Monitorage de la curarisation : le savoir, le faire, le
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Monitorage de la curarisation : le savoir, le faire, le
Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 30 (2011) 779–781 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Éditorial Monitorage de la curarisation : le savoir, le faire, le noter Neuromuscular monitoring: Knowing, doing, documenting I N F O A R T I C L E Mots clés : Utilisation des curares Évaluation des pratiques professionnelles Traçabilité Keywords: Muscle relaxants Evaluation of professional practices Traceability En anesthésie, l’injection d’un agent curarisant est un geste fréquent, voire anodin. Cette apparente familiarité masque sans doute une réalité : ces molécules gênent une fonction vitale essentielle, la respiration, et des mesures rigoureuses doivent être mises en place pour contrer ces effets après l’extubation. Il convient alors de surveiller les effets des curares et agents décurarisants, lors des moments clés de l’intervention. Une étude multicentrique d’examen de dossiers et publiée dans ce numéro des Annales françaises d’anesthésie et réanimation [1] nous renseigne sur l’étendue de cette pratique. Une pratique efficace et sécuritaire de l’anesthésie repose sur trois piliers : il faut que l’anesthésiste connaisse les aspects fondamentaux et pratiques de son art, qu’il sache ; ces connaissances doivent être appliquées de façon judicieuse dans les situations cliniques, il faut faire ; il faut que les gestes accomplis et les observations recueillies soient documentées, qu’elles soient notées. Il existe un parallèle entre ces trois piliers et trois types de publications ou d’articles qui renseignent sur les bonnes pratiques : le savoir provient d’articles originaux, d’articles de synthèse ou de livres décrivant, dans le cas qui nous intéresse, la pharmacologie des curares et leur utilisation clinique ; le faire est le rôle des conférences de consensus, des lignes directrices et des sondages, qui sont tous des déclarations d’intention ; le noter est révélé surtout par des enquêtes sur la pratique, comme l’article de d’Hollander et al. [1]. 0750-7658/$ – see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2011.09.001 Entre le savoir, le faire et le noter, il y a une perte d’information : on ne met pas en pratique tout ce qu’on sait et on ne consigne pas tout ce qu’on réalise. Il est donc utile de réfléchir à un problème, ici le monitorage de la curarisation, en se demandant pourquoi il existe un fossé entre ce que l’on sait et ce que l’on fait et entre ce que l’on fait et ce que l’on note. En chirurgie viscérale, objet du travail de d’Hollander et al. [1], les curares permettent de bonnes conditions d’intubation et un relâchement musculaire qui facilite le geste chirurgical. Toutefois, l’extubation doit être effectuée seulement après dissipation de tous les effets des curares sur le système respiratoire. Il y a donc trois temps forts : intubation, entretien et décurarisation. Les données probantes, le savoir, sur la curarisation peuvent être résumées de façon assez simple. Pour garantir de bonnes conditions pour l’intubation trachéale, il faut des doses élevées de curare, afin d’atteindre tous les muscles, notamment le diaphragme et les muscles des cordes vocales [2]. Au monitorage, la réponse du sourcilier est un reflet plus fidèle de la curarisation de ces muscles résistants que ne l’est l’adducteur du pouce [2]. Une curarisation insuffisante rend l’intubation plus difficile et peut entraı̂ner des lésions laryngées [3]. Pendant la chirurgie, le nombre de réponses au train-de-quatre (Td4) à l’adducteur du pouce et le décompte post-tétanique (PTC) renseignent sur la profondeur de la curarisation. Une bonne curarisation facilite le travail du chirurgien [4]. À la fin de l’intervention, la décurarisation pharmacologique avec un anti-cholinestérasique est efficace seulement si la récupération spontanée est avancée et que quatre réponses sont visibles à la stimulation en Td4 [5]. Quant au sugammadex, qui n’agit que sur les curares à structure stéroı̈dienne comme le rocuronium et le vécuronium, il doit être dosé en fonction de la profondeur de la curarisation [6]. Enfin, on ne peut se dispenser d’une décurarisation pharmacologique que si la récupération a atteint le seuil d’un rapport de la quatrième à la première réponse (RTd4) de 0,9 [5,7]. On peut s’assurer de l’atteinte de ce seuil en mesurant la réponse au Td4 avec un appareil quantitatif (cinémyographie ou accéléromyographie) [5] ou encore en appliquant un tétanos à 100 Hz [8,9]. L’évaluation qualitative (visuelle ou tactile) de la réponse au Td4 et au double burst (DBS) n’est pas fiable [9]. Il s’ensuit de ces connaissances que le monitorage de la curarisation est un outil essentiel de surveillance chaque fois d’un malade reçoit un curare. Les sondages nous indiquent toutefois que l’on est loin du compte. En France, entre 52 % et 74 % des cliniciens ont dit utiliser un tel monitorage [10]. Dans le reste de l’Europe, cette pratique n’est guère plus répandue et même aux États-Unis, 780 Éditorial / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 30 (2011) 779–781 elle est loin d’être systématique [11]. Cette proportion d’utilisateurs est d’ailleurs probablement surévaluée dans ces sondages. En effet, selon d’Hollander et al. [1], la mention d’une quelconque forme de monitorage était de 43 %, 53 % et 43 % pour l’intubation, l’entretien et la décurarisation, respectivement, moins que ce qui est rapporté par Duvaldestin et al. [10]. On peut avancer l’hypothèse que ce qui est fait n’est pas toujours noté, mais d’autre part, il est fort possible que ceux qui répondent à des sondages soient intéressés à la curarisation, donc plus susceptibles d’adopter de bonnes pratiques, ou de donner une image embellie de leur conduite. D’autre part, soulignons que les services choisis par d’Hollander et al. [1] sont ceux des auteurs, tous des experts reconnus en curarisation et qu’ils ont sans doute influencé leur milieu. Il y a fort à parier que les chiffres pourraient être encore plus bas si d’autres services avaient été choisis aux fins de cette étude. On peut remarquer aussi une discordance entre le sondage [10] et l’étude de dossiers [1] pour la décurarisation pharmacologique. Alors que 32 % ont répondu au sondage qu’ils utilisaient une décurarisation pharmacologique « systématiquement » ou « fréquemment » [10], on ne retrouve cette annotation que dans 25 % des dossiers [1]. Il est improbable qu’ici, on ait négligé systématiquement d’inscrire l’injection d’un médicament au dossier. Notons par ailleurs que le chiffre de 25 % est fortement influencé à la hausse par deux centres (5 et 8), qui utilisent largement le monitorage quantitatif (accéléromyographie [AMG] ou cinémyographie [CMG]). En particulier, dans le service 8, la CMG a été utilisée dans 89 % des cas et une décurarisation pharmacologique était donnée dans 67 % des cas. On suppose que la CMG a permis de diagnostiquer la présence de curarisation résiduelle plus fréquemment que dans les autres centres et ainsi de prendre plus souvent une décision de décurarisariser pharmacologiquement. Il n’existe pas de normes ou de directives nationales ou internationales sur le monitorage de la curarisation. Toutefois, les services étudiés par d’Hollander et al. [1] avaient établi des règles, lesquelles exigeaient toute une quelconque forme de monitorage, à tout le moins à l’extubation. On peut s’interroger dans quelle mesure ces règles établies localement étaient suivies. On peut présumer que parmi les 57 % qui n’avaient pas indiqué au dossier qu’ils avaient effectué un monitorage, certains auraient pu le faire sans le noter. Deux centres (1 et 8), avaient un dossier informatisé dans lequel le monitorage du CMG était intégré : c’est là que l’on retrouve le plus d’annotations. Toutefois, la disponibilité de l’information a mené à des décisions cliniques différentes. Dans le centre 8, on note 89 % d’utilisation du monitorage avant extubation et 67 % de décurarisation pharmacologique. Dans le centre 1, même si le monitorage était réalisé chez 94 % des patients pendant l’entretien de l’anesthésie, la proportion chutait à 57 % avant l’extubation et la décurarisation pharmacologique a été effectuée chez un maigre 10 % des patients. On pourrait conclure que les pratiques du centre 8 semblent conformes aux normes alors qu’au centre 1, le CMG est un joujou que l’on installe mais dont on tient peu compte. En effet, la saisie automatique de données n’assure pas leur transmission à l’anesthésiste et encore moins leur prise en compte. Mais on pourrait penser au contraire qu’à l’hôpital 1, on limite les doses de curare et on fait peu de réinjections, ce qui permet de se débarrasser du monitorage en cours d’intervention si le RTd4 atteint 0,9 et d’omettre la décurarisation pharmacologique. Les données fournies ne permettent pas de déterminer laquelle des deux interprétations est valide. L’inscription manuelle de données sur un dossier papier ou leur ajout sur un dossier informatique indique normalement que la personne qui saisit la donnée reconnaı̂t avoir posé le geste ou recueilli l’information en question. Il est donc permis de croire que les données consignées manuellement au dossier aient été effectivement mesurées et prises en compte. Il se peut toutefois que le monitorage ait été effectué sans qu’une note ait été inscrite au dossier. Cet oubli reflète sans doute le peu d’importance que revêt un tel monitorage. Si l’on excepte les deux milieux bénéficiant du dossier informatisé avec monitorage de la curarisation intégré, on remarque que la prise en charge de la curarisation est jugée suffisamment importante pour mériter une mention au dossier dans seulement 30–40 % des cas. On ne note pas et il y a fort à parier qu’on ne fait pas. Toutes les règles locales reposent sur un monitorage de la curarisation : elles ne peuvent donc pas être suivies si le monitorage n’est pas appliqué. On remarque d’ailleurs que là où les règles sont les moins contraignantes, on utilise peu le monitorage. Par exemple, dans le service 7, le critère de décurarisation est quatre réponses égales avec monitorage qualitatif suite à une stimulation en Td4, ce qui est loin d’exclure les curarisations résiduelles [2,7,9]. Malgré ce critère peu rigoureux, on s’abstient de monitorage et de décurarisation pharmacologique dans la majorité des cas. Est-ce un manque de connaissances (le savoir), une mauvaise mise en pratique (le faire), une mauvaise tenue de dossier (le noter), ou un peu de tout à la fois ? S’il est difficile de fournir une réponse certaine à partir uniquement de l’étude de d’Hollander et al. [1], les dossiers donnent cependant un éclairage sur ce que les cliniciens considèrent important dans leur pratique : on note ce qui nous paraı̂t essentiel et on ne peut pas noter ce que l’on n’observe pas. Plus que les données moyennes, les écarts entre les milieux sont révélateurs : là où l’on prend la peine de bien observer et de bien documenter, on a tendance à mieux prendre en charge la curarisation et la décurarisation. Une attention particulière aux problèmes liés à la curarisation peut faire une différence. En effet, une meilleure formation sur l’effet des curares et la mise en place progressive de meilleures pratiques peuvent diminuer l’incidence de curarisation résiduelle dans un service [12]. L’étude de dossiers peut fournir des renseignements utiles pour mesurer l’impact de ces efforts : en regardant ce qui se note, on a une idée de ce qui se fait, ce qui reflète ce qui se sait. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] d’Hollander A, Baillard C, Gehan G, Samain E, Siriex D, Debaene B, et al. Traçabilité de la gestion de l’utilisation des curares dans le dossier d’anesthésie en chirurgie viscérale : une étude observationnelle et multicentrique. Ann Fr Anesth Reanim 2010;30. doi: 10.1016/j.annfar.03.029. [2] Plaud B, Debaene B, Donati F. The corrugator supercilii, not the orbicularis oculi, reflects rocuronium neuromuscular blockade at the laryngeal adductor muscles. Anesthesiology 2001;95:96–101. [3] Mencke T, Echternach M, Kleinschmidt S, Lux P, Barth V, Plinkhert PK, et al. Laryngeal morbidity and quality of tracheal intubation: a randomized controlled trial. Anesthesiology 2003;98:1049–56. 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Tactile fade detection with hand or wrist stimulation using train-of-four, double burst stimulation, 50-hertz Éditorial / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 30 (2011) 779–781 tetanus, 100-hertz tetanus, and acceleromyography. Anesth Analg 2006; 102:1578–84. [10] Duvaldestin P, Cunin P, Plaud B, Maison P. French survey of neuromuscular relaxant use in anaesthetic practice in adults. Ann Fr Anesth Reanim 2008; 27:483–9. [11] Naguib M, Kopman AF, Lien CA, Hunter JM, Lopez A, Brull SJ. A survey of current management of neuromuscular block in the United States and Europe. Anesth Analg 2010;110:110–9. [12] Baillard C, Clec’h C, Catineau J, Salhi F, Gehan G, Cupa M, et al. Postoperative residual neuromuscular block: a survey of management. Br J Anaesth 2005; 95:622–6. 781 F. Donati Département d’anesthésiologie, hôpital Maisonneuve-Rosemont, université de Montréal, 5415, boulevard l’Assomption, Montréal, Québec, Canada Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 19 octobre 2011