1 Pratiquer la sanction éducative

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1 Pratiquer la sanction éducative
CRDP de l’Académie d’Aix-Marseille – Éducation & Devenir
Le système éducatif en questions – Autorité et sanctions
mercredi 23 novembre 2011 – IUFM La Canebière – Marseille
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Pratiquer la sanction éducative :
perspectives ouvertes par la circulaire n° 2011-111 du 1er août 2011
Bruno ROBBES
Maître de conférences en sciences de l'éducation
Université de Cergy-Pontoise/IUFM de Versailles
Laboratoire EMA (École, mutations, apprentissages) - EA 4507
Après avoir situé les enjeux d’une pratique de la sanction et de l’exercice de l’autorité dans le contexte
sociétal actuel, je préciserai la notion de sanction éducative, en m’appuyant notamment sur ses buts
et ses caractéristiques tels que les travaux d’Eirick Prairat les ont mis en évidence. Partant de ces
er
repères, je proposerai une « lecture » de la récente circulaire n° 2011-111 du 1 août 2011 (Bulletin
Officiel spécial n° 6 du 25 août 2011).
1. Des enjeux de l’exercice de l’autorité et d’une pratique de la sanction dans le
contexte sociétal actuel
Lorsqu’on évoque l’exercice de l’autorité aujourd’hui, on oscille entre laisser-faire et
répression, autoritarisme et refus d’intervenir.
Parce que plusieurs discours sur (et pratiques de) l’autorité coexistent, définir ce dont
on parle est indispensable, car trop souvent encore, le sens commun confond
l’autorité avec un pouvoir de contrainte, l’associe à un recours possible à la force.
En ce sens, j’ai nommé « autorité autoritariste » la relation où le détenteur d’une
fonction statutaire exerce une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une
obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission.
J’ai également qualifié d’ « autorité évacuée » la tendance, répandue dans notre
société actuelle et dans les métiers de l’éducation, à refuser l’idée même d’autorité et
son exercice, justifiée par son caractère prétendument illégitime et anti-éducatif.
J’ajoute immédiatement que parler d’autorité à propos de ces deux conceptions n’est
qu’un artifice de langage, car ni l’une ni l’autre ne relèvent de l’autorité. L’ « autorité
autoritariste » est abus de pouvoir, l’ « autorité évacuée » déficit d’exercice d’autorité.
En conséquence, ces deux types d’attitudes comportent des risques pour l’enfant ou
l’adolescent. La première barre tout échange entre sujets (donc tout processus
éducatif) par l’exercice de la violence ; la seconde est finalement indifférente à
l’éduqué puisqu’elle le laisse livré à lui-même, l’oblige à se chercher seul ses propres
limites. En considérant le jeune comme un sujet prématurément responsable de ses
actes, donc en ne créant pas les conditions éducatives, pédagogiques, didactiques
pour qu’il s’exerce à accéder progressivement à la responsabilité sur sa propre vie et
dans ses relations aux autres, l’autorité dite « évacuée » suppose le processus
éducatif achevé en s’abstenant d’y participer.
Tout l’enjeu de ce que j’ai appelé « l’autorité éducative » va consister à maintenir
quoiqu’il arrive la relation d’éducation, ce qui passe par d’abord par la posture de
l’éducateur (conviction de l’éducabilité du jeune, volonté, désir ?), mais aussi la
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possibilité (je pense au problème de la formation professionnelle des enseignants)
du détenteur de l’autorité statutaire d’influencer celui sur lequel son autorité s’exerce.
Certains propos d’enseignants que j’ai recueilli – et que vous connaissez – montrent
que l’autorité reste connotée péjorativement et que son exercice relèverait d’autres
professionnels (« je ne suis pas entrée dans l’enseignement pour faire le flic », « ce
qui m’énerve c’est d’avoir à passer du temps à faire la police »). Modifier ses
représentations de l’autorité afin d’appréhender ce qu’est l’autorité éducative est un
préalable.
Ainsi, cette autorité éducative n’est pas un « mal nécessaire » de la relation
humaine. Elle est un fait institutionnel (l’existence de places distinctes crée de fait
des relations d’autorité) et une relation qui se construit dans et par l’action (« celui
qui fait autorité… n’est pas autoritaire. C’est la compétence qui fait l’autorité et les
enfants ne s’y trompent pas. Encore faut-il que cette autorité se traduise par des
actions observables » (Oury & Pain, 1972, p. 305) ).
Elle est surtout un lien anthropologique consubstantiel de l’existence de l’espèce, un
trait distinctif sélectionné devenu une relation fondatrice de l’humanisation, en même
temps qu’un principe régulateur du lien social (Marcelli, 2003). L’autorité a pour
fonction d’assurer la continuité générationnelle, de donner des clés d’entrée dans le
monde déjà là, des clés de compréhension du monde à la génération qui vient, de lui
ouvrir « doucement la scène du monde » (Locke, repris par Prairat, 2010, p. 43). Et
Prairat poursuit : « l’éducateur est celui qui permet au nouveau venu d’être de ce
monde, il l’accueille et l’introduit dans l’ordre symbolique de l’humain », car « on
n’entre jamais seul dans le monde. (C’est une) vérité anthropologique ».
De cette place, qu’il le veuille ou non, tout personnel dans une institution est d’abord
un adulte aux yeux des jeunes, avant d’être identifiés par son statut. Sa place est
donc double au plan symbolique, générationnelle et institutionnelle. Elle situe
l’adulte/professionnel dans une position asymétrique.
De sa place générationnelle (adulte/jeune), l’adulte signifie qu’il existe une différence
d’âge entre lui et le jeune et qu’à ce titre, il est le dépositaire d’une culture et le
garant du respect des interdits anthropologiques fondateurs de toute vie sociale
(interdit d’inceste, de meurtre, de parasitage). Par exemple, c’est au nom de l’interdit
de meurtre (de violence) que tout adulte de l’établissement va intervenir lorsqu’il
observe des propos ou actes sexistes, discriminatoire des garçons à l’égard des
filles. C’est au nom de l’interdit d’inceste que l’on interviendra si l’expression de
préférences dans les relations entre jeunes ou avec les adultes (qui relèvent de la
sphère privée) envahissent l’espace public.
Par sa fonction institutionnelle (chef détablissement, personnel vie scolaire,
enseignant/élève), le professionnel dispose d’un statut qui détermine son rôle dans
l’institution, sa mission particulière, distincte mais complémentaire de celle d’un
autre. Ce rôle déterminé par le statut relève de la définition même de l’école comme
lieu d’enseignement.1.
1
Il se rapporte aux missions premières de l’école, du professeur : « Instruire les jeunes qui lui sont confiés, (…)
contribuer à leur éducation et (…) leur assurer une formation en vue de leur insertion sociale et professionnelle »
(circulaire n°97-123 du 23 mai 1997).
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Au plan général, cette double place d’adulte/professionnel renvoie à la problématique
du non négociable, c’est-à-dire à la capacité à poser et à tenir un cadre contenant
porteur de limites structurantes. Encore faut-il au préalable que le non négociable
soit précisé, défini, explicité et connu de tous2. Le non négociable se distingue du
négociable, par le fait qu’il s’applique à l’adulte/professionnel comme au jeune/élève
et qu’il ne peut être remis en cause ni par l’un, ni par l’autre. C’est en s’appuyant sur
ce non négociable que l’adulte/professionnel peut déterminer les situations où il aura
à poser un acte – geste ou parole d’autorité – par lequel il cherchera à arrêter net
l’acte transgressif ou la discussion permanente. L’enjeu consiste à demeurer dans un
acte d’autorité éducative, acte non autoritariste, mais qui signifie un « non » sans
ambiguïté ni remord. Une fois l’acte posé, une reprise éducative est possible dans un
temps différé.
Etre à sa place d’adulte/professionnel, c’est donc être garant de ce non négociable et
bien sûr, se l’appliquer à soi-même. A propos de la question du respect dans la
relation avec le jeune, cela signifie par exemple adopter cette posture éthique
fondamentale que j’ai appelée le « respect initié par l’adulte ». J’écris à ce propos :
« Le respect du jeune pour l’adulte ne se développera que si l’adulte, dans une
première intention, fait le premier pas avant de l’attendre de l’autre. Il naît d’une
posture éthique « primordiale » de l’adulte : c’est sa position générationnelle qui,
parce qu’elle lui donne de fait une antériorité sur le jeune, l’oblige à prendre l’initiative
de transmettre le respect sans condition préalable » ; « Un tel respect a une valeur
« d’exemple » et d’ « identification », qui engage les jeunes à la réciprocité. Enfin et
c’est peut-être l’essentiel, le respect initié par l’adulte témoigne de la considération
qu’il porte aux jeunes » (d’après Robbes, 2010, p. 187).
Si l’on évoque maintenant les enjeux d’une pratique de la sanction dans le second
degré, le problème se pose dans des termes assez proches de ceux employés à
propos de l’autorité : malgré la circulaire n°2000-105 du 11 juillet 2000, qui a marqué
une rupture importante et a constitué un indiscutable progrès s’agissant de la mise
en oeuvre des sanctions3, nous oscillons entre des mesures répressives plus
répandues que les sanctions éducatives, l’absence d’intervention ou l’impuissance.
Dans certains établissements, les règlements intérieurs s’emplissent d’interdictions
de plus en plus strictes, d’échelles de sanctions inapplicables (et inappliquées) ou de
permis à points (qui sont en fait une accumulation d’interdits, puisque devoirs et
droits ne sont pas articulés) et qui ne fonctionnent pas pour les élèves les plus en
difficulté de comportement. Des enseignants souvent démunis reproduisent des
pratiques punitives traditionnelles peu efficaces, puisque ce sont toujours les mêmes
élèves qui recommencent et sont punis.
2
Exemples de formulations du non-négociable dans la classe.
Interdit d’inceste : « ici, je ne suis l’enseignant d’aucun élève en particulier, mais celui de tous les élèves ».
Interdit de meurtre (de violence) : « ici, on échange, mais pas n’importe comment. On est entre être humains et
on est là pour vivre ensemble ».
Interdit de parasitage et fonction institutionnelle : « Ici, c’est une classe. Le professeur enseigne et l’élève
apprend ».
3
Puisqu’elle a distingué punitions scolaires et sanctions disciplinaires, introduit quatre principes fondamentaux du
droit qui régissent les institutions judiciaires dans tout pays démocratique (légalité des fautes et des sanctions,
contradictoire, individualisation, proportionnalité).
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Quelques publications permettent de prendre la mesure de la situation actuelle :
l’ouvrage du sociologue Pierre Merle (2005), L’élève humilié. L’école, un espace de
non-droit ? Un ouvrage du psychologue belge Benoît Galand (2009) au titre lui aussi
évocateur : Les sanctions à l’école et ailleurs. Serrer la vis ou changer d’outils ?
Enfin, le 6 avril 2010, à l’occasion des Etats Généraux de la sécurité, le quotidien Le
Monde titrait : « L’exclusion, principale réponse à la violence scolaire ». Il indiquait
que chaque jour de classe, 95 collégiens ou lycéens étaient définitivement exclus de
leur établissement scolaire et plus de 2000 écartés temporairement. J’ai moi-même
recueilli des propos d’enseignants tout à fait éloquents (« ces élèves ne sont pas
dignes d’être enseignés par moi », « cet élève n’a rien à faire dans notre
établissement »). Des professeurs revendiquent ainsi de limiter leur métier à
enseigner des savoirs qu’ils détiennent et abdiquent parfois toute ambition
pédagogique, au prétexte que l’autorité professorale n’est pas acquise d’emblée ou
que l’élève réel ne correspond pas l’élève attendu. Cette position, dont l’exclusion de
classe ou d’établissement constitue l’acte emblématique, contrevient au respect de
l’obligation scolaire. Elle aboutit à nier l’essence du métier de professeur (transmettre
l’héritage des savoirs) et la fonction sociale de l’école : faire apprendre tous les
élèves, pas seulement ceux dont la connivence culturelle avec l’école en fait des
jeunes aux comportements conformes aux attentes des professeurs. Au plan
fonctionnel, il s’agit d’articuler le droit disciplinaire des élèves4 avec le droit à
l’éducation. Comme vous le savez sans doute, ce constat est à l’origine de la
dernière circulaire n° 2011-111 du 1er août 2011.
En disant cela, je ne dis pas qu’il n’y ait pas des situations (notamment d’urgence) où
l’exclusion (ou plus subtilement, la sortie de classe) n’est pas nécessaire. Mais pour
une institution de formation, exclure ne peut pas être une fin en soi. Elle doit toujours
se poser la question du sens de l’exclusion : Pourquoi j’exclus ? L’acte posé peut-il
permettre au jeune d’évoluer positivement dans son comportement, de se remettre
au travail ? Comment l’inclure à nouveau dans la collectivité ? Il s’agira donc de
trouver des modalités de sanction qui, tout en marquant l’infraction, vont permettre
au jeune de raccrocher à l’institution.
Ces questions qui touchent au sens de la sanction me conduisent maintenant à
préciser la notion de sanction éducative.
2. La notion de sanction éducative
Eirick Prairat (1997) définit la sanction (ou la punition) « au sens large comme l’acte
par lequel on rétribue un comportement qui porte atteinte aux normes, aux lois, aux
valeurs ou aux personnes d’un groupe constitué » (p. 11).
Il précise que derrière la sanction ou la punition, il y a toujours une intention de
l’adulte qui sanctionne ou punit. Cette intention dépasse l’acte et lui donne sens5.
4
Sur cette notion, voir Obin, J.-P. (1999). La sanction éducative (pp. 1-5). Site de Jean-Pierre Obin [En ligne].
http://www.jpobin.com/pdf6/1999lasanctioneducative.pdf
5
Prairat distingue quatre formes de punition, associées à quatre postures corporelles :
- la punition-expiation / le corps meurtri (la douleur, faire mal à l’auteur) ;
- la punition-signe / le corps marqué (montrer du doigt, inscrire) ;
- la punition-exercice / le corps dressé (répétition, faire, refaire et encore refaire) ;
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Pour lui encore, quand celui qui sanctionne est dans la répétition du même et que
cela n’a aucun effet sur le comportement de celui qui est sanctionné, la sanction ne
fait plus sens. Il faut alors réfléchir à autre chose. Parce que l’action de punir n’a de
sens que s’il en résulte quelque chose de bon pour l’enfant (donc si elle s’intègre au
processus d’éducation) et parce que le but premier de l’éducation est de libérer, non
de soumettre ou d’asservir, Prairat développe la notion de sanction éducative.
21. Les buts de la sanction éducative
La sanction éducative poursuit une triple finalité : éthique, politique, sociale.
Finalité éthique. L’école étant un lieu d’apprentissage et de formation, elle est un
lieu d’exercice, c’est-à-dire un lieu où le droit à l’erreur de l’apprenant est reconnu, un
lieu où sont amortis, et non supprimés, les effets des actes des élèves. La
transgression, sous certaines conditions, fait donc partie du processus de
« construction du sujet sociomoral » (Prairat, 2003, p. 78). La sanction est mise en
oeuvre pour aider à un moment donné un sujet singulier à grandir, à être davantage
auteur de lui même. Elle « est un moyen de promouvoir l’émergence de la liberté
d’un sujet en lui imputant les conséquences de ses actes » (p. 79). « Il ne s’agit donc
pas d’attendre que l’élève (ou l’enfant) soit responsable mais de le sanctionner de
telle manière qu’advienne en lui un sujet responsable » (p. 80).
Finalité politique. « La sanction vise à rappeler la primauté de la loi (l’ordre
symbolique structurant constitué par les règles sociales du groupe) et non la
prééminence des adultes (détenteurs de l’autorité statutaire) » (Prairat, 2003, p. 80).
Le risque ici, c’est la réactivation du pouvoir du maître, le règne de l’arbitraire,
l’exercice de la violence de l’adulte sur l’enfant. « Devenir éducateur, nous dit Prairat,
c’est précisément renoncer aux sirènes du pouvoir pour devenir le garant d’une loi à
laquelle on est soi-même soumis » (p. 81). La loi fait lien entre un « je » et un « tu »
pour faire advenir un « nous ». La finalité politique de la sanction est de rappeler la
loi pour préserver l’identité et la cohésion du groupe. La sanction doit ainsi permettre
à l’élève de retrouver sa place dans le groupe.
Finalité sociale. La sanction est un coup d’arrêt à la spirale du « faire mal/se faire
mal », non une contre-violence censée annuler une violence première. Elle consiste
à laisser une trace psychique, pas à se venger. L’éducateur doit assumer un « non »,
loin des pièges de la séduction (dire « oui » toujours). La sanction est un moyen par
lequel un enfant élabore sa culpabilité, se réconcilie avec lui-même puis avec l’autre.
Elle travaille sur la prise de conscience de la faute commise. Elle vise « à réorienter
un comportement pour renouer le lien social que la transgression a défait (…) à
réinscrire le coupable dans le jeu social de la réciprocité et reconstruire le lien social
blessé (en redonnant) à la victime (sa) place pleine et entière » (Prairat, 2003, p. 83).
En ce sens, il est généralement inefficace de demander à un élève qu’il s’excuse sur
le champ. La formulation d’excuses sincères sera le résultat d’un travail éducatif, qui
parfois prendra du temps (Robbes, Schrèque, 2010). L’éducateur sera amené à
distinguer dans ses actions celles indispensables immédiatement, de celles relevant
d’un processus de fond inscrit dans le court, le moyen, le long terme.
- la punition-bannissement / le corps évincé (renvoyer, mettre au piquet, exclure).
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22. Les principes (ou caractéristiques) de la sanction éducative
Selon Prairat toujours, la sanction éducative comprend quatre caractéristiques :
Principe de signification. La sanction éducative s’adresse à un sujet. En
conséquence, la pratique de sanctions collectives est anti-éducative. « Elle détruit
l’autorité du maître qui, en l’utilisant, démontre en fait son impuissance à pratiquer la
justice » (Dottrens, 1960, p. 76, cité par Prairat).
En conséquence, la sanction éducative ne s’inscrit pas dans une logique du
spectaculaire ou de la dissuasion. « Il ne s’agit pas de faire voir mais de donner à
penser » (p. 86). De plus, elle appelle la parole, éventuellement ritualisée : revenir
sur la transgression et ses conséquences, demander, écouter, expliquer ce qu’on
refuse. Même s’il n’est jamais sûr du résultat, l’éducateur doit faire un effort de
pédagogie pour la faire comprendre. La sanction éducative est donc tournée vers
l’avenir d’un sujet considéré comme éducable.
Principe d’objectivation. « On ne punit pas l’intégrité d’une personne mais un
acte particulier (…) commis dans une situation particulière. On ne sanctionne
pas un voleur mais un vol, on ne punit pas un tricheur mais une tricherie » (p. 88).
On ne sanctionne donc pas des intentions. On n’est pas dans l’accusation sans fin,
puisqu’on sanctionne pour ne plus avoir à le faire.
Principe de privation. La sanction éducative « peut être privation de l’exercice
d’un droit », à condition que les droits et les devoirs de chacun soient lisibles à
l’école. Elle peut être « privation d’usage, interdiction d’activité, mise à l’écart
temporaire… Il s’agit de priver le contrevenant des avantages de la communauté »
(p. 89). « Le ressort de la sanction éducative est la frustration » (p. 90), pas
l’humiliation.
Principe de socialisation. « La sanction doit s’accompagner d’un geste du
coupable à l’attention de la victime ou du groupe (…) geste d’apaisement, de bonne
volonté qui manifeste le souci de rester solidaire ». Il faut souvent inciter le coupable
à faire ce geste qui « peut prendre différentes formes : une petite déclaration, un mot
d’excuse, un engagement… ». « En acceptant une procédure réparatoire, le
contrevenant signifie ses nouvelles intentions, son envie de rester membre du
groupe ou de renouer des liens avec la victime » (p. 91).
3. Quelles perspectives ouvertes par la circulaire n° 2011-111 du 1er août 2011
(Bulletin Officiel spécial n° 6 du 25 août 2011)6
La nouvelle circulaire vise clairement à faire baisser le nombre de conseils de
discipline et d’exclusions définitives. Pour cela, elle fait un certain nombre de rappels
utiles et comprend trois nouveautés réglementaires, qui renforcent
incontestablement l’esprit du texte précédent dans le sens d’une pratique de la
sanction éducative. Cependant, la nouvelle circulaire impose un changement
6
J’ai développé une analyse approfondie de cette circulaire sur le site du Café Pédagogique (Robbes, 2011, 21
novembre).
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majeur dans les prérogatives du chef d’établissement qui vient contredire le sens
de ce bel édifice.
Trois remarques générales avant de reprendre ces points en détail.
Premièrement, le thème du harcèlement est très présent dans le texte, comme en
écho aux mesures ministérielles prises suite au récent rapport d’Éric Debarbieux7.
Deuxièmement, la nouvelle circulaire renforce le caractère de juridicisation8 des
procédures disciplinaires…
… à travers les précisions entourant la convocation éventuelle du conseil de discipline, l’articulation
entre procédures disciplinaire et pénale, procédures disciplinaire et civile (p. 11-13) ou encore
l’insistance sur la nécessité de traces écrites en cas de refus du chef d’établissement de saisine du
conseil de discipline lorsqu’une demande écrite émane d'un membre de la communauté éducative («
il notifie par écrit à l'intéressé sa décision de refus motivée », p. 11) ou lorsqu’il notifie la sanction à
9
l'élève voire à son représentant légal, « par pli recommandé le jour même de son prononcé » .
Le recours de plus en plus fréquent des chefs d’établissement à de solides conseils
juridiques ne va-t-il pas dès lors s’imposer, face à des personnels ou des parents10
qui connaissent de mieux en mieux leurs droits et en usent ?
Troisièmement, le nouveau texte s’accompagne d’une seconde circulaire relative au
règlement intérieur11. Celle-ci prévoit la mise en place d' « une charte des règles de
civilité », adoptée par le conseil d'administration en même temps que le règlement
intérieur, qui en reprend les principaux éléments sous une forme simplifiée. On peut
s’interroger sur l’introduction d’une telle charte. Qu’apporte-t-elle de plus que le
règlement intérieur ? Observons que seul ce dernier est en mesure de contenir des
règles de droit. Or, les règles de civilité ne sont pas des règles de droit. À travers la
charte des règles de civilité, s’exprime la volonté du rédacteur d’inclure dans l’école
une préoccupation sociétale sur laquelle les adultes sont actuellement très portés, ce
qui ne manquera pas d’entraîner de vifs débats entre eux et avec les jeunes.
Néanmoins, cette charte aura l’avantage d’objectiver ce que les adultes attendent
des élèves dans ce domaine.
11. Trois nouveautés réglementaires
7
Observatoire international de la violence à l’école pour UNICEF France (mars 2011). À l’école des enfants
heureux… enfin presque. Une enquête de victimation et climat scolaire auprès des élèves du cycle 3 d’écoles
élémentaires [En ligne]. http://www.unicef.fr/userfiles/UNICEF_FRANCE_violences_scolaires_mars_2011.pdf
Voir également : http://www.education.gouv.fr/cid57417/la-lutte-contre-le-harcelement.html
8
La juridicisation consiste à rapprocher les textes réglementaires de l’Éducation nationale des principes généraux
du droit.
9
« En vertu de la loi du 11 juillet 1979, la sanction notifiée à l'élève doit être motivée, sous peine d'être irrégulière.
Concrètement, cette obligation légale est respectée si la notification de la sanction est accompagnée des motifs
écrits, clairs et précis, de fait et de droit qui en constituent le fondement. Les mentions des voies et délais de
recours (voir en annexe) contre les sanctions prononcées, soit par le chef d'établissement, soit par le conseil de
discipline, doivent toujours figurer sur la décision susceptible de faire l'objet d'un recours, à peine d'inopposabilité
des délais de forclusion » (p. 13).
10
Voir cet ouvrage récent rédigé par une avocate : Piau, V. (2011). Les droits de l’élève. À l’école, au collège, au
lycée. Paris : François Bourin Éditeur.
11
er
Circulaire n° 2011-112 du 1 août 2011, publiée au Bulletin Officiel spécial n° 6 du 25 août 2011 relative au
règlement intérieur dans les établissements publics locaux d'enseignement.
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L’exclusion temporaire de la classe
Elle vient s’ajouter aux deux autres types d’exclusions relevant des sanctions
disciplinaires : l’exclusion temporaire de l’établissement et l’exclusion définitive.
La circulaire présente aussi l’intérêt de distinguer les quatre types d’exclusions
possibles et d’en préciser les modalités de mise en œuvre.
Ainsi, l’exclusion ponctuelle d’un cours relève d’une punition scolaire et est
encadrée. Un point engage les professeurs qui pourrait s’avérer difficilement tenable
en pratique : « Toute punition doit faire l'objet d'une information écrite du conseiller
principal d'éducation et du chef d'établissement » (p. 5).
Les trois types d’exclusion suivants sont intégrées à l’échelle réglementaire des
sanctions disciplinaires : l'exclusion temporaire de la classe, l'exclusion temporaire
ou l'exclusion définitive de l'établissement (p. 6). Remarquons : la distinction claire
entre exclusion de cours (punition scolaire) et exclusion de classe (sanction
disciplinaire) ; pour l’exclusion de classe, la double obligation d’accueil de l’élève
dans l’établissement et de concertation préalable de l’équipe pédagogique et
éducative. Il y a d’une part, l’institutionnalisation d’une pratique de certains
établissements dénommée « exclusion-inclusion » et d’autre part, un levier d’action
qui doit permettre au chef d’établissement de réunir les personnels concernés autour
de situations concrètes d’élèves, avec la visée explicite d’aboutir à la mise en place
d’une sanction éducative.
L’exercice du droit de sanction ne doit pas compromettre le droit à l’éducation. C’est
ce principe qui justifie de limiter l’exclusion temporaire de l’établissement à huit
jours. Il justifie que la circulaire ne recommande pas l’exclusion définitive, précisant
qu’elle « peut avoir des conséquences préjudiciables à la scolarité de l'élève et
apporte rarement une solution durable au problème posé ».
Pour les mêmes raisons, le texte prévoit la possibilité d’une mesure alternative
aux sanctions, « dans l'hypothèse d'une exclusion temporaire de la classe ou d'une
exclusion temporaire de l'établissement ou de l'un de ses services annexes ». Cette
mesure est proposée à l’élève par le chef d’établissement ou le conseil de discipline
et doit recueillir son accord, à condition que les sanctions aient fait l’objet d’une
décision dûment actée. La vigilance s’impose ici, quant au respect de la procédure et
au risque de peine multiple. La finalité de cette mesure alternative aux sanctions, qui
relève du régime juridique de la mesure de responsabilisation, répond bien à
l’exigence de sanction éducative12. Soulignons toutefois l’ambigüité et le risque de
confusion à propos d’une mesure considérée à la fois comme une sanction (voir cidessous et dans le décret l’article R 511-13 I et II) et comme une alternative à la
sanction (article R 511-13 III).
La mesure de responsabilisation
12
Elle « doit permettre à l'élève de manifester sa volonté de s'amender à travers une action positive (…), afin de
développer chez lui le sens du civisme et de la responsabilité ».
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Bien qu’amalgamée aux travaux d’intérêt général dans l’esprit des responsables
politiques et de l’opinion publique, la mesure de responsabilisation traduit une
volonté forte d’accompagner l’élève sanctionné afin qu’il poursuive son travail
scolaire, ne devienne pas décrocheur. Il s’agit là d’une véritable nouveauté dans
l’espace scolaire.
Cette mesure étant basée sur le volontariat parce qu’elle n’est pas à proprement
parler d’intérêt scolaire, des échanges auront donc lieu entre le chef d’établissement
et les parents des élèves mineurs. Bien que délicats à conduire, ils peuvent
néanmoins être l’occasion d’un véritable dialogue à finalité éducative. On peut faire
l’hypothèse que l’une des causes possible d’incompréhension tiendra à des
divergences d’interprétation de la « dignité » de certaines tâches jugées dégradantes
par des familles, mais qui pourraient entrer dans le cadre des mesures de
responsabilisation : ramassage de papiers dans la cour, nettoyage de murs tagués,
balayage du réfectoire…, par exemple. Les bases de l’échange à propos de la mise
en œuvre de la mesure s’appuieront sur le régime juridique qu’indique le texte.
La création d'une commission éducative dans chaque établissement
La sous-partie indiquant en quoi consiste cette commission éducative est incluse
dans la partie III du texte, qui comprend les mesures de prévention et les mesures
d’accompagnement des sanctions (p. 16). Arrêtons-nous un instant sur ces
dernières. Conformément à l’esprit général de la circulaire, l’objectif consiste à
permettre la poursuite du travail scolaire, afin d’éviter la survenue du décrochage
chez des élèves pouvant connaître des difficultés de comportement13. Prévues au
règlement intérieur, ces mesures doivent être mises en place en cas de sanction
d'exclusion temporaire de la classe, et « il est vivement recommandé qu'il en soit de
même en cas d'exclusion temporaire de l'établissement ». La circulaire met alors
l’accent sur le rôle de l’équipe éducative dans la mise en place et le suivi de ces
mesures, sous la responsabilité du chef d’établissement qui dispose là d’une base
légale pour la réunir14. Quant à l’élève, présent dans l'établissement pendant le
temps scolaire en cas d’exclusion de classe, il « doit pouvoir rencontrer un membre
de l'équipe éducative afin d'être placé en position de responsabilité »15.
La création d’une commission éducative dans chaque établissement
institutionnalise et définit les contours d’une pratique conseillée16, répandue dans
ceux ayant davantage avancés que les autres sur les alternatives aux mesures
exclusivement répressives. L’objectif est d’apporter une réponse proportionnée à des
transgressions d’élèves sans recourir systématiquement au conseil de discipline.
13
« Prévenir tout risque d'échec scolaire et d'aggravation d'une situation souvent difficile à vivre pour l'élève et sa
famille » et « préparer la réintégration de l’élève » (p. 16).
14
« Il appartient au chef d'établissement de veiller à ce que l'équipe éducative prenne toute disposition pour que
cette période d'exclusion soit utilement employée afin d'éviter un retard préjudiciable au déroulement de la
scolarité (thèmes de cours à travailler conformes aux programmes officiels ; devoirs à remettre à échéance fixe,
etc.).
15
Le texte rappelle l’existence de mesures d’accompagnement spécifiques : dispositifs relais ; établissements
de réinsertion scolaire ; mesures élaborées en partenariat avec d'autres services (services sociaux, éducatifs et
de santé de proximité, programmes de réussite éducative).
16
La circulaire n° 97-085 du 27 mars 1997 relative aux mesures alternatives au conseil de discipline, mentionnait
la possibilité d’instaurer une commission « destinée à favoriser le dialogue avec l’élève et à faciliter l’adoption
d’une mesure éducative personnalisée ».
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Observons qu’à l’inverse du conseil de discipline, elle ne comporte aucun
représentant des élèves « de droit », même si elle peut « inviter toute personne
qu'elle juge nécessaire à la compréhension de la situation de l'élève, y compris un
élève victime de l'agissement de ses camarades ».
La commission éducative a deux missions principales. 1. « La recherche d'une
réponse éducative personnalisée » chez l’élève « dont le comportement est inadapté
aux règles de vie dans l'établissement ou qui ne répond pas à ses obligations
scolaires ». 2. « lorsque surviennent des incidents graves ou récurrents (…) elle peut
participer, en lien avec les personnels de santé et sociaux de l'établissement, à la
mise en place d'une politique claire de prévention, d'intervention et de sanctions pour
lutter contre le harcèlement en milieu scolaire et toutes les discriminations »17.
L’examen de ses compétences situe clairement la commission éducative comme une
alternative à la sanction, par la recherche d’un engagement de l’élève sur « des
objectifs précis et évaluables en termes de comportement et de travail scolaire ». Ici,
l’engagement peut être « oral ou écrit, signé ou non » et il n’est pas « soumis à
sanction au plan juridique ». Ceci peut vouloir dire que si l’engagement de l’élève
s’apparente à un « marché », il ne doit pas relever d’un chantage qui s’exercerait sur
lui. L’établissement a cependant un devoir de « mise en place d'un suivi de l'élève
par un référent ». Plus généralement, la commission éducative « assure le suivi de
l'application des mesures de prévention, d'accompagnement et des mesures de
responsabilisation ainsi que des mesures alternatives aux sanctions ». Cette
importante compétence devrait constituer l’objet principal de ses travaux. Quant aux
parents, ils disposent de droits d’informations18 et de « rencontre » d’un responsable
de l'établissement. Remarquons enfin que dispositif est ouvert, permet l’adaptation et
l’inventivité, puisque « le règlement intérieur de l'établissement peut reconnaître à la
commission éducative des compétences complémentaires ».
12. Un changement majeur dans les prérogatives du chef d’établissement
Cette circulaire serait une indiscutable avancée si un point ne venait semer la
confusion dans sa cohérence d’ensemble. Dès son préambule, elle affirme le
caractère automatique (c’est-à-dire « obligatoire ») de l’engagement d’une procédure
disciplinaire en cas de violence verbale à l'égard d'un membre du personnel de
l'établissement ou en cas d'acte grave à l'égard d'un membre du personnel ou d'un
élève19. Il en est de même s’agissant de la saisine automatique du conseil de
discipline en cas de violence physique à l'égard d'un membre du personnel (p. 1).
Désormais, le chef d’établissement sera dans l’obligation de se soumettre à cette
procédure. Dans le cas contraire, il encourt une procédure disciplinaire interne pour
faute professionnelle, qui peut déboucher sur une sanction de sa hiérarchie20.
17
Ici, la commission éducative semble en partie empiéter sur les prérogatives des comités d’éducation à la santé
et à la citoyenneté (Circulaire n° 2006-197 du 30 novembre 2006, relative au comité d'éducation à la santé et à la
citoyenneté).
18
« Le représentant légal est informé de la tenue de la commission, entendu et associé ».
19
Les faits concernés sont précisés : « harcèlement d'un camarade ou d'un membre du personnel de
l'établissement, dégradations volontaires de biens leur appartenant, tentative d'incendie, introduction d'armes ou
d'objet dangereux, racket, violences sexuelles, etc. » (p. 10).
20
Loi Le Pors du 13 juillet 1983.
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Ces modifications contredisent la philosophie générale de la circulaire sur plusieurs
aspects.
Remarquons tout d’abord que si le chef d’établissement doit engager une procédure
disciplinaire ou saisir le conseil de discipline dans les situations précitées, ces
démarches ne préjugent en rien du fait qu’il y aura ou non sanction. Cependant, « le
principe d’individualisation de la réponse disciplinaire » peut sembler fragilisé. Le
rédacteur ne s’y trompe pas, lorsqu’il estime nécessaire de rappeler qu’il demeure (p.
1-2).
Ensuite, ces dispositions contreviennent à l’usage d’appréciation de la gravité de la
situation par le chef d’établissement, qui avait cours jusque-là. Le pouvoir
d’appréciation des situations violentes ou graves par le chef d’établissement se
trouve de fait amoindri, au profit de celui des personnels ou des familles d’élèves
victimes, sans trancher pour autant la question d’une définition indiscutable de la
violence verbale, physique ou de l’acte grave. C’est d’ailleurs impossible, car la
violence comporte une dimension irréductiblement subjective, mais aussi culturelle et
idéologique21. Ces mesures font mine de régler définitivement les questions de
définition des faits et du pouvoir d’appréciation de leur gravité à la place des
protagonistes, alors que dans une société régie par des valeurs démocratiques
comme la nôtre, celles-ci doivent pouvoir donner lieu, dans une certaine mesure, à
des débats contradictoires prenant en compte des faits singuliers situés dans leur
contexte.
Toujours à propos du conseil de discipline et préalablement à sa saisine, le texte
recommande encore au chef d’établissement, d’une part, de s'entourer « de l'avis de
l'équipe pédagogique et éducative pour rechercher la réponse la mieux adaptée » (p.
11), et d’autre part, de ne pas hésiter à le réunir « en dehors des cas où cette
formalité est obligatoire », c’est-à-dire dans des cas où la sanction encourue n’est
pas l’exclusion définitive22. L’objectif est d’offrir « un cadre solennel permettant à
l'élève comme à ses parents de prendre pleinement conscience de la portée des
actes reprochés » (p. 7). S’il s’agit de ritualiser une parole qui revient sur la
transgression et ses conséquences, demande, écoute, explique ce qu’on refuse,
nous sommes bien dans la pratique d’une sanction éducative23. Si par contre une
logique du spectaculaire ou de la dissuasion l’emporte, nous basculons dans l’illusion
d’une efficacité supposée de la sanction exemplaire, alors qu’avec la sanction
éducative, « Il ne s’agit pas de faire voir mais de donner à penser »24. En outre, il est
étonnant que le conseil de discipline soit qualifié de « formalité » par le rédacteur,
comme s’il préjugeait d’une décision qui n’est jamais sûre, dans un sens du meilleur
comme du pire. Un conseil de discipline n’est jamais une formalité pour l’élève mis
en cause et pour son établissement, pas plus que pour ceux qui l’accusent ou qui
doivent juger son acte.
21
Pain, J. (2000). La violence institutionnelle ? Aller plus loin dans la question sociale (pp. 133-155). In Cahiers
critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 24,1, Bruxelles : De Bœck, p. 136.
22
« La réunion du conseil de discipline ne doit plus être réservée aux cas pour lesquels une exclusion définitive
est envisagée » (p. 7).
23
Prairat, 2003, p. 87.
24
Ibid, p. 86.
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Une dernière remarque concerne l’écart de traitement entre l’adulte victime
(automatiquement concerné par la saisine du conseil de discipline en cas de violence
physique) et le jeune victime (où l’on n’évoque que la notion d’ « acte grave » en
l’associant à l’engagement d’une procédure disciplinaire, sans mentionner de
violence physique ou de conseil de discipline). Du côté des élèves comme des
parents, il n’est pas certain que cette différence d’approche de l’adulte victime et du
jeune victime donne l’image d’une institution scolaire agissant avec équité et justice.
4. Bibliographie
Galand, B. (coord.) (2009). Les sanctions à l’école et ailleurs. Serrer la vis ou
changer d’outils ? Bruxelles : éditions couleur livres (Changements pour l’Egalité –
mouvement sociopédagogique).
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Marcelli, D. (2003). L’enfant chef de la famille. L’autorité de l’infantile. Paris : Albin
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Merle, P. (2005). L’élève humilié. L’école, un espace de non-droit ? Paris : PUF.
Oury, F., & Pain, J. (1972). Chronique de l’école caserne. Paris : Maspéro.
Prairat, E. (1997). La sanction. Petites méditations à l’usage des éducateurs. Paris :
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Prairat, E. (2003). La sanction en éducation. Paris : PUF (Que sais-je ?).
Prairat E., « L’autorité éducative au risque de la modernité », in Prairat E. (dir.),
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Robbes, B. (2010). L’autorité éducative dans la classe. Douze situations pour
apprendre à l’exercer. Paris : ESF.
Robbes, B. (2011, 21 novembre). Pratiquer la sanction éducative. Des perspectives
ouvertes et des ambiguïtés de la circulaire n° 2011-111 du 1er août 2011 (pp. 1-9).
Site
du
Café
pédagogique
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http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/11/21112011_Pratiquersanct
ioneducative.aspx (page consultée le 21 novembre 2011).
Robbes, B., & Schrèque, M.-F. (2010, décembre). Le conseil en pédagogie
institutionnelle dans la classe. De l’intention didactique à la transformation de soi par
la socialisation. Penser l’éducation, 28, 89-109.