Politique-fiction

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Politique-fiction
par Denis Sieffert
publié le 23 novembre 2016
Politique-fiction
La raison principale de la percée de François Fillon est
évidemment l’effondrement de la gauche de gouvernement, qui a
ouvert la voie à une droite qui ne se connaît plus de limites.
Connaissez-vous 2QNKVKSWGHKEVKQP, le nouveau jeu de société auquel s’adonne la gauche ? Il occupe
depuis quelque temps les soirées entre amis. Nous avions commencé, comme il se doit, par une
question facile, accessible aux débutants : faut-il ou non aller voter Juppé pour éliminer Sarkozy de la
primaire de la droite ? Depuis dimanche, le jeu se corse singulièrement. Nous voilà directement
confrontés à une question à très fort coefficient : faudra-t-il aller voter Fillon pour éviter le Front
national, ou Front national pour éliminer Fillon ? J’exagère à peine. Comme disait Beaumarchais :
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Car, derrière ce funeste exercice de politique-fiction, il y a le désastre d’un quinquennat, et
l’accablante responsabilité d’une gauche de gouvernement qui nous a placés devant ces choix
impossibles déjà expérimentés, à plus petite échelle, au moment des régionales. Souvenez-vous :
Estrosi ou Marion Maréchal-Le Pen ? 'UVTQUK nous avait enjoint Manuel Valls, sans l’ombre d’une
autocritique. Des choix auxquels, pour notre part, nous nous refusons évidemment. Car le mieux
serait que la fiction reste un cauchemar, et qu’un candidat authentiquement de gauche se qualifie
pour le second tour de la présidentielle. Ce n’est pas pour l’instant ce que prédisent les Oracles qui, il
est vrai, se trompent beaucoup ces temps-ci. Alors espérons et bataillons ! Nous en sommes
aujourd’hui à mesurer des enjeux, plus dramatiques qu’on ne l’imaginait.
Nous connaissons assez bien le Front national, même relooké par l’ex-chevènementiste Florian
Philippot. Mais nous ne faisons que découvrir avec effroi le programme de François Fillon. C’est un
programme de guerre sociale d’une très grande violence.
▶ voir l’analyse de Michel Soudais en pages suivantes.
La liquidation de 500 000 postes de fonctionnaires n’irait pas sans destructions massives de services
publics, dans les écoles, dans les hôpitaux. La durée hebdomadaire du temps de travail pourrait être
portée au gré des rapports de force dans l’entreprise jusqu’à 48 heures. La fiscalité accablerait les
petits pour mieux exonérer les gros. Et tout est à l’avenant. Fillon nous promet un VJCVEJ«TKUOG à la
française.
Ajoutons que l’attaque est évidemment furieusement inégalitaire. Dans le collimateur, les UOKECTFU, les
chômeurs, l’école publique…
Quant à la laïcité, qu’en reste-t-il dans des discours (celui de Juppé n’est pas en reste !) qui se
disputent l’onction papale. Une autre guerre qui annonce des déchirements tout aussi effrayants
serait déclarée à l’islam. Non pas à l’islamisme, mais bien au culte musulman placé sous contrôle, et
en état de perpétuelle suspicion. Porte-parole quasi-officiel de la droite catholique, avatar de l’ordre
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moral, Fillon nous annonce un
scolaires pour recréer un roman
l’école des Annales, qui mettait
chimère de la recherche des
présidentielle de 2017.
retour en arrière d’un bon siècle. Jusqu’à réécrire des manuels
des origines. Il n’a sans doute pas lu Marc Bloch, le fondateur de
déjà en garde en 1941 – la date n’est pas anodine – contre la
origines. Fillon, c’est un peu Charles Maurras, candidat à la
Mais, ce n’est pas tout. C’est aussi une morbide fascination pour un autocrate sanguinaire nommé
Poutine. En quoi il s’accorde plutôt bien avec Trump et, surtout, avec Marine Le Pen, dont il n’est
décidément pas très loin. Avec cette grosse contre-vérité entretenue selon laquelle Poutine
combattrait &CGEJ, alors qu’il ne participe en rien à cette guerre-là, tout occupé qu’il est à anéantir les
quartiers d’Alep tenus par les rebelles.
Voilà qui fait un portrait peu engageant du vainqueur probable de la primaire de la droite. Reste à
s’interroger sur les raisons de sa fulgurante progression. Assurément, il y a un aspect personnel.
François Fillon est un WNVTC sous les traits patelins du gendre idéal. Une rage antisociale déclinée à
mi-voix et demi-sourire. C’est, si j’ose dire, du pain béni pour la sociologie, tant il s’identifie à la
catégorie sociale dont il défend les intérêts. C’est à lui seul un atome de lutte de classe.
Passéiste, version Ancien Régime, il plaît à une bourgeoisie qui avait un peu honte de ce gredin
de Sarkozy. Mais la raison principale de sa percée est évidemment l’effondrement de la gauche de
gouvernement, qui a ouvert la voie à une droite qui ne se connaît plus de limites. Il est d’ailleurs
remarquable d’observer que les programmes des candidats de la primaire partaient tous d’un CESWKU
légué par MM. Hollande et Valls : la négociation se fera désormais dans l’entreprise. Sans la NQK 'N
-JQOTK, leurs discours s’effondrent. Dans ce sombre tableau, on peut tout de même trouver à se
réconforter. Afin que la perspective d’un duel Fillon-Le Pen reste une fiction morbide, il faut une vraie
gauche, assumée, et fière de ses valeurs. Et cessant de braconner sur les terres de ceux auxquels
elle ne plaira jamais.
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