LISTE DE DÉCISIONS / LIST OF CASES 13 AVRIL 2011 / APRIL 13
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LISTE DE DÉCISIONS / LIST OF CASES 13 AVRIL 2011 / APRIL 13
LISTE DE DÉCISIONS / LIST OF CASES 13 AVRIL 2011 / APRIL 13, 2011 CONFÉRENCE SUR LA LOCATION IMMOBILIÈRE DE MONTRÉAL SÉANCE DE CLÔTURE / MONTREAL REAL ESTATE LEASING CONFERENCE – CLOSING SESSION 1. Axa Assurances inc. c. Toitures Trois étoiles inc. (CQ, 23 juillet 2010, J. Suzanne Vadboncoeur) 2. Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean bleu inc. (CS, 22 juillet 2010, J. Lise Matteau) 3. GPM 10 GP inc. c. Laboratoire Analtech inc. (CQ, 18 juin 2009, J. Christian M. Tremblay) 4. Standard Life Assurance Co c. Centre commercial Victoriaville ltée, [1999] R.J.Q. 795 (C.S.) (AZ-99021306) (juge Marie-France Courville) 5. Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Standard Life Assurance Co. [2001] R.J.Q. 587 (C.A.) (AZ-50084690) 6. 151692 Canada Inc. c. Centre de loisirs de Pierrefonds Enr., 2005 QCCA 376 7. Indigo Books & Music Inc. c. Immeubles Régime XV inc. (CS, 22 mars 2010, J. Benoît Emery) Axa Assurances inc. c. Toitures Trois étoiles inc. COUR DU QUÉBEC « Chambre civile » CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL N° : 500-22-135173-071 DATE : 23 juillet 2010 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q. ______________________________________________________________________ AXA ASSURANCES INC. Demanderesse c. TOITURES TROIS ÉTOILES INC. et 165721 CANADA INC. Défenderesses ______________________________________________________________________ JUGEMENT ______________________________________________________________________ JV0516 [1] La demanderesse Axa Assurances inc. (ci-après « AXA »), une compagnie dûment autorisée à exploiter une entreprise dans le domaine de l'assurance, réclame des défenderesses Toitures Trois Étoiles inc. (ci-après « TOITURES ») et 165721 Canada inc. (le « PROPRIÉTAIRE ») la somme de 37 636$ suite aux dommages survenus au local commercial de son assurée le 2 novembre 2004, pour lesquels elle tient les défenderesses responsables. [2] TOITURES, l'entrepreneur chargé de remplacer une partie de la toiture de l'immeuble appartenant au PROPRIÉTAIRE et où se situent les locaux de l’assuré, nie 500-22-135173-071 PAGE : 2 devoir ce montant, alléguant ne pas avoir effectué de travaux à la toiture le 1er novembre 2004. [3] Il remet la faute sur le PROPRIÉTAIRE de la bâtisse, la codéfenderesse en l'instance, l'accusant de ne pas avoir pris les moyens raisonnables pour éviter les problèmes d'infiltrations d'eau et éviter que la toiture se détériore d'une façon telle qu'elle cause l’inondation du 2 novembre 2004. [4] Pour sa part, le PROPRIÉTAIRE se déclare non responsable des dommages causés par les infiltrations d'eau du 2 novembre 2004, invoquant la clause d'exonération de responsabilité prévue à l'article 10.1 du bail, de même que l'absence de subrogation en faveur de la demanderesse prévue à l'article 13.2 du même bail. Il rejette la responsabilité sur la codéfenderesse TOITURES qui a fait les travaux à la toiture de l'immeuble et a omis d'assurer l'étanchéité constante de ladite toiture durant les travaux. [5] Le montant de la réclamation est admis par les parties. LES QUESTIONS EN LITIGE [6] Étant donné que le quantum est admis, le Tribunal a à décider de la seule question de la responsabilité en regard des dommages occasionnés par d'importantes infiltrations d'eau au local commercial de l'assurée de la demanderesse, la compagnie de vente et de fabrication Sandora Limitée (ci-après « SANDORA »). [7] Comme questions sous-jacentes, le Tribunal a également à déterminer si la clause 13.2 du bail constitue pour le locataire une renonciation implicite à un recours subrogatoire et si la clause 10.1 du même bail constitue une clause d’exonération pour le PROPRIÉTAIRE. LES FAITS [8] En tout temps pertinent au présent litige, la demanderesse AXA assurait les biens de SANDORA en vertu d'une police d'assurance portant le numéro 4319071 produite comme pièce P-1. [9] Le 4 octobre 2002, le PROPRIÉTAIRE signe avec SANDORA un bail commercial portant sur un local d'une superficie approximative de 25 000 pieds carrés dont 5 000 pieds en espaces de bureaux et 20 000 pieds devant servir à la production et à l’entreposage des produts, le tout tel qu'en fait foi le bail P-9. [10] Depuis 1999, TOITURES est le couvreur attitré du PROPRIÉTAIRE, lequel fait appel à ses services plus de cinq fois par année, entre 1999 et 2004, pour réparer certaines parties du toit. 500-22-135173-071 PAGE : 3 [11] SANDORA emménage dans le local du PROPRIÉTAIRE en décembre 2002. Les locaux occupés par cette entreprise sont identifiés sur le plan P-10(A) et couvrent la majeure partie de la section C et la section D de ce plan. [12] Entre décembre 2002 et octobre 2004, monsieur William Drori, président de SANDORA, connaît quelques légères infiltrations d'eau sans trop de conséquences. Lorsque de telles infiltrations se produisent, il appelle le PROPRIÉTAIRE qui fait immédiatement le nécessaire pour faire réparer et colmater la source d'infiltration par TOITURES. [13] Le 20 septembre 2004, monsieur Drori écrit au PROPRIÉTAIRE, à l'attention de monsieur Ben Cohen, lui rappelant son engagement de faire refaire complètement le toit afin d'éviter que des infiltrations d'eau continuent de causer des inconvénients à ses employés qui se voient fréquemment obligés de déplacer les produits pour les mettre en sécurité dans un endroit sec à chaque épisode d’infiltration causée par de fortes pluies. L’inventaire et la machinerie de SANDORA sont menacés à chacun de ces épisodes. Cette lettre est produite comme pièce P-8. [14] La sœur de monsieur Cohen, Kathy Cohen, le rassure en l'informant, par lettre du 22 septembre 2004 (annexée à P-8), que les travaux de réfection commenceraient à la mi-octobre. [15] De fait, les travaux commencent le 1er novembre 2004 alors qu'une équipe de six ouvriers de TOITURES, dont le contremaître Pierre-Paul Boucher, s'amène très tôt le matin. [16] Après une brève inspection de la toiture et suite aux instructions données par monsieur Giancarlo Bellini, administrateur de TOITURES, l'équipe commence la montée des équipements et la sécurisation du chantier. Monsieur Bellini reste environ une demi-heure sur le chantier ce matin-là. [17] Selon le contremaître Boucher, cette opération prend toute la première journée alors que monsieur Drori estime que les bruits excessivement fort entendus une bonne partie de la journée du 1er novembre laissent plutôt croire que les ouvriers ont commencé, dès cette première journée, à pelleter et à ramasser le gravier qui se trouvait sur la toiture existante. Il dit d’ailleurs avoir vu tomber de la toiture de la poussière, de la gravelle et des débris. [18] Le lendemain, 2 novembre 2004, alors qu'il a plu abondamment toute la nuit, monsieur Drori est informé tôt le matin qu'une forte inondation s'est produite et que c'est le déluge dans l'entrepôt. Il s'y rend immédiatement, ses employés mettent des feuilles de plastique sur les étagères afin d'éviter de trop détériorer les produits et monsieur Drori contacte immédiatement monsieur Cohen sur son téléphone cellulaire. 500-22-135173-071 PAGE : 4 [19] Ce dernier appelle tout de suite monsieur Bellini qui dépêche un technicien sur les lieux, lequel finit par trouver un moyen de colmater cette source d'infiltration majeure. Selon monsieur Bellini, il s'agirait de monsieur Dissanto. Pour sa part, le contremaître Boucher est d'avis que personne n'est monté sur le toit entre le 1er et le 3 novembre 2004 et que monsieur Dissanto ne se présente jamais sur les chantiers. L’identité de la personne venue boucher temporairement la source d’infiltration le 2 novembre ne sera jamais éclaircie. [20] L'équipe de TOITURES revient sur le chantier le 3 novembre au matin. Monsieur Boucher dit avoir lui-même, le 3 novembre, colmaté partiellement la fissure qui était la source de l'infiltration majeure ; il mentionne que tant l'intérieur que l'extérieur du bâtiment ce jour-là étaient tels qu'il les avait laissés deux jours avant, soit le 1er novembre. [21] Monsieur Drori a contacté son assureur, la demanderesse en l'instance qui, après vérification et enquête, a indemnisé son assurée, le locataire SANDORA. AXA étant subrogée dans les droits de l'assurée, c'est à ce titre qu'elle poursuit les deux défenderesses qu'elle considère responsables des dommages survenus lors de cette inondation. [22] AXA, par l'entremise de son expert en sinistre Michel Gagné qui est allé sur les lieux le 5 novembre 2004, mandate l'expert Marc-André Ducharme, ingénieur de profession, afin d’identifier les causes de cette infiltration du 2 novembre. [23] Monsieur Ducharme se rend sur les lieux le 22 novembre 2004, examine tant l'intérieur que l'extérieur et prend plusieurs photos, lesquelles sont annexées à son rapport daté du 21 décembre 2004 et produit comme pièce P-4. [24] Lors de sa visite, monsieur Ducharme a pu identifier les trois sources d'infiltrations antérieures au 1er novembre 2004 qu'il identifie sur le plan de la toiture P10 (A) par des « xx » de même que sur les photos prises par lui à cette occasion. [25] Ces trois zones d'infiltrations (antérieures au 1er novembre 2004) sont identifiées par les flèches que l’on voit sur la photo # 2 : la première est près d’un col de cygne audessus d’un équipement mécanique, la seconde près du drain de toit et la troisième, entre les deux précédentes, à un endroit où il n'y avait ni unité mécanique ni percée dans la toiture. Quant aux deux nouvelles infiltrations, celles du 2 novembre 2004, elles sont identifiées par les deux premières flèches venant de la gauche sur la photo # 5, et par un cercle jaune sur le plan P-10 (A), presque au milieu de la largeur du toit dans la section « C ». [26] Monsieur Ducharme confirme que les faits relatés par monsieur Drori dans son témoignage à l'audience sont exactement les mêmes que ce qu'il a entendu de lui lors de sa visite du 22 novembre 2004. 500-22-135173-071 PAGE : 5 [27] Il estime par ailleurs peu probable que la pose de garde-corps ait pu prendre toute la journée du 1er novembre à raison de six hommes. [28] Il conclut en disant que compte tenu des infiltrations antérieures et de la présence des ouvriers sur le toit le 1er novembre, il est probable que des opérations effectuées sur la toiture lors de cette première journée, dont possiblement l'enlèvement, même partiel, du gravier, aient causé ces infiltrations nouvelles et même aggravé les trois sources d'infiltrations antérieures. [29] Monsieur Ducharme termine son témoignage en disant que les règles de l'art en ce domaine exigent que l'entrepreneur s'assure, à chaque soir en quittant le chantier, que la toiture est étanche, peu importe l'étape des travaux. De toute évidence, conclutil, cette vérification n'a pas été faite et aucune mesure de sécurité temporaire n'a été mise en place. [30] La preuve démontre que dès 1999, TOITURES avait recommandé au PROPRIÉTAIRE de remplacer la toiture au complet et avait fait une soumission en ce sens (DT-3). Toutefois, après discussions entre monsieur Bellini et monsieur Cohen, ce dernier décida que seule la section A serait remplacée. [31] Une autre soumission fut présentée par TOITURES le 27 septembre 2004, soit une semaine après la lettre d’avertissement P-8 de monsieur Drori (DT-4); elle concernait cette fois la section B, la moitié de C (C-2), de même que les sections F et G, tel qu’il appert de la soumission et du plan du toit qui y est annexé. Ce sont ces travaux qui ont débuté le 1er novembre 2004. [32] À ce propos, monsieur Bellini réfère à la facture de Roofmart (DT-2) pour indiquer à la Cour qu’il a commandé les matériaux (isolant et papier goudronné) le 1er novembre pour être livrés le 3 novembre. [33] Suite à la lettre P-3 de monsieur Drori du 5 novembre 2004 tenant TOITURES responsable des dégâts, TOITURES répond le 10 novembre 2004 (DT-5) et nie toute responsabilité dans l’inondation survenue quelques jours plus tôt, invoquant que les travaux proprement dits n’étaient pas encore commencés à cette date. [34] Monsieur Bellini admet à l’audience qu’aucune mesure temporaire de sécurité n’a été prise le 1er novembre puisque, justement, les travaux n’étaient pas commencés. LES PRÉTENTIONS DES PARTIES [35] AXA prétend que les deux défenderesses sont responsables des dommages causés par l’inondation du 2 novembre 2004, TOITURES parce qu’elle n’a pas pris les mesures de sécurité temporaires requises en quittant le chantier le 1er novembre 2004, sachant qu’on annonçait de la pluie pour la nuit et le jour suivants, et le 500-22-135173-071 PAGE : 6 PROPRIÉTAIRE parce qu’il a tardé à faire refaire sa toiture et ce, malgré les recommandations qui lui avaient été faites cinq ans auparavant. [36] TOITURES soutient n’avoir aucune responsabilité dans cet incident puisque les travaux n’étaient nullement commencés et que le gravier n’était pas encore enlevé de la toiture le 1er novembre 2004. Elle jette le blâme sur le PROPRIÉTAIRE. [37] Quant au PROPRIÉTAIRE, il se dit également non responsable, se référant à la clause d’exonération de responsabilité 10.1 du bail P-9 et soulignant avoir vu à faire réparer les portions de toit qui le nécessitaient, au fur et à mesure des besoins. La codéfenderesse invoque également la clause 13.2 du bail pour affirmer que la demanderesse ne bénéficie d’aucune subrogation en sa faveur et qu’en conséquence, elle n’a aucun recours valable contre elle. [38] À son tour, la co-défenderesse rejette la responsabilité des dommages causés à l’assurée de la demanderesse sur TOITURES pour ne pas avoir assuré l’étanchéité du toit en quittant le chantier le 1er novembre 2004. L’ANALYSE [39] Conformément aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, la partie demanderesse doit démontrer au Tribunal, par une preuve prépondérante, le bien fondé de ses prétentions. Ces articles se lisent comme suit : « 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. » [40] Le présent litige en est un qui repose essentiellement sur des faits, d’où l’importance de bien analyser la preuve et de bien évaluer la crédibilité des témoins. [41] Mais il y a aussi deux questions de droit qui ont été soulevées, à savoir l’application de la clause d’exonération de responsabilité du PROPRIÉTAIRE (# 10.1 du bail P-9) et l’absence de subrogation en faveur de la demanderesse AXA en vertu de la clause 13.2 dudit bail. [42] Il convient de citer ces deux clauses : « ARTICLE 10 NON-RESPONSIBILITY OF LANDLORD 500-22-135173-071 PAGE : 7 10.1 Except if caused directly by the gross negligence of the Landlord or those for whom the Landlord is responsible, the Landlord will not be liable nor responsible in any way for any injury of any nature whatsoever that may be suffered or sustained by the Tenant or any employee, agent or customer of the Tenant or any other person who may be upon the Premises or the Land or for any loss of or damage to any property belonging to the Tenant or to its employees or to any other person while such property is on the Premises or the Land and in particular (but without limiting the generality of the foregoing), the Landlord will not be liable for any damage or damages of any nature whatsoever to any such property caused by fire, lightning, tempest or any similar peril, the failure by reason of a breakdown or other cause to supply adequate drainage, snow or ice removal, or by reason of the interruption of any Public utility or service or in the event of steam, water, rain or snow which may leak into, issue or flow from any part of the Building or from the water, steam, sprinkler or drainage pipes or plumbing works of the same or from any other place or quarter or on account of any damage or annoyance occasioned by the condition or arrangements of any electric or other wiring, or on account of any damage or annoyance arising from any acts, omissions, or negligence of co-tenants or other occupants of the Building (subject to the provisions of section 12.3), or of owners or occupants of adjacent or contiguous property, or on account of the making of major repairs, alterations, repairs, improvements, or structural changes to the Building, or any thing or service therein or thereon or contiguous thereto, but the Landlord shall use all reasonable diligence to remedy such condition, failure or interruption of service when not directly or indirectly attributable to the Tenant after notice of same, when it is within its power and obligation so to do. Nor shall the Tenant be entitled to any abatement of rental in respect of any such condition, failure or interruption of service. ARTICLE 13 INSURANCE REQUIREMENTS 13.2 Tenant shall, at its expense, take out and keep in force, during the term of this lease (and any renewal thereof), all risk property, public and general liability insurance, plate glass insurance and tenant's legal liability insurance in amounts and with policies in form satisfactory from time to time to Landlord and with insurers acceptable to Landlord, the public and general liability insurance in no event to be for less than five million dollars ($5 000 000) and the all risk insurance to be for an amount equal to the full insurable value of all Tenant's furniture, fixtures and improvements in the Premises, whether same were installed by the Landlord or the Tenant and whether same are part of the Landlors' Work or the Tenant's work. Tenant shall further take out and keep in force, at its expense, during the term of this lease (and any renewal thereof), any other insurance required from time to time by Landlord or by any hypothecary creditor, the whole upon such terms and conditions and in such amounts and with such insurers as shall be acceptable to Landlord. Copies of each insurance policy shall forthwith upon execution be delivered to Landlord by Tenant. Tenant undertakes to furnish Landlord, upon Landlord's demand, with satisfactory evidence that Tenant duly fulfils all of its undertakings and obligations under this Article 13. Each such policy shall name Landlord as an additional named insured 500-22-135173-071 PAGE : 8 as its interest may appear and shall contain a provision for cross liability as between the Landlord and the Tenant. The cost or premium for each and every such policy shall be paid by the Tenant. Tenant shall obtain from the insurers under such policies undertakings to notify Landlord in writing at least thirty (30) days prior to any cancellation, expiry or material modification thereof. [43] La première de ces clauses sera débattue dans le cadre de l’analyse de la preuve portant sur la responsabilité du PROPRIÉTAIRE puisque, en vertu de cette clause 10.1, il n’y aura non-responsabilité qu’en l‘absence de négligence grossière de la part du PROPRIÉTAIRE ; or, seule l’analyse de la preuve nous démontrera s’il y a eu ou non négligence grossière de la part de cette co-défenderesse. [44] Pour ce qui concerne le second point de droit soulevé, à savoir s’il y a subrogation ou non en faveur de la demanderesse, il convient de le décider dès maintenant puisque dans l’hypothèse où la demanderesse ne pourrait pas être subrogée dans les droits de son assurée, son recours contre la défenderesse PROPRIÉTAIRE serait sans fondement et il pourrait être rejeté pour ce seul motif. La subrogation [45] La co-défenderesse PROPRIÉTAIRE prétend que AXA n’a pas de droit d’action contre elle parce que la clause 13.2 du bail P-9 (précitée), relative à l’obligation pour le locataire SANDORA de s’assurer et de nommer dans sa police le locateur comme coassurée, ce qu’elle n’a pas fait, doit être interprétée comme une renonciation à la subrogation contre ce dernier. Elle ajoute que l’assureur AXA ne peut avoir plus de droits que son assurée. [46] La demanderesse, quant à elle, prétend que rien dans cette clause ne peut permettre de conclure à une renonciation à la subrogation et ajoute qu’on ne peut renoncer à une telle subrogation que de façon expresse. [47] La clause relative à la subrogation contenue à la police d’assurance P-1 liant SANDORA à AXA et en conformité de laquelle AXA a indemnisé SANDORA suite au sinistre, se lit comme suit : « 4.10 Subrogation (Article 2474) Unless otherwise provided, the Insurer shall be subrogated, to the extent of the amount paid or the liability assumed therefore under this policy, to the rights of the Insured against persons responsible for the loss, except when they are members of the Insured’s household. The Insurer may be fully or partly released from his obligation towards the Insured where, owing to any act of the Insured, he cannot be so subrogated. » [48] Cette clause est conforme à l’article 2474 C.c.Q. à cet égard : 500-22-135173-071 PAGE : 9 « 2474. L'assureur est subrogé dans les droits de l'assuré contre l'auteur du préjudice, jusqu'à concurrence des indemnités qu'il a payées. Quand, du fait de l'assuré, il ne peut être ainsi subrogé, il peut être libéré, en tout ou en partie, de son obligation envers l'assuré. L'assureur ne peut jamais être subrogé contre les personnes qui font partie de la maison de l'assuré. » [49] Contrairement à ce qui est stipulé dans la clause 13.2 du bail P-9, le locataire SANDORA n’a pas inscrit le locateur comme assuré désigné dans sa police d’assurance (P-1). [50] Le Tribunal est toutefois d’avis que le PROPRIÉTAIRE aurait dû vérifier auprès de son locataire si celui-ci a respecté son obligation. De toute évidence, cette vérification n’a pas été faite. De toute façon, il s’agit d’une faute contractuelle de la part de l’assuré sans lien avec les dommages. [51] Bien que le PROPRIÉTAIRE n’ait pas été désigné co-assuré dans la police d’assurance, le document principal à analyser est le bail, non la police. La clause 13.2 du bail contient l’obligation pour le locataire (SANDORA) de détenir en tout temps une police d’assurance « tout-risque » ainsi qu’une police d’assurance responsabilité d’un minimum de 5 000 000$. [52] À l’exception de l’arrêt de la Cour d’appel dans Lewis Shoes Store inc. c. S.B.I. Holding inc.1 sur lequel je reviendrai plus loin, il y a peu ou pas d’arrêt de jurisprudence où les circonstances sont identiques à celles du présent cas. En dépit de cela, on peut aisément établir un parallèle entre la présente cause et d’autres cas où nos tribunaux – la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel notamment – ont maintes fois reconnu que l’obligation pour un locateur de souscrire à une police d’assurance alors que le locataire devait en payer les primes faisait en sorte que la police bénéficiait aux deux (locateur et locataire) et par conséquent, l’assureur du locateur, après avoir indemnisé celui-ci, ne pouvait avoir de recours subrogatoire contre le locataire responsable du dommage. [53] Ce fut la conclusion du plus haut tribunal du pays notamment dans Ross Southward Tire Ltd c. Pyrotech Products Ltd2 et dans Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd c. Cummer-Yonge Investments Ltd.3 Il en fut de même pour la Cour d’appel dans La 1 2 3 Lewis Shoes Store inc. c. S.B.I. Holding inc., AZ-84011166 (C.A. 24 juillet 1984, jj. Beauregard, Nichols, Moisan ad hoc) Ross Southward Tire Ltd c. Pyrotech Products Ltd., [1976] 2 R.C.S. 35 Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd c. Cummer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221 500-22-135173-071 PAGE : 10 St-Maurice, compagnie d’assurances et al c. Les Importations Sava Internationales Ltée4. [54] Tout comme les clauses pertinentes des baux dans ces affaires permettaient de conclure que les polices d’assurance souscrites par les locateurs couvraient les locataires et conséquemment, interdisaient les recours subrogatoires, dans notre cas la clause 13.2 du bail (précitée) permet certes de conclure que l’intention des parties contractantes, en obligeant le locataire à inscrire le locateur comme co-assuré, était d’éviter des poursuites de l’une contre l’autre puisque la police d’assurance souscrite par le locataire serait aussi au bénéfice du locateur. [55] Mais il y a plus : dans l’affaire Lewis Shoes Store citée plus haut, les clauses du bail étaient similaires aux nôtres quant à l’obligation pour le locataire de souscrire à une police d’assurance pour ses propres effets mais le bail, tout comme le nôtre, contenait aussi une clause qui laissait entendre que le locateur assumait l’obligation d’assurer l’immeuble commercial lui-même. Cette clause se lisait comme suit : « 10.2 The tenant will not upon the Leased Premises do or permit to be done, or omit to do anything which shall cause or have the effect of causing the rate of insurance upon the Shopping Centre or any part thereof to be increased and if the insurance rate shall be thereby increased, at any time during the Term, because of the actual use and occupancy of the Leased Premises by the Tenant or the nature of the Tenant’s business, the Tenant shall pay to the Landlord as Additional Rental the amount by which the insurance premiums shall be so increased. The Tenant will not store or permit to be stored upon or in the Leased Premises anything that is not offered or to be offered for sale in the Leased Premises nor anything of a dangerous, inflammable or explosive nature nor anything which would have the effect of increasing the Landlord’s insurance costs or of leading to the cancellation of such insurance. In such event the Landlord may at its option and at the expense of the Tenant enter upon the Leased Premises and rectify the situation causing such cancellation or rate increase. » Et la nôtre, comme suit : « 13.1 Tenant shall not do or commit any act upon the Premises or bring into or keep upon the Premises any article which will affect the fire risk or increase the rate of fire insurance or other insurance on the Building. Tenant shall comply with the rules and requirements of the Insurers Advisory Organization or any successor body, and with the requirements of all insurance companies having policies of any kind whatsoever in effect covering the Building, including policies insuring against public liability. 4 La St-Maurice, compagnie d’assurances et al c. Les Importations Sava Internationales Ltée, EYB 1989-63181 (jj. McCarthy, Nichols, Tôth) 500-22-135173-071 PAGE : 11 In no event shall any inflammable materials, except for kinds and quantities required for ordinary occupancy and permitted by the insurance policies covering the Building, or any explosives whatsoever, be taken into the Premises or retained therein. Should the rate of any type of insurance on the Building or Land be increased or should the insurance costs in connection with the Building or the Land be increased, by reason of the Tenant’s occupancy of, conduct of business on or sale of any merchandise from or on the Premises, whether or not the Landlord has consented to same, or by reason of any violation of this lease or the applicable insurance regulations or requirements, by Tenant or any person for whom Tenant is in law responsible, the, in each such case, Landlord, may pay the amount of such increase and the amount so paid (but shall not be so obligated) shall become due and payable immediately by Tenant and collectible as Additional Rent. » [56] De ces deux clauses, qui sont relativement au même effet, on peut conclure à l’engagement de la part du locateur d’assurer son immeuble et à celui du locataire de payer les primes ou surprimes que son occupation ou la présence de produits dangereux entraînerait sur cette assurance. Or, dans cet arrêt Lewis, la Cour d’appel, se référant aux arrêts de la Cour suprême que j’ai moi-même cités plus haut5, ainsi qu’à United Motors Service inc. c. J.T.Hutson et al6 et à T. Eaton Ltée. et al c. Smith et al7, conclut que si ce double engagement ne fait pas du locataire un véritable co-assuré, il « dénonce l’intention des parties de prévoir une protection devant bénéficier aux deux, locateur et locataire. Le locataire n’a pas de recours direct contre l’assureur parce qu’il n’est pas l’assuré décrit dans la police. Mais par ailleurs, l’assureur qui agit aux droits du locateur n’a pas plus de droits que ce dernier. » [57] Il faut dire que dans cette affaire, comme dans les autres d’ailleurs, le dommage avait été causé par un incendie contrairement à notre cas. [58] On peut inférer de ce raisonnement de nos tribunaux supérieurs que cette intention de prévoir une protection devant bénéficier tant au locateur qu’au locataire est encore plus évidente lorsque le bail prévoit que le locataire doit inscrire le nom du locateur comme co-assuré. [59] Le Tribunal conclut donc de cette clause 13.2 qu’elle équivaut à une interdiction du locataire (l’assuré) de poursuivre son locateur et, puisque le subrogé ne peut avoir plus de droits que le subrogeant, à une interdiction du subrogé (l’assureur AXA) de poursuivre le locateur sauf en cas de faute intentionnelle tel que le stipule l’article 2464 C.c.Q. : 5 6 7 Voir notes 2 et 3 United Motors Service inc. c. J.T.Hutson et al, [1936] R.C.S. 294 T. Eaton Ltée. et al c. Smith et al, [1978] 2 R.C.S. 749 500-22-135173-071 PAGE : 12 « 2464. L'assureur est tenu de réparer le préjudice causé par une force majeure ou par la faute de l'assuré, à moins qu'une exclusion ne soit expressément et limitativement stipulée dans le contrat. Il n'est toutefois jamais tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l'assuré. En cas de pluralité d'assurés, l'obligation de garantie demeure à l'égard des assurés qui n'ont pas commis de faute intentionnelle. Lorsque l'assureur est garant du préjudice que l'assuré est tenu de réparer en raison du fait d'une autre personne, l'obligation de garantie subsiste quelles que soient la nature et la gravité de la faute commise par cette personne. » [60] Or, le Tribunal estime, comme il sera expliqué dans la prochaine section, que le PROPRIÉTAIRE a, par ses gestes, ses omissions et son attitude, fait preuve d’une insouciance téméraire équivalant à faute lourde, telle que définie par l’article 1474 C.c.Q. Cette faute n’est toutefois pas une faute intentionnelle selon le Tribunal parce que la preuve ne démontre pas que monsieur Cohen « avait ou aurait dû avoir conscience du caractère inéluctable du dommage qui en résulterait. »8 Cette faute eûtelle été intentionnelle, la décision du Tribunal aurait été tout autre : il aurait permis le recours subrogatoire contre le PROPRIÉTAIRE. [61] Le recours de AXA contre 165721 Canada inc. doit donc être rejeté. La responsabilité [62] Qu’en est-il de la responsabilité de chacune des co-défenderesses? Bien que la demanderesse n’ait pas de recours contre le PROPRIÉTAIRE, le Tribunal croit nécessaire de présenter ici le raisonnement qui l’a mené à conclure à une faute lourde de la part du PROPRIÉTAIRE, étant donné la conclusion de partage de responsabilité à laquelle en arrive le Tribunal. [63] En ce qui a trait au PROPRIÉTAIRE, la preuve révèle que dès 1999, TOITURES lui avait recommandé de refaire les sept sections de la toiture mais qu’après discussions entre monsieur Cohen et monsieur Bellini, seule la section A fut refaite. [64] Monsieur Cohen a indiqué à la Cour que les décisions au sujet des travaux de réfection à faire, se prenaient en tenant compte de différents facteurs, notamment la non-occupation du local situé sous la section du toit à refaire, la condition de ladite portion du toit, le nombre de travaux antérieurs effectués, la situation financière du PROPRIÉTAIRE, etc. [65] Selon le témoignage de monsieur Boucher, le toit était en piètre condition lorsqu’il y est monté pour la première fois le 1er novembre 2004. 8 e LLUELLES Didier, Précis des assurances terrestres, 4 éd., Les Éditions Thémis, 2005, p. 181 500-22-135173-071 PAGE : 13 [66] La soumission de TOITURES du 27 septembre 2004 (DT-4) touchait toutes les sections non refaites en 1997 et en 1999 sauf deux, soit B, C-2, F et G. La réponse affirmative semble avoir été transmise à TOITURES à la mi-octobre 2004. [67] En vertu du bail P-9, le propriétaire devait assurer à son locataire la pleine jouissance des lieux loués et la possibilité d’exercer pleinement ses activités commerciales. Il devait aussi assurer l’entretien de la structure et procéder aux réparations qui s’imposent, notamment au toit, conformément à la clause 3.3.7 d) du bail : 3.3.7 The cost of the following services are included in Operating Expenses (unless expressly excluded in accordance with the terms of section 3.3.1) and they shall be provided by the Landlord to the Tenant in accordance with the standards applicable in similar class buildings located in suburban Montreal; d) maintaining, repairing, servicing or replacing all structural elements of the Building, including the roof, roof membrane, the roof covering (including the interior ceiling if damaged by leakage) load bearing walls, floor slabs and masonry walls, as well as windows and utility lines, sprinkler system and connections to the Premises and the Common Areas and any part of the base building systems serving the Premises and the premises of other tenants in addition to the Premises. The Landlord shall act diligently as a responsible and prudent administrator when such work becomes necessary in order to minimize any inconvenience to the Tenant. The Landlord shall provide the Tenant with the name and telephone number of one of Landlord’s employees or representatives who may be reached at all times in case of emergency or equipment breakdown, in order to arrange for the necessary repairs and reinstate such services. » [68] L’article 1854 C.c.Q. prévoit aussi cette obligation du locateur : « 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail. Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. » [69] Selon la preuve, il y eut plusieurs infiltrations d’eau provenant du toit entre décembre 2002 et novembre 2004 : à chaque fois que cela se produisait, monsieur Drori appelait monsieur Cohen qui faisait venir TOITURES pour colmater les fuites. À un certain moment en septembre 2004, monsieur Drori, dont les produits manufacturés étaient constamment menacés par ces infiltrations, lesquelles nécessitaient souvent que ceux-ci ainsi que la machinerie soient déplacés et rangés au sec, a demandé à monsieur Cohen de tenir son engagement pris en avril précédent de refaire 500-22-135173-071 PAGE : 14 complètement le toit à défaut de quoi il le tiendrait responsable du temps perdu et des dommages causés à ses produits et à sa machinerie par des infiltrations d’eau provenant du toit (lettre P-8). [70] La clause 10.1 du bail (précitée) stipule que la responsabilité du PROPRIÉTIARE ne peut être retenue, en cas de dommages causés aux biens du locataire, que s’il y a faute lourde (gross negligence). [71] De l’avis du Tribunal, le PROPRIÉTAIRE a trop tardé – cinq ans – avant de se décider à faire refaire son toit, notamment la portion sous laquelle se situaient les étagères des produits finis de SANDORA, malgré la recommandation faite en ce sens par TOITURES en 1999. [72] En outre, depuis 2002, il attendait toujours qu’il y ait du dommage pour rapiécer et pour effectuer des réparations partielles, voire temporaires, à la portion du toit située au-dessus du local de SANDORA. TOITURES a dû y aller cinq ou six fois par année selon la preuve. C’est énorme. [73] Une telle attitude du PROPRIÉTAIRE constitue selon le Tribunal une insouciance téméraire telle qu’elle équivaut à faute lourde. Une fois ou deux, passe encore mais là, monsieur Cohen a trop étiré l’élastique : celui-ci s’est brisé. L’article 1474 C.c.Q. stipule que : « 1474. Une personne ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde; la faute lourde est celle qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières. Elle ne peut aucunement exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui. » [74] Toutefois, le Tribunal estime que le PROPRIÉTAIRE n’est pas le seul responsable des dommages, TOITURES a aussi sa part de responsabilité comme nous le verrons dans les paragraphes qui suivent. [75] Analysons la preuve à cet égard. [76] Parmi les témoignages entendus, le Tribunal estime ceux de monsieur Drori et de monsieur Ducharme très crédibles : ils ont tous deux témoigné sans la moindre hésitation, de façon ferme et énergique, sans contradiction aucune. [77] En outre, ces deux témoins sont neutres, l’un étant l’assuré et ayant déjà touché son indemnité, donc n’ayant plus d’intérêt dans le débat, et l’autre étant un témoin expert dont la probité et l’honnêteté ne peuvent être mises en doute. 500-22-135173-071 PAGE : 15 [78] Monsieur Drori a entendu le 1er novembre des bruits forts de grattage (scraping) et a vu des débris tomber à travers la fenêtre. [79] Monsieur Ducharme, quant à lui, ne peut que conclure que TOITURES n’a pris aucune mesure de sécurité temporaire avant de quitter le chantier le 1er novembre 2004, ce qu’a d’ailleurs confirmé monsieur Boucher, le contremaître. Pourtant on annonçait de la pluie pour la nuit et le jour suivants et monsieur Boucher le savait. [80] Monsieur Ducharme a été très clair : les règles de l’art exigent d’un entrepreneur couvreur qu’il s’assure de l’étanchéité du toit tout au cours des travaux et qu’il prenne des mesures de sécurité temporaires, le cas échéant, pour assurer une telle étanchéité. [81] Selon monsieur Boucher, qui est le seul à pouvoir témoigner de ce qui s’est réellement passé sur le toit le 1er novembre – monsieur Bellini n’est resté qu’environ une demi-heure ce jour-là – mais qui, est-il besoin d’insister, n’a pas intérêt à venir dire que l’enlèvement du gravier avait débuté ce même jour, l’installation des garde-corps a pu prendre de 5 à 6 heures. Les feuilles de temps (DT-1) révèlent que les hommes ont travaillé 8½ heures cette journée-là et selon la preuve, l’atelier est à 10 minutes du chantier. Qu’ont-ils fait durant les 2½ ou 3 heures qui restent? Monsieur Boucher n’a pu répondre que par des hésitations à cette question. [82] La crédibilité que le Tribunal accorde à monsieur Boucher est beaucoup moindre que pour les deux témoins précédents : d’abord parce que ce témoin n’est nullement indépendant et qu’il est sûrement porté à répondre dans le meilleur intérêt de son employeur, la co-défenderesse TOITURES ; ensuite parce que, en plus des hésitations auxquelles j’ai fait référence plus haut, il s’est contredit à quelques reprises dans son témoignage, notamment par rapport aux réponses données lors de son interrogatoire hors Cour du 20 novembre 2008. [83] À titre d’exemple, monsieur Boucher a mentionné dans son interrogatoire du 20 novembre 2008 qu’aucun équipement n’a été monté sur le toit la première journée (N.S., page 23, lignes 21 à 23) alors qu’il dit tout le contraire à l’audience. En outre, alors que la nature des installations faites le 1er novembre semble être très précise dans sa tête, monsieur Boucher ne se souvient pas s’il a vu monsieur Dissanto le 3 novembre sur le chantier. Enfin, il dit avoir colmaté la fissure sur le toit lorsqu’il est retourné sur le chantier le 3 novembre et que ça coulait encore d’un bon débit alors que la preuve révèle que quelqu’un est venu le 2 novembre de toute urgence pour faire ce travail. [84] Comme on peut le voir, le témoignage de monsieur Boucher laisse songeur plus d’une fois… [85] AXA ne peut rechercher la responsabilité de TOITURES que sur une base extracontractuelle, aucune relation contractuelle n’existant entre ces deux entités. La règle 500-22-135173-071 PAGE : 16 de la responsabilité extra-contractuelle est inscrite à l’article 1457 C.c.Q., lequel se lit comme suit : « 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel. Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. » [86] Dans tout recours en dommages-intérêts, la partie demanderesse doit démontrer, par une preuve prépondérante, la faute de la partie défenderesse, les dommages subis, de même que le lien de causalité entre la faute et les dommages. [87] De l’avis du Tribunal, AXA s’est déchargée de ce fardeau et a démontré que TOITURES a été négligente dans son travail en ne s’assurant pas de l’étanchéité du toit pendant la durée des travaux, commettant ainsi une faute ayant entraîné les dommages que l’on sait. [88] Non seulement n’a-t-elle pas pris les mesures de sécurité temporaires qui s’imposaient mais aussi la preuve révèle que la vérification de la condition du toit en fin de journée a été plus que superficielle. Selon l’expression de monsieur Boucher luimême, celui-ci n’a jeté qu’« un simple coup d’œil » en quittant, un « check-up ben vite », surtout au périmètre où ses hommes ont travaillé. [89] Pourtant, étrangement, ça ne lui a pris que 15 minutes le 3 novembre pour découvrir la fissure, alors qu’il dit avoir trouvé le toit exactement dans le même état qu’il l’avait laissé deux jours avant, le 1er novembre. Eût-il examiné le toit un peu plus longuement et attentivement le 1er novembre qu’il l’aurait peut-être découverte et aurait ainsi pu éviter l’inondation du lendemain. [90] TOITURES a tenté de se décharger de sa responsabilité par une preuve de situation pré-existante du toit. Outre la preuve démontrant la part de responsabilité du PROPRIÉTAIRE dans les dommages, la preuve offerte de la situation précaire du toit n’est pas suffisante pour permettre de conclure que cette seule condition préexistante de la toiture constitue la causa causans des dommages survenus le 2 novembre 2004. [91] Ce qui a été accepté en preuve dans le rapport d’analyse thermographique du 11 mai 1999 (DT-6) ne permet pas d’arriver à une telle conclusion même si l’essai # 8 500-22-135173-071 PAGE : 17 alors effectué sur la section C du toit démontre que l’isolant de fibre de bois était mouillé. [92] De plus, monsieur Ducharme a répondu à maintes reprises, malgré les tentatives du procureur de TOITURES de lui faire dire le contraire, qu’il était peu probable que le dommage ait pu être causé par une saturation d’eau dans le toit. Il a aussi dit que la cause la plus probable était l’absence de mesures de sécurité temporaires le soir du 1er novembre 2004. [93] Si on met le témoignage de monsieur Boucher de côté, les faits dont on dispose sont les suivants : • les ouvriers de TOITURES ont travaillé sur le toit de l’immeuble toute la journée du 1er novembre 2004; • il a plu la nuit du 1er au 2 novembre et durant la journée du 2; • selon les données d’Environnement Canada (P-7), ces pluies ont été assez abondantes (11 mm), mais il y en a eu d’aussi abondantes sinon davantage en d’autres moments (10, 13 et 29 août, 9 septembre avec 67,4 mm pour cette seule journée, 2, 15 et 16 octobre avec un peu moins de précipitations) et le toit n’a pas connu une infiltration aussi majeure; • une grave inondation s’est produite tôt le matin du 2 novembre 2004. [94] À ces faits, on ajoute le témoignage de monsieur Drori sur ce qu’il a vu et entendu le 1er novembre, de même que les conclusions de l’expert Ducharme et on ne peut faire autrement que de conclure à l’existence de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes qui nous laissent croire, conformément à l’article 2849 C.c.Q.9, que le dommage résulte de la conduite des employés de TOITURES. [95] Si le Tribunal avait permis le recours subrogatoire contre le PROPRIÉTAIRE, il aurait retenu, eu égard à la preuve, la responsabilité de ce dernier dans une proportion de 60% vu la faute lourde et celle de TOITURES dans une proportion de 40%. [96] À la suggestion du procureur de la demanderesse, le Tribunal réduit la facture d’honoraires (P-12) de l’expert Ducharme d’une journée (1 360$), ce qui donne un total de 4 382$. [97] TOITURES assumera donc les dépens et les frais d’expertise dans une proportion de 40%, soit 1 752,80$ pour ces derniers. 9 « 2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes. » 500-22-135173-071 PAGE : 18 PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : REJETTE la demande de la demanderesse contre la défenderesse 165721 Canada inc., sans frais; ACCUEILLE la demande de la demanderesse contre la défenderesse Toitures Trois Étoiles inc. dans une proportion de 40%; CONDAMNE la défenderesse Toitures Trois Étoiles inc. à payer à la demanderesse la somme de 15 054,40$ avec intérêts au taux légal de 5% l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 12 novembre 2007, de même que 40% des dépens, y compris les frais d’expertise dans cette même proportion. __________________________________ SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q. Me Jean-Philippe Lincourt LAVERY De BILLY Me Simon Corriveau ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO Me Samuel Bergeron GILBERT SIMARD TREMBLAY Dates d’audience : 20, 21 et 22 janvier 2010 Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean bleu inc. 2010 QCCS 3307 COUR SUPÉRIEURE CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL N° : 500-17-047870-095 DATE : 22 JUILLET 2010 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE LISE MATTEAU, J.C.S. ______________________________________________________________________ CENTRE COMMERCIAL LES RIVIÈRES LTÉE Demanderesse - INTIMÉE c. LE JEAN BLEU INC. Défenderesse - REQUÉRANTE ______________________________________________________________________ JUGEMENT ______________________________________________________________________ INTRODUCTION [1] Lui reprochant d'avoir contrevenu à une ordonnance prononcée par cette Cour le 13 juillet 2009, Le Jean Bleu Inc. (Le Jean Bleu) recherche une condamnation pour outrage au Tribunal contre Centre Commercial Les Rivières Ltée (Les Rivières). [2] L'ordonnance dont il est question est rédigée en ces termes : « (…) Le Tribunal ordonne la production des documents faisant l'objet de la liste R-4, devront être produits d'ici le 20 août 2009 ou un JM1895 500-17-047870-095 PAGE : 2 affidavit attestant de leur non-disponibilité devra être produit. (…)»1 LES FAITS [3] Les Rivières est propriétaire d'un centre commercial situé à Trois-Rivières et connu sous le nom de Centre commercial Les Rivières (le Centre commercial). Ivanhoe Cambridge Inc. (Ivanhoe), une société immobilière qui possède et gère plus de quatre-vingts (80) centres commerciaux répartis en Amérique du Nord et à l'étranger, assure la gestion du Centre commercial qui compte plus de cent quatre-vingt-cinq (185) locataires dont, à l'époque où les procédures ont été intentées, Le Jean Bleu qui était également locataire dans sept (7) autres centres commerciaux gérés par Ivanhoé. [4] Le 20 janvier 2009, Les Rivières intente contre Le Jean Bleu une Requête introductive d'instance en réclamation de loyers et résiliation de bail (la Requête introductive d'instance) où elle réclame un montant de 76 327,71 $ à titre d'arrérages de loyers pour les mois de novembre et décembre 2008 et pour le mois de janvier 2009. Le montant de la réclamation comprend notamment la quote-part de l'ensemble des frais d'opération et dépenses du Centre commercial dont Le Jean Bleu serait redevable à Les Rivières aux termes de la clause 4.00 (« Rent and occupancy cost ») du bail intervenu entre les parties.2 [5] Le 25 février 2009 et alors qu'elle n'a toujours pas acquitté le montant des loyers qui lui est réclamé, lequel s'élève alors à une somme de 102 411,94 $, cette Cour prononce une Ordonnance de sauvegarde enjoignant à Le Jean Bleu de déposer en son greffe, au plus tard le 9 mars 2009, un premier montant de 100 000 $ puis, au plus tard le 6 avril 2009, un montant additionnel de 20 000,00 $. [6] Il convient ici de souligner que Le Jean Bleu conteste la présente réclamation puisqu'elle questionne le montant de la quote-part que Les Rivières lui revendique au titre des frais d'opération et dépenses. Dès lors et dans le but de préparer une défense pleine et entière, elle requiert depuis plusieurs mois de Les Rivières l'ensemble des documents justificatifs et relatifs à telles charges. [7] Le 26 mars 2009, à la suite d'une Requête pour nomination d'un expert intentée par Le Jean Bleu, cette Cour entérine une entente intervenue entre les parties où il est convenu que Le Jean Bleu retiendra les services d'un expert, en l'occurrence monsieur Gérald Bernstein (Bernstein)3, comptable agréé, qui consultera en collaboration avec un expert de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), les vérificateurs de Les Rivières, les documents au soutien des montants dont il est fait état au titre des « CAM 1 Voir le Procès-verbal d'audience daté du 13 juillet 2009. Voir la Pièce P-1 déposée au soutien de la Requête introductive d'instance. 3 L'utilisation des noms de famille dans le cadre du présent jugement vise à alléger le texte et l'on voudra bien n'y voir aucune discourtoisie à l'endroit des personnes concernées. 2 500-17-047870-095 PAGE : 3 Recoveries » pour l'année d'opération 2007, soit les frais d'opération, taxes foncières, frais de promotion et frais de marketing. [8] À la suite toutefois d'un différend survenu entre Bernstein et l'expert de RCGT concernant tant la nature des documents qui doivent être consultés que leur confidentialité, Le Jean Bleu signifie à Les Rivières une Requête pour obtention de documents. [9] Le 15 mai 2009, cette Cour entérine une entente intervenue entre les parties où il est convenu que Bernstein aura accès à l'ensemble des documents justificatifs que Les Rivières détient au soutien des informations que cette dernière a transmises par courriel au procureur de Le Jean Bleu le 13 mai précédent. [10] Le 20 mai 2009, à la suite d'une Requête en vue de se conformer à une ordonnance et obtenir le droit d'accès aux lieux de la demanderesse en vue d'obtenir des documents initiée par Le Jean Bleu, cette Cour ordonne à Les Rivières de donner accès à Bernstein à l'ensemble des documents dont il est question dans le cadre de l'entente intervenue entre les parties le 15 mai 2009 et qui a été entérinée par cette Cour le même jour. [11] Le 5 juin 2009, Bernstein se rend à la place d'affaires d'Ivanhoé et procède à la vérification des documents qui lui sont fournis, dont le Grand Livre. [12] Le 25 juin 2009, le procureur de Les Rivières écrit au procureur de Le Jean Bleu aux fins de répondre en ces termes à une série de questions que Bernstein a adressées directement à sa cliente à la suite de telle vérification : «(…) 1. How is the tenant's proportionate share calculated including a detailed calculation of the Gross leaseable area of the shopping center showing each tenant's GLA and the amount excluded by name for each major tenant? a. Are the kiosks included in the calculation of the GLA? (…) The tenant's proportionate share was calculated as follows : Area Unit 1164,004 (denominator) sq.ft (numerator). / 250,457 sq.ft a) Yes, kiosks are included in the calculation of the GLA, see attached the rentable area schedule and plan (annex 1) 500-17-047870-095 PAGE : 4 2. Provide the detailed back up calculation (includes tenant name, square footage and contribution made by each one as outlined in their leases) of the major tenant's contributions in 2007 to common area costs? (…) Lease does not provide for such details other than to deduct major tenant's contributions from costs, this information is confidential. However, please find attached (annex 2) the major tenant's names, total contribution and total area. a. What are the revenues received for mall signage advertising (Pattison, Traffic or CBS) in 2007? As per the dispositions of your lease, we do not have to provide this information. It has no relevance in our calculation of the Property Gross Expenses. b. How much is the kiosk contribution to common area expenses in 2007? Kiosks are included in the GLA. No deduction to be made. c. What are the actual food court tenant reimbursements compared to the actual costs? Food Court Expenses are included in the CAM Certificate. However, the expenses are excluded for Tenant's calculation (see annex 3). No reimbursement due to the fact that we did not include these expenses. d. What does the amount of direct recoveries of $86K consist of including the back up detail for the respective tenants; Revenue from temporary tenants for who they are not include in the GLA. See annex 4 for the details. 3. What is the depreciation policy for the equipment : a. a/c # 55304 depreciation energy equipment – 3 years b. a/c # 55612 depreciation HVAC $6,085 – 10 years c. a/c # 55613 depreciation interior equipment - $17,848 – 10 years 500-17-047870-095 PAGE : 5 d. a/c # 55614 depreciation roof $101,884? (…) Spent over 5 years and the balance in 2007 was for $101,848. Roof repairs should normaly be expensed in the year incurred. However, to reduce impact on Tenant's CAM, Landlord deferred expense over 5 years. 2007 was the last year. 4. How are head office allocations made for the following items: a. Insurance account# 55331 is a specific policy or an allocation and how is this allocation made? We have an Umbrella Policy for Ivanhoe Cambridge. The premiums are based on the asset replacement value. Detail of the breakdown for Les Rivieres has already been provided to your accountant. b. A/C # 55245 photocopier fax-$8,526 – where is the location of the ricoh machine? $2,018x4 =$8,072 actual allocation from head office. The ricoh machine is located in the mall office at Les Rivieres. Detail of the breakdown has already provided. c. allocation A/c# 55364 Administration Services of $32,388.70 allocation directeurs regionales consists of what cost allocations? —from head office Based on revenues of the property and employee head count. Limited to wages and benefits expense accounts. d. Finance Service Fees a/c# 55366 for $32,911 i.e $2,742/month is for what and how is it calculated? —- allocation from head ofice Based on revenues and limited to 28% of the salaries and benefits. e. What is the computer allocation costs of $38,700? i.e $3,225/month? Allocation from head office no bill included in the information provided Cost based on computers in Les Rivieres Mall Offices. See annex 5. 500-17-047870-095 PAGE : 6 f. A/C # 56375 general maintenance services $29,900 ($2,491.67 x 12) is for whom and what type of work is performed? Is it a head office allocation? Service of maintenance and operation from Head Office in support to the General Manager and Operating Manager of the mall. g. What amounts for telephone and internet are allocated from head office to the individual sites? As per GL for accounts 55281 and 55282, no allocation allowed. All invoices have been provided and no allocation made to accounts. 5. Salaries and Wages a. A/C # 55420 $37,129 Cash incentive plan bonus accrual of $2,140/month plus payment of 2006 bonus of $11,449 is for which employees and was a bonus actually paid and how much? Why is bonus in 2007 twice as much as in 2006? What is the bonus calculation base upon? The real expense in 2007 was $37,129 versus in 2006 for an amount of $41,346, not twice is much as alleged in your statement. Regarding the $11,449, it was and adjustment to the 2006 accrual. All permanent and full time employees are eligible. Based on H.R. Policy and remains confidential. b. All Maintenance and Security wages? Who is included in each pay period? Why are there 2 accounts # 55409 and # 56405? Any head office allocation included therein? Operating Manager and Building Service Technician. 2 accounts split between interior and exterior. c. All Mall management salaries —-Who is included in each pay period and why are there 2 accounts # 55418 and # 56411? Is the salary of the director of marketing included therein? Any head office personnel included therein? 500-17-047870-095 PAGE : 7 Guest Service Supervisor, Administrator Assistant, Account Administrator, General Manager and Customer Service Representative 2 accounts split between interior and exterior. d. Should not all Jean Luc Bernard costs only go to marketing and not to CAM? Error of coding report, represents a remittance in the amount of $139,08. 6. A/c # 55584 Equipment for $23,400 one invoice from Maconnerie Francois Demontigny is for what? Brick work done near sports experts back store entrance and brick work done on the exterior premises in two other locations! Is that for the tenant or the CAM? Repairs of bricks of the shopping mall. Bricks were crumbling in various zones and there was risk that they fall (CAM expense) The description on the invoice indicates the zone for which the repairs were necessary. Copy of invoice has been provided. See annex 6. 7. A/c # 56152 roof repairs and maintenance —- $8,253.25 is this not to be part of the roof depreciation as per the lease? It is a repair. Lease does not provide for depreciation of roof expenses for maintenance and repair.»4 (L'emphase est dans le texte) [13] Le 22 mai 2009, Le Jean Bleu signifie à Les Rivières une Requête en vue de se conformer à une ordonnance et obtenir des documents additionnels où elle requiert de cette Cour qu'elle ordonne à Les Rivières de lui transmettre l'ensemble des documents qu'elle n'a toujours pas encore reçus et dont Bernstein a dressé la liste qu'elle produit d'ailleurs au soutien de telle requête sous la Pièce R-4. [14] Il est utile de reproduire ici cette liste dans son intégralité : «(..) 1. Head Office Allocation to the Les Rivières Shopping Centre: a. Provide all supporting documentation for the full cost of the items mentioned below, including but not limited to, the actual supplier invoices addressed to Ivanhoe Cambridge's head office. 4 Pièce R-3. 500-17-047870-095 PAGE : 8 As well the allocation attributed amongst each of the properties which total the full cost: i. Umbrella Policy; ii. Administration Services directeurs régionales; iii. Finance Service Fees- $32,911.00; iv. Computer allocation costs of $38,700.00; v. General maintenance services $29,900.00; vi. Telephone and internet services; vii. Allocation Nationale Conference; of 2. Salaries and Wages: a. Maintenance and Security Wages: $32,388.70 allocation Provide all supporting documentation (that agrees to the total per the General Ledger) for all employees including each pay period (with each T4-Releve 1). As well as a breakdown and the names and functions of each employee physically located at head office and each employee physically located at Les Rivières for each pay period. b. Mall Management Salaries: Provide all supporting documentation (that agrees to the total per the General Ledger) of all employees including each pay period (with each T4-Releve1). As well as a breakdown and the names and functions of each employee pysically located at head office and each employee physically located at Les Rivières for each pay period. 3. Common area revenues received by the Landlord: a. Provide all supporting documentation of the detailed back up calculation of the contribution made by each one of the major tenant's (greater than 15,000 square feet) contributions in 2007 to common area costs (including but not limited to any invoice or statement). Provide as well excerpts of the leases for each of these major tenant's square footage occupied and the tenant's contribution to the common area costs; 500-17-047870-095 PAGE : 9 b. Provide all supporting documentation of the listing of the revenues received for mall signage advertising in 2007; c. Provide all supporting documentation of each food court tenants' reimbursement to the Landlord for the food court area in 2007 and all supporting documentation related to the actual costs incurred by the Landlord for this specific area; d. Provide all supporting documentation of line item "direct recoveries" in the amount of $86,061.00. 4. Provide all supporting documentation for the media fund including but not limited to the expenses incurred and all the revenues received. 5. Provide all supporting documentation for the promotional fund including but not limited to the expenses incurred and all the revenues received. (…)»5 (L'emphase est dans le texte) [15] Le 13 juillet 2009, cette Cour prononce l'ordonnance reproduite plus avant dans le cadre du présent jugement6. [16] Le 20 août 2009, le procureur de Les Rivières fait parvenir au procureur de Le Jean Bleu une lettre où il passe en revue tous et chacun des points mentionnés à la Pièce R-4. [17] Là encore, il est utile de reproduire in extenso la réponse que Les Rivières fournit à Le Jean Bleu à cet égard : «(…) 1.a.i. Les informations relativement à la police d'assurance sont confidentielles étant donné qu'elles réfèrent aux valeurs de l'ensemble des propriétés de Ivanhoé Cambridge. Par ailleurs, nous vous avons fourni avec notre lettre du 25 juin 2009 les informations pertinentes quant à la police d'assurance en réponse à la question 4a). 5 6 Pièce R-5, en liasse. Voir le paragraphe [2] du présent jugement. 500-17-047870-095 1.a.ii. Nous vous avons remis cette information avec notre lettre du 25 juin 2009 en réponse à la question 4c). Par ailleurs, aucune facture n'existe puisqu'il s'agit de calculs internes. Quant aux salaires pour chaque direction régionale, les salaires des employés sont confidentiels. 1.a.iii. Notre cliente a répondu à votre demande d'information en réponse à votre question 4d) au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. Par ailleurs, les salaires des employés sont confidentiels. 1.a.iv. Nous avons répondu à cette question en réponse à la question 4e) au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. Pour votre information, aucune facture n'est disponible puisque l'allocation provient directement du département informatique de Ivanhoé Cambridge inc. 1.a.v. Notre cliente a déjà fourni cette information en réponse à la question 4f) au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. 1.a.vi. Notre cliente nous informe que les factures ont déjà été remises à l'expert de votre cliente dans le cadre de son expertise, lequel a pris seulement quelques échantillons. De plus, pour votre information, notre cliente a répondu à la section 4g) au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. 1.a.vii. Notre cliente nous informe qu'elle a déjà donné ces informations à l'expert de votre cliente dans le cadre de son expertise. Nous sommes informés que votre expert a eu accès aux factures et aux méthodes d'allocation fournies. Par ailleurs, veuillez trouver cijoint la ventilation du coût de la conférence nationale ainsi que des copies de trois chèques pour un total de 69 302,48 $. 2.a. Notre cliente nous informe qu'elle a déjà répondu à cette question à l'item 5b) au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. Quant aux PAGE : 10 500-17-047870-095 salaires, notre cliente ne donnera pas ces informations au motif qu'ils sont confidentiels. 2.b. Nous avons déjà répondu à cette question à l'item 5c) au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. Notre cliente nous informe également que votre expert a pris une copie de l'organigramme des employés de la demanderesse lors de son expertise. 3.a. Notre cliente nous informe qu'elle a remis cette information en réponse à l'item 1 au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. Nous sommes également informés que votre cliente a l'information pertinente aux fins de son expertise. 3.b. Nous sommes informés que votre cliente a déjà l'information en réponse à la question 2a) au soutien de notre lettre du 25 juin 2009. 3.c. Nous sommes informés que notre cliente vous a déjà fourni cette information à l'item 2c) au soutien de la nôtre du 25 juin 2009. De plus, les dépenses de foire alimentaire sont exclues du calcul des frais d'opération. 3.d. Nous sommes informés que notre cliente a déjà donné l'information dans le cadre de l'expertise de votre cliente et a également remis le détail à l'annexe 4 au soutien de la nôtre du 25 juin 2009. Par ailleurs, veuillez trouver ci-joint copie du détail des « recoveries » tel que demandé. 4. Puisqu'il s'agit d'une charge fixe, votre cliente ne devrait pas recevoir de crédit ou d'ajustement de sorte que nous ne voyons pas la pertinence de cette demande. PAGE : 11 500-17-047870-095 PAGE : 12 5. Puisqu'il s'agit d'une charge fixe, votre cliente ne devrait pas recevoir de crédit ou d'ajustement de sorte que nous ne voyons pas la pertinence de cette demande. (…)»7 (Le Tribunal souligne) [18] Étant d'avis que les informations qui lui ont été transmises ne respectent d'aucune façon ni la lettre ni l'esprit de l'ordonnance prononcée par cette Cour le 13 juillet 2009, Le Jean Bleu intente dès lors contre Les Rivières une Requête pour qu'une ordonnance spéciale de comparaître à une accusation d'outrage au Tribunal soit rendue. [19] Le 27 août 2009, cette Cour prononce à l'encontre de Les Rivières une Ordonnance de comparaître à une accusation d'outrage au Tribunal qui lui est signifiée le même jour. [20] Il est à noter qu'à ce jour, le montant de la réclamation de Les Rivières totalise une somme de 159 130,48 $ (années 2007, 2008 et 2009). Par ailleurs, comme le bail qui régissait les parties est venu à échéance et n'a pas été renouvelé, Le Jean Bleu n'est plus locataire dans le Centre commercial. LE DROIT [21] C'est dans l'arrêt Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc.8 que la Cour suprême reconfirmait en ces termes le caractère exceptionnel du régime de l'outrage au Tribunal : «(…) En somme, le régime spécial de l'outrage en droit québécois procède du principe suivant : l'outrage au Tribunal est strictissimi juris et de nature quasi pénale, étant donné les conséquences possibles. » (Le Tribunal souligne) [22] Un an auparavant, la Cour d'appel prononçait l'arrêt Daigle c. St-Gabriel de Brandon (Corporation municipale de la paroisse de)9 maintes fois repris par la suite par nos tribunaux. 7 Pièce R-2. [1992] 2 R.C.S. 1065. 9 EYB 1991-56301. 8 500-17-047870-095 PAGE : 13 [23] Après avoir rappelé le contexte particulier de l'outrage au Tribunal et la réserve dont les tribunaux doivent faire preuve sur cette question, monsieur le juge Chevalier, au nom de la Cour, discute ainsi des particularités d'un tel recours : «(…) [13] Est-il nécessaire de rappeler que la procédure d'outrage à laquelle réfère l'article 50 du Code de procédure civile et les sanctions sévères dont l'article 51 rend passible celui qui le commet ne peuvent être utilisées à la légère. L'article 50 n'a pas été conçu pour remplacer les moyens ordinaires d'exécution d'un jugement qui sont prévus dans d'autres parties du Code précité. Comme le souligne mon collègue monsieur le juge Tyndale dans Rivard c. Procureur général du Québec – (1984) R.D.J. 571, à la page 576 : Contempt is in a class by itself; it has its own rules. [14] La même réserve a été énoncée dans de nombreux arrêts de nos cours. Le rôle du tribunal est bien résumé dans ces paroles de Lord Russel dans Rex c. Gray – Law Reports, 1900, 2 Q.B., page 36, à la page 41 : It is a jurisdiction, however, to be exercised with scrupulous care, to be exercised only where the case is clear and beyond a reasonable doubt. » (Le Tribunal souligne) [24] Abordant par la suite les paramètres devant guider le Tribunal dans le cadre de son analyse de la violation d'une ordonnance, monsieur le juge Chevalier précise ce qui suit : «(…) [15] Lorsqu'il s'agit d'une allégation de non-exécution d'un ordre du tribunal, le juge saisi d'une demande en déclaration d'outrage doit, à mon avis, procéder par étapes. Il lui faut d'abord examiner attentivement les termes du jugement auquel, selon le requérant, l'intimé n'aurait pas obéi. Ces termes impliquent, non seulement le sens des mots utilisés mais aussi l'esprit dans lequel l'ensemble de la décision a été conçu par celui qui l'a rédigée. Si, après examen il s'avère que la phraséologie employée est ambigue [ sic] ou est susceptible d'interprétations multiples, le juge a l'obligation de retenir cet élément d'appréciation lorsqu'il aborde les étapes subséquentes. Le Syndicat des employés de transport Dumont c. Nap Dirmont Limitée – (1987) C.A., 532. [16] Il doit ensuite se demander si la preuve révèle que l'intimé n'a pas satisfait à l'ordonnance. Le fardeau d'établir cette preuve de l'actus reus incombe incontestablement au requérant en outrage. S'il ne s'en acquitte pas ou si, après 500-17-047870-095 PAGE : 14 étude, un doute sérieux subsiste à ce sujet dans l'esprit du juge, point n'est besoin pour lui de poursuivre l'examen de la question. [17] Le cas échéant où une telle preuve est faite, il y a alors renversement du fardeau de la preuve en ce sens qu'il incombe à l'intimé d'expliquer pourquoi il n'a pas satisfait au jugement. Comme le rappelle monsieur le juge Monet dans Martial c. La Reine – (1985) R.D.J. 492-, ce fardeau se limite à celui de la présentation des motifs. En toutes circonstances, le fardeau de persuader le tribunal, au-delà d'un doute raisonnable, et face à l'ensemble de la preuve, que l'outrage a été commis demeure toujours à la charge du requérant. Cet ensemble est constitué 1) des termes du jugement 2) de l'actus reus et 3) des explications qui, selon l'intimé devraient suffire à l'exonérer du délit reproché. [18] Dans le contexte particulier de l'art. 50 C.p.c., la mens rea qui constitue un élément essentiel du comportement de l'intimé peut se manifester de deux façons : ou bien l'attitude du débiteur de l'obligation reconnue par le jugement démontre une intention évidente de ne pas l'exécuter; ou bien il y a donné suite d'une façon qui, en plus d'être insatisfaisante, révèle de sa part une insouciance grossière à en respecter, sinon la lettre, du moins l'esprit dans lequel elle lui a été imposée. » (Le Tribunal souligne) [25] Dans l'arrêt Roques c. Sans10, la Cour d'appel applique ces principes en réitérant ce qui suit : «(…) « [1] Selon l'état du droit, la procédure à suivre en matière d'outrage au tribunal est la suivante : 1ère ÉTAPE : le requérant en outrage doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l'intimé n'a pas satisfait à l'ordonnance contenue au jugement (actus reus); 2e ÉTAPE : une fois cette preuve faite, le fardeau de la preuve est renversé et il incombe alors à l'intimé d'expliquer pourquoi il ne s'est pas soumis au jugement. Ce fardeau se limite à la présentation des motifs; 3e ÉTAPE : cette démonstration faite, le fardeau revient sur les épaules du requérant d'établir hors de tout doute raisonnable la fausseté des motifs invoqués et de convaincre le tribunal que c'est de propos volontaire, délibéré et sans aucune excuse légitime que l'intimé n'a pas satisfait au jugement (mens rea). » 10 J.E. 2004-790 (C.A.). 500-17-047870-095 PAGE : 15 [26] Dans l'affaire Bouchard c. Société Industrielle de Décolletage et d'Outillage (S.I.D.O.) Ltée et autres11, après révision des enseignements de la Cour d'appel en pareille matière12, monsieur le juge Dumas de cette Cour souligne que l'ordonnance qui est au coeur d'un recours pour outrage au tribunal doit être analysée en fonction tant de sa lettre que des circonstances l'entourant. Il ajoute par ailleurs ce qui suit : «(…) [21] L'outrage au tribunal est un remède exceptionnel pour faire exécuter les ordonnances des tribunaux. La procédure à suivre est rigoureuse et le fardeau de preuve dépasse la prépondérance des probabilités. Ce recours exceptionnel ne peut être utilisé à toutes les sauces et doit se rattacher étroitement à l'ordonnance rendue. » (Le Tribunal souligne) [27] C'est donc à la lumière de ces enseignements que le Tribunal doit déterminer si Les Rivières a contrevenu à l'ordonnance prononcée par cette Cour le 13 juillet 2009. L'ANALYSE PREMIÈRE ÉTAPE : LES TERMES DE L'ORDONNANCE QUI AURAIT ÉTÉ VIOLÉE [28] L'ordonnance est rédigée en ces termes : « Le Tribunal ordonne la production de documents faisant l'objet de la liste R-4, devront être produits d'ici le 20 août 2009 ou un affidavit attestant de leur non-disponibilité devra être produit. (…) »13 (Le Tribunal souligne) [29] Une ordonnance ne saurait être plus claire : Les Rivières doit produire, dans le délai imparti, les documents énumérés à la liste R-4 ou encore un affidavit attestant de leur non-disponibilité. [30] La liste R-4, qui a été élaborée par Bernstein à la suite de la vérification qu'il a effectuée à la place d'affaires d'Ivanhoé, a par ailleurs elle aussi le mérite d'être dénuée de toute ambiguïté en ce qu'elle énonce clairement les cinq (5) catégories de 11 [2009] QCCS 5777. Voir notamment Zhang c. Chau, J.E. 2003-1288 (C.A.). 13 Précité, note 1. 12 500-17-047870-095 PAGE : 16 documents que Les Rivières doit transmettre à Le Jean Bleu aux fins de justifier les dépenses d'opération qu'elle lui réclame. [31] D'ailleurs, tant monsieur le juge Mongeon qui a rendu l'ordonnance dont il est ici question que le procureur de Les Rivières ont bien cerné l'objectif recherché par Le Jean Bleu à l'appui de la requête qu'elle a signifiée à Les Rivières le 22 mai 2009. L'échange qui s'est alors tenu entre eux est là pour en témoigner : «(…) La Cour : Frais d'administration, trente-deux mille dollars (32 000 $), allocation, directeur régional. Bon. Ce qu'on veut savoir, c'est quels sont les justificatifs pour le trente-deux mille (32 000 $) et, présumément, comment se fait l'allocation. Bon. Ça, de deux choses l'une. Ou bien vous pouvez répondre par documents ou vous devez répondre par explications. Me François Viau : Tout à fait. La Cour : Ou, sans doute, un mélange des deux, hein. Me François Viau : Voilà. La Cour : Bon. Alors, est-ce que ce ne serait pas logique de procéder en deux (2) étapes? Vous allez regarder la liste, vous allez produire les documents qu'on vous demande, dans la mesure où vous êtes en … vous les avez, ces documents-là? Me François Viau : Et on y consent, évidemment, à les produire sans que le Tribunal choisisse si ça doit être remis ou pas. La Cour : Bien, je ne vois pas pourquoi ça ne devrait pas être remis, mais à part de ça… 500-17-047870-095 PAGE : 17 Me François Viau : Je vous écoute. La Cour : … on peut toujours regarder les éléments. Ce sont toutes des dépenses qui font partie de vos frais d'opération. Me François Viau : Tout à fait. La Cour : Si vous réclamez un dollar (1 $) pour des frais d'opérations, soyez prêt à justifier votre dollar, maître. » Me François Viau : Ce n'est pas tout à fait comment ça fonctionne, Votre Seigneurie, dans le domaine des centres d'achat parce que si chaque locataire aurait le droit d'aller à la cenne près, vous avez une idée, le cauchemar administratif que ça représenterait. Mais à tout événement, dans ce dossier-là, on a décidé d'y aller. (…)»14 (Le Tribunal souligne) [32] Plus loin, l'échange se poursuit en ces termes : La Cour : Vous allez … je vais ajourner jusqu'à 2 h 00. Me François Viau : Oui, Votre Seigneurie. La Cour : Vous allez vous asseoir, vous allez regarder cette liste-là, vous allez voir ce sur quoi vous vous entendez ou non. Sinon, je rendrai des ordonnances appropriées. Mais je vais vous dire bien franchement, maître Viau, si un locateur réclame des frais d'administration, quels qu'ils soient, en réclamant les frais d'administration, il s'expose à ce qu'on lui demande des justificatifs. 14 Extrait de la transcription des notes sténographiques de l'audition du 13 juillet 2009, pp. 35, 36 et 37. 500-17-047870-095 PAGE : 18 Me François Viau : Tout à fait. La Cour : Ne venez pas me dire que si c'est comme ça, chaque locataire n'a pas le droit d'obtenir les justificatifs, on a un problème. Me François Viau : Ce n'est pas ce que je vous dis, Votre Seigneurie. La Cour : Bien, c'est ce que j'ai compris tout à l'heure, il y a un moment. Me François Viau : Je vous dis tout simplement que le justificatif est vérifié par les vérificateurs et ensuite, les vérificateurs, ils vont remettre ce qu'ils ont regardé et les livres sont ouverts. Mais ça ne veut pas dire que tu as le droit d'aller vérifier des choses qui sont peut-être un peu trop loin dans le cadre d'une expertise. La Cour : Vous pensez? Me François Viau : Honnêtement. La Cour : Réfléchissez-y pendant l'heure du lunch. Me François Viau : D'accord. Me Bernard Lévy-Soussan : Vous avez mes pièces. 500-17-047870-095 PAGE : 19 La Cour : Bien, je vous remets tout là. C'est suspendu jusqu'à 2 h 00. Et à 2 h 00, je verrai ce que je fais exactement. »15 (Le Tribunal souligne) [33] À la reprise de l'audition, alors que monsieur le juge Mongeon s'informe de l'état de la situation, l'échange suivant s'engage entre le Tribunal et les procureurs des parties : «(…) La Cour : Alors, on revient, maître Lévy-Soussan et maître Viau. Quelle est la situation? Me Bernard Lévy-Soussan : Mon collègue a consulté la liste que je lui ai remise et il me dit qu'il est d'accord pour me remettre tous les documents y mentionnés. (…) (…) La Cour : Quel est le délai dont vous avez besoin maître Viau? Me François Viau : 45 jours. (…) La Cour : Ceci étant dit, je vais fixer la date de production des documents. Vous revenez le 16, je vous donne jusqu'au 20 août pour produire les documents qui font l'objet de la liste, à laquelle vous consentez, maître Viau? Me François Viau : J'y consens, tout à fait. 15 Id., pp. 38, 39 et 40. 500-17-047870-095 PAGE : 20 La Cour : Parfait. Me François Viau : Dans la mesure du disponible avec la cliente, je ne suis pas le … La Cour : Dans la mesure où les documents sont disponibles. Me François Viau : Voilà. La Cour : Pas dans la mesure où la cliente est d'accord. Me François Viau : Non, non. (…)»16 (Le Tribunal souligne) [34] Ces échanges ne suscitent aucune ambiguïté quant à l'information que Les Rivières doit transmettre à Le Jean Bleu, le délai dont elle dispose pour exécuter l'ordonnance et l'obligation de produire un affidavit si les documents visés ne sont pas disponibles. [35] Les Rivières est aujourd'hui mal venue de plaider le caractère imprécis de certaines demandes dont fait état la liste R-4, alors même que son procureur a eu l'opportunité de consulter la liste et a clairement mentionné au Tribunal son intention d'y donner suite. [36] Dès lors et en raison du fait que l'ordonnance rendue le 13 juillet 2009 n'est susceptible d'aucune interprétation, le Tribunal n'aura pas à moduler son analyse lorsqu'il abordera les étapes subséquentes17, mais devra plutôt considérer que telle ordonnance est d'une clarté exemplaire. 16 17 Id., pp. 41, 42, 49 et 50. Précité, note 9. 500-17-047870-095 PAGE : 21 DEUXIÈME ÉTAPE : LA PREUVE DE LA VIOLATION DE L'ORDONNANCE (ACTUS REUS) [37] Lors de cette étape, Le Jean Bleu doit démontrer hors de tout doute raisonnable que Les Rivières n'a pas satisfait à l'ordonnance du 13 juillet 2009. [38] S'il est vrai que Les Rivières a répondu à Le Jean Bleu dans le délai imparti à telle ordonnance, soit le 20 août 2009, la réponse qu'elle a donnée ne respecte toutefois ni les termes ni l'esprit dans lequel l'ensemble de l'ordonnance a été rendu. Pour s'en convaincre, il suffit de référer au contenu de la lettre que Les Rivières a adressée à Le Jean Bleu le 20 août 2009 et où elle fait notamment état des motifs suivants pour lesquels elle ne livre pas l'ensemble des documents et/ou informations visés : Les informations demandées sont imprécises, non pertinentes ou confidentielles; Aucun document n'est disponible; Elle a déjà transmis à Le Jean Bleu les informations et/ou documents visés dans le cadre de sa lettre du 25 juin 2009; Elle a donné accès à Bernstein, l'expert de Le Jean Bleu, au Grand Livre, et aux montants justificatifs. [39] D'une part, la nature même du Grand Livre ne permet pas, à quiconque remet en question la validité des chiffres y mentionnés, d'effectuer les vérifications pertinentes. Seul l'accès à la « supporting documentation » à la base de chacun d'eux permettra d'effectuer un véritable travail de vérification. [40] Par ailleurs, lors de l'audition du 13 juillet 2009, non seulement le procureur de Les Rivières a clairement consenti à transmettre à Le Jean Bleu l'ensemble des documents et/ou informations répertoriés à la liste R-4, mais le juge Mongeon a également avisé ce dernier que la transmission des documents et/ou informations devait être faite «(…) Dans la mesure où les documents sont disponibles (…) Pas dans la mesure où la cliente est d'accord. (…)»18. (Le Tribunal souligne) [41] Or, du contenu même de la lettre que Les Rivières a adressée à Le Jean Bleu le 20 août 2009, force est de constater que la transmission des documents et/ou informations relevait de son entière discrétion. [42] Est-il utile en outre de rappeler qu'aucun affidavit attestant de la non-disponibilité de certains documents n'a été produit. 18 Précité, note 16, p. 50. 500-17-047870-095 PAGE : 22 [43] Bref, la preuve révèle hors de tout doute raisonnable que tant la lettre que l'esprit de l'ordonnance du 13 juillet 2009 n'ont pas été respectés, ce que Les Rivières ne peut d'ailleurs nier puisqu'elle a elle-même avisé Le Jean Bleu, dans la lettre qu'elle lui a adressée le 20 août 2009, des raisons pour lesquelles elle ne lui avait pas transmis les documents et/ou informations dont faisait état la liste R-4. TROISIÈME ÉTAPE : LES MOTIFS INVOQUÉS PAR L'INTIMÉ [44] À cette étape, il incombe à Les Rivières d'expliquer les raisons pour lesquelles elle n'a pas respecté l'ordonnance du 13 juillet 2009. Ce fardeau se limite à la présentation des motifs. [45] C'est d'ailleurs à un tel exercice que s'est livré le procureur de Le Jean Bleu lors de l'audition de la présente requête lorsqu'il a interrogé madame Linda Froncioni (madame Froncioni), chef régional pour la région de l'Est du Canada/Département des finances chez Ivanhoé, sur chacun des items répertoriés à la liste R-4 aux fins de connaître les raisons pour lesquelles Les Rivières n'a pas transmis tous les documents et/ou informations visés ou encore produit un affidavit attestant, si tel était le cas, de leur non-disponibilité. [46] Il convient d'abord de souligner qu'après avoir mentionné que pour certains items répertoriés à la liste R-4, soit il n'existe aucun document, soit les documents ne sont pas disponibles, madame Froncioni n'a fourni aucune explication aux fins de justifier qu'aucun affidavit n'ait été produit par Les Rivières, si ce n'est de dire que cette dernière n'a pas estimé ni nécessaire ni utile de rédiger un tel document. [47] Par ailleurs et sans reprendre de façon exhaustive tous et chacun des points dont fait état la liste R-4, qu'il suffise de mentionner que madame Froncioni a expliqué ainsi le défaut de Les Rivières d'avoir transmis au plus tard le 20 août 2009 tous les documents et/ou informations visés : Les documents et/ou informations demandés sont imprécis, non pertinents, non nécessaires ou confidentiels; Les documents et/ou informations demandés ont déjà été transmis à Le Jean Bleu dans le cadre de la lettre que Les Rivières lui a adressée le 25 juin 2009; Le présent litige ne concernant que Les Rivières, il n'est pas de l'intention de Ivanhoé de transmettre les documents et/ou informations concernant l'ensemble de ses propriétés. [48] Ce sont là pour l'essentiel les réponses fournies par Les Rivières aux fins de justifier le non-respect de l'ordonnance du 13 juillet 2009. 500-17-047870-095 PAGE : 23 QUATRIÈME ÉTAPE : LA PREUVE DE LA MENS REA [49] Lors de cette dernière étape, Le Jean Bleu doit démontrer hors de tout doute raisonnable la fausseté des motifs invoqués par Les Rivières et convaincre le Tribunal que c'est de propos volontaire, délibéré et sans aucune excuse légitime que Les Rivières n'a pas satisfait à l'ordonnance du 13 juillet 2009. [50] Avant toutefois d'aborder l'analyse de cette quatrième étape, il convient de souligner que lors du témoignage qu'elle a livré, madame Froncioni a expliqué que pour produire la lettre du 20 août 2009, elle a notamment travaillé de concert avec Me Nicolas Rioux, un avocat à l'interne chez Ivanhoé, et Me François Viau, l'avocat qui représente Les Rivières dans le cadre du présent litige. L'absence d'affidavit [51] Ici, Le Jean Bleu a démontré hors de tout doute raisonnable que Les Rivières n'a jamais eu l'intention de produire quelque affidavit que ce soit pour attester de la nondisponibilité de certains documents et/ou informations concernés. [52] Non seulement Les Rivières n'a fourni aucune explication pour justifier l'absence d'un tel document, mais la preuve révèle sans conteste une insouciance grossière de sa part à respecter, quant à cet aspect, les termes de l'ordonnance du 13 juillet 2009. [53] Alors que madame Froncioni a reconnu comprendre la nature et la portée d'un tel document, Mes Rioux et Viau, qui l'ont tous deux assistée dans la préparation de la lettre du 20 août 2009, étaient au fait, ou du moins auraient du l'être, tant de la nature que de l'importance d'un tel document, surtout en regard des termes clairs et non équivoques de l'ordonnance du 13 juillet 2009. [54] Dès lors et sur ce seul aspect, Les Rivières s'est rendue coupable d'outrage au Tribunal. [55] Mais, il y a plus. La transmission des documents que Les Rivières savait incomplets [56] Même si dans le cadre de sa lettre du 20 août 2009, Les Rivières mentionne avoir déjà répondu à la majorité des demandes de documents et/ou informations visés par la liste R-4, force est de constater que les documents qu'elle a transmis à Le Jean Bleu le 25 juin 2009 ne répondent aucunement à l'objectif que cette dernière recherche depuis déjà plusieurs mois, soit celui de vérifier et valider les données inscrites au Grand Livre. Madame Froncioni a elle-même reconnu une telle lacune. 500-17-047870-095 PAGE : 24 [57] Par ailleurs, il est inadmissible de la part de Les Rivières de répondre de la manière dont elle l'a fait le 20 août 2009, alors même que la liste R-4 constitue la pierre angulaire de l'ordonnance qui a été prononcée par cette Cour le 13 juillet 2009, que telle liste a été dûment validée par son procureur et que les réponses données antérieurement, notamment celles du 25 juin 2009, ne satisfaisaient manifestement pas les demandes de Le Jean Bleu. [58] Est-il en outre utile de rappeler qu'avant même l'ordonnance du 13 juillet 2009, il aura fallu, encore là en vain, deux (2) ordonnances de cette Cour, soit celles des 15 et 20 mai 2009, pour que Le Jean Bleu ait la possibilité d'avoir accès aux documents et/ou informations qu'elle sollicitait. [59] Le Tribunal ne saurait mieux dire que monsieur le juge Victor Melançon de cette Cour dans l'affaire Mercier c. Tim Goforth et 9041-4983 Québec Inc.19, alors qu'il discutait en ces termes du comportement du défendeur : «(…) [11] Il apparaît évident de la preuve que le Tribunal a entendue que le défendeur et l'entreprise dont il est l'alter ego principal, vu probablement la querelle qui l'oppose à l'actionnaire minoritaire, n'avait pas l'intention, au point de départ, de fournir beaucoup de documentation. Par la suite, il est exact que matériellement il y a eu accès, ou possibilités d'accès à des documents. Cependant, pour employer une expression un peu populaire « Chercher une aiguille dans un tas de foin » est une entreprise bien vaste et bien difficile. Et il est étonnant que l'on veuille prétendre avoir respecté la lettre et l'esprit d'une ordonnance en procédant comme la défense l'a fait. [12] (…) Il est évident que l'état d'esprit de la défense était clairement, dès le point de départ de cette guerre juridique, de donner le moins d'accès possible à de la documentation, et que le petit peu qui a été fourni a été arraché feuille à feuille, je dirais. (…) Mais la vérification à laquelle voulait procéder le demandeur n'a pas été possible à cause de l'absence d'un accès véritable aux documents qu'a eus le comptable des défendeurs. [15] (…) Donc il y a une intention telle qui émane de l'ensemble de la preuve que je suis satisfait que hors de tout doute on a voulu formellement répondre à l'ordonnance mais qu'en réalité on n'y a pas répondu et ainsi la preuve présentée par le demandeur correspond aux exigences requises pour que le Tribunal constate qu'il y a eu un manquement aux obligations légales découlant de l'ordonnance du juge Bélanger et que la requête pour outrage au Tribunal, les mots sont violents mais la réalité est ce qu'elle est, c'est pour non-respect véritable d'une ordonnance du tribunal est démontrée. (…)» 19 500-05-069503-017 (C.S.MTL), le 9 octobre 2003. 500-17-047870-095 PAGE : 25 (Le Tribunal souligne) [60] Là encore, en procédant comme elle l'a fait, Les Rivières s'est rendue coupable d'outrage au Tribunal. Le refus de répondre à certaines demandes de documents et/ou informations aux motifs qu'ils sont imprécis, non pertinents, non nécessaires ou confidentiels. [61] Le comportement de Les Rivières à cet égard démontre sans conteste une volonté flagrante de se soustraire aux termes de l'ordonnance du 13 juillet 2009. [62] D'abord, plusieurs des raisons qu'elle invoque ont déjà fait l'objet de discussions entre monsieur le juge Mongeon et son procureur,20 qui était alors bien au fait de l'esprit dans lequel l'ordonnance dont il est ici question a été rendue. [63] Par ailleurs, non seulement le procureur de Les Rivières a dûment consenti à transmettre tous les documents et/ou informations dont fait état la liste R-4, mais même si tel n'avait pas été le cas, Les Rivières avait tout le loisir d'en appeler de telle ordonnance, ce qu'elle n'a pas fait. Elle devait donc se conformer en tout point à l'ordonnance du 13 juillet 2009, soit transmettre à Le Jean Bleu tous les documents et/ou informations faisant l'objet de la liste R-4 qui, faut-il le rappeler, constitue la pierre angulaire de telle ordonnance. [64] En décidant elle-même de ce qui était imprécis, non pertinent, non nécessaire ou confidentiel, Les Rivières a démontré une intention délibérée de ne pas se conformer à l'ordonnance du 13 juillet 2009, de même qu'une insouciance grossière à ne pas respecter ni la lettre, ni l'esprit dans lequel telle ordonnance lui avait été imposée. [65] Le Tribunal ne saurait ainsi cautionner un tel comportement qui démontre une désinvolture totale à l'égard d'une ordonnance de cette Cour, et ce, alors que Les Rivières avait pourtant dûment été avisée par monsieur le juge Mongeon que la transmission des documents et/ou informations concernés ne pouvait dépendre de son bon vouloir. [66] Or, en procédant comme elle l'a fait, Les Rivières a fait fi de cette mise en garde et décidé de ne transmettre à Le Jean Bleu que les documents et/ou informations qu'elle-même estimait utiles, pertinents et non confidentiels. 20 Précité, notes 14, 15 et 16. 500-17-047870-095 PAGE : 26 [67] D'ailleurs, sur la question de la confidentialité, monsieur le juge Mongeon a tenu cet échange avec le procureur de Les Rivières : «(…) Me François Viau : Je pense qu'il veut avoir des listes de salaires aussi. La Cour : Oui. Représentations de Me François Viau : On rentre dans des choses qui sont… Vous savez, Votre Seigneurie, quant tu fais faire une vérification par évidemment des vérificateurs, c'est évidemment pour se mettre entre les… tu ne peux pas divulguer évidemment à une partie demanderesse les salaires des employés, des choses comme ça évidemment. Tu peux le faire au niveau d'un poste général au niveau des salaires, mais si on veut savoir combien qu'il est payé par année, combien qu'il fait de l'heure, et caetera, c'est des choses comme ça évidemment qui vont faire l'objet d'un interrogatoire, pour s'assurer qu'on puisse protéger les droits des gens. La Cour : Mais, maître, il y a moyen de protéger les droits des gens. Me François Viau : Absolument. La Cour : Assoyez-vous puis notamment là pour ça. Prenez la liste des salaires, puis vous caviardez les adresses ou les noms, parce que ce n'est pas les noms dont on a besoin, c'est la fonction puis la charge, le montant que ça coûte, vu que vous les facturez en vertu de votre clause d'escalation de frais d'opérations, Ça se fait ça. (…)»21 (Le Tribunal souligne) [68] 21 Dès lors et ce faisant, Les Rivières s'est rendue coupable d'outrage au Tribunal. Précité, note 14, pp. 27, 28 et 29. 500-17-047870-095 PAGE : 27 POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : • ACCUEILLE la Requête pour outrage au Tribunal intentée par la requérante; • DÉCLARE l'intimée, Centre Commercial Les Rivières Ltée, coupable d'outrage au Tribunal; • FIXE les représentations sur sentence pro forma, le 15 septembre 2010, en salle 2.08, ou à toute autre salle qui pourra être déterminée ultérieurement; • LE TOUT, avec dépens. __________________________________ LISE MATTEAU, J.C.S. Me François Viau GOWLING, LAFLEUR, HENDERSON Avocat de l'intimée Me Bernard Lévy-Soussan NAZEM, LÉVY-SOUSSAN, LAUZON, RATELLE Avocat de la requérante Date d’audience : 30 novembre 2009 Date du début du délibéré : 10 février 2010 GPM 10 GP inc. c. Laboratoire Analtech inc. 2009 QCCQ 5528 COUR DU QUÉBEC CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL « Chambre civile » N° : 500-22-146382-083 DATE : 18 juin 2009 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE CHRISTIAN M. TREMBLAY, j.c.Q. ______________________________________________________________________ GPM 10 GP INC. GPM REAL PROPERTY (10) LTÉE Demandeurs c. LABORATOIRE ANALTECH INC. Défenderesse ______________________________________________________________________ TRANSCRIPTION DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 4 JUIN 2009 ______________________________________________________________________ [1] Pour les fins du présent jugement, le locateur sera désigné comme étant GPM et le locataire comme étant Analtech. [2] Suite à l'abandon des lieux loués par Analtech, GPM cherche à obtenir le paiement du loyer échu, une indemnité pour les loyers non versés, et ce, jusqu'à la relocation du local commercial, ainsi que le remboursement des honoraires versés au courtier immobilier qui lui a permis de passer un nouveau bail avec un nouveau locataire. Le tout forme un total de 32 555,66 $. 500-22-146382-083 PAGE : 2 LES FAITS [3] De l'ensemble de la preuve le Tribunal retient les faits suivants comme étant pertinents à la résolution du présent litige. [4] Les parties sont liées par un bail commercial (P-1) qui a été renouvelé en février 2006 (P-4). Selon la pièce P-4, le bail doit se terminer le 31 mars 2009. Le loyer mensuel est alors de 2 172,65 $ pour un local de 2 288 pieds carrés, soit 10 $ le pied carré plus taxes. [5] Le ou vers le 28 juillet 2007, Analtech quitte les lieux loués sans en aviser au préalable le locateur. Elle s'engage cependant à payer le loyer jusqu'à ce que le local soit sous-loué. [6] En août 2007, GPM entreprend des démarches afin d'aider Analtech à souslouer le local (pièces P-7 a), b) et c)). [7] Jusqu'au 1er novembre 2007, Analtech paie son loyer. Cependant, à cette date elle fait défaut. [8] Le ou vers le 4 décembre 2007, Analtech transmet une lettre à son locateur (pièce P-5). Par l'entremise de son avocat elle avise GPM qu'elle met fin à ses activités et, par conséquent, qu'elle met fin au bail. Analtech demande à GPM de considérer le bail comme étant résilié à compter du 4 décembre 2007. Elle avise GPM qu'elle a l'obligation de minimiser ses dommages et qu'elle doit tenter de relouer le local. [9] À ce moment, il reste encore 16 mois au bail. [10] Dès lors, GPM poursuit ses efforts pour louer le local commercial plutôt que pour le sous-louer: affichage extérieur (pièce P-9), site internet, contact avec divers courtiers immobiliers (pièce P-11), distribution d'une liste mensuelle (pièce P-7 d) et e)), fiche descriptive (pièce P-10). [11] Pendant plusieurs mois, GPM n'a que quelques visites et demandes d'informations par téléphone. [12] En août 2008, GPM change les données. En effet, la fiche descriptive P-10 indique que la suite numéro 10 est maintenant d’une superficie de 2 625 pieds carrés et que le loyer brut est de 13 $ le pied carré plus taxes. [13] En décembre 2008, un nouveau locataire est trouvé grâce à l'intervention du courtier Royal Lepage. Le 16 décembre 2008 le nouveau locataire signe le bail, lequel débute le 1er janvier 2009 (pièce P-8). [14] En janvier 2009, GPM reçoit une facture de Royal Lepage (pièce P-12) au montant de 5 777,79 $ laquelle est acquittée en février de la même année. 500-22-146382-083 PAGE : 3 QUESTIONS EN LITIGE [15] Le présent litige soulève les questions suivantes. [16] À quelle date le bail est-il résilié? [17] Y a-t-il arrérages de loyers? [18] GPM a-t-elle droit à une indemnité pour pertes de loyers futurs pour une période de 12 mois? [19] Analtech est-elle tenue de rembourser les frais du courtier Royal Lepage? ANALYSE ET DISCUSSION La résiliation du bail [20] La clause 8.14 du bail prévoit qu'en cas de défaut du locataire, le locateur peut résilier le bail en avisant le locataire par écrit. Dès lors, le locateur peut relouer le local. [21] La preuve prépondérante démontre que c'est à compter du 4 décembre 2007 que Analtech considère que le bail prend fin. La lettre de Me Cléroux (pièce P-5) est sans équivoque. [22] Suite à la réception de cette lettre, GPM consent à cette demande puisque le locateur effectue alors une démarche pour relouer le local. [23] L'envoi d'une lettre par le locateur pour aviser le locataire que le bail est résilié était totalement inutile puisque c'est Analtech qui a pris l'initiative de solliciter la demande de résiliation, ce à quoi a implicitement consenti GPM. [24] La résiliation du bail est donc consensuelle et elle prend naissance à compter du 4 décembre 2007 comme l'a demandé Analtech. En outre, la clause 8.14 du bail prévoit que le locateur peut considérer le bail résilié de plein droit en cas de défaut du locataire, comme c’est effectivement le cas en l’espèce. Arrérages de loyer [25] Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il est évident que le défaut d'acquitter le loyer de novembre 2007 constitue un arrérages de loyer. [26] La somme due est de 706,78 $ soit 2 172,65 $ pour le loyer, moins le dépôt de 1 466,58 $. 500-22-146382-083 PAGE : 4 Indemnité pour perte de loyers futurs [27] GPM réclame douze mois de loyer en se basant sur le texte de la clause 8.14 in fine du bail P-1. [28] Analtech conteste cette réclamation. Elle prétend que le texte de la clause est ambigu, que la clause prévoit deux clauses pénales, que les trois mois de loyer versé en août, septembre et octobre 2007 sont suffisants, que GPM n'a pas cherché à minimiser ses dommages. [29] Il s'agit ici de l'enjeu principal opposant les parties. [30] Rappelons que l'article 1863 C.c.Q. accorde aux parties trois recours en cas d'inexécution des obligations de l'autre partie: l'exécution en nature, la résiliation du bail, si la partie adverse subit un préjudice sérieux, et le recours en dommages-intérêts. [31] En l'espèce, les aspects résiliation du bail et exécution en nature (i.e. la réclamation du loyer impayé) ont déjà été abordées. Reste la réclamation pour dommages-intérêts que GPM présente également comme une perte de loyers futurs en raison de l'inexécution des obligations par Analtech. En effet, la fin prématurée du bail donne droit au locateur à une indemnité de relocation qui correspond à la valeur du manque à gagner véritablement subi par le locateur. [32] Cependant, le locateur doit minimiser ses dommages, conformément au principe énoncé à l'article 1479 C.c.Q., en faisant les démarches voulues pour relouer son local aussi rapidement que possible. Il s'agit là d'une obligation de moyen. [33] Bien entendu, rien n'interdit de prévoir au bail une clause pénale conformément à l'article 1622 C.c.Q. Cela évite d'avoir à prouver le préjudice subi (article 1623 C.c.Q.). [34] Le procureur d'Analtech prétend que la clause 8.14 in fine contient deux clauses pénales et qu'il y a confusion. L'effet combiné des deux clauses pénales est abusif et contraire à l'article 1437 C.c.Q. [35] Le Tribunal concède que le texte de la clause 8.14 in fine n’est certes pas un modèle de clarté. Cependant, le Tribunal s'inspire des articles 1425 et 1428 C.c.Q. afin d'interpréter la clause en question. [36] Tout d'abord, la partie du texte qui stipule que le locateur peut recouvrir trois mois de loyer suite à la résiliation du bail ou pour un terme plus long si prévu par la loi. [37] Le Tribunal est d'avis qu'il s'agit là d'une véritable clause pénale puisque les parties ont prévu un dommage liquidé à l'avance en cas de terminaison prématurée du bail. Seul le délai de trois mois peut être ici considéré car la loi ne prévoit aucun délai précis. Les termes "all of which shall immediately become due and payable" ne laisse aucun doute sur la commune intention des parties. Il ne s’agit nullement d’une clause 500-22-146382-083 PAGE : 5 visant à protéger des arrérages de loyer en cas de faillite (art. 136 L.F.I.). Le texte de la clause et le texte de la loi ne donnent aucunement ouverture à cette interprétation. [38] Reste l'autre phrase qui débute par "Thereafter". Il ne peut s'agir ici d'une clause pénale, malgré qu'on y ait introduit les mots "as liquidated damages" car les dommages y prévus ne sont pas liquidés à l'avance. Ils dépendent du délai afin de relouer le local. Il n'y a donc aucune pénalité déterminée objectivement. [39] En réalité, il s'agit plutôt de la consécration du droit de demander des dommages-intérêts pour résiliation prématurée du bail. [40] L'article 1622 alinéa 2 C.c.Q. précise que le créancier doit opter entre la clause pénale ou l'exécution en nature de l'obligation. Ici, le Tribunal est d'avis que la réclamation en est une en dommages-intérêts. [41] GPM réclame douze mois de loyer non perçu, soit la période qu'elle a mis à relouer l'immeuble. Est-ce raisonnable? [42] Puisque les parties ont convenu d'une clause pénale prévoyant un dommage liquidé à l'avance équivalent à trois mois de loyer et que le but d'une clause pénale est de calculer à l'avance ce qui est satisfaisant pour compenser les dommages subis. Il serait inconvenant et inconséquent d'envisager que GPM ait droit à des dommagesintérêts supérieurs à trois mois de loyer si elle choisit de ne pas opter pour la clause pénale. La clause pénale peut prévoir une compensation supérieure à ce que le créancier aurait droit lors de l'exercice d'un recours en dommages-intérêts, mais pas l'inverse. [43] Conséquemment, le Tribunal en arrive à la conclusion que GPM a fait des efforts raisonnables pour relouer le local aux mêmes conditions, et ce, à compter de décembre 2007 jusqu’à août 2008. Soit pendant 8 mois. À compter d'août, GPM a changé les conditions et ces changements ne peuvent être opposés à Analtech puisqu'ils contreviennent à l'obligation de GPM d'agir de bonne foi. [44] Cependant, puisque GPM a estimé qu'une compensation de trois mois de loyer est satisfaisante, en vertu de la clause pénale, le Tribunal réduit donc à trois mois de loyer la perte subie par GPM, soit 6 517,95 $. Frais du courtier Royal Lepage [45] Puisque les frais du courtier ont été encourus après le délai de trois mois ici retenu, GPM n'a pas droit au remboursement des frais du courtier Royal Lepage. [46] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL: [47] ACCUEILLE en partie l'action. 500-22-146382-083 PAGE : 6 [48] CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 7 224,73 $ avec intérêts au taux légal ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter de la date de signification de l'action. [49] Le tout avec dépens. Me Natacha Lavoie PÉLOQUIN KATTAN Avocate de la partie demanderesse __________________________________ CHRISTIAN M. TREMBLAY, j.c.Q. Me Paul-André Mathieu CORPORATION D'AVOCATS MATHIEU INC. Avocat de la partie défenderesse REJB 1999-10988 – Texte intégral Cour supérieure (Chambre civile) CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT de Montréal 500-17-000864-978 DATE : 8 février 1999 EN PRÉSENCE DE : Marie-France Courville , J.C.S. The Standard Life Assurance Company, personne morale légalement constituée à Edinborough, Scotland, ayant une place d'affaires au 1600, boul. René-Lévesque Ouest, bureau 1710, Montréal (Québec) H3H 1P9 Demanderesse-défenderesse reconventionnelle c. Centre commercial Victoriaville ltée, personne morale légalement constituée, ayant une place d'affaires au 600, boul. de Maisonneuve Ouest, bureau 2600, Montréal (Québec) H3A 3J2 et 3105555 Canada inc., une personne morale légalement constituée ayant une place d'affaires au 600, boul. de Maisonneuve Ouest, bureau 2600, Montréal (Québec) H3A 3J2 Défenderesses-demanderesses reconventionnelles et 162621 Canada inc. (adresse inconnue) et Kyriakos (Charlie) Papoulis (adresse inconnue) Mis en cause-défendeurs reconventionnels et Épiciers Unis Métro-Richelieu, personne morale légalement constituée, ayant une place d'affaires au 11011, Maurice Duplessis, Montréal (Québec) H1C 1V6 et L'officier de la publicité des droits de la circonscription foncière d'Arthabaska Mis en cause Courville :– 1 Pendant la durée de son prêt hypothécaire, la défenderesse, Centre commercial Victoriaville (Victoriaville), a accordé, en faveur de la compagnie 3105555 Canada Inc. (3105555), une servitude (P-3) prohibant l'installation d'un marché d'alimentation et la vente de certains produits alimentaires dans le centre commercial Carrefour des Bois Francs (Centrecommercial). 2 Le litige porte sur l'opposabilité de cette clause à la créancière hypothécaire, la demanderesse Standard Life, qui a repris l'immeuble en paiement. 3 Quelle est la nature véritable de la clause décrite à la pièce P-3? S'agit-il d'une servitude réelle au sens de l'article 1177 C.c.Q. ou uniquement d'une obligation personnelle? 4 Si l'engagement souscrit à P-3 est une obligation personnelle, seules les parties signataires de l'acte seront liées et, en conséquence, la demanderesse Standard Life, ne sera pas tenue de le respecter. 5 Cependant s'il s'agit d'une servitude réelle, il y aura alors lieu d'examiner les prétentions de la demanderesse qui soutient que l'octroi de cette servitude a eu pour effet de diminuer la valeur du © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 1 Centre commercial et, par conséquent, de sa créance hypothécaire. Les Faits 6 De tous les faits mis en preuve lors de l'audition de la cause, le Tribunal retient uniquement ceux qui sont nécessaires pour comprendre le déroulement des événements et qui sont pertinents à l'étude des questions en litige. Il en est de même des documents déposés. 7 Les dates ayant une certaine importance, il convient d'en faire une chronologie. 1991 25 novembre: En vertu d'une convention (P-1), Standard Life consent un prêt de 11 900 000 $ à la défenderesse Victoriaville, laquelle accorde, en tant que propriétaire enregistré, une hypothèque sur le Centre commercial Ainsi, à l'article 30 de la convention, les parties conviennent qu'advenant défaut du débiteur seul le centre commercial servira à remplir son engagement conformément aux dispositions de l'article 1980 du Code civil du Bas-Canada. Le remboursement du prêt doit être effectué le 1er décembre 1996. 1994 Août: Canadian Tire décide de ne plus exploiter le magasin situé dans l'immeuble adjacent au centre commercial, et dont elle est propriétaire, en raison de l'exiguïté des lieux. Elle signifie son intérêt d'ouvrir un nouveau magasin de 87 000 pieds carrés dans le centre commercial à la condition, entre autres, que les propriétaires de ce dernier se portent acquéreurs de son ancien emplacement. 1995 9 janvier: Afin d'acquérir l'immeuble de Canadian Tire, deux des administrateurs du centre commercial créent la compagnie 3105555 et en finalisent l'achat le 1er septembre 1995. Métro-Richelieu, qui opère un marché d'alimentation dans le centre commercial, n'entend pas rester sur les lieux à la fin de son bail qui expire le 31 janvier 1996. Mars: Après d'intenses pourparlers, une entente est conclue entre Métro-Richelieu et 3105555, laquelle prévoit l'aménagement d'un magasin Métro Super C sur l'ancien site de Canadian Tire aux frais de Métro-Richelieu, la location dudit emplacement pour une période d'au moins cinq ans et la signature d'une servitude. Puis, tel que convenu, Canadian Tire déménage dans un local du centre commercial devenu vacant mais nouvellement agrandi et réaménagé à ses frais. 1996 22 janvier: © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 2 L'ouverture du magasin Métro Super C a lieu. Ainsi, Métro-Richelieu déserte le centre commercial où un marché d'alimentation était en opération depuis 1975. 8 mai: Centre commercial et 3105555 créent une servitude, en faveur de l'immeuble où loge Métro Super C, laquelle prohibe l'installation d'un marché d'alimentation et la vente de certains produits alimentaires dans le centre commercial. Ce document (P-3), dûment enregistré le 14 mai 1996, constitue le coeur du présent débat. 1er décembre: La défenderesse, Centre commercial, fait défaut de rembourser le capital du prêt. 1997 18 mars: Les négociations pour renouveler le prêt ayant échoué, la demanderesse signifie un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire conformément à l'article 2757 C.c.Q. (P-2). 6 mai: La défenderesse effectue le délaissement volontaire de l'immeuble par un acte auquel la demanderesse participe (P-4). 7 mai: La demanderesse intente la présente action contre Centre commercial et 3105555 et met en cause Métro-Richelieu. 1998 2 mai: Après plusieurs tentatives infructueuses de louer à IGA ou Sobey's, la demanderesse signe finalement une entente avec Kyriakos Papoulis prévoyant la location d'un emplacement pour exploiter un supermarché d'alimentation dans le centre commercial. 9 octobre: Le Tribunal émet une ordonnance d'injonction interlocutoire interdisant, entre autres, à la demanderesse de louer un des locaux du centre commercial ou d'en permettre l'occupation aux fins d'opérer un marché d'alimentation ou d'y vendre des produits alimentaires. 16. octobre: Une ordonnance de sauvegarde, au même effet que l'injonction interlocutoire, est émise par la Cour pour valoir jusqu'à ce que le jugement final intervienne. Position des Parties 8 La demanderesse soumet les prétentions suivantes, à savoir: 1-La servitude a été consentie en fraude de ses droits, le tout en violation des articles 1631 sqq. C.c.Q. donnant ainsi ouverture à un recours en inopposabilité. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 3 2-La création de la servitude a diminué la valeur du bien hypothéqué donnant ainsi ouverture à un recours en nullité. 3-La charge imposée en vertu de la servitude constitue uniquement une obligation personnelle qui ne lui est pas opposable. 9 Ces prétentions ont été endossées par le défendeur reconventionnel Papoulis tant dans ses procédures écrites que lors de la plaidoirie. 10 Les défenderesses, Centre commercial et 3105555, soutiennent, au contraire, que la servitude a véritablement eu pour effet de créer une servitude réelle, qu'elle a été consentie dans le cadre normal des affaires sans intention de frauder la créancière hypothécaire et qu'elle n'a pas eu pour effet de diminuer la valeur de lapropriété. La même position a été adoptée par la mise en cause Métro-Richelieu. La Servitude 11 Tel que mentionné précédemment, l'acte intitulé «servitude» (P-3) est intervenu entre 3105555 et Centre commercial. 12 Dans un premier temps, il décrit la propriété de 3105555 (Description l), soit l'immeuble portant le numéro civique 601, boul. Jutras Est à Victoriaville et, dans un deuxième temps, la propriété de Centre commercial Victoriaville (Description II), soit l'immeuble portant le numéro civique 475, boul. Jutras Est. 13 Par la suite, il énonce la prohibition dans les termes suivants: THAT the Parties herein do hereby create a Servitude in favour of the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION 1.» against the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION II.», prohibiting a food supermarket or grocery store or the sale of food items (saveas hereinafter provided) and prohibiting the use of any portions of the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION II.» for parking purposes in connection with a food supermarket or grocery store or the sale of food items (save as hereinafter provided). Les Motifs 14 Le travail du juge, dans l'examen du droit créé, est résumé par Baudry & Lacantinerie dans les termes suivants1: Il appartiendra au juge d'interpréter l'intention des parties, de se décider d'après les circonstances de fait, d'après la nature particulière du droit concédé, d'après le but et l'objet de la convention, en ayant soin de voir tout d'abord, pour faciliter la solution, si quelqu'une des conditions essentielles àl'existence des servitudes ne fait pas défaut. 15 L'article 1177 C.c.Q. définit la servitude comme étant une charge imposée sur un immeuble, le fonds servant, en faveur d'un autre immeuble, le fonds dominant, et qui appartient à un propriétaire différent. L'ancien article 499 C.c.B.C. la définissait comme une charge imposée sur un héritage pour l'utilité d'un autreappartenant à un propriétaire différent. e 1.«Les Biens», Tome 5, 2 édition p. 799, tel que reproduit dans l'article de Me Robert DÉCARY, «De la validité d'une servitude de non-usage à des fins commerciales dans une zone commerciale» octobre 1977, 63 R. du N. vol. 80, no 3, 70, p. 74. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 4 16 Dans un article paru dans la Revue du notariat2, le notaire Jean-Guy Cardinal a énoncé, de façon concise, les éléments essentiels d'une servitude réelle: 1o)Il faut qu'il y ait deux fonds de terre. 2o)Que ces deux héritages appartiennent à deux propriétaires différents. 3o)Que ces deux héritages soient voisins. 4o)Que la servitude consiste en un avantage pour l'un des fonds. 5o)Qu'elle oblige le propriétaire du fonds asservi à souffrir ou à ne pas faire quelque chose. 6o)Que la servitude soit de sa nature perpétuelle. 17 Il semble plus important dans l'étude du présent dossier de mettre l'emphase sur un des critères énoncés, soit celui de l'avantage qu'un des fonds doit retirer. C'est d'ailleurs la recommandation que formule le notaire Cardinal pour déterminer si une servitude réelle existe: Il faudra dans chaque cas examiner si le fonds retire un avantage de la charge c'est-à-dire si tous les acquéreurs du fonds en profiteront vraiment. (Soulignements ajoutés) 18 Dans un article publié en 1962 dans Meredith Mémorial Lectures on Real Estate Law and Practice3 Me Samuel Chait insiste, lui aussi, sur l'avantage que le fonds dominant doit percevoir indépendamment de son occupant ou de l'activité qui y est exercée: The test which we should set with regard to the benefit of the dominant land is that the benefit must accrue to the land, regardless of who occupied it, and regardless of what occupation or business is carried on, on the dominant land. (Soulignements ajoutés) 19 En 1977, Me Robert Décary4 réitère que la servitude profite au fonds dominant et non au propriétaire: Il est de doctrine et de jurisprudence constantes qu'une servitude est établie au profit d'une propriété et non au profit d'un propriétaire, en ce sens que la servitude doit profiter à la propriété quel que soit le propriétaire et quel que soit l'usage — quand il n'est pas relié à la natureintrinsèque du fonds — qu'en fasse le propriétaire, et qu'autrement il ne s'agit pas d'une servitude au sens du Code mais d'une obligation personnelle qui ne lie pas l'acquéreur subséquent de l'immeuble. (Soulignements ajoutés) 20 Le professeur Lafond expose, dans Droit des biens5 que «... la servitude (... réelle) existe pour 2.Jean-Guy CARDINAL, «Un cas singulier de servitude réelle» (1954-55) 57 R. du N. 478, 485 3.Samuel CHAIT, «Contractual Land use control», 1962, 52, 58-59-61 4.Robert DÉCARY, «De la validité d'une servitude de non-usage à des fins commerciales dans une zone commerciale» octobre 1977, 63 R. du N. vol. 80. no 3, 70 5.LAFOND, P.C. Droit des biens, Montréal, Éditions Thémis, 1991, p. 545, 550 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 5 l'utilité ou l'embellissement d'un fonds». 21 Cette caractéristique a été de nouveau soulignée par Madame le juge Rousseau-Houle dans l'arrêt Girard c. Bouchard6: Il est essentiel à l'existence d'une servitude réelle que le service qu'elle garantit ne soit imposé ni à une personne ni en faveur d'une personne, mais à un fonds pour l'utilité et l'agrément d'un autre fonds. 22 Ainsi, tous les auteurs soutiennent que la servitude réelle procure à un fonds le droit de jouir de la chose d'autrui ou, pour reprendre les termes du professeur Cumyn: «un droit direct de jouissance de la chose». 23 Madame Cumyn cite, à titre de droits réels de jouissance admis en droit positif, les droits de chasse, de pêche, de coupe de bois auxquels elle ajoute les droits d'extraire une substance minérale ou végétale, de puiser de l'eau, d'exploiter les forces hydrauliques ou une érablière, le droit de passage et le droit d'affichage sur lebâtiment d'autrui. Dans toutes ces hypothèses, souligne-t-elle, l'on trouve un droit de jouissance dans la chose au profit du bénéficiaire de la stipulation7. 24 Ainsi, la doctrine analysée fait ressortir que la servitude réelle possède les caractéristiques suivantes: elle profite à la propriété et non au propriétaire ou à l'exploitant, et ce, quel qu'en soit l'usage; elle procure un droit direct de jouissance de la chose; elle ne peut être utilisée pour satisfaire un intérêt personnel. 25 Retrouve-t-on ces particularités dans les clauses d'exclusivité, appelées aussi clauses de non-concurrence commerciale, de la nature de celles consentie à P-3? 26 Non, enseignent les auteurs ci-dessus cités. 27 Ainsi, Me Samuel Chait8 soutient que ces clauses ne procurent aucun avantage au fonds dominant: It benefits the person who occupies and carries on a certain type of activity on the dominant land. Should the owner of the dominant land cease to carry on this particular type of business, or change the nature of this business, the benefit ceases. Should the owner transfer his business to a location other than the dominant land, the benefit again would cease. The fundamental element of benefit to the dominant land is surely not present in such a provision. (Soulignements ajoutés) 28 Me Robert Décary soumet que la clause de non-concurrence constitue une obligation personnelle «... car elle est établie à l'avantage d'un propriétaire et d'un fonds de commerce (lequel est un meuble) plutôt qu'à l'avantage du fonds lui-même»9. Et il cite10 , à l'appui de son avancé, 6.[1995] R.D.I. 24, 27 (C.A.) 7.CANTIN CUMYN, M. «De l'existence et du régime juridique des droits réels de jouissance innommés: essai sur l'énumération limitative des droits réels» (1986) 46 R.Q.B. 3, 36 8.Op. cit., note 3, 59 9.Op. loc., note 4, 65 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 6 Planiol & Ripert: Parce que le véritable bénéficiaire est le titulaire de l'établissement commercial ou industriel et qu'il n'y a pas de rapport de nature entre son objet et l'usage ou l'utilité du fonds lui-même. 29 De même, Me Lafond11 «conçoit difficilement l'avantage que peut recevoir un fonds d'une semblable convention. Elle sert davantage l'intérêt de ses occupants que le fonds lui-même.» Il conclut qu'il s'agit d'une obligation strictement personnelle. 30 Le professeur Madeleine Cantin Cumyn estime que la clause de non-concurrence ne donne «aucun droit direct de jouissance de la chose sur lequel pourrait se greffer une obligation réelle de ne pas faire concurrence12 ». Elle soumet que le bénéficiaire de la stipulation peut s'en prévaloir uniquement comme droit de créance. 31 Ainsi, parce que les clauses de non-concurrence n'apportent aucun droit réel de jouissance dans le fonds servant et qu'elles profitent à l'exploitant du fonds dominant plutôt qu'au fonds lui-même, les auteurs ne leur reconnaissent pas le statut de servitude réelle. 32 Seul le notaire Lamontagne13 estime que la clause de non-concurrence constitue une servitude réelle lorsque le fonds dominant retire un avantage de la charge. Et, selon lui, l'avantage «consiste à maximaliser (sic) l'exploitation ou le rendement d'un fonds dominant (terrain et bâtiments) qui bénéficiera d'ailleurs d'une plus-value enrègle générale». 33 Cependant M. Lamontagne n'élabore pas sur les conditions d'application d'une telle clause. La servitude survit-elle à un changement d'usage ou d'exploitant? Profitera-t-elle à tous les propriétaires successifs du fonds? Et en quoi une exploitation assortie d'une clause de non-concurrence procure-t-elle un avantage plus grand au fonds dominant qu'uneexploitation identique effectuée sans le bénéfice d'une telle clause? L'auteur ne fournit aucune réponse à ces interrogations. 34 Quel traitement les tribunaux ont-ils, pour leur part, accordé aux clauses de non-concurrence? Il semble important d'examiner toutes les causes où il en a été question. 35 C'est dans l'arrêt Dupuis c. Dufresne14 que les tribunaux ont eu à se pencher pour la première fois sur ce genre de clause. Le vendeur d'un moulin à scie était propriétaire de deux moulins de chaque côté d'une rivière, l'un faisant farine et l'autre étant à scie. Le juge Tessier, de la Cour d'appel, rappelle les faits comme suit: Ces deux moulins étant voisins l'un de l'autre, Beauregard, pour protéger son moulin à farine, fit une stipulation expresse acceptée par ledit acquéreur Paquet: 1.De ne pouvoir, en aucune manière quelconque, moudre ou faire moudre autres grains sur aucune partie des terrains sus-désignés, autre que de l'avoine pour autres fins que pour en faire de la farine. e 10.Loc. cit., note 4, tel que reproduit dans l'article de M Décary à la page 70 11.Op. cit., note 5, 565. 12.Op. cit., note 7, 36 13.Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriétés, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993, p. 300-301. 14.[1883] Q.B. 170 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 7 36 La Cour d'appel, avec la dissidence du juge Monk, a jugé qu'il y avait «servitude réelle assujettissant un immeuble envers l'autre, quel qu'en soit le possesseur.» Elle s'est inspirée de deux décisions françaises et d'une citation de Demolombe15 qui se lit: Ce qu'il faut surtout considérer, c'est si la charge imposée à l'un des héritages, en même temps qu'elle le déprécie, augmente l'utilité de l'autre héritage, en tant qu'héritage d'une façon en quelque sorte intrinsèque et absolue, de manière à faire par exemple, que la maisonsoit habitable, ou le champ lui-même d'une culture plus facile, enfin, l'établissement industriel lui-même d'une exploitation meilleure ou plus facile. 37 Or, comme le note Me Robert Décary, la Cour d'appel n'a pas reproduit toute la citation. Car Demolombe considère que les clauses d'exclusivité à caractère commercial ne constituent pas des servitudes réelles: Il est certain que l'on ne pourrait pas imposer à un fonds avec le caractère et les effets d'une servitude prédiale et perpétuelle, une charge qui n'aurait pour but que l'exercice d'un commerce, d'une industrie ou d'une profession quelconque du concessionnaire.16 38 C'est pourquoi, après avoir effectué une étude du droit français sur la question, Me Décary soutient17 : ...n'eut été de l'utilisation, hors contexte, par la Cour d'appel en 1883 d'une citation de Demolombe, les clauses de non-usage à des fins commerciales d'un terrain situé dans un secteur commercial auraient été unanimement considérées comme des obligations personnelles et non comme des servitudes. 39 Avant lui, Me Samuel Chait avait formulé un commentaire semblable: While I am aware of two judgements in the Province of Quebec where such a purported servitude, prohibiting the carrying on of a certain type of business, has been held to be valid, I must state that all the facts and all the jurisprudence and commentary on the problem were, in these instances, not submitted to the Courts.18 40 Dans Segal c. Ross19 même si l'action visait le remboursement de la commission due à un agent d'immeubles, M. le juge en chef Challies interprète la clause suivante: Which servitude prohibits the use of the property sold for the sale at retail or wholesale of meats, fruits, vegetables or groceries, or for the parking of automobiles in conjunction with (such sale). 41 La compagnie Steinberg, en faveur de qui cette servitude avait été établie antérieurement, est intervenue à l'acte de vente du fonds servant afin de protéger ses droits. 42 S'appuyant sur la décision Dupuis c. Dufresne, M. le juge Challies décide20 : 15.Supra, note 13, 172 e 16.Loc. cit. note 4. tel que reproduit dans l'article de M Robert Décary, 75. 17.Loc. cit. note 4,145. 18.Op. cit. note 3, 59. 19.1962 R.L. 385. 20.ld., 408 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 8 While the question is doubtful, the Court is of opinion that there was, in fact, a servitude created. 43 Toutefois, il ajoute: Even if the so-called servitude for the reasons given in Planiol & Ripert were not a servitude but merely a personal obligation binding upon the parties ... the ... outcome of this case is not changed. (Soulignements ajoutés) 44 La clause d'exclusivité, qui est l'unique enjeu dans la cause Zigayer c. Ruby Foo's (Montréal)21 , se lit: ...in favour of the immoveable properties hereby sold, to the effect that the said lots 96-121 to 126 inclusive, shall not be used or in any way exploited for the sale to the public of food or beverages, nor shall there beerected or operated thereon any restaurant or refreshment stand. 45 M. le juge Paul Trépanier dit se baser sur les raisons formulées dans Segal c. Ross et décide qu'il s'agit d'une servitude parce qu'elle profite au fonds dominant clairement décrit dans l'acte et qu'elle affecte le fonds servant lui aussi clairement désigné. 46 D'autre part, quatre jugements analysent directement la validité de telles clauses et déterminent qu'il s'agit d'une obligation personnelle. 47 Une clause de non-concurrence contenue dans un contrat de vente immobilier crée une obligation personnelle, dit M. le juge Jules Allard dans La Maison Blanche limitée c. Babin22 . Certes, il n'y a pas d'indication que le terrain vendu est grevé au bénéfice d'un fonds dominant; cependant la clause n'est pas attachée à l'immeuble mais à la personne qui l'exploite poursuit le juge: C'est donc une activité qui est visée, celle de faire commerce dans un champ d'activité où oeuvre déjà la demanderesse. Cela ressemble beaucoup plus à une clause de non-concurrence qu'à un droit réel.23 (Soulignements ajoutés) 48 Dans Gestion Lepco c. Daniel Nard24 , l'acte d'achat de la requérante contient une clause intitulée «Servitude de non-usage», laquelle prohibe «...l'opération d'une école d'aviation ou de nolisement ou de location d'avions à des particuliers» sur le terrain acquis. Le fonds de la requérante est qualifié de servant et celui del'intimé de dominant. 49 M. le juge Michel Côté souligne que l'auteur d'origine de la clause a voulu restreindre l'activité de ses acheteurs sur l'immeuble vendu pour empêcher que soit fait concurrence, à partir de cet immeuble (servant), au commerce exploité sur l'immeuble voisin (dominant). Et il ajoute: Rien en cela ne permet de voir quel avantage serait ainsi apporté à l'immeuble caractérisé comme dominant. Advenant que l'usage qu'en fait le propriétaire change, rien n'en subsisterait. Cela suffit pour conclure que la clause restrictive intitulée «Servitude de 21.1976, C.S. 1362. 22.1987, R.D.I., 324. 23.Id., 327. 24.[1992] R.D.I. 279C.S.. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 9 non-usage» aété stipulée à l'avantage commercial de son auteur et non pour apporter quelque avantage réel à l'immeuble de ce dernier (p. 281) (Soulignements ajoutés) 50 Dans la cause Industries Bonneville ltée c. Placements Paul Bernard ltée25 , deux fabricants ont voulu protéger leur entreprise respective en signant des clauses de non-concurrence interdisant la fabrication et la vente de produits du même genre. 51 Toutefois, même si les parties ont donné le nom de servitude à la clause et même si elles ont pris soin de désigner un fonds servant et un fonds dominant, M. le juge André Biron refuse d'y voir une servitude réelle parce que, dit-il26 : ...il n'y a pas de rapport de nature entre l'objet de cette charge et l'utilité du fonds lui-même. 52 Cependant il en reconnaît la validité comme simple clause de non-concurrence. 53 Tout récemment, M. le juge André Denis, dans le cadre d'une requête pour jugement déclaratoire, s'est penché sur la nature et la portée d'une clause contenue dans un contrat de vente et prohibant l'usage de l'immeuble vendu comme salon funéraire27 . 54 Parce que la clause ne sert pas le fonds dominant mais l'intérêt commercial de ses occupants et qu'elle ne possède pas, en conséquence, les caractéristiques essentielles d'une servitude réelle, il conclut qu'il s'agit d'une clause de non-concurrence personnelle aux cocontractants. 55 Les trois autres jugements qui traitent de clauses de non-concurrence ne se prononcent pas sur la nature ou la validité de telles clauses. Conséquemment, ils ne sont d'aucune utilité dans la solution du présent litige. 56 Ainsi, dans la cause Lajeunesse c. Repentigny28 , la Cour provinciale décide qu'en cas de non respect d'une clause restrictive de non-utilisation d'un immeuble à des fins commerciales assortie d'une clause pénale, le Tribunal est lié par le montant de la peine stipulée entre les parties à la convention. 57 Dans une requête pour jugement déclaratoire soumise à la Cour dans Le Magasin Co-op d'Asbestos inc. c. Centre commercial d'Asbestos inc.29 , deux questions sont posées, dont la première est «Malgré les transferts de propriété, cette servitude d'exclusivité est-elle toujours valable et subsistante?» Or cette question de la requérante n'est pas contestée par le procureur de l'intimée et, en conséquence, non examinée par leTribunal. 58 Finalement, dans l'arrêt Weissbourg c. Cité de l'Île30 , la Cour d'appel n'analyse pas la validité de la clause d'exclusivité consentie en faveur de Provigo mais fait seulement référence à un passage du jugement de la Cour supérieure qui soulignait que la clause n'avait pas été enregistrée et ne désignait aucun fonds dominant et servant. 25.J.E. 93-1651 (C.S.). 26.ld., 21. 27.Léveillé c. Coopérative funéraire d'Autry, J.E. 98-1286 (C.S.). 28.(1975) C.P. 147. 29.[1986] R.D.I. 551C.S.. 30.J.E. 94-1463 (C.A.) © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 10 59 Mais malgré les jugements contradictoires sur la nature de ces clauses, les juges sont moins divisés qu'il n'y paraît à première vue. 60 L'arrêt Dupuis c. Dufresne31 a entraîné dans son sillage, mais sans grande conviction, le juge en chef Challies dans Segal c. Ross32 et, à sa suite, le juge Trépanier dans Zigayer c. Ruby Foo's (Montréal)33 61 Toutefois une constante se dégage des jugements plus récents: les clauses de non-concurrence ne constituent pas des servitudes réelles34 . 62 Et cette tendance correspond à l'interprétation formulée par les auteurs. 63 C'est donc à la lumière des enseignements tant des auteurs que des tribunaux qu'il y a lieu de déterminer la nature véritable de la servitude P-3. 64 Pour ce faire, rappelons les principaux éléments de cette convention signée le 8 mai 1996: 1. Désignation d'un fonds servant et d'un fonds dominant: La pièce P-3 mentionne, en effet, que le Centre commercial correspond au fonds servant et que l'immeuble appartenant à 3105555 et sur lequel est érigé le magasin Métro Super C représente le fonds dominant. 2. Prohibition: La servitude prohibe l'installation d'un marché d'alimentation et la vente de certains produits alimentaires dans le centre commercial 3. Durée: La convention P-3 prévoit que la servitude sera effective jusqu'à: - the date upon which the offer to Lease with Epiciers Unis Metro-Richelieu Inc. (hereinafter called the «Tenant»), dated the Third day of March, Nineteen hundred and ninety-five (1995), affecting the immovable property hereinabove described under the Heading DESCRIPTION I, or any lease executed pursuant thereto and anyrenewals thereof (the said Offer to Lease and any Lease executed pursuant thereto and any renewals thereof, hereinafter individually and collectively referred to as the «Lease»), cease to be in full force and effect - the date upon which the Tenant voluntarily permanently closes the premises leased pursuant to the Lease;or - the date upon which the Tenant changes, from that in effect as at the date of the execution of this Servitude, the principal use of the building forming part of the premises leased pursuant to the Lease (the «BUILDING») in at least sixty percent (60 %) of the BUILDING. 31.Op. cit., note 14 32.Op. cit., note 19 33.Op. cit., note 21 34.La Maison Blanche limitée c. Babin. Op. cit., note 22; Gestion Lepco c. Daniel Nard, Op. cit., note 24 Industries Bonneville ltée c. Placements Paul Bernard ltée, Op. cit., note 25 et Léveillé c. Coopérative funéraire d'Autry, Op. cit., note 27. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 11 65 Même si, habilement, un fonds servant et un fonds dominant sont clairement désignés, la convention P-3 ne constitue pas une servitude réelle parce qu'elle n'en possède pas les attributs: aucun droit réel de jouissance n'est accordé sur le fonds servant35 . En effet, P-3 ne fait que prohiber la vente de produits alimentaires dans le centre commercial sans que l'immeuble où loge Métro Super C bénéficie d'un des droits réels de jouissance décrits par le professeur Cumyn tel droit de passage, droit d'affichage, etc. C'est donc uniquement une activité qui est visée36 . elle ne peut ni s'imposer, ni profiter à perpétuité aux propriétaires successifs du fonds prétendument dominant à qui elle ne procure aucune protection accrue.37 Car c'est Métro Richelieu qui détient l'entier contrôle sur la durée de la clause. Ainsi, advenant que Métro Richelieu cesse ses activités sur le site ou transfère son commerce dans un autre lieu, la servitude disparaît. Conséquemment, le propriétaire actuel du fonds et ses successeurs sont totalement à la merci desagissements de l'exploitant Métro Richelieu. elle ne profite pas à la propriété quel que soit l'usage qu'on en fait38 . Au contraire, P-3 prévoit que la servitude cesse si Métro Richelieu modifie l'usage qu'il fait de plus de 60 % de la superficie du local. Il s'agit d'une convention élaborée uniquement en fonction de l'usage que Métro Richelieu fait des lieux loués. Confronté à un problème similaire dans Gestion Lepco c. Nard, l'honorable Michel Côté s'exprime comme suit39 : Advenant que l'usage qu'en fait le propriétaire change, rien n'en subsisterait. Cela suffit pour conclure que la clause restrictive intitulée «Servitude de non-usage» a été stipulée à l'avantage commercial de son auteur et non pour apporter quelque avantageréel à l'immeuble de ce dernier. Il n'existe pas de commune mesure entre une telle clause et une servitude non oedificandi. (Soulignements ajoutés) Me Chait formule également la même observation40 : Should the owner of the dominant land cease to carry on this particular type of business, or change the nature of this business, the benefit ceases. Should the owner transfer his business to a location other than the dominant land, the benefit again would cease. The fundamental element of benefit to the dominant land is surely not present in such a provision. (Soulignements ajoutés) elle n'est pas établie à l'avantage du fonds lui-même41 . P-3 est plutôt conçue en faveur d'une personne déterminée et à son seul avantage 35.Op. cit., note 7 36.Précité note 22 37.Loc. cit. note 2 38.Op. cit., note 3 39.Précité, note 24, 281. 40.Op. cit., note 3, 59 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 12 commercial. En effet, seulement Métro Richelieu bénéficie de la prohibition de vendre des produits alimentaires dans le centre commercial en s'assurant ainsi de l'éloignement des concurrents. Est-il nécessaire de rappeler que le but recherché par les parties signataires de la convention, soit l'intérêt commercial de Métro-Richelieu, aurait pu être atteint en utilisant un autre véhicule juridique qui, lui, aurait pu lier les propriétaires successifs du lot? Il n'y a pas de rapport de nature entre son objet et l'usage ou l'utilité du fonds lui-même42 . En effet, comment un fonds peut-il tirer avantage d'une prohibition de vendre des produits alimentaires? 66 Force est de conclure que la servitude créée dans l'acte P-3 est une clause d'exclusivité personnelle aux co-contractants et non une servitude réelle. Elle ne lie que 3105555 Canada Inc. et Centre commercial Victoriaville Itée et elle n'est pas opposable à Standard Life qui a pris le centre commercial en paiement. 67 Étant donné cette conclusion, il n'y a pas lieu d'analyser les autres prétentions de la demanderesse. Par ces Motifs, Le Tribunal: 68 ACCUEILLE la demande comme suit; 69 DÉCLARE que la convention intervenue entre Centre commercial Victoriaville Ltée et 3105555 Canada Inc. le 8 mai 1996 et dûment enregistrée le 14 mai 1996 constitue une obligation de nature purement personnelle inopposable à la demanderesse; 70 LE TOUT avec frais contre les défenderesses et la mise en cause Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc. étant donné sa contestation. Courville Me Jonathan Robinson, pour The Standard Life Assurance Company et 162621 Canada Inc. Me Barry Landy, pour Centre commercial Victoriaville et 3105555 Canada Inc. Me Sylvain Rigaud, pour Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc. Me Peter Kalichman, pour M. Kyriakos (Charlie) Papoulis. Date de mise à jour : 19 décembre 2010 Date de dépôt : 9 mai 2003 41.Op. cit., note 4 et voir aussi: Girard c. Bouchard, précité note 6; op. cit., note 3; op. cit., note 5 et Léveillé c. Coopérative funéraire d'Autry, précité note 27 e 42.Loc. cit., note 4, tel que reproduit dans l'article de M Décary à la page 70; voir aussi Industries Bonneville ltée c. Placements Paul Bernard ltée, précité note 25 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 13 REJB 2001-23288 – Texte intégral Cour d'appel CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT de Montréal 500-09-007731-995 DATE : 21 mars 2001 EN PRÉSENCE DE : André Forget , J.C.A. Michel Robert , J.C.A. Louis Rochette , J.C.A. Épiciers unis Métro-Richelieu inc. Appelante-mise en cause c. The Standard Life Assurance Company Intimée-demanderesse-défenderesse reconventionnelle et Centre commercial Victoriaville ltée Défenderesse et 3105555 Canada inc. Défenderesse-demanderesse reconventionnelle et 162621 Canada inc. et Kyriakos (Charlie) Papoulis Intimés-défendeurs reconventionnels-mis en cause et Le registraire pour la division d'enregistrement d'Arthabaska Mis en cause Per Curiam:– 1 LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement rendu le 8 février 1999, par l'honorable Marie-France Courville de la Cour supérieure, district de Montréal, qui a accueilli la demande de The Standard Life Assurance Company, déclaré que la convention intervenue entre Centre commercial Victoriaville Ltée et 3105555 Canada Inc. le 8 mai 1996 constitue une obligation de nature purement personnelle inopposable à la demanderesse et rejeté la demande reconventionnelle de 3105555 Canada Inc.; 2 Après étude du dossier, audition et délibéré; 3 POUR LES MOTIFS exprimés dans l'opinion ci-annexée du juge Rochette, auxquels souscrivent les juges Robert et Forget; 4 ACCUEILLE l'appel à seules fins; 5 DE DÉCLARER The Standard Life Assurance Company propriétaire depuis le 20 mai 1997 de l'immeuble à l'égard duquel un préavis d'exercice a été initié le 18 mars 1997 et publié le 20 mars 1997; © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 1 6 DE DÉCLARER l'acte dit de servitude daté du 8 mai 1996 inopposable à The Standard Life Assurance Company et à ses ayants droits; 7 D'ORDONNER au registraire pour la division d'enregistrement d'Arthabaska de faire les entrées appropriées au registre de la publicité des droits, sur les lots affectés par ce jugement. 8 AVEC DÉPENS contre l'appelante. Me Sylvain Rigaud, pour l'appelante Me Jonathan J. Robinson, pour les intimés Opinion du Juge Rochette:– 9 L'appelante [Métro] fait appel d'un jugement rendu le 8 février 1999 par la Cour supérieure, district de Montréal, qui a accueilli l'action de l'intimée [Standard Life] et déclaré qu'une convention intervenue entre Centre commercial Victoriaville Ltée [Centre commercial] et 3105555 Canada Inc. [310] le 8 mai 1996, publiée le 14 mai 1996, que l'on intitule acte de servitude, constitue en réalité une obligation de nature purement personnelle inopposable à Standard Life. Le jugement a également rejeté la demande reconventionnelle de 310 (rectification de jugement, 12 février 1999). 10 Pour l'essentiel, Métro prétend que la convention en cause est bien une servitude, de la nature d'un droit réel. Elle requiert l'émission d'ordonnances pour en assurer le respect. 11 Dans un pourvoi connexe (500-09-007739-998), Centre commercial et 310 recherchent les mêmes conclusions que Métro, les conclusions en injonction étant plus particulièrement soutenues par 310 en vertu de sa demande reconventionnelle. 12 L'énumération de certains faits, sous forme chronologique, permettra de mieux comprendre le litige qui s'est développé entre les parties. Un plan sommaire des lieux complète la chronologie. 1975Centre commercial achète un terrain à Victoriaville et y construit un centre d'achats qu'elle exploitera, le Carrefour des Bois-Francs. Elle revend à Canadian Tire une partie de terrain contiguë à la propriété du centre d'achats. Environ 200 pieds séparent l'extrémité nord du centre d'achats de l'édifice que construit Canadian Tire. Les principaux occupants du centre d'achats sont Steinberg, Woolworth's (Woolco), Zellers et Harts. 1990Réagissant à la construction d'un nouveau centre d'achats à Victoriaville, Centre commercial agrandit ses installations. 25.11.91Standard Life prête 11 900 000$ à Centre commercial pour une période de cinq ans se terminant le 1er décembre 1996. Le prêt n'est garanti que par une hypothèque sur la propriété, assortie comme c'est l'usage d'une clause de dation en paiement. Centre commercial refinance des prêts antérieurs et effectue les travaux d'agrandissement projetés. 2.7.92Métro acquiert le bail de Steinberg qui limite à son bénéfice la compétition à l'intérieur du centre d'achats. Automne 1993Métro annonce à Centre commercial qu'elle n'a pas l'intention d'exercer l'option de renouvellement stipulée à son bail qui expire le 31.1.96. Elle recherche un local plus grand avec un accès direct au stationnement. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 2 8.1.94Métro s'entend en principe avec Centre commercial pour relocaliser son magasin dans une partie du local occupé par Woolco et se convertit à la bannière Super C. 17.1.94Fermeture du magasin Woolco. 14.6.94Centre commercial informe Standard Life de l'entente conclue avec Métro qui doit déménager dans les anciens locaux de Woolco. Centre commercial a l'intention d'accepter la terminaison avant son terme du bail conclu avec Métro et requiert le consentement du prêteur. Aout 1994Canadian Tire fait savoir à Centre commercial que ses locaux sont devenus trop exigus. Octobre 1994Centre commercial informe Métro qu'elle a changé ses plans. Elle louera le local de Woolco à Canadian Tire qui accepte de l'aménager à ses frais. Les discussions entre Métro et Centre commercial sont rompues. Fin Octobre 1994Centre commercial et Métro envisagent de relocaliser les activités de cette dernière sur le terrain qui sera laissé vacant suite au départ de Canadian Tire. Entente de principe. Canadian Tire louera l'ancien local de Woolco et Centre commercial achètera le terrain de Canadian Tire pour 800 000$. Centre commercial convient notamment de n'y pas permettre l'installation d'un compétiteur de Canadian Tire. 31.12.94Zellers ne renouvelle pas le bail de son local, situé à l'extrémité sud du centre d'achats. Ce local est demeuré vacant depuis. 3.3.95Entente entre Métro et 310, le futur propriétaire du terrain de Canadian Tire, à laquelle intervient Centre commercial (D-9). 310 a été créé vers le début de 1995. Elle est liée aux propriétaires de Centre commercial. Des directeurs sont les mêmes, les deux entreprises partagent les mêmes locaux. Métro construira un marché d'alimentation Super C sur le terrain de Canadian Tire que lui louera 310. Elle rétrocèdera l'édifice à 310 à la fin du bail. L'offre de location de Métro, acceptée par 310 et Centre Commercial, comporte la clause suivante: 15.The LANDLORD [il s'agit de 310] will cause the following real servitudes («SERVITUDES») to be created and published by August 1, 1995: (...) 15.2by the LANDLORD and CCV [il s'agit de Centre commercial], a food and supermarket restriction as set forth on Schedule C, which will no longer apply if the TENANT [il s'agit de Métro] voluntarily permanently closes the PREMISES or changes the principal use in at least sixty percent (60%) of the BUILDING; L'annexe «C», à laquelle réfère cette clause se lit: © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 3 CENTER COMMERCIAL VICTORIAVILLE LTÉE («CCV») hereby covenants that during the initial term and all renewal periods of the TENANT's lease, no other space included in the EXISTING CENTRE, as same may be expanded from time to time, or within any lands adjoining the EXISTING CENTRE, which any person, partnership or any other company in which the directors or shareholders of CCV, or any other company, person or partnership in which the directors of CCV have a direct or indirect interest, or with which CCV is affiliated or associated, either personally or through nominees shall be used or operated for the purposes of a food supermarket or grocery store or for the sale of food items, groceries, meats, produce, baked goods or for parking purposes in connection therewith. Investments by CCV, by directors of CCV or by shareholders of CCV, individually or together in a public company to the extent not exceeding five percent (5%) ot the equity of the company shall not be considered an interest in contravention of this paragraph. In addition, no such space or land shall be used for the purpose of selling food or food products, including without limitation, baked goods, meat, fish, poultry, dairy, produce, fruit, vegetables and/or grocery items for consumption on or off the premises, save that the following exceptions will be permitted: (...) [Je souligne] Printemps 1995Canadian Tire déménage dans les anciens locaux de Woolco. 29.8.95Canadian Tire vend, comme convenu, son immeuble à 310 pour un montant de 800 000$. Janvier 1996La construction par Métro de son supermarché sur l'ancienne propriété de Canadian Tire est complétée. Elle y débute l'exploitation d'un marché d'alimentation Super C. L'espace laissé libre suite à son départ du centre d'achats demeure inoccupé. Printemps 1996Centre commercial est en défaut de payer les taxes foncières afférentes à sa propriété. 8.5.96Conformément à l'offre de location de Métro du 3 mars 1995 acceptée par 310 et Centre commercial, cette dernière consent en faveur de 310 devant notaire un acte de servitude pour un montant de 1$ (P-3). La servitude suivante est créée par 310 et Centre commercial: THAT the Parties herein do hereby create a Servitude in favour of the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION I.» [il s'agit de la propriété de 310] against the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION II.» [il s'agit du centre d'achats propriété de Centre commercial], prohibiting a food supermarket or grocery store or the sale of food items (save as hereinafter provided) and prohibiting the use of any portions of the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION II.» for parking purposes in connection with a food supermarket or grocery store or the sale of food items (save as hereinafter provided). © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 4 Quant à la durée de la servitude octroyée, l'acte stipule que: THIS servitude shall continue to exist until the earlier of the following dates, namely: the date upon which the Offer to Lease with Epiciers Unis Metro-Richelieu Inc. (hereinafter called the «Tenant»), dated the Third day of March, Nineteen hundred and ninety-five (1995), affecting the immovable property hereinabove described under the Heading DESCRIPTION I, or any lease executed pursuant thereto and any renewals thereof (the said Offer to Lease and any Lease executed pursuant thereto and any renewals thereof, hereinafter individually and collectively referred to as the «Lease»), ceases to be in full force and effect; the date upon which the Tenant voluntarily permanently closes the premises leased pursuant to the Lease; or the date upon which the Tenant changes, from that in effect as at the date of the execution of this Servitude, the principal use of the building forming part of the premises leased pursuant to the Lease (the «BUILDING») in at least sixty percent (60%) of the BUILDING. [Je souligne] 14.5.96L'acte de servitude est inscrit au Bureau de la publicité des droits. Standard Life n'en est pas informée. Automne 1996Centre commercial est en défaut de payer ses taxes scolaires. 1.12.96Le prêt consenti à Centre commercial arrive à échéance. Les négociations entreprises pour son renouvellement s'avèrent infructueuses. Standard Life ne peut obtenir de Centre commercial les garanties additionnelles qu'elle requiert. 18.3.97Standard Life fait signifier à Centre commercial un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire (a. 2757 C.C.) (P-2), qui énonce, relativement au droit hypothécaire exercé: Vous êtes sommés de délaisser l'immeuble ci-haut décrit, dans les soixante (60) jours à compter de l'inscription du présent préavis au registre foncier de la circonscription foncière d'Arthabaska, afin que la Créancière exerce son droit hypothécaire de prendre l'immeuble en paiement en vertu des articles 2778 et suivants du Code civil du Québec, le tout, sous réserve du droit de la Créancière d'opter pour l'exercice d'un autre droit hypothécaire et de son droit d'exercer ses autres recours disponibles en vertu de la loi. (...) [Je souligne] Standard Life aurait été informée peu après de l'existence de la servitude. 6.5.97Centre commercial consent, en faveur de Standard Life, un acte de délaissement volontaire de l'immeuble du centre d'achats (P-4), à des fins d'administration: 4. The Debtor has agreed to voluntarily surrender possession of the said immoveable © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 5 property to the Creditor in order that the Creditor may take possession of the property, the whole in accordance with Article 2764 of the Civil Code of Quebec. NOW, THEREFORE, THE PARTIES HERETO HAVE AGREED AS FOLLOWS: Article 1 Surrender The Debtor hereby voluntarily surrenders possession of the property hereinafter described, in accordance with Article 2764 of the Civil Code of Quebec, in favour of the Creditor, hereto present and accepting. (...) All hypothecary recourses available to the Creditor in accordance with the provisions of the Civil Code of Quebec and pursuant to the Deed of Loan are hereby expressly reserved. 9.5.97Standard Life initie ses procédures en Cour supérieure. 15.5.97Le notaire instrumentant informe Centre commercial du refus du registraire de la division d'enregistrement d'Arthabaska d'enregistrer l'acte de prise en paiement volontaire, parce que les droits créés par celui-ci ne seraient qu'administratifs, c'es t-à-dire non sujets à l'enregistrement. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 6 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 7 ... 13 Ce litige n'aurait pas vu le jour en vertu des règles qui régissaient notre droit privé avant la réforme du Code civil car Métro et 310 n'auraient pu opposer à Standard Life la clause de non-concurrence convenue le 3 mars 1995 et mise en oeuvre 14 mois plus tard, le 8 mai 1996, eût-elle été une véritable servitude. 14 En effet, lorsqu'un débiteur ayant consenti une hypothèque sur sa propriété était en défaut, en vertu de l'ancien droit, la dation en paiement dont se prévalait la plupart du temps le créancier lui permettait de devenir propriétaire du bien repris, rétroactivement au jour où l'obligation avait été contractée. Les droits réels consentis par le débiteur après la date de la publication de l'hypothèque, étaient inopposables au créancier acquéreur. 15 C'est ainsi que dans l'acte de prêt hypothécaire convenu entre Standard Life et Centre commercial le 25 novembre 1991 (P-1), on retrouve la clause de dation en paiement suivante: 20.1 Upon the occurrence of an Event of Default, the Lender, without prejudice to the other rights and recourses conferred upon the Lender by law or by these presents, upon giving written notice of the omission or breach as required by law to the Borrower or other registered owner of the Property, that the Lender intends, upon the expiration of the legal delay, to elect to become the absolute owner of the property under the provisions of this Article 20, shall, upon such election, be and become the absolute owner of the Property, with effect retroactive to the date of these presents, free and clear of all privileges, hypothecs, leases, servitudes and all other charges and real rights (if any) subsisting in favour of any third person registered subsequently to the registration of these presents, all of which shall be without effect so far as the Lender is concerned. [Je souligne] 16 Or, l'exercice par le créancier de ses droits hypothécaires a été modifié en profondeur à l'occasion de la réforme du Code civil et l'article 2783 C.C. édicte dorénavant: Art. 2783. Le créancier qui a pris le bien en paiement en devient propriétaire à compter de l'inscription du préavis. Il le prend dans l'état où il se trouvait alors, mais libre des hypothèques publiées après la sienne. Les droits réels créés après l'inscription du préavis ne sont pas opposables au créancier s'il n'y a pas consenti. [Je souligne] 17 Le préavis d'exercice d'un droit hypothécaire a été initié par l'intimée le 18 mars 1997. C'est ainsi que Standard Life s'est retrouvée face à un droit réel consenti à son insu et qui affectait, selon elle à la baisse, la valeur de la propriété sur laquelle elle s'était vue consentir une garantie en contrepartie d'un prêt. Elle entreprit donc d'attaquer la servitude consentie par sa débitrice, pour tenter de s'en dégager. 18 En Cour supérieure, Standard Life a fait valoir essentiellement quatre moyens à l'encontre de la servitude attaquée: Elle lui serait inopposable, s'agissant d'un acte juridique posé par son débiteur en fraude de ses droits (a. 1631 ss. C.C.). Elle serait nulle parce qu'elle équivaudrait à une détérioration illégale par le constituant du bien hypothéqué, au détriment du créancier hypothécaire (a. 2734 C.C.). L'objet du contrat serait contre l'ordre public, car il en résulterait une restriction déraisonnable à la liberté de commerce (a. 1413 C.C.). © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 8 Elle ne serait pas une servitude au sens de l'article 1177 C.C. mais plutôt une obligation personnelle aux parties à l'acte. Standard Life et ses ayant droits n'y seraient donc pas tenus. 19 La juge de la Cour supérieure a décidé cette affaire sur la base du dernier argument avancé par Standard Life. Elle conclut que la convention attaquée ne constitue pas une servitude réelle parce qu'elle n'en possède pas les attributs: Force est de conclure que la servitude créée dans l'acte P-3 est une clause d'exclusivité personnelle aux co-contractants et non une servitude réelle. Elle ne lie que 3105555 Canada Inc. et Centre commercial Victoriaville Ltée et elle n'est pas opposable à Standard Life qui a pris le centre commercial en paiement. Étant donné cette conclusion, il n'y a pas lieu d'analyser les autres prétentions de la demanderesse. 20 L'acte de servitude du 8 mai 1996 énonçant une obligation personnelle à 310 et à Centre commercial, il serait inopposable à Standard Life. L'action de celle-ci est donc accueillie et la demande reconventionnelle de 310 rejetée. 21 De l'avis des procureurs de Métro, l'appel ne soulève qu'une question: ...à savoir la validité et l'opposabilité aux tiers d'une servitude imposant des restrictions de nature commerciale, que ce soit à titre de servitude réelle ou personnelle, ou encore à titre de droit réel innommé. 22 Plus particulièrement en regard des recours fondés sur les articles 1631 et 2734 du Code civil, Métro suggère qu'ils ont, de toute façon, été éteints à la suite de la prise en paiement du centre d'achats par Standard Life qui en est ainsi devenue propriétaire. Elle aurait perdu sa qualité de créancière hypothécaire et le droit de faire valoir ces moyens. 23 Standard Life rétorque à cela qu'une lecture attentive du préavis à l'exercice d'un droit hypothécaire et de l'acte de délaissement volontaire devrait plutôt nous amener à conclure qu'elle a pris possession du centre d'achats à seule fin de l'administrer. Elle n'en serait donc pas devenue propriétaire, réservant d'ailleurs tous ses recours hypothécaires. Elle exprime sa position comme suit: In summary, it is our position that the taking of possession for the purpose of administration is merely a temporary measure and does not confer any Real Rights upon the creditor, nor does it deprive the creditor of choosing amongst its other recourses, i.e., a taking in payment or a private or judicial sale. 24 L'intimée continue donc, quoique de façon subsidiaire, de faire valoir ses moyens fondés sur les articles 1631 et 2734 C.C.... 25 La qualification de l'acte dit de servitude, consenti formellement le 8 mai 1996 par Centre commercial au bénéfice de 310, est centrale. Si l'acte ne crée pas un droit réel dans le centre d'achats, qu'il s'agisse d'une servitude réelle ou d'une servitude personnelle de la nature d'un droit réel, contrairement à ce que soutient Métro, les autres moyens invoqués par Standard Life n'ont pas à être examinés. L'intimée ne serait pas liée par la clause de non-concurrence litigieuse. Elle ne lui serait pas opposable. C'est le cheminement qu'a emprunté la première juge. 26 En effet, un contrat n'a, règle générale, d'effet qu'entre les parties contractantes. Il n'en a pas quant aux tiers, sauf dans les cas prévus par la loi (a. 1440 C.C.). Jean-Louis Baudouin écrit à ce sujet1: © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 9 Le contrat, véritable loi des parties, produit ses effets juridiques (création d'obligations et transfert de droits réels) entre les contractants seulement. Il a un effet relatif, en ce sens qu'il ne lie pas les tiers, c'est-à-dire les personnes qui n'y sont pas parties. Celles-ci, en effet, ne peuvent en principe devenir créancières ou débitrices en raison d'un contrat auquel elles n'ont pas adhéré en tant que contractants. (...) (...) Pour être lié par une convention, soit comme débiteur, soit comme créancier, une entente, c'est-à-dire une volonté de s'obliger, est indispensable. Par voie de conséquence, celui qui n'a pas posé cet acte de volonté contractuelle ne peut ni se prétendre créancier d'une obligation qui n'a pas été assumée à son endroit, ni être tenu d'exécuter une obligation provenant d'un contrat auquel il n'a pas été partie. [Je souligne] 27 Il en va autrement lorsqu'un droit réel telle la servitude est en cause. L'article 1182 C.C. édicté à ce sujet: Art. 1182. Les mutations du droit de propriété du fonds servant ou dominant ne portent pas atteinte à la servitude. Celle-ci suit les immeubles en quelques mains qu'ils passent, sous réserve des dispositions relatives à la publicité des droits. [Je souligne] 28 Une distinction s'impose donc entre le droit réel qu'est la servitude et les droits personnels. Il n'est pas inutile de rappeler ce qui différencie ces deux types de droits patrimoniaux2: Droits réels - Les droits réels sont les droits patrimoniaux qui s'exercent directement sur une chose ou un objet, sans qu'il soit nécessaire de passer par l'intermédiaire d'un individu pour les exercer. Les droits réels présentent trois caractéristiques principales. D'une part, ils sont définis limitativement par la loi. Le plus connu des droits réels est le droit de propriété (art. 947 et s. C.c.). Le droit de propriété, l'usufruit (art. 1120 et s. C.c.), les servitudes (art. 1177 et s. C.c.) sont considérés comme les droits réels principaux, l'hypothèque mobilière et immobilière (art. 2660 C.c.) comme des droits réels accessoires, car ils n'ont pour but que de garantir le paiement d'une créance. Les droits réels sont opposables à tous, c'est-à-dire ont une portée universelle. Créant un lien de droit direct entre le détenteur du droit et l'objet et un pouvoir absolu sur celui-ci, ils peuvent être exercés à l'égard et contre tous. Leur exercice demeure donc indépendant de la personnalité de celui qui les détient à un moment précis. Enfin, ils emportent le droit de suite et le droit de préférence qui sont des conséquences de l'opposabilité universelle du droit réel. (...) Droits personnels - Également appelés droits de créance, les droits personnels sont les droits patrimoniaux qui ne portent pas directement sur une chose, mais s'exerçent contre une personne. Ils créent un lien non pas sur une chose ou un objet matériel, mais contre une personne. Ils n'emportent ni droit de suite, puisqu'ils sont relatifs et ne peuvent, en principe, être exercés que contre le débiteur seulement, ni droit de préférence, ne conférant pas de droit sur la chose. (...) Par contre, sans être absolus et strictement opposables à tous, comme le droit réel qui suit l'objet, les droits personnels doivent malgré tout être respectés par tous. (...) [Je souligne] e 1.Jean-Louis Baudouin, Les obligations, 4 édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 261, nos 454 et 455. 2.Idem, 16 et 17, nos 24 et 25. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 10 29 L'obligation assumée par Centre commercial à l'acte dit de servitude est-elle seulement personnelle ou cet acte juridique a-t-il créé, à l'encontre de la propriété de celle-ci, un droit réel, de la nature d'une servitude, que doit maintenant respecter Standard Life? Telle est donc la première question à résoudre.... 30 Le Code civil nous enseigne, au sujet de la servitude: Art. 1119. L'usufruit, l'usage, la servitude et l'emphytéose sont des démembrements du droit de propriété et constituent des droits réels. Art. 1177. La servitude est une charge imposée sur un immeuble, le fonds servant, en faveur d'un autre immeuble, le fonds dominant, et qui appartient à un propriétaire différent. Cette charge oblige le propriétaire du fonds servant à supporter, de la part du propriétaire du fonds dominant, certains actes d'usage ou à s'abstenir lui-même d'exercer certains droits inhérents à la propriété. La servitude s'étend à tout ce qui est nécessaire à son exercice. Art. 1178. Une obligation de faire peut être rattachée à une servitude et imposée au propriétaire du fonds servant. Cette obligation est un accessoire de la servitude et ne peut être stipulée que pour le service ou l'exploitation de l'immeuble. Art. 1191. La servitude s'éteint: 1.Par la réunion dans une même personne de la qualité de propriétaire des fonds servant et dominant; 1.Par la renonciation expresse du propriétaire du fonds dominant; 2.Par l'arrivée du terme pour lequel elle a été constituée; 3.Par le rachat; 4.Par le non-usage pendant dix ans. [Je souligne] 31 La servitude peut s'établir notamment par contrat (a. 1181 C.C.). 32 On aura constaté que notre Code civil s'attarde à la servitude réelle qui implique une charge, imposée sur un immeuble, en faveur d'un autre immeuble, mais il ne s'agit pas là de la seule servitude reconnue par notre droit. Dans un arrêt rendu par notre Cour en 1992, le juge Chevalier écrivait à ce sujet3: L'article 499 C.C.B.-C. définit la servitude réelle comme 3.Gale c. Fillion, (1993) R.L., 216, 222 et 223 (JJ. Fish, Rousseau-Houle et Chevalier (ad hoc)). Voir au même effet: Lacroix c. Blackburn et Al, C.A. 200-09-001692-976, 2.9.99, (JJ. Gendreau, Rousseau-Houle et Philippon (ad hoc)); Plourde c. Plante[1986] R.D.I. 299 (JJ. Bernier, Nichols et Chevalier (ad hoc)); P.B. Mignault, Le droit civil canadien, Tome 3, Librairie de droit et de jurisprudence, Montréal, 1897; Jean-Guy Cardinal, Un cas singulier de servitude réelle, 57 R. du B., février 1955, 478; Madeleine Cantin Cumyn, De l'existence et du régime juridique des droits réels de jouissance innommés: essai sur l'énumération limitative des droits réels, 46 R. du B., janvier-février 1986, 5; Pierre-Claude Lafond, Droit des biens, Les Éditions Thémis, 1991, Montréal, 550; Denys-Claude Lamontagne, Biens et e propriété, 3 édition revue et augmentée, Les Éditions Yvon Blais Inc.; Joy Goodman, Stipulations de restriction d'usage, clauses de non-concurrence, d'exclusivité et de «rayon», 59 R. du B., printemps 1999, 289. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 11 499. (...) une charge imposée sur un héritage pour l'utilité d'un autre héritage appartenant à un propriétaire différent. L'existence d'une autre forme de servitude, celle-là de nature purement personnelle, est reconnue dans notre droit. Le Code civil du Bas-Canada ne la définit pas. Pothier décrit comme suit la distinction entre les deux: Il y a deux principales espèces de servitudes; les personnelles et les réelles. - Les droits de servitudes personnelles sont ceux attachés à la personne à qui la servitude est due, et pour l'utilité de laquelle elle a été constituée, et finissent par conséquent avec elle. - Les droits de servitudes réelles, qu'on appelle aussi servitudes prédiales, sont ceux qu'a le propriétaire d'un héritage sur un héritage voisin pour la commodité du sien. - Ce sont des droits attachés à l'héritage. Ce sont des appartenances et dépendances de l'héritage, qui passent avec lui en quelques mains qu'il passe. J'emprunte à Me Jean-Guy Cardinal deux passages d'un texte intitulé «Un cas singulier de servitude réelle», qui me paraissent énoncer d'une façon concise et complète les éléments essentiels d'une servitude par rapport à ceux de l'autre: (...) pour qu'il y ait servitude réelle par convention, il faut rencontrer les conditions suivantes: 1ºIl faut qu'il y ait deux fonds de terre. 2ºQue ces deux héritages appartiennent à deux propriétaires différents. 3ºQue ces deux héritages soient voisins. 4ºQue la servitude consiste en un avantage pour l'un des fonds. 5ºQu'elle oblige le propriétaire du fonds asservi à souffrir ou à ne pas faire quelque chose. 6ºQue la servitude soit de nature perpétuelle. (...) Pour qu'il y ait servitude personnelle il faut et il suffit que se rencontrent les caractères suivants: 1ºDroit réel grevant un fonds. 2ºEn faveur d'une personne indépendamment des immeubles qu'elle peut ou non posséder. 3ºÉtabli pour une période limitée. [Références omises] 33 Dans un article récent, Joy Goodman différencie de la façon suivante la servitude réelle, la servitude personnelle et l'obligation personnelle4: © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 12 L'utilité de la servitude réelle réside dans le fait qu'elle soit un droit réel, en principe perpétuel, et qu'à ce titre, elle grève le fonds servant (donc n'est pas affectée par l'aliénation de l'immeuble servant) et est au bénéfice du fonds dominant (ce qui implique que c'est le propriétaire actuel du fonds dominant qui en bénéficie). La servitude personnelle constitue également un droit réel qui suit le fonds servant, mais au bénéfice d'une personne plutôt qu'un fonds de terrain. Étant plus aléatoire que la servitude réelle, selon certains auteurs, elle a obligatoirement une durée limitée. L'obligation personnelle ne confère pas de droit de suite. Elle reste soumise à la règle de la relativité des contrats, et donc, en principe, ne peut être invoquée contre des tiers. Le bénéficiaire d'une restriction d'usage a tout intérêt à ce que la clause soit réputée être un droit réel, car c'est seulement de cette façon qu'il peut assurer que son droit ne sera pas affecté par une aliénation de l'immeuble par son co-contractant. [Je souligne] 34 Avant de qualifier l'acte juridique litigieux en regard de ces obligations sensiblement différentes, rappelons des principes qui reçoivent application lorsqu'il s'agit d'interpréter un acte comportant une charge susceptible de grever un immeuble: Les charges qui grèvent un immeuble doivent être interprétées restrictivement car la loi tient en défaveur le démembrement du droit de propriété5. Si un doute subsiste quant à l'interprétation de l'acte, il doit être résolu en faveur du propriétaire du fonds servant6. Puisqu'il s'agit d'un cas de servitude conventionnelle, c'est au titre même qui l'a constituée qu'il faut référer pour qualifier l'obligation et en déterminer l'étendue7. La nature de l'acte doit s'établir par sa substance beaucoup plus que par le nom que les parties ont pu lui donner8. En matière de servitude réelle, l'existence de celle-ci ne se présume pas et c'est à celui qui l'invoque de la prouver9 ... 35 Examinons d'abord la clause litigieuse à la lumière des exigences propres à la servitude réelle, clause que je reproduis à nouveau pour fins de commodité: THAT the Parties herein do hereby create a Servitude in favour of the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION I.» [il s'agit de la 4.Précitée, note 3, 289 et 290. 5.Limoges c. Bouchard1973 C.A. 791, 794 (opinion du juge Lajoie). 6.Barlow c. Cohen[1963] R.C.S. 101. 7.Dallaire c. Cie de Béton du Saguenay Ltée1973 C.A. 862; Fréchette c. Laviolette1972 C.A. 449. 8.Leduc c. Sauvé1955 B.R. 85, 90 (Opinion du juge St-Jacques); Boucher c. Ouellet44 B.R. 377. 9.Plourde c. Plante, précitée note 3; Auger c. Grenier, C.A. Québec, 200-09-000529-781, 19.7.84, JJ. Paré, Chouinard et L'Heureux-Dubé (J.E. 84-690). © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 13 propriété de 310] against the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION II.» [il s'agit du centre d'achats propriété de Centre commercial], prohibiting a food supermarket or grocery store or the sale of food items (save as hereinafter provided) and prohibiting the use of any portions of the immoveable property hereinabove described under the Heading «DESCRIPTION II.» for parking purposes in connection with a food supermarket or grocery store or the sale of food items (save as hereinafter provided). (...) THIS servitude shall continue to exist until the earlier of the following dates, namely: the date upon which the Offer to Lease with Epiciers Unis Metro-Richelieu Inc. (hereinafter called the «Tenant»), dated the Third day of March, Nineteen hundred and ninety-five (1995), affecting the immovable property hereinabove described under the Heading DESCRIPTION I, or any lease executed pursuant thereto and any renewals thereof (the said Offer to Lease and any Lease executed pursuant thereto and any renewals thereof, hereinafter individually and collectively referred to as the «Lease»), ceases to be in full force and effect; the date upon which the Tenant voluntarily permanently closes the premises leased pursuant to the Lease; or the date upon which the Tenant changes, from that in effect as at the date of the execution of this Servitude, the principal use of the building forming part of the premises leased pursuant to the Lease (the «BUILDING») in at least sixty percent (60%) of the BUILDING. [Je souligne] 36 L'appelante fait notamment valoir que le second alinéa de l'article 1177 C.C., qui est de droit nouveau, prévoit expressément que la charge imposée aux termes d'une servitude peut viser des restrictions concernant l'usage du fonds dominant. La première juge n'aurait pas tenu compte du libellé de cette nouvelle disposition et aurait, à tort, fondé son raisonnement sur des autorités d'avant la réforme du Code civil. La servitude satisferait aux exigences de la loi. 37 D'abord, et il s'agit là visiblement d'une erreur de retranscription, cette disposition ne vise pas des restrictions à l'usage du fonds dominant mais bien du fonds servant. 38 Par ailleurs, il est vrai que la formulation de l'article 1177 C.C. est nouvelle. Il ne me semble pas pour autant qu'en reformulant des règles énoncées auparavant aux articles 499 et 552 C.c.B.-C., le codificateur ait modifié le droit antérieur. C'est d'ailleurs le sens des Commentaires du ministre de la Justice10 : Cet article reprend, de façon plus explicite, la définition de la servitude énoncée à l'article 499 C.C.B.-C. et décrit la nature de la charge imposée au propriétaire du fonds servant. En outre, il reprend en substance le premier alinéa de l'article 552 C.C.B.-C., en édictant que la servitude s'étend à tout ce qui est nécessaire à son exercice. 39 D'autre part et surtout, l'article 1177 (2e al.) C.C. n'énonce pas que la charge imposée au fonds servant peut viser des restrictions à l'usage mais simplement que cette charge oblige le propriétaire du fonds servant à supporter des actes d'usage, posés par le propriétaire du fonds dominant, ou à s'abstenir d'exercer certains de ses droits. 10.Commentaires du ministre de la Justice, Tome 1, Les Publications du Québec, 1993, 691. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 14 40 Cet argument écarté, malgré que la rédaction de la clause attaquée identifie des fonds dominant et servant et malgré le nom que lui ont donné les parties, elle ne peut, selon moi, être qualifiée de servitude réelle parce qu'elle n'est pas établie au bénéfice du fonds dominant, la propriété de 310, mais bien au bénéfice de la locataire de ce fonds, l'appelante. Autre lacune importante, elle n'est pas de nature perpétuelle. 41 Faisant écho au texte du Code civil, Denys-Claude Lamontagne rappelle qu'il doit y avoir asservissement d'un immeuble par rapport à un autre pour qu'il y ait servitude réelle11 : Deux immeubles hiérarchisés. - Pour qu'il y ait servitude réelle, l'article 1177 C.c.Q. (id. 499 ou 545 C.c.B.-C.) exige l'asservissement d'un immeuble par nature, le fonds servant (qui rend un service), au bénéfice d'un autre immeuble par nature, le fonds dominant (qui reçoit ce service). Ces immeubles sont nécessairement des fonds de terre, constructions ou ouvrages, excluant les plantations. (...) 42 Madame la juge Rousseau-Houle de notre Cour écrivait de la même façon en 1995, dans une affaire Girard & Als c. Ménard, après avoir référé aux articles 1177 C.C. et 499 C.c.B.-C.12 : Il est essentiel à l'existence d'une servitude réelle que le service qu'elle garantit ne soit imposé ni à une personne ni en faveur d'une personne, mais à un fonds pour l'utilité ou l'agrément d'un autre fonds. Pour qu'elle soit établie légalement, la servitude n'a pas besoin d'être décrite d'une manière complète dans le titre qui la constitue; il suffit qu'elle y soit désignée par la dénomination spéciale qui lui convient; l'interprétation peut combler les lacunes qui s'y rencontrent. Le titre qui crée la servitude doit cependant être suffisant pour en déterminer le caractère et le fonds qui y est soumis. Si un doute subsiste quant à l'interprétation, il doit être résolu en faveur du propriétaire du fonds servant. [Je souligne] [Références omises] 43 Jean-Guy Cardinal note à ce sujet13 : Il n'est certainement pas permis par la loi d'établir une servitude réelle en faveur de l'exploitation d'une entreprise qui n'existe pas pour l'utilité du fonds. Je cite au long un passage de Laurent à l'appui de cette affirmation: L'article 686 (C.N.) (notre article 499) dit que la servitude doit être établie pour un fonds, ce qui signifie ... qu'une charge est imposée à un héritage pour l'usage et l'utilité d'un autre héritage. C'est uncaractère essentielde la servitude; si le législateur a admis ces restrictions au droit de propriété, c'est parce qu'elles procurent un avantage à un autre fonds; l'un est diminué, l'autre est augmenté. C'est l'héritage dominant qui doit acquérir cette amélioration, non pas qu'un fonds puisse exercer un droit, mais il faut au moins que tous ceux qui occupent le fonds profitent de la servitude. (...) Laurent continue plus loin: «Il découle de là une conséquence très importante, c'est qu'un droitstipulé en apparence en faveur d'un fonds n'est pas une servitude réelle, s'il ne profite réellement qu'à la personne du stipulant». [Je souligne] 44 En l'espèce, les restrictions convenues ne confèrent pas de bénéfice au fonds dominant. 310 et ses actionnaires ont certes retiré un avantage immédiat de la transaction mais l'appelante confond le 11.Denys-Claude Lamontagne, précité note 3, 331. 12.[1995] R.D.I. 24, 27, JJ. Beauregard, Rousseau-Houle et Delisle. 13.Un singulier cas de servitude réelle, précité note 3, 486, 487. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 15 bénéfice obtenu par 310, qui a pu louer sa propriété, avec le bénéfice accordé au fonds lui-même. Le fonds ne bénéficie d'aucun usage sur le fonds servant. La transaction ne lui est pas utile. 45 En effet, il ne s'agit pas de se demander si la servitude a eu un impact positif sur le bilan de la propriétaire du fonds dominant, qui a été créée au surplus aux fins de l'acquisition du terrain de Canadian Tire, ou si elle a facilité la conclusion d'un bail qui autrement, ne se serait matérialisé que plus tard avec un autre locataire. 46 Au bout du compte, le service garanti à l'acte de servitude (la stipulation de non-concurrence) est pris en charge par Centre commercial non pas au bénéfice du fonds dominant, mais au bénéfice direct de Métro, qui ajoute que sans l'acceptation par Centre commercial et 310 de cette stipulation, elle ne se serait pas installée sur la propriété que lui offrait Centre commercial. 47 Au surplus, notons que Centre commercial ne pouvait acheter elle-même la propriété de Canadian Tire, l'eût-elle voulu, car elle n'aurait pu, de cette façon, satisfaire à l'exigence de Métro qu'une servitude soit créée, les fonds servant et dominant ne pouvant appartenir à un même propriétaire aux termes de l'article 1177 C.C. 48 En l'espèce, le bénéfice apparemment garanti par Centre commercial à 310 est tant et si bien consenti en faveur de Métro, pour satisfaire à ses exigences propres, qu'il cessera à la fin de son bail, à la fermeture de son commerce ou au moment où la vocation des lieux loués sera modifiée de façon importante. 49 Même Centre commercial ne retire pas de bénéfice significatif de l'opération, si ce n'est un accroissement éventuel de son achalandage qui aurait, à l'évidence, été bien plus sensible si Métro était demeurée sa locataire, comme cela devait se faire jusqu'à ce que Centre commercial change ses plans. Ainsi, on peut questionner l'affirmation faite par Métro dans son mémoire selon laquelle la SERVITUDE constituait un élément essentiel d'une série de transactions ayant bénéficié à la fois au fonds servant et au fonds dominant. 50 D'autre part, il est de l'essence de la servitude qu'elle soit perpétuelle et le fait d'être rattachée à un immeuble lui assure une certaine pérennité. Elle suit les immeubles en quelques mains qu'ils passent (a. 1182 C.C.). 51 Denys-Claude Lamontagne écrit encore, au sujet de la servitude réelle conventionnelle14 : Perpétuité. - La servitude réelle, constituée de fonds à fonds, est perpétuelle comme la propriété dont elle est l'accessoire. Cette règle de l'accessoire explique que le droit conféré - un immeuble incorporel normalement cessible (904 C.c.Q., id. 381 C.c.B.-C.) - ne peut être cédé séparément du fonds (dominant) auquel il est inhérent ou faire l'objet d'une saisie. (...) En conséquence de la perpétuité et sous réserve des règles de la publicité des droits (1182, 2938 C.c.Q., id, 2158 C.c.B.-C.), la servitude réelle sera opposable à tout propriétaire successif des fonds servant ou dominant, tant que ces fonds existeront. Elle suit l'un et l'autre immeuble: ambulat cum domino. [Références omises] 52 Et Madeleine Cantin Cumyn ajoute, dans le même sens15 : La perpétuité est une caractérisque essentielle du droit de propriété en ce sens que celui-ci n'est pas susceptible d'extinction par l'arrivée d'un terme ou par le non-usage. Bien que le Code civil n'en fasse pas l'objet d'une disposition expresse, la règle à l'effet que la servitude réelle soit de sa nature perpétuelle n'est pas contestée. Elle se déduit du rôle 14.Précité note 3, 335. 15.Précité note 3, 43. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 16 imparti à ce type de servitude. A titre d'accessoire du droit de propriété d'un immeuble dont elle facilite l'exploitation ou qu'elle valorise, la servitude réelle a vocation à la perpétuité. Elle n'a une durée temporaire qu'en vertu d'une convention expresse à cet effet, sans compter le jeu éventuel de la prescription extinctive. [Je souligne] 53 Métro réplique à cela que l'article 1193 C.C. permet maintenant d'assujettir une servitude à un terme, ce que ne prévoyait pas le Code civil du Bas-Canada. La juge de première instance aurait encore là erré en s'attardant à l'ancien droit. 54 Le nouveau droit reconnaît en effet que l'acte de servitude peut être assorti d'un terme extinctif: Art. 1191. La servitude s'éteint: (...) (3) Par l'arrivée du terme pour lequel elle a été constituée; (...) 55 Cette disposition confirme donc que le caractère perpétuel n'est pas nécessairement indissociable de la servitude. La doctrine avait toutefois souligné cela bien avant l'avènement de la réforme16 : La pérennité se rattache à la nature et non pas à l'essence des servitudes réelles. C'est pourquoi la loi autorise le rachat des servitudes de passage (1189 C.c.Q.) ou consacre l'extinction de la servitude consentie par l'emphytéote à la fin de l'emphytéose (1209 C.c.Q.). Par ailleurs, il est possible de stipuler un terme extinctif (même au-delà de cent ans) dans un acte de servitude - sans que celle-ci perde son caractère réel (1191 C.c.Q.) comme dans le cas de la propriété superficiaire (1111, 1114 C.c.Q.); les contractants pourront également prévoir une condition résolutoire (1507 C.c.Q.). Le Code civil du Bas-Canada ne contenait pas de disposition à ce sujet, mais la doctrine a toujours été dans ce sens. Tant que le terme ne sera pas arrivé ou que la condition ne sera pas réalisée, les principes ci-dessus s'appliqueront. [Références omises] [Je souligne] 56 La stipulation d'un terme dans un acte de servitude ne lui fait pas perdre son caractère réel; les parties ne sont pas empêchées de stipuler un tel terme. Ainsi, la nature réelle de ce droit n'exclut pas que dans certains cas, une servitude puisse avoir une durée temporaire, si les parties ont stipulé un terme extinctif dans l'acte créant la servitude sans que celle-ci perde son caractère de servitude réelle17 . 57 Mais ici, le caractère de perpétuité ou de permanence requis d'une servitude réelle est absent. La servitude est rattachée à Métro, à ses choix d'affaires, et non à un immeuble. Ainsi, ce n'est pas le terme convenu qui est source de difficulté mais bien le fait que, dans la mesure où la durée de la servitude consentie est directement liée à la personnalité de l'occupant du fonds dominant et aux décisions d'affaires qu'il prendra, non seulement est-elle à terme mais elle n'a aucune pérennité. 58 Cet exercice permet de conclure que la convention attaquée n'a pas créé de servitude réelle. Le bénéficiaire ultime de la clause et le terme stipulé font voir que le service accordé ne bénéficie pas à un fonds par rapport à un autre, mais essentiellement à l'appelante, et qu'il est temporaire. Il est vrai que l'obligation assumée par Centre commercial devait passer aux acquéreurs subséquents du fonds servant. Cependant, elle était aussi et surtout inextricablement liée, non pas au fonds dominant mais 16.Idem, 335. Voir au même effet Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, Les Éditions Thémis, 1999, 834 et 835. 17.Girard & Als c. Ménard, précitée note 12, 28. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 17 précisément à la personnalité de la locataire qui occupait à ce moment le fonds dominant. 59 La clause litigieuse ne peut donc être qualifiée de servitude réelle.... 60 Peut-il s'agir d'une servitude personnelle auquel cas, il suffirait de conclure qu'un droit a été consenti dans un immeuble, bien qu'en faveur d'une personne pour une période limitée, pour qu'il soit opposable à tout acquéreur subséquent? 61 Cela est possible, mais il faudrait encore être en présence d'un droit réel grevant un fonds. Cette exigence fondamentale ne sera rencontrée que si les droits consentis s'exercent directement sur une chose ou un objet, sans qu'il soit nécessaire de passer par l'intermédiaire d'un individu pour les exercer18 , tels les droits d'usufruit, d'usage et d'habitation. 62 Dans l'arrêt Plourde c. Plante19 , le juge Nichols écrit, au sujet de la servitude personnelle: Notre Code civil ne traite pas spécifiquement des servitudes personnelles. L'article 405 C.C. parle plutôt d'un «simple droit de jouissance». Mignault, précise que les droits de jouissance, c'est-à-dire l'usufruit, l'usage et l'habitation, (sont) en un mot, les servitudes personnelles. Définissant plus loin le droit d'usage, il écrit: C'est une servitude personnelle, lorsque, de même que l'usufruit, il a été établi sur la chose d'autrui pour l'avantage et le besoin d'une ou de plusieurs personnes nommément désignées, sans en rattacher l'exercice à aucune habitation particulière et à aucun fonds de terre. Par opposition à la servitude réelle où un fonds est au service d'un autre fonds, la servitude personnelle met un fonds au service personnel d'une ou plusieurs personnes désignées. Alors que la servitude réelle grève le fonds servant à perpétuité, la servitude personnelle ne le grève que pour la durée de la jouissance consentie aux personnes désignées. [Références omises] [Je souligne] 63 Notre Cour a conclu dans cette affaire qu'en mettant des aménagements récréatifs à la disposition de gens qui achetaient ses terrains, le vendeur conférait aux acheteurs personnellement un droit dans sa chose, dans l'usage de son fonds. 64 Pour sa part, Jean-Guy Cardinal qualifiait ainsi, en 1955, les servitudes personnelles20 : L'usufruit, l'usage et l'habitation, qui ont survécu à la Révolution, ont été incorporés au Code Napoléon et reproduits dans nos lois civiles. Ce sont des servitudes personnelles, c'est-à-dire des droits réels dans un héritage en faveur d'une personne. Ce sont des droits réels quant à leur objet, personnels quant au bénéficiaire du droit. Il s'agit d'un droit «réel par son objet, et personnel par son sujet». (...) Et ce droit qu'une personne possèdera dans une propriété sera, selon Pothier: Le droit de se servir de la chose d'autrui à quelque usage, ou d'en interdire quelque usage au propriétaire ou possesseur: jus faciendi aut prohibendi aliquod in alieno. [Références 18.Jean-Louis Baudouin, extrait déjà cité au paragraphe 28. 19.Précité note 3, 304. 20.Précité note 3, 481. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 18 omises] [Je souligne] 65 Madeleine Cantin Cumyn englobe cette réalité juridique dans la notion de droits réels de jouissance21 : Le droit réel de jouissance coïncide avec la catégorie des servitudes personnelles dont l'origine remonte au droit romain qui opposait aussi les servitudes personnelles aux servitudes réelles. Le fait que l'expression de servitudes personnelles ne soit pas utilisée par l'article 405 n'a pas empêché la doctrine et la jurisprudence de la considérer comme synonyme des droits de jouissance qui y sont mentionnés. 66 La même auteure ajoute, élaborant sur ce qui constitue l'essence même de la servitude personnelle22 : Il est de l'essence de la servitude personnelle qu'elle consiste en un droit que son titulaire exerce directement et d'une manière autonome sur la chose d'autrui: elle doit être un droit réel de jouissance de la chose d'autrui. À ce droit de jouissance correspond un aspect négatif ou une charge qui grève le droit de propriété de la chose et contraint le propriétaire à subir l'exercice du droit du tiers et à s'abstenir de tout acte qui y fasse entrave. Certes, on admet que les parties puissent convenir d'une obligation spécifique pour le propriétaire de faire une chose de nature à faciliter l'exercice du droit réel démembré. On dit alors que l'obligation est réelle (ou propter rem). Ainsi dans l'usufruit, le nu-propriétaire peut valablement s'obliger à faire les grosses réparations. L'obligation de faire s'ajoute alors comme droit de créance au droit réel du tiers de jouissance de la chose. Pour le propriétaire de la chose, l'obligation réelle s'ajoute à la charge qui démembre son droit de propriété. Lorsque, au contraire, la prestation exigible du propriétaire est substituée au droit de jouissance de sorte que le droit d'autrui ne consiste plus qu'à exiger l'exécution de la prestation, lerapport juridique n'a pas la nature d'une servitude personnelle ni celle d'un droit réel. On n'a alors créé qu'un droit personnel, un pur rapport de créancier et de débiteur qui atteint la personne sans toucher à la chose. [Gras et soulignement ajoutés] 67 Et enfin23 : Le titulaire d'un droit réel dans la chose d'autrui est dans une situation juridique de beaucoup supérieure à celle du titulaire d'une simple créance de jouissance (jus ad rem). Son droit emporte une certaine emprise sur la chose qui lui permet d'en jouir directement, et sans le besoin du concours du propriétaire. (...) 68 Comme corollaire de cela, la servitude ne peut imposer au propriétaire du fonds servant, qu'elle soit d'ailleurs réelle ou personnelle, l'obligation de jouer de façon principale un rôle actif. Elle est due par un héritage qui souffre d'un avantage exercé par autrui ou n'empêche pas autrui de poser sur cette propriété, des actes de propriétaire. 69 Le juge Forget écrivait en 1995, dans une affaire Caisse populaire les Hauteurs c. 136202 Canada Inc. et al, alors qu'il n'était pas encore à notre Cour24 : 21.Précité note 3, 8. 22.Idem, 36. 23.Idem, 49. 24.C.S. Terrebonne, 700-05-001945-942, 12.01.95, 12 et 13. Voir aussi: Coulombe c. La Société coopérative agricole de Montmorency[1950] R.C.S. 313; Plourde c. Plante, précitée note 3. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 19 La doctrine et la jurisprudence semblent unanimes à reconnaître que la charge affectant le fonds servant est de nature passive et non active; autrement dit, le propriétaire du fonds servant doit subir un acte du propriétaire du fonds dominant, mais il n'a pas à faire quelque chose à son profit. Mignault l'exprime clairement: (p. 7) La servitude est un droit réel qui, activement et passivement, suit le fonds dominant ou le fonds servant partout où il passe. Elle consiste, de la part du propriétaire du fonds asservi, à souffrir ou à ne pas faire quelque chose: elle ne l'oblige point à faire.... (p. 140) En d'autres termes, constituer une servitude, c'est attribuer au propriétaire d'un fonds, en tant que propriétaire de ce fonds, le droit de faire sur le nôtre certains actes de propriété, ou de nous empêcher d'y faire certains actes que nous pourrions exercer selon le droit commun de la propriété. La servitude consiste à laisser faire ou à ne pas faire; ellene consiste jamais à faire. La promesse de faire sur son fonds quelque chose dans l'intérêt du propriétaire d'un fonds voisin ne constitue donc point une servitude; elle n'engendre qu'une obligation. La doctrine québécoise et française partagent cette opinion. [Je souligne] 70 Pierre-Claude Lafond écrit au même effet25 : Il est un principe général selon lequel, pour le propriétaire du fonds servant, la servitude constitue une charge passive (...) (...) La servitude oblige le propriétaire du fonds servant à supporter les actes du propriétaire du fonds dominant ou à s'abstenir de poser certains gestes qui auraient pour effet de nuire à l'exercice des droits de ce dernier (art. 1177, al. 2 C.c.Q.). Elle consiste donc, en général, à souffrir ou à ne pas faire. Aucune obligation positive ne pèse sur le propriétaire du fonds qui en est redevable. La servitude n'étant due que par le fonds sur lequel elle a été établie, on conçoit mal qu'un immeuble puisse être obligé de faire quelque chose. Il est impossible, au moyen d'une servitude réelle, d'imposer un service à une personne pour une autre personne. La servitude ne peut avoir pour objet principal l'activité du propriétaire du fonds servant. S'il en était ainsi, il s'agirait alors d'une obligation personnelle de ce propriétaire et non d'une servitude réelle. Garant d'une obligation personnelle, il en resterait tenu même après avoir cessé d'être propriétaire. [Je souligne] [Références omises] 71 En l'espèce, l'interprétation de la clause litigieuse fait voir que ni 310, la bénéficiaire désignée de la servitude, ni Métro, à l'avantage de laquelle elle est en réalité consentie, n'ont de droit réel dans le fonds de Centre commercial. Elles n'y exercent aucun usage, ni ne s'en servent à leurs fins. Il n'y a pas d'exercice d'un droit de jouissance dans la chose d'autrui. 72 Centre commercial s'engage, il est vrai, à ne pas poser certains gestes mais cette charge, cette 25.Pierre-Claude Lafond, précité note 16, 837. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 20 contrainte imposée au fonds dit servant, ne découle pas de l'exercice par autrui d'un droit de jouissance dans une chose. Elle subsiste en soi, à titre principal, sans être rattachée accessoirement à un droit réel de jouissance dans un fonds. Elle ne s'ajoute pas comme droit de créance au droit réel du tiers de jouissance de la chose. 73 Enfin, le propriétaire du fonds servant ne joue pas un rôle seulement passif, qui consisterait à tolérer des actes du propriétaire du fonds dominant ou du bénéficiaire de la servitude. Il s'oblige plutôt à jouer un rôle actif, à empêcher la venue de certains types de commerces sur sa propriété et à limiter l'usage de son stationnement. C'est à lui qu'incombe le service. 74 Somme toute, l'avantage consenti à Métro par Centre commercial vise essentiellement à protéger l'activité commerciale de la locataire de 310 et à empêcher qu'un de ses concurrents s'installe dans le centre d'achats. Elle ne confère ni à 310 ni à l'appelante un droit de la nature d'un droit réel dans la propriété de Centre commercial, en dépit des termes de l'acte juridique contesté. Elle accorde à Métro un avantage qui n'est ni une servitude réelle, ni une servitude personnelle, mais une simple obligation personnelle de la nature d'une stipulation de non-concurrence. Cet avantage n'est pas opposable à l'ayant droit de Centre commercial. 75 Ces dernières années, nos tribunaux ont refusé de voir dans la stipulation de non-concurrence une servitude réelle. Ils ont plutôt décelé, à l'étude de telles clauses, une obligation personnelle aux cocontractants, vu l'absence de rapport entre l'objet de la charge et l'utilité du fonds lui-même26 . Pierre-Claude Lafond écarte ainsi une tendance jurisprudentielle plus ancienne qui était à l'effet contraire27 : Une certaine jurisprudence a par ailleurs reconnu comme servitudes réelles des stipulations de non-concurrence établies dans un contrat de vente, telle l'interdiction d'utiliser un immeuble à certaines fins commerciales ou d'exploiter un terrain de stationnement sur le fonds vendu. En tout respect, nous croyons que la Cour supérieure a confondu dans ces cas la notion de servitude réelle avec l'obligation personnelle relative à un immeuble. Toute obligation passive n'emporte pas nécessairement la création d'une servitude réelle. Soucieux de protéger le bénéficiaire de la clause de non-concurrence, le tribunal s'est à plusieurs reprises senti obligé de reconnaître la qualification de servitude à cette clause afin de lui conférer les caractères d'un droit réel. Or, la qualification de servitude réelle rattachée à une telle stipulation ne procure pas au propriétaire du fonds prétendument dominant une protection accrue. En cas de non-respect, son seul recours consiste à exiger l'exécution personnelle de la créance qu'il détient contre le propriétaire voisin car c'est d'une obligation strictement personnelle dont il s'agit. Aucun droit réel de jouissance n'est accordé sur le fonds servant. On conçoit difficilement l'avantage que peut recevoir un fonds d'une semblable convention. Elle sert davantage l'intérêt de ses occupants ou de l'entreprise que le fonds lui-même. [Je souligne] [Références omises] 76 Samuel Chait concluait lui aussi, en 1962, qu'une clause restrictive d'usage ne peut être qualifiée de servitude28 : The prohibition to carry on a certain type of business does not really benefit the dominant 26.Industries Bonneville Ltée c. Placements Paul Bernard Ltée, C.S. St-Hyacinthe, 750-05-000354-901, J.A. Biron, 18.8.93, J.E. 93-1651; Léveillé c. Coopérative funéraire D'Autray[1998] R.D.I. 404C.S. J.A. Denis; Hamel c. Le Club motoneige de la Jacques Cartier Inc., C.S. Québec, 200-05-009360-988, 17.04.00, J.N. Gosselin. 27.Pierre-Claude Lafond, précité note 16, 840 et 841. Voir au même effet: Robert Décary, De la validité d'une servitude de non-usage à des fins commerciales dans une zone commerciale, 80 R. du N., no 3, octobre 1977; Madeleine Cantin Cumyn, précité note 3, 3. 28.Samuel Chait, Contractual Land Use Control, 1962, Meredith Memorial Lectures, 52, 58. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 21 land. It benefits the person who occupies and carries on a certain type of activity on the dominant land. Should the owner of the dominant land cease to carry on this particular type of business, or change the nature of his business, the benefit ceases. Should the owner transfer his business to a location other than the dominant land, the benefit again would cease. The fundamental element of benefit to the dominant land is surely not present in such a provision. It is purely an attempt to secure a personal advantage by way of precluding or minimizing competition in business. 77 Madeleine Cantin Cumyn ajoute qu'une telle clause ne peut davantage constituer une servitude personnelle29 : La clause de non-concurrence n'est jamais susceptible de constituer une servitude personnelle. Le bénéficiaire de la stipulation peut s'en prévaloir comme droit de créance. Il ne peut prétendre l'exercer à titre de droit réel contre l'ayant cause de la personne obligée dont il aurait acquis l'immeuble à l'occasion duquel la stipulation a été faite. La clause de non-concurrence ne donne à titre principal aucun droit direct de jouissance de la chose, sur lequel pourrait se greffer une obligation réelle de ne pas faire concurrence. [Je souligne] 78 Je partage son avis et tout comme la juge d'instance j'arrive à la conclusion qu'en dépit des apparences l'acte convenu entre Centre commercial et 310 n'a pas les attributs d'un droit réel et n'est pas opposable à un tiers acquéreur.... 79 À ce stade-ci, une question demeure. Quel est le statut de Standard Life compte tenu des droits hypothécaires qu'elle a exercés? Quel acte l'intimée peut-elle poser ou non, en regard de l'acte dit de servitude attaqué? 80 Standard Life soumet que son statut juridique et les droits dont elle dispose, à la suite de l'exercice de ses droits hypothécaires, méritent d'être clarifiés pour la gouverne future des parties. Elle demande: (...) that this Court clarify, or at least express an opinion as to whether or not Standard has become owner of the hypothecated property or if it has still reserved its rights to exercise the various hypothecary recourses available to it. 81 Dans le préavis d'exercice d'un droit hypothécaire qu'elle a initié le 18 mars 1997, conformément aux articles 2757 et ss. C.C., l'intimée énonce, quant à la nature du droit hypothécaire exercé: Vous êtes sommés de délaisser l'immeuble ci-haut décrit, dans les soixante (60) jours à compter de l'inscription du présent préavis au registre foncier de la circonscription foncière d'Arthabaska, afin que la Créancière exerce son droit hypothécaire de prendre l'immeuble en paiement en vertu des articles 2778 et suivants du Code civil du Québec, le tout, sous réserve du droit de la Créancière d'opter pour l'exercice d'un autre droit hypothécaire et de son droit d'exercer ses autres recours disponibles en vertu de la loi. Cependant, le Débiteur ou un tiers peut faire en sorte que soit évité l'exercice de ce droit hypothécaire en remédiant au Défaut et à toute omission ou contravention subséquente et en payant les intérêts échus jusqu'à la date du paiement de même que les frais engagés par la Créancière relativement au préavis. Ce droit peut être exercé jusqu'à ce que l'immeuble ait été pris en paiement. Si vous consentez volontairement au délaissement de l'immeuble, nous vous demandons de communiquer avec nous afin de convenir du moment et de la façon dont la Créancière 29.Précité note 3, 36. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 22 prendra possession de l'immeuble. [Je souligne] 82 L'intimée entend donc prendre l'immeuble en paiement, à moins que le débiteur ou un tiers ne remédie au défaut avant telle prise en paiement. Un délai de 60 jours est accordé au débiteur pour délaisser l'immeuble, à compter de l'inscription du préavis, s'agissant du délai prévu à l'article 2758, 2e al. C.C. Un délai de 10 jours aurait suffi si l'intention annoncée avait été simplement de prendre possession du bien. 83 Le préavis a été inscrit le 20 mars 1997. Le délai pour remédier au défaut courait donc jusqu'au 20 mai 1997. 84 Avant même l'expiration du délai, Centre commercial délaisse volontairement l'immeuble le 6 mai 1997 dans un acte notarié, auquel comparaît l'intimée, et qui comporte les mentions suivantes: 4. The Debtor has agreed to voluntarily surrender possession of the said immoveable property to the Creditor in order that the Creditor may take possession of the property, the whole in accordance with Article 2764 of the Civil Code of Quebec. NOW, THEREFORE, THE PARTIES HERETO HAVE AGREED AS FOLLOWS: Article 1 Surrender The Debtor hereby voluntarily surrenders possession of the property hereinafter described, in accordance with Article 2764 of the Civil Code of Quebec, in favour of the Creditor, hereto present and accepting. (...) All hypothecary recourses available to the Creditor in accordance with the provisions of the Civil Code of Quebec and pursuant to the Deed of Loan are hereby expressly reserved. [Je souligne] 85 Les articles 2764 et 2781 C.C. se lisent: Art. 2764. Le délaissement est volontaire lorsque, avant l'expiration du délai indiqué dans le préavis, celui contre qui le droit hypothécaire est exercé abandonne le bien au créancier afin qu'il en prenne possession ou consent, par écrit, à le remettre au créancier au moment convenu. Si le droit hypothécaire exercé est la prise en paiement, le délaissement volontaire doit être constaté dans un acte consenti par celui qui délaisse le bien. Art. 2781. Lorsqu'il n'a pas été remédié au défaut ou que le paiement n'a pas été fait dans le délai imparti pour délaisser, le créancier prend le bien en paiement par l'effet du jugement en délaissement, ou par un acte volontairement consenti, si les créanciers subséquents ou le débiteur n'ont pas exigé qu'il procède à la vente. Le jugement en délaissement ou l'acte volontairement consenti constitue le titre de propriété du créancier. 86 En l'espèce, un délaissement volontaire a été consenti par le débiteur avant l'expiration du délai indiqué dans le préavis, dans un acte conformément au second alinéa de l'article 2764 C.C Il n'a pas été remédié au défaut dans le délai imparti pour délaisser et personne n'a exigé de l'intimée qu'elle procède à la vente. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 23 87 Dès lors, à tout le moins en date du 20 mai 1997, il faut considérer que l'intimée a pris le bien en paiement par l'acte de délaissement volontairement consenti par son débiteur et que cet acte constitue son titre de propriété. 88 Les conditions prévues au Code civil à savoir un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire, le délaissement volontaire consenti dans un acte et l'écoulement d'un délai minimal de 60 jours sans développement significatif sont rencontrées. 89 De la même façon, notons que le délaissement forcé de l'immeuble n'aurait pu être ordonné par le tribunal avant que l'on ait constaté, à l'expiration du délai de 60 jours, le défaut du débiteur et l'absence d'une cause valable d'opposition (a. 2765 C.C.). 90 Je ne décide cependant pas que l'intimée ne pouvait devenir propriétaire de l'immeuble avant l'expiration du délai imparti pour remédier au défaut, ni de son statut pendant cette période. Qu'il suffise d'affirmer qu'en l'espèce, à compter du 20 mai 1997, l'acte de délaissement volontairement consenti par Centre commercial constituait le titre de propriété de l'intimée. 91 À cet égard et sous la réserve faite ci-dessus, je fais miens les propos de Denise Pratte, publiés dans un article récent intitulé: La prise en paiement: comment et quand s'effectue-t-elle?30 Suivant les articles 2781 et 2764 C.c.Q., selon nous, le législateur a clairement voulu que la prise en paiement ait lieu par l'acte de délaissement volontaire. C'est pour cette raison qu'il a prévu que le délaissement doit être constaté dans un acte, en cas de prise en paiement, au deuxième alinéa de l'article 2764 C.c.Q. Suivant les commentaires du ministre de la Justice: À moins que les créanciers subséquents ou le débiteur n'aient exigé qu'il procède à la vente, le délaissement transfère la propriété du bien au créancier. On a vu que ce délaissement pouvait être forcé ou volontaire. Dans le premier cas, il résultera d'un jugement (art. 2765 et 2767), alors que, dans le second, il sera constaté dans un acte (art. 2764). Ce jugement ou cet acte constituera le titre du créancier. En toute déférence pour l'option contraire, nous devons donc conclure qu'il n'y a pas deux types de délaissement mais bien un seul, soit celui prévu à l'article 2764 C.c.Q. Ce délaissement constitue “une reconnaissance par le débiteur ou par celui contre qui le droit est exercé du droit du créancier et une indication de sa volonté de ne pas faire échec à l'exercice de ce droit”. En vertu de l'article 2781 C.c.Q., cet article de délaissement volontaire constituera le titre de propriété du créancier, si toutefois, comme nous l'avons établi précédemment, les conditions prévues à cet article sont remplies. Ainsi, à l'expiration du délai imparti pour délaisser, nous croyons que le créancier deviendra automatiquement et immédiatement propriétaire du bien, si personne n'a remédié au défaut ou payé le créancier, si personne n'a demandé l'abandon de la prise en paiement, si le créancier n'a pas refusé le délaissement à des fins de prise en paiement ou s'il n'a pas manifesté son intention d'exercer un autre droit hypothécaire ou n'a pas intenté une action personnelle contre son débiteur. 92 Ainsi, à compter du 20 mai 1997 à tout le moins, l'officier de la publicité des droits était en mesure de constater le respect des conditions prévues par le codificateur et le titre valable de propriétaire détenu par l'intimée. Celle-ci est donc devenue propriétaire de la propriété délaissée par son débiteur, au plus tard à l'expiration du délai de 60 jours du préavis d'exercice. L'acte dit de servitude invoqué par Métro, Centre commercial et 310, n'est donc pas opposable à Standard Life. 93 Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel à seules fins: 30.Denise Pratte, La prise en paiement: comment et quand s'effectue-t-elle?, (1999) 33 R.J.T., 501, 511 et 512. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 24 94 DE DÉCLARER The Standard Life Assurance Company propriétaire depuis le 20 mai 1997 de l'immeuble à l'égard duquel un préavis d'exercice a été initié le 18 mars 1997 et publié le 20 mars 1997; 95 DE DÉCLARER l'acte dit de servitude daté du 8 mai 1996 inopposable à The Standard Life Assurance Company et à ses ayants droit; 96 D'ORDONNER au registraire pour la division d'enregistrement d'Arthabaska de faire les entrées appropriées au registre de la publicité des droits, sur les lots affectés par ce jugement. 97 AVEC DÉPENS contre l'appelante. Juge Rochette Me Sylvain Rigaud, pour l'appelante Me Jonathan J. Robinson, pour les intimés Date de mise à jour : 17 décembre 2010 Date de dépôt : 9 mai 2003 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 25 EYB 2005-89170 – Texte intégral Cour d'appel CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT de Montréal 500-09-013000-021 DATE : 14 avril 2005 DATE D'AUDITION : 9 décembre 2004 EN PRÉSENCE DE : Marie-France Bich , J.C.A. François Doyon , J.C.A. Louis Rochette , J.C.A. 151692 Canada inc. Appelante-intimée c. Centre de loisirs de Pierrefonds enr. Intimée-requérante et L'officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal Mis en cause-mis en cause Bich J.C.A., Doyon J.C.A., Rochette J.C.A. :– 1 LA COUR, statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 3 décembre 2002 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Hélène LeBel), qui a accueilli la requête pour jugement déclaratoire de l'intimée, déclaré que les servitudes créées par un acte de servitude du 25 novembre 1960 ne sont pas des servitudes réelles et ne lui sont donc pas opposables, et ordonné en conséquence au mis en cause la radiation de l'enregistrement de ces servitudes crées par un acte de servitude du 25 novembre 1960, avec dépens; 2 Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré; 3 Pour les motifs du juge Rochette, auxquels souscrivent les juges Doyon et Bich: 4 ACCUEILLE l'appel; 5 INFIRME la décision dont appel et procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue: DÉCLARE que les droits de passage et de stationnement stipulés à la clause 1 de l'acte intervenu entre les auteurs des parties le 25 novembre 1960 constituent bien des servitudes réelles opposables au requérant et ORDONNE au mis en cause d'enregistrer ce jugement contre les immeubles mutuellement affectés par ces servitudes. 6 AVEC DÉPENS dans les deux Cours. Bich J.C.A., Doyon J.C.A., Rochette J.C.A. Me Gilles Poulin, pour l'intimé Me Éric Ménard, pour l'appelante © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 1 Rochette J.C.A.:– I 7 Ce pourvoi comporte essentiellement d'interpréter la clause d'un contrat notarié signé par les auteurs des parties, le 25 novembre 1960 (R-4). Elles y indiquent qu'elles créent, sur leurs propriétés contiguës, des servitudes mutuelles et réciproques de droit de passage et de droit de stationnement. S'agit-il pour autant de véritables servitudes réelles? Si tel est le cas, ces servitudes demeurent opposables à l'intimé qui en a contesté la pérennité par requête pour jugement déclaratoire. 8 La juge de première instance a répondu par la négative à la question posée. À son avis, les parties ne seraient plus liées par les engagements pris il y a près de 45 ans. 9 Pour les motifs exposés ci-après et avec égards pour la première juge, j'estime que la clause étudiée crée bien une servitude réelle. II 10 Certains faits doivent être rappelés et les propriétés des auteurs des parties situées avant de nous attarder aux engagements qu'ils ont pris. 11 Au mois de novembre 1960, c'était à la mode à l'époque, un Centre commercial est en construction le long du boulevard Lalande, rebaptisé le boulevard Gouin, en la ville de Pierrefonds. Il s'agit de Pierrefonds Plazza. La propriété des lots sur lesquels sera situé le Centre commercial est indiquée à un plan I-1 qu'il est utile de reproduire ici: 11 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 2 12 Les constructions n'apparaissent pas au plan. L'on constate que les lots identifiés, de gauche à droite, «Parking Lot», «Present Shopping Centre», «Futur Shopping Centre» et «Surplus Land» appartiennent à Hillsdale et Island, qu'un autre est identifié «Vida» et qu'un dernier, à l'extrémité nord, porte l'inscription «Fairhill». Il s'agit respectivement de Hillsdale Construction Co. Ltd. [Hillsdale], de Island Construction Co. Ltd. [Island], de Peter Vida inc. [Vida] et enfin de Fairhill Investments Ltd. [Fairhill]. Il sera peu question de Fairhill dans notre affaire. Notons simplement qu'elle a construit sur son lot un édifice commercial occupé par Rossy's inc. 13 Par contre, Hillsdale et Island de même que Vida nous intéressent tout particulièrement. Les premières sont les auteures de l'intimé [Centre de loisirs] alors que Vida est l'auteur de l'appelante [151692]. 14 Un second plan (R-6), daté de novembre 1984, fait voir les immeubles respectifs des ayants droit de Hillsdale et Island et de Vida que les parties acquerront peu après. La partie Vida sera acquise par 151692 en 1986, la partie Hillsdale et Island par monsieur Suyagya Arya [Arya] en 1985: 14 15 À l'extrémité ouest de Pierrefonds Plazza, on retrouve l'immeuble de 151692 alors que la partie moins profonde du Centre commercial, qui s'allonge vers l'est, appartient depuis 1992 à Centre de loisirs. La propriété de la première est cernée par la seconde. 16 Revenons au contrat auquel Hillsdale et Island, Vida et Fairhill interviennent le 25 novembre 1960 (R-4). 17 À cette époque, la partie est de Pierrefonds Plazza n'est pas érigée sur toute sa longueur, tel qu'il © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 3 appert du plan I-1 et de ce contrat intitulé «Servitude Agreement». L'édifice de Vida sera par ailleurs occupé par un supermarché d'alimentation propriété de Dominion Stores Ltd. [Dominion], en vertu d'un bail qui devait durer 25 ans. 18 La première clause du «Servitude Agreement» est au coeur du litige. Elle se lit, dans sa partie pertinente: 1. It is the intention of Vida and Hillsdale and Island that the parking lot property and the vacant areas of land surrounding the buildings now erected on Vida's property and on the present Shopping Centre property serve as a common parking lot for the free use of the lessees of the stores in the said buildings, their employees and patrons only and to this purpose Vida on the one hand and Hillsdale and Island collectively on the other hand hereby establish and impose each in favour of the other, upon Vida's property in favour of the present Shopping Centre property and upon the parking lot property and the present Shopping Centre property in favour of Vida's property the following mutual and reciprocal servitudes, namely: i.“A servitude of right of passage on foot and with animals and vehicles at all times over and upon Vida's property, the parking lot property and the present Shopping Centre property (except as hereinafter limited and restricted); ii.A servitude of the right in favour of Vida and Hillsdale and Island collectively, their respective assigns and legal representatives, including the lessees of the said stores and employees and patrons thereof, of the right at all times to park automobiles and other vehicles on Vida's property, the parking lot property and the present Shopping Centre property (except as hereinafter limited and restricted); (…) [Je souligne] 19 L'acte comporte également: l'engagement de Hillsdale et Island de terminer à leurs frais, avant même que soit complétée l'érection de l'immeuble de Vida, le nivellement, le pavage et l'éclairage d'espaces de stationnement sur la propriété de Vida, sur le «Parking Lot» et sur le «Present Shopping Centre» de sorte à offrir trois pieds carrés de stationnement pour chaque pied carré d'espace occupé dans le Centre commercial (clause 2); l'engagement de Hillsdale et Island de compléter l'aménagement de la même façon d'espaces de stationnement suffisants pour satisfaire aux besoins découlant, le cas échéant, de l'agrandissement du Centre commercial (clause 3); l'engagement tant de Vida que de Hillsdale et Island, d'entretenir et d'éclairer adéquatement les espaces de stationnement pendant les heures d'ouverture du Centre commercial (clause 4); et enfin un engagement mutuel de Hillsdale et Island et de Fairhill de ne pas permettre certains commerces (limitation à la concurrence) dans le Centre commercial (clause 5). 20 Pierrefonds Plazza sera exploitée pendant plusieurs années mais la rentabilité de l'ensemble commercial se détériore graduellement. 21 Dominion cesse ses opérations en 1979 et le bail qui devait courir jusqu'en 1986 prend fin prématurément. Un vendeur de fruits s'installe dans ses locaux, puis un bingo, à partir de 1983. 151692 achète l'immeuble en 1986 et continue essentiellement cet usage jusqu'à l'époque des procédures. 22 Les destinées de Centre de loisirs sont entre les mains d'Arya. Il a acquis la partie est du Centre commercial en 1985 et mis fin aux baux en vigueur, au fur et à mesure de leur échéance, pour transformer les lieux en «Recreation Center». L'on y retrouve notamment une salle de quilles et de © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 4 billard, des bars, un restaurant communautaire, un centre de santé et un salon de coiffure. 23 L'utilisation commune et réciproque des stationnements entourant les propriétés des parties se poursuit jusqu'en 2002, alors que Centre de loisirs lance sa requête pour jugement déclaratoire (art. 453 C.P.). Elle reproche notamment aux clients du bingo d'envahir le stationnement et d'occuper les espaces les plus intéressants, avec pour conséquence préjudiciable que la fréquentation de ses locaux en serait affectée. 24 Invoquant l'acte notarié de novembre 1960, Centre de Loisirs demande à la Cour supérieure de déclarer que les servitudes de passage et de stationnement ne constituent pas des servitudes réelles et ne lui sont pas opposables ou, alternativement, qu'elles sont éteintes vu la fin de l'exploitation en commun d'un Centre commercial, à tout le moins depuis le 31 janvier 1985, date de l'entrée en scène d'Arya. 25 La juge de première instance a fait droit aux prétentions de Centre de loisirs. 26 Elle s'attarde, dans un premier temps, à l'interprétation des quatre dernières clauses de l'acte de servitude. Elle conclut que ces clauses ne peuvent, pour divers motifs, être assimilées à des servitudes réelles et que les obligations réciproques assumées sont essentiellement fonction de l'opération de commerces de détail et de l'opération d'un centre commercial. Revenant ensuite à la clause 1 qui nous concerne plus particulièrement, elle écrit: [38]Le Tribunal arrive à la conclusion qu'il en est de même du droit de passage et du droit de stationnement qui sont créés au paragraphe 1 de l'acte de servitude. D'une part, la partie introductive de l'article 1 indique clairement l'intention et le but que les propriétés des parties «serve as a common parking lot», mais dans un but précis: «for the free use of the lessees of the stores in the said buildings, their employees and patrons only». [39]On ne crée donc pas un droit de passage ou un droit de stationnement ou une charge qui grève l'immeuble, mais un droit en faveur de certaines personnes qui sont identifiées. Ce n'est pas véritablement une charge sur le fonds au bénéfice d'un autre fonds, mais plutôt une obligation réciproque des parties. [40](…) Le Tribunal constate de plus que rien dans l'acte n'interdit à une partie ou à l'autre de cesser d'opérer un centre commercial. Il semble évident que si le centre commercial est détruit ou si on le démolit pour construire à sa place des immeubles à bureaux ou des immeubles résidentiels, et le droit de passage et le droit de stationnement deviendraient sans objet. L'assise n'est pas établie et protégée envers et contre tous. [Références omises] 27 Subsidiairement, la juge d'instance ajoute que le contexte qui prévalait lors de la signature de l'acte de servitude n'est plus le même, laissant entendre qu'une servitude réelle eût-elle été consentie, elle serait de toute façon arrivée à son terme. III 28 Rappelons certaines règles applicables en l'espèce. 29 Les éléments suivants sont requis pour que soit créée une servitude réelle conventionnelle: deux fonds de terre voisins, appartenant à deux propriétaires différents, qui accordent un avantage à l'un des fonds, le fonds dominant, obligeant le propriétaire du fonds servant à accepter ce qui serait autrement un empiètement sur son terrain, servitude qui est perpétuelle par sa nature: Gale c. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 5 [1993] R.L. 216C.A.; Girard c. Ménard[1995] R.D.I. 24C.A.. 30 L'interprétation d'un acte dit de servitude requiert, comme pour tout contrat, de rechercher l'intention commune des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés (art. 1425 C.c.Q.). Lorsque cette intention est claire, l'exercice s'arrête là. Par contre, lorsque le sens de l'acte interprété est douteux, il doit être interprété de façon restrictive et en faveur de l'immeuble servant: Barlow c. Cohen[1963] R.C.S. 101; Coulombe c. Société coopérative agricole de Montmorency[1948] B.R. 761; Boucher c. Roy, J.E. 81-72 (C.A.); Plourde c. Plante[1986] R.J.Q. 1844C.A.; Girard c. Ménard, précitée; Langevin c. Chorlton[1999] R.D.I. 13C.A.; Ford c. Baillargeon[1999] R.D.I. 358C.A.; Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Standard Life Assurance Co.[2001] R.J.Q. 587C.A.. 31 La servitude réelle est, par sa nature, perpétuelle comme la propriété dont elle est l'accessoire. Il n'est donc pas nécessaire d'en faire mention à l'acte: Girard c. Ménard, précitée. Par contre, la stipulation d'un terme dans un acte de servitude ne lui fait pas perdre son caractère réel, à la condition que la durée de la servitude ne soit pas liée, par exemple à la personne qui occupe le fonds dominant: art. 1191 C.c.Q. et Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Standard Life Assurance Co., précitée. 32 Alors que les droits réels s'exercent directement sur une chose, sont opposables à tous et demeurent, indépendamment de la personnalité de celui qui les détient à un moment précis, les droits personnels s'exercent contre une personne: Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Standard Life Assurance Co., précitée; Jean-Louis Baudouin, Les obligations, 4e édition, Éd. Yvon Blais, 16 et 17, nos 24 et 25. 33 Enfin, on tient compte, dans l'interprétation du contrat, des circonstances dans lesquelles il a été conclu et de l'interprétation que les parties lui ont donnée: art. 1426 C.c.Q.; Trudeau c. Cochrane[1977] 2 R.C.S. 55; Richer c. Mutuelle du Canada (La), Cie d'assurance sur la vie[1987] R.J.Q. 1703C.A.; Vanier c. Montréal (Ville de), J.E. 2004-1223 (C.A.). IV 34 Le sens de la clause 1 de l'acte de servitude R-4 me paraît clair. Avec égards, la première juge s'est méprise en s'inspirant des autres clauses de cet acte de 1960, dont le but est tout autre, pour rechercher l'intention commune des parties. Je reproduis de nouveau, pour fins de commodité, la partie pertinente de cette clause: 1. It is the intention of Vida and Hillsdale and Island that the parking lot property and the vacant areas of land surrounding the buildings now erected on Vida's property and on the present Shopping Centre property serve as a common parking lot for the free use of the lessees of the stores in the said buildings, their employees and patrons only and to this purpose Vida on the one hand and Hillsdale and Island collectively on the other hand hereby establish and impose each in favour of the other, upon Vida's property in favour of the present Shopping Centre property and upon the parking lot property and the present Shopping Centre property in favour of Vida's property the following mutual and reciprocal servitudes, namely: i.“A servitude of right of passage on foot and with animals and vehicles at all times over and upon Vida's property, the parking lot property and the present Shopping Centre property (except as hereinafter limited and restricted); ii.A servitude of the right in favour of Vida and Hillsdale and Island collectively, their respective assigns and legal representatives, including the lessees of the said stores and employees and patrons thereof, of the right at all times to park automobiles and other vehicles on Vida's property, the parking lot property and the present Shopping Centre © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 6 property (except as hereinafter limited and restricted); (…) [Je souligne] 35 En l'espèce, les parties ont entendu créer des servitudes mutuelles et réciproques de passage et de stationnement affectant leurs lots respectifs. La nature réelle de la première est incontestable alors que les tribunaux n'ont pas hésité à donner la même qualification à des servitudes de stationnement: 9060-3994 Québec inc. c. Ivanhoé inc., J.E. 2004-2113 (C.A.); Syndicat des copropriétaires de St-Mathieu enr. c. 3096-0876 Québec inc.[2004] R.D.I. 259C.A.; G.M. Développement inc. c. Société en commandite Ste-Hélène[2003] R.J.Q. 2525C.A.; Papaspyrou c. Immeuble 613 boulevard St-Joseph S.E.N.C., J.E. 98-603 (C.S.). 36 Il y a donc ici un droit réel de jouissance de la chose d'autrui et non un simple droit d'exiger d'un propriétaire qu'il fournisse la prestation à laquelle il s'est engagé, c'est-à-dire un pur rapport de créancier et de débiteur qui atteint la personne sans toucher à la chose: Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Standard Life Assurance Co., précitée; Madeleine Cantin Cumyn, De l'existence et du régime juridique des droits réels de jouissance innomés: essai sur l'énumération limitative des droits réels, (1986) 46 R. du B. 3, 36. Nous sommes bien en présence d'une servitude. 37 Celle-ci ne peut-elle être qualifiée de servitude personnelle ? 38 La servitude personnelle constitue, en effet, un droit réel qui suit le fonds servant mais au bénéfice d'une ou de plusieurs personnes désignées plutôt que d'un fonds de terrain: Plourde c. Plante, précitée; Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Standard Life Assurance Co., précitée; Joy Goodman, Stipulations de restriction d'usage, clauses de non-concurrence, d'exclusivité et de «rayon», (1999) 59 R. du B. 289, 289-290. La servitude est alors due à une personne et finit avec elle. 39 Les servitudes sont ici établies pour permettre la circulation et le stationnement librement, sur toute la propriété des auteurs des parties visée à l'acte de servitude, sans égard au commerce fréquenté, à l'évidence pour maximiser l'exploitation commerciale des lots des parties, donc à l'avantage des deux fonds. 40 Par ailleurs, alors que la servitude de passage est pure et simple, la servitude de stationnement précise qu'elle bénéficiera non seulement aux parties mais aussi à their respective assigns and legal representatives, including the lessees of the said stores and employees and patrons thereof (soulignement ajouté). Le paragraphe introductif qui annonce les servitudes ne peut amoindrir la portée de ces textes clairs. 41 Même la recherche de l'intention commune des parties, en gardant à l'esprit les circonstances dans lesquelles l'entente est intervenue, ne favorise pas la thèse du caractère personnel des servitudes. 42 En novembre 1960, Vida termine son investissement et aménage son immeuble. [E]lle avait loué ou était sur le point de louer son magasin pour 25 ans à Dominion écrit la première juge. Le stationnement du Dominion et l'accès à la propriété elle-même sont limités. Hillsdale et Island sont certainement très intéressées par ce locataire susceptible d'attirer une clientèle importante à leur centre commercial, elles s'engagent à aménager, à leurs frais, tout le stationnement commun avant que la construction du Dominion soit complétée (clause 2). 43 Qui plus est, l'actionnaire unique de l'appelante, Jules Bernard, affirme le rôle capital des servitudes au regard de la desserte de sa propriété: © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 7 R. Bien ç'a eu énormément d'incidence parce que sans servitude, Dominion n'aurait pas pu exister, moi j'aurais pas pu exister, on n'aurait pas eu accès en arrière parce qu'il y a des monte-charge en arrière, il y a une courroie pour recevoir et expédier la marchandise. En arrière de mon emplacement, nous n'avons qu'une vingtaine de pieds de terrain. Il est possible de s'y rendre avec un camion ou une auto sans empiéter sur la servitude. Q. Je vous réfère … R. S'il n'y avait pas de servitude, ça n'aurait pas de … ç'a comme pas de bon sens. Votre Honneur, il n'y a que trente-trois (33) pieds sur le côté latéral et vingt (20) pieds en arrière. 44 Cela étant, il aurait été inconcevable que Vida lance son investissement sans avoir l'assurance que les servitudes de passage et de stationnement que Hillsdale et Island étaient prêtes à lui consentir, seraient perpétuelles et non rattachées à la seule personne des parties signataires de l'acte de servitude. Il en allait de la viabilité de son immeuble. 45 Il est vrai que les parties voulaient donner à l'ensemble commercial l'apparence d'un centre commercial. La création de servitudes réelles permettait précisément d'atteindre cet objectif. Les parties auraient pu privilégier d'autres moyens. Elles ont fait un choix qui s'explique et se défend. 46 Par ailleurs, la première clause de l'acte de servitude ne comporte pas de terme exprès, ce qui n'étonne pas vu la nature perpétuelle de la servitude réelle. Il aurait pourtant été aisé d'en stipuler un, ce que les parties ont fait à la clause 3 de l'acte en précisant que l'engagement de Hillsdale et Island de construire et d'aménager un stationnement additionnel, dans l'hypothèse de l'agrandissement du Centre commercial, vaudra tant que l'agrandissement existera et qu'il abritera des magasins à rayons. 47 Je ne retrouve pas davantage un terme implicite applicable à l'espèce dans le paragraphe introductif de la clause 1 qui précise ceux et celles qui auront le droit d'utiliser le stationnement commun. Cela ne signifie toutefois pas que la servitude survivrait à une cessation d'usage commercial, ce sur quoi je ne me prononce pas. 48 Il faut enfin noter, au regard de l'interprétation que les parties ont elles-mêmes donné de l'acte, que l'intimé n'a remis en cause le caractère réel et la validité de la servitude grevant son fonds qu'en 2002, 17 ans après son acquisition: 9060-3994 Québec inc. c. Ivanhoé inc., J.E. 2004-2113 (C.A.). En 1991, elle a même préparé et soumis à l'autorité municipale un ambitieux projet d'agrandissement, qui a éventuellement été approuvé et s'est concrétisé. Le plan décrivant le projet, intitulé Centre Plazza Pierrefonds, représente les propriétés des parties et tous les espaces de stationnement formant le stationnement commun. 49 L'intimé soutient que l'appelante abuse de son droit ou aggrave les servitudes ? Des recours existent pour faire trancher ce genre de difficulté. 50 Pour ces motifs, je propose d'accueillir l'appel, d'infirmer la décision dont appel, de déclarer que les droits de passage et de stationnement stipulés à la clause 1 de l'acte intervenu entre les auteurs des parties le 25 novembre 1960 constituent bien des servitudes réelles opposables au requérant et d'ordonner au mis en cause d'enregistrer le jugement contre les immeubles mutuellement affectés par ces servitudes, avec dépens dans les deux Cours. © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 8 Me Gilles Poulin, pour l'intimé Me Éric Ménard, pour l'appelante Date de mise à jour : 18 décembre 2010 Date de dépôt : 29 avril 2005 © Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 9 Indigo Books & Music Inc. c. Immeubles Régime XV inc. 2010 QCCS 1106 COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL N° : 500-17-048517-091 DATE : 22 mars 2010 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE BENOÎT EMERY, J.C.S. ______________________________________________________________________ INDIGO BOOKS & MUSIC INC. Demanderesse c. IMMEUBLES RÉGIME XV INC. -ETBB REAL ESTATE INVESTMENT TRUST ET9123-2850 QUÉBEC INC. -ETDEVIMCO INC. Défenderesses ______________________________________________________________________ JUGEMENT ______________________________________________________________________ [1] Invoquant la clause d'exclusivité contenue au bail, la demanderesse requiert une ordonnance en injonction visant à interdire aux défenderesses de louer un JE 0086 500-17-048517-091 PAGE : 2 emplacement au Groupe Archambault inc. (ci-après Archambault) dans la Phase III du centre commercial Quartier DIX30 à Brossard. [2] Les défenderesses plaident en substance que la clause d'exclusivité prohibe la location d'un espace commercial à un marchand dont l'activité principale est la vente de livres. Or, elles font valoir que Archambault s'engage à limiter la vente de livres au Quartier DIX30 à 25 % de ses revenus bruts mensuels de même qu'à 25 % de l'inventaire au magasin. Ce faisant, les défenderesses font valoir qu'un tel bail ne contreviendrait pas à la clause d'exclusivité. I- LES FAITS : [3] La demanderesse Indigo Books & Music inc. (ci-après Indigo), se présente1 comme étant le plus important vendeur de livres au Canada, exploitant 247 magasins dans les dix provinces et employant environ 6 000 personnes. Indigo exploite 86 magasins de grande surface sous les raisons sociales Chapters, Indigo, World's Biggest Bookstore et près de 160 magasins plus petits sous les raisons sociales Coles, Indigo, SmithBooks, Indigospirit, The Book and Company. Elle offre également ses produits via le site internet chapter.indigo.ca. [4] Au Québec, la demanderesse exploite deux magasins Indigo, deux magasins Chapters et cinq magasins Coles. [5] Tous les magasins de Ia demanderesse au Canada sont exploités dans des locaux loués. [6] La défenderesse The Real Estate Investment Trust est un fonds d'investissements privé qui, en plus du Quartier Dix30, a été impliqué dans le développement de plusieurs centres commerciaux d'envergure au Québec2. [7] La défenderesse Immeubles Régime XV inc. a pour principaux actionnaires le Régime de retraite de la STM (1992) et le Régime de retraite de la STM (Syndicat du transport de Montréal (CSN))3. [8] La défenderesse 9123-2850 Québec inc. a pour principal actionnaire le Régime de retraite de la ville de Québec4. 1. pièce D-1. 2. dont le Méga Centre Notre-Dame, Méga Centre Lebourgneuf et Méga Centre Beauport - pièce D-3. 3. pièce D-4. 4. pièce D-5. 500-17-048517-091 PAGE : 3 [9] Devimco inc. (ci-après Devimco), est l'une des entités du Groupe Devimco, développeur actif dans le domaine des centres commerciaux5. [10] Au moment de la signature du bail P-1, Devimco agissait comme développeur des Phases I et II du Quartier Dix30 et à ce titre, agissait à titre de mandataire des autres propriétaires aux termes du bail. C'est Devimco qui a négocié le bail P-1 au nom des défenderesses. [11] Gestions RioCan (Brossard) inc. est une filiale du Fonds de placements immobiliers RioCan et est une compagnie de gestion propriétaire de divers immeubles6. [12] À la date du bail P-1, les Phases I et II du Quartier Dix-30 étaient détenues comme suit : a) Gestions RioCan (Brossard) inc. 50 %; b) BB Real Estate Investment Trust 25 %; c) Immeubles Régime XV inc. 15 %; d) 9123-2850-Québec inc. 10 %. [13] En date de ce jour, les Phases I et II du Quartier Dix30 sont détenues comme suit : a) Gestions RioCan (Brossard) inc. 50 %; b) BB Real Estate Investment Trust 15 %; c) Immeubles Régime XV inc. 9 %; d) 9123-2850-Québec inc. 6 %; e) 2946-8964 Québec inc. 20 %7. [14] Les partenaires pour le développement des futures phases sont susceptibles de varier. Par exemple, la Phase III, à construire, est détenue comme suit : a) BB Real Estate Investment Trust 30 %; b) Immeubles Régime XV inc. 18 %; 5. pièce D-6. 6. pièce D-7. 7. une compagnie détenue par le fonds de pension d'Hydro-Québec – pièce D-8. 500-17-048517-091 [15] PAGE : 4 c) 9123-2850-Québec inc. 12 %; d) 2946-8964 Québec inc. 40 %. Le développeur et gestionnaire futur de la Phase III est Devimco. [16] Fondée en 1896, Archambault se décrit comme étant au Québec le plus important disquaire et libraire affichant la meilleure croissance et offrant la plus grande sélection de livres, en plus d'être le plus important détaillant d'instruments de musique et de partitions8. Archambault compte au Québec 16 magasins et 1 000 employés. [17] Archambault a notamment enregistré le nom de : Archambault, la plus grande maison de musique et livres au Québec9. [18] Sur le site WEB de Patrimoine canadien du Gouvernement du Canada10, on peut y lire : Another unique aspect of the Quebec market is the prominence of regional bookselling chains. These regional chains (Renaud-Bray and Archambault) play the same dominant role in the province that Indigo plays in the rest of Canada. (…) As for Archambault, the company began as a music store in the early-1900s and grew into a culture institution over the past century. In the early-1990s, it expanded greatly beyond the music sphere to become a cultural superstore, and was purchased by Quebecor in 1995. Currently, the chain is an important retailer of books, DVDs, newspapers, and magazines, musical instruments, and sheet music. [19] Lors d'une conférence de l'ICSC11 en juin 2004, Devimco approche Drew McGowen de Indigo pour lui offrir d'ouvrir un magasin dans le nouveau centre commercial du Quartier Dix30. Ce n'est toutefois qu'en décembre 2004 que débutent les négociations pour l'implantation d'un magasin Indigo dans le Quartier Dix30. Les négociations se déroulent principalement entre Éric Foster de Devimco et Drew McGowen de Indigo12. Celle-ci a aussi négocié avec Devimco par l'entremise du courtier Orange National Retail Group (ci-après Orange). [20] Dès le début des négociations, Devimco informe Indigo qu'elle négocie aussi avec Archambault. Compte tenu de l'envergure du Quartier Dix30, Devimco envisageait la possibilité que ces deux compétiteurs s'y établissent. Au début, Devimco a donc 8. Archambault.ca. et P-3. 9. CIDREQ pièce P-2. 10. pièce P-4. 11. International Council of Shopping Center. 12. témoignages de Drew McGowen du 3 février 2010 et Éric Foster du 4 février 2010. 500-17-048517-091 PAGE : 5 négocié concurremment avec Indigo et Archambault si bien qu'en février 2005, Devimco reçoit deux offres de location soit une de Archambault en date du 8 février 200513 et l'autre de Indigo en date du 24 février 200514. [21] L'offre de Archambault comportait une clause d'exclusivité afin d'exclure notamment des bannières particulières soit Indigo, Chapters, Renaud-Bray et Virgin. [22] La lettre d'intention de Indigo du 24 février 2005 comportait également une clause d'exclusivité par laquelle Devimco devait s'engager à ne pas louer à des locataires « whose principal use is the retail sale of books ». [23] Le 27 avril 2005, Devimco accepte la lettre d'intention de Indigo15. [24] Ce n'est toutefois que le 14 septembre 2006 que Indigo signe le bail alors que Devimco y appose sa signature le 2 octobre 200616. [25] La clause d'exclusivité 5.6 apparaissant au bail P-1 se lit comme suit : Provided that the Tenant is not in material default under the Lease and is itself operating in the entire Leased Premises (including with any permitted licensee or subtenant operating from time to time within the Indigo concept, such as a coffee shop or wine bar in the Leased Premises in accordance with this Lease), the Landlord shall not lease, nor allow to be leased, any other premises in the Centre or any adjacent lands eventually acquired by the Landlord, as the case may be, to any tenant whose principal use is the sale of books (the "Exclusive Use"). Notwithstanding the foregoing, the Exclusive Use shall not apply (i) to any single tenant for premises of FIFTY THOUSAND (50,000) square feet or more located on such adjacent lands eventually acquired by the Landlord or (ii) to any single user as purchaser of lands of FIFTY THOUSAND (50,000) square feet or more located on such adjacent lands eventually acquired by the Landlord. Any exclusive right granted to the Tenant under this section shall be deemed to be a personal right of the Tenant and shall not be assignable or transferable by the Tenant nor shall it pass to or devolve upon any other assignee or transferee of this Lease or of the rights granted thereby or subtenant of the whole or a portion of the Leased Premises unless the Lease is duly assigned or the Leased Premises are sublet to a comparable operator such as but not limited to Archambault or Barnes & Noble. [26] Indigo a ouvert son magasin à la fin de 2006. 13. pièce D-10. 14. pièce D-11. 15. pièce D-11. 16. bail P-1. 500-17-048517-091 PAGE : 6 [27] En janvier 2009, lors d'une conférence de l'ICSC, Drew McGowen de Indigo apprend que Devimco travaille à développer la Phase III du Quartier Dix30. Il apprend du même coup que Devimco négocie avec Archambault qu'elle voudrait voir comme locataire dans la Phase III. [28] La Phase III est située sur un terrain adjacent aux Phases I et II. En fait, Indigo apprend que Archambault occuperait dans la Phase III un emplacement stratégique situé non loin de son magasin. [29] Indigo y voit une violation de la clause d'exclusivité 5.6 énoncée au bail P-1 d'où la présente demande d'injonction. II - PRÉTENTIONS DES PARTIES : A- PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE : [30] Lors du procès, Indigo souhaitait faire la preuve des négociations qui ont mené à la signature du bail P-1. Devimco s'y objectait en invoquant l'article 2863 C.c.Q. puisque la preuve testimoniale de ces négociations contredirait ou changerait les termes du bail P-1. Le tribunal a permis sous réserve la preuve testimoniale de ces négociations. Il doit maintenant trancher l'objection. [31] Indigo plaide que l'objection doit être rejetée puisque l'article 2864 C.c.Q. autorise une telle preuve lorsqu'il s'agit d'interpréter un écrit. Indigo soumet que la clause 5.6 du bail P-1 est ambiguë si bien qu'il faut l'interpréter dans le contexte des négociations qui ont précédé la signature du bail P-1. La demanderesse fait valoir que le tribunal doit rechercher l'intention réelle des parties. Elle ajoute que Devimco agit de mauvaise foi quant à la Phase III sachant pertinemment qu'elle a toujours affirmé qu'elle ne cohabiterait jamais avec Archambault dans le Quartier Dix30. [32] La demanderesse précise que la principale question en litige repose sur l'interprétation des termes « principal use » énoncés à la clause 5.6 du bail P-1. Puisqu'il n'y a aucune définition de ces termes dans le bail, la demanderesse plaide qu'il est essentiel qu'elle puisse prouver les négociations qui ont précédé la signature du bail P-1. [33] Indigo allègue qu'il est inconcevable qu'une clause d'exclusivité telle que celle énoncée à l'article 5.6 du bail puisse permettre au bailleur de louer un espace commercial à son principal compétiteur. Indigo souligne que Archambault s'affiche comme étant l'un des plus importants détaillants dans la vente de disques et de livres dans l'est du Canada. 500-17-048517-091 PAGE : 7 [34] Indigo soumet que Devimco ne peut faire indirectement ce que le bail P-1 lui interdit de faire directement. La demanderesse ajoute que Devimco tente de contourner le bail P-1 en invitant Archambault à limiter la vente de livres. C'est ainsi que la lettre d'intention de Archambault pour la Phase III comporte la clause suivante : Exploitation du commerce de vente au détail de la bannière Archambault avec limitation de 25 % de ses revenus bruts mensuels en vente, location ou distribution de livres et billets de spectacles, et 25 % de l'inventaire en magasin.17 [35] Indigo plaide que cette clause comporte beaucoup trop de variables pour qu'on puisse lui donner quelque effet. Ainsi, de mois en mois, les revenus bruts de Archambault peuvent fluctuer de même que le volume d'inventaire en magasin. La demanderesse ajoute que si Archambault louait un espace beaucoup plus étendu que celui occupé par Indigo, il se pourrait même que les ventes de livres de Archambault soient supérieures à celles de Indigo même en les limitant à 25 % des revenus bruts. [36] La demanderesse invoque les articles 1425 C.c.Q. et 1426 C.c.Q. qui édictent : 1425. Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés. 1426. On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages. [37] Or, Indigo fait valoir que l'intention réelle des parties était de faire en sorte qu'il soit le seul magasin de livres dans le Quartier Dix30. La demanderesse réfère le tribunal à la preuve démontrant que pour Indigo, l'implantation d'un magasin au Quartier Dix30 représentait une incursion dans un marché qu'elle connaissait peu soit le marché du livre francophone. Il s'agit pour Indigo d'un projet qui représente un certain risque d'où l'importance qu'elle attachait au fait d'être le seul libraire dans ce centre commercial situé dans une région majoritairement francophone. [38] La demanderesse prétend que la marge de profit sur les livres francophones est beaucoup moins élevée en raison d'un marché plus restreint. Indigo est peu connue au Québec dans le marché du livre francophone d'où le risque additionnel d'ouvrir un magasin dans le Quartier Dix30. B- PRÉTENTIONS DES DÉFENDERESSES : [39] Les défenderesses plaident que le tribunal doit maintenir l'objection qu'elles ont soulevée quant à l'admissibilité de la preuve testimoniale portant sur les négociations 17. lettre d'intention du 17 juillet 2008 de Archambault – pièce D-14b). 500-17-048517-091 PAGE : 8 pré-contractuelles. Elles font valoir que la demanderesse ne peut ainsi contredire et changer les termes du bail P-1 en tentant d'y inclure une nouvelle obligation qui est totalement absente de son libellé. Elles précisent que la demanderesse ne peut prétendre qu'en sus de la clause d'exclusivité énoncée à l'article 5.6 du bail P-1, le bailleur se serait engagé à ne jamais permettre, sous aucune condition ni autre modalité, à ce que Archambault loue un espace dans ce centre commercial ou sur un terrain adjacent tant et aussi longtemps que Indigo demeure locataire en vertu du bail P-1. [40] Les défenderesses font valoir que l'article 2864 C.c.Q. n'est d'aucun secours pour la demanderesse puisqu'il édicte que la preuve par témoignage est admise lorsqu'il s'agit d'interpréter un écrit. Or, plaident-elles, la clause 5.6 du bail P-1 est claire et ne souffre d'aucune ambiguïté. Ainsi, cet acte juridique ne porte pas à interprétation. Selon les défenderesses, cette règle est d'autant plus applicable lorsque la conclusion du contrat résulte d'une négociation sérieuse entre les parties et qu'elles y ont prévu une clause d'intégralité. [41] La clause d'intégralité du bail P-1 se trouve au paragraphe 22.6 : 22.6 Entire agreement This Lease is the entire agreement between the Landlord and the Tenant. The Tenant further acknowledges that the execution of this Lease shall constitute a conclusive presumption that all pre-contracts, offer to lease, agreements and representations, written or verbal, previously entered into or made by the parties or their agents are hereby cancelled. This Lease may be amended only by an agreement in writing signed by both the Landlord and the Tenant. [42] Les défenderesses font valoir que cette stipulation vise l'annulation de toute autre entente antérieure, ce qui, selon elles, confirme le bien-fondé de l'objection fondée sur l'article 2863 C.c.Q. [43] Les défenderesses plaident que la simple divergence d'opinion entre les parties quant à l'interprétation à donner à une stipulation contractuelle ne fait pas nécessairement en sorte que le texte soit ambigu. [44] Les défenderesses soumettent que l'expression « principal use » (activité principale) n'est nullement ambiguë. Le sens premier du mot « principal » implique un rapport entre le principal et son accessoire. Le concept d'« activité principale » doit se comprendre par rapport à celui d'« une activité accessoire » des lieux loués. Selon les défenderesses, c'est le sens logique et cohérent auquel conduit la lecture de la clause 5.6 du bail P-1. [45] Les défenderesses ajoutent que les clauses d'exclusivité doivent être interprétées de façon restrictive puisqu'il s'agit d'une restriction à la liberté de commerce. 500-17-048517-091 PAGE : 9 [46] Les défenderesses soumettent que Indigo exploite 247 magasins au Canada ce qui implique la négociation de 247 baux commerciaux. La clause d'exclusivité a été négociée entre les parties pendant plusieurs semaines si bien que Indigo ne peut se plaindre aujourd'hui de son libellé. [47] Les défenderesses invoquent également la règle contra proferentem énoncée à l'article 1432 C.c.Q. : 1432. Dans le doute, le contrat s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et contre celui qui l'a stipulée. Dans tous les cas, il s'interprète en faveur de l'adhérent ou du consommateur. [48] Selon les défenderesses, il est clair que le bailleur est débiteur de l'obligation prévue à la clause d'exclusivité 5.6 du bail P-1 et qu'en cas d'impasse, le tribunal doit favoriser les défenderesses. [49] Les défenderesses invoquent enfin l'article 1440 C.c.Q. qui édicte que le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes et conséquemment, il n'en a point quant aux tiers. Elles soumettent que parmi les propriétaires ayant conclu le bail P-1, il y avait à l'origine Gestions RioCan (Brossard) inc. Or, celle-ci n'est pas copropriétaire de la Phase III qui a fait l'objet de la lettre d'intention de Archambault18. III - DISCUSSION : [50] Le tribunal doit d'abord trancher l'objection soulevée par les défenderesses qui invoquent l'article 2863 C.c.Q. en soumettant que la demanderesse ne peut prouver par témoignage les négociations pré-contractuelles. Le tribunal rappelle que les articles 2863 et 2864 C.c.Q. édictent : 2863. Les parties à un acte juridique et constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve. 2864. La preuve par témoignage est admise lorsqu'il s'agit d'interpréter un écrit, de compléter un écrit manifestement incomplet ou d'attaquer la validité de l'acte juridique qu'il constate. [51] Le tribunal retient les principes généraux suivants énoncés par le professeur Jean-Claude Royer dans son ouvrage La preuve civile19 : 18. pièces D-14 et D-14b). e 19. ROYER, Jean-Claude, La preuve civile, 4 édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2008, 1891 pages. 500-17-048517-091 PAGE : 10 1517 – Droit québécois – Au Québec, la doctrine et la jurisprudence modernes ont souvent interprété de façon restrictive cette limitation à la preuve verbale.20 (…) 1526 – Généralités – (…) L'article 2863 C.c.Q., comme l'article 1234 C.c.B.C., prohibe la preuve testimoniale, et non la preuve écrite. Aussi, un document préliminaire ou concomitant est admissible en preuve et peut être utilisé pour interpréter et compléter un acte juridique. Toutefois, cet écrit est rarement suffisant pour contredire le contenu exprès d'un contrat, sauf s'il s'agit d'une contre-lettre.21 1527 – Écrit interprétant un acte juridique - Une preuve testimoniale est recevable pour interpréter un contrat. À plus forte raison en est-il de la production d'un écrit.22 (…) 1591 – Critères – L'interprétation d'un acte juridique est faite en fonction d'un critère subjectif, soit l'intention des parties et de critères objectifs ou mixtes, notamment le sens ordinaire, populaire, grammatical ou juridique des termes, le contexte dans lequel ils ont été utilisés, la nature du contrat, les circonstances dans lesquelles il a été conclu, l'interprétation que les parties lui ont donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.23 (…) Aujourd'hui, la jurisprudence accorde une plus grande importance à l'intention des parties et admet plus facilement une preuve par témoignage destinée à l'établir.24 (…) Cette preuve par témoignage peut avoir pour objet d'éclaircir, d'expliquer ou de préciser l'identité des parties, la nature de l'acte juridique, l'objet d'une obligation, les raisons qui ont motivé une partie à choisir certains travaux ainsi que les autres clauses d'un acte juridique. Si la preuve est suffisante, le tribunal doit alors privilégier l'intention réelle des parties au sens littéral des termes. Dans certaines circonstances, la preuve par témoignage est recevable parce qu'elle a le double but d'interpréter un écrit et d'établir une erreur subjective.25 20. page 1322. 21. page 1329. 22. page 1329. 23. page 1394. 24. page 1395. 25. pages 1402-1403. 500-17-048517-091 PAGE : 11 [52] La demanderesse souhaite prouver par témoins que lors des négociations qui ont mené à la signature du bail P-1, les parties ont spécifiquement discuté de la possibilité que Archambault soit aussi locataire d'un emplacement dans les Phases I et II. La demanderesse veut prouver plus précisément qu'elle a clairement affirmé à plus d'une reprise qu'elle refusait toute cohabitation avec Archambault au Quartier DIX30. [53] Le tribunal est d'avis que cette preuve ne contredit pas et ne modifie pas les termes du bail P-1. Dans la mesure où Archambault exploite un magasin dont l'une des principales activités serait la vente de livres, elle serait alors couverte par la clause 5.6 du bail P-1 sans que cela modifie ni son libellé ni sa portée. [54] Se pose alors la question de déterminer comment évalue-t-on l'activité principale d'un commerce : a) en fonction de la superficie du magasin consacrée aux livres ? b) en fonction de la façon dont le commerce s'affiche au public ? (prédominence ou importance des termes « vente de livres » sur une enseigne ou dans la publicité) c) en fonction du pourcentage du volume de ventes brutes de livres ? d) pourcentage des profits nets ? e) l'ensemble de ces facteurs ? f) doit-on aussi tenir compte des ventes de livres par internet ? g) quel pourcentage doit-on retenir pour déterminer ce qu'est l'activité principale ? h) le pourcentage d'inventaire de livres se calcule-t-il en rapport avec tous les livres vendus ou simplement les livres francophones ? [55] Le tribunal note incidemment que Archambault envisage de louer un espace commercial d'une superficie totale de 21 800 pieds carrés. [56] Dans la cause de Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Sainte-Foy26, la Cour d'appel déclare : 47. Pourtant, l'on ne peut ignorer que la volonté déclarée des contractants, ou celle qu'ils déclarent en apparence, ne traduit pas toujours fidèlement leur 26. Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Sainte-Foy, EYB 2005-98532 (C.A.), paragraphes 47 et suivants. 500-17-048517-091 PAGE : 12 volonté réelle : le contenu explicite du contrat, pour diverses raisons, peut n'être pas conforme à cette dernière. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Jobin : Par ailleurs, un texte qui apparaît clair à sa face même peut donner lieu à interprétation lorsqu'il appert que ce qui y est exprimé ne reflète pas l'intention véritable des parties contractantes : le juge fera alors prévaloir la volonté interne sur la volonté déclarée. (…) 50. Bref, s'il est vrai que la jurisprudence, comme la doctrine du reste, affirme parfois que l'on n'a pas à interpréter ce qui est clair, il demeure néanmoins que ce qui est ou paraît clair n'est pas toujours exact et peut donc requérir interprétation. L'exercice consistera alors à chercher, à travers mais aussi audelà de la volonté déclarée, la volonté réelle des parties, c'est-à-dire leur véritable intention commune, intention dont il faudra bien sûr faire la preuve. (…) 53. Ainsi, dans la mesure où une partie réussit à prouver que la volonté réelle des parties ou, si l'on préfère, leur véritable et commune intention, est autre que celle qu'exprime ou paraît exprimer le texte du contrat, c'est alors cette volonté, cette intention, qui doit prévaloir. [57] À la lumière de ce qui précède, le tribunal en vient à la conclusion qu'il doit permettre la preuve testimoniale des négociations puisque cela s'avère nécessaire pour interpréter les termes « principal use » et qu'au surplus, cette preuve ne contredit pas la clause 5.6 du bail P-1. [58] Le tribunal précise toutefois qu'il ne retient pas l'argument de la demanderesse selon lequel Devimco aurait agi de mauvaise foi. Il n'y a eu aucune preuve en ce sens. Au contraire, dès le début des négociations en 2005, Devimco a informé Indigo qu'elle négociait également avec Archambault. Il en est de même pour la présence de Archambault dans la Phase III. [59] De la preuve des négociations précédant la conclusion du bail P-1, le tribunal retient les éléments suivants. [60] La preuve révèle clairement que la demanderesse a toujours affirmé qu'elle n'accepterait pas de louer un emplacement au Quartier Dix30 si elle devait cohabiter avec Archambault. La demanderesse a fermement fait savoir à Devimco à plus d'une reprise que le bailleur devait choisir entre Indigo et Archambault. Ceci ressort nettement du témoignage de Drew McGowen de Indigo, Jeri Brodie de Orange mais aussi de Éric Foster de Devimco. Ce dernier a aussi reconnu que Devimco a même proposé à Indigo de réduire son loyer si la demanderesse acceptait une cohabitation avec Archambault 500-17-048517-091 PAGE : 13 dans le Quartier Dix30. Il reconnaît que Indigo a fermement refusé. Devimco a aussi proposé de changer les emplacements pour éviter toute proximité entre Indigo et Archambault à l'intérieur des Phases I et II. Encore-là, Devimco a fait face à une fin de non-recevoir. [61] Ainsi, la preuve révèle que Indigo s'est toujours opposée fermement à la présence de Archambault dans ce centre commercial peu importe les accommodements proposés par Devimco. [62] Éric Foster de Devimco a également fait la même admission lors de son interrogatoire hors Cour : Je crois que ce que monsieur McGowen a dit, c'est : « Si on signe une offre de location chez vous, on ne veut pas avoir Archambault dans le même projet. » [63] Cette décision a été respectée par Devimco qui a mis fin aux négociations avec Archambault en ce qui concerne les Phases I et II. [64] C'est la demanderesse, par l'entremise de Jeri Brodie de la firme Orange qui a demandé que le bail comporte une clause d'exclusivité. Devimco ne s'y est jamais opposée bien que le libellé ait fait l'objet de négociations entre les parties. Jeri Brodie a d'abord proposé le libellé suivant : Exclusive The Landlord shall not lease, nor allow to be leased, any other premise in the Shopping Center, for the tenant's principal use.27 [65] Éric Foster a proposé la modification suivante : Exclusive The Landlord shall not lease, nor allow to be leased, any other premise in the Shopping Center, for the tenant's principal use, being the operation of a retail store selling books (including books or tapes and other such formats) as outlined above.28 [66] Éric Foster avait suggéré cet ajout pour préciser les termes « principal use ». [67] Par la suite, Devimco a proposé le libellé suivant : 27. avenant au projet de la lettre d'intention – pièce P-14. 28. pièce P-14. 500-17-048517-091 PAGE : 14 Exclusivity Provided that the Tenant is not in default under the Lease and is itself in occupancy of the whole Premises, the Landlord shall not lease, nor allow to be leased, any other premises in the Centre to any tenant whose principal use is the retail sale of books (the "Exclusive Use").29 [68] En avril 2005, les parties se sont finalement entendues sur le libellé suivant : Exclusivity Provided that the Tenant is not in material default under the Lease and is itself in occupancy of the whole Premises, the Landlord shall not lease, nor allow to be leased any other premises in the Centre or any adjacent lands eventually acquired by the Landlord, as the case may be, to any tenant whose principal use is the retail sale of books (the "Exclusive Use").30 [69] Il est à noter qu'aux termes de cette clause, l'exclusivité s'étend non pas seulement sur la partie centrale des Phases I et II mais aussi à tout terrain adjacent : « or any adjacent lands eventually acquired by the Landlord, as the case may be ». Or, la Phase III où Archambault souhaiterait louer un espace est contiguë au terrain sur lequel se trouvent les Phases I et II si bien que le tribunal est d'avis qu'il s'agit clairement d'un terrain adjacent au sens de la clause 5.6 du bail P-1. [70] La clause d'exclusivité qui s'est finalement retrouvée au paragraphe 5.6 du bail P-1 se lit comme suit : Provided that the Tenant is not in material default under the Lease and is itself operating in the entire Leased Premises (including with any permitted licensee or subtenant operating from time to time within the Indigo concept, such as a coffee shop or wine bar in the Leased Premises in accordance with this Lease), the Landlord shall not lease, nor allow to be leased, any other premises in the Centre or any adjacent lands eventually acquired by the Landlord as the case may be, to any tenant whose principal use is the sale of books (the "Exclusive Use"). Notwithstanding the foregoing, the Exclusive Use shall not apply (i) to any single tenant for premises of FIFTY THOUSAND (50,000) square feet or more located on such adjacent lands eventually acquired by the Landlord or (ii) to any single user as purchaser of lands of FIFTY THOUSAND (50,000) square feet or more located on such adjacent lands eventually acquired by the Landlord. Any exclusive right granted to the Tenant under this section shall be deemed to be a personal right of the Tenant and shall not be assignable or transferable by the Tenant nor shall it pass to or devolve upon any other assignee or transferee of this Lease or of the rights granted thereby or subtenant of the whole or a portion of the Leased Premises unless the Lease is duly assigned or the Leased 29. pièce P-9. 30. pièce P-10. 500-17-048517-091 PAGE : 15 Premises are sublet to a comparable operator such as but not limited to Archambault or Barnes & Noble. [71] Le tribunal note que le terrain devant accueillir la Phase III a été acheté après la signature du bail P-1. Gestions RioCan (Brossard) inc. a vendu sa part en ce qui concerne ce terrain tout en demeurant co-propriétaire des Phases I et II. Les défenderesses en tirent un argument en invoquant que les propriétaires n'étant pas exactement les mêmes, les défenderesses ne seraient plus liées par la clause d'exclusivité 5.6 du bail P-1. Soit dit avec égards, le tribunal rejette cet argument. Les défenderesses BB Real Estate Investment Trust, Immeubles Régime XV inc. et 91232850 Québec inc. sont copropriétaires tant du terrain sur lequel sont établies les Phases I et II que le terrain devant accueillir la Phase III. Or, la demande d'injonction vise ces trois défenderesses. Le tribunal est d'avis que ces trois défenderesses sont toujours liées par le bail P-1 dont sa clause d'exclusivité. [72] En interprétant la clause 5.6 du bail P-1 en conformité avec les articles 1425, 1426 et 2864 C.c.Q., le tribunal est d'avis que les défenderesses ne peuvent louer à Archambault un espace commercial sur le terrain devant accueillir la Phase III au Quartier Dix30. [73] D'une part, les négociations pré-contractuelles ont clairement démontré que Indigo a toujours refusé de louer au Quartier Dix30 si Archambault devait également être locataire. Cette condition a été acceptée par Devimco. Celle-ci a mis un terme aux négociations qu'elle menait parallèlement avec Archambault en les informant qu'elle avait choisi Indigo pour son centre commercial à l'exclusion de Archambault. [74] Le terrain devant accueillir la Phase III étant clairement adjacent à celui sur lequel les Phases I et II ont été développées, la clause d'exclusivité du bail P-1 s'applique et prohibe la location d'un espace à Archambault dans la Phase III. [75] La preuve a aussi démontré que l'incursion dans le marché francophone d'une entreprise qui vend essentiellement des livres anglophones représentait un risque pour Indigo d'où l'importance capitale d'exclure Archambault du Quartier Dix30. [76] Il est vrai qu'il existe plusieurs magasins qui sont en compétition dans les Phases I et II du Quartier Dix30 soit plus particulièrement dans le domaine de la mode. Ainsi, Devimco aurait très bien pu refuser l'exigence de Indigo mais elle a plutôt choisi de l'accepter. Aujourd'hui, les défenderesses sont liées par ce contrat. [77] La preuve testimoniale a également révélé qu'au Québec, Archambault et Renaud-Bray sont des compétiteurs directs de la demanderesse dans le domaine de la vente des livres francophones. [78] Le tribunal est d'avis que les défenderesses ne peuvent sciemment contourner cette obligation en invitant Archambault à limiter ses ventes de livres. Le tribunal 500-17-048517-091 PAGE : 16 rappelle que cet engagement énoncé dans la lettre d'intention du 17 juillet 2008 de Archambault31 se lit comme suit : Exploitation du commerce de vente au détail de la bannière Archambault avec limitation de 25 % de ses revenus bruts mensuels en vente, location ou distribution de livres et billets de spectacles, et 25 % de l'inventaire en magasin. [79] D'une part, le tribunal est d'avis que la volonté de limiter les ventes de livres démontre clairement que Archambault est un compétiteur direct de Indigo. Pourquoi sentir l'obligation de limiter les ventes de livres si Archambault n'était pas l'un des principaux compétiteurs de Indigo au Québec dans ce domaine ? [80] Par ailleurs, cette prétendue limitation est théorique et peut varier dans le temps puisqu'elle dépend de plusieurs données variables soit la superficie de l'espace loué par Archambault, le volume total de ses ventes brutes dans ce magasin et le volume de son inventaire. En fait, dépendant de ces différents facteurs, il est même probable que dans les faits, l'éventuel magasin de Archambault dans le Quartier Dix30 vende plus de livres francophones que la demanderesse, ce qu'elle a toujours voulu éviter. [81] Il serait d'ailleurs peu probable que Archambault accepte de fournir à Indigo sur une base mensuelle ses données comptables afférentes à la vente de livres afin que la demanderesse puisse s'assurer du respect de la clause d'exclusivité. [82] La preuve n'a pas permis d'établir avec précision quelle est l'activité principale de Archambault au Québec. Toutefois, cette entreprise s'affiche comme un important disquaire et libraire32. En s'affichant ainsi, on doit s'attendre à ce que le public perçoive Archambault comme un important disquaire et libraire, c'est-à-dire un compétiteur direct de Indigo à titre de libraire. [83] Si Devimco avait jugé en 2005 que Archambault n'était pas un compétiteur sérieux de Indigo, elle aurait estimé les exigences de Indigo déraisonnables et les aurait sans doute refusées. [84] Le tribunal est d'avis qu'autoriser les défenderesses à louer un espace commercial dans la Phase III au principal compétiteur de la demanderesse viderait la clause 5.6 du bail P-1 de tout son sens. [85] Le tribunal rappelle que lors des négociations en 2005, Indigo a refusé une réduction de loyer en échange d'une cohabitation avec Archambault dans les Phases I et II du Quartier Dix30. Devimco connaissait parfaitement bien la position de Indigo face à Archambault et c'est dans le cadre de cette conjoncture particulière que les parties ont négocié la clause d'exclusivité 5.6 du bail P-1. 31. pièce D-14b). 32. pièces P-2, P-3 et P-4. 500-17-048517-091 PAGE : 17 [86] Lors du procès, Éric Foster de Devimco a reconnu qu'en 2005, il devait faire un choix entre Indigo et Archambault puisque la présence des deux était définitivement impossible. Or, Devimco a choisi Indigo. Dans ce contexte, il serait inique que Archambault puisse louer un espace commercial de plus de 20 000 pieds carrés dans la Phase III du Quartier Dix30 à quelques centaines de mètres du magasin Indigo. À cet égard, le tribunal souligne que selon la preuve, le magasin Archambault occuperait un endroit très stratégique dans la Phase III du Quartier Dix3033. [87] Le tribunal note au passage que la lettre d'intention de Archambault quant à la Phase III comporte une clause d'exclusivité visant Indigo34. [88] Le tribunal note également que le 20 janvier 2009, Gestions RioCan (Brossard) inc. faisait parvenir une lettre à Indigo dans laquelle elle s'étonnait des négociations entre Devimco et Archambault pour la Phase III du Quartier Dix30 : First, we wish to confirm that the purported negotiations with Archambault have been carried out without our knowledge or input. (…) It is regrettable that, in light of the language in the Lease and the prior discussions with both RioCan and Devimco, Devimco has decided upon this course of action, should the allegations be correct. While Rio-Can has no legal or economic position with respect to the Phase III lands, we will use whatever moral suasion we have to convince Devimco to cease and desist its negotiations with Archambault.35 (nos soulignés) [89] Le tribunal rappelle que Gestions Rio-Can (Brossard) inc. est toujours copropriétaire à 50 % des Phases I et II du Quartier Dix30. Ainsi, cette lettre démontre clairement quelle était l'intention réelle des parties lors de la signature du bail P-1. [90] Par ailleurs, le tribunal est d'avis que la clause d'intégralité énoncée au paragraphe 22.6 du bail P-1 ne prive pas le tribunal de recourir aux articles 1425, 1426 et 2864 C.c.Q. pour rechercher l'intention réelle des parties. La clause d'intégralité prévue au paragraphe 22.6 du bail P-1 a pour effet d'annuler toute entente antérieure. Or, en l'espèce, il n'y a eu aucune entente antérieure qui diffère du bail. L'admissibilité en preuve des négociations pré-contractuelles ne fait que confirmer l'intention réelle des parties. 33. pièce D-17. 34. pièce D-14b). 35. pièce P-6. 500-17-048517-091 PAGE : 18 POUR CES MOTIFS, le tribunal : [91] ORDONNE aux défenderesses Immeubles Régime XV inc., BB Real Estate Investment Trust, 9123-2850 Québec inc. et Devimco inc. de ne pas louer au Groupe Archambault inc. un emplacement commercial dans la Phase III du centre commercial du Quartier Dix30 à Brossard tant et aussi longtemps que les défenderesses seront liées à la demanderesse aux termes du bail P-1 signé par les parties les 14 septembre et 2 octobre 2006. [92] LE TOUT avec dépens. __________________________________ BENOÎT EMERY, J.C.S. Me Peter Kalichman Irving Mitchell Kalichman Procureurs de la demanderesse Me Frédéric Gilbert Me Nikolas Blanchette Fasken Martineau DuMoulin Procureurs des défenderesses Dates d’audience : 3, 4 et 5 février 2010 500-17-048517-091 PAGE : 19 LISTE DES AUTORITÉS DOCTRINE : BAUDOUIN, Jean-Louis, JOBIN, Pierre-Gabriel et VÉZINA, Nathalie, Les obligations, 6ième éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005; BAUDOUIN, Jean-Louis et JOBIN, Pierre-Gabriel, « L'interprétation des contrats », in Les obligations, 6ième éd., 2005, EYB20050BL15; CABRILLAC, Rémy, Dictionnaire du vocabulaire juridique, Éditions du Juris-Classeur, 2004; CORNU, Gérard, Vocabulaire juridique, Éditions Quadrige / PUF, 2004; CRDPCQ, Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues – Les obligations, Montréal, Yvon Blais, 2003; JOBIN, Pierre-Gabriel, Le louage de choses, Édition Yvon Blais, Montréal, 1989; LAVALLÉE, Sophie, 2008, « La sanction des règles de preuve », in La preuve civile, 4ième éd., EYB2008PRC57; LLUELLES, Didier et MOORE, Benoît, Droit des obligations, Montréal, Les Éditions Thémis, 2006; ROYER, Jean-Claude, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008. COUR D'APPEL : Conseil des industriels laitiers du Québec c. Agropur Coopérative, EYB 2009-165720 (C.A.); Messagerie de presse Benjamin inc. c. Publications TVA inc., J.E. 2007-297 (C.A.); Sobeys Québec inc. c. Coopérative des consommateurs de Sainte-Foy, EYB 200598532 (C.A.); Carrefour Langelier c. Woolworth inc., [2002] R.D.I. 44 (C.A.); N.C. Hutton Ltd. c. Canadian Pacific Forest Products Ltd., REJB 1999-15643 (C.A.); Montréal (Communauté urbaine de) c. Giuliani inc., J.E. 99-2290 (C.A.), AZ50068152; Lévisienne Orléans (La), société mutuelle d'assurances c. Blanchet, J.E. 96-43 (C.A.); 500-17-048517-091 PAGE : 20 Sigma Construction inc. et als c. Wilton levers et als, EYB 1995-64649 (C.A.); Robillard c. Lacaille, J.E. 93-133 (C.A.); 122510 Canada inc. c. Centre commercial Deux-Montagnes inc., AZ-90011297 (C.A.); Richer c. Mutuelle du Canada, EYB 1987-64840 (C.A.); Iarrera c. Iarrera, EYB 1987-62605 (C.A.). COUR SUPÉRIEURE : Ihag-Holding, AG c. Intrawest Corporation, EYB 2009-160384 (C.S.); Vidéotron ltée c. Rogers Wireless Partnership, EYB 2009-155470 (C.S.); Regent Artistic & Athletic Management Services Inc. (RAAMS) c. Kamar, EYB 2009154689 (C.S.); Compagnie du centre de divertissement du Forum/Forum Entertainment Center Company c. Société du groupe d'embouteillage Pepsi (Canada)/The Pepsi Bottling Group (Canada) Co., EYB 2008-148532 (C.S.); Émard c. Bédard, J.E. 2008-2201 (C.S.); Royal Lepage Commercial inc. c. 3877132 Canada inc., 2007 QCCS2648; Lafond c. Pétroles Crevier inc., J.E. 2005-405 (C.S.), confirmé en appel (2007 QCCA 4); Régie intermunicipale de police des Seigneuries c. Santerre, 2006 QCCA 1614; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Télé-cinéma Taurus inc., 2006 QCCA 845 (C.S.); Arno Électrique ltée c. Hydro-Québec International Inc., J.E. 2004-1670 (C.S.); Drouin c. Picard, REJB 2004-66053 (C.S.); Sdiri c. Centre d'achats St-Jérôme inc., C.S. no 700-05-006538-981, hon. juge Joël A. Silcoff, 12 juin 2002, confirmé en appel [2004] J.Q. no 5736; Compagnie Trust Royal c. Iberville Developments Limited, 2002 QCCS 30239; Marcotte c. Maison Lacouline inc., J.E. 2000-586 (C.S.); 500-17-048517-091 PAGE : 21 Mutual Life of Canada & Confederation Life Ins. Cie c. Lily Caron inc. & Jacky Ouaknine, REJB 1999-12909 (C.S.); Valla-Gaumond c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, C.S. 1998-0326, SOQUIJ AZ-98026276, B.E. 98BE-479; appel rejeté C.A. 1998-09-21, 500-09006501-985; Via Route inc. c. Zawahry, EYB 1996-85482 (C.S.); Aménagement Westcliff ltée c. Société immobilière du Québec, J.E. 95-779; Restaurant La Soupe Chaude Inc. c. Société de Gestion Cliffton Inc. et al, C.S. no 10005-000009-875, hon. juge Doiron, 31 août 1987, confirmé en appel : AZ88012062 (C.A.); Norman Small Inc. c. Miller et al, [1965] C.S. 348.