervenants
extérieurs (par exemple : slam, marouflage, sophrologie, premiers secours, ...). Le respect visà-vis des personnes qui se déplacent et que l'on rémunère contribue peut-être à la mise en place
effective de ces activités. Les éducateurs de la structure sont là pour encadrer, soutenir
l'intervenant et selon leur intérêt pour l'activité y participent avec les jeunes. Selon moi, dans le
meilleur des cas, cela peut devenir un moment d'échange avec les mineurs. Mais une fois
l'intervenant parti, l'activité n'existe plus puisque nous n'avons pas les connaissances pour la
mener de manière autonome.
La question des activités des jeunes permet de soulever plusieurs difficultés. L'équipe éducative
réfléchit depuis un certain temps à la mise en place d'activités. Ce travail est toujours en cours.
Lors d'une réunion de fonctionnement en janvier 2013, a été abordée la question de la
constitution d'emplois du temps hebdomadaires individualisés pour chaque jeune, la notion de
laisser du temps au jeune pour se poser a été évoquée. En effet, avant le changement
d'orientation de 2007, il semblait envisageable d'accorder au jeune quelques semaines d'oisiveté
pour qu'il prenne ses marques et puisse réfléchir à ce que ce placement pouvait lui donner
l'opportunité de réaliser. À présent, cela n'est plus possible (de part la temporalité judiciaire qui
s'accélère de plus en plus) ni utile puisque l'action éducative est imposée au jeune par décision
judiciaire et que l'adhésion à cette aide n'est plus obligatoire mais un objectif à atteindre. Ainsi, le
directeur de service a mis en avant le fait que le temps du placement devait être le plus
rapidement possible utilisé. Cette mesure judiciaire devait leur permettre de réaliser leurs
diverses démarches : santé, administrative, judiciaire et d'intégrer un dispositif de formation ou
d'insertion. Dans ces conditions, l'oisiveté ne permet rien de positif pour la plupart des jeunes qui
nous sont confiés.
Par ailleurs, la construction d'un emploi du temps individuel à la semaine a pour but de permettre
au jeune de pouvoir se projeter dans un avenir assez proche. Cette projection dans le futur est en
effet très compliquée pour ces jeunes qui vivent uniquement dans le quotidien, dans
l'immédiateté, d'autant plus pour ceux qui ne sont ni en insertion ou ni scolarisés. D'autre part,
contrairement à ce qui a pu leur être montrés jusqu'à présent, cette perspective leur démontre que
des adultes s’intéressent à eux. Nous voulons leur indiquer ainsi que, bien que placés dans un
collectif, les éducateurs prennent le temps d'organiser leur semaine de manière individuelle.
Ainsi, les mineurs ont une visibilité de leurs rendez-vous et des activités sur la semaine, cela leur
donne l'opportunité de commencer à s'autonomiser et à se responsabiliser.
- 37 -
Le débat sur les activités qui peuvent être proposées aux mineurs est sujet à controverse. D'une
part, les difficultés de cohésion et de communication dans l'équipe ne facilitent pas la réalisation
des projets. De nombreuses fois, les activités ont dû être annulées au dernier moment, voire les
intervenants se déplacent mais repartent faute de participant. Nous utilisons les affiches pour
qu'une trace écrite soit visible dans les espaces de vie. Cela permet aux jeunes ainsi qu'aux
éducateurs de prendre connaissance des différentes activités organisées. Avec la mise en place
des emplois du temps individuels, l'information est annoncée durant le week-end et les jeunes
peuvent par conséquent nous interroger sur l'activité, nous prévenir en cas de contretemps les
empêchant d'y assister.
D'autre part, la mise à jour du projet de service est prévue pour mai 2013, la lisibilité des
objectifs n'est donc pas la même pour tous. Certains éducateurs estiment qu'avant de proposer
des activités aux jeunes, nous devrions travailler avec eux sur le respect du lieu et des personnes.,
Ils pensent qu'il faudrait, par exemple, les reprendre aussitôt lorsqu'ils jettent quelque chose par
terre ou qu'ils détériorent les locaux, au lieu de repousser ce travail au vendredi, jour où les
jeunes doivent effectuer les tâches ménagères. Il me semble en effet que cela fait partie de la
base éducative à inculquer aux jeunes. Mais je pense que derrière le mot « activités », chaque
éducateur ne met pas les mêmes notions. Je pense, pour ma part, qu'elles sont un support, un
média, un alibi pour passer du temps avec les adolescents. Ce temps nous permet de parler avec
eux, de découvrir mutuellement certaines choses, de leur apprendre des petits gestes du quotidien
(comment faire une machine à laver, faire son lit, faire un itinéraire à partir d'un plan, etc.).
L’échange et le partage des compétences sont des manières de créer du lien avec les adolescents,
de ne pas être uniquement un service d'hôtellerie, impression que nous pouvons parfois avoir.
Ainsi, lorsqu'ils voient les éducateurs faire ces tâches, cela nous donne l'opportunité de leur en
expliquer l'intérêt pour le collectif et par conséquent de faire autorité. En effet, « les temps de vie
collective favorisent la rencontre entre les adultes et les mineurs et permettent notamment d’instaurer
ou de restaurer le lien de confiance qui fonde la relation éducative. Cet objectif relationnel et
psychologique essentiel se double d’un objectif pédagogique : aider les jeunes à établir et à soutenir
des liens avec les autres, jeunes et adultes, dans le cadre d’un collectif. »78
Pour en revenir aux activités, il a été évoqué le fait que les tâches ménagères puissent être
instaurées comme étant une activité quotidienne en tant que telle, comme c'est le cas dans
certains foyers PJJ. Par ailleurs, si une activité est mise en place par un éducateur, cela pourrait
impliquer qu'elle lui soit attachée au sens d'acteur du projet, avec la difficulté qu'elle ne soit pas
78
Cahier des charges des UEHC, p. 9
- 38 -
réalisée lorsqu'il travaille de nuit, est en congés ou en formation.
Enfin, certains professionnels ont mis en avant le fait que nous ne sommes pas forcément les plus
compétents pour mettre en place certaines activités, alors que d'autres mettent en avant le fait que
nous ne devons pas remplacer ou combler les manques de places dans certains dispositifs
(comme l'UEAJ). Mais ce discours induit à mon avis une certaine léthargie. En effet, sous
prétexte que des activités nécessitent d'avoir des connaissances spécifiques et des compétences
pédagogiques, cela nous incite à accompagner les jeunes vers des personnes extérieures.
Ces réflexions concernant les intervenants extérieurs à la structure s'appuient sur le souhait de ne
pas cloisonner les jeunes dans le foyer, de les ouvrir à autre chose, de les amener à rencontrer
d'autres personnes que les éducateurs du foyer. Néanmoins, cela me questionne sur la nécessité
que ces actions soient mises en place dans l'enceinte de la structure. Pourquoi ne pas aller plus
loin et faire en sorte que les jeunes puissent accéder à ces activités à l'extérieur, pour qu'ils
puissent rencontrer des jeunes n'ayant pas les mêmes difficultés sociales qu'eux. Une inscription
dans une maison des jeunes, dans un club sportif donnerait la possibilité de recréer la mixité qui
existait dans les foyers avant le passage au « tout pénal » et induirait une phase de
sociabilisation. Certains éducateurs en milieu ouvert mettent en place des activités avec des
maisons de quartier, cela leur donne une visibilité sur les jeunes qu'ils ne connaissent pas et une
analyse de leurs réactions. Cela nourrirait également le partenariat, dont nous ne profitons pas
suffisamment en tant que structure intégrée dans un territoire. À l'heure actuelle, notre direction a
négocié l'accès à un créneau horaire dans un gymnase d'une ville limitrophe. Les jeunes de notre
foyer pourraient en bénéficier en compagnie des jeunes du service d'insertion, alors que dans la
situation actuelle, nous constituons un nouveau groupe 100% PJJ, sans réelle possibilité
d'ouverture sur l'extérieur.
Certes, la question de la socialisation, du respect des règles, des horaires, des lieux peut être
évoquée, mais il me semble que notre travail consiste à accompagner les jeunes dans cet
apprentissage. Les sorties permettent cette confrontation à la réalité. Le fait de tout faire en
interne, même en demandant à des personnes extérieures d'intervenir, n'est pas favorable pour
travailler cet aspect. Comme je l'ai dit précédemment, parfois, on peut avoir l'impression que
l'espace du foyer est un lieu où on est plus tolérant par rapport aux difficultés des jeunes. Or les y
cloisonner les maintient dans cette impression fausse de la vie. Nous en avons eu dernièrement
un exemple. Un jeune a dit à notre jeune voisine, la voyant faire de la gymnastique, « une,
deux... ». Peut-être l'intention de l'adolescent était-elle d'entrer en relation avec la sportive ? Cela
s'est terminé en bagarre avec le voisin car les propos du mineur avaient été interprétés comme un
manque de respect vis-à-vis de la jeune fille. Une attitude, des mots peuvent être mal pris par une
- 39 -
personne lambda qui n'a pas la compréhension et le recul d'un éducateur.
De plus, de tels objectifs ont également pour but d'appréhender la notion d'altérité. Un placement
devrait permettre aux jeunes de découvrir des univers différents de ceux qu'ils ont connus
auparavant. Accepter la différence, l'inconnu me semble une des bases du vivre ensemble et de la
citoyenneté, mais cela nécessite un apprentissage. Pour moi, les activités ne doivent pas se
limiter à des domaines connus et maîtrisés par les jeunes, certains sports, certains styles de films,
de musiques. J'estime qu'on peut les amener à se confronter à l'inconnu, du moment que le
contexte de l'activité ne les met pas en danger. Il faut qu'ils puissent s'appuyer sur des éléments
sécurisants : leurs accompagnateurs, la préparation ou un domaine dont ils possèdent les codes.
Aller voir un match de football a des intérêts éducatifs mais ils n'ont pas vraiment besoin de nous
pour ce genre de sortie. En revanche, rencontrer des sportifs en handisport, leur parler et les
confronter sur un terrain, en basket fauteuil ou en cécifoot79 présente d'autres intérêts comme une
appréhension de ces handicaps non teintée de pitié ou de moquerie. Dans le milieu culturel, la
porosité des univers et la transversalité des techniques permettent la rencontre de la danse hiphop et du théâtre, de la world musique et de la danse classique ou contemporaine, de l'art
contemporain et du graff, etc.
2.4 Rendre la sanction éducative
La transgression fait partie du processus de l'adolescence. Ainsi, le travail éducatif doit travailler
sur les faits (les délits), pour permettre aux jeunes de comprendre les actes de délinquance qu'ils
ont commis. C'est la base de leur reconstruction.
Le cahier des charges des UEHC stipule d'ailleurs en introduction que « le placement vise
notamment à réinterroger le rapport du mineur [...] au groupe social […] et à le soutenir dans
son appropriation de la loi. »80
Au foyer, lorsque les divers incidents que j'ai notés précédemment se sont déroulés, aucune autre
réponse éducative n'a été mise en place, hormis des entretiens de recadrage. Il n'a donc été établi
aucune graduation des sanctions en fonction de la gravité des actes commis. Un travail sur cette
question a néanmoins débuté fin avril avec une réunion sur la sanction (dont j'ai annexé la
retranscription). L'absence de réponse claire adressée de manière groupale et individuelle aux
jeunes a contribué, il me semble, à la généralisation de la violence et à une « prise de pouvoir »
temporaire des jeunes dans le foyer. Comme nous pouvons le voir dans la vignette suivante, les
actes commis durant cette période ont été graves et marquent une volonté de tester les limites des
79
80
Le cécifoot est l'adaptation du football pour les déficients visuels. Ce sport permet l'affrontement de deux
équipes composées de 6 joueurs (seul le gardien de but n'est pas non voyant) sur des terrains aménagés avec des
repères sonores.
Cahier des charges des UEHC (p. 2)
- 40 -
éducateurs et de la structure par les jeunes. Cette prise de pouvoir a, à mon sens, été le résultat
d'un manque de réponse éducative cohérente aux actes « violents » des jeunes durant cette
période.
Durant les mois d'août et septembre 2012, à deux reprises, des clés de véhicules, de
l'argent et des tickets service, de transport, etc. ont été volés dans le coffre du bureau des
éducateurs. Les deux véhicules de la structure ont été dérobés. Des plaintes ont été déposées
par la hiérarchie au commissariat pour vol.
En septembre et octobre 2012, plusieurs chambres et locaux administratifs ont été fracturés
(portes en bois de chambre cassées), des affaires personnelles des jeunes et des professionnels
ont été volées. Notons qu'il est stipulé dans le règlement de fonctionnement que « les
adolescents placés au sein de l’UEHC [...] sont soumis à la loi et aux règlements du droit
commun. Les personnels sont les garants de leur application et de leur respect. »81 Les actes de
dégradations sont ainsi interdits. De plus, « tout manquement au règlement de l’UEHC doit
faire l’objet d’une sanction, c'est-à-dire d’une réponse adaptée, progressive et constructive de
l’adulte. »82 Or face à l'impossibilité de savoir qui avait commis ces actes de détérioration,
seules des plaintes auprès du commissariat pour les dégradations ont été faites. Dans les
semaines suivantes, un ouvrier professionnel est intervenu pour réparer les chambres qui étaient
alors inutilisables. Aucun travail éducatif sur les faits commis n'a été entrepris. Néanmoins, un
jeune a exprimé une critique et un avertissement « puisque vous jouez aux sourds, je ne fais
plus confiance à personne ici et je me débrouillerai seul la prochaine fois qu'il y aura un
problème ».
Enfin début novembre 2012, des jeunes ont saccagé trois chambres. Les portes ont à
nouveau été cassées, le mobilier et les murs ont été souillés avec de la nourriture, des
excréments et des affaires personnelles ont été subtilisées. Au moment des faits, il n'y avait que
trois jeunes dans le foyer. Mais là encore, personne n'avait rien entendu, ni rien vu. Les
éducateurs présents 24 heures sur 24, n'ont rien pu en dire. Toutefois, en aparté, un éducateur a
sous-entendu, je cite « lors des actes précédents, rien n'avait été fait, alors il valait peut-être
mieux que les jeunes se débrouillent entre eux ». Cet événement a donné lieu à deux bagarres le
soir même, avec intervention des forces de l'ordre.
Néanmoins, quelques jours plus tard, les coupables des dégradations ont avoué à demimots. Ils ont alors été reçus en entretien par le directeur de service, et ont à nouveau niés les
faits. Suite à cet entretien, la réponse éducative a été de demander la mainlevée du placement
81
82
Règlement de fonctionnement, juin 2011, p. 3
Ibid., p. 12
- 41 -
des deux coupables. Au vu de leur situation personnelle, leurs magistrats ont refusé notre
demande. Concernant la remise en état des chambres, le directeur a émis le souhait que les
professionnels nettoient les chambres, pour montrer aux jeunes que le foyer n'a pas été
déstabilisé par les délits commis en son sein. Face au refus de l'équipe éducative de réaliser
cette tâche, une entreprise privée a été commissionnée pour rendre réutilisables ces espaces de
vie.
Lors de la réunion de fonctionnement de la mi-octobre, des éducateurs ont ainsi expliqué
clairement que « les jeunes [avaient] pris le pouvoir car on n'a pas été assez sécurisant vis-à-vis
d'eux ». C'est également à cette réunion que l'équipe a pu faire le constat qu'elle était « en
souffrance ». La question de la cohésion d'équipe a alors été soulevée. Comme cela a été exprimé
par un éducateur dans un questionnaire, l’équipe éducative vivait une période compliquée, qui
remontait à l'été 2011, « du fait notamment d’un manque de personnel qui a duré jusqu’à janvier
2013 »83. De plus, durant l'année 2011-2012, « une succession de période de travaux [avait]
rendu tour à tour certaines parties du foyer inutilisables »84, ce qui avait impliqué une
diminution du nombre de jeunes pris en charge. Par conséquent, l'équipe éducative avait plus ou
moins perdu l'habitude de gérer un groupe de jeunes.
En septembre 2012, le personnel s'est étoffé de trois nouveaux agents (deux stagiaires préaffectés et une éducatrice nouvellement titularisée). Au cours du dernier trimestre de 2012, trois
éducateurs contractuels ont également été embauchés pour soulager l'équipe dans le travail de
nuit. Six nouveaux éducateurs ont intégré le foyer, sans qu'un travail d'homogénéité des pratiques
ni de cohésion ne soit effectué. Ainsi, le cadre institutionnel n'a pas été clarifié au niveau des
règles, des actions effectuées en cas de transgressions. Les quelques fois où la question des
règles a été évoquée, il a été répondu que, tout comme le cadre, celles-ci devaient rester souples,
que tout était négociable, discutable en fonction des jeunes et des situations. Laissant libre court
à la subjectivité de chaque professionnel.
Face aux difficultés précédemment exposées, une éducatrice a proposé d'amener à la réunion de
fonctionnement suivante, le produit d’une réflexion de l'équipe où elle travaillait auparavant, lors
de difficultés similaires rencontrées. La procédure mise en œuvre s'appuyait sur quatre piliers :
− reprendre les faits lors de différents entretiens éducatifs (immédiatement, puis de manière
différée pour permettre au mineur de réfléchir à ses actes, en prenant du recul par rapport
83
84
En annexe, questionnaire de l'éducatrice n°2
Ibid.
- 42 -
à l'émotion engendrée par l'événement)
− mettre en place une sanction éducative individualisée pour donner l'opportunité au jeune
de se réparer et de prendre conscience de l'impact de son geste sur le collectif.
− rédiger une note et l'envoyer au magistrat pour le tenir informé quand des incidents
enfreignant la Loi ainsi que les manquements aux décisions judiciaires sont remarqués.
− faire, en cas d'acte grave, une demande de mise à pieds ou d'une mainlevée du placement
du jeune.
L'éducatrice a suggéré que l'on entame une discussion sur les sanctions afin de mettre en place
les différentes étapes d'une procédure qui soit singulière à notre foyer. La directrice stagiaire a
choisi cette question comme objet de recherche pour son mémoire professionnel. Divers extraits
de cette première réunion sont cités dans ce travail de recherche.
Par ailleurs, une autre piste de travail a été formulée : réaliser hebdomadairement des entretiens
éducatifs solennels et individuels afin de pouvoir faire le point avec les jeunes sur les différents
événements de la semaine et travailler sur leurs problématiques pénales et sociales. Pour être
soutenu et accompagné dans cette mission de réflexion sur les actes et le quotidien des jeunes, un
entretien entre les éducateurs référents, la psychologue et le RUE est envisagé pour élaborer la
prise en charge individualisée. Le sujet de la référence a alors été soulevé. En milieu ouvert, le
professionnel est relativement autonome dans l'organisation des démarches qu'il fait avec le
mineur. À l'inverse, l'accompagnement éducatif mis en place au niveau d'un foyer est une action
collective, qui doit être construite et réalisée par tous les éducateurs. C'est pour cette raison que
les décisions concernant la prise en charge d'un jeune doivent être prises de manière collective,
donc en réunion. Or la gestion du temps des réunions de service hebdomadaires ne permet pas
toujours d'aborder les situations de tous les jeunes durant ce rendez-vous institutionnel.
Fin avril 2013, ces entretiens entre professionnels destinés à réfléchir ensemble sur le travail
quotidien au sein du foyer n'ont toujours pas été mis en place de manière officielle. Pour autant,
nous faisons en sorte à présent de parler de pratiquement tous les jeunes à chaque réunion et des
entretiens éducatifs sont menés en fonction des professionnels sans être institutionnalisés.
Ainsi la mise en exergue des difficultés auxquelles le foyer a été confronté m'a permis de mettre
en avant certains dysfonctionnements de l’équipe éducative. Comme dans le cadre familial, les
adolescents font « payer » aux éducateurs les dysfonctionnements. Ils montrent ainsi qu’ils ne se
sentent pas en sécurité dans un contexte où ils ne comprennent pas complètement les règles, où
les limites ne sont pas clairement exposées, où un cadre fixe n’est pas imposé. Par ailleurs cette
insécurité ressentie par les jeunes est également perçue par l’équipe des éducateurs. Poser un
- 43 -
cadre permet aux jeunes de progresser vers l’autonomisation, mais également aux éducateurs de
travailler dans une bonne entente et de s’épanouir dans leur travail. Ainsi, nous voyons bien que
le cadre a une forte incidence aussi bien dans le travail des professionnels que dans la prise en
charge des jeunes.
3. L'absence de cadre en question
C’est en m’appuyant sur certains concepts de l'Analyse Institutionnelle et également de la
Pédagogie Institutionnelle, tirés de Démarrer une structure éducative : L'hébergement
coopératif85 que je vais pouvoir montrer les implications du cadre (et surtout du manque de
cadre) dans le travail des professionnels et la prise en charge des jeunes.
Si René KAËS donne une grande importance au cadre et à son pouvoir de sécurisation, le fait
qu'il soit fragile et pas suffisamment évident aussi bien pour les jeunes que pour les adultes, met
en danger les différents êtres évoluant dans cette structure. En effet, John BOWLBY, dans ses
travaux sur l'attachement chez l'enfant, a mis en évidence l'importance du sentiment de sécurité
durant les périodes de rupture, de détresse psychique. Mary AINSWORTH, pour sa part, a
développé le principe de base sécurisante. Elle explique que le sentiment de sécurité favorise le
développement de l'individu, quand ce dernier sait qu'il peut se reposer sur une figure
d'attachement en cas de difficulté.
L'adolescence peut représenter une de ces périodes d'insécurité, et le placement induit
l'éloignement, la séparation pour les jeunes de la personne qui fait figure d'attachement pour eux
(un parent auprès de qui ils se sentent protéger, en sécurité). Il me paraît par conséquent
important que ces adolescents en difficulté puissent trouver un cadre sécurisant sue lequel
s'appuyer pour pouvoir entamer le processus nécessaire dans le passage de l'enfance à l'âge
adulte.
3.1 Expression d'un mal-être communicatif
La nécessité d'éprouver au préalable un sentiment de sécurité pour pouvoir évoluer a été
démontrée. Toutefois, lorsque cette sécurisation n'est pas réalisée, comment les personnes
fragilisées par divers événements peuvent-elles se comporter ? Nous avons vu comment un cadre
sur lequel on ne peut pas se reposer (du fait d'un manque de limites posées et connues de tous) et
un contexte de travail compliqué, mettent les professionnels en danger. Ce contexte les rend
85
Cet ouvrage est le fruit de recherches et d'expérimentations effectuées par l'Association pour un Réseau des
Pratiques de l'Institutionnel, (éditions Matrice, 1988), dans lequel est relaté, entre autres, des expériences
réalisées dans des foyers éducatifs de la PJJ.
- 44 -
moins efficaces, freinant leurs initiatives et leurs prises de risques éducatives. Certains
somatisent, d'autres adoptent des stratégies leur permettant de se protéger le plus possible,
d'autres encore « achètent la paix sociale »86.
Finalement, au moment des grosses difficultés qu'a vécu le foyer, le personnel s'est peut-être
retrouvé dans la même situation psychique que certains adolescents, lorsque ceux-ci se sentent
tellement dépassés et mal dans leur peau qu'ils ne sont plus en capacité de demander ni même de
recevoir de l'aide. C'est le « système paradoxal de la spirale de l'échec ». Jean FURTOS87, dans
une intervention intitulée « Violences et santé mentale »88, évoque les effets que les difficultés
des usagers peuvent avoir sur les « aidants ». Il y a deux mouvements différents, dans le premier,
l'éducateur se situe dans l'empathie, plus ou moins facile à gérer. En fonction du mal-être du
jeune, le professionnel peut « se blinder émotionnellement » ou profiter des temps
d'accompagnement d'équipe pour parler de ce qu'il ressent face à ce que le mineur lui montre.
Dans le second mouvement, l'aidant peut éprouver une sorte de violence qui peut prendre
différentes formes (rejet du jeune, passage à l'acte ou à l'inverse hyper-tolérance vis-à-vis de ce
que le mineur montre), violence contre laquelle il doit lutter. Ce sont des réactions de protection
vis-à-vis de la violence que renvoient les personnes qui ne vont pas bien.
Le phénomène de burnout que certains collègues ont pu vivre est une autre réaction de protection
« inconsciente » face à un contexte professionnel. Elle devrait être prise en considération dans
une réflexion sur les causes de cet épuisement professionnel, mais surtout sur les moyens pour y
remédier. Le fait que la parole ne soit pas facilitée, valorisée crée des conditions favorisant ces
manifestations de mal-être professionnel. Mais cette question d'usure renvoie également à une
autre interrogation que beaucoup de professionnels se posent : celle de la légitimité de leur
parole, de leur autorité, de leur action et de leur institution. Or quand nous accueillons des jeunes
pour lesquels le sentiment d'être impuissant (par exemple les jeunes aux troubles du
comportement) est ressenti, la question de la légitimité de leur place dans cette structure se pose
d'autant plus.
Or j'ai pu finalement constater que dans ce contexte un peu troublé, l'institution n'a pas pu être
un soutien pour les professionnels en souffrance. N'ayant personne vers qui se tourner pour
trouver une solution et/ou appréhender ce malaise, le trouble a contaminé petit à petit les
différents membres de l'équipe. A partir de là, un cercle vicieux s'est mis en place. Comment
gérer les difficultés d'ordre psychique des jeunes, lorsque les aidants sont eux-mêmes en
86
87
88
Propos d'un professionnel évoquant son point de vue concernant le flou relatif, dans ce foyer, à l'instauration de
règles et à leur application.
Jean FURTOS est psychiatre mais également directeur de l'Observatoire National des Pratiques de Santé Mentale
et de la Précarité.
Cette intervention a été organisée par la Mission Prévention des Conduites à Risques du 93, elle a eu lieu le 11
février 2008.
- 45 -
difficulté dans ce domaine et qu'en plus l'absence de cadre ne nous aide pas à sécuriser les
adolescents placés ? Cette situation a sans doute eu de fortes répercutions sur le groupe de
mineurs, qui n'a pas trouvé dans l'équipe l'impulsion pour engager un changement dans leur
comportement. De plus, j'ai le sentiment que ce contexte instable et violent a limité notre
capacité à réfléchir et à agir. Du côté des professionnels, des stratégies se sont mises en place :
l'évitement, une défense basée sur la critique et la plainte, la constitution de clans reposant sur le
jugement de la manière de travailler des autres professionnels.
Ainsi, les jeunes se sont retrouvés sans réponse réelle à la détresse qu’ils nous envoyaient. Face à
ce « vide » qu’ils ont ressenti de notre part, ils ont pu éprouver le sentiment de toute-puissance et
ont pris l’ascendant sur les adultes. Cela a généré une sorte de « folie ambiante » qui s'est
généralisée et a persisté de novembre 2012 à février 2013. Et bien que des instances de paroles
aient été programmées par la direction, l'équipe dans sa totalité ne s'est pas saisie de cette aide
proposée en matière de méthodologie et de recul sur ce que jeunes et adultes vivaient. Dans ce
contexte, nous avons tous été victimes de différentes formes de violences institutionnelles.
J'emploie sciemment le terme de « violences institutionnelles » car j'ai le sentiment que le malêtre, la maltraitance endurée par l'équipe éducative, ont contribué au malaise des jeunes à cette
période. Cela renvoie aussi à la légitimité du cadre d'intervention de l'institution. Dans ce cas,
« l’institution n’est plus considérée exclusivement comme le cadre rassurant qui contient et
soutient, ni comme la chape de contention qui aliène et opprime, mais comme la structure légale
autorisée qui légitime. »89 Que renvoyons-nous alors aux jeunes ? L'image d'une équipe névrosée
(dans laquelle quelques personnes ont abandonné le navire et où quelques autres tentent de
garder le cap), d'un groupe d'adultes incapables de se parler pour résoudre des difficultés. Est-ce
l'exemple que nous souhaitons leur apporter ?
De manière générale, l'ambiance entre les éducateurs ne permet pas, à mon avis, une réelle
liberté de parole. Les divergences sur la façon de travailler, sur les objectifs éducatifs, ainsi que
les tensions visibles entre les membres de l'équipe ne créent pas un climat bienveillant. Dans ces
conditions, se mettre à nu pour exprimer ses difficultés, ses questionnements n'est pas évident.
La défection aux réunions jusqu'en février 2013 en a probablement été un symptôme. En effet,
depuis le mois de mars, alors que le dernier jeune souffrant de troubles du comportement est
parti, le groupe de jeunes a évolué, changé. Nous avons reçu des jeunes au profil plus
« classique » en matière de délinquance des mineurs en Île-de-France (à savoir : violence, vol,
trafic de stupéfiants). Les éducateurs se retrouvent alors sur un terrain moins dangereux, en
89
VAILLANT Maryse, « Les anges gardiens : Autorité, compétence et légitimité dans l’éducation spécialisée »,
Migrants-Formation, n° 112, mars 1998, p. 172
- 46 -
quelque sorte, plus sécurisant par rapport à leur formation et expérience. Ils ont alors pu
réinvestir leurs missions et les réunions. Lors de ces instances, des débats animés ont à nouveau
lieu sur les problématiques des jeunes suivis et de la façon de les prendre en charge. Il peut
arriver que ces discussions soient mouvementées et verbalement violentes, mais comme le dit le
pédopsychiatre qui supervise l'accompagnement d'équipe, « mieux vaut un débat houleux qu'un
silence pesant ». La parole permet d'expulser les lourdeurs, les craintes, les pensées, les
difficultés rencontrées auprès des adolescents. Néanmoins, pour pouvoir s'exprimer il faut être
suffisamment en sécurité vis-à-vis du cadre de parole et par rapport au sujet traité. Or cela n'était
pas notre cas sur les problématiques relevant de la santé psychique car il me semble que nous nous
trouvions face à un domaine sur lequel nous avions peu de prise et de connaissances. Cette difficulté
a été maintes fois évoquée : « nous ne sommes pas compétents pour distribuer des médicaments
psychotropes, cela relève des fonctions d'un infirmier, pas des nôtres », « nous sommes éducs, pas
psy », « quoi faire avec ce jeune ? et comment ? », etc. Face à ces quelques jeunes, l'équipe s'est
sentie en grande difficulté. Certains éducateurs ont pu être malmenés par les jeunes qui s'attaquaient à
eux aussi bien que par certains collègues sous-entendant que leurs comportements maternant, pas
suffisamment stricts, etc. généraient cette réaction chez les mineurs.
Lors d'un accompagnement d'équipe, le superviseur a conclu par ces mots : « Vous êtes en accord
total sur l'essentiel, mais en désaccord total sur le particulier ! ». Pour moi, cela signifie bien que
les membres de l'équipe éducative ne sont pas dans un contexte leur permettant de s'épanouir et
par conséquent d'offrir un cadre contenant et sécurisant pour les jeunes placés.
3.2 Un cadre non « secure »90
L'ouvrage Démarrer une structure éducative : L'hébergement coopératif décrit comment la
pratique de l'institutionnel permet de mettre en place une pédagogie donnant la possibilité à
« chaque individu de devenir un sujet social. »91 En effet, un des objectifs du dispositif
qu'instaure l'institutionnel est de permettre aux jeunes et aux adultes de vivre et de travailler en
bonne entente, « en respectant les identités [et] les différences »92 de chacun. « Le dispositif
institutionnel, c'est aussi la réponse à la question : qui fait quoi? Où ? Quand ? Comment ? La
clarification des statuts, des rôles, des emplois du temps, la maîtrise de l'espace, participent à
l'émergence d'individus responsables et désirants. »93
Pour des jeunes désocialisés par manque de désir, absence de projet pour l'avenir, reprendre
90
91
92
93
Le terme de « secure » est tiré de l'anglais et signifie « sûr, apportant de la sécurité ».
Association pour un Réseau des Pratiques de l'Institutionnel, Démarrer une structure éducative : L'hébergement
coopératif, Vigneux : Editions Matrice, 1988, p. 17
Ibid, p. 17
Ibid, p. 17
- 47 -
contact avec la notion du temps peut s'avérer compliqué. Pour certains, leur désocialisation vient
de leur inactivité, elle-même en partie causée par leur mise au ban de la société. Pour d'autres, les
questionnements qu'induit l'adolescence peuvent avoir les mêmes impacts, quand les jeunes
partent sur le versant dépressif. Il faut alors leur apporter des repères dans le temps (heures de
lever, de coucher, de repas, journées et horaires précis pour certaines activités,...) pour qu'ils
appréhendent la notion du temps, du rythme de la journée, mais également des conséquences
d'un lever ou d'un retour décalés. Acquérir un rythme social est une façon de les aider à s'adapter
au monde extérieur, à ses réalités, à ses obligations. Le travail sur les espaces a la même
fonction : ne pas fumer dans le foyer, manger uniquement dans la salle commune et non dans
leurs chambres, etc., délimite des lieux où on peut ou non faire certaines choses. Pour que cela
puisse se réaliser, il faut que les règles soient dites clairement, qu'on en parle avec les jeunes afin
qu'ils en comprennent les raisons et le sens. Néanmoins, il faut reconnaître que les règles sont
aussi faites pour être attaquées. Cela doit alors faire l'objet d'un travail de paroles sur leur utilité
et de promouvoir la nécessité de les respecter. Sinon, elles restent des points à attaquer jusqu'à
leur abolition. En quelques sortes, « plus le milieu est institué, plus le cadre de nos actions est
repéré, plus l'individu va pouvoir dire « je », faire coexister son désir avec celui des autres »94.
Un éducateur a formulé le regret que les entretiens d'accueil dans ce foyer ne soient pas assez
« solennels »95 et effectués parfois trop tard. Cela contribue pour les jeunes à une impression de
flou et ne permet pas de poser clairement le cadre dès leur arrivée. Actuellement, durant
l'entretien d'accueil, on présente l'équipe, les lieux, les jeunes puis on évoque les grands objectifs
ainsi que les principales règles en fonction dans cette structure de placement. L'explication plus
précise du fonctionnement est reprise dans un second temps lors de l'entretien d'accueil mené par
la direction mais ce dernier peut avoir lieu beaucoup plus tard. Or l'énoncé de ces règles et de la
loi est fondamental pour que le mineur puisse se repérer dans l'institution. En effet, à l'instar des
lois, immuables où que l'on soit, les règles sont propres à la structure d'accueil : l'heure de lever
est ici fixée à 9h, alors que dans un autre foyer elle le sera à 7h30 et dans un troisième à 8h. En
revanche, les grands principes énoncés dans les lois, dont les interdits fondamentaux, ne peuvent
être négociés ou contournés sans que cela ait des conséquences. Ainsi, la violence physique,
verbale et psychologique (dérivée de l'interdit fondamental et primaire de meurtre), l'interdiction
d'avoir des relations sexuelles à l'intérieur du foyer (dérivée de l'interdit fondamental de l'inceste)
et l'obligation d'avoir une activité (dérivée de l'interdit de parasitage) sont communes à toutes
institutions éducatives. Exprimer ces règles et lois permet d'instaurer un cadre contenant et
94
95
Ibid., p. 20
En annexe, retranscription de la réunion sur la sanction
- 48 -
sécurisant pour le nouvel arrivant, cela lui montre les limites à ne pas dépasser, réglemente les
relations aux autres et permet de se responsabiliser.
« L’immense intérêt de cet outil conceptuel et « stratégique » qu’est la notion de « cadre » repose sur
le fait qu’il est intrinsèquement transférable à d’autres situations de changements psychiques, en
particulier aux dispositifs éducatifs et formatifs. Plus précisément, la notion de « cadre » révèle sa
pertinence propre chaque fois que l’expérience d’un sujet est celle d’une discontinuité, voire d’une
rupture, d’une menace pour son identité, d’une mise en question de ses identifications ou encore de la
perte d’un code culturel. Comme le montrent les travaux de René KAËS, toutes ces expériences
requièrent du sujet la nécessité d’entrer dans une « transitionnalité » psychique qui en appelle à un
« cadre » au sens de BLEGER : maintenir une continuité dans la discontinuité, maintenir ce qui ne
doit pas changer pour que le sujet, lui, change. »96
Le placement en institution a pour objectif d'apporter aux jeunes un cadre pour leur permettre de
se resocialiser et de prendre conscience de leurs actes, dans le but de les responsabiliser. Mais,
lorsque ce cadre n'est pas suffisamment présent et par là même contenant, l'apprentissage de la
gestion des pulsions propres à l'adolescence et de la frustration ainsi que la maîtrise de la
violence ne sont pas possibles. Or dans ce contexte, les jeunes se fixent dans une insécurité vis-àvis de leurs comportements déviants. Leurs diverses mises en danger en sont de bons exemples :
fugues, violence, consommation de stupéfiants, relations sexuelles à risque, etc.
Le manque de repères et la difficulté de l'équipe à être cohérente ne leur permettent pas d'être
contenus et accompagnés dans leur recherche de limites. Comme je le disais précédemment, il
est normal que les adolescents attaquent le cadre, testent les limites de la structure et celles de
chaque professionnel. Néanmoins, si les réactions divergent, qu'aucune sanction ne leur est
appliquée, ils ne peuvent pas se construire ni apprendre le sens du vivre ensemble, dans le
respect de soi et des autres. Cette absence de règles clairement posées ne leur donne pas
l'opportunité d'intégrer les normes, les valeurs de la société. Toutefois, nous voyons tous les jours
qu'ils ont acquis certaines valeurs : celle de l'honneur, de la valeur de la nourriture97, du partage,
etc. Notre mission est, tout en se basant sur cet objectif d'apprentissage du vivre ensemble, de
leur permettre de faire émerger des désirs pour pouvoir ensuite s'insérer dans la vie. Pour ce
faire, il faut que les jeunes déscolarisés reprennent un rythme adapté, qu'ils parviennent à se
concentrer sur une activité durant un temps déterminé puis qu'ils trouvent une orientation pour
une insertion. Or notre problème à instaurer des activités régulières, pas uniquement de loisirs,
les empêche de se confronter à des contraintes et par conséquent à apprendre à gérer leur
frustration. Combien de fois entend-on « T'inquiète, mes tâches ménagères, je les ferai plus
tard », « Non mais attends, là, j'ai pas le temps » et les voir traîner dans le foyer, ou avec plus
d'honnêteté : « Quoi ? Mettre la table ? Non, j'ai pas envie de le faire » ? Ces exemples montrent
96
97
GINET Dominique, op. cit., p. 186
Nous sommes contraints de jeter après le repas du soir la nourriture qu'il reste, régulièrement des discussions
s'engagent avec les jeunes à ce sujet, cet hiver, un d'eux nous a même demandé si on ne pouvait pas l'apporter
aux SDF qui dormaient vers la station de métro.
- 49 -
que les jeunes n'ont pas compris pour quelle raison on leur demande de faire ces diverses actions.
Les règles tout comme l'autorité sont des notions qui nécessitent beaucoup de discussions,
d'argumentations et parfois de négociation pour les faire accepter. Là encore le manque de
cohérence des éducateurs est problématique, lors de conversations et dans les questionnaires
remplis, il apparaît que pour certains de mes collègues, « on peut contourner la règle dans la
mesure où elle ne va pas à l’encontre de la Loi »98, les règles peuvent être adaptées,
contrairement aux Lois qui ne sont pas négociables. Dernièrement un jeune, que j'appellerai
Quentin, me faisait part d'une réflexion comme quoi « depuis quelques mois, les éducateurs ont
pris la confiance. Au niveau des règles, c'est plus comme avant. Par exemple, avant, le fil de la
télé restait branché, alors que maintenant [on leur casse] les pieds avec des horaires. » Cette
conversation montre bien qu'il s'est rendu compte qu'il y a eu un changement, mais qu'en
comprend-il ? Dans le « avant », Quentin évoque la période où nous accueillions les jeunes aux
problèmes psychiatriques, et en effet, lorsque ces derniers commençaient à tourner en rond, il
arrivait que l'éducateur de service allume la télévision pour qu'ils puissent se poser un peu et se
calmer. Personne n'avait expliqué à Quentin pourquoi la règle avait été adaptée à ce moment
pour ces jeunes, par conséquent, le changement lui apparaît injustifié. Tous les mineurs sont en
capacité de comprendre les raisons des modifications, ils demandent juste des explications. Je
pense qu'il faut axer notre travail sur la parole, l'explication, l'argumentation des choses qu'on
leur demande, mais en parallèle le soutenir par des actions. Nous devons faire les tâches
ménagères avec eux, les aider à débarrasser la table, etc., être dans le « faire avec » aussi bien
dans le quotidien que dans les activités sympathiques et la réalisation des sanctions.
Eirick PRAIRAT explique que « la sanction représente le prix d'une dette, dette à l'égard d'une
victime ou d'un groupe et dont le coupable doit s'acquitter pour retrouver sa place dans l'espace
symbolique des échanges. »99 D'un point de vue psychologique, elle permet la réparation mais
comment effectuer cette action de reconstruction seul ? Voilà pourquoi il me semble que
l'éducateur doit accompagner le mineur dans la compréhension de la transgression et la sanction
à effectuer pour réparer le dommage. « Réparer implique donc un double mouvement vers l'autre et
pour soi, et ce pour soi n'est rien d'autre que le désir de se pardonner à soi-même. La dialectique
réparer/se réparer est bien réelle car l'objet réparé ne revient jamais à l'état antérieur : il est autre, il
est créé à nouveau. C'est en recréant l'objet que le fautif se recrée lui-même. »100
98
99
100
En annexe, questionnaire de l'éducatrice n°1
PRAIRAT Eirick, La sanction : Petites méditations à l'usage des éducateurs, Paris : Harmattan, 1997, p. 121
Ibid., p. 128
- 50 -
Après avoir évoqué, dans la première partie de ce mémoire, les caractéristiques du public
accueilli, cette seconde partie a permis de présenter la structure dans laquelle je suis pré-affectée.
L'histoire de cet établissement est encore très présente puisque l'actuel projet de service s'en
inspire dans la volonté de permettre aux jeunes de travailler sur leur autonomisation.
Actuellement, le foyer sort d'une période de difficultés qui a duré plus d'un an et qui a fortement
fragilisé l'équipe et mis en questionnement le cadre institutionnel. Ce dernier, tout comme
l'autorité des éducateurs, est malmené par les jeunes, qui en testent les limites. Des problèmes de
communication, de cohésion et de cohérence ne permettent pas d'instaurer le cadre contenant et
sécurisant que ces jeunes doivent avoir pour parfaire leur structure d'adulte en devenir. La
réticence à mettre en place des activités empêche les éducateurs et les jeunes de passer du temps
ensemble, autour d'un média et ainsi de créer une relation éducative. De la même façon, la noninstauration de sanctions en cas de transgressions des règles entrave les jeunes dans leur
compréhension du caractère inapproprié de leur comportement et donc d'évoluer.
Dans le dernier chapitre, nous allons tâcher de voir par quels moyens réinstaurer une autorité
éducative, afin que les jeunes et les adultes puissent être reconnus comme des sujets sociaux,
responsables et autonomes.
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- 52 -
Chapitre 3 : La parole comme outil à la reconnaissance
Comme nous l'avons vu précédemment, les difficultés des jeunes accueillis dans les foyers à la
PJJ sont en partie sociales et éducatives, voire psychiques. Certains d'entre eux n'ont pas d'envie,
de désir, ils vivent dans l'immédiateté de leurs besoins, dans un « ici et maintenant » qui les a
conduit à commettre des actes réprimandables. Or l'avenir se construit à partir de projets, de
désirs. Gérard GUILLOT, dans son ouvrage L'autorité en éducation : Sortir de la crise met en
avant la différence entre les besoins et les désirs. « C'est lorsque les besoins de la vie sont
satisfaits que le désir peut prendre son élan. La privation dans l'ordre du besoin implique la
privation du désir. »101 Le placement représente une des possibilités pour ces adolescents de
laisser émerger des désirs, puisque leurs principaux besoins vitaux (protection, alimentation,
soin, retour à l'instruction) sont pris en charge par l'institution.
Mais pour faire émerger ces désirs, il faut d'abord donner aux jeunes la possibilité de les penser,
pour qu'ils puissent ensuite mettre un mot dessus. Cette mentalisation favorise dans un autre
temps le processus de « mise en mots de leurs maux » (physiques et psychiques). Ainsi ils
pourront passer d'un mode agi à un mode symbolisé par la pensée. De fait, les « espaces
transitionnels »102, au sens où l'entend Donald W. WINNICOTT, sont indispensables pour qu'ils
puissent s'exprimer en se sentant et se sachant entendus et soutenus. Ces zones intermédiaires
décrites par WINNICOTT peuvent concrètement prendre la forme d'espaces (lieux et temps) de
paroles mis en place entre jeunes et éducateurs. Ces espaces de parole sont utiles aussi bien pour
les jeunes (pour mettre en place leur processus de reconstruction sociale) que pour les adultes
(pour se sentir reconnus que ce soit face aux jeunes que par rapport à ses collègues et sa
hiérarchie).
Je me demande dans quelle mesure le sentiment de mal-être exprimé par les éducateurs (et les
jeunes) lors des dysfonctionnements du foyer fin 2012, n'était pas dû au fait d'une incapacité à
parler des problèmes auxquels ils étaient confrontés et qu'ils n'arrivaient pas à gérer, et donc à un
manque de communication. Effectivement, il faut se sentir dans un milieu bienveillant pour
exprimer ce que l'on ressent, nos craintes, nos désirs, sans avoir peur de se retrouver face à la
réponse négative ou tout simplement d'être jugé.
Les difficultés pour l'équipe à maintenir un cadre éducatif, avec des règles fixes, des objectifs
communs à tous les agents ont été accentuées par les problèmes de communication entre adultes
et l'absence d'une instance de parole repérée entre jeunes et éducateurs. Il est assez compliqué de
définir l'autorité qui est exercée dans cette structure. Les professionnels font leur maximum pour
101
102
GUILLOT Gérard, L'autorité en éducation : Sortir de la crise, Paris : ESF éditeur, 2006, p. 25
Concept créé par le psychanalyste et pédiatre D. W. WINNICOTT. Il désigne initialement, une zone
intermédiaire, une troisième zone, située entre le « moi » et le non-moi », entre le subjectif et la perception
objective.
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qu'un climat de bienveillance envers les jeunes règne dans le foyer. En revanche, nous l'avons vu,
peu d'activités, des « blocages » de la part des éducateurs et de la hiérarchie pour mener à bien
un travail de réflexions sur les problématiques des mineurs limitent les leviers pour être
légitimement reconnus comme figures d'autorité.
1. L'autorité éducative
Le pédopsychiatre Daniel MARCELLI, dans un article intitulé « L'autorité, c'est reconnaître
l'autre dans sa faiblesse », explique en quoi consistent l'autorité et la différence entre l'obéissance
et la soumission. L'autorité n'est pas l'expression d'un pouvoir, c'est la reconnaissance d'autrui tel
qu'il est, l'autorité implique une notion de respect, de bienveillance, dans le but d'aider l'autre à
grandir, à devenir autonome. « L'obéissance est donc le corollaire naturel de l'autorité »103,
apprendre à obéir permet d'acquérir des limites qui, une fois intégrées, donnent la possibilité de
désobéir car on a appris à se mettre en sécurité et à agir sans mettre les autres en danger. En
revanche « la soumission relève de l'animalité [...]. Qu'elle procède par la force ou par la
séduction, elle vise toujours à amener l'autre à sa merci. Ce n'est jamais une reconnaissance de
l'altérité »104.
Alexandre KOJÈVE, philosophe, a démontré que l'autorité devait être reconnue pour que
l'obéissance ne soit pas une soumission. « Reconnaître l'autorité légitime d'une personne implique
d'obéir à son autorité, d'en accepter la légitimité, et non de se soumettre à sa subjectivité. […]
Pour être légitime, elle doit […] [permettre] la reconnaissance et le respect réciproques de la
pleine et entière dignité humaine de chacune des deux personnes. »105 Cela garantit la « bientraitance de cette autorité »106.
1.1 Les trois conceptions de l'autorité selon Bruno ROBBES
Nous voyons ainsi que l'autorité n'est pas synonyme d'autoritarisme, d'oppression et de
contrainte. Bruno ROBBES107, dans les Cahiers pédagogiques, décrit « les trois conceptions
actuelles de l'autorité »: « l'autorité autoritariste, l'autorité évacuée et l'autorité éducative »108.
La première citée faisait consensus jusqu'en 1968, en se basant, entre autre, sur l'obligation de
103
104
105
106
107
108
Rencontre avec MARCELLI Daniel, propos recueillis par VACHON Jérôme, « L'autorité, c'est reconnaître
l'autre dans sa faiblesse », Actualités Sociales Hebdomadaires, n° 2653 du 02/04/2010
Ibid.
GUILLOT Gérard, op. cit.,p. 155
Ibid., p. 155
Maître de conférences en Sciences de l’Éducation à l'Université de Cergy-Pontoise
ROBBES Bruno, « Les trois conceptions actuelles de l'autorité », consulté le 3 février 2013, in
http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article2283.
- 54 -
respecter la puissance paternelle109, mais elle perdure dans certaines professions, où le statut, la
fonction demandent d'autrui une « obéissance inconditionnelle, sous la forme d'une
soumission »110.
A partir des années 1970, avec la remise en question du modèle patriarcal d'autorité111 et
l'affaiblissement des cadres institutionnels traditionnels (la famille, l'école, etc.), un courant
individualiste s'est instauré dans la société et a fait émerger l'autorité dite « évacuée ». D'autres
auteurs parlent d'autorité « permissive ». Elle consiste à refuser le principe d'autorité, car estimé
anti-éducatif et à laisser une grande liberté aux enfants, à leur accorder ce qu'ils souhaitent pour
éviter la frustration et par conséquent la confrontation. Cette forme éducative crée une confusion
générationnelle et contribue à la diminution tant de la crédibilité que de l'autorité des adultes.
La disparition des différentes figures d'autorité a permis de constater que les jeunes n'étaient plus
soutenus dans leur autonomisation puisque livrés à eux-mêmes. Face à cette lacune en terme
d'autorité, un groupe de pédagogues (Fernand OURY, Raymond FONVIELLE et Aïda
VASQUEZ) a étudié le fonctionnement (et les dysfonctionnements) des institutions. Le courant
institutionnel a ainsi vu le jour et la « Pédagogie Institutionnelle » a été mise en place,
développant une éducation coopérative, où jeunes et adultes réfléchissent et agissent ensemble
pour gérer leur structure. Toutes les personnes œuvrant dans ces institutions sont reconnues
comme « auteurs », responsables de leurs actions. Une « autorité éducative » y est exercée, elle
s'appuie sur des concepts et valeurs nouvelles : l'acte éducatif fait l'objet de discussion, de
négociation, de monstration et de ce processus découle cette autorité.
1.2 Les caractéristiques de l'autorité éducative
Pour Jacques ARDOINO, « la participation des personnes sur lesquelles [l'autorité] s'exerce
devient alors la condition première de son efficience »112. En 1972, Fernand OURY et Jacques
PAIN, ont écrit dans Chronique de l'école caserne : « C'est la compétence qui fait l'autorité et les
enfants ne s'y trompent pas. Encore faut-il que cette autorité se traduise par des actions
observables ». On peut ainsi définir l'autorité éducative de la manière suivante : « elle se révèle
au fondement de l'humain comme phénomène à la fois psychologique et relationnel (social), dans
une triple signification indissociable : être l'autorité (autorité statutaire - potestas), avoir de l'autorité
109
110
111
112
Cette puissance paternelle a été dissoute par la loi du 4 juin 1970, au profit de l'autorité parentale, où les deux
parents ont les mêmes droits et devoirs face à l'éducation de leurs enfants.
Rencontre avec MARCELLI Daniel, op. cit.
La loi du 4 juin 1970 a instauré l'autorité conjointe du père et de la mère sur l'éducation de leur enfant.
ARDOINO Jacques, Propos actuels sur l'éducation, Paris : Gauthier-Villars, 1969
- 55 -
(autorité qui s'autorise - auctor - et fait grandir l'autre - augere) et faire autorité (autorité de capacité
et de compétence) »113.
Cet aspect autorisant de l'autorité est donc conforme à l'étymologie latine du terme car
« auctoritas » vient de « augere » (augmenter) et signifie grandir, s'affirmer. Il prend également
en compte l'autre acception du latin « auctor » (auteur).
« Or il est deux manières d'être auteur en matière d'éducation. La première consiste à se vouloir, se
prétendre, auteur de l'autre : elle correspond à l'autorité qui interdit de devenir soi-même, c'est une
autorité qui détruit. Mais il est une seconde manière d'être auteur ; en étant l'auteur de situations
éducatives qui autorisent progressivement l'enfant à devenir auteur de soi-même, c'est-à-dire
autonome. Il s'agit d'une autorité qui construit. »114
« L'autorité qui détruit » peut être fondé sur le désir des adultes de vouloir dicter aux enfants ce
qu'ils doivent faire, « pour leur bien », sans leur expliquer, prétextant qu'ils comprendront plus
tard. Gérard GUILLOT l'exprime de cette manière : « Je te confisque ta personne actuelle pour
te la restituer « clés en main » dans quelques années : et tu me remercieras ! »115 Cette forme
d'autorité se rapproche de l'autoritarisme. L'autorité qui construit, en revanche, reprend tous les
points bloqués dans la précédente, à savoir elle « permet de ressentir par soi-même, de penser
par soi-même et d'exister par soi-même. »116 Les enfants, les jeunes ne sont pas pour autant livrés
à eux-mêmes dans cette visée éducative. Les éducateurs, les enseignants, les parents,... sont là
pour les accompagner dans cette réflexion, par la parole, des activités, en leur posant un cadre
pour les sécuriser dans ce processus de découverte, de maturation et d'autonomisation.
1.3 La Pédagogie Institutionnelle comme support
La Pédagogie Institutionnelle a basé une grande partie de son fonctionnement sur la parole, en
mettant en place de nombreuses réunions. Les professionnels communiquent sur différents
thèmes : maintenir une cohérence dans les propos tenus par les différents membres de l'équipe,
permettre une continuité dans la prise en charge éducatives des jeunes et prendre connaissance
des informations générales concernant l'institution.
Ces espaces de communication prennent des formes variées, tout au long de la journée, de la
semaine et du mois. Dans le foyer dans lequel je fais mon stage, ils se présentent ainsi :
− Les passages de consignes à chaque changement de services117 permettent aux éducateurs
113
114
115
116
117
ROBBES Bruno, op. cit.
GUILLOT Gérard, op. cit., p. 15
Ibid. p. 17
Ibid. p. 38
Il y a trois passages de consignes. Celui du matin à 7h permet de savoir comment s'est déroulée la nuit. Un
second à 14h tient informer les éducateurs de l'après-midi des différentes démarches réalisées, des rendez-vous
prévus sur la journée et des activités des jeunes. Le dernier passage de consignes a lieu vers 22h30, il permet de
- 56 -
qui « prennent la relève » d'être informés des démarches, des événements passés les
heures précédentes. Ils se passent en comité restreint, la plupart du temps, nous sommes
trois ou quatre éducateurs. Souvent, ces passages de consignes sont une version orale des
informations relatées dans le cahier de consignes118. Ce moment informatif est
indispensable car il permet de savoir dans quelle disposition, quel état d'esprit119 sont les
jeunes et des derniers événements notables.
− Les « points infos » durant les réunions de service hebdomadaires permettent la diffusion
des informations venant de l'extérieur que le directeur, le responsable d'unité, des
éducateurs ou la psychologue ont pu obtenir lors de diverses instances (commissions
santé, sport et culture, formation, collèges de direction, réunions avec des partenaires,
etc.). Ces « points infos » offre une tribune pour communiquer sur des informations
internes à la structure, comme les différents projets montés ou en réflexion (activités,
sorties, etc.), sur des initiatives engagées (association contactée pour mettre en place un
partenariat, achat de matériel particulier, etc.). Toutes ces informations sont retranscrites
dans le cahier de réunion (dans certaines structures, ils font l'objet d'un compte-rendu
écrit transmis à tous les agents).
− La « partie jeunes » des réunions de service donne l'occasion de parler, de manière
pluridisciplinaire, de la situation de chaque jeune. Elle permet de partager les
observations et informations dont on dispose pour faire un point hebdomadaire sur
l'évolution du comportement des jeunes, des démarches en cours.
− Puis il y a les réunions de fonctionnement et les accompagnements d'équipe120 qui ont
pour but de réfléchir sur un sujet déterminé en amont dans le cas de la réunion de
fonctionnement. Les questionnements sur le ressenti, les émotions, une réaction qu'un
jeune a pu susciter chez un professionnel sont traités durant les instances
d'accompagnement d'équipe. Ces temps de paroles permettent de mettre des mots sur des
problèmes, de structurer la prise en charge, elles sont particulièrement importantes.
− Enfin, les « réunions jeunes » et « points jeunes » dont l'objectif est de transmettre aux
jeunes des informations, leur communiquer des changements de fonctionnement, les
interroger sur une question ou revenir sur un événement particulier. En Pédagogie
118
119
120
faire le récapitulatif de la journée et d'organiser les heures de lever pour le lendemain.
Cet outil est utile pour être informé du déroulement des jours précédents. Le fait que l'équipe se compose de 15
éducateurs implique que les professionnels éducatifs puissent être présents plusieurs jours de suite mais
également absents durant plusieurs jours d'affilée. Il est donc indispensable de le lire dans un but de cohérence et
de continuité éducative.
Par exemple, après une garde à vue, ils peuvent être fatigués ou énervées. Ils peuvent également être euphoriques
au retour d'un week-end en famille qui s'est bien déroulé...
Habituellement mensuelles, elles ont vu leur fréquence accélérée durant les quelques mois compliqués qu'a vécu
le foyer dans lequel je fais mon étude.
- 57 -
Institutionnelle, cette instance de paroles « jeunes-adultes » est à la fois une réunion
d'informations mais aussi un « outil de régulation du groupe »121, où les jeunes peuvent
exprimer leur désaccords, les plaintes qu'ils ont à formuler concernant tel sujet, telle
action réalisée par un éducateur ou un jeune, etc.
La Pédagogie Institutionnelle s'appuie également sur les activités de médiation, qui permettent de
créer des espaces transitionnels entre les éducateurs et les jeunes. Ces espaces d'activités sont des
lieux, des occasions pour « provoquer chez l'adolescent ses capacités d'expression, afin de
transformer en matière, pouvant être travaillée, ce qui n'est au départ qu'émotion brute. […] La
médiation est ce qui vient entre deux individus, et leur permet de se parler « à propos de... ». »122
Les activités n'ont pas pour unique objectif d'occuper les jeunes, pour éviter qu'ils soient dehors,
qu'ils traînent et réitèrent des délits, ce que l'on appelle couramment à la PJJ de
l'« occupationnel ». Les activités doivent être pensées comme des médiations, des supports pour
faire tiers dans la relation duelle ou groupale entre les jeunes et l'éducateur. Ce sont des alibis,
des supports pour créer du lien entre les différents participants à l'activité. Comme l'a dit le RUE
(lors de la réunion sur la sanction), « l'activité permet de former un groupe, de créer une
osmose »123.
Les médiations offrent également la possibilité de considérer différemment une relation
transférentielle compliquée à gérer, en introduisant du tiers. « La ligne éducative consiste à se
saisir d'une relation imaginaire duelle, et immédiate, pour la conduire vers une relation réelle,
triangulaire, symbolique, médiatisée par les choses, les codes, les mots, les institutions […]. »124
En effet, la relation particulière qui peut se créer entre deux individus à l'occasion d'une activité
peut rejouer la relation de dépendance entre l'enfant et sa mère, pour cette raison, l'activité est un
outil indispensable à l'éducateur.
2. Les directions éducatives prises pour réinstaurer une figure d'autorité
auprès des jeunes
Joseph ROUSSEL préconise de se poser quelques questions avant d'intervenir : « qu'est-ce que je
fais là ? Quelle est ma place ? […] Qu'est-ce qu'on attend de moi ? Quel est l'objectif ?
Pourquoi j'écoute ? Qu'est-ce que je vise ? Pour quoi faire ? »125. Bien évidemment, cela renvoie
à la subjectivité de chacun. Ainsi le cadre est primordial afin que le discours et les intentions de
121
122
123
124
125
Association pour un Réseau des Pratiques de l'Institutionnel, op. cit., p. 43
Ibid., p. 69
Voir retranscription de cette réunion, en annexe
Association pour un Réseau des Pratiques de l'Institutionnel, op. cit., p. 70
ROUSSEL Joseph, Le travail d'éducateur spécialisé : Éthique et pratique, Paris : Dunod, 2000, p. 124
- 58 -
chaque intervenant soient cohérents et créent une homogénéité dans l'équipe. En marquant une
position éducative permanente, dans un cadre contenant, l'équipe soutient les jeunes, tant pour
canaliser leurs bouleversements d'adolescents que pour réaliser une approche judiciaire sur les
faits et les conséquences de leur mise en cause au pénal.
2.1 Travailler sur soi-même
Les jeunes accueillis ont généralement un parcours de vie et/ou institutionnel compliqué. Exclus
de nombreuses institutions sociales (école, santé, ville, voire famille,...), ils n'ont souvent plus
confiance en eux, ni en leurs capacités et se laissent entraîner dans des actes de délinquance par
manque de recul sur leur situation. Avant d'arriver dans cette structure, j'ai eu par exemple, dans
l'occasion de suivre des jeunes qui avaient une analyse très précise et fine de situations de
personnages de films, mais ne parvenaient pas effectuer ce travail sur des événements les
concernant. Le travail de l'éducateur est donc de faire en sorte que les jeunes se retrouvent face à
la réalité. La confrontation aux limites (les leurs, celles de l'institution, celles des obligations de
leur placement, etc.) permet de les cadrer, de les aider à se centrer sur eux. Corinne
BERTHONNAUD126 interprète la situation des jeunes de cette manière : « Il y a toute une partie
du travail psychique de séparation, de mise à distance, qui reste à accomplir, car ces jeunes sont
dans le tout, tout de suite, et ne supportent pas que l’autre vienne leur dire “non, ce n’est pas
possible”. S’ils sont là, c’est qu’ils ont été [...] livrés à eux-mêmes, et il leur est très difficile
d’accepter des contraintes. »127 Ils attaquent le cadre dans le but de vérifier sa résistance et la
capacité des professionnels à les contenir et à ne pas les rejeter. Rémi CASANOVA définit les
contours du cadre et son utilité :
« Le cadre empêche l'expression de la toute-puissance. En empêchant la toute puissance des uns – les
dominants, ceux qui sont forts -, il permet la juste puissance des autres – ceux qui sont les plus faibles.
S'il limite trop, il entraîne l'impuissance des uns et des autres. Trop rigide, trop strict, il oppresse, nie
les individualités, tue le collectif parfois aussi, et devient castrateur et mortifère. […] S'il ne limite pas
suffisamment, il ne marque pas la spécificité du « dedans » qu'il est censé contenir, il ne montre pas
son utilité. La limite trop floue, pas assez contenante, devient poreuse, laisse libre court à toutes les
expressions, celles de la toute puissance dans des manifestations violentes de négation de l'Autre, du
128
collectif, de la société, de l'environnement. »
Là interviennent deux questions : celle de la flexibilité des règles (celles sur lesquelles on peut
être plus souples et les autres) et la capacité des éducateurs à maintenir le cadre. En effet, cette
souplesse ne doit pas seulement être le fruit de la subjectivité des professionnels, elle doit être
pensée. Cela permet d'homogénéiser les pratiques éducatives et éviter que certains professionnels
se mettent en difficulté. Les éducateurs n'ont pas toujours la force de se soutenir les uns les
126
127
128
Psychologue à la maison d’enfants La Passarèla de Montauban
HELFTER Caroline, « Face à la violence, développer une culture de la prévention », ASH, N° 2774 du
14/09/2012, http://www.ash.tm.fr/Recherche/Resultat/681fa13c84735fc5a0f22470f73de97e/2
CASANOVA Rémi, op. cit., p. 33
- 59 -
autres pour affronter les attaques des adolescents. C'est de cette manière que les équipes se
désolidarisent, que des professionnels peuvent craquer, lâcher, être démotivés par leur mission.
Un travail sur soi doit aussi être effectué par les agents pour ne pas être atteints et savoir prendre
du recul vis-à-vis de leur ressentis dans leur environnement professionnel. Le soutien
psychologique que l'accompagnement d'équipe nous apporte est de plus en plus reconnu, la
participation croissante à cette instance des éducateurs en témoigne. Certains professionnels vont
également chercher un appui à l'extérieur, en se rendant régulièrement aux réunions du
CéRIAVSIF129, pour avoir une aide sur des sujets mal-maîtrisés. En effet la formation est une
façon pour les agents de consolider leurs pratiques, prendre du recul et de pouvoir mieux
accompagner les jeunes. La lutte des psychologues pour le maintien de leur temps FIR en est un
exemple.
Le travail en hébergement est particulier car nous partageons des moments de vie avec des
adolescents dont les histoires familiales sont complexes, révélant des situations de vie parfois
inimaginables. Or dans ce contexte, le magistrat les déplace, les éloigne de leur « milieu
naturel » pour les placer auprès d'inconnus, une équipe de quinze éducateurs. Mis en présence de
jeunes professionnels n'ayant pas une grande expérience, la violence de la situation de chaque
côté ne tarde pas à apparaître. C'est pourquoi je pense que le travail sur soi est indispensable pour
pouvoir réfléchir, prendre du recul et éviter de mal vivre certaines situations.
En tant que stagiaire, j'ai pu bénéficier d'un temps d'analyse clinique, programmé durant les
semaines au Pôle Territorial de Formation, mais cette offre n'est pas accessible à tous les
professionnels en service. Cela me semble très important que cela le devienne, car notre travail
demande une perpétuelle remise en question de notre pratique, de nos connaissances des
situations des jeunes, du contexte socioculturel dans lequel ils vivent. Nous avons besoin de
posséder toutes ces notions et de pouvoir faire « un pas de côté » pour les aider à mieux grandir.
2.2 Pour un apprentissage progressif des règles
Un travail sur le cadre a été entamé après les incidents de la fin de l'année 2012. Nous avons
essayé de déterminer ce que chacun d'entre nous mettait derrière ce mot. Puis diverses réunions
sur des sujets aussi variés que les activités, la mise en place d'un emploi du temps des jeunes, les
salles d'activités, etc. et par la suite sur la sanction ont été organisées. Leurs buts étaient, il me
129
Centre de Ressources pour Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles Île-de-France (CERIAVSIF)
- 123 rue de Reuilly - 75012 Paris. Dans ce lieu, sont proposés diverses choses : échanges cliniques (cas, thèmes
et institutionnels) ; avis et orientations ; informations et évaluation des dispositifs de ressources existantes en Îlede-France ; participation à des réunions de service ; organisation de réunions d'échange professionnel sur les
ressources et les besoins ; analyse ; formations disciplinaires ou pluridisciplinaires et aide pour des projets de
recherche.
- 60 -
semble, de remettre du cadre dans le fonctionnement de la structure, d'instaurer une cohésion
dans l'équipe éducative. Durant la réunion sur la sanction, la directrice stagiaire a dit « Il faut que
nous-mêmes, on ait plus de cadre pour apporter du cadre aux jeunes. »130 L'objet de cette
réunion était de réfléchir sur les sanctions : déterminer les points du règlement sur lesquels on
pouvait être souples et ceux sur lesquels on ne l'était pas et qui donnaient suite à des réponsesactions. Nous étions cinq éducateurs, le constat général a été que nous avions peu de réponses
concrètes face aux transgressions des jeunes. De fait, un travail va être mis en place sur la
réparation car son caractère éducatif a été promu.
Dans un futur proche, le projet de service va être réétudié et remis à jour, cela donnera l'occasion
de reparler du fonctionnement et des principaux objectifs que nous essayons d'atteindre avec les
jeunes. Le règlement intérieur de la structure doit être connu par tous les professionnels et être
appliqué par chaque adulte. Pour ce faire, nous devons l'expliquer sans cesse, le rappeler et il doit
être un support au dialogue avec les jeunes. En effet, des adolescents qui ont été livrés à euxmêmes, ou aux lois de la rue, ont besoin qu'on leur fasse comprendre les raisons des obligations
et des interdictions dictées par les règles du foyer. Par exemple, rentrer pour 19 heures permet de
manger tous ensemble le soir, de passer un moment agréable et de pouvoir se coucher à une
heure permettant de se lever le lendemain matin pour aller en formation ou faire des démarches.
Bien évidemment, tout est négociable, on peut repousser de 15 minutes l'heure du coucher dans
le but de voir la fin d'un match de football, « En week-end, les levers des jeunes sont établis par
« règlement intérieur » à 10 heures. Cependant, […] [quand] les mômes sont régulièrement en
formation toute la semaine, il m’arrive de les lever à 11h30. »131. Mais cela ne doit pas devenir
systématique, les écarts avec le cadre doivent rester exceptionnels. À partir du moment où cela
ne relève plus de l'exception, la règle doit être reconnue comme caduque. Elle doit faire l'objet
d'un changement qui sera officialisé auprès des jeunes, sinon ils s'introduisent dans ce défaut de
règle et les remettent toutes en cause. L'absence de cadre est insécurisant, anxiogène. D'autant
plus que de nombreux jeunes, inscrits dans le trafic de stupéfiants, sont intégrés dans un univers
particulièrement codifié, hiérarchisé et qu'ils en respectent les règles.
Toutefois, certains de mes collègues peuvent négocier les règles pour tester la confiance que l'on
peut accorder aux mineurs, leur responsabilisation.
Pour ma part, je pense que cette pratique est possible, que les règles peuvent être assouplies
mais si, et seulement si, elles ont été assimilées en amont par les adolescents ; afin que cet
assouplissement ne remette pas en cause le principe d’autorité qu’il est difficile de mettre en
place avec les adolescents qui tentent sans cesse de tester les limites. D'ailleurs, une éducatrice
130
131
En annexe, une retranscription des échanges passés durant cette réunion.
En annexe, questionnaire de l'éducatrice n°3
- 61 -
l'explique assez bien :
« quand les jeunes viennent nous voir pour nous demander qu'on fasse une exception car ils souhaitent
pouvoir rentrer plus tard ou sortir en semaine, ils nous demandent de faire une entrave dans le
règlement, c'est bien la preuve qu'ils ont effectué le travail d'intégration du règlement. Ils ont
conscience que ce qu'ils demandent ne rentre pas dans le cadre, ils nous formulent une demande [...].
En quelques sortes, ils nous ont repérés comme figure d'autorité, avec laquelle le dialogue est
132
possible. »
Comme nous l'avons vu précédemment, un cadre contenant, donc avec des règles clairement
posées est sécurisant pour les jeunes. Les éducateurs doivent faire des efforts pour être cohérents
et solidaires vis-à-vis des règles à faire respecter par les adolescents. C’est à partir de là que se
met en place cette autorité éducative, base du fonctionnement serein du foyer et de la
reconstruction sociale des jeunes en difficulté. C'est peut-être une des lacunes de notre équipe,
comme l'ont évoquée de nombreuses fois les éducateurs présents lors de la réunion sur la
sanction.
Pour que les adolescents prennent conscience de l’importance des règles et les intègrent, nous
avons plusieurs solutions possibles : soit « concrètement » par la mise en place d'activités
socialisantes, soit par la parole en faisant comprendre aux jeunes le problème qu’ils ont vis-à-vis
de la Loi (c’est pour cela qu’ils ont été placés), mais plus généralement leur rapport aux règles.
De nombreux jeunes placés ont rencontré des difficultés dans le domaine scolaire, dûes souvent à
des problèmes de concentration. Cela pose question. Pourquoi ces problèmes de comportement
et d’attention dès lors qu’ils sont confrontés au système éducatif, alors qu'ils peuvent rester des
heures devant un ordinateur ou une playstation ? Face à ces jeunes, l’éducateur doit s’interroger
sur cette contradiction, afin de ne pas reproduire les conditions scolaires dans la structure.
Gérard GUILLOT, dans son livre L'autorité en éducation : sortir de la crise, a mis en avant le
fait que l’Éducation Nationale ait tendance à demander aux élèves de rester immobiles, de
réprimer l'expression de leurs corps. Avec cette frange de la population scolaire, les pédagogies
actives mais également le cursus professionnalisant fonctionnent très bien car ils y sont plus
actifs physiquement. Nous devons tenir compte de ce constat et tâcher de mettre en place des
activités qui autorisent le mouvement, où les mineurs peuvent s'exprimer, où ils ne sont pas
contraints physiquement. On pense immédiatement au sport mais il existe des activités
d'expression verbale, visuelle et corporelle mettant en jeu leur créativité, qui sont également de
bons supports pour travailler avec eux sur toutes sortes de questions. Chaque sport est géré par
son propre règlement, la musique, la photographie, le cinéma, etc. possèdent des cadres précis.
Sur une scène de slam, par exemple, le non-respect de certains critères d'évaluation peut être
éliminatoire, ou faire perdre des points (si on dépasse les 3 minutes accordées pour la
132
Extrait du questionnaire de l'éducatrice n°1, en annexe.
- 62 -
performance, par exemple). Par ces activités, on réussit « naturellement » à faire intégrer des
règles qui font partie intégrante « du jeu » aux jeunes. Les activités ne sont alors plus
« occupationnelles » dès lors que des objectifs éducatifs y sont apportés.
Par ailleurs, pour que les jeunes intègrent les règles, il est possible de s'appuyer sur les principes
de la non-directivité développés par Carl ROGERS, qui se basent sur trois concepts : ne pas
juger, ne pas critiquer et ne pas donner de conseils. Il s'en servait comme technique d'entretien :
« l'objectif est de présenter au patient un miroir de ce qu'il exprime afin de lui permettre, à distance,
de prendre mieux conscience de ses problèmes, de les objectiver, d'en avoir une vision claire et
structurée. Le pari [...] est que la prise de conscience favorise la maîtrise de la souffrance [...] et sa
prise en charge par le sujet lui-même. »133 Puis il a adapté ce principe aux méthodes éducatives
afin que l'enfant puisse devenir « maître de ses apprentissages »134. Nous avons dans cette façon
de penser et d'agir les bases de la pédagogie de projet qui permet d'autonomiser les jeunes.
L'écoute active peut les aider à faire émerger des désirs, qu'ils ne parviennent pas à exprimer.
Leur faire prendre conscience de leurs problèmes et des difficultés qu'ils vont pouvoir rencontrer
est une excellente technique de responsabiliser les individus.
Ainsi en reprenant leur rôle d’adultes aidant, dont le but est de conduire les jeunes vers leur
autonomisation et leur socialisation, les éducateurs retrouvent leurs fonctions éducatives. Mais
cela n’est possible que si ces professionnels font appliquer les Lois et les règles propres au foyer.
Sinon, le travail perd de son sens. Si les jeunes ne respectent pas cette autorité (qui est la base de
leur reconstruction), les éducateurs n’ont plus qu’un rôle secondaire de gardiens, d'animateurs,
de taxi ou de personnel d'hôtellerie. Et c’est dans ce fonctionnement de reconnaissance mutuelle
que chacun réussit à trouver sa place, que le jeune peut se construire et devenir un adulte, et que
l’éducateur est légitimé dans sa fonction et retrouve une certaine sérénité et un sens à son travail.
3. Une recommandation : mettre en place un conseil
En Pédagogie Institutionnelle, « le conseil » est l'élément charnière du système éducatif car il y est :
« possible de critiquer, proposer, évaluer, décider, réguler, élaborer coopérativement les lois du
groupe. Il est ainsi lieu d'articulation ou de confrontation des jeunes avec les lois : règles de vie du
groupe ou lois sociales, loi symbolique, […]. Il est enfin pour la dimension négociable et non
négociable du rapport jeunes-adultes, lieu d'énonciation, c'est-à-dire acte de parole porté par un
sujet. »135.
Avant la Loi du 2 janvier 2002, la Pédagogie Institutionnelle avait instauré un des sept éléments
des droits fondamentaux des usagers cités dans cette loi : la mise en place d'un « conseil de la vie
133
134
135
GUILLOT Gérard, op. cit., p. 27
ibid, p. 27
Association pour un Réseau des Pratiques de l'Institutionnel, op. cit., p. 43
- 63 -
sociale ». Il prend, dans les foyers PJJ, la forme de la « réunion jeune », durant laquelle les
jeunes « peuvent exprimer leurs points de vue sur le fonctionnement du service et formuler des
propositions concernant la vie du foyer »136.
3.1 Constat d'échec des « réunions jeunes »
Le cadre des réunions jeunes peut aussi servir aux éducateurs de support pour évoquer des sujets
conflictuels avec les adolescents, afin que chacun puissent donner son avis sur la question.
Or dans cette structure, la « réunion jeune » est utilisée par la hiérarchie pour communiquer des
informations aux jeunes concernant des activités, des sorties. Elle peut également permettre de
revenir sur des incidents ou dernièrement sur une bagarre lors d'une sortie à Deauville. La
difficulté que nous rencontrons avec cette instance est qu'elle n'est pas régulière, qu'elle n'est
souvent qu'informative et que la parole des jeunes ne soit pas suivie de conséquences dans la vie
quotidienne du foyer. La vignette de situation suivante relate comment, dès le départ, elles
perdent tout leur sens.
En mars 2013, un ordinateur a été mis à disposition pour les jeunes, sur lequel ils peuvent
avoir accès à internet, cela leur permet de regarder des films, des matchs de football, d'écouter
de la musique ou de réaliser diverses recherches. Auparavant, les jeunes sollicitaient les
éducateurs pour pouvoir utiliser celui se trouvant dans leur bureau. Nous rencontrions alors des
difficultés à en réguler l'usage. Comme celui-ci est relié au réseau des ordinateurs
administratifs du foyer, nous devions faire particulièrement attention et surveiller que les
jeunes n'aillent pas ouvrir les documents en lien avec les dossiers des mineurs. Par conséquent,
cela générait une importante tension.
Avant la mise en service de la salle d'informatique, nous nous sommes interrogés en
équipe sur les horaires d'accès à cet ordinateur. Un long débat a été engagé (bien que nous
soyons peu nombreux lors de cette réunion de fonctionnement), sur les jours et le créneau
horaire d'ouverture. Au bout d'une heure, il a été acté que ce serait les lundi, mardi et vendredi
de 17h à 19h et de 14h à 18h le week-end et durant les vacances.
A cette période de l'année, tous les jeunes que nous accueillions étaient scolarisés ou en
insertion, ainsi la plupart n'arrivaient pas assez tôt pour pouvoir y accéder. A cette réflexion, la
hiérarchie nous a renvoyé que les règles ne pouvaient pas être changées à tous moments.
« Toutefois, on pouvait faire des entorses au règlement quand cela était nécessaire », à
condition que cela soit un motif pour entamer une discussion sur les règles avec les jeunes.
J'ai suggéré que l'élaboration de cette règle soit plutôt conçue avec les jeunes puisqu'ils
136
Projet de service, 2011
- 64 -
étaient en demande donc ouverts à la discussion sur ce sujet. Des éducateurs m'ont répliqué que
j'étais « une grande naïve », que ces jeunes étaient placés car ils avaient des problèmes vis-àvis des règles. Donc comment leur demander d'en faire une ? J'ai essayé d'expliquer que cela
pouvait être justement un moyen de leur faire comprendre l'intérêt des règles qui gèrent le
foyer et la société. Le sujet a été clos en annonçant que les jeunes seraient informés des
horaires lors de la réunion jeune de la semaine suivante. Or depuis des mois, cette instance
(devant être un lieu d'expression pour les jeunes) est fortement boycottée par eux.
Ainsi nous voyons bien que dans notre structure, le principe de la « réunion jeune » n'est pas
respecté, puisqu'elle devrait être un espace de parole permettant aux jeunes d'exprimer leur avis
sur le fonctionnement et la vie du foyer. Or tout s'organise en amont, sans eux, et cette instance
perd tout son sens.
3.2 Pourquoi instituer un conseil ?
Comme nous l'avons vu plus haut, les jeunes placés sont des adolescents de 15 à 18 ans pour
lesquels un magistrat a ordonné un éloignement du cadre familial et environnemental. René
KAËS définit la « crise » comme un « changement brusque et décisif dans le cours d'un
processus »137, elle crée une rupture. La séparation en découlant peut contribuer à un
déséquilibre dans leur fonctionnement initial. Notre rôle est de les aider à rétablir une forme
d'équilibre dans leur vie. Or chaque jeune accueilli est unique, la délinquance n'est pas un signe
identitaire, distinctif, c'est une conséquence temporaire parmi d'autres d'un vécu, d'un contexte à
un moment T. L'éducation qu'ils ont reçue en revanche les caractérise, avec les valeurs
familiales, la culture, etc.
René KAËS a
« tenté de forger deux concepts qui rendent possible l'articulation entre l'intrapsychique d'une part, le
groupal et l'institutionnel d'autre part ; or toute articulation admet des éléments séparés par un vide et
réunis par un espace intermédiaire.
L'intermédiaire : cette notion est centrale dans l'analyse transitionnelle et dans la transitionalité [...].
Notion centrale dans l'hypothèse de l'étayage multiple, elle précise l'image du sas d'étayage.
L'intermédiaire est une instance de communication138 : ce qui appartient à A et à B par les éléments
qu'ils possèdent en commun ; entre deux termes séparés, discontinues, dans l'écart, l'intermédiaire est
une médiation, un rapprochement dans le maintenu-séparé ; il est ainsi une instance d'articulation de
différence, un lieu de symbolisation. L'intermédiaire est enfin une instance de conflictualisation :
d'opposition entre des antagonismes. Par ces trois caractères, l'intermédiaire assure une fonction de
pontage sur une rupture maintenue : un passage, une reprise. D'une certaine manière, la crise est, du
point de vue du sujet, dans les ratés de cette articulation. »139
137
138
139
KAËS René, MISSENARD André, KASPI Raymond et al., Crise, rupture et dépassement, Paris : Dunod, 2004,
p. 14
Mis en italique dans le texte initial
KAËS René, op. cit., p. 13
- 65 -
Ces trois grandes étapes peuvent être reprises dans notre travail éducatif avec les jeunes, car le
placement et la période de l'adolescence qu'ils vivent peuvent être ressentis comme des « crises »
selon la définition citée plus haut. Créer un espace permettant de communiquer sur les
différences de points de vue sur une question particulière et parvenir à reconnaître les désaccords
est le point de départ pour pouvoir instituer une vie en collectivité.
Fernand OURY, dans une métaphore corporelle, disait que le Conseil était « l’œil du groupe : il
permet de voir, de découvrir ce qui est là ; le cerveau du groupe : il analyse, organise, prévoit,
mémorise ; le rein du groupe : il filtre les problèmes, élimine les conflits ; le cœur du groupe : il
favorise le passage de la vie. »140 De son côté, Jacques PAIN y voit le « lieu du lien social [et
c'est pour le] groupe un moment refermé sur lui-même, pour peser son destin. »141. Le conseil est
le lieu où l'on peut parler, où l'on réfléchit à ce qui forme le collectif dans la structure.
Il me semblait donc intéressant que dans le contexte relaté dans la dernière vignette, nous
puissions réfléchir avec les mineurs sur le règlement d'accès à l'ordinateur et à Internet. Quelques
jours, avant, un éducateur avait d'ailleurs initié une conversation sur la nécessité d'avoir tous les
mêmes règles quand on joue aux cartes. Les jeunes ont vite fait le lien et ont reconnu qu'il fallait
« mieux se mettre d'accord sur les règles dès le départ, ça évite de s'embrouiller durant le jeu. »
Le conseil permet donc de remettre les jeunes et leurs paroles au centre de la prise en charge
éducative. À plusieurs reprises, je me suis fait la réflexion avec des collègues que l'équipe
éducative était composée de nombreuses individualités qui ne parvenaient pas à former un
groupe uni. De la même manière, les jeunes ne constituent pas un groupe, la chose qui les lie les
uns aux autres est le fait qu'ils soient placés dans la même structure. Or en hébergement,
l'institution d'un groupe est primordiale dans le travail éducatif que nous devons effectuer.
Les difficultés rencontrées à mettre en place des activités dans cette structure limitent la
possibilité de fédérer un groupe. C'est pour cette raison qu'il me semble intéressant de partir de la
quotidienneté et de ces petits problèmes pour initier un temps de paroles. Cela permettrait aux
jeunes et aux adultes de se rencontrer et d'exposer chacun son point de vue sur le fonctionnement
du foyer, en argumentant son propos. Cet exercice de rhétorique n'est pas aisé pour la plupart des
jeunes, il nécessite d'avoir un avis et de pouvoir en exposer les différents points de manière
cohérente. Cela induit de dépasser l'immédiateté et de concevoir une idée. Ensuite, il faut
respecter la parole de l'autre, l'écouter et au besoin entamer une discussion en cas de discordance
sur un aspect. Le débat public et l'acceptation de ses règles sont les prémices de la citoyenneté.
140
141
Association pour un Réseau des Pratiques de l'Institutionnel, op. cit., p. 43
PAIN Jacques, La pédagogie institutionnelle d'intervention, Vigneux : Editions Matrice, 1993, p. 69
- 66 -
L'accès au langage et à la parole permet de s'élever à une place de sujet. En outre, il est de notre
devoir d'éveiller les jeunes au raisonnement conduisant à la critique. Cela les aidera à ne pas être
victime de fonctionnements autoritaristes comme peuvent l'être certains groupes d'appartenance.
Philippe MEIRIEU évoque, dans son intervention142 intitulée « Quelle autorité pour quelle
éducation ? », les « autorités-emprises », qui « ne sont fondées sur aucune des légitimités que
nous reconnaissons (l’expérience, le savoir, le bien commun) [mais] relèvent de l’aspiration
fusionnelle et sont auto-référencées »143.
Selon Joseph ROUZEL, « restaurer la parole de chaque sujet, transmettre les limites et
accompagner à faire des choix : ces trois objectifs dessinent la ligne d’horizon de tout
éducateur »144. En cela, l'éducateur revêt une fonction paternelle, du fait de son rôle séparateur,
instaurateur de limites et initiateur au domaine de la parole pour faire accéder le jeune à
l'insertion sociale. Pour pouvoir incarner cette fonction, les éducateurs doivent ruser, s'introduire
dans les interstices de la vie, pour exercer leur fonction éducative et être reconnus comme tel. En
cela, nous pouvons dire que les éducateurs sont des médiateurs, ils sont des intermédiaires entre
deux états, dans le phénomène de processus précédemment expliqué. Les outils pour permettre
ce passage sont l'écoute, la parole et les médias éducatifs qui permettent aux jeunes d'intégrer des
règles, en respectant celles des activités proposées.
3.3 Le partage de la parole pour la reconnaissance de chacun
« La notion de conseil peut être reliée à l'Assemblée générale de coopérative qui se réunissait
dans l'école Freinet toutes les semaines, sous la responsabilité d'un président de séance, assisté
d'un secrétaire. »145 C'est donc un temps de décisions durant lequel les règles de fonctionnement
peuvent être discutées, négociées temporairement ou transformées de manière plus durable et les
responsabilités de chacun y sont également définies. Le conseil a une double fonction de
socialisation, du fait des responsabilités données à chacun, dont il faut répondre et par la maîtrise
du langage demandée pour argumenter ses propos. La parole d'un jeune a alors le même poids que
celle d'un éducateur dans ce système, ils sont reconnus au même titre puisqu'ils collaborent
ensemble dans une réflexion. Cela offre la possibilité à chacun de montrer sa légitimité dans ce qui
lui est demandé d'effectuer. Le « faire avec » contribue à la reconnaissance de chacun. Subir sans
comprendre ni le sens ni l'utilité contribue soit à l'assujettissement, soit à la révolte des êtres
142
143
144
145
Intervention effectuée durant les Rencontres Internationales de Genève, en septembre 2005.
MEIRIEU Philippe, Quelle autorité pour quelle éducation?, Rencontres Internationales de Genève, septembre
2005, in http://www.meirieu.com/ARTICLES/L%27AUTORITE.pdf
ROUZEL Joseph, « Educateur : un métier impossible », Le Sociographe, n° 1, 2000, p. 115
COSTA Chantal, Devenir auteur de soi-même, Vigneux : Editions Matrice, 2004, p. 76
- 67 -
humains.
Ce dispositif sert à formuler un avis mais aussi à faire émerger une envie, un désir de faire
quelque chose, une activité, de monter un projet. « Le conseil devient ainsi un outil
d'organisation des désirs individuels, afin que passant par des compromis, ils deviennent un
désir puis un acte collectif. »146 Les jeunes peuvent ainsi accéder à la dimension d'acteur, de
sujet. Ils ne sont plus seulement objet de leur placement, mais deviennent des membres actifs et
même décideurs de la collectivité. Dans ce cadre là, la question de savoir si le placement est une
punition ou un acte éducatif prend une toute autre dimension pour eux. Cela renvoie également à
la prise en compte des désirs et non seulement des besoins des jeunes.
Le psychanalyste Alexander S. NEILL, auteur de Libres enfants de Summerhill, a contribué à la
reconnaissance du désir des enfants. Pour lui, les adultes oppriment l'expression des désirs des
enfants, ce qui limite leur développement, pour les contraindre à l'assujettissement à des besoins
supposés par les adultes. Gérard GUILLOT s'appuie sur les concepts de NEILL pour mettre en
évidence que « sous le masque rassurant du besoin, la dimension plus inquiétante du désir est
occultée. Car le désir renvoie à la sexualité, à du non maîtrisable, à de l'inconnu. On préfère
volontiers la totalité des besoins à l'infini du désir. […] Le besoin va avec le programme, le désir
avec le projet. »147
L'impulsion enclenchée par une envie permet de mettre en place la « pédagogie de projet », dans
laquelle les jeunes sont à l'initiative de projets qui leur tiennent à cœur. Les adultes sont là pour
les « autoriser » dans cette réalisation, ils accompagnent les jeunes, les aident afin que les projets
soient coopérativement menés à bien. La collaboration des jeunes et des éducateurs concourt à
un vécu commun basé sur des expériences positives, chacun apportant ses connaissances aux
autres. Le partage des compétences ainsi que leur transmission participent à l'acquisition de
nouveaux savoirs, dans un esprit coopératif. Les acquis des jeunes sont mis en valeur, un travail
de transfert de ces compétences dans d'autres domaines pourra dans un second temps être
effectué. Pour les jeunes, cela permet également d'accéder à la prise en compte de l'altérité, de la
reconnaissance de l'autre dans sa différence.
Une fois l'action réalisée, le conseil sert également de forum pour l'évaluation commune des
actions mises en place.
146
147
Association pour un Réseau des Pratiques de l'Institutionnel, op. cit., p. 45
GUILLOT Gérard, op. cit., p. 25
- 68 -
Ainsi, nous voyons bien ici comment la parole, soutenue par des actions, permet de reprendre
une posture d'autorité éducative auprès des jeunes. Les professionnels doivent communiquer
ensemble afin d'instaurer une cohérence éducative, pour créer un véritable environnement
cadrant (autant pour eux que pour les mineurs placés). Leur participation aux différentes
réunions permet de penser, de manière pluridisciplinaire, la prise en charge de chaque jeune. Le
partage des informations contribue à créer un environnement contenant et sécurisant au
processus du passage de l'enfance à l'âge adulte que vivent les adolescents. Mais parler ne suffit
pas, on a parfois tendance à se contenter d'entretiens ou d'anodines discussions avec les
adolescents. Si certains mettent rapidement un terme à la conversation quand on « gratte là où ça
fait mal », d'autres n'ont tout simplement pas envie de se risquer à entrer en relation avec l'adulte.
L'écoute et la parole sont les outils premiers de notre travail mais nous devons nous en servir
pour en faire quelque chose de concret. Quand les jeunes nous parlent, ils nous montrent des
choses, nous devons nous en saisir pour les conduire plus loin. L'opération en miroir doit aussi
être réalisée, c'est-à-dire que les actions des mineurs doivent toujours être suivies de
conséquences, qu'il s'agisse de valorisations, d'améliorations ou de réprimandes. Et quoi qu'il en
soit, les règles doivent être clairement posées. Un éducateur exprimait son regret durant la
réunion sur la sanction qu'on ne soit pas assez solennel lors des entretiens d'accueil. Il déplorait
que l'on ne se serve pas assez de cette rencontre pour expliquer dès l'arrivée des jeunes le cadre
de leur placement et de la structure dans laquelle ils sont reçus. On pourrait ainsi les mettre
devant leurs responsabilités dès qu'ils enfreignent le règlement.
L'entretien d'accueil tout comme les réunions jeunes sont deux rendez-vous qui permettent de
communiquer et d'informer les mineurs du fonctionnement de la structure. La réunion jeune, que
la loi du 2 janvier 2002 appelle « Conseil de la vie sociale » et que la pédagogie institutionnelle
dénomme « conseil », offre plus ou moins la possibilité aux usagers et agents de s'exprimer
librement et de participer à l'évolution de l'institution. C'est à mon avis dans ce sens qu'il faut
travailler, car toute la base du travail éducatif , comme nous avons pu le voir, passe par la
communication. Une parole posée et réfléchie offre la possibilité d'exprimer, dans la
bienveillance et le respect, sa pensée, ses désirs et de réaliser des projets qui insufflent une
dynamique à la vie au foyer.
- 69 -
- 70 -
Conclusion
Au Vème siècle avant J.-C., PLATON fait dire à SOCRATE :
« Le père s'habitue à devoir traiter son fils d'égal à égal et à craindre ses enfants, le fils s'égale à son
père, n'a plus honte de rien et ne craint plus ses parents, parce qu'il veut être libre […]. À tout cela,
dis-je, s'ajoutent encore ces petits inconvénients : le professeur, dans un tel cas, craint ses élèves et les
flatte, les élèves n'ont cure de leurs professeurs, pas plus que de tous ceux qui s'occupent d'eux ; et,
pour tout dire, les jeunes imitent les anciens et s'opposent violemment à eux en paroles et en actes,
tandis que les anciens, s'abaissant au niveau des jeunes, se gavent de bouffonneries et de plaisanteries,
imitant les jeunes pour ne pas paraître désagréables et despotiques. »148
Ce passage montre bien que les questions d'éducation, de gestion de la liberté et d'autorité étaient
déjà présentes à l’époque, même si ce dialogue entre SOCRATE et Adimante (un frère de Platon)
est extrait d'un discours plus général sur les origines de la tyrannie. Au vu de la permanence de
ces questions (éducation, perte de l'autorité et recherche implicite de figure de référence), n’est-il
pas légitime de se demander si ces sujets ne relèvent pas de l'inconscient collectif ? En effet, le
manque d'autorité de la part des adultes, l'irrespect des jeunes à leur encontre et l'apprentissage
par les enfants de la liberté semblent être des sujets à controverse depuis la nuit des temps. Cela
met en évidence l'importance de la famille, mais également du rôle des éducateurs, en cas de
placement. L'étymologie latine du mot « éducateur » nous amène vers deux directions de
définition : celle dérivant de « educere », signifiant « faire sortie de, conduire vers l'extérieur » et
celle venant de « educare », qui indique une notion de « prendre soin, nourrir, élever ». Les
éducateurs doivent par conséquent servir de guides mais également de tuteurs pour les jeunes,
être des référents solides sur lesquels ces derniers peuvent s'appuyer sans craindre que les adultes
ne fléchissent comme il est question dans ce passage de PLATON.
Encore faut-il pouvoir faire ce travail éducatif dans de bonnes conditions. Car le rôle d’un
éducateur, le contexte de son travail, son rapport avec les jeunes et les résultats ne sont pas
toujours quantifiables, et sont liés aux individualités de chacun. Cela pose des questions sur la
manière de travailler, d’autant plus dans les foyers PJJ où les jeunes placés ont tous eu des
problèmes avec la justice, et donc avec l’Autorité. En effet, ces jeunes confrontés à des
difficultés sociales, scolaires et économiques, en manque de repère sont placés en foyer par un
juge à la suite d’actes de délinquance qu’ils ont commis. Il s’agit d’une mesure d’éloignement
de leur milieu quotidien et de leurs fréquentations.
Dans ce contexte, l’éducateur a un rôle très important, et son travail s’appuie sur des notions de
cadre d'étayage, d'autorité, de modèles identificatoires, de repères. Le but de cette recherche était
de questionner ces notions pour comprendre comment elles peuvent s’articuler dans le cadre très
148
PLATON, La République, VIII (562e – 563 b)
- 71 -
particulier d’un foyer PJJ, de voir comment peut s’instaurer la figure d'autorité pour ces
adolescents et comment celle-ci peut se mettre en place.
Ayant observé très tôt durant mon stage de professionnalisation des incidents et des défaillances,
je me suis penchée sur le rapport entre le cadre et l'autorité. En effet, je me suis vite rendu
compte que les problèmes avec les jeunes (qui testaient ainsi l’autorité et ses failles au sein du
foyer) étaient liés au fait que le cadre n'était pas clairement énoncé. Manquant de rigueur, il ne
permettait pas d'être contenant pour les jeunes. Par conséquent, devant cette absence de limites,
les adolescents rentraient dans les brèches et nous le montraient en commettant des actes de
détérioration, de vol ou de violence.
J'avais envisagé différentes hypothèses explicatives des problèmes rencontrés dans cette
structure : peut-être une réflexion sur le cadre pourrait-elle contribuer à sa restauration et par
conséquent à l'instauration d'une autorité éducative ? En effet, la carence en matière de repère
pour les jeunes était, pour les professionnels, le symptôme d'un défaut de cadre. Par ailleurs, je
me suis aussi rendu compte d’un vrai mal-être de l’équipe d’éducateurs face aux problèmes du
foyer. Ainsi, mon but a été de comprendre comment la situation avait pu « s’envenimer » à ce
point, et quelles pourraient être les solutions pour que la figure d’autorité des éducateurs soit à
nouveau reconnue. Je me suis alors questionnée sur la possibilité que la mise en place d'espaces
de paroles, auxquels chaque membre de l'institution (aussi bien jeunes que adultes) puisse
participer activement, contribue à la légitimité du cadre et de la mission éducative.
L'autorité éducative doit se baser sur des repères fixes afin de pouvoir développer une action
d'autorisation des jeunes et de légitimité des éducateurs. La parole permet au cercle vertueux
(règles, cadre, autorité éducative, reconnaissance, resocialisation et projection dans l’avenir) de
se mettre en place. L'investigation autour du « conseil » m'a montré l'importance de la parole, de
la communication, de la coopération dans les actions menées dans un établissement où le vivre
ensemble est un des objectifs recherchés. Un travail sur la responsabilisation, sur
l'autonomisation peut alors être réalisé dans le concret.
En effet, communiquer, exprimer son avis et ses désirs, décider conjointement, se projeter dans
l'avenir en montant des projets, participer, partager du temps et des connaissances, tous ces
principes sont la base de la Pédagogie Institutionnelle. Cela permet de créer un contexte de prise
en charge bienveillant, favorisant la reconnaissance des individus comme des sujets sociaux,
dotés de réflexion, d'un avis et d'une subjectivité. Il est important de mettre en avant la
participation des jeunes au projet éducatif élaboré pour eux. Ils doivent toujours être partie
prenante aux différentes démarches mises en place par les éducateurs. Il en va de l'éthique de
l'action éducative que nous menons. Elle a pour but d'autonomiser les mineurs et non de les
- 72 -
soumettre à une forme d'autorité autoritariste. En tant que médiateur, notre mission est de leur
permettre de comprendre l'intérêt des règles et de dans l'objectif qu'ils apprennent à gérer leur
liberté. La reconnaissance est primordiale pour les jeunes comme pour les éducateurs. Du côté
des mineurs, cela leur permet d'être valorisés, de briser la spirale de l'échec dans laquelle ils
peuvent être maintenus et ensuite de grandir. Du côté des agents, cela évite la démotivation,
l'épuisement professionnel que peuvent provoquer un cadre professionnel insécurisant et non
soutenant. La « peur du désordre » ne se surmonte qu'en faisant un, en communiquant tous
ensemble. La parole, la transmission des informations, la réflexion commune contribuent à créer
une cohérence, un esprit d'équipe et à constituer une homogénéité dans les pratiques éducatives.
L'institution est un « être vivant » en perpétuelle mutation et mouvement qui se régule par la
parole. Il me semble que les événements que nous avons surmontés nous ont permis d'en prendre
conscience. Cela nous a renforcés pour faire face aux jeunes dont la « mission » est d'attaquer les
limites que nous tentons de leur inculquer.
Pour ma part, la notion de souplesse vis-à-vis des règles m'a, de prime abord, étonnée. Ce stage
m'a confirmé l'importance de la parole. En effet, dans certaines circonstances, la discussion avec
un jeune pour négocier une règle peut permettre d'entamer une relation éducative. Ces petits
écarts, du moment qu’ils restent dans le domaine de l’exceptionnel, permettent de créer une
relation de confiance, mais aussi de tester la confiance que l'on peut accorder à un jeune. Dans
une certaine mesure, cela offre également la possibilité de responsabiliser un jeune sur une
action, ce qui, par la suite, permettra de le valoriser.
Pour finir, je dirais que si ce travail de recherche m'a permis de réfléchir sur des points de
fragilité de l'institution dans laquelle je travaille, cela s'est fait sans jugement et mais plutôt par le
biais d'une analyse des causes des difficultés et dans la bienveillance. Cette démarche est
essentielle dans notre profession car nous sommes confrontés à des individus en construction que
nous devons accompagner. Pour Joseph ROUZEL, le métier d'éducateur oblige « d’interroger
son désir d’aider les autres, ses intentions réparatrices, voire salvatrices, pour se rendre à
l’évidence que dans tout sujet qu’il rencontre il y a un point de résistance à ses prétentions
éducatives. »149 Par conséquent, il doit gérer son désir d'aider l'usager mais sans tomber dans une
autorité qui limite la personne dans son apprentissage de l'autonomisation et de la
responsabilisation. Une perpétuelle remise en question, une mise à distance de son travail
favorisent la constitution d'une éthique de l’acte éducatif, qui se forme tout au long d'une carrière
au service de l'avancée des mineurs. « Tout projet éducatif doit intégrer cette donnée sous peine
149
ROUZEL Joseph, « Educateur : un métier impossible », op. cit., p. 112
- 73 -
de se transformer en entreprise de redressement tyrannique. »150 Car comme l'a montré Eirick
PRAIRAT, l'éducation vise à « l'avènement d'un homme libre car c'est en accédant à la liberté
que l'homme réalise pleinement son essence. »151 Comme chacun le sait, la liberté s'acquière
dans le respect des règles et de l'autorité. « Sans cadre, pas de liberté » pourrait être une devise à
inscrire dans les foyers éducatifs.
150
151
Ibid., p. 112
PRAIRAT Eirick, op. cit. , p. 76
- 74 -
Bibliographie
Ouvrages
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- 77 -
- 78 -
ANNEXES
-I-
- II -
Encart méthodologique
Méthodologie de la recherche
a) Problématique générale de la recherche
L'établissement de placement éducatif dans lequel j'effectue mon stage en pré-affectation a
rencontré des difficultés qui ont mises à mal le cadre et dans une certaine mesure la figure
d'autorité de l'éducateur. En effet, une longue période de travaux puis des vols et des
dégradations du matériel ainsi que l'accueil simultané de trois jeunes présentant d'importants
troubles du comportement ont fragilisé une équipe en mouvement (des départs, l'arrivée de
stagiaires (PJJ et éducateurs spécialisés) et des recrutements de contractuels en cours d'année).
Pour ma part, lors du premier point rencontre avec ma tutrice sur mon lieu de stage, une des
critiques qui m'a été formulée était que j'étais « trop cadrante, trop rigide avec les jeunes ». Cette
réflexion m'a étonnée dans le sens où nous travaillons dans des structures qui encadrent des
jeunes justement en manque de cadre et m'a amenée à me poser des questions sur le cadre et sur
son rôle.
Face aux divers événements, il aurait été intéressant d'effectuer un travail d'homogénéisation des
pratiques afin que les différentes individualités présentes puissent former une équipe dans la
cohésion. Cela n'a pas pu être mis en place, les jeunes ont rapidement trouvé les failles de
chacun et du cadre en général et se sont immiscés dans les incohérences.
La problématique de ma recherche traite de l'influence que peut avoir le cadre dans la
sécurisation psychique des jeunes et l'instauration de l'autorité éducative dans un foyer.
b) Hypothèses de recherche
Au début de ce travail, je pensais traiter cette hypothèse : « entamer une réflexion sur le cadre
permet une reprise en main du travail éducatif ». Au fur et à mesure de l’avancée de ce travail,
mon hypothèse de départ s’est quelques peu déplacée et je me suis orientée plus concrètement
vers ce constat : « un cadre sécurisant permet la communication entre professionnels ainsi
qu'avec les jeunes et de cela découle le travail éducatif ».
Toutefois, j'avais également d'autres hypothèses de recherches secondaires :
− les adolescents que nous accueillons ont besoin d'être sécurisés pour pouvoir grandir.
− les actes de délinquance qu'ils commettent sont des appels à l'aide et au cadre.
- III -
− la mise en place d'une « réunion jeune » permettant aux jeunes de s'exprimer contribue à
leur reconnaissance par l'institution.
− la communication avec les jeunes permet d'individualiser la prise en charge en faisant
émerger leurs pensées, avis, désirs, etc.
− la reconnaissance par les jeunes de l'autorité éducative permet d'instaurer un travail
éducatif.
c) Méthode de recueil de données
◦ L'observation participante
Durant cette année de stage de professionnalisation dans ce foyer, j'ai tenu un carnet de bord
dans lequel j'ai noté certaines scènes, situations de la vie au foyer, mais également mes réflexions
vis-à-vis des façons d'entrer en relation, de se comporter avec les jeunes qu'ont développé mes
collègues éducateurs. La période d'observation des six premiers mois a mis en avant les
questions concernant le cadre, voire son absence, et l'autorité qui en émane.
Afin de réfléchir sur les difficultés rencontrées par le foyer durant le dernier trimestre de 2012, la
fréquence des réunions de fonctionnement (initialement prévue une fois par mois) et des séances
d'accompagnement d'équipe a été augmentée. Durant ces instances, des thématiques comme le
rôle du cadre dans un établissement éducatif, la mise en place d'activités, puis de planning
hebdomadaire personnalisé pour chaque jeune, la sanction, etc. ont été abordées. Ce fut une mine
d'informations pour moi car cela a donné lieu à des débats forts animés. Une importante partie de
mon observation s'est ainsi déroulée durant ces temps de paroles. J’appuie beaucoup mon propos
sur des prises de notes de réflexions de collègues ou de la hiérarchie entendues durant ces
réunions.
Je base également mon discours sur des paroles tenues lors de réunions de service, à l'occasion
de conversations avec des professionnels ou avec des jeunes.
◦ Les questionnaires
L'équipe éducative de ce foyer est composée de 15 éducateurs. Les rencontrer un à un pour
recueillir leurs opinions sur mon sujet de recherche était fortement compromis du fait de la
flexibilité du planning de la structure et des agents. De plus, mon propre emploi du temps de
formation m'amenant à m'absenter une semaine par mois pour me rendre au Pôle Territorial de
Formation, je ne parviens pas à croiser tous mes collègues. Ainsi, afin de contrer cette difficulté
et pouvoir prendre connaissance de la vision des différents éducateurs sur la question du cadre et
de l'autorité, j'ai opté pour la réalisation d'un questionnaire que je leur ai distribué.
- IV -
Ces questionnaires se composent de neuf questions ouvertes leur permettant de garder une liberté
dans leurs réponses. De plus, ce mode de recueil d'informations doit me permettre d'obtenir des
réponses élaborées à tête reposée, avec un certain recul par rapport aux questions, ce qu'un
entretien en tête à tête ne permet pas, de part la spontanéité qu'il nécessite. En outre, ils me
donneront la possibilité d'élaborer une première analyse sur la vision de chacun sur ces
thématiques étant donné que tous auront eu les mêmes questions. « Comme elle a pour objectif
de produire de la connaissance, l'enquête par questionnaire ne se situe pas à un niveau
exclusivement empirique. Elle engage un point de vue théorique […]. Le questionnaire est une
excellente méthode pour l'explication de la conduite. »152 Cet outil avait pour but de me
permettre de constater la diversité des points de vue des professionnels sur ces sujets.
◦ L'apport théorique
La littérature fournit un important apport théorique.
Néanmoins, dans un premier temps, je me suis quelque peu perdue dans les divers ouvrages,
articles et sites internet que j'ai pu consulter. La diversité des champs disciplinaires dans lesquels
on retrouve les concepts de cadre et d'autorité, m'a conduit sur des pistes très différentes. En
effet, chaque discipline ayant ses propres définitions, visions de l'autorité et par conséquent ses
propres principes théoriques, lesquels ne se croisent pas forcément, je me suis recentrée sur les
textes relevant principalement de l'éducation spécialisée.
Je me suis particulièrement intéressée à la pédagogie institutionnelle et au versant psychologique
concernant la question du cadre et de son caractère contenant et sécurisant.
d) Méthode d'analyse de données
J'ai rencontré des difficultés pour analyser les réponses aux questionnaires que j'avais distribués à
mes collègues éducateurs. En effet, je n'ai pu collecter qu'un tiers des quinze questionnaires
remplis, l'analyse des réponses en a été aisée mais peu représentative du fonctionnement du
foyer. Pour y remédier et afin de valoriser une approche qualitative et compréhensive du sujet,
j'ai accompagné ces questionnaires d'entretiens informels avec les éducateurs afin de pouvoir
affiner leurs réflexions sur les questions que j'aborde dans cette recherche.
De plus, j'ai pu, dans le cadre d'une observation participante à une réunion menée par la
directrice stagiaire sur le thème de la sanction, recueillir la parole d'éducateurs que je n'avais pas
encore pu analyser. Cela m'a permis d'investiguer de manière plus fine mon sujet.
Je me suis également intéressée à l'analyse institutionnelle et me suis appuyée sur certains de ses
152
DE SINGLY François, « L’enquête et ses méthodes : le questionnaire », Collection 128. Sociologie, Paris,
Nathan, 1992, 126 pages (p. 22-23).
-V-
concepts pour essayer de comprendre d'où venaient les problèmes rencontrées dans cette
structure.
e) Points forts et limites de la méthodologie
La force de cette méthodologie est l'importante documentation effectuée (pour le peu de temps
que nous avions pour le faire) sur les sujets traités dans cette recherche. Mais le revers de la
médaille est que j'ai pu, par moment, un peu m'y perdre. En outre, le fait de me baser en très
grande partie sur des informations tirées de conversations auxquelles j'ai assisté ou participé en
rend plus facile l'analyse, puisque elles sont directes.
Une des limites de cette méthodologie est que je ne suis pas parvenue à avoir la parole de chaque
professionnel, la démonstration que je tente de réaliser de l'hétérogénéité de cette équipe ne peut
donc pas se baser sur des réponses concrètes, mais plus sur des observations, impressions
globales. J'avais pensé réaliser des entretiens semi-directifs afin d'interviewer les collègues qui
n'avaient pas répondu à mon questionnaire. Cette manière de collecter des informations m'aurait
de plus offert une plus grande liberté puisqu'il me donnait la possibilité de rebondir sur les
paroles de mes interlocuteurs. Pour Lorraine SAVOIE-ZAJC, professeur au département des
sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais, dans l'entrevue semi-dirigée, le
chercheur se laisse « guider par le rythme et le contenu unique de l'échange dans le but
d'aborder, sur un mode ressemblant à celui de la conversation, les thèmes généraux qu'il
souhaite explorer avec le participant à la recherche. »153 De plus, pour mes collègues, il a aussi
l'avantage de les soutenir, de les accompagner dans la réflexion, probablement dérangeante pour
certains, initiée par mes questions.
Mais la principale limite de mon travail a été la difficulté à prendre, par moment, du recul sur
mon sujet, du fait de la temporalité de cette année. Réaliser le même nombre de services que les
éducateurs titulaires, suivre une semaine par mois la formation au PTF, réaliser un travail de
réflexion, d'analyse pour rédiger les divers écrits demandés durant cette année ne sont pas
facilitant et surtout très chronophage au vu de l'importance du travail que représente la rédaction
d'un mémoire professionnel. De plus, tout au long de ma recherche et de mon analyse, je devais
faire attention à rester à ma place d'observatrice de la situation et à ne pas tomber dans le
jugement.
153
GAUTHIER Benoît, sous la direction de, « Recherche sociale – De la problématique à la collecte des données »,
Québec : Presses de l'Université du Québec, 2009, 768 pages (p. 296)
- VI -
Questionnaire de l'éducatrice n°1
13 mars 2013
1. Quelle importance le cadre peut-il avoir dans les problèmes rencontrés ?
Lorsque le cadre n'est pas clairement identifié et donc identifiable, ça génère un climat
d'insécurité, autant pour les professionnels que pour le public accueilli. Ça induit le manque de
limites. Les gamins recherchent des limites car ils vont mal et on ne les aide pas à les trouver
avec un cadre confus dont les limites ne sont pas claires.
2. Dans quelles mesures peut-on contourner la règle ? Pouvez-vous donner un exemple où une
règle a été contournée pour un jeune ?
On peut contourner la règle dans la mesure où elle ne va pas à l’encontre de la Loi. On peut aussi
la contourner dès lors qu’elle s’adapte à une situation « exceptionnelle » ou à un besoin précis,
identifiés par le jeune et les professionnels. C’est le cas par exemple lorsqu’un jeune n’est pas
présent au repas parce qu’il a une activité sportive régulière et qu’il mange donc après l’horaire
prévu. Elle peut aussi être contournée dans le but de « travailler » autour d’une question liée à la
situation d’un jeune et devenir un outil de notre travail. C’est le cas par exemple quand certains
nous renvoient leur besoin d’autonomie ou besoin d’être considéré comme digne de confianceexemple : « je peux aller chez le coiffeur seul et je m’engage à vous ramener un justificatif »
alors que la règle consiste à l’accompagnement systématique des jeunes chez le coiffeur afin
d’être assuré d’avoir le fameux justif. Cela permet au jeune d’élaborer, de faire des propositions,
de se projeter et surtout de s’engager-à un moment et en fonction du jeune (âge, évolution au
foyer…) on peut prendre le risque de lui faire confiance…Contourner parfois la règle, qui de
façon générale est la même pour tous permet donc d’individualiser la prise en charge. Cela peut
permettre aussi d’amener le jeune à marquer une différence entre la règle et la Loi, entre ce qui
peut bouger et ce qui reste fixe.
3. Pouvez-vous m'expliquer ce que signifie, pour vous, « faire autorité » ?
« Faire autorité » c’est avoir la responsabilité et être garant des décisions prises. Ainsi la Loi fait
autorité car c’est à elle qu’incombe la décision finale, au même titre que les magistrats. Du point
de vue de la règle, l’éducateur fait autorité car c’est à lui qu’appartient la décision d’accepter de
la contourner ou pas.
4. Donnez-moi quels exemples d'autorité éducative.
L’autorité éducative est reconnue dès lors qu’on vient nous demander l’autorisation pour
contourner une règle. Les exemples sont multiples (demande d’aller chez le coiffeur seul, d’avoir
un quartier libre en dehors des horaires prévus etc. en bref, tout ce qui est extérieur au règlement)
5. Depuis quels temps, j'ai l'impression qu'il y a un changement dans le travail éducatif
effectué avec les jeunes. Pour vous, que s'est-il passé ?
Effectivement je partage ton impression-pour moi ce changement se remarque surtout par
- VII -
l’infantilisation des éducateurs à qui on impose le respect stricto sensu de la règle au même titre
que l’adolescent accueilli. Son travail se résumant alors de plus en plus au contrôle. L’espace de
liberté s’y trouve réduit, la prise de risque « éducative » étant alors renvoyée à un manque de
professionnalisme. L’obligation de résultat prime sur l’obligation de moyens. Cela se remarque
surtout depuis 2007 et les changements d’orientation politique dans la réponse donnée à la
délinquance des mineurs et à la stigmatisation de ces derniers, qu’on reconnaît de moins en
moins en tant que mineurs en dangers ou susceptibles d’évoluer par l’éducation. La distinction
entre mineur en danger et mineur délinquant est d’autant plus marquée que la PJJ n’a désormais
plus en charge que des mineurs dits délinquants. En marquant cette distinction, on ne part plus du
principe qu’il y a possibilité d’éducation et d’évolution, les sanctions devenant souvent les seules
réponses éducatives. La répression et le contrôle prennent alors le pas sur la prévention et
l’éducation (EPM, CEF, CJ, lois sur la récidive etc…).
6. Quelles sont les conditions indispensables pour que des éducateurs puissent accomplir au
mieux leur travail avec les jeunes et leurs familles ?
− Avoir les outils qui permettent de travailler avec les jeunes et leur famille comme :
− Travailler dans un lieu sécurisant, c'est-à-dire où les personnels peuvent travailler dans la
confiance et échanger librement autour de leurs pratiques. Qu’ils puissent se sentir
autorisés à partager leurs conceptions du travail, leurs idées mais aussi leurs
questionnements.
− S’appuyer sur la Loi 2002 qui place les familles et les jeunes accueillis au centre de la
prise en charge : entretiens d’accueil, synthèses avec les professionnels, temps de
rencontre avec les familles…
− A titre individuel, être en capacité de se mettre dans une attitude empathique avec la
personne accueillie et sa famille en mettant à distance ses propres jugements de valeurs.
Apporter une solution qui puisse être adaptée et acceptée par le jeune et sa famille.
Comprendre le fonctionnement familial dans lequel évolue le jeune (cf systémie)
− Temps de formation et d’analyse des pratiques pour les professionnels et aussi travail en
partenariat avec les différents réseaux existants.
7. Au PTF, une psychologue nous a dit que les interdits fondamentaux constituaient le « top 3
des règles » à faire respecter. Pouvez-vous me faire part de « votre top 3 » ?
Le même que tout le monde : les fondamentaux : interdit de l’inceste, de meurtre et de
cannibalisme, communs à toutes les sociétés et cultures.
8. Que représente la « loi symbolique » selon vous ?
La « loi symbolique » représente notre incomplétude qui permet de reconnaitre l’autre dans sa
différence et sa singularité. Cela se traduit par la conscience de l’autre et donc de bien agir à son
égard, de le respecter dans ce qu’il est et dans ses besoins sans les confondre avec les notres et
donc sans l’ « objetiser ». Cette notion me semble essentielle dans notre travail, où sous couvert
de bonnes intentions nous pouvons avoir tendance à enfermer la personne accueillie dans notre
propre représentation de ce que serait d’avoir une vie normale et donc dans nos attentes à
l’égard de ces jeunes gens. Pour les jeunes accueillis cette notion est aussi importante puisque
notre accompagnement consiste aussi à travailler autour du passage à l’acte à travers la prise de
conscience des actes commis et éventuellement à la réparation « symbolique » de ces actes.
- VIII -
9. D'après vous, quelles en ont été les causes des difficultés rencontrées au foyer ?
Un mélange de plusieurs facteurs- le plus important selon moi concerne les changements
d’orientation politique précédemment cités. Ces derniers semblent avoir une incidence
particulière sur le fonctionnement actuel du foyer. C’est le cas par exemple lorsqu’un
responsable d’unité est recruté sans avoir suivi la moindre formation professionnelle pour
exercer cette fonction et sans avoir la moindre expérience professionnelle dans le domaine.
Comment ce professionnel peut-il être considéré comme personne « ressource » sur laquelle
s’appuyer ? Comment ce responsable peut-il être garant du cadre et d’une éthique
professionnelle propre au travail éducatif ? S’ajoute à cela que ce même responsable est chargé
du recrutement, aussi bien des éducateurs que des intervenants extérieurs-que ces derniers se font
davantage par affinités personnelles que par compétences professionnelles avérées. Le niveau
d’exigence et l’offre de service public se trouve donc tirés vers le bas. Le niveau de débat et
d’élaboration, notamment pendant les temps de réunion n’est plus à la hauteur des
problématiques rencontrées, et laissent les professionnels en souffrance relayant leur travail à la
simple gestion du quotidien. A terme, ces conditions de travail ont un impact direct sur
l’évolution des mineurs qui subissent de plein fouet les dysfonctionnements internes, qui pouvent
alors générer de la violence subie puis agie de leur part.
- IX -
-X-
Questionnaire de l'éducatrice n°2
15 mars 2013
1. Quelle importance le cadre peut-il avoir dans les problèmes rencontrés ?
En hébergement le cadre correspond essentiellement aux règles de vivre ensemble.
Pour moi, le cadre doit permettre avant tout de « sécuriser » les jeunes au cours de leur
placement, il permet d’instaurer des repères et des limites. Lorsque les règles et les limites ne
sont plus clairement énoncées et que les pratiques des professionnels diffèrent trop les unes des
autres cela peut amener le jeune à réinterroger le cadre au travers notamment de passage à l’acte.
Toutefois, le cadre correspond également à l’organisation fonctionnelle du foyer. Ainsi
chaque personne de l’équipe éducative à une fonction qui participe au bon fonctionnement du
foyer. Parfois, une mauvaise communication, ou une mauvaise coordination entre les différents
acteurs de l’équipe éducative peut amener à des dysfonctionnements qui ont un impact direct sur
la prise en charge des jeunes au sein du foyer.
2. Dans quelles mesures peut-on contourner la règle ? Pouvez-vous donner un exemple où une
règle a été contournée pour un jeune ?
Comme je l’ai dit pour moi la règle et le cadre en général doit participer à poser des
limites mais surtout à poser des repères. Il arrive régulièrement de ne pas respecter strictement la
règle au vu d’un contexte particulier. Par exemple autoriser un jeune à sortir faire un tour aux
alentours du foyer en pleine nuit car il ne se sent pas bien. Repousser l’heure du coucher afin de
permettre de terminer une activité. Cela s’évalue en fonction du contexte.
Il ne s’agit pas vraiment de contourner la règle mais plutôt de l’adapter à une situation
particulière.
3. Pouvez-vous m'expliquer ce que signifie, pour vous, « faire autorité » ?
« Faire autorité » pour moi signifie avoir créé une relation avec le jeune qui lui permette
de reconnaître l’adulte à une place d’éducateur. L’autorité est selon moi liée à la notion de
confiance. C’est parce que le jeune a pu créer une relation de confiance avec l’éducateur qu’il
peut s’autoriser à reconnaître à ce dernier un certain nombre de compétences liées à sa fonction.
Ainsi il me semble que le simple fait d’être éducateur ne suffit pas à « faire autorité », il
me semble que ce n’est pas l’éducateur qui impose son autorité mais bien le jeune qui à un
moment donné accepte de reconnaître l’éducateur comme faisant autorité c’est-à-dire comme
faisant référence pour lui.
4. Donnez-moi quels exemples d'autorité éducative.
Il me paraît difficile de donner des exemples concrets de ce qu’est l’autorité éducative.
L’autorité éducative se traduit selon moi par le fait que le jeune est dans l’adhésion à
l’accompagnement proposé par l’éducateur à qui il reconnaît la compétence de pouvoir
- XI -
l’accompagner dans son évolution.
5. Depuis quelques temps, j'ai l'impression qu'il y a un changement dans le travail éducatif
effectué avec les jeunes. Pour vous, que s'est-il passé ?
Je pense que c’est surtout la composition du groupe de jeunes qui a permis un
changement du travail effectué. D’une part, la plupart des jeunes actuellement placés sont en
formation au cours de la semaine et de plus se sont pour beaucoup des placements de longue
durée. Il est donc plus facile de les inscrire sur les projets proposés par le foyer. De plus, quand
les placements sont préparés et donc les objectifs fixés à l’avance il est plus facile de travailler
son projet avec le jeune.
La composition du groupe a eu je pense un impact direct sur le fonctionnement de
l’équipe et a permis de se repositionner notamment par rapport au cadre et d’impulser de
nouveaux projets.
Il me semble que nous sommes actuellement moins dans l’urgence.
6. Quelles sont les conditions indispensables pour que des éducateurs puissent accomplir au
mieux leur travail avec les jeunes et leurs familles ?
Ó
Ó
Ó
Ó
Ó
Un cadre institutionnel répondant aux cahiers des charges.
Des locaux en bon état.
Une bonne communication entre les professionnels.
Une bonne cohésion d’équipe.
Des pratiques professionnelles
7. Au PTF, une psychologue nous a dit que les interdits fondamentaux constituaient le « top 3 des
règles » à faire respecter. Pouvez-vous me faire part de « votre top 3 » ?
Je n’ai pas vraiment de top 3. Toutefois, il me semble que les règles auxquelles nous ne pouvons
pas déroger sont celles qui sont liées au respect de la loi et les règles liées au respect.
Toutefois, nous ne sommes pas toujours en mesure de « faire respecter » ces règles mais il me
semble que l’important est surtout de rappeler la règle. Par exemple les sorties non autorisées ou
bien la consommation de cannabis au sein du foyer, nous n’avons pas forcément les moyens
d’intervenir toutefois il me semble qu’il est indispensable de rappeler systématiquement la loi ou
bien la règle qui n’est pas respectée et pouvoir aménagé des espaces où ces faits feront l’objet
d’une reprise.
8. Que représente la « loi symbolique » selon vous ?
Selon moi la loi symbolique correspond aux règles et aux valeurs du vivre ensemble qui
s’imposent à tous, elle précède et va au-delà de la loi édictée par le législateur.
- XII -
9. D'après vous, quelles en ont été les causes des difficultés rencontrées au foyer ?
Je pense que les difficultés rencontrées au foyer sont le résultat d’un certain nombre de
circonstances.
De mon point, une partie des causes des difficultés tient à l’organisation institutionnelle.
Quand je suis arrivée au foyer (septembre 2011), l’équipe éducative sortait d’un été qui avait été
compliqué du fait notamment d’un manque de personnel qui a duré jusqu’à janvier 2013. De
plus, 2011-2012 a été marqué par une succession de période de travaux qui ont rendu tour à tour
certaine partie du foyer inutilisable.
Pendant cette période les groupes qui se sont succédés étaient essentiellement des
groupes où les jeunes n’avaient aucune activité (formation-scolarité) et peu d’activités étant
proposés au sein du foyer nous avons pu observer rapidement se mettre en place des dynamique
de groupe assez négative qui ont conduit à plusieurs reprises à des mainlevées collectives. Je
pense qu’il appartient donc à l’équipe éducative d’être attentive à favoriser une dynamique de
groupe constructive, ce qui a été rendu d’autant plus difficile au cours de cette période au vu du
contexte institutionnel que j’aborde juste avant.
En outre, ces période compliquée au foyer a eu il me semble un impact direct sur le moral
et l’envie de l’ensemble de l’équipe éducative. J’ai eu pour ma part parfois le sentiment que nous
gérions nos services sans vraiment faire de lien avec le service d’avant.
- XIII -
- XIV -
Questionnaire de l'éducatrice n°3
15 mars 2013
1/ Quelle importance le cadre peut-il avoir dans les problèmes rencontrés ?
Ta question est déjà très ciblée ! Les problèmes ne sont pas explicités. Cette question dirige, aux
primes abords, le lecteur vers une direction glissante.....
Néanmoins :
Le cadre, dans une acception éducative, représente le socle de notre travail « fastidieux » et
pénible. En ce sens où, il est un préalable aux liens éducatifs, où il borne les limites et par là
même les « j'ai le droit de… », du groupe de jeunes pris en charge auprès de la PJJ.
On peut aussi, prendre le cadre d'une façon plus académique et expliquer la hiérarchie
administrative et également la hiérarchie des normes, (les traités, les Lois, les décrets et le
règlement du foyer de Bagneux).
Quelle importance le cadre revêt ?
Il inscrit les mineurs dans leur prise en charge quotidienne.
C'est donc une ligne droite attachée à la mission des encadrants et ils sont les garants de leur
prise en charge. C'est une délimitation et une explication des règles auprès des sujets accueillis.
Pour certains les règles doivent être respectées, pour d'autres elles ont pour objectif d'être
contournées.
Néanmoins, à la PJJ, elles doivent être inlassablement répétées et nécessitent d'être respectées,
par tous les personnels.
2/ Dans quelles mesures peut-on contourner la règle ? Pouvez-vous donner un exemple où la
règle a été contournée pour un jeune ?
1/
Pour moi, la seule et unique mesure où la règle peut être contournée, c'est quand cette dernière
n'est pas d'ordre publique, voire d'ordre privé, en ce sens où elle impacte sur la liberté individuel.
En ce sens où elle s'applique à tous.
Ce qui est interdit est d'ordre législatif (conventions internationales (déclaration des droits de
l'enfant, par exemple), code pénal (Loi, décrets, etc.)) dans le respect de la hiérarchie des normes.
Et d'ordre du droit privé (droit à la correspondance, respect des individus)….
Certains sociologues expliquent que la règle établie, peut avoir comme objective (personnelle)
d’être contournée. Ainsi il existe des règles des normes impératives (par ex : « tu ne tueras
point » fait parti des interdits fondamentaux comme « l’inceste », d’ailleurs.)
2/
La règle, en ce sens revêt une notion de « règle de vie en collectivité », afin de réguler la vie en
collectivité au sein d’un collectif PJJ. Ainsi, je peux citer comme exemple :
En we, les levers des jeunes sont établis par « règlement intérieur » à 10 heures. Cependant, lors
- XV -
que je suis de service sur ces plages semaines, quand les mômes sont régulièrement en formation
toute la semaine, il m’arrive de les lever à 11h30.
Pourquoi ? Car étant inscrit toute la semaine dans un processus de formation, j’estime, qu’ils
peuvent, se reposer, se relacer, dans la chambre institutionnelle. Est-ce que cela met en péril tant
leur regard sur le cadre éducatif au foyer ? Est-ce que cela impact sur l’heure de leur coucher,
suivi ?
Le cadre de leur prise en charge a comme préalable, « l’adhésion du jeune », seule arme
éducative que possède l’éducateur.
3.
Pouvez-vous m'expliquer ce que signifie, pour vous, « faire autorité » ?
Je pense qu’il ne faut pas confondre « Autorité » et « Autoritarisme ». En ce sens où :
1/ L’autorité s’impose-t-elle d’elle-même ?
Comment un éducateur fait-il autorité ?
Avec les différents profils d’éducateurs que nous avons. Nous sentons bien que cela semble
avant tout attaché à la personnalité de l’agent administratif. A sa posture éducative avec les
jeunes. A ce titre, la notion d’exemplarité, me semble fondamentale. « Fais pas ce que je fais,
mais fais ce que je te dis ». Par définition les mômes qui nous sont confiés ont eu un parcours de
vie chaotique, déchiré, violent, abandonnique…Ils sont souvent dans la défiance avec l’adulte.
Car écorchés vifs, ils ne peuvent pas « faire confiance », à l’adulte. Ils ne veulent pas rentrer
dans ce monde « d’adulte », qui les a souvent baladés, défiés et laissés seul.
Donc « faire autorité » est être constant et présent dans la prise en charge éducative ? La parole
prononcée doit être respectée. Et mise en œuvre par tout le corps éducatif.
2/ » L’autoritarisme », pour moi revêt un sens totalitaire, une obligation sans argument voir sans
fondement légitime .C’est une posture exempt d’une attitude respectueuse de l’adulte encadrant.
C’est imposer quelque chose sans l’argumenter, le verbaliser, souvent avec le ton qui va avec :
« fais ça ! c’est comme ça, c’est moi qui décide, parce que je l’ai dis ». C’est une posture
violente pour les jeunes, qui les aide à s’engouffrer dans une contre réaction négative et asociale.
D’ailleurs pour certains, la prise en charge va se cantonner uniquement à contourner les règles du
foyer. Et à faire monter l’éducateur en réaction à …..
A l’échelle géo-politique « l’autoritarisme » a fourni des régimes sanguinaires et mis des peuples
sous le joug de dictateurs meurtriers.
4.
Donnez-moi quels exemples d'autorité éducative.
C’est arriver à emmener le jeune à réaliser une tâche initier par l’éducateur, débarrasser son
assiette, arrivée à la mettre dans le lave-vaisselle.
C’est convaincre le mineur de se rendre à sa formation, alors qu’il ne veut plus si rendre « parce
que on y apprend que des conneries. Que les cours sont trop nuls….. ».
C’est arrivé à avoir le contrat de travail de Zoé et de le dupliquer, malgré le fait qu’elle ne voulait
pas le transmettre à l’équipe.
C’est vivre un temps avec les jeunes. Et dans cette quotidienneté, avoir une régularité dans
l’échange et dans l’agir avec eux.
- XVI -
5./ Depuis quelque temps, j'ai l'impression qu'il y a un changement dans le travail éducatif
effectué avec les jeunes. Pour vous, que s'est-il passé ?
La société a évolué vers une orientation PJJ dans le tout pénal. « La politique » veut mettre les
mômes ayant les mêmes difficultés familiales, sociales, culturelles, dans un unique lieu : Les
foyers PJJ. Résultat aucune régulation inter active entre les personnalités des jeunes, peut
s’opérer dans un sens positif du terme. Il y a encore 5 ans. Nos foyers brassaient des prises en
charge civiles et pénales. Cela créait une alchimie dans la prise en charge du collectif et une
auto-régulation des jeunes était visible.
Dorénavant l’invisibilité, dans un processus éducatif progressif institutionnel met à mal cette
alchimie. Ainsi, avant le môme pouvait prétendre à obtenir avec des préalables (formation, PJM,
maintenant MJM) un studio individuel, avec une prise en charge éducative (Service
d’hébergement individualisé). Pour des raisons économiques et politiques, cela n’existe plus.
Mais cette « carotte » ce système dit « progressif », ne fait plus parti de nos palettes de
proposition pour les enfants.
D’ailleurs, dans une institution, quand les termes changent cela annonce un mouvement de
réforme….. Changement de noms pour un changement de monde ?
6.
Quelles sont les conditions indispensables pour que des éducateurs puissent accomplir au
mieux leur travail avec les jeunes et leurs familles ?
1/ Etre en nombre suffisants, afin que les changements de service amènent une capacité d’écoute
et de non fatigue des éducateurs pour être opérationnels dans leur tâches quotidiennes auprès des
mineurs.
2/ Tout ce qui peut être anticipé, doit l’être.
Réunion, synthèses, audiences, compte-rendu, rapports…
Ce qui va permettre de ne pas toujours être « sous pression » et de ne pas être dans »
l’affolement », ce qui renvoi au jeune des notions anxiogènes.
3/ Avoir le temps de penser son action ou non action éducative, d’élaborer de rendre compte tant
à l’équipe qu’aux différents partenaires….
Ne pas être que dans l’agir mais penser l’agir avant de la plaquer dans l’éducatif.
4/ C’est bien, tu n’as pas oublié les familles, qui dans 95% des cas vont récupérer leurs
progénitures.
Leur cooptation dans la prise en charge est fondamentale, pour mettre ou remettre du lien.
Et cela est rappelé par la Loi de 2002. Le législateur a voulu rappeler aux institutions que
l’enfant a toujours une famille (notion de l’autorité parentale ) et que cette dernière doit être
convié « au moins une fois par an », dans les lieux et places du lieu, où a été placé leur enfant.
7.
Au PTF, une psychologue nous a dit que les interdits fondamentaux constituaient le « top
3 des règles » à faire respecter. Pouvez-vous me faire part de « votre top 3 » ?
1/ Tu ne tueras point.
2/ Tu n’incesteras point tes enfants.
3/Tu ne nuiras pas à autrui, attaque contre les personnes et les biens…..
Certes je suis partie sur un volet juridique
- XVII -
8.
Que représente la « loi symbolique » selon vous ?
C’est une entité, en ce sens où cela n’est pas physique mais invisible et intemporel, cependant
cela est.
La loi symbolique est l’apanage des psychologues. C’est ce qui va faire appel au conscient,
préconscient et inconscient. Elle fixe un cadre intellectuel et culturel, dans les échanges entre
humains. Pour Moi, elle est un des fondements de l’équilibre psychique d’un jeune. Elle
commence à avoir des effets dès la prime enfance, à la phase du fondement narcissique primaire.
A notre niveau, elle arrive souvent tard dans la vie des jeunes qui nous sont confiés. Cependant
c’est un préalable à la structuration psychique du jeune, mieux vaut tard que jamais !).
9.
D'après vous, quelles en ont été les causes des difficultés rencontrées au foyer ?
Au début manque patent d’éducateurs, ce n’est plus le cas à l’heure actuelle.
Manque de temps dans les réunions institutionnels, pour échanger et caler les pratiques
professionnelles.
Manque d’élaboration et réflexions dans les prises en charge des mineurs
La création d’un nouveau corps de métier dans la chaîne hiérarchique de la PJJ au sein des
hébergements.
Impréparation de ce nouveau corps de métier, la formation des RUE et venus après leur
nomination.
- XVIII -
Questionnaire de l'éducatrice n°4
17 mars 2013
1. Quelle importance le cadre peut-il avoir dans les problèmes rencontrés ?
Le cadre est important puisqu'il est un ensemble de règles + un positionnement qui sont établis et
durables ce qui permet de donner des repères aux jeunes et les sécuriser.
Certains « problème » que nous rencontrons viennent d'un manque de cohérence au sein des
pratiques de chacun pour que ce cadre reste en place malgré les circonstances par rapport aux
problématiques rencontrées.
2. Dans quelles mesures peut-on contourner la règle ? Pouvez-vous donner un exemple où une
règle a été contournée pour un jeune ?
Par qui ? Jeunes ou éducateurs ?
Une règle peut connaître une exception en cas de circonstances particulières nécessitant une
adaptation par rapport à une individualisation.
Mais il ne s'agit pas d'un « contournement » puisque la décision est prise par une personne
garante de la règle (éducateur, équipe).
Un jeune quant à lui, contournera la règle, la loi lorsqu'il l'ignore, ne la comprend pas ou
lorsqu'elle n'est pas suffisamment dissuasive.
3. Pouvez-vous m'expliquer ce que signifie, pour vous, « faire autorité » ?
« Faire autorité » c'est assurer et assumer une posture qui garantit le respect des règles
applicables et une réponse cohérente en cas de transgressions.
Faire autorité n'est pas donner des ordres et peut passer par le « faire avec » pour montrer
l'exemple.
4. Donnez-moi quels exemples d'autorité éducative.
•
•
•
•
Mettre la table avec les jeunes
porter plainte en cas de dégradations,...
faire appliquer une décision d'équipe même si d'un point de vue personnel on ne
l'approuve pas
respecter le jeune en face de soi.
5. Depuis quelques temps, j'ai l'impression qu'il y a un changement dans le travail éducatif
effectué avec les jeunes. Pour vous, que s'est-il passé ?
•
•
•
Plus d'échanges en équipe sur des questions de la vie quotidienne et donc plus de
cohérence.
Le développement de projets et la mise en place d'activités
davantage de jeunes qui ont une formation ou suivent une scolarité
- XIX -
6. Quelles sont les conditions indispensables pour que des éducateurs puissent accomplir au
mieux leur travail avec les jeunes et leurs familles ?
•
•
•
•
•
•
•
Sécurité
cohésion d'équipe
un cadre établi et porté par tous
soutien et présence hiérarchique
du recul sur sa pratique
des temps d'écoute et d'échanges institutionnalisés
un budget adapté aux besoins
7. Au PTF, une psychologue nous a dit que les interdits fondamentaux constituaient le « top 3 des
règles » à faire respecter. Pouvez-vous me faire part de « votre top 3 » ?
•
•
•
violences envers autrui (physiques, verbales, psychologiques)
atteintes à l'intégrité sexuelle, inceste
consommation de stupéfiants
8. Que représente la « loi symbolique » selon vous ?
La loi symbolique représente l'ensemble des interdits fondamentaux qui sont rappelés de façon
permanente aux jeunes par un certain nombre de « symboles » qui rappellent le cadre de la loi :
murs de l'institution, posture éducatives...
9. D'après vous, quelles en ont été les causes des difficultés rencontrées au foyer ?
•
•
•
Travaux trop longs
absence de discussion et d'analyse des pratiques de chacun, difficultés à se dire les
choses
accueils d'urgence imposés par la hiérarchie + augmentation des prises en charge qui
relèvent de la pédopsychiatrie / soin
- XX -
Réunion sur la Sanction
(retranscription retravaillée)
30 avril 2013
animation :
présents :
excusés :
absents :
la directrice stagiaire (que je ferai apparaître sous l’appellation DS)
le Responsable d'Unité Éducative (RUE) et quatre éducateurs titulaires et moi
(que je dénommerai E1, E2, E3, E4 et E5)
le directeur et une éducatrice en vacances, une éducatrice en arrêt maladie, deux
éducateurs en démarche à l'extérieur et l'éducatrice qui avait travaillé la nuit
précédente.
quatre éducateurs
DS : Le thème de cette réunion de fonctionne est aujourd'hui celui de la sanction. Comme vous
le savez c'est le sujet que j'ai choisi pour mon mémoire. Cette réunion a été repoussée de
nombreuses fois par la force des choses, on n'est pas nombreux mais on va parler tous ensemble
de la sanction et de la transgression..
Lors des incidents de la fin de l'année dernière, de septembre à décembre 2012, nous avons eu
des vol (le vélo d'un éducateur, les sacs de deux éducateurs, des clés de véhicules administratifs),
des paroles particulièrement ordurières d'une jeune fille placée), des dégradations de matériel
puis des agressions physiques (sur trois éducateurs et moi-même). Ce climat continue encore par
moment, mais les incidents sont moins graves mais nous avons des fugues répétées, des retours
tardifs, un non respect de la parole des éducateurs.
Face à ce constat, je me suis demandée ce qu'était la mission des éducateurs ?...
Éducateur JF : mais ils n'ont pas peur des éducateurs.
DS : Certes... ces jeunes n'ont pas eu de cadre dans leur famille. Notre mission est de leur
redonner un cadre, un rythme au quotidien, ce sont les objectifs généraux décrits dans le cahier
des charges des UEHC.
Face à cela, j'ai observé ce qu'il se passait, j'ai essayé de comprendre, j'ai fait des hypothèses
pour comprendre d'où venait le problème. Et une d'entre elles est qu'il y a un problème au niveau
de la gestion des incidents.
E4 : Le problème vient surtout de la non occupation du temps des jeunes quand ils arrivent, on
les laisse errer, ils ne font rien, se promènent, au début ça va puis ils prennent la confiance. Et
c'est trop tard.
DS : il me semble qu'on n'explique pas assez les règles, notre posture n'est pas assez ferme, dès
le départ.
E2 : Il y a des jeunes qui ont un emploi du temps, mais quand ils sont au foyer, ils sont dans la
- XXI -
transgression dans le sens où ils ne font pas ce qu'ils devraient faire. Ils pourraient être en
insertion, que tout se passe bien mais ils n'y vont pas, rentrent tard au foyer ou sont en fugue... il
n'y a pas forcément de lien entre l'emploi du temps et le respect du cadre.
DS : Comment gère-t-on les incidents ? Pas forcément les gros incidents, mais les retards
répétés, les fugues. Comment on réagit ? Est-ce approprié ? Il faudrait qu'on trouve des réponses
plus originales que ce qu'on fait maintenant. Je vous propose donc qu'on réfléchisse et qu'on
mette en place un document indicatif (comme une échelle d'indication, avec des réponses
graduelles), dans lequel on pourrait piocher en fonction du jeune, de la situation pour pouvoir
travailler en amont et éviter de faire quatre demandes de mainlevées en même temps comme au
mois de novembre.
Car quand on reprend la procédure de gestion des incidents, chaque fois c'est la même chose,
entretien de recadrage avec la direction, note d'incident envoyée au magistrat puis demande de
mainlevée. Et globalement, on s'y tient, on le fait tout le temps.
Mais avant d'en arriver à l'entretien avec la direction, il pourrait y avoir plein de petites réponses
qui pourraient être mises en place (réparations, dégagements...).
Alors je suis allée regarder dans le règlement de fonctionnement parlant des transgressions (pour
partir de choses qui ont déjà été réfléchies en équipe), car des choses existent et elles sont
respectées.
5 – LA GESTION DES CRISES, LES MANQUEMENTS AU REGLEMENT.
Les adultes présents au foyer sont garants du respect du règlement.
Le respect des règles de fonctionnement est indispensable à la vie en collectivité. C’est
pourquoi, tout manquement au règlement de l’UEHC doit faire l’objet d’une sanction,
c'est-à-dire d’une réponse adaptée, progressive et constructive de l’adulte.
La sanction poursuit des objectifs de responsabilisation, de réparation des dommages causés et
de prise en compte des éventuelles victimes. Elle est déterminée, sous l’autorité de la direction,
par les membres de l’équipe éducative; l’adolescent est toujours avisé de la décision.
Tout manquement à la loi donnera lieu à l’ouverture d’une procédure (au commissariat : dépôt de
plainte, main courante, au tribunal : signalement au magistrat).
Les familles et les magistrats sont alors systématiquement informés.
Enfin, si une remise en cause du placement s’avère inévitable avant le terme fixé par la décision
judiciaire, le foyer s’engage à proposer aux magistrats une solution, y compris dans les
situations d’urgence.
(extrait du règlement de fonctionnement fourni lors de la
réunion)
J'ai été interpellée par « réponse adaptée, progressive et constructive » car si l'entretien de
recadrage de la direction est la première réponse apportée, ce n'est pas progressif, cela devrait
être un des derniers échelons. Que faire si le jeune commet quelque chose de plus grave ? En
effet, ce n'est donc pas adapté car on fait toujours la même chose.
E2 : tout dépend ce qu'on met dans les entretiens de recadrage. Et puis il y a en a plusieurs, il y
en a avec les éducateurs, d'autre avec un éducateur et la direction. Et c'est toujours la même
chose, ça dépend de ce qu'on y dit. Et de ce que le jeune a fait.
- XXII -
DS : il y a des choses négociables et d'autres qui ne sont négociables ? Pour les non-négociables,
les agressions sur le personnel154 donne lieu à une demande de mainlevée, on est OK. Mais pour
les dégradations sur le matériel ?
E5 : ce qu'on devrait faire dans ces situations, c'est la réparation, mais on n'arrive pas à la mettre
en place et c'est dommage car ça pourrait être intéressant pour les responsabiliser.
DS : ça leur permettrait de se civiliser, à se responsabiliser, à prendre conscience des faits qu'ils
ont commis. Par exemple l'histoire des yaourts.
E2 : par le biais de la réparation, ils peuvent se restaurer, après avoir effectué leur réparation, ils
peuvent se sentir fiers de soi, d'avoir rendu ce qu'ils avaient pris... d'être quittes.
DS : la sanction n'est pas forcément négative. On fait la réparation avec le jeune, ça crée du lien.
E5 : Oui quand on parle de sanction, dans l'idée, on voit un truc négatif, c'est le mot qui véhicule
ça.
DS : On va essayer de définir les termes et concepts de cadre, sanction et ce sur quoi on peut
laisser passer.
E1 : dans le cas des réparations pour des dégradations matérielles, il faut qu'on fasse appel à un
tiers (l'ouvrier professionnel (OP) qui est chargé des petits travaux), car on n'a pas les
compétences pour changer une vitre, nous. D'autant plus qu'il serait d'accord pour prendre les
jeunes avec lui.
E2 : oui, mais la réparation pour le jeune, ça pourrait être de donner de son temps pour
accompagner l'OP pour aller acheter la vitre et de l'aider pour la changer.
E1 : mais on a un autre problème, c'est celui de l'adhésion des jeunes. Quand ils ne sont pas
adhérents, il faut qu'on se soutienne tous ensemble dans cette démarche, ne pas lâcher jusqu'à ce
que le jeune effectue sa réparation.
E5 : mais c'est bien là notre problème, être tous ensemble. Il faut que toute l'équipe tanne le
jeune jusqu'à ce qu'il fasse sa réparation. Mais comment faire ?
RUE : et pour ce faire, notre seule arme, c'est le discours éducatif, la parole. Et du moment qu'on
est tous OK sur le but à atteindre : la réparation, qu'importe le moyen qu'on utilise.
Ensuite, la difficulté c'est d'arriver à fixer un cadre « il faut que tu fasses ta réparation, qui
154
Le week-end précédant la réunion, une éducatrice avait été agressée par un jeune, une demande de mainlevée de
son placement avait été envoyée au magistrat. Cet événement avait été relaté avant le commencement de cette
réunion. Nous étions tous d'accord avec cette procédure, d'où cette affirmation.
- XXIII -
prendra cette forme, tel jour, avec tel éducateur. Et qu'il s'y tienne !
E1 : notre problème, c'est qu'on a tendance à botter en touche, on reporte au lendemain, on le fait
avec les démarches, le rechargement des cartes de transport, l'achat de médicaments, la prise de
certains rendez-vous, les entretiens d'accueil... et c'est un phénomène que font aussi bien les
éducateurs que les jeunes...
E4 : à une époque, plus personne n'y croyait, on n'avait plus d'envie. On venait au foyer, parce
que c'est de notre devoir, mais sans réelle motivation.
E1 : oui et puis c'est un cercle vicieux, on a un peu lâché l'affaire,
DS : on n'est pas aussi cadrant qu'on devrait l'être. Les jeunes ont ressenti qu'il y avait une faille
et vont dedans.
E1 : mais tout ça, faudrait que le cadre soit clair pour les jeunes ! Il faut qu'on prenne le temps de
poser le cadre. Que les choses soient beaucoup plus solennelles qu'on en le fait. Parfois,
l'entretien d'accueil a lieu deux semaines après l'arrivée du jeune. N'étant pas réellement informé
des règles de fonctionnement du foyer, il déborde du cadre, mais après on a du mal à rattraper les
choses. Le cadre n'est pas posé de manière suffisamment solennelle. Les entretiens d'accueil
devraient se faire dans les deux ou trois jours après l'arrivée du jeune. Et il faut qu'on prenne le
temps pour poser le cadre.
E2 : pour revenir aux agressions physiques. On doit le poser de manière solennelle, « on ne peut
plus travailler avec toi », que ce soit clair pour eux.
E4 : on le dit toujours « l'accueil est super important », car après on ne peut plus rattraper la
situation. Dès lors qu'on a loupé le coche à l'accueil, après on peut plus rien faire et on lâche, on
baisse les bras...
E5 : parce que face à des jeunes qui ont un fonctionnement un peu procédurier ou qui cherchent
la petite bête, ils vont revenir sur une fois où on leur a permis de faire quelque chose, et après on
se retrouve coincé.
DS : j'ai remarqué que durant les réunions de service, nous n'étions pas tous au courant des
mêmes choses, il faudrait qu'on passe plus de temps à parler du quotidien, pur qu'on soit plus
cohérent.
E1 : pour revenir à l'accueil, on doit insister sur l'insertion, si ils en ont une tant mieux, mais si ce
n'est pas le cas, on leur fait un emploi du temps dont ils doivent honorer les rendez-vous.
E4 : à l'accueil, on pourrait aussi leur faire signer une charte, « en cas de dégradation, il faut
- XXIV -
réparer ». Et tant que ce n’est pas fait, on doit pas lâcher.
DS : la sanction est d'autant plus facile à appliquer que les règles ont été clairement exposées.
Les jeunes que l'on accueille ne sont pas des enfants de chœur mais si les règles sont claires c'est
plus facile.
E2 : face à des questions des jeunes qui sort de l'ordinaire, nécessitant un temps de concertation
des éducateurs, peut-être ne devrait-on plus laisser le doute, plus leur dire « attends, je ne sais
pas, je vais en parler en réunion et te donnerai la réponse plus tard ». Car ça laisse aux jeunes
l'impression qu'il y a une faille dans le règlement, qu'il y a une zone floue... Je pense qu'on
devrait leur dire de prime abord « non », en leur expliquant que cette réponse pourra évoluer.
Comme ça c'est plus simple, après discussion en équipe, de dire « oui » ou « oui mais... » que
l'inverse, refuser alors qu'on avait accepter dans un premier temps.
E4 : on pourrait aussi leur demander de faire leur demande par écrit, pour qu'ils formulent leurs
motivations, qu'ils argumentent les raisons, le contexte de leur demande. En insistant sur le fait
que les demandes écrites auront plus de poids que les demandes orales, « les écrits restent, les
paroles s'envolent »...
DS : oui ça pourrait être fait pour la veille de la réunion.
Mais revenons aux sanctions, au cadre...
E4 : c'est bien tout ce que vous faites, mais on le fait chaque année.
DS : alors pourquoi ça marche pas ?
E5 : mais parce qu'il y a toujours des personnes qui ne tiennent pas le cadre, qui lâchent tout. Et
il y a des personnes qui ne participent pas aux réunions. Là on est cinq...
DS : mais il y a bien un moyen de tenir informer les absents ? Des comptes-rendus...
E5 : il suffit de lire le cahier de réunion. Mais faut-il encore que tout le monde le fasse...
DS : faut qu'on soit tous plus strict et qu'on s'investisse plus dans les réunions, ça permettrait de
porter tous ensemble les questions de fonctionnement. Et aussi de retravailler la motivation de
l'équipe.
RUE : ben oui, pour être meilleur, faut qu'on mette les mains dans le cambouis.
DS : j'ai en effet, l'impression que dans cette structure, on est beaucoup dans la culture de l'oral.
C'est pour cette raison que je vous ai préparé des documents supports et que j'ai réalisé un
échéancier sur trois temps de réunions. Et je vous ferai aussi un relevé de décisions. Faut qu'on
- XXV -
soit clair et précis.
Bon revenons au « cadre », qu'est-ce que le cadre pour vous ?
E1 : à par la Loi, le cadre est fixé par l'ordonnance de placement du magistrat. Notre cadre
d'intervention et surtout celui du jeune est son obligation de placement. Il faut qu'on passe du
temps à la relire, qu'on l'explique au jeune. C'est le début de tout !
DS : effectivement... parlons un peu de l'entretien d'accueil, comment les faites-vous ? Car je sais
comment se déroulent les entretiens d'accueil que la direction met en place...
E1 : on le fait le premier jour, ou le lendemain, si le jeune arrive très tard ou qu'il est très fatigué.
O lui explique les règles de base.
E5 : enfin, ça dépend... parce que le règlement de fonctionnement n'est pas accessible facilement,
on ne peut donc pas le leur donner dès leur arrivée. Mais en théorie, on avait, en effet, dit qu'on
leur donnait le règlement, avec la charte des droits des usagers et le livret d'accueil dès leur
arrivée et qu'on leur laissait le temps de le regarder et qu'on en reparlait avec eux le lendemain,
tranquillement. Mais ce n’est jamais le même éducateur qui est là deux jours de suite. Il faudrait
le marquer dans le cahier de consignes et que ce soit réellement fait...
E2 : parce que du coup, vu qu'on ne le fait pas, on va leur reprocher des trucs qu'on ne leur a pas
expliqués. Mais on leur dit quand même les axes principaux (retour pour 19h, qu'il faut rien
casser, les choses de la vie en général).
E5 : On a tendance à se baser sur le fait qu'ils le savent mais il faut quand même qu'on le leur
dise réellement. Comme ça, si on leur a déjà dit une fois, ils ne peuvent pas dire qu’ils ne
savaient pas et on peut leur faire des reproches quand c'est nécessaire.
E2 : on leur dit l'essentiel, et l'essentiel c'est « tout ce qui est interdit à l'extérieur est interdit à
l'intérieur ! », c'est le cas pour la violence, la consommation d'alcool pour les mineurs, le
cannabis, etc...
E4 : mais on a le problème de leur chambre, car ils nous disent souvent « c'est ma chambre, je
fais de que je veux dedans ». C’est compliqué car on leur dit sans cesse que c'est un lieu que
l'institution leur prête le temps de leur placement, que ce n'est pas « leur » chambre. Mais d'un
autre côté, il est toujours mieux qu'ils puissent réellement se sentir un peu « chez eux » dans leur
chambre.
E2 : pour moi la question principale est « pourquoi est-on obligé de leur proposer des
activités ? » Parce que les activités qu'on leur propose relèvent du loisir, de l'occupationnel.
DS : on peut leur faire faire de la remise à niveau...
- XXVI -
E2 : mais on n'est pas qualifié pour ça...
RUE : vous savez bien que pour la remise à niveau, on peut les amener vers l'extérieur, ou faire
venir des intervenants spécialisés.
E4 : je pense qu'on pourrait dire que par exemple le mardi, il y a remise à niveau, pour tout le
monde, les scolariser et les autres... au moins, on leur trouve une raison de pas aller ailleurs et de
faire des « bêtises ».
E2 : mais on ne peut proposer les mêmes choses à des mineurs étrangers qui ont besoin de cours
de FLE et à des jeunes qui sont en bac pro... ce n’est pas cohérent.
E1 : il faudrait qu'on réfléchisse à savoir si toutes les activités sont obligatoires ou si certaines le
sont et pas d'autres (et dans quelles conditions). Car franchement, moi, dans la vie de tous les
jours, je n’ai pas envie de tout faire. Alors on peut comprendre que les jeunes n'aient pas envie de
faire du slam, du marouflage, du foot, de la remise à niveau, etc.
E3 : je pense que toutes les activités doivent être obligatoires au moins la première fois, pour
qu'ils découvrent. Car certains jeunes, à part le foot ou la musculation, ne voudront jamais
essayer d'autres activités qui pourtant peuvent les intéresser.
E2 : mais les activités d'expression, tu ne peux pas les contraindre à les faire !
E3 : non mais on peut les obliger à y assister une fois pour savoir ce que c'est, pour qu'ils
découvrent, car ça peut leur plaire, alors que si on ne les a jamais incités à y aller, ils ne sauront
jamais si ça les intéresse.
E1 : Si on avait plein d'activités, on ne pourrait pas leur demander de tout faire, ils ont le droit
d'avoir un peu de temps pour eux.
E3 : mais on n'a pas plein d'activité.
DS : les activités permettent de connaître davantage les jeunes, de les voir dans un autre
contexte, de rentrer en relation avec eux. On peut adapter les activités en fonction de leurs
problématiques, pour individualiser la prise en charge.
RUE : Faire des activités permet de former un groupe, de créer une osmose.
DS : la question des activités est très compliquée ici, nous en avons déjà parlé e cela fera l'objet
d'autres réunions de fonctionnement, entre autre à l'occasion de la mise à jour du projet de
service.
- XXVII -
Revenons donc au cadre... Il faut que nous-mêmes, on ait plus de cadre pour apporter du cadre
aux jeunes.
Donc on fixe des règles (qui sont indiquées dans le règlement de fonctionnement) pour limiter
l'action des jeunes. On en parle durant l'entretien d'accueil, on dit ce qui est interdit mais aussi ce
qui est positif. Eirick PRAIRAT écrit dans Ce que sanctionner veut dire155 :
« S’il est bon que les règles de vie fixent avec clarté les obligations et les interdictions, il n’est
pas bon en revanche qu’elles se résument à une liste d’interdits car le travail de socialisation
doit s’inscrire dans un espace marqué par le pôle des interdits et celui des licences. »
E5 : qu'entendez-vous par « ce qui est positif » ?
E3 : ce qui est permis, les droits car il n'y a pas que les devoirs, les interdictions...
DS : la transgression est le fait de transgresser un cadre fixé précédemment. Ces jeunes n'ont pas
de cadre, notre travail est donc de leur en apporter un.
E5 : et face à l'insulte? Face à l'agression verbale, on fait quoi ? Parce qu’on ne va pas répondre,
on ne va pas être dans une réaction en miroir, du coup on encaisse mais au bout d'un moment,
c'est plus possible...
DS : face à cela, vous n'avez pas à subir. L'autorité, c'est nous, on doit agir, par le discours,
toujours par la parole, mais jamais en miroir.
Faisons un point sur la différence entre la punition et la sanction.
E1 : la punition c'est forcément négatif, ce n’est pas constructif, c'est l'aspect négatif de la
sanction, alors que la sanction peut être positive.
E2 : oui en fait, quand ils transgressent, c'est qu'ils veulent qu'on s’occupe d'eux, or on va porter
plainte, on va au commissariat, on passe du temps mais pas avec les jeunes. Tandis qu'avec la
réparation, on passerait du temps avec eux à faire cette action. Et puis ça nous permettrait
d'essayer de comprendre pourquoi ils ont fait ça. On doit être dans l'empathie, comprendre
pourquoi et ce n’est pas forcément dans un dépôt de plainte et un entretien de recadrage que ça
peut se faire.
DS : Eirick PRAIRAT, dans le même ouvrage, écrit :
« La sanction n'est pas uniquement l'interdiction, elle doit s'inscrire dans une dynamique de
reconstruction du lien social […]. La sanction est le moyen de promouvoir un sujet responsable
en lui imputant les conséquences de ses actes. Elle contribue à l'éducation de l'enfant en lui
attribuant la responsabilité de ses actes. Le pire est moins la transgression que l'ignorance de la
transgression. »
155
La Directrice stagiaire avait fait une sélection de citations tirées de divers ouvrages sur « les transgressions, le
cadre, l'autorité, la punition, la sanction et la réponse), qu'elle nous a distribuée.
- XXVIII -
E3 : la dernière phrase est intéressante. « Le pire est moins la transgression que l'ignorance de la
transgression. », je pense que nous avons été dans ce cadre, quand en octobre, novembre, toutes
les portes ont été cassées, sans qu'il n'y ait de conséquences claires pour les jeunes, on a rien fait
de marquant, du coup, on a laissé aux jeunes l'illusion qu'ils pouvaient tout faire sans que ça ait
de conséquences.
DS : je ne suis pas d'accord, on a porté plainte pour dégradations, on a fait une note d'incident
globale puisqu'on ne savait pas qui avait commis les actes.
E3 : oui mais concrètement, ça a eu quelles conséquences pour les jeunes ? Si ce n'est pas classé
sans suite, ce sera une « affaire » qui sera jugée un an après les incidents, audience à laquelle les
éducateurs ne seront pas présents, qu'est-ce que les jeunes en comprennent dans l'immédiateté ?
DS : essayons de faire un tableau avec les règles qui sont négociables et celles qui ne le sont pas.
Puis dans un second temps, lors de la réunion prochaine, nous réfléchirons aux réponses que l'on
peut apporter en fonction de la gravité. La graduation prendra la forme d'une réponse verbale
pour commencer puis une réponse-action quand la parole ne suffit pas.
E5 : toutes transgressions méritent une réponse, puisque « le pire est l'ignorance de la
transgression. » Mais il y a toujours une réponse !
E2 : ça dépend qui travaille. Parfois certains font comme s'il n'y avait rien.
E1 : mais qu'est-ce qu'on entend par négociable et non-négociable ? Quelle sera la différence
dans la réponse ? Note au magistrat ? Demande de mainlevée ? Réparation ?
RUE : il faut en effet qu'on distingue l'intervention judiciaire et l'intervention éducative.
E5 : car sous prétexte d'individualiser la prise en charge on a tendance à passer sur les
infractions, pour pas « charger » les jeunes.
E2 : c'est vrai, une fois, j'avais dit à un jeune qui était sans cesse dans la provocation et l'insulte
avec moi que j'allais porter plainte contre lui et en réunion, on avait conclu que ce n’était pas
indispensable, que son placement prenait bientôt fin.
E1 : en revanche, face à l'insulte, on doit être solidaire entre nous, et dire au jeune que quand il
insulte un éducateur, c'est tous les éducateurs qu'il insulte et du coup, qu'on lâche pas.
E2 : parce que certains éducateurs ont tendance à sous-entendre que c'est le comportement des
éducateurs qui induit les insultes des jeunes, que c'est en fonction des éducateurs.
E5 : c'est facile, on met la faute sur l'éducateur, et du coup, plus de solidarité ! Alors qu'on sait
- XXIX -
bien que quand les jeunes insultent, c'est bien la fonction, les éducateurs, qu'ils attaquent, pas la
personne en tant que telle.
DS : quand on ne répond pas à leur comportement, les jeunes peuvent se fixer sur un éducateur.
En se disant que ce n’est pas grave puisqu'il ne se passe rien quand on l'insulte. C'est l'esprit
d'équipe qui permettra de remédier à ça. Les insultes sont faites à toute l'équipe éducative.
E1 : si on reprend le cadre de notre mission en tant qu'éducateur en foyer, on doit protéger,
contrôler et surveiller les jeunes placés. On ne veut pas l'admettre mais notre mission relève de la
surveillance, c'est la base de l'éducation, aussi bien pour les éducateurs que les parents. On a le
droit de garde donc on doit les protéger, les surveiller et les contrôler. Bien sûr, on ne fait pas que
ça. Mais faut qu'on se pose la question de savoir si c'est toujours fait et si on le fait bien ?
Tableau-bilan sur les règles négociables et non-négociables
Règles non-négociables
Règles négociables
Le cadre horaire (retour tardif, débordement Les agressions physiques sur les personnels
du cadre de la salle d'activité, des horaires des (donnent lieu à demande de mainlevée)
repas, goûters, etc.
Les agressions verbales, du moment que ça ne La consommation de cannabis dans la
se répète pas sur la même personne
structure
Les « petites » transgressions où la parole Les dégradations de matériel (mais sans
suffit pour apporter une réponse
demande de mainlevée)
Les agressions verbales répétées
Quand c'est la première fois
Chaque fois que les actions se répètent
- XXX -
GAVARD Agnès
Titre : Action d'éducation et autorité éducative – Pédagogie et cadre institutionnels
Thème : L'influence du cadre sur la reconnaissance de l'autorité éducative en UEHC.
Résumé : Est-il légitime de se questionner sur le cadre et l'autorité quand on travaille à la
Protection Judiciaire de la Jeunesse, dans un Établissement de Placement Éducatif ?
Lors de mon stage dans un de ces établissements, j'ai été confrontée à de nombreux incidents,
qui témoignaient de difficultés des adultes à poser un cadre clair, contenant et sécurisant pour
les jeunes accueillis. Les mineurs placés au pénal ont un important besoin d'être cadrés du fait
du processus de transformation qu'ils vivent à l'adolescence et de part les manifestations de
demande d'aide qu'ils formulent en commettant des actes de délinquance.
Comment faire comprendre ce besoin de cadre à des jeunes en difficultés et qui ne
reconnaissent pas les règles de la société ? Et comment poser ce cadre pour que celui-ci soit
sécurisant pour les jeunes et mais aussi pour les adultes et qu’il devienne la base d’un travail
d’autonomisation et de resocialisation des adolescents placés au pénal ?
Ce travail tente de répondre à ces questions à partir d'une analyse des problèmes de
fonctionnement de l'institution pour mettre en évidence l'influence que le cadre a dans le travail
éducatif et dans la reconnaissance chez les jeunes des éducateurs comme figures d'autorité. La
communication permet l’élaboration d'une action éducative cohérente, mais également d'une prise
en charge favorisant la reconnaissance de chacun (jeunes comme adultes), élément indispensable
pour un travail en commun vers la reconstruction sociales des jeunes délinquants.
Mots clés : Cadre sécurisant – Autorité éducative – Pédagogie institutionnelle – Cohérence
éducative – Communication – Médiations