Les bébés parlent aussi par signes - Bébé, fais
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Les bébés parlent aussi par signes - Bébé, fais
La Croix -mercredi 27 avril 2016 20 L e regard insistant, Clarisse tape avec son index droit dans la main gauche ouverte. « Tu veux encore chanter ? », l’interroge Laurelia Bassin, qui a noté le « encore » dit en langue des signes par la petite fille de 19 mois. Clarisse acquiesce. L’auxiliaire de puériculture entonne Petit escargot, en accompagnant les mots clés de la chanson par des gestes : la main droite, index et auriculaire relevés, se déplace sur son bras gauche comme un escargot ; puis les deux mains miment le toit de la maisonnette… Face à elle, cinq bambins prononcent quelques mots de la comptine et/ou « signent ». « Au départ, je devais me forcer pour ”signer” tout en chantant. Désormais, je le fais systématiquement », explique Laurelia, qui travaille depuis quinze mois dans la crèche Graine de paradis du réseau La Maison bleue à BussySaint-Georges (Seine-et-Marne). « Les enfants s’approprient rapidement cette langue : une semaine après son arrivée, une petite fille dont les parents ne parlent que chinois “signait” déjà “manger”, “dormir”, “encore”. » « Nous avons lancé la communication gestuelle en 2012. L’une de nos collègues qui l’utilisait avec ses enfants en a parlé en équipe. Nous avons toutes adhéré : le langage est fondamental pour le développement des enfants. Il permet de transmettre les besoins, les désirs, les émotions », raconte Cécile Labernarderie, éducatrice de jeunes enfants, responsable d’un des trois pavillons de cette crèche qui accueille 120 enfants de toutes origines. « Les parents étaient très partants. S’ils n’étaient pas convaincus, nous ne serions pas allés aussi loin. » L’utilisation de la langue des signes avec les bébés est très récente en France. Une dizaine d’années seulement. Elle a été lancée par Nathanaëlle Bouhier-Charles, qui l’avait découverte aux ÉtatsUnis, où elle s’est développée dans les années 1980. « L’American Sign Language (ASL), la langue des sourds, est très populaire aux États-Unis. Tout le monde en a des rudiments. On considère que c’est la Parents&enfants Les bébés parlent aussi par signes Certaines crèches apprennent aux enfants à communiquer avec des gestes. Ils peuvent ainsi exprimer leurs besoins, et se préparer au langage oral. L’utilisation de la langue des signes avec les bébés est très récente en France. Amélie Benoist/Bsip quatrième ou cinquième langue la plus utilisée, explique-t-elle. Lors de grands événements, il n’est par rare de voir des personnalités faire le signe “I love you” » – main verticale tournée vers l’interlocuteur, auriculaire et index dépliés pour faire le I et le L, pouce dégagé pour faire un Y. Enceinte de son troisième enfant à son retour en France, elle a voulu continuer à y avoir recours en famille et a partagé son expérience sur Internet. Elle a alors rencontré Monica Companys, maman sourde et éditrice. En 2006, « Nos équipes commencent à signer avec des enfants de 4 mois. » elles ont fondé l’association Signe avec moi, ont édité un premier livre et lancé des formations en Langue des signes française (LSF). Cette dernière avait été interdite durant cent ans au profit de l’oralité, avant d’être finalement reconnue en 2005 comme « langue à part entière ». « J’ai dû faire face à de très grandes réticences de la part d’associations de sourds qui se plaignent, à raison, de l’absence de vraie politique publique en leur faveur, raconte Nathanaëlle Bouhier-Charles. Moi je voulais créer des ponts entre parents et bébés. Et entre non-sourds et sourds. » Aujourd’hui, si elle a passé la main, ses successeurs ont formé 200 salariés des 180 crèches La Maison bleue, qui transmettent leur savoir-faire à leurs collègues. « Nos équipes commencent à signer avec des enfants de 4 mois. Et dès 8 mois, ils commencent à répondre, explique Pierre Salesne, psychologue et psychanalyste, directeur pédagogique du groupe. C’est très bénéfique pour tout le monde : cela diminue grandement leur frustration et augmente leur confiance en eux, car ils se sentent compris. » « C’est un tremplin pour l’acquisition du langage : le langage gestuel stimule les mêmes zones cérébrales que le langage oral, analyse Romy Cottin-Eriau, pédopsychologue à la Maison bleue. De la même manière que l’enfant passe par le quatre pattes avant d’acquérir la marche, l’enfant peut utiliser le Suite page 21 P P P La Croix -mercredi 27 avril 2016 Parents&enfants 21 Les bébés parlent aussi par signes « Tous les enfants peuvent utiliser le langage des signes avant de savoir parler. Ils sont avides de communiquer avec les adultes. » repères P P P Suite de la page 20. langage des signes avant de savoir parler. Tous les enfants s’en emparent. Ils sont avides de communiquer avec des adultes. » Quant à savoir si signer ne revient pas à surstimuler l’enfant, elle est catégorique : « Sans en avoir conscience, on utilise beaucoup de gestes avec les bébés. Avec le langage des signes, on ne rajoute pas une couche d’apprentissage. On accompagne. » Pierre Salesne enfonce le clou : « Nous refusons d’avoir une démarche normative. Nous ne cherchons pas la performance. » Des livres Signe avec moi, Nathanaëlle Bouhier-Charles et Monica Companys, Éd. Monica Companys, 2006, 120 p., 30,43 €. Communiquer par signes avec bébé, Éd. Jouvence, 2014, 158 p., 8,70 €. 100 activités pour signer et communiquer avec bébé, Nathanaëlle Bouhier-Charles et Flavie Augereau, Éd. Nathan, 270 p., 11,90 €. Bébé s’exprime par signe ! Anaïs Galon et Christine Nougarolles, Éd. Mango, 2016, 191 p., 17,90 €. « Les gestes s’estompent avec l’acquisition du langage parlé. » Curieusement, le sujet a été peu étudié. « Des étudiants ont voulu y consacrer leur mémoire de fin d’études, mais leurs professeurs leur ont répondu qu’il n’y a pas assez de littérature universitaire pour appuyer leurs observations. C’est un peu le serpent qui se mord la queue !, regrette Christine Nougarolles, orthophoniste à Signe avec moi. Nous voulons contacter l’Inserm pour que des chercheurs indépendants se penchent sur le sujet. » En attendant, de nombreux parents sont conquis. « C’est étonnant de voir à quel point Clarisse est heureuse de se faire comprendre. Et que quand cela ne marche pas, ça la frustre, remarque Sébastien Brisard, son papa. Nous avions ainsi repéré qu’elle faisait pivoter ses deux poings serrés l’un contre l’autre. À la crèche, on nous a expliqué qu’elle nous demandait de changer la couche… » À 19 mois, Clarisse sait désormais prononcer plus de mots qu’elle ne connaît de signes. « Pour la plupart des enfants, les gestes s’estompent avec l’acquisition du langage parlé, reconnaît Laurelia Bassin. Mais c’est très progressif. » « L’abandon total vient aux alentours de 2 ans et demi-3 ans, avant l’entrée en maternelle », souligne Romy Cottin-Eriau. En attendant, les deux langues, parlée et signée, viennent souvent en appui l’une de l’autre. Laurelia se souvient ainsi, dans un sourire, de la petite émilie qui lui disait « encore, encore » oralement. Sans succès. « Elle a signé, pour appuyer sa demande. » Vincent de Féligonde Des sites Une professeur enseigne la langue des signes à ces deux sœurs, dont l’une est sourde. AmélieBenoist/Bsip www.signeavecmoi.com www.signes2mains.jmdo.com bebefaismoisigne.com témoignages Une seconde langue « Une langue souvent refusée aux enfants sourds » Sandrine, enseignante spécialisée pour enfants déficients auditifs, mère de deux enfants (4 ans et 2 ans) « Je ne suis pas contre le fait d’apprendre des signes aux bébés. J’en ai utilisé moi-même quelques-uns avec mon second fils, quand il avait 1 an, car il avait du mal à s’exprimer. Mais alors qu’on propose aux enfants entendants de s’exprimer par signes, on continue à le refuser à de nombreux enfants sourds. Je trouve ça ubuesque, et les personnes sourdes aussi. On est de plus en plus dans une logique d’oralisation des enfants sourds, et d’exclusion de la langue des signes, notam- ment depuis que les implants cochléaires se sont développés. Il y a des enfants de 5-6 ans, sourds de naissance, qui ne parlent pas et à qui on n’a même pas appris la langue des signes, si bien qu’ils ne peuvent pas s’exprimer, ce qui est extrêmement néfaste pour leur développement. Dans de nombreux pays (notamment la Suède), la langue des signes est valorisée, et on estime que tous les systèmes de communication sont bons à prendre. La langue des signes n’est pas un outil, mais une vraie langue (reconnue comme telle en France depuis 2005), riche et complexe, dotée d’une syntaxe, d’une poésie, d’une culture et même d’un argot… On en donne une image appauvrie, en la réduisant à quelques mots d’enfants. Au lieu de considérer les signes comme des outils de communication entre parents et enfants valides, je préférerais qu’on soit davantage dans une logique de partage avec les enfants sourds, d’ouverture sur le handicap, et que les parents et les enfants entendants puissent rencontrer des enfants malentendants et apprendre à communiquer avec eux. » « Les résultats ont été magiques » Maria, 30 ans, mère d’une petite fille de 2 ans et demi « Notre fille est allée dans deux crèches qui pratiquaient la langue des signes : l’une privée, l’autre associative (du réseau ABC puériculture). Quand elle était toute petite, je n’ai pas senti de différence, mais depuis ses 8 mois, les résultats ont été magiques ! Elle a pu très vite exprimer ses besoins, avant de pouvoir les verbaliser. Elle arrivait à nous faire comprendre quand elle avait faim ou bien quand sa couche était sale. On a pu comprendre un certain nombre de ses intentions, et échanger très vite avec elle. Cela a permis d’éviter bien des pleurs à la maison. Ses grands-parents, oncles, tantes, amis se sont familiarisés avec ce langage et en étaient émerveillés. Toutes les crèches devraient l’utiliser, pour que les enfants puissent exprimer leurs besoins fondamentaux, leur fatigue, leur envie de jouer… J’ai pu l’apprendre moi-même, les signes enseignés aux enfants étant affichés dans le hall de la crèche. Et je continue à l’apprendre avec ma fille. Elle a parlé en effet très tôt, mais n’a pas pour autant abandonné les signes. Elle a conservé de la curiosité pour les nouveaux mots signés qu’elle continue à apprendre à la crèche, et qu’elle a complètement intégrés dans son système de communication. » Recueilli par Christine Legrand