Le mariage chez les petits bourgeois (Pot

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Le mariage chez les petits bourgeois (Pot
É. Zola, Comment on se marie – Comment on meurt
Le mariage chez les petits bourgeois (Pot-Bouille),
une réécriture de Comment on se marie II
Pot-Bouille (1882) c’est, dit Paul Alexis, « La marmite où mijotent toutes les pourritures de la famille
et tous les relâchements de la morale. » De fait Zola situe son roman dans une maison bourgeoise
récemment bâtie, rue de Choiseul, dans un quartier voué aux bouleversements hausmanniens entre la
Bourse et l’Opéra. L’architecture en est révélatrice. La façade sur rue offre tout le goût ostentatoire du
moment : pierres de taille, sculptures, ornements. Mais l’intérieur confine les personnages aux mœurs
suspectes. Le mariage de Berthe Josserand et d’Auguste Vabre est d’emblée compromis.
Comment procède Zola ? La narration suit à peu de choses près les étapes de l’étude Comment on
se marie II. Zola transpose le rituel de la grande bourgeoisie à la petite. La réécriture revoit ainsi les
termes du contrat, la visite chez le notaire, la cérémonie religieuse et le repas suivi du bal. Zola reprend
les sommaires au présent de l’indicatif de Comment on se marie II pour en faire de véritables scènes de
roman enrichies de dialogues et de descriptions. Le mariage moderne est, selon Zola, un ratage. Celui
de Berthe et d’Auguste est en cela exemplaire : l’adultère de Berthe et d’Octave Mouret est annoncé par
un scandale qui perturbe la cérémonie religieuse : une lettre dévoile la liaison dangereuse d’Octave et de
Valérie. Ce qui n’était que suggéré dans les dernières phrases de Comment on se marie II devient dans ce
milieu une réalité si bien annoncée qu’elle éclipse la nuit de noces.
Le contrat et la dot de Berthe
« – Nous donnons cinquante mille francs à Berthe, continua l’oncle. Seulement, ces
cinquante mille francs sont représentés par une assurance dotale à échéance de vingt années,
que Josserand a mise sur la tête de sa fille, lorsque celle-ci avait quatre ans. Elle ne doit donc
toucher la somme que dans trois ans…
– Permettez ! interrompit encore le caissier effaré.
– Non, laissez-moi finir, M. Duveyrier comprend parfaitement… Nous ne voulons pas
que le jeune ménage attende pendant trois années un argent dont il peut avoir besoin tout de
suite, et nous nous engageons à payer la dot par échéances de dix mille francs, de six mois en
six mois, quitte à nous rembourser plus tard, en touchant le capital assuré. » Chapitre VII
Le notaire
« Le jeudi, on signa le contrat devant maître Renaudin, notaire, rue de Grammont. Au
moment de partir, une scène venait encore d’éclater chez les Josserand, le père ayant, dans une
révolte suprême, rendu la mère responsable du mensonge qu’on lui imposait ; et ils s’étaient
une fois de plus jeté leurs familles à la tête. Où voulait-on qu’il gagnât dix mille francs tous les
six mois ? Cet engagement le rendait fou. L’oncle Bachelard, qui se trouvait là, se donnait bien
des tapes sur le cœur, débordant de nouvelles promesses, depuis qu’il s’était arrangé pour ne
pas sortir un sou de sa poche, s’attendrissant et jurant qu’il ne laisserait jamais sa petite Berthe
dans l’embarras. Mais le père, exaspéré, avait haussé les épaules, en lui demandant si,
décidément, il le prenait pour un imbécile.
Chez le notaire, toutefois, la lecture du contrat, rédigé sur des notes fournies par
Duveyrier, calma un peu M. Josserand. Il n’y était pas question de l’assurance ; en outre, le
premier versement de dix mille francs devait avoir lieu six mois après le mariage. Enfin, il
aurait le temps de respirer. »
Zola, Comment on se marie – Comment on meurt © Lettres - Académie de Rouen
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La cérémonie
« À Saint-Roch, la grande porte venait de s’ouvrir à deux battants. Un tapis rouge
descendait jusqu’au trottoir. Il pleuvait, la matinée de mai était très froide.
– Treize marches, dit tout bas Mme Juzeur à Valérie, quand elles passèrent sous la porte.
Ce n’est pas bon signe.
Dès que le cortège s’engagea entre les deux haies de chaises, marchant vers le chœur, où
les cierges de l’autel brillaient comme des étoiles, les orgues, sur la tête des couples, éclatèrent
en un chant d’allégresse. C’était une église cossue, riante, avec ses grandes fenêtres blanches,
bordées de jaune et de bleu tendre, ses soubassements de marbre rouge, revêtant les murs et
les colonnes, sa chaire dorée, soutenue par les quatre évangélistes, ses chapelles latérales où
luisaient des orfèvreries. Des peintures d’Opéra égayaient la voûte. Des lustres de cristal
pendaient au bout de longs fils. Lorsqu’elles passaient sur les larges bouches du calorifère, les
dames recevaient dans leurs jupes une haleine chaude. » Chapitre VIII
Le repas de noces et le bal
« Le soir, le repas qui eut lieu à l’hôtel du Louvre, fut encore gâté par l’accident si
malencontreux de Théophile. C’était une obsession, on en avait parlé toute l’après-midi, dans
les voitures, en allant au bois de Boulogne ; et les dames concluaient toujours par cette idée
que le mari aurait bien dû attendre le lendemain, pour trouver la lettre. D’ailleurs, il y avait
uniquement à table les intimes des deux familles. La seule gaieté fut un toast de l’oncle
Bachelard, que les Josserand n’avaient pu se dispenser d’inviter, malgré leur terreur. Il était en
effet ivre dès le rôti, il leva son verre et s’embarqua dans une phrase : « Je suis heureux du
bonheur que j’éprouve », qu’il répéta, sans arriver à en sortir. On voulut bien sourire
complaisamment. Auguste et Berthe, déjà brisés de fatigue, se regardaient par moments, l’air
étonné de se voir l’un en face de l’autre ; et, quand ils se souvenaient, ils contemplaient leur
assiette avec gêne.
Près de deux cents invitations étaient lancées pour le bal. Dès neuf heures et demie, du
monde arriva. Trois lustres éclairaient le grand salon rouge, dans lequel on avait simplement
laissé des sièges le long des murs, en ménageant à l’un des bouts, devant la cheminée, la place
du petit orchestre ; en outre, un buffet se trouvait dressé au fond d’une salle voisine, et les deux
familles s’étaient réservé une pièce, où elles pouvaient se retirer. »
La nuit de noces
« À quatre heures, les mariés rentrèrent rue de Choiseul. Ils ramenaient Théophile et
Valérie dans leur voiture. Comme ils montaient au second, où l’on avait installé un
appartement, ils rejoignirent Octave, qui rentrait aussi se coucher. Le jeune homme voulut
s’effacer par politesse, mais Berthe fit le même mouvement, et ils se heurtèrent.
– Oh ! pardon, mademoiselle, dit-il.
Ce mot de « mademoiselle » les amusa. Elle le regardait, et il se rappelait le premier
regard échangé dans cet escalier même, un regard de gaieté et de hardiesse, dont il retrouvait
l’accueil charmant. Ils se comprirent peut-être, elle rougit, pendant qu’il montait seul à sa
chambre, au milieu de la paix morte des étages supérieurs.
Déjà, Auguste, l’œil gauche fermé, rendu fou par la migraine qu’il promenait depuis le
matin, était dans l’appartement, où la famille arrivait. Alors, au moment de quitter Berthe,
Valérie céda à une brusque émotion, et la serrant dans ses bras, achevant de chiffonner sa robe
blanche, elle la baisa, elle lui dit à voix basse :
– Ah ! ma chère, je vous souhaite plus de chance qu’à moi ! »
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Pour en finir avec le mariage
Dans le Rêve (1888), Zola, sensible au renouveau de la foi mystique de cette fin de siècle, met en
scène Angélique Rougon, pieuse jeune fille que la lecture de La Légende dorée a bouleversée : elle rêve de
devenir à son tour martyre. Félicien, le peintre verrier qu’elle rencontre - est-ce le saint Georges du
vitrail ? - devient, après bien des obstacles, son mari devant Dieu. La cathédrale de Beaumont accueille
le couple. La cérémonie est grandiose. Angélique est si faible qu’elle a des étourdissements et des
vertiges. Mais elle est heureuse. L’excipit du roman s’écarte du programme narratif que le mariage
zolien déploie pour toucher au sublime. Angélique meurt, au seuil de sa vie de femme, dans un chaste
baiser. Ce contrepoint en forme de chromo mystique et sulpicien conjugue, comme souvent chez Zola,
Éros et Thanatos.
Zola, Comment on se marie – Comment on meurt © Lettres - Académie de Rouen
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