Les poissons n`embarquent plus chez les petits pêcheurs marocains

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Les poissons n`embarquent plus chez les petits pêcheurs marocains
dossier
La pêche au Maroc
© Latcho Drom 2008
Les poissons n’embarquent plus
chez les petits pêcheurs marocains
Le film démarre sur un constat accablant :
437 millions de petits pêcheurs vivent
avec moins de 2 dollars par jour. Vous
parlez de capital mondial et accusez la
mondialisation. En attendant, les petits
pêcheurs marocains n’ont plus suffisamment de poissons sur leurs côtes… Oui,
et le peu qu’ils ont, ils ne le mangent pas, ils
le vendent pour faire face à des frais essentiels. Le poisson est devenu cher, même la
sardine, "le poisson du pauvre", est en voie
de disparition. Un désastre pour le Maroc
qui est le premier pays exportateur de sardines au monde. Bientôt il n’y aura plus que
des poissons d’élevage. Or, pour produire 1
kg de poisson d’élevage, 7 kg de farine de
poisson sauvage sont nécessaires… Je voulais aussi montrer les côtés pervers de la
mondialisation en évoquant, en une seule
unité de lieu, plusieurs histoires : l’exploitation des ressources, les dangers de cette
exploitation sur les réserves de poissons,
l’injustice vis-à-vis des petits pêcheurs.
Du sonar à la rame, des grands aux petits
bateaux, le rapport à la mer n’est pas
équitable… Il y a les petits pêcheurs qui,
depuis des générations, vivent de et avec la
mer. Ils savent que leur vie dépend de son
poisson et la respectent. Ils savent pourquoi telle espèce disparaît et s’abstiennent
de la pêcher pendant la pondaison…, mais
les chalutiers ramassent tous les œufs derrière eux. Ils sont conduits par des jeunes
"businessmen" qui ne connaissent pas la
mer. Leur pêche à deux bateaux est illégale : ils ne respectent pas les quotas, leur
sonar ne laisse aucune chance aux pois-
A Essaouira et Agadir, régions du Maroc jadis poissonneuses,
les petits pêcheurs remontent désormais des filets vides.
La mer se tarit, même les sardines viennent à manquer.
Alors par milliers, ils partent vers de meilleures eaux,
au Sud. Tandis qu’on les cloue à terre pour respecter le
repos biologique des poissons qui, là aussi, disparaissent,
ils observent impuissants le pillage des chalutiers étrangers
draguant le fond des mers et entraînant la destruction d’un
écosystème. C’est le propos du documentaire "Les Damnés
de la mer", une fable, hélas, réelle, de la mondialisation
réalisée par Jawad Rhalib pour "faire bouger les choses"…
sons, ni aux pratiques traditionnelles. J’ai
montré les chalutiers suédois mais ils ne
sont pas les seuls.
"437 millions
de petits pêcheurs
vivent avec
moins de 2 dollars
par jour."
Dans ce sombre tableau, les femmes
sont des ombres qui souffrent en silence.
Vous en faites le portrait à travers le personnage de Ghizlan, la mendiante qui
voulait pêcher… Beaucoup de femmes sur
les côtes voulaient pécher mais n’y étaient
pas légalement autorisées. Ghizlan en était
réduite à mendier et pêcher illégalement.
Mais, peu après la diffusion du film sur Arte,
les autorités marocaines ont changé la loi
et elle a reçu son permis de pêche.
Comment, à partir de la Belgique, améliorer la situation ? Les Belges ont accès aux
poissons marocains que les habitants de la
côte d’où ils proviennent ne peuvent pas
consommer. Alors, d’abord il faut réveiller
en nous le consommateur responsable :
lire les étiquettes, manger moins de poisson et éviter les espèces en voie de disparition. D’un point de vue institutionnel,
la Belgique et l’Europe devraient contrôler
leurs produits et offrir des aides, en s’assurant qu’elles arrivent effectivement aux
pêcheurs. L’Union européenne offre 40
millions d’euros pour le contrôle des frontières au Maroc et seulement 4 millions à
la formation professionnelle. Le Nord vient
piller les richesses au Sud, et les enfants du
Sud, dépouillés, veulent migrer au Nord qui
est riche…
La caméra, c’est votre "arme" contre l’injustice ? Exactement ! La caméra est mon
témoin. J’ai de la révolte pour ces milliers
de pêcheurs, qui nourrissent chacun une
famille et qu’on empêche de pêcher tandis
que les autres s’en mettent plein les poches.
J’ai tourné ce film pendant la période de la
Fête du mouton : les pêcheurs n’avaient
pas de quoi acheter un mouton à leurs
familles: les poissons étaient partis alimenter les fêtes de fin d’année en Europe…
Suite à la projection des "Damnés de la
mer", les grands chalutiers ont été interdits des eaux marocaines et les femmes
sont autorisées à pêcher. Le film qui est
passé en prime time en Suède a provoqué un tollé. Le gouvernement suédois
revoit maintenant sa politique étrangère
de pêche.
Propos de Jawad Rhalib
recueillis par Elise Pirsoul
"Les Damnés de la mer" a remporté de nombreux
prix. Il a bénéficié d’un soutien de la DGCD dans
le cadre de ses programmes de sensibilisation.
online
www.thedamnedofthesea.blogspot.com
janvier-février
2010
dimension
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