Inceste et incestuel

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Inceste et incestuel
Inceste et incestuel
Françoise Némann
Avril 2014
Table des matières
Inceste et incestuel ..................................................................................................... 1
Introduction ................................................................................................................. 3
1) Camper le décor ................................................................................................. 3
2) Réflexions importantes avant d’entrer dans le thème .................................... 3
Chapitre 1 : Incestuel .................................................................................................. 6
1) Définition ........................................................................................................... 6
2) L’atmosphère incestuelle .................................................................................. 7
3) Voies principales qui conduisent à la situation incestuelle et incestueuse .... 7
a) La séduction narcissique. .............................................................................. 7
b) L’antoedipe ................................................................................................... 10
Chapitre 2 : Inceste .................................................................................................. 12
1) Définition ......................................................................................................... 12
2) Les familles à transactions incestueuses ....................................................... 12
3) La perspective des cercles de l’inceste et de l’incestuel de Racamier............ 14
4) La violence de l’inceste et de l’incestuel ......................................................... 15
5) Conséquences de ces destructions .................................................................. 18
Chapitre 3 : Ce qu’il faut savoir pour notre posture thérapeutique............................ 22
Chapitre 4 : La prise en charge de ces patients ....................................................... 25
Chapitre 5 : Les propositions de Fernande Amblard et Paul Claude Racamier ........ 26
1) L’écoute thérapeutique .................................................................................... 26
2) Un cadre à replacer : Racamier ...................................................................... 27
3) La neutralité bienveillante du thérapeute est insuffisante, elle ressemble
trop à l’indifférence qui a entouré le secret. F. Amblard ................................... 27
4) Interpréter la mise au secret Racamier......................................................... 29
5) Interpréter l’interdiction de savoir et de dire................................................. 29
6) Travail sur les émotions .................................................................................. 30
7) Réinvestir des alentours et des plaisirs. Racamier ........................................ 32
8) Entendre la réalité de ce qui est dénoncé et reconnaître la personne comme
une victime. Fernande Amblard ......................................................................... 32
9) Replacer l’abus dans l’histoire familiale. ....................................................... 35
10) Que penser du pardon ?................................................................................ 36
Chapitre 6 : La reconstruction................................................................................... 37
1)
Sortir de la confusion ................................................................................. 37
2)
Mettre une limite entre le désir de la personne et celui de l’autre .......... 37
3)
Reprendre confiance en soi ........................................................................ 37
4)
Apprivoiser son corps ................................................................................. 38
5)
Accepter la complexité, l’ambivalence ....................................................... 38
6)
Développer sa créativité ............................................................................ 39
7)
Créer des relations satisfaisantes ............................................................. 39
8)
Créer une relation d’amour ....................................................................... 40
Chapitre 7 : Le cadre légal........................................................................................ 41
1)
En France ................................................................................................... 41
2)
En Belgique ................................................................................................ 41
Conclusion ................................................................................................................ 42
Bibliographie ............................................................................................................. 43
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Introduction
Le thème « inceste et incestuel » est un thème vaste et lourd, avec des
conséquences dramatiques dans la réalité des personnes et ce, de génération en
génération.
Je voudrais camper le décor et chercher des pistes pour, à partir de contextes
extrêmement douloureux et complexes, évoluer quand même vers la vie, vers la
créativité, vers de la légèreté.
1) Camper le décor
Pour Michel Delbrouck dans son livre de psychopathologie, l’inceste et l’incestuel
font partie de ce que l’on appelle les paraphilies. (Para = à côté, phili = aimer).
Paraphilie est le nouveau terme qui a été inventé au cours du XXe siècle pour se
substituer à celui de perversions sexuelles.
Les paraphilies se définissent comme des comportements sexuels différents du
coit normal, source majeure de gratification sexuelle, visant traditionnellement à
atteindre l’orgasme par pénétration génitale avec une personne du sexe opposé.
Les principales paraphilies sont :
 L’exhibitionnisme
 Le voyeurisme
 Le fétichisme
 Le frotteurisme
 Le masochisme et le sadisme sexuel
 Le transvestisme fétichiste
 La pédophilie
 L’inceste et l’incestuel
 D’autres paraphilies non spécifiques comme la zoophilie par exemple.
2) Réflexions importantes avant d’entrer dans le thème
La délimitation du normal et du pathologique en matière de sexualité est
complexe et étroitement liée aux normes socioculturelles…
Pour bien illustrer cette complexité, il suffit d’être attentif à l’actualité récente et
presque quotidienne autour de l’homosexualité (en France, loi sur le mariage, et
en Russie, derniers championnats d’athlétisme.) Montrant les résistances
sociétales et individuelles, malgré les années de recherche de nombreux auteurs à
ce sujet.
Les troubles des conduites sexuelles constituent des symptômes ou
des
syndromes pouvant recouvrir de nombreuses entités nosographiques.
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Entrer dans le monde des paraphilies demande que l’on mette perpétuellement
en tension les termes « complexité et humanité »… C’est peut-être ce que Stoller
tentent de nous dire quand à la suite de Freud il considère que la perversion est
nécessaire à la société, d’une part parce qu’elle permet de distinguer la norme et
la pathologie. De l’autre, parce que les pervers et ceux qui en sont les victimes
peuvent par la sublimation et par l’élaboration, se découvrir autres que ceux
qu’ils croyaient être ou encore, devenir de grands créateurs et pas seulement
artistiques… C’est bien ce que l’approche analytique et existentielle nous
propose, à savoir, d’aller à la rencontre de nos blessures et d’accueillir nos
réponses destructrices avec bienveillance pour pouvoir progressivement les
transformer en réponses plus créatives et avancer davantage dans le sens de la
vie !
Devenir les artistes de sa propre vie…
Nous allons parler des victimes, mais il va aussi être question des auteurs d’abus
sexuels et narcissiques…
Tout est intriqué…Tout est savamment emmêlé.
Il m’apparaît donc essentiel de se remémorer
quelques outils à garder
précieusement dans notre sac à dos de thérapeutes pour l’accompagnement de
ces personnes…
a) Par rapport aux victimes …
Alice Miller dans son livre l’enfant sous terreur, se place ailleurs que Freud et
« sa théorie des pulsions », et Mélanie Klein et « son nourrisson cruel ».
Pour elle, le petit enfant est d’abord un récepteur muet des projections des
adultes. Il ne peut pas s’en défendre… Il ne peut pas les rendre, ni les
interpréter. Il est donc prisonnier d’un pouvoir narcissique et de la pédagogie
noire.
Elle nous rappelle avec beaucoup de sagesse que dès que l’enfant peut-être
davantage que le simple porteur de projections parentales, il devient pour les
parents une source inépuisable de savoir non déguisée sur la nature humaine.
Il est dans la nature de l’enfant de vouloir exprimer dès son plus jeune âge de la
sensualité, le plaisir de son propre corps, plaisir de la tendresse de l’autre, le
besoin de parler, d’être entendu, vu, compris et respecté, de ne pas devoir
réprimer la colère ni la fureur, et de pouvoir exprimer d’autres sentiments comme
le deuil, l’angoisse, l’envie et la jalousie.
Elle nous dit que si les jeunes parviennent un jour à libérer vraiment leur
sexualité de la lutte de pouvoir narcissique de la pédagogie noire, et à en jouir en
tant que tel, ils n’auront plus besoin de projeter leurs conflits sexuels sur
l’enfant.
Il faut savoir que si les victimes d’abus sexuels ne répètent pas forcément sur
leurs enfants ou d’autres enfants… Par contre, parmi les abuseurs on constate
toujours des abus dans l’enfance (sexuels ou narcissiques).
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b) Par rapport aux auteurs d’abus sexuels et narcissiques…
Il est tout aussi important de savoir, lorsqu’on aborde ce thème sensible, qu’un
point fait l’accord des experts sur les auteurs de violences à caractère sexuel : ces
troubles du comportement sexuel correspondent moins à des troubles de la
sexualité qu’à des solutions défensives vis-à-vis d’angoisses majeures concernant
le sentiment identitaire, elles même consécutives à des carences fondamentales
de l’environnement primaire au cours de la petite enfance. La problématique de
la violence, au sens de la destructivité de l’autre, de l’altérité, est au-devant d’une
problématique sexuelle.
Le recours à la sexualité déviante est une tentative de solution, de recours, par
rapport au déficit narcissique consécutif à l’absence d’images parentales
suffisamment bonnes dans le monde psychique interne.
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Chapitre 1 : Incestuel
1) Définition
Ce néologisme « incestuel » a été créé par Paul Claude Racamier, psychiatre et
psychanalyste renommé, dans les années 1980 1990, à l’occasion d’un livre
intitulé l’inceste et l’incestuel.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette notion nouvelle, doté d’un terme
nouveau et de ses dérivés (incestualiser, incestualisé, incesté (parasité par
l’inceste), incestué et incestuant etc., se glisse dans un terrain déjà fort occupé ;
elle est pour ainsi dire encadrée par deux visions de l’inceste que nous
connaissons bien :
 celle de la pratique sexuelle incestueuse
 et celle du désir et du fantasme incestueux
Sous ce terme, Racamier décrit une psychopathologie laissée dans l’ombre avant
lui mais cependant extrêmement répandue. L’incestuel correspond à une
atmosphère familiale particulière qui n’aboutit pas forcément à un passage à
l’acte sexuel mais qui laisse chez les enfants qui en sont victimes une empreinte
responsable d’un certain nombre de troubles psychiques ou sexuels de l’âge
adulte.
L’incestuel est : « un climat où souffle le vent de l’inceste sans qu’il y ait inceste ».
Selon Racamier, l’incestuel se définit donc comme le substrat déguisé d’un acte de
nature incestueuse. Si l’inceste est dans l’acte, l’incestuel est dans la relation et
c’est la folie et c’est à partir d’elle que vont s’ordonner tous les tableaux
pathologiques à l’exception de la névrose. Ce n’est donc certainement pas à
banaliser !
Il s’agit d’une notion complexe qui met dans une perspective nouvelle certaines
hypothèses de base de la psychanalyse comme le complexe d’Œdipe.
Très schématiquement l’Œdipe, fantasme de séduction du parent de sexe opposé
avec rejet du parent de même sexe, reste refoulé dans l’inconscient de l’enfant
jusqu’à sa résolution naturelle par mentalisation de la nature irréaliste de cette
rivalité et retournement vers le parent du même sexe comme modèle identitaire.
(Dans une situation idéale, une petite fille pourra tomber amoureuse de son père
sous le regard bienveillant de sa mère qui va accepter ,provisoirement ,en
alliance avec celui ci de prêter symboliquement son conjoint à sa fille le temps
nécessaire pour exprimer toute sa rivalité par rapport à sa mère et développer sa
sécurité dans la valeur de son féminin grâce au regard de son père… Elle pourra
alors revenir vers sa mère pour continuer la construction de son identité féminine
par identification).
L’interdit de l’inceste est le pivot du complexe d’Œdipe.
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L’incestuel peut encore se définir comme un inceste psychique, symbolique et
dans ce domaine comme dans la plupart des phénomènes humains, la frontière
entre le normal et le pathologique reste très imprécise, d’autant plus imprécise
que sa nature, ne dépassant jamais le territoire secret de la famille, lui permet
d’échapper aux définitions abruptes du légal. (Vous n’entendrez pas parler
d’incestuel dans la loi…)
On peut commencer par le plus apparent et évoquer cette « atmosphère
incestuelle ».
2) L’atmosphère incestuelle
Vues de l’extérieur les manifestations peuvent en sembler banales, anodines,
pour certains même correspondre à des attitudes dites « libérées » : des enfants
adulés, c’est un des parents qui se présente alors en séducteur, des enfants
dormant trop longtemps dans le lit des parents, contacts prolongés peau à peau
avec la mère, promiscuité familiale, bains pris en commun jusqu’à un âge trop
avancé, confidences des parents sur leur propre vie sexuelle, du linge partagé,
des portes de toilettes ou de salles de bains ouvertes etc. La proposition
d’initiation est déjà par contre en elle-même un passage à l’acte.
On peut dire que l’incestuel est marqué de l’empreinte de l’inceste sans que la
transgression sexuelle soit fatalement accomplie. C’est un dysfonctionnement des
liens familiaux qui se situe en deçà de l’oedipe et de l’interdit de l’inceste.
Il est le lieu encore virtuel entre inceste fantasmé et inceste sexuellement
réalisé.
Cette situation incestuelle ainsi définie est assez fréquente, il faut donc nous
interroger sur le chemin qui y conduit.
Ce cheminement emprunte schématiquement deux voies principales étroitement
liées entre elles : la séduction narcissique et ce que Racamier a appelé
l’antoedipe.
3) Voies principales liées entre elles et qui conduisent à la situation
incestuelle et incestueuse
a) La séduction narcissique.
À l’unité corporelle prénatale succède une autre sorte d’unisson : la séduction
narcissique. La mère et l’enfant vont se séduire. Ils vont se séduire comme si
chacun d’eux avait à faire partie de l’autre ; ou plutôt vont-ils se séduire afin de
se rencontrer en dépit de leurs différences. Pour deux êtres aussi dissemblables
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qu’un adulte et un nouveau-né, la séduction narcissique sera le moyen de se
joindre : un exploit qui serait autrement impossible. La séduction narcissique est
donc indispensable pour le développement harmonieux du bébé…
Pourquoi ?
On pourrait encore dire que le nouveau-né doit séduire la mère, déçue de ce qu’il
n’est jamais aussi merveilleux que dans ses fantasmes de future mère.
Quant à la mère, elle doit séduire le bébé, déçu depuis sa naissance de ce qu’il ait
à gagner son air et sa pitance.
Découverte et déception s’effectuent tout à la fois et de part et d’autre au sein de
ce couple qui se réunit tout en se distinguant. La naissance les a séparés ; la
séduction narcissique les aimante.
A quoi sert donc cette séduction narcissique ?
Cette séduction narcissique vise à l’unisson tout-puissant, à la neutralisation,
voire même à l’extinction des excitations d’origine externe ou pulsionnelle, et
enfin à la mise hors circuit (ou en attente) de la rivalité oedipienne.
Par nature la séduction narcissique est destinée à conforter deux narcissismes
convergents. Elle constitue donc une phase essentielle dans le développement de
l’enfant !!!! Mélanie Klein explique bien que la manière dont va se passer cette
période cruciale va être fondamentale dans la capacité de l’enfant à entrer en
contact avec le monde. L’empathie, les bons soins donnés par la suffisamment
bonne mère vont générer ou non sa capacité future à objectiver l’autre dans la
globalité de son être et non de manière clivée, partielle, réduite.
De nombreux auteurs ont étayé ces hypothèses dont Winnicott, Balint, Bion et
d’autres post Kleiniens.
À la base donc est la dyade mère enfant, cette unité originaire, cet état
totalement fusionnel dans lequel chacun fait encore partie de l’autre. C’est un
paradis que l’enfant doit normalement quitter pour grandir, pour s’individualiser.
Ce paradis trop tôt perdu dont notre inconscient garde toujours une secrète
nostalgie.
Vient alors l’irruption de la séparation inévitable dans l’illusion du non
séparable, dans l’illusion d’être un à deux.
Dans une évolution satisfaisante, l’enfant réussit, non sans angoisse, cette
séparation ; la relation narcissique commence à se distendre lorsque les forces
inconscientes qui poussent à la différenciation, à l’autonomie, entrent en
concurrence avec elle. L’émergence du moi en achève le déclin.
Il en va autrement quand s’opère la séduction narcissique de la mère pour
tenter de pérenniser cette fusion où chacun puisse se reconnaître en l’autre
dans une relation mutuelle exclusive et comme à l’écart du reste du monde
(cette fusion que Racamier appelle l’unisson).
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La relation initiale de double lien existant normalement entre la mère et
l’enfant est alors défigurée. Le lien se transforme en ligature ou ligotage dont
l’enfant devient prisonnier.
Selon Racamier la mère pourrait dire :
« Ensemble nous formons un être à tous égards unique, inimitable,
insurmontable et parfait, ensemble nous sommes le monde et rien ni personne
d’autre ne saurait nous plaire, ensemble nous ignorons le deuil, l’envie, la
castration et l’oedipe… » .
Le fantasme de toute-puissance rejoint le fantasme d’unisson.
Racamier parle de credo narcissique :
« Ensemble nous nous suffisons, et n’avons besoin de personne » (comme Brigitte
Bardot sur sa Harley-Davidson ??).
« Ensemble et soudés, nous triompherons de tout »
« Si tu me quittes je me meurs »
Ces trois termes reprennent les trois fantasmes, de suffisance dans la complicité,
de toute-puissance dans l’unité, et de mort dans la différenciation, qui sont au
fondement de toute relation narcissique fortement soudée.
La séduction ne s’achève pas, tout simplement parce que la mère ne le veut pas.
La séduction se pervertit et devient manipulation.
La symétrie qui normalement organise une relation disparaît.
Mais alors, que sera cet enfant pour cette mère perpétuellement avide de
confirmation narcissique ? Il sera son miroir : un miroir à qui incombe la tâche de
lui renvoyer d’elle-même une image incessamment flatteuse et rassurante. Il sera
son complément : un organe destiné à la rendre achevée, complète et aboutie. (On
pense naturellement au pénis qui manque à toute mère comme à toute femme, on
pense que toute maternité est une promesse de pénis, et pourquoi pas ? mais ici,
le complément indispensable semble plus large, plus tenace et plus vital encore
que le désir phallique en ses formes ordinaires. Il sera plus encore pour cette
mère : il sera sa garantie d’identité, le témoin, la preuve et le garant de son
existence.
La séduction se fait rapt tout en demeurant ravissement.
Il y a dans cette affaire un gagnant et un perdant : la mère (où le père, si ce n’est
la mère) y gagne en narcissisme, et le fils ou la fille y perd en autonomie.
L’enfant est un instrument de valeur, certes, mais un instrument. Et c’est très
complexe car cet instrument est narcissiquement flatté ; il peut se flatter d’être
indispensable ; il bénéficie en reflet d’une grandeur à laquelle il contribue. Il
bénéficie d’une exclusivité absolue. Il en bénéficie à tous égards même sexuels.
Paré en secret de toutes les qualités qu’on lui prête, il est lui-même ébloui et
fasciné, en même temps que confondu. Incarnant un idéal absolu il est prisonnier
d’une projection narcissique dévorante car il doit combler à lui seul tout le
manque de l’auteur de cette idolâtrie.
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L’objet incestuel est investi de fonctions diverses, de pouvoirs multiples, de
missions complexes.
Avec ça il y a de quoi se sentir grandiose et la mégalomanie guette les idoles
incestuelles qui se prennent au jeu !
Cependant ces magnifiques sont les plus pauvres du monde : l’illusion de l’inceste
est la plus terrible qui soit, et le plus redoutable des leurres, car, en définitive, s’il
cède à l’attraction incestuelle, le sujet, croyant gagner sur tous les tableaux, ne
fait que tout perdre. Certains patients se suicident au moment tragique ou d’un
coup ils réalisent qu’ils ont été floués.
L’enfant incestué a été soumis à une emprise alors qu’il croyait être aimé.
Voilà une séduction qui tourne mal : elle a tourné à la capture. La séductrice
devient prédatrice. Le séduit devient envoûté, le captivé devient captif.
La relation de séduction narcissique en sa version déviante a une façon de se
rendre perpétuelle: elle renferme une formidable tendance à se reproduire et à se
répercuter de génération en génération. Cette mère captrice fut elle-même, jadis,
une enfant captive. L’incestuel, instrument et compagnon de la séduction
narcissique déviante, aura tout naturellement tendance à rebondir au fil des
générations : l’incesté deviendra incesteur.
Pourquoi ?
Parce que le deuil originaire ne peut pas se faire.
Au fond de toute relation narcissique interminable pèse la menace de la mort
La conviction du couple incestuel est que chacun ne peut survivre sans l’autre.
Au bout de cette relation se profile la promesse de l’inceste.
b) L’antoedipe
Est une phase organisatrice du développement précédent ou accompagnant
l’avènement du conflit oedipien. C’est ce qui est avant et c’est ce qui est contre,
c’est ce qui fait obstacle au deuil originaire et sidère l’enfant dans une position où
il est à la fois le jouet et l’enjeu d’une séduction narcissique aliénante qui fait
barrage à ses forces innées d’individuation et de maturation.
Dans l’oedipe, les personnages en scène sont le père, la mère et l’enfant
(constituant ainsi le fameux triangle oedipien).
Dans l’antoedipe, les personnages sont l’enfant et la mère qui porte en elle le
sceau du père géniteur mais aussi le dépôt des générations précédentes.
L’oedipe aboutit normalement à l’interdit de l’inceste…
L’antoedipe aboutit à l’interdit de l’indifférenciation… (Tout être humain, pour
pouvoir devenir un adulte autonome et responsable doit pouvoir se différencier) !
C’est cet interdit qui empêche la confusion des êtres, des genres et des
générations.
Si l’interdit de l’indifférenciation n’est pas respecté, l’interdit de l’inceste a de
grands risques de ne pas l’être, cette situation est l’incestuel.
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L’enjeu de l’Œdipe est l’identité sexuelle.
L’enjeu de l’antoedipe est l’identité de genre et l’identité personnelle (être en
accord avec son sexe).
On comprend mieux pourquoi « l’incestuel » baigne dans le secret. Le rôle du
secret est d’occulter les origines de telle sorte que seule la séduction narcissique
puisse emprisonner dans le silence l’enfant qui en est l’objet, voire même la
victime, même en l’absence de tout abus physique. Tout se passe dans le non
savoir, le non dit, le non à penser. (Un bébé n’est pas capable de faire cela, de se
protéger des projections parentales). Silence, sidération sont la chape de plomb
qui tombe sur l’enfant.
C’est ce que Racamier appelle abus narcissique.
Le secret incestuel est donc aussi secret des origines.
C’est pour cela que ce secret peut traverser les générations.
Si l’inceste consommé créé inévitablement l’incestuel, un climat incestuel
transmis sur plusieurs générations facilite le passage à l’acte de l’inceste.
Si l’on suit les hypothèses de Racamier, le rôle de la mère est donc prédominant
dans les familles incestuelles, les pères sont souvent absents ou déniés, les
repères habituels basés sur la différenciation des sujets, de genre et de
générations sont brouillés, l’enfermement narcissique se reproduit chez l’incestué
au risque qu’il devienne un jour lui-même incesteur.
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Chapitre 2 : Inceste
1) Définition
Bourcet dit : « l’inceste est l’union illicite entre deux personnes parentes à un
degré prohibé par la loi pour contracter le mariage civil ».
Quand l’inceste se produit, le passage à l’acte crée une véritable effraction
agressant l’inconscient de l’enfant qui le subit. L’inceste tue l’âme et tue toute
possibilité d’avoir accès au registre symbolique.
L’inceste s’oppose à la réussite de la triangulation oedipienne !
Dans ce cas, deux personnes se rencontrent : l’incesteur et l’incesté, et il s’agit
bien sur d’une rencontre dissymétrique : pour le premier, c’est une pulsion
narcissique sauvage, incontrôlée, pour l’autre, un traumatisme majeur, une
blessure qui le frappe au cœur de son intégrité physique et psychique.
L’inceste est défini par Michel Delbrouck comme un assassinat psychique. Il
arrête le développement psychique de l’enfant et le pose face à la mort
psychologique. Un enfant abusé est un enfant qui ne joue plus… Sa vie affective
s’arrête… Il n’a plus la possibilité de se faire du monde sa propre représentation.
Le plus connu des incestes est celui du père envers sa fille ou son fils mais les
incestes actifs mères fils ou mère- fille existent également, sans compter les
climats incestuels dont nous avons déjà parlé.
2) Les familles à transactions incestueuses
Les familles où se produit l’inceste sont caractérisées par le manque de limites :
les limites sont mal codifiées, limites géographiques, limites temporelles, limites
éducatives.
Ce sera une famille où les portes des toilettes et des salles de bains ne se ferment
pas, où les lits sont interchangeables, où l’espace privé de chacun n’est pas
respecté. On fouille dans les affaires, on lit le courrier ou le journal intime.
En même temps ce sont des familles très fermées sur l’extérieur, les enfants n’ont
pas le droit d’aller chez les copains, on ne reçoit personne (sauf la famille). Il n’est
pas rare que les parents refusent les sorties scolaires comme les classes vertes ou
les voyages d’études.
Et bien sûr il n’y a pas de limite entre les générations, les enfants couchent avec
les parents ou les grands-parents. Les aînés prennent excessivement en charge
les plus petits. La mère se confie à sa fille comme si elle était une amie.
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Ce sont aussi parfois des familles où le mode éducatif est mal codé : il n’y a pas de
cohérence autour des interdits. On peut valoriser des fautes comme le vol, le
détournement d’argent et, en même temps, il peut exister une rigidité excessive,
la famille peut apparaître exemplaire. Mais l’éducation n’est pas dirigée vers le
grandissement de l’enfant, il s’agit plutôt d’une prise de pouvoir, de toutepuissance sur l’enfant. L’enfant manque ainsi de limites concernant les interdits,
il ne sait jamais s’il est en train ou non de commettre une faute qui entraînera
des représailles. Le père peut par exemple initier sexuellement sa fille (c’est un
passage l’acte), en même temps qu’il lui interdira de voir ses copains.
Et là, la règle imposée par le père a remplacé la loi.
Dans certaines de ces familles, la mère est peut-être déficiente dans son rôle et va
parentifier sa fille qui risque de devenir mère de sa mère et épouse de son père.
Ces mères déficientes ont souvent elles-mêmes vécu une situation incestueuse
qui les rend aveugles et elles ne verront pas ce qui se passe…
Dans tous les cas, le couple parental est profondément immature… L’abus sexuel
et le silence qui l’entoure constituent le ciment qui soude ces couples fragiles.
L’équilibre et le maintien de ces familles repose sur le secret. Le mutisme qui
entoure l’abus est dû au fait qu’il n’y a pas de mots pour en parler, mais surtout
qu’il n’y a pas d’oreilles pour entendre. Les réactions parentales sont
imprévisibles et changeantes. L’enfant maintient le secret autour d’images de
parents idéalisés s’opposant à une figure tout aussi rigide de parents
persécuteurs.
La communication se fait souvent sur un mode « double bind » (Harold Searles,
l’effort pour rendre l’autre fou) avec des injonctions paradoxales, ce qui met
l’enfant dans la confusion psychique nécessaire au maintien du secret : « ce qui
se passe entre nous est merveilleux pour toi et tu as bien de la chance », et en
même temps : « tu ne dois en parler à personne, sinon ça ira mal pour toi ». Mais
aussi : « nous sommes une famille exceptionnelle » et « tu ne dois rien dire à
l’école de ce qui se passe chez nous ».
Comment s’y retrouver dans ces doubles messages ?
L’équilibre familial repose sur le secret qui, s’il est révélé, entraîne l’effondrement
de cet édifice précaire. En effet, dès que le secret est dévoilé, la famille explose
(condamnation de l’abuseur, séparation du couple, placement des enfants
parfois).
Or, à cause même de l’immaturité, ces couples ne peuvent surtout pas envisager
la séparation.
Il faut encore signaler le cas non exceptionnel où la mère décède. Le père choisit
alors une de ses filles, souvent celle qui ressemble le plus à la défunte, pour la
remplacer… Dans son lit.
Fernande Amblard se pose la question de savoir si l’inceste est plus grave que
l’abus sexuel de la part d’un beau-père ou d’un oncle ?
Si l’invasion corporelle est semblable, si la déstructuration est proche, en cas de
viol par le père, la victime ne peut même plus rêver d’un père idéal : elle n’a
vraiment rien à quoi se raccrocher.
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3) La perspective des cercles de l’inceste et de l’incestuel de Racamier
Pour comprendre imaginons des cercles concentriques et représentons-nous des
degrés décroissants de gravité, c’est-à-dire d’atteintes traumatiques
Le premier cercle sera celui de l’inceste proprement dit. Il est à l’épicentre du
séisme. Deux personnes s’y rencontrent : l’incesteur et l’incesté. Pour celui-là ce
n’est qu’une éruption ; pour celui-ci, une catastrophe, une atteinte majeure à son
intégrité corporelle et psychique : summum du traumatique et de la
disqualification.
Le deuxième cercle se trouve encore l’inceste, mais il n’est plus en prise directe. Il
a bien eu lieu, mais il remonte au passé : une distance généalogique s’est établie,
où se brouillent les pistes ; le traumatisme est ancien, et cependant toujours
actif ; la blessure, jamais vraiment ouverte, jamais non plus refermée, n’a été que
différée ; sa trace est obscure ; on voit émerger, légèrement comme des surgeons,
les incidences lointains d’incestes qui ont eu lieu dans une génération antérieure,
illustrant cette règle clinique :
L’inceste dans une génération induit des ravages incestuels dans les générations
suivantes !
Éloignons au plus encore de l’épicentre incestueux : nous atteignons le troisième
cercle.
La distance ici n’est pas dans le temps, et pas seulement dans l’économie.
Elle est aussi dans la dynamique. L’ébranlement se fait encore moins apparent :
même semble-t-il à peine sensible. Le contraste criant qui, à l’épicentre, opposait
attaquant et attaqué ou incesteur et incesté, ce contraste s’estompe et va jusqu’à
disparaître. Une tout autre organisation se fait jour : au lieu d’un séisme, c’est un
tissu : au lieu d’un agresseur et d’une victime, c’est ici deux complices qui se
rejoignent, trouvant tous deux leur compte dans leurs rapports incestuels.
Nous voici passés du registre de l’inceste à celui de l’incestuel.
La cible de l’inceste était simple, mais la périphérie de l’incestuel est multiple.
Et nous voilà revenus aux exemples donnés par Michel Delbrouck dans son livre
de psychopathologie: « une manipulation d’argent entre un père et sa fille, des
alcoolisations communes entre une mère et son fils, le financement par une mère
de frais d’amour vénal pour son fils, l’attaque et la disqualification de
thérapeutes par toute une famille.
Fernande Amblard évoque notamment la notion d’inceste en creux dans ces
familles où jamais la sexualité n’est abordée en aucune manière, ce qui signifie
qu’elle serait omniprésente.
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4) La violence de l’inceste et de l’incestuel
Tout inceste est violence.
L’incestuel est aussi violence.
L incestualité est une organisation de la violence. Non pas de n’importe quelle
violence, et rarement de celle qui éclate, mais de celle qui taraude, qui ampute et
qui divise, qui attaque en profondeur la qualité propre des êtres, dans leur corps
et leur psyché, dans leur autonomie et leur identité, dans leurs besoins vitaux et
leurs désirs.
Tout va se passer dans le sein des familles, mais pour en écraser les potentiels et
les nuances. Tout va se baser sur le sexe, mais pour en éteindre les désirs et les
plaisirs.
Si l’inceste éclate, l’entourage en assourdira le vacarme. Si en revanche
l’incestuel s’aménage, cette organisation elle-même sera sourde et inapparente,
mais d’autant plus tenace ; souterraine et secrète mais d’autant plus résistante.
Au demeurant jamais individuelle, mais au moins duelle et le plus souvent
familiale.
L’inceste est une violence profonde, multiple et sans échappatoire.
Lorsque l’abus survient dans la vie d’un enfant, il est en pleine structuration de
sa personnalité. Et déjà, il est à noter qu’il est trop souvent en carence affective,
car l’inceste survient généralement dans des familles à transactions incestueuses,
c’est-à-dire des familles mal structurées, sans limites, dont le couple parental est
immature. Quant aux abuseurs sexuels, ils choisissent avec soin leurs victimes
parmi les enfants fragiles qui recherchent attention, reconnaissance et affection.
L’enfant étant dans la construction de son identité, il est évident que les dégâts
vont dépendre de l’âge où l’abus est survenu. Et s’il n’a pas mémorisé le
traumatisme ou s’il était trop petit pour mettre des mots sur ce qui est arrivé, son
corps, lui, se souvient.
Fernande Amblard explique le cas de Monique qui lorsqu’elle fermait les yeux
était submergée de sanglots avec éructations, nausées, haut-le-cœur. Elle a mis
des mots sur ces symptômes lorsque son père a été surpris en train d’exiger une
fellation à sa petite fille âgée de quelques mois. Monique a su dès lors que c’était
la reproduction de son histoire à elle.
Il est important de dater le traumatisme dans l’histoire de la victime. Au moment
où il survient, le développement affectif de l’enfant est entravé.
Outre l’âge de la victime, le type de traumatisme, la durée et la répétition sont
des facteurs qui détermineront la gravité du traumatisme. L’importance des
dégâts n’est pourtant pas prévisible : il se constitue une alchimie entre
l’objectivité du traumatisme et la façon dont la victime y répondra. La créativité
des enfants pour survivre au traumatisme, pour se construire une vie à eux,
envers et contre tout est parfois étonnante.
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a) La violence est faite au corps, qui n’est pas prêt à l’acte sexuel !
C’est une terrible violence sensorielle.
Au cours de l’abus, l’enfant découvre la sexualité pour la première fois et c’est
dans une relation avec un adulte et parfois un parent. Cette expérience est d’une
extrême violence destructrice.
Normalement, les sensations et les émotions qui sont liées à la sexualité se
découvrent petit à petit et dans le temps. Il y a d’abord la masturbation, dès l’âge
de trois ans. Puis à l’adolescence, avec la poussée hormonale, le désir sexuel se
constitue et va conduire l’adolescent à en rencontrer un autre avec lequel il va
flirter et découvrir petit à petit les sensations que donnent de nouvelles caresses,
de nouveaux attouchements.
Plus tard, ils se donneront une relation sexuelle plus pleine avec pénétration.
Dans l’abus, l’enfant est envahi de sensations auxquelles il n’est pas préparé,
dont il n’avait pas envie. Il recherchait la tendresse, il reçoit du sexe !
Son système sensoriel est saturé, son système émotionnel est trompé.
L’abuseur n’a aucune idée de la destruction qu’il provoque… Il met l’accent sur la
relation à l’enfant objet et non sur ce qu’il fait à cet enfant (« c’est parce que je
t’aime que je te fais cela »).
Mais l’enfant lui, ne peut mettre aucun mot, aucun sens à ce qu’il vient de vivre.
Il ne détient que des mots d’enfants, des désirs d’enfants et des sensations
d’enfants pour parler de quelque chose qui est arrivé dans son corps qui n’était
pas mûr, pas prêt à recevoir une sexualité adulte.
Cet apprentissage déplorable de la sexualité restera imprimé en lui, souvent de
façon définitive.
Mais c’est une violence encore pire qui est faite à la psyché : l’inceste a la très
funeste capacité de cumuler la violence par le traumatisme et la violence par la
disqualification.
Freud a été parfaitement clair : le traumatisme, c’est l’excès, étant bien entendu
que cet excès est relatif à la capacité actuelle du sujet de lier psychiquement cette
quantité.
Quant à la disqualification, c’est autre chose : elle consiste en un discrédit porté
sur la valeur et la qualité intrinsèque des capacités et des accomplissements d’un
individu. C’est une atteinte narcissique : l’inverse de la reconnaissance, au sens
de la qualification positive, des capacités manifestes ou potentielles d’autrui ou
de soi-même.
Toute disqualification est une atteinte aux droits narcissiques, et constitue à ce
titre une frustration énorme.
b) la destruction de l’imaginaire
Cet enfant que l’on abuse alors qu’il est encore petit (avant 12 ans), ne pouvait
pas imaginer ce qui allait lui arriver. Il n’avait pas de désir sexuel adulte. La
sensation qui lui a été imposée ne peut pas s’intégrer dans un désir
fantasmatique.
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L’envahissement de son corps a détruit son intégrité.
Fernande Amblard parle des conséquences extrêmement lourdes pour les
personnes qui ont subi des attouchements nocturnes… Elles racontent souvent la
même histoire : une famille modèle souvent citée en exemple, une éducation qui
se veut rigoureuse et souvent rigide, une scolarisation dans les meilleures écoles
publiques ou privées… En pleine nuit, alors que la fillette dort comme savent
dormir les petits de six ou huit ans, papa entre furtivement dans la chambre, se
glisse ou glisse une main dans le lit de l’enfant et vient exciter son sexe. Elle se
réveille avec des sensations violentes, parfois un orgasme et quand elle réalise ce
qui vient de se passer, le monde s’est effondré, elle n’est plus une petite fille, elle
n’a plus de papa.. Son monde a basculé.
L’adolescente a pu fantasmer un rapprochement corporel avec par exemple un
père,un beau père, ou tout autre personne en charge de son éducation ; mais c’est
du fantasme : c’est ce qui reste de la relation oedipienne, du désir fantasmatique
d’appartenir au parent du sexe opposé au sien(quand je serai grande, je me
marierai avec papa ou quand je serai grand je me marierai avec maman) .Dans le
passage à l’acte de l’abuseur il n’y a pas eu de limites entre le fantasme et la
réalité.
L’imaginaire est construit entre autres sur un mélange de fantasme oedipien et
de non passage à l’acte !!!
Le passage à l’acte, massif, brutal, détruit l’accès au fantasme puisque celui-ci
peut désormais être suivi de réalité.
L’abus a tué l’imaginaire.
De fait, ces enfants ne jouent plus, ne rêvent plus et deviennent factuels.
C’est ainsi que dans la cour de récréation, soit ils resteront seuls, soit ils
reproduiront sur d’autres ce qu’on leur a fait, soit ils auront un comportement
« anormal ». Les petits garçons essayeront de toucher le sexe des petites filles, les
petites filles montreront ostensiblement leur culotte ou leur sexe dans des gestes
très provocants. Alors attention à ne pas traiter cet enfant de vicieux, mais à
écouter ce qu’il dit à travers un comportement « anormal ».
c) l’enfant n’a plus de place, il n’est personne.
L’inceste, comme l’abus sexuel, constitue une relation symbiotique où l’altérité
n’existe pas. L’enfant n’est pas une autre personne, il n’est pas autre que
l’abuseur.
Dans l’évolution normale de l’enfant, il y a création de sa subjectivité en tant
qu’être sujet et cela, grâce à l’intervention d’un tiers « c’est le regard de l’autre
qui me constitue »nous dit Martin Buber dans son livre « je et tu »(1998).
Dans la symbiose, il n’y a pas passage au sujet autre. La relation sexuelle entre
des adultes est une symbiose acceptable parce que après l’acte, chacun redevient
sujet autre.
(les couples très fusionnels ont souvent des difficultés sexuelles, la fusion des
corps étant vécue comme l’effondrement du dernier rempart à l’altérité).
17
Dans ce non-respect de l’enfant en tant que sujet ou autre, l’enfant est chosifié, il
n’est plus une personne mais un objet sexuel. Il perd ainsi sa place en tant
qu’individu dans un lien social (et familial en cas d’inceste). Il ne peut plus se
donner de place en tant qu’être sexué. Il n’a plus d’identité sexuelle à l’extérieur
de la relation abusive. Il est nié dans sa personne d’enfants, dans sa place
d’enfant au sein de la dynamique familiale et où sociale. Les rythmes de son
évolution sexuelle, physique et psychique n’ont pas été respectés.
d) l’enfermement dans la solitude
L’enfant qui subit l’inceste, se trouve plongé dans une telle confusion que tous ses
repères antérieurs volent en éclats. Il est saisi dans une pétrification
extrêmement lourde, paralysante.
Il est pris dans une confluence entre l’acte incestueux et lui-même. Lorsque ça lui
arrive, il se dit : « demain je le dirai à ma mère ».
Le lendemain, il ne peut rien dire. Il s’enferme ainsi dans son secret. Plus tard, il
se sentira coupable de n’avoir rien dit.
Au secret est liée la honte .Il se sent sale, souillé, avec l’idée vague qu’il mérite ce
qui lui est arrivé voire même, qu’il en est responsable.
C’est peut-être aussi parce qu’il n’y a pas d’altérité que la personne ne peut pas
sortir de son secret. La révélation du secret, par la réaffirmation formelle de
l’interdit, par la condamnation publique, réintroduit le tiers préalablement
absent. Ce tiers qui fait que l’abuseur et l’abusé ne sont pas indissolublement
liés.
5) Conséquences de ces destructions
De la confusion à la psychose
Pour ne pas ressentir l’insoutenable excitation dans son corps, l’enfant va se
couper de son ressenti comme il s’est coupé de son secret.
La personne semble assez insensible… Pourtant comme avant elle sent mais elle
ne sait pas que faire avec ses sensations. Elle ne se pose pas la question de savoir
ce que ses émotions signifient. Il deviendra juste urgent pour elle de calmer ce
qui est présent en elle, mais comme elle s’est coupée elle n’en connaît plus le sens
et donc ne sait pas donner la bonne réponse. La boulimie, l’anorexie, la drogue et
l’alcool tenteront d’assouvir un besoin pour calmer une sensation qui n’est même
pas repérée. Elle pourra entrer dans des colères terribles, des états de tristesse
qui pourront l’amener à vouloir arrêter cela par tous les moyens, y compris la
mort. Et ce comportement peut perdurer toute la vie si rien ne vient donner du
sens.
18
En passant par la culpabilité et la honte
La personne victime d’inceste et d’abus sexuel aura donc du mal à créer des liens
affectifs. Son besoin de tendresse, d’attachement a été pris dans une dynamique
fausse. L’idée que son père, sa mère, ou un proche « a fait ça » est insoutenable.
Alors elle se pose la question : « qu’est-ce que j’ai fait pour que ça m’arrive ? »
Et pour peu que l’abuseur ait insisté sur la responsabilité de l’enfant dans l’abus,
qu’il ait rejeté la responsabilité sur l’enfant (c’est toi qui l’as cherché, tu n’as eu
que ce que tu mérites), il se crée alors un mécanisme d’identification.
L’enfant se sent coupable, à la place de l’abuseur : la confusion devient totale.
Il faut savoir qu’en cas d’inceste, il est plus facile pour l’enfant de prendre la
faute sur lui, de se sentir un mauvais enfant et ainsi de préserver la certitude
d’avoir de bons parents.
Il est dans la culpabilité mais aussi dans la honte de n’être pas digne de respect
et d’amour.
Y a-t-il une distinction à faire dans le cas où l’inceste a été perpétré avec
consentement de l’abusé ?
A partir de quel âge peut-on parler de consentement ?
C’est une question difficile …Ce qui est sûr en tout cas, c’est que cet élément va
lui rendre les choses encore plus confuses et plus culpabilisantes…
L’enfant (ou l’adolescent) normal utilise la séduction entre autres moyens pour
entrer en relation avec l’autre.
La séduction est normale et l’adulte garde toute responsabilité s’il profite de cette
séduction pour justifier son comportement.
Plus tard, la conséquence pour la personne sera que « lorsqu’elle tentera de
séduire, l’autre va la détruire ».
Alors, souvent de façon compulsive, l’adolescent va tenter la séduction, avec peutêtre le souhait inconscient que cette fois elle (où il) sera aimé(e) pour qui il est, et
non pour son sexe.
Et bien évidemment, il va se mettre en danger.
C’est ainsi qu’on peut rencontrer des femmes qui ont été violées plusieurs fois.
Ces femmes séduisent sans se poser la question de leur désir (ai-je envie d’une
relation avec cet homme ?)
Plus tard ces femmes seront incapables d’exprimer clairement leur désir,
puisqu’on ne leur a pas donné le temps ni la possibilité de s’interroger par
rapport à leur désir.
Les hommes, eux, risquent d’avoir ce même comportement avec des hommes dans
des relations homosexuelles.
S’il y a eu jouissance et plaisir physique de la victime au cours de l’acte abusif, la
culpabilité s’en trouve encore accrue : « puisque j’ai eu du plaisir, je suis pervers »
L’incesté est en confluence avec son agresseur qui est, lui effectivement dans son
plaisir par la satisfaction perverse de son désir.
La confluence est une façon d’être avec l’autre comme s’il n’y avait pas deux
personnes, mais une seule : c’est ce qui existe dans les tout premiers mois de la
vie où le bébé ne sait pas encore que sa mère et lui sont deux, il croit que le sein
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qu’il tête est une partie de lui. Une mère « normale » lui apprendra à petit à petit
à défusionner d’avec elle.
Ce qui fait que l’enfant, et plus tard l’adulte, se trouvent piégés par cette notion
de plaisir : tout plaisir corporel réveille l’expérience de sa perversité.
Ces personnes clivent la sexualité, la corporalité et le plaisir de la relation
affective.
Pour l’enfant qui a subi l’inceste, la possibilité de lien d’amour est durablement
altéré : le lien structurant parent enfant a été trahi, perverti, dans un acte qui ne
peut pas avoir de sens pour lui, où le sexe a remplacé le respect et l’amour. La
capacité à aimer est forcément ébranlée et pour le moins impossible à conjuguer
avec la sexualité.
(La corporalité comprend toutes les relations corporelles exprimant la tendresse
qui ne sont pas sexualisées : Les câlins, les bisous, les massages etc. qui ne sont
pas donnés dans l’idée d’aboutir à une relation sexuelle).
Ces personnes peuvent avoir de multiples partenaires, parfois simultanément,
dans une recherche d’assouvir leurs besoins sexuels, mais aucun partenaire n’est
investi. Et si elles créent une relation d’amour, la sexualité deviendra difficile,
voire impossible : elles seront dans l’incapacité de vivre le désir et le plaisir
sexuel dans une réelle relation d’amour. (Voir film Shame).
L’incapacité à s’opposer, à dire non.
L’envahissement corporel détruit la notion de limites : il n’y a pas de limites
corporelles, il n’y a pas de limites de génération. Souvent cet état de non limites
préexistait à l’abus.
Ces personnes ne savent pas dire non. Elles laisseront l’autre l’envahir sans
résistance, sans même se rendre compte de l’envahissement. Elles sont sous
l’effet d’une sidération, dans laquelle elles ne savent pas imposer à l’autre leurs
limites, elles restent sous l’emprise de l’autre.
Plus tard, elles se laisseront envahir par un conjoint exigeant, par leurs enfants
et leurs amis ; elles seront l’objet de harcèlement conjugal ou professionnel.
Pour cet enfant lorsque l’abus a eu lieu la construction de la personnalité était
inachevée et parfois déjà entravée par le fait que l’inceste était possible dans
cette famille.
La vie sexuelle a interrompu la construction d’identité en ce sens que l’identité
s’est désormais construite sur l’abus.
Dès lors, en vieillissant (on n’ose pas dire en grandissant puisque sa croissance
psychoaffective est stoppée), il ne saura plus ce qu’il ressent puisqu’il s’est coupé
de son ressenti ; le désir est devenu pervers ; le plaisir est ambigu ; le lien
d’amour trop dangereux ; la sexualité n’a aucun sens, et de toute façon, ne peut
pas s’inscrire dans un lien d’amour. Ce qui domine le tout est la honte.
Bien évidemment, le devenir de cette personne est perturbé avec les risques
graves qui s’étaleront dans le temps. Ce sont :
- La délinquance, les troubles caractériels
- L’échec scolaire puis professionnel
- Les troubles de la vie sexuelle et affective
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- L’anorexie, la boulimie, l’alcoolisme et toutes les addictions
- La délinquance, la prostitution
- Les tentatives de suicide ou les suicides réussis
- Les bouffées d’angoisse
- Les bouffées délirantes, la psychose
- Les dépressions chroniques
- Les troubles graves de l’image corporelle
- Les rituels obsessionnels de lavage
- La reproduction à la génération suivante de l’agression sexuelle
- Une sexualité compulsive ou absence de sexualité
- L’incapacité de vivre simultanément une relation d’amour et une relation
sexuelle
Ces conséquences peuvent avoir une autre origine que l’abus sexuel, mais il est
important de penser à cette cause devant de tels comportements pathologiques.
L’incesté, devient un éclopé psychique : il ne peut plus se fier à ses désirs, à ses
vœux, à ses fantasmes, à ses pensées, à ses imagos, à son corps.
À quel objet pourrait-il encore se fier ? Son corps lui échappe, et son moi se perd.
Il se croit coupable alors qu’il est victime !
Racamier parle d’abus narcissique…Parce que l’adulte a imposé son propre
narcissisme au détriment de celui de l’enfant .Il parle d’abus narcissique par
référence évidente à l’abus sexuel… L’abus narcissique est sans doute moins
voyant que l’abus sexuel, mais non moins important… C’est bien lui qui est à
l’origine de tout abus sexuel.
L’inceste apparaît donc comme ultime remède, tant pour l’adulte afin de garder
cet enfant qui s’obstine à croître, que pour celui-ci, afin, peut-être de combler
enfin cet adulte depuis toujours insatisfait !
21
Chapitre 3 : Ce qu’il faut savoir pour notre posture
thérapeutique.
Michel Delbrouck nous dit que dans toutes les civilisations deux tabous existent :
Celui de l’interdit de l’inceste et celui de l’interdit du parricide.
Dès Babylone XVIIIe siècle avant notre ère, des lois ont été rédigées : « pour que
la justice règne dans le pays, pour détruire le mal et les méchants, pour que les
puissants ne puissent pas opprimer les faibles ». Les abus sexuels étaient
sévèrement réprimés en cas d’inceste.
Racamier nous dit bien avec son travail proposé sur l’incestuel, l’interdit de
l’indifférenciation.
Le principe de base le plus fondamental en matière d’enseignement de la
sexualité reste l’interdit de l’agir même si comme le rappelle Hubert Van
Gijseghem, « on ne peut nier qu’il existe des désirs érotisés dans le côtoiement
quotidien entre parents enfants ».
Françoise Dolto nous dit que c’est par la parole du père et les exemples donnés
par lui du respect des femmes, de sa femme et de ses filles, que le garçon saisit la
différence avec son plaisir urétro anal de se rendre maître du corps de l’autre, de
le persécuter agressivement pour se sentir viril ».
La castration oedipienne, c’est : je t’interdis ta mère, parce qu’elle est ma femme,
et qu’elle t’a mis au monde.
Les deux sont importants.
Tes sœurs te sont aussi interdites sexuellement que ta mère.
Mélanie Klein explique bien que l’activité fantasmatique de l’enfant débute dès la
naissance et que l’enfant appréhende son premier objet d’amour, sa mère sous
forme d’objets partiels, comme les seins, la tête, les fesses, le haut, le bas, le
devant, l’arrière. La manière dont va se passer la première partie de la vie de
l’enfant va être fondamentale dans sa capacité à entrer en contact avec le monde :
les fondements même de la bien ou maltraitance de l’enfant réside dans le bon
accomplissement de cette période cruciale.
L’empathie, l’attention, les bons soins donnés par la « suffisamment bonne mère »
vont générer ou non sa capacité future à objectiver l’autre dans la globalité de son
être et non de manière clivée, partielle, réduite.
De nombreux auteurs ont étayé ces hypothèses dont Winnicott, Balint, Bion et
d’autres post Kleiniens.
Le dire de la prohibition de l’inceste fait sortir le garçon de l’oedipe.
Il fait au contraire entrer la fille dans l’oedipe.
22
Le désir d’identification de la fille à sa mère la conduit, comme l’explique
Françoise Dolto, à « désirer avoir les prérogatives que son père reconnaît à sa
mère. La fille ne peut entrer dans l’oedipe que par la condition de tenter de
transgresser l’interdit de l’inceste, en faisant tomber son père dans son piège
séducteur. Mais la fille n’a pas les pulsions centrifuges péniennes actives du
garçon… Dans la réalité son désir c’est « de plaire ».
Il s’agit donc de donner de la place au père, et non seulement une place, mais
comme le dit la psychanalyste française Christiane Olivier, une bonne place.
Et de se rappeler qu’une mère materne et qu’un père paterne… chacun sa
fonction !
C’est quoi une bonne place ???
Parce que comme le dit Stromae, tout le monde sait comment on fait des bébés,
mais personne ne sait comment on fait des papas !
Dans le livre de Nina Canault : « comment paye-t-on les fautes de ses
ancêtres » ?, la psycho généalogie interroge ce mouvement d’allée et venue entre
déterminisme et libre arbitre, à la faveur duquel chacun peut situer sa loyauté de
sujet membre et accéder à la souveraineté de sa vie.
L’ancien testament est un texte dont la force est de mettre l’accent sur la
nécessité pour l’homme de s’assumer comme un être de langage.
L’étude des arbres généalogiques permet de comprendre comment les impensés
(c.à.d. les défauts de parole), les hiatus dans le système de représentations avec
lequel nous affrontons le monde, et que nous transmettons à nos descendants,
jouent un rôle dans l’extinction d’une famille.
Un excès de fantômes (tout ce qui occupe une personne à son insu) et on voit des
lignées s’éteindre par cancer, psychose de l’enfant, suicide ou autres accidents de
la vie.
La bible attribue aux pères la responsabilité de la transmission de la faute…
(L’impensé).
Alors, finalement, qui est responsable ???
Les pères, les mères ou les deux ??
La bible fonde le patriarcat, ce qui fait qu’elle assigne les pères à un travail de
parole, parole qui, pour reprendre l’image biblique, permet, dans un troupeau, de
séparer l’agneau de sa mère.
La fonction paternelle a pour tâche de remettre de la parole là où il n’y a eu que
du corps car en naissant, un enfant s’incarne avant de savoir parler.
Sachant communiquer par le corps avec sa mère, il est corps avant d’être verbe.
Et la femme aussi, inéluctablement, puisqu’elle donne le corps, est du côté de la
fonction maternelle.
La bible dit aussi que si les mères commettent des fautes (exemple : une
séduction narcissique qui n’en finit pas !!), ce sont les pères qui en portent
l’entière responsabilité car c’est à eux de séparer l’enfant de sa mère.
Il faut une complicité paternelle et maternelle dans les impensés, pour que
l’enfant reprenne à son compte un fantôme, car en fait, il suffit que n’importe
23
quel traumatisme, aussi grave soit il, soit parlé au lieu d’être tu, pour qu’il
disparaisse.
Le fantôme se transmet quand le père joue le même jeu que son épouse et qu’il
cache, lui aussi, la vérité aux enfants sur un événement tragique ou douloureux
de l’histoire familiale.
Et si le père ne peut contrebalancer la mère, être pour l’enfant un espace de
construction autre et différent d’elle, lui permettant d’élaborer son identité
mentale, bref, si le père se comporte comme une mère ou une doublure de mère, il
écrase son enfant.
La maladie mentale, de la névrose jusqu’à la psychose est, selon Nina Canault un
défaut de la fonction paternelle. Ce qui veut dire que si les pères se comportent
comme des mères ou s’ils cautionnent le pouvoir des mères sans réfléchir à leur
propre rôle et à leur pouvoir, cela donne des enfants qui, comme en témoigne
toute sa clientèle, ont l’impression de ne jamais avoir eu l’occasion de rencontrer
leur père.
Et c’est bien un grave problème de notre époque.
24
Chapitre 4 : La prise en charge de ces patients
Ou, comme le dit Fernande Amblard « comment panser l’impensable et vivre
pleinement sa vie d’adulte malgré un abus sexuel dans l’enfance » ?
 Le travail thérapeutique va se construire avec la reconnaissance de la
violence du traumatisme,
 La nécessaire période de victimisation dont il faudra sortir,
 L’accueil de l’énorme souffrance.
Le développement affectif de la personne a été entravé par le traumatisme.
C’est un long chemin où des étapes seront à franchir, souvent douloureusement.
Chaque personne devra aller à son rythme et jusqu’où elle peut aller…
Le thérapeute se devra d’être d’abord dans le respect de la personne et de son
cheminement…
Il devra se rappeler en permanence qu’il serait désastreux de la violer une
nouvelle fois en la forçant d’une quelconque façon à aller trop vite par exemple…
Il serait tout aussi désastreux de ne pas entendre ce que la personne a à dire,
alors que les mots pour en parler font déjà terriblement défaut.
25
Chapitre 5 : Les propositions de Fernande Amblard et Paul
Claude Racamier
1) L’écoute thérapeutique
C’est la qualité de relation entre le thérapeute et le client qui lui permettra de
s’ouvrir.
Pour Fernande Amblard, la bonne distance est la clé de voûte de la relation
thérapeutique. C’est ce qui a fait si cruellement défaut : il y a eu invasion par le
persécuteur, vide affectif et manque ou absence d’écoute de l’entourage.
Pendant les années de recherches sur ce thème, les participants du groupe de
travail sur l’abus sexuel ont été surpris du nombre croissant d’aveux d’abus qu’ils
ont recueilli. Il ne fait aucun doute que leur attention bienveillante à cette
problématique a incité leurs clients à se livrer, avec la certitude que leur parole
sera entendue et bien accueillie.
Le thérapeute sera avec la personne dans l’empathie, cette capacité à entendre
sans jugement et surtout sans interprétation, à être attentif à l’émotion qui est la
leur, à l’accueillir et la partager sans être submergé.
Fernande Amblard raconte que plusieurs clients lui ont dit avoir été ulcérés
quand, évoquant l’abus à leur thérapeute, ils ont senti un doute chez ce dernier,
un ton de voix ou une question qui laisserait entendre qu’ils ne sont pas crus.
Pis encore, plusieurs ont entendu qu’il n’avait pas réglé leur complexe d’Œdipe !
Cela ajoute encore à leur culpabilité et à leur honte ; le risque est qu’ils se
referment à nouveau sur eux même et sur leurs secrets.
L’écoute chaleureuse, l’attention, la reconnaissance de la violence du
traumatisme et le fait de nommer « crime »ce qui s’est passé (car juridiquement,
il s’agit bien d’un crime) sont à poser avec toute la délicatesse nécessaire pour que
les personnes se sentent entendues, comprises sans jugement ni sur elle-même ni
sur leur agresseur (qui rappelons-le peut-être un proche aimé) et sans violence.
Le thérapeute devra dire à la personne que ce qui s’est passé n’est pas normal,
qu’il s’agit d’un crime condamné par la loi et affirmer que c’est l’adulte seul qui
est responsable, même si, enfant ou adolescent, la personne était consentante,
même si la personne a pu jouir pendant l’abus …
La parole posée par le thérapeute sera celle des limites entre adultes et enfants :
« même si la personne a désiré cette relation, c’était le rôle et le devoir de l’adulte
de dire non ».
Elle est de rétablir la loi et de dénoncer les abus comme un acte condamné par la
justice.
Elle est de reconnaître la personne comme victime.
Cette parole est sécurisante et très déculpabilisante.
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2) Un cadre à replacer : (Racamier)
La règle essentielle est de parole et de non action.
Des règles à édicter… Elles concernent le temps de séance, l’horaire des
rencontres, leur lieu, leur payement.
Une fois la règle dite, les infractions et les effractions seront repérées et
signalées.
En défendant l’intégrité de votre aire thérapeutique, c’est du même coup
l’intégrité de l’aire psychique de vos patients et de leurs familles que vous
défendez, et que, par chance, peut-être, vous allez restaurer.
Il se peut au contraire que l’incestuel oppose une résistance tenace à l’imposition
du cadre et de l’autorité.
Résistance frontale, visant à faire éclater le cadre ; ou résistance insidieuse,
visant à le distendre jusqu’à le rendre inconsistant. Face à ces résistances, le
risque est grand de vous enfermer dans une autorité rigide, soit au contraire de
vous laisser complaisamment rouler dans la farine : difficile de rester ferme sans
s’enraidir…
L’imposition de règles à des personnes qui les tiennent a priori pour nulles ou
même haïssables ne leur procure de prime abord aucun plaisir.
Il faut attendre la réaction seconde…
Alors soit rien ne se passe ; l’attitude et les manières de la famille, les symptômes
du patient ne varient pas ; voire même la pathologie s’accentue. Tels seront les
signes d’une résistance au changement.
Ou bien un vent nouveau se lève… L’irritation du début le cède à un certain
soulagement en profondeur ; une meilleure coopération survient ; une confidence,
une vérité se fait jour ;
Un symptôme s’allège ; un geste s’esquisse ; une initiative se dessine. Tels sont
les signes d’une réponse positive, et elle est capitale, car elle prouve que le règne
de l’incestuel n’est pas irrésistible et que si vous y mettez une limite, il recule…
3) La neutralité bienveillante du thérapeute est insuffisante, elle
ressemble trop à l’indifférence qui a entouré le secret. (F. Amblard)
Comme Fernande Amblard le dit, les personnes ont enfoui le secret de l’abus et la
honte qui l’accompagne et ont tenté de tout oublier. Mais le secret n’a pas été
évacué, il est seulement clivé et peut ressortir, souvent dans les conduites d’échec
que nous évoquions tout à l’heure.
Ces personnes vivent du mieux qu’elles peuvent, souvent avec des difficultés de
relations pour lesquels elles sont rejetées par l’entourage ce qui les renforce dans
l’idée qu’elles sont mauvaises et qu’elles ont mérité ce qui est arrivé.
Elles vivent alors avec leurs souffrances et leur solitude parfois pendant des
années, parfois toute leur vie sans faire le lien entre le traumatisme et ce qui se
passe au quotidien.
27
Elles ont pris l’habitude de ne pas faire attention à elles, de ne pas sentir leur
souffrance et elles n’en voient que les conséquences : leurs difficultés de vie. Mais
comme le dit Marie Balmary: "quand on dénie la souffrance, on emmène dans le
déni toute une partie de la conscience qui est liée à la souffrance."
Ces personnes, comme des valeureux soldats avancent comme elles peuvent dans
cette vie.
À un moment donné, elles vont faire le lien entre ce qui se passe aujourd’hui et
qui s’est passé hier et elles vont pouvoir le dire. Et quand elles le disent c’est
souvent la première fois qu’elles en parlent depuis que c’est arrivé.
Pourquoi était-ce si difficile à dire ???
Et pourquoi ensuite, ces personnes se reprochent elle d’avoir gardé le secret ???
Il est difficile pour un enfant de parler de ce qui lui est arrivé parce que l’abus l’a
mis dans une sidération. Il ne comprend pas, il n’a pas de mots pour dire ce qui
s’est passé…
De plus, la plupart du temps, l’agresseur impose le silence soit sous la menace («
si tu en parles, je te tuerai et je me tuerai après»), soit dans la séduction (« c’est
notre secret à tous les deux, personne ne doit savoir qu’on s’aime»).
Il y a aussi la honte, l’enfant se sent sale, d’autant plus qu’il se sent responsable
de l’acte. Là aussi, il est souvent manipulé par l’agresseur qui lui reproche d’avoir
eu envie de cela et d’aimer « ça ».
Comment l’enfant dans une telle confusion et dans une telle honte pourrait-il
parler ?
En fait, l’enfant a souvent tenté de dire avec ses mots à lui ou tout au moins
d’envoyer des signaux aux adultes. Mais ceux-ci sont restés sourds ou même
rejetant et l’enfant s’est enfermé dans son mutisme. Il a grandi et enfoui autant
que possible son secret, parfois même il l’a clivé, il a oublié. C’est ainsi
qu’aujourd’hui encore ces personnes vivent avec cette crypte qui les empoisonne à
leur insu.
Pour Racamier, il est vain de tenter de purger les secrets tels des souvenirs
traumatiques, de les extraire telles des tumeurs obstructives…
Vaines tentations que celles là, ne serait-ce que parce que tout secret que l’on
épluche est aussitôt remplacé par un autre avec plus de prestesse encore que
l’hystérie de jadis assurait la relève des symptômes de conversion levés par
l’hypnose, si bien que le feu que l’on croyait avoir éteint se rallumait ailleurs.
Cependant les secrets ravageurs sont comme des loups, ils voyagent en bande. Ils
s’assemblent et constituent un registre. C’est un registre encombrant mais
rassurant : leurs détenteurs n’y trouvent rien de moins qu’une assurance survie.
L’illusion de pérennité qu’elle leur assure, ils ne sont pas prêts à l’abandonner,
pas plus que les anorexiques, ces autres cultivateurs ou cultivatrices de fétiche,
ne sont pas prêts à renoncer à leurs illusions de suprématie sur les exigences
biologiques de leur corps. Pas plus qu’on ne peut forcer ces anorexiques à
renoncer à leur (quasi délirante) illusion, on ne peut contraindre les gens et les
familles qui s’estiment détenteurs du secret de la survie, de s’en dessaisir. On ne
réussit jamais à combattre une contrainte par une contrainte opposée.
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De là vient la règle bien connue de ne pas s’attaquer directement aux secrets
lorsqu’ils sont aussi jalousement gardés… Une règle qui ne doit cependant pas
nous réduire à l’impuissance
4) Interpréter la mise au secret (Racamier)
Est à interpréter comme telle l’illusion de pérennité, cette illusion grandiose et
réparatrice dont la grandeur même vise à estomper la tache que porte en elle la
matière à secret : la honte jamais bue, le deuil jamais fait, la déchirure ouverte
par la rupture du fil des origines. Ce sont des terres blessées qui s’ouvrent à nous
.Il est passionnant et touchant d’observer que si le sujet ou la famille supporte
d’aborder avec nous ce domaine sensible, d’entrouvrir le coffre au secret, et de
baisser la garde de l’illusion omnipotente, c’est un monde qui se découvre, moins
grandiose, mais plus vivant.
5) Interpréter l’interdiction de savoir et de dire.
Si nous n’avons pas à obliger les gens à savoir et à dire, en revanche nous avons à
leur montrer qu’ils en ont peur parce que c’est défendu.
Par qui est ce défendu ?
Voilà qui souvent remonte fort loin et se perd dans la nuit des âges : l’interdit est
transmis comme un bien de famille.
Pourquoi cette défense ?
À peine si cela se devine, mais c’est toujours à partir d’un amalgame narcissique.
Ce qui compte le plus quant au secret, c’est moins son contenu que sa nécessité
psychique
et, lorsque celle-ci est pressante, elle exerce une contrainte telle que la trame de
secret devient impénétrable ; il se peut que nous ayons alors à reconstituer des
parcelles véridiques à partir de l’amalgame de vérité et de mensonges dont est
faite la matière du secret.
Reconstituer la trame des origines ; renouer le fil des antécédents et qu’importe
après tout que ce fil soit historiquement juste ou biaisé…
Qui donc, en effet, pourrait sans quelque folie se targuer d’être au clair avec
l’histoire de sa vie et de sa famille ?
Il faut beaucoup de patience pour interpréter et pour lever l’interdit du savoir.
Il faut beaucoup de prudence et de ténacité pour démêler la vérité du mensonge !
Il faut beaucoup d’alliance positive pour ne pas augmenter les résistances (film
Festen)
Et à partir du moment où nous autres, thérapeutes, connaissons les résistances
auxquelles nous avons à faire (cette illusion de pérennité qui ne demande qu’à
nous échapper, et cette interdiction de savoir qui n’est jamais sans nous atteindre
de son ombre), notre attitude profonde s’éclaire et se renforce, de même que notre
disponibilité et celle de nos patients.
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6) Travail sur les émotions
"Il y aura aussi à aider la personne à recontacter ses émotions…( Fernande
Amblard )
Parfois la révélation de l’abus se fait avec une forte décharge émotionnelle et il y
a bien sûr à accueillir cette émotion avec bienveillance et compassion. Pas de
démonstration de tendresse. Les gestes, les paroles, l’intonation de la voix seront
mesurés : la personne a été abusée et il ne faut jamais perdre de vue que le
thérapeute est pour elle un abuseur potentiel.
Il faudra être là, bien présent mais pas envahissant…
C’est souvent un soulagement pour la personne qui n’a pas eu la possibilité de
sentir sa détresse, sauf dans la solitude.
L’abus est parfois dénoncé « mine de rien », c’est-à-dire que la personne s’est
coupée de son émotion. Elle racontera son drame comme si elle parlait de
quelqu’un d’autre… Elle peut dire d’ailleurs : « je ne sais plus si c’est vraiment à
moi c’est arrivé. »
La personne a clivé la souffrance de l’abus et tout l’émotionnel qui y est lié.
 Effectivement ces personnes peuvent parler de cet épisode de leur vie comme
un événement banal et sans importance et guetteront la réaction du
thérapeute. Si le thérapeute ne bronche pas, la personne risque de ne pas
aller plus loin.
 Certains patients qui ont subi des abus répétés peuvent décrire le phénomène
suivant : « pendant que ça se passait, je me réfugiais ailleurs.»
Pour une personne, c’était les verroteries de couleur du lustre de la chambre,
pour une autre, pour cet homme, il n’était tout simplement plus là.
C’est comme si la personne avait préservé du désastre une partie d’elle (son
âme ?), en se coupant d’elle-même.
Le rôle du thérapeute va être de réunifier la personne, de lui permettre de
retrouver ses sensations, de renouer avec ses émotions et de se sentir ainsi
appartenir à la communauté des humains : retrouver son âme !
Comment rétablir le courant, l’unité entre le corps, le cœur (émotion et capacité
relationnelle), et l’esprit (intelligence et spiritualité) ?
La gestalt propose le travail sur l’awareness qui permettra cette réparation…
To be aware : être en éveil, attentif à soi.
Et petit à petit, la personne pourra répondre à :




Que ressentez-vous ?
Que faites-vous ?
Que pensez-vous ?
Que voulez-vous ?
C’est l’objectif de la thérapie… Quand une personne est à tout moment
consciente de ce qu’elle ressent, de ce qu’elle fait, quand elle peut penser et savoir
ce qu’elle veut, et mettre cela en mots, alors elle n’a plus besoin de thérapie.
30
Le thérapeute sera l’observateur et le miroir de qui est la personne ; avec la
personne, le thérapeute tentera en permanence de donner sens à ce qui se passe
dans la relation thérapeutique. Au-delà des mots et de ce que la personne
prononce, il y a la façon de dire les mots, il y a les gestes, les crispations, les
micros signaux corporels qui accompagnent le verbe. À travers ce langage
corporel, majoritairement inconscient, la personne exprime les émotions qu’elle
ne connecte pas. Il faudra donc l’aider à conscientiser son langage corporel et à
lui donner sens dans son expérience personnelle.
C’est une co-construction de sens !
 Le thérapeute devra parfois prêter « son moi ».
Exemple : ce que vous me dites me donne des frissons, bien, je me sens en colère
contre la personne qui vous a fait cela.
C’est donner la possibilité à la personne de s’autoriser à ressentir elle aussi, de
l’effroi ou de la colère.
 Dans ce magma émotionnel, la personne évoque souvent sa culpabilité… «
C’est de ma faute »… Mais en fait, le plus souvent c’est la honte que la personne
ressent. La culpabilité se réfère au faire, à l’idéal du moi : « je n’aurais pas dû
accepter, je n’aurais pas dû y retourner et j’aurais dû dénoncer », en somme, «
j’aurais dû faire mieux ».
La honte se réfère à l’être, au moi idéal : « je ne suis pas quelqu’un de bien ».
C’est beaucoup plus douloureux et c’est difficile d’en sortir.
Le ressenti de honte est pénible, c’est l’envie de disparaître, de ne pas exister.
L’idée est bien que « si cela m’est arrivé, c’est que je le mérite puisque je ne vaux
rien ».
La mise en mots de ce sentiment de honte est capitale dans ce travail
thérapeutique. La reconnaissance de la honte est la première étape pour sortir de
la honte !
 La dépression est également un ressenti pénible à contacter et pourtant
incontournable…
La personne a souvent évité cette sensation par une réaction de type maniaque…
Par exemple elle va multiplier « le faire » dans une hyperactivité, parfois par
une sexualité débridée où elle additionne les conquêtes et dans ce brouhaha, elle
n’a pas le temps de sentir sa souffrance.
C’est aussi en transformant la tristesse en agressivité que la personne évite de
sombrer dans la dépression. Cette agressivité quasi permanente brouille ses
relations. Dans l’agressivité la personne est en lien avec un autre, certes un lien
de mauvaise qualité mais existant. Alors que la tristesse ou la détresse, la
personne la vit seule.
Dans le lien thérapeutique, la personne n’est plus seule avec sa souffrance, elle
pourra donc s’autoriser à la ressentir petit à petit.
C’est d’ailleurs souvent au moment où la personne n’a plus pu contenir sa
dépression qu’elle a entrepris sa thérapie, ou parce que n’en pouvant plus, elle a
attenté à ses jours dans une tentative de suicide.
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 Dans la reprise de contact avec l’émotion, le thérapeute doit être vigilant à
souligner aussi les émotions « positives » et en particulier la joie… Une étincelle
qui s’allume dans le regard…C’est vrai que l’abus a cassé l’aptitude au bonheur
qu’avait l’enfant.
C’est un travail de longue haleine, mais qui permettra à la personne d’acquérir
la capacité de s’interroger sur ce qu’elle ressent et sur le sens que cela a dans son
actualité. Elle développera ainsi la possibilité d’apporter des réponses plus
créatives.
7) Réinvestir des alentours et des plaisirs. (Racamier)
Ce que perd le patient ou la famille qui renonce aux ligatures incestuelles, c’est
l’illusion de toute-puissance, l’illusion de toute jouissance, et l’éternité. À la place,
le deuil, la castration.
Il n’est donc pas simple pour le patient de renoncer ! Les résistances sont fortes.
Cependant, l’incestualité fait le vide autour d’elle.
Racamier dit :
« Le vent souffle chez les individus ; il souffle entre eux et dans les familles.
Partout où il souffle il fait le vide ; Il instille du soupçon, du silence et du secret ;
Il disperse la végétation, laissant cependant quelques plantes apparemment
banales, qui se révèlent urticantes. » Des territoires entiers d’investissement sont
désaffectés : d’où une déperdition désastreuse. Les amours sont condamnées. Le
narcissisme élémentaire est disqualifié : on le dirait évidé.
Racamier croit thérapeutiquement très important de travailler autour du noyau.
De requalifier le sujet. De réinvestir les territoires inoccupés. De les
réensemencer. Tout ce que le sujet gagne dans ces alentours sera gagné sur le
noyau mort. Tout plaisir réinvesti fera pièce à l’incestuel : les plaisirs libidinaux
et les plaisirs du moi sont anti incestuels.
Le territoire d’un rêve, des fantasmes, les découvertes quotidiennes et la création
rare, la foule de souvenirs d’enfance, les petits plaisirs et les péchés mignons : ce
que Racamier appelle le pain quotidien de la vie psychique, ce jardin de la psyché
que l’incestuel déserte dans sa course à l’absolu en est un antidote modeste et peu
remplaçable.
Un fil des origines, un filet de tendresse, la recette d’un plaisir et la caresse d’un
mot : autant de trésors gagnés en faveur de la vie.
8) Entendre la réalité de ce qui est dénoncé et reconnaître la
personne comme une victime. (Fernande Amblard)
Se reconnaître comme victime, voilà qui va être bien difficile pour la personne
elle-même… Car l’abuseur s’est débrouillé pour que l’enfant ou l’adolescent
endosse la responsabilité de l’adulte.
Souvent la patient dit en thérapie : « j’aurais dû refuser d’y aller, et pourtant c’est
bien moi qui retournait le voir. D’ailleurs quand j’ai dit que je ne voulais plus de
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cela il n’a pas insisté. » C’est vrai ! Mais ce n’est pas suffisant pour rendre
l’enfant responsable.
Cet abuseur était peut-être la seule personne à s’intéresser à l’enfant, la seule qui
lui apportait un peu de tendresse. C’est ce que venait chercher l’enfant, tendresse
et attention qui lui sont indispensables pour grandir. Le prix à payer était la
sexualité. Pendant un temps il a accepté ce prix et un jour il a trouvé que c’était
trop cher. Il a refusé la sexualité et la tendresse s’est arrêtée aussi. De plus il
s’est établi quelque chose de l’ordre de la compulsion, comme si l’enfant était
attiré par son agresseur.
C’est comme si l’enfant devait aller vérifier si cette fois enfin, l’adulte l’aimerait
pour lui-même et non son sexe, tout en ayant au fond de lui, la certitude qu’il
sera encore abusé.
Par ailleurs, il ne faut pas négliger les sensations que procurent à l’enfant les
caresses sexuelles : il a pu prendre du plaisir à ses caresses, il a peut-être
recherché ce plaisir.
Pour toutes ces raisons, l’adulte à la suite de l’enfant qu’il était continue à se
sentir responsable de ce qui est arrivé.
Mais, on ne peut pas être à la fois responsable et victime… !!!
Les personnes vont alors se positionner dans la vie comme victimes de situations
actuelles… C’est ainsi que nous rencontrerons des femmes qui sont violées
plusieurs fois, ou qui sont battues, mais qui sont incapables de faire le nécessaire
pour sortir de ces situations, voire qui, inconsciemment, les susciteront !
Ces personnes se plaindront de subir leur vie, tout en se sentant responsables de
l’abus subi dans l’enfance.
Elles ont déplacé l’ordre de la victime : elles ne se sentent pas victimes de ce qui
s’est passé alors qu’elles étaient un enfant sans défense, mais aujourd’hui elles
n’ont de cesse de dénoncer leurs bourreaux alors qu’elles sont en mesure de faire
cesser ces situations de maltraitance qu’elles subissent.
Parfois, elles auront tendance à se sentir responsable de tout et de tous, sauf
d’elles-mêmes…
Se reconnaître comme victimes innocentes suppose un douloureux travail de
deuil.
C’est reconnaître que cette personne proche (80 % des abus sexuels sont
perpétrés par des proches) s’est conduite de façon inacceptable et condamnable et
que c’est parfois la seule personne qui a prêté attention à l’enfant.
Se reconnaître comme victime, authentifier l’abus, c’est aussi reconnaître qu’on a
fait confiance à quelqu’un qui ne le méritait pas. C’est aussi reconnaître qu’on n’a
pas eu de bons parents pour nous écouter et nous soutenir.
Il est terrible d’avoir eu un père ou un beau père incestueux. !
Mais la souffrance est décuplée quand il faut s’avouer que celle ou celui qui
aurait dû nous aider dans ce combat, le conjoint de l’abuseur, notre propre mère,
se désiste dans son rôle de soutien, voire nous accuse et prend le parti de
l’abuseur.
C’est tellement plus simple de se dire qu’on a été un mauvais enfant… Avoir
« mérité » des mauvais traitements implique que l’on peut améliorer la situation
en devenant meilleur (culpabilité, réparation possible).
Alors qu’avoir des parents mal aimants ou maltraitants est sans remède.
Cela renvoie à la solitude et aussi à l’abandon !
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Souvent à cette étape de la thérapie la personne contactera une alternance entre
état dépressif et colère.
À ce moment le désir de dénoncer risque de monter… Mais à qui ? À la justice. À
l’abuseur ? À la famille ?
En tout cas il semble bien que le processus de guérison passe par la dénonciation.
Après des années de silence, l’envie est de dire, d’accuser, d’être reconnu
officiellement victime.
Tout se passe comme s’il y avait le besoin d’une reconnaissance sociale :
L’accusé est reconnu comme étant la victime et l’abuseur est dénoncé coupable.
Il est alors essentiel de donner cette juste place à la colère… Cette colère qui a
souvent été distribuée à tort et à travers puisque son objet, l’abus, n’était pas
reconnu, il était dénié.
Que ce soit en thérapie de groupe ou en thérapie individuelle le thérapeute devra
permettre à la personne de décharger toutes les colères amoncelées depuis
l’enfance.
Il devra être vigilant à ce que la dénonciation soit une mise en acte et non pas un
passage à l’acte qui risquerait de traumatiser encore davantage la victime et
peut-être l’entourage.
Un passage à l’acte serait par exemple un acte violent contre l’agresseur.
La mise en acte suppose que la personne devra construire une démarche qui
permettra la reconnaissance de son traumatisme… Ce n’est pas une démarche
facile… La justice ne peut pas condamner sans un minimum de preuve et un
abus perpétré dans l’enfance n’est pas facile à prouver à l’âge adulte. Ce serait
une nouvelle blessure que de débouter le plaignant. De plus, 10 ans après la
majorité de l’abus il y a prescription, donc pas de condamnation possible même si
les faits sont avérés.
Le thérapeute devra faire preuve de créativité pour aider la personne à imaginer
un acte de réalité qui lui permettrait de se sentir reconnue socialement sans
prendre le risque de se faire mal.
Ce peut être sous forme de lettre écrite à l’abuseur où la famille, si cela est
possible.
Cette lettre n’est pas nécessairement envoyée au responsable. (Il a d’ailleurs peut
être disparu). Mais elle sera lue par le patient au thérapeute ou au groupe
thérapeutique.
Ce peut-être aussi sous la forme d’un procès symbolique dans un groupe de
thérapie…
Le thérapeute peut mettre en place un véritable rituel ; la puissance des rites
utilisés par l’homme depuis la nuit des temps n’est pas à démontrer.
Cette étape de la thérapie est très importante pour sortir de la confusion.
La place et le rôle de chacun sont retrouvés… Il y a celle de l’abuseur, et celle de
l’abusé.
C’est une étape importante pour lâcher prise sur une fausse responsabilité, celle
de l’abus, et entrer dans la vraie responsabilité : « qu’est-ce que je décide de faire
de ma vie avec ce qui est arrivé ? »
Le thérapeute devra donc être vigilant à ne pas laisser la personne s’identifier à
son abus, à ne pas s’y enfermer…
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Il y a eu un temps pour la victimisation, il y a un temps pour en sortir.
À ce moment, les questions de sens commenceront à se poser : « pourquoi cela
m’est arrivé à moi ? »
9) Replacer l’abus dans l’histoire familiale.
Après la levée du déni, avec la colère et la tristesse, il y a tout le chemin vers
l’acceptation.
C’est aussi une étape douloureuse… Parce que pour beaucoup, accepter signifie
banaliser, minimiser le traumatisme.
Pour aider la personne à dépasser sa souffrance, il sera important de replacer
l’abus dans l’histoire familiale. Cette étape est indispensable quand il s’agit
d’abus intra familial, d’inceste. Les abus et l’inceste ne surviennent pas dans
n’importe quelle famille.
Souvent dans ces familles il plane comme un goût de fatalisme : « c’est comme ça
la vie » !
Ce discours fataliste imprègne l’enfant comme il a imprégné ses géniteurs.
Mais pourquoi est-ce ainsi ?
C’est là que le travail généalogique trouve tout son sens.
L’histoire familiale du père comme de la mère doit être retrouvée sur deux ou
trois générations, plus si c’est possible.
C’est le moment pour la personne d’oser poser des questions aux témoins qui
pourront les renseigner et de chercher à combler les taches obscures de leur
histoire.
Le comportement fataliste, autoritariste, confluent, culpabilisant ne s’invente
pas, il a une histoire. Mais cette histoire est souvent secrète et fait partie des
secrets de famille.
Dans l’expérience de Fernande Amblard les couples se constituent de façon
totalement inconsciente autour de l’inceste ou pour le moins de secrets de
famille. C’est-à-dire que nous retrouverons des abus sexuels dans les deux
familles d’origine de ce couple.
L’histoire transgénérationnelle ne change en rien le traumatisme subi. Elle
permet juste de se connaître mieux et de prendre de la distance par rapport à
cette histoire, de ne plus y coller dans une fatalité. Elle permet de ne pas
reproduire à son insu des comportements aberrants.
La recherche transgénérationnelle dans le travail thérapeutique permettra de
rompre la chaîne du vampirisme.
Elle permet aussi de prendre de la distance avec « ceux qui ont fait ça », de ne
plus les voir dans leur toute-puissance destructrice, mais de les reconnaître dans
leur fragilité, leur bassesse peut être, en tout cas dans leur propre misère
psychologique.
Ce travail transgénérationnel ne doit pas survenir trop tôt dans la thérapie. Il ne
doit pas occulter le travail sur la colère qui ne pourrait se faire, si trop vite, on
amène la personne à comprendre avant d’avoir ressenti et géré sa colère.
Le risque serait alors que la personne garde une colère sans objet qui se jouera à
son insu contre des innocents : son compagnon, ses enfants, ses collègues.
35
10) Que penser du pardon ?
Pardonner est un processus, et non un acte.
Tout comme le deuil, il demande du temps, il demande de passer par toutes les
étapes décrites ici. Et si le pardon survient, ce sera quelque chose entre la
personne et l’abuseur au-delà de la thérapie.
Le rôle du thérapeute est d’aider la personne à accepter que l’abus ait eu lieu, à
apprendre à vivre avec et que ce soit supportable pour elle.
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Chapitre 6 : La reconstruction
1) Sortir de la confusion due :
 au manque de limites (dans le temps, dans les lieux, dans les rôles)
 à la personnalité perverse de l’abuseur qui chosifie l’enfant et ne le
respecte pas en tant que autre (l’enfant est fasciné en même temps
qu’anéanti et la fascination est d’autant plus forte que l’abuseur est plus
pervers, c’est-à-dire qu’il va manipuler sa victime pour la séduire et s’en
satisfaire en lui faisant croire que tout cela est pour son bien)
 à l’emprise et la fascination dans lesquelles l’enfant était prisonnier…
L’enfant a besoin d’être aimé, d’être important pour quelqu’un et tout se
passe comme si l’acte sexuel était le prix à payer pour la satisfaction de ce
besoin. Il a le désir d’être aimé, et ce désir est perverti par la sexualisation
de la relation
 À la délicate question du plaisir qui a pu être vécu pendant l’abus…
Qu’appelle t on plaisir ? L’excitation, l’orgasme ?? Si le plaisir est ressenti comme
tel, il met l’enfant dans la confusion du plaisir interdit, tout comme l’abus sexuel
l’est. L’enfant se sent alors complice, coupable. « Je désire être aimé, je subis un
acte que je ne veux pas, mais j’en tire du plaisir ».
La défense contre ce plaisir est le dégoût, de son propre corps, du corps de l’autre
et de la sexualité. C’est l’ultime protection contre le désir amalgamé du plaisir
ressenti comme pervers.
La personne devra redécouvrir que son besoin de séduire est vital mais que la
séduction n’implique pas le passage immédiat à la sexualité.
2) Mettre une limite entre le désir de la personne et celui de l’autre
Il va falloir aider la personne à être attentive à elle et à développer sa capacité à
savoir ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas…difficile quand depuis sa plus
tendre enfance on n’a pas eu le droit d’exprimer le moindre désir…
Quel travail que de réapprendre à dire « non » ! Ce n’est pas cela que je veux !!
Le cadre rigoureux de la thérapie aidera la personne.
Le thérapeute doit être très clair par rapport à ce qu’il dit, à comment il le dit et
aussi à ce qu’il fait : ses limites à lui doivent être claires. Même si le patient est
dans une demande fusionnelle ou ambiguë, la réponse doit être sans ambiguïté.
3) Reprendre confiance en soi
N’oublions pas que lorsque la personne a été sous l’influence de l’abuseur elle a
perdu confiance en ce qu’elle ressentait puisque que les messages reçus étaient
contradictoires du genre : « c’est parce que je t’aime que je te fais cela » mais
aussi » puisque tu aimes que je t’aime, tu dois aimer ce que je te fais ».
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L’abusé s’aveugle souvent lui même en n’écoutant pas son ressenti, tout comme
l’a fait Œdipe dans le mythe.
C’est l’ambiguïté d’une sexualité perverse entourée de gestes d’affection.
 Au cœur de la relation thérapeutique, il faudra aider la personne à
découvrir que des micro sensations signalent les situations de perversité
(un tremblement, un pincement au creux du ventre, un poids sur la
poitrine, ou un geste repéré)
 Il faudra aussi apprendre à exprimer les accords ou les désaccords et
découvrir qu’un désaccord, un conflit, ça se gère autrement que par la
soumission, la violence ou la rupture de la relation… la détermination du
patient dans ce genre de situation devra se faire en fonction de lui, de son
désir, ou de ses besoins et non pas pour faire plaisir au thérapeute ou tout
simplement parce que celui-ci le demande…
4) Apprivoiser son corps
Le dégoût de l’autre, du sexe de l’autre s’est accompagné presque toujours du
dégoût de soi, de son propre corps, de son sexe.
L abusé très souvent a un rapport médiocre à son corps… Soit il le néglige, soit il
en a fait un objet au service de sa séduction en le parant de façon voyante parfois
provocante, soit encore il en prend un soin obsessionnel en multipliant les
douches, le lavage des mains, comme pour effacer une tache indélébile.
Mais dans le fond il n’y a pas d’amour ni de respect pour ce corps, pas plus que
n’en a eu l’abuseur
Il faut donc aider la personne à recontacter les besoins et les désirs de son corps
et apprendre à les satisfaire : une nourriture saine, une vie saine, du sport sont
un préalable tranquille. Ensuite il faudra réapprendre à la peau à sentir la
douceur d’un contact, d’une caresse. Les massages de type sensitive gestalt
massages qui respectent totalement les possibles et les limites du client dans le
toucher pourront l’aider.
5) Accepter la complexité, l’ambivalence
Le temps est venu d’entrer dans les sentiments opposés comme par exemple,
pouvoir reconnaître que l’abuseur, surtout s’il est le père n’est pas que mauvais ;
c’est-à-dire pouvoir sentir en soi, en même temps, des sentiments d’amour et de
haine. Nul n’est tout bon ou tout mauvais et nous sommes indissociablement l’un
et l’autre.
Il faudra aussi conjuguer l’agressivité et la passivité… Nous avons besoin des
deux.
La personne pourra sentir face aux difficultés de la vie, de la colère en même
temps que de la tristesse, tantôt plus l’une, tantôt plus l’autre et non pas l’une
excluant l’autre.
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C’est tout le travail sur les polarités qui est nécessaire pour la réunification de la
personne dans la complexité des émotions.
C’est ainsi que la personne pourra progressivement sortir de la confusion pour
accéder à la complexité… Elle pourra sortir de l’ambiguïté pour accéder à
l’ambivalence !
6) Développer sa créativité
N’oublions pas que la progression de la personne a été arrêtée lors du
traumatisme… La traversée de la souffrance pendant toute la durée du travail
thérapeutique va lui permettre de développer des potentiels nouveaux.
Si à travers cette rencontre thérapeutique la personne peut vivre l’expérience
d’une relation vraie où elle s’est sentie reconnue, acceptée et aimée telle qu’elle
est, alors elle sera en mesure d’ouvrir des canaux très particuliers de sa
sensibilité.
Fénelon dit : « si l’on vient à être touché dans notre sensibilité, les squames
tomberont de nos yeux et par les yeux pénétrants de l’amour, on discernera ce
que nos yeux ne verront pas »
Pierre Coret pense que lorsqu’on a retrouvé la fonction des sensations et des
émotions, la fonction intuition va s’ouvrir…
L’intuition jette un pont d’inconscient à inconscient et permet de comprendre ce
qui dans la nature des gens, les relie directement à la nature de leur destinée par
rapport à l’indifférenciation primordiale qui est notre berceau commun.
7) Créer des relations satisfaisantes
La personne a été en échec relationnel, souvent de façon répétitive, justement
parce que la bonne distance était impossible à trouver. La personne érotisait
immédiatement toute relation, ne pouvant voir dans l’autre qu’un partenaire
sexuel, voire un abuseur. Et quand la personne était amoureuse, plus l’amour
grandissait en elle et moins elle était capable de vivre la sexualité dans cette
relation. Elle revivait là l’impasse de son besoin indispensable d’amour lié à une
sexualité intolérable.
Mais avec le thérapeute, dans ce lieu thérapeutique, la personne a pu créer une
relation où elle se sentait respectée et aimée.
L’intimité du cœur entre le thérapeute et son patient a été très importante, la
personne y a posé ses secrets les plus intimes… Et cependant elle ne s’est pas
sentie abusée ou instrusée.
Ensemble le thérapeute et le patient vont découvrir la juste distance pour être en
relation dans le respect mutuel. C’est sur cette expérience que la personne pourra
s’appuyer désormais pour créer ses relations
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8) Créer une relation d’amour
Il restera alors à la personne à transposer à l’extérieur ses capacités d’entrer en
contact avec l’autre dans une distance qui lui convient : celle où elle ne disparaît
pas dans le désir de l’autre, celle où elle peut s’approcher assez pour qu’une saine
intimité se développe.
Pour tenter l’expérience d’une relation d’amour, il faudra que la personne se
sente capable de l’interrompre quand elle le décide … Elle n’est plus cet enfant
qui ne sait pas comment arrêter une relation qui le fait souffrir.
Quand la relation prendra corps, si elle satisfait la personne le désir de partager
la sexualité avec le partenaire se manifestera et toute la créativité de la personne
sera présente pour inventer la démarche qui la conduira à ce moment précieux :
en partage avec le partenaire, ce sera quand et où elle le voudra.
Sa démarche sera libre et responsable.
Là encore, la personne aura le choix de poursuivre et d’approfondir la relation ou
de l’interrompre. Elle aura acquis la saine gestion de la relation.
Si la personne est en couple depuis longtemps, tout son travail thérapeutique
l’aidera à voir différemment son partenaire. Elle ne l’assimilera plus à son
agresseur, pas plus qu’à son père ou sa mère. Les sentiments qu’elle aura pour lui
seront ceux de l’adulte qu’elle est aujourd’hui pour cet autre adulte ; sentiments
libérés des entraves de la colère, du dégoût, de la rancœur, de la peur que la
personne sentait en elle et dont maintenant elle connaît clairement le
destinataire : son agresseur et ceux qui ne l’avaient pas protégée !
Cependant travailler avec les personnes abusées doit apprendre la modestie.
Toute ambition d’un but à atteindre pourrait ressembler à une nouvelle atteinte
à la liberté de la personne.
Il n’y a pas de but mais un chemin à suivre, celui du respect d’elle-même.
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Chapitre 7 : Le cadre légal
1) En France
Le mot inceste n’est pas cité dans le code pénal… La loi fait état d’abus sexuels
caractérisés, aggravés si l’abuseur est un ascendant ou une personne ayant
autorité.
L’inceste est placé dans le cadre du viol et dans celui des autres agressions
sexuelles, ainsi que mise en péril des mineurs : « lorsqu’il est commis par un
ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par tout autre personne ayant autorité
sur la victime ».
Bourcet dit : « l’inceste est l’union illicite entre deux personnes parentes à un
degré prohibé par la loi pour contracter le mariage civil ».
L’inceste entre adultes n’est pas poursuivi au civil ni au pénal. L’inceste dont la
victime est mineure au moment des faits doit être dénoncé et puni.
2) En Belgique
http://www.huyette.net/article-l-inceste-et-le-code-penal44401675.html
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Conclusion
Les incestés ont été soumis à une emprise alors qu’ils croyaient être aimés.
Ils ont servi alors qu’ils croyaient aimer.
Ils ont plané sur l’illusion d’être choisis entre tous, et ce choix existait, mais ils
ont eux-mêmes perdu la capacité de choisir.
L’emprise était incestuelle et elle était narcissiquement disqualifiante. Envoûtés,
dominés, parfois complices, souvent captifs et quelquefois rebelles, ils ont été
soumis au choix impossible : « crois en moi ou crois en ton moi. »
Ils ont eu l’angoisse et la dépressivité, ils ont eu le jugement qui flotte ou qui
dérape et l’inhibition qui s’étend ; ils ont eu la méfiance et la susceptibilité ; ils
ont eu des déboires professionnels et des maladresses amoureuses.
Que ce soit en cure individuelle, en psychothérapie collective, en psychodrame ou
en thérapie familiale, il nous appartient de les aider à se reconstruire et à se
découvrir.
Se reconstruire. Narcissiquement se régénérer. À lui qui toujours se croyait
condamné à l’extraordinaire et à l’exploit, nous offrons de se trouver accueilli et
accepté lorsqu’il reste à son niveau, sur son propre territoire : nous irons à
l’encontre des abus narcissiques dont il a pâti, loin des séductions qui l’ont
envahis.
Bref nous lui prêterons une enveloppe qualifiante.
C’est dans le transfert qu’apparaissent les contraintes subies, les choix
impossibles, les secrets imposés, les leurres, les menaces de perdition, les
discrédits encourus et ; La haine, la culpabilité et la profonde disgrâce.
Ce qui importe ce n’est pas seulement que toutes ces peurs soient interprétées ;
c’est aussi et peut-être surtout que soit reconnue l’authenticité du vécu du sujet.
Alors, mais alors seulement pourra-t-il renaître à lui-même.
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Bibliographie
Psychopathologie : Michel Delbrouck , édition de boeck , collection carrefour des
psychothérapies,2007
Psychiatrie : Julien Daniel Guelfi, Patrice Boyer, Silla Consoli, René Olivier
Martin, édition Puf, Collection fondamental, 1987
Le génie des origines : psychanalyse et psychoses :Paul-Claude Racamier,édition
Payot,1992.
L’inceste et L’incestuel : Paul Claude racamier, édition Dunod, Collection
psychisme, Paris 2010
Panser l’impensable : Dr Fernande Amblard,édition jouvence,2003
L’enfant victime d’abus sexuel et sa famille : évaluation et traitement : Jean-Yves
Hayez, Emmanuel De Becker, édition Puf, Collection monographies de la
psychiatrie de l’enfant, Paris 1997
Les auteurs d’agressions sexuelles : éléments de compréhension :
Dr Sophie Baron Laforet, Paris 75001G-A.R.T.A.A.S
La perversion :Wikipédia
L’enfant sous terreur : Alice Miller, édition Aubier,France 1986
Comment paye t’on les fautes de ses ancêtres
(L’inconscient transgénérationnel):
Nina Canault, édition Desclée de Brouwer,1998 Paris
Films :
Festen : Film de Thomas Vinterberg (Prix spécial du jury Cannes 1998)
Nue propriété : (Isabelle Huppert, Jérémie Renier, Yannick Renier)
Une histoire d’amour : (Benoit Poelvoorde et Laetitia Casta)
A perdre la raison : (Emilie Dequenne)
Shame : Film de Steve Mc Queen 2011, avec Michael Fassbender
Millénium : Avec David Craig
Black Swan : Avec Lambert Wilson
Les yeux jaunes des crocodiles : De Cécile Telerman, avec Julie Depardieu,
Emmanuelle Béart, Patrick Bruel, Jacques Weber
« SOS_ENFANTS_FAMILLE » de l’UCL
Equipe spécialisée dans la lutte contre la maltraitance.
Jean Yves Hayez et Emmanuel de Becker sont respectivement administrateur et
coordinateur de l’équipe.
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