Amour, Gloire et Mafia

Transcription

Amour, Gloire et Mafia
Amour, gloire et
mafia
(Bonheur et prospérité !)
Comédie musicale
du Collège de la Vallée de l’Ouanne
2006-2007
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Personnages
Famille SPAGHETTO
Vini Spaghetto (chef de la famille, père de Roméo)
Robertina « Mamma mia » Spaghetto (mère de Roméo)
Roméo Spaghetto
Rodrigo Spaghetto, frère de Roméo
Luigi Lamoroso, cousin de Roméo
Personages rattachés aux Spaghetto
Emilio Lavazza, homme de main
Giovanni Ferrari, homme de main
Famille TIRAMISU
Lorenzo Tiramisu (chef de la famille, père de Giulietta)
Carlotta Tiramisu, mère de Giulietta
Giulietta Tiramisu
Tony l’Expresso, cousin de Giulietta
Sophia Tagliatelle, tante de Giulietta, sorte de « chaperon » (la nourrice)
Personages rattachés aux Tiramisu :
Gino Capuccino, homme de main
Aldo Mingo, homme de main
Les chefs d’autres familles
Tomaso Tombola
Stefano Di Monaco
Salvatore Mascarpone
Adriano Karembi
Autres personnages :
Cesare Canigou (patron du Canigou-Bar)
Marisa Berezina (petite amie de Lavazza, puis de Gino Capuccino)
Le Parrain de Chicago, Alberto Camuzzo
La Signora Camuzzo, son épouse
Le garde du corps du Parrain et homme de main, Carlo
Paola, premier amour de Roméo, infirmière à l’hôpital
Le comte Renato Farfalle
Zita Fortuna, voyante
Pietro Zanini de Las Vegas, neveu de Zita Fortuna
Le docteur Calzone
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Intro : Sweet Home Chicago, ouverture du rideau.
Scène 1
Intro relayée au piano : The Entertainer, Scott Joplin.
Le Canigou-Bar. Côté cour : tenancier derrière le comptoir, une fille style années 1920 au comptoir,
tables avec clients côté jardin. Fin de soirée à Chicago.
Aldo Mingo et Gino Capuccino, de la « famille » Tiramisu, entrent côté cour. Salut tranquille du rebord
du chapeau. Ils vont s’asseoir côté jardin (table en avant-scène). La fille au bar fait de l’œil à Gino.
Cesare Canigou vient essuyer leur table, discret mais empressé. Il n’a pas l’air très à l’aise. Le
pianiste s’arrête de jouer et boit son verre au comptoir.
Aldo : Tu me fais un café, Cesare. Comme d’habitude. Si le patron me sonne et que j’ai pas
bu mon jus de onze heures, à coup sûr je nage dans l’bouillon.
Cesare : J’en prépare un pour Gino ?
Aldo : Essaye même pas. Il a beau s’appeler Gino Capuccino, faut quand même éviter les
excitants.
Gino : Je frappe vite, quand on m’énerve.
Aldo : J’te l’fais pas dire. Sers-lui un bon lait fraise. Un vrai bec sucré – pas vrai, mon ami ?
Gino : Ouais. C’est ça. Lait fraise. (Large sourire patibulaire) Et la même chose pour la
d’moiselle.
Aldo : Je t’l’avais dit, Cesare : c’est un tendre, mon Gino. (Cesare retourne derrière son
comptoir avec soulagement et prépare les commandes. Aldo fait signe à la fille de
s’approcher) C’est quoi ton p’tit nom, à toi ?
La fille, aguicheuse : Marisa Berezina. Et toi, tu s’ rais pas le grand Aldo Mingo, bras droit de
Lorenzo Tiramisu, chef de famille des Tiramisu ?
Aldo : Lui-même en personne. Décidément, t’as du goût, Gino. Elle est drôlement
intelligente, cette petite. (Il réfléchit) Marisa Berezina … ben, ça m’dit quelque chose, ce
blaze … Berezina … Dis-donc, bellissima, tu serais pas acoquinée avec Emilio Lavazza,
cette demi-portion de la famille Spaghetto ?
A ce nom, Gino change de couleur et se lève brusquement, l’air furieux. Cesare tremblant
laisse tomber les cuillères qu’il était en train d’essuyer. Aldo fait rasseoir Gino.
Aldo : Tout doux, Gino. Tout doux.
Gino : Les Spaghetto sont des chiens !
Aldo : Ouais, ouais, pire que des chiens, même. Laissons-les dans leur sale niche, et
occupons-nous plutôt de mademoiselle Marisa.
Gino (tapant du poing sur la table) : Des chiens galeux ! (Cesare, qui venait prudemment
servir les deux hommes, gèle sur place, son plateau à la main.)
Aldo : Personne n’en doute, mon Gino. Même pas la signorina Berezina – n’est-ce pas,
bellissima ?
Marisa, un peu réticente : Je le connais à peine, Emilio Lavazza. Faut m’croire, Aldo.
Aldo : Va bene ! Tu vois, Gino, savoure ton lait fraise, il n’y a que des amis à nous, ici. Des
gens qui ne frayent pas avec la racaille. Pas vrai, Cesare ?
Cesare, apeuré: Euh … Evidemment …
Aldo : J’ai pas bien entendu ?
Cesare, plus fort : Evidemment, signor Aldo !
Aldo : Va bene ! (Discussion à voix basse et petits rires entre Marisa et Aldo. Gino la dévore
du regard en sirotant son lait fraise avec une paille.).
Le pianiste reprend The Entertainer.
Scène 2
Les mêmes. Entrée nonchalante et silencieuse d’Emilio Lavazza et Giovanni Ferrari, de la famille
Spaghetto. Le pianiste interrompt son jeu. Cesare se précipite à leur rencontre.
Cesare : Allons, Messieurs, une autre fois, s’il vous plaît. On est complet, revenez plus tard.
(Faussement enjoué) C’est la maison qui régale, alors d’accord comme ça ? on vous revoit
tout à l’heure, hein.
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Malgré les efforts de Cesare, Giovanni voit Gino, Aldo et Marisa. Il donne un coup de coude
à Emilio.
Giovanni, désignant la tablée du menton : Dis-donc, Marisa se fait de nouveaux copains, on
dirait.
Emilio, écartant Cesare : Je crois qu’on va rester un peu.
Gino s’aperçoit de la présence des Spaghetto. Il prévient Aldo. Les deux hommes se lèvent.
Marisa se réfugie près de Cesare, derrière le comptoir. Les quatre hommes se font face,
sous le regard attentif des clients.
Aldo (en aparté) : Laisse, Gino. Lorenzo Tiramisu veut pas de vagues en ce moment.
Alberto Camuzzo, le parrain de toutes les familles de Chicago, en a marre de nos bagarres.
Si on les laisse commencer, c’est eux qui se retrouveront coulés dans le béton sous la
nouvelle pizzeria.
Giovanni (en aparté) : Quand même, vas-y mollo, Emilio. Tu sais ce que Vini Spaghetto a
dit : si on déclenche une nouvelle bagarre, le parrain Alberto Camuzzo nous le fera payer
très cher. J’ai pas trop envie de finir noyé, cousu dans un sac.
Emilio : M’en fiche. Si un Tiramisu draguait leurs femmes, tu crois que Vini et Camuzzo
resteraient plantés là comme des nazes, à rien faire ? (Fort, à l’intention d’Aldo et Gino.) Disdonc, Giovanni, tu trouves pas que c’ bar est mal fréquenté, ce soir ? (Cesare se planque
sous le comptoir. Aldo retient Gino qui a un mouvement d’humeur.) On dirait même que ça
sent la poule mouillée. (Il claque des doigts). Marisa – a la casa ! (Marisa hésite, mais ne
bouge pas).
Gino : Y a qu’une lavette de Lavazza pour pas se faire obéir d’une nana !
Emilio : Si je réponds, ça vaut un tour dans la voiture à Camuzzo ?
Giovanni : Tu sais bien qu’oui, Emilio, avec une place réservée dans son coffre, pieds et
poings liés. Hop à la flotte, et bon courage pour remonter ! Fais pas ça.
Aldo : On dirait bien qu’Emilio Lavazza t’a regardé de travers, Gino.
Gino : Il a pas fait ça ? (A Emilio) T’as pas fait ça !
Giovanni : Non, il a pas fait ça.
Gino : Parce que s’il a fait ça, moi je t’arrange la carrosserie, Giovanni Ferrari (Entrée de
Rodrigo Spaghetto.) Alors là y en a vraiment un de trop. Faut croire que ça gagne vite, la
gangrène. (Emilio et Giovanni s’approchent, très menaçants. Rodrigo s’interpose).
Emilio : Tu vas retirer ce que tu viens de dire. Tu oses insulter Rodrigo, le fils aîné de Vini
Spaghetto !
Rodrigo : Allons, Emilio, je n’ai entendu aucune insulte de la part de ce monsieur. Je vous
rejoignais pour boire un dernier verre, mais je vois que vous vous apprêtiez à partir. C’est
bien. Andiamo. (Emilio et Giovanni s’éloignent à contrecœur, mais tombent sur Tony
l’Expresso qui entre lui aussi côté cour).
Tony : Tiens, tiens, tiens. Rodrigo Spaghetto et sa bande. Alors je parie qu’on embête mes
amis, encore une fois. (Il appelle). Venez, vous autres, on va enfin nettoyer Chicago des
Tiramisu ! Pas de doute que ça sentira bien meilleur dans cette ville une fois les ordures
évacuées ! (Tony se jette sur Rodrigo. Bagarre générale, des Tiramisu et des Spaghetto
arrivent de toutes parts, les clients s’en mêlent, Marisa donne des coups d’ongles).
Refrain de Marche à l’ombre, Renaud.
On voit Cesare affolé s’emparer de son téléphone et passer un coup de fil.
Sweet Home Chicago
RIDEAU
Scène 3
Chez Alberto Camuzzo. Tomaso Tombola, Stefano Di Monaco, Salvatore Mascarpone, Adriano
Karembi et Vini Spaghetto attendent assis côté cour. Grand fauteuil confortable, en avant scène. Tous
regardent Vini Spaghetto de travers. Un garde du corps entre côté jardin.
Le garde du corps : Il Padrino, Alberto Camuzzo. Levez-vous, tutti !
(Tous s’exécutent, prêts à rendre hommage au chef de la pègre. Camuzzo entre, suivi de
Lorenzo Tiramisu et du Comte Renato. Il prend place dans son fauteuil et attend.)
Tomaso, s’approchant : Tomaso Tombola et sa famille te présentent leurs respects. (Il baise
la main d’Alberto selon la tradition.) Bonheur et prospérité.
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Alberto : Bonheur et prospérité.
(Tomaso recule mais ne s’assoit pas. Mêmes jeux de Stéfano, Salvatore et Adriano.)
Stefano : Stefano Di Monaco et sa famille sont fiers de te rendre hommage. Bonheur et
prospérité. (Il baise la main d’Alberto).
Alberto : Va bene il bambini ?
Stefano : Les enfants vont bien, je te remercie. Carolina se marie le mois prochain, Romina
tourne son premier film à Hollywood, quant à Paolo, Giani, Albano et Andrea …
Alberto : Oui, oui, c’est bien, c’est bien. Bonheur et prospérité.
Salvatore : Moi, Salvatore Mascarpone, je me réjouis de te voir en si bonne santé. Bonheur
et prospérité.
Alberto : Si, si. Va bene la mama ?
Salvatore : Elle demande toujours quand tu vas venir manger la pasta. Elle est impatiente
de te voir.
Alberto : Embrasse la mamma pour moi. Bonheur et prospérité.
Adriano : Tu fais grand honneur d’inviter Adriano Karembi chez toi. Bonheur et prospérité.
Alberto : A toi et à ta famille aussi, bonheur et prospérité. Alors, ton petit dernier, Christiano
Karembi, toujours dans le football ?
Adriano : Eh, il taquine un peu le ballon, oui.
Alberto : Sa nouvelle équipe, ça va ?
Adriano : Grâce à ton intervention, il a triplé son salaire. Encore merci.
Alberto : C’est rien, c’est rien. Ah, Vini Spaghetto. Approche, mon ami.
Vini, s’approchant : Mes respects, Alberto.
Alberto : Devine qui m’a appelé hier soir, et m’a parlé de ta famille.
Vini : Quelqu’un de bien intentionné, j’en suis sûr.
Alberto : Quelqu’un qui apprécie la paix et la tranquillité, comme moi. Le calme, c’est bon
pour les affaires. Mais les querelles entre familles, ça ne rapporte rien, ça effraie tout le
monde, y a pas moyen de travailler correctement quand certains sèment la zizanie.
Vini : Tu dis toujours vrai, Alberto.
Alberto : Ce pauvre Cesare Canigou, voilà qu’il me téléphone en pleine nuit, dans tous ses
états – un honnête commerçant sous ma protection, obligé de me déranger au beau milieu
d’une bonne partie de poker – parce que les Spaghetto et les Tiramisu lui mettent une
pagaille pas possible dans son établissement. Et moi, qu’est-ce que je fais, Lorenzo ?
Lorenzo : Tu fais toujours ce qu’il faut, Alberto.
Alberto : Eh oui, même si je suis en train de plumer tous les pigeons à ma table, même si
j’ai le jeu du siècle entre les mains – moi, Alberto Camuzzo, je dois intervenir pour rétablir
l’ordre – alors que je peux étaler sur la table une quinte flush à l’as !
Vini : Merci, Alberto, merci.
Alberto : Alors je convoque Lorenzo, et on se boit le café avec les pâtisseries, tranquilles. Et
moi je lui dis : « Lorenzo Tiramisu, il faut faire la paix avec Vini Spaghetto. Aujourd’hui.
Maintenant. »
Vini : Si, Padrino.
Vieille canaille.
Alberto : Je suis soulagé que tout s’arrange. La mésentente entre mes amis me rend
tellement désespéré que j’en ferais des bêtises. Vous ne m’obligerez pas à perdre mon
sang-froid – n’est-ce pas, Lorenzo.
Lorenzo : Bien sûr que non, Padrino.
Alberto : Vous jurez de vous respecter mutuellement ?
Lorenzo : Si Vini est d’accord, je suis d’accord.
Vini : Je jure.
Lorenzo : Je jure aussi.
Tomaso : Nous sommes tous soulagés.
Stefano : Ta sagesse n’a pas d’égale, Alberto.
Salvatore : Tu es un exemple pour nous tous.
Adriano : Et encore merci pour mon fils.
Alberto : Basta, n’en parlons plus. Bon, il est temps de nous quitter, mes bons amis. Vous
savez ce que c’est : les responsabilités …
(Ils sortent tous, sauf Tiramisu qui hésite)
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Scène 4
Alberto (à son garde du corps) : Dis voir, Carlo, c’est quoi le programme de la journée ?
Le garde du corps (consultant l’agenda de Camuzzo) : Ben, y a la partie de golf avec le
chef de la police, le déjeuner avec le gouverneur, le barbier à cinq heures, l’enterrement de
Tino Carbonara et la Signora Camuzzo qui veut choisir la nouvelle tapisserie du salon.
Alberto : Mama mia, je vais finir surmené, moi. (Il réfléchit) Alors on le met déjà au
cimetière, Tino Carbonara ? C’est bien celui que ta voiture a renversé par accident samedi
dernier ?
Le garde du corps (d’un air mauvais) : Affirmatif, Padrino.
Alberto : Ce pauvre Tino – il m’escroque de cinq mille dollars sur la recette du casino, je
suis sur le point de le pardonner – et le voilà qui meurt bêtement. (Il soupire d’un air
faussement triste) Eh, c’est le destin …
Le garde du corps (sourire sarcastique) : Je dirais même, Padrino : c’est la fatalité.
(Ils ricanent. Tiramisu s’approche avec circonspection.)
Lorenzo : Une dernière chose, s’il vous plaît, sans vouloir abuser de votre temps.
Alberto : Je t’écoute.
Lorenzo : C’est au sujet de ma fille, Giulietta.
Alberto : Eh bien ?
Lorenzo : Voilà : Renato Farfalle, dit le Comte Renato, m’a demandé Giulietta en mariage.
Ma famille et celle du Comte Renato sont liées depuis longtemps, et je vois cette union d’un
bon œil.
Alberto : Je bénis le Comte Renato tous les jours : grâce à sa contrebande de raviolis à la
frontière canadienne, j’ai acheté la villa à Santa Barbara. Avé vue imprenable sur la mer. Et
la piscine – une merveille ! Pas vrai, Carlo ?
Le garde du corps : Affirmatif, Padrino. Et ils sont super bons, ses raviolis.
Lorenzo : Ta réussite me réjouit, Alberto. Il ne me manque plus que ta bénédiction pour le
mariage du Comte avec ma fille.
Alberto : Je te la donne les yeux fermés. C’est un excellent choix.
Lorenzo : Merci beaucoup. Je donne une grande fête, ce soir même, en l’honneur du
Comte Renato, et je serais très honoré de ta présence et de celle de ton épouse.
Alberto : Nous acceptons ton invitation avec joie. J’emmène aussi Carlo, ça va de soi.
Lorenzo (peu ravi) : Tes invités sont mes invités.
Alberto : Va bene ! A ce soir donc, Lorenzo. (Lorenzo sort côté cour.)
Carlo : Tu crois qu’ils vont vraiment faire la paix, Lorenzo Tiramisu et Vini Spaghetto ?
Alberto : Il vaut mieux pour eux: sinon tu prends ta voiture et tu nous les cuisines à la Tino
Carbonara ! Pas vrai, Carlo ?
Le garde du corps (d’un air mauvais) : Si, Padrino. Al dente !
Mustang Sally
RIDEAU
Scène 5
Lumière rouge.
Robertina « Mammamia » Spaghetto tourne ses spaghettis dans une immense casserole. Arrivent
Roméo, Luigi Lamoroso,
et Rodrigo. La tenue correcte de Roméo contraste avec celles,
dépenaillées, de Rodrigo et Luigi. Rodrigo affamé se tape un hot-dog.
Roméo : Rodrigo !
Rodrigo : Si !
Roméo : La mamma !
Rodrigo : Catastrofe ! Elle fait la pasta !
Roméo : Si elle te voit manger le « hot-dog », on est bon pour rester à la maison ce soir !
Luigi : Ouais, elle va encore nous chanter le couplet : « Je m’épouise à vous préparer de la
nourriture saine et légère, et vous vous empiffrez dé cochonneries ! Vous êtes nés pour me
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rendre malade ! » Et hop, elle va faire le malaise ! …si elle nous passe pas tous à la
mitraillette avant ! Je veux y aller, moi, à la fête, chez Lorenzo Tiramisu !
Rodrigo : Nous aussi, on veut aller à cette fête ! Au lieu de ronchonner, prends ça, toi ! (Il lui
refile le sandwich).
Luigi : T’es cinglé ou quoi !
(Il refile le sandwich à Roméo. La mamma s’aperçoit de leur présence).
Robertina : C’est à cette heure-ci que vous rentrez hé, bastardi ? Les pâtes sont froides…
(Roméo planque le sandwich derrière son dos, souriant d’un air faussement angélique).
Rodrigo : Scuzi, mamma mia, mais il y avait affaire au Canigou Bar, tu sais.
Robertina : Veux pas le savoir. Et vous avez encore entraîné mon petit Roméo, avec sa
santé fragile (Roméo accentue le sourire de faux-cul), dans vos combines de vauriens ! et
qu’est-ce qu’on dira, demain, quand la Robertina (se frappant la poitrine au grand dam de sa
blouse qui va craquer) elle ira faire les commissions ? Eh ? que c’est la mère de ces bandits
qui mettent Chicago à feu et à sang ? qu’elle ne sait pas tenir son foyer ? Ah ça, non !
Asseyez-vous, d’abord !
(Ils s’assoient, repentants, la tête basse. Au moment où ils arrivent à peine à relever les
yeux, Mamma mia repique une crise). Et toi, Luigi ! Tu ne vaux pas mieux ! Le fils de ma
propre sœur ! (menaçante) Roméo, la voiture que tu as commandé pour Noël, tu sais ce
que j’en fais de la voiture ?
Luigi : Mais tu sais, Roméo, il n’y est pour rien ! (Roméo, profitant de la diversion, se
débarrasse enfin du sandwich). Et puis, faut pas nous en vouloir, c’est la faute (s’emportant)
à ces chiens de Tiramisu, aussi. Il étaient là, à nous narguer, pouah ! et tu voudrais qu’on
accepte ça ? ça me dégoûte, tiens !
Robertina : En attendant, reprends des forces. Je suis soulagée d’apprendre que Roméo
n’a pas été mêlé à toutes ces combines al pesto. Tiens, Roméo (elle lui sert une bonne
ration), et n’écoute pas toujours ce que disent ces garnements de caniveau, le Canigou Bar,
c’est pas un endroit pour toi.
Luigi et Rodrigo donnent des coups de coude à Roméo.
Roméo : Au fait, Mamma mia…
Luigi et Rodrigo oscillent de la tête, acquiescant.
Robertina : Va bene, mon Roméo, tu veux encore de la sauce pour tes pâtes ?
Roméo : Euh non…
Robertina : Alors qué ?
Roméo : Ben… Avec Luigi et Digo (il les désigne successivement), on irait bien à une fête
ce soir…
Luigi : avec ta permission…
Rodrigo : … bien sûr.
Robertina : Une fête ? Qué fête ? (désignant ses spaghettis :) Mange.
Couper face / Chase.
Choré de la Mamma : Think (Aretha Franklin).
Pendant ce temps, Roméo mange sagement, Luigi et Rodrigo se tapent une chorégraphie.
Robertina : Bon, puisque tu as fini tes pâtes, c’est d’accord. Mais ne restez pas traîner dans
les rues. Dès que cette fête est finie, retour a casa. Sans faute.
Roméo, Luigi et Rodrigo jettent leur serviettes, se précipitent hors de table et sortent, après
avoir embrassé la Mamma ; Roméo, qui avait oublié ce rituel, revient sur ses pas, s’acquitte
de son devoir filial et rattrape ses compagnons.
Nobody knows the trouble I’ve seen
RIDEAU
Scène 6
Chez Lorenzo Tiramisu. Fête, ambiance cocktail jazzy. Avec pianiste. Roméo, Luigi et Rodrigo, sur
leur trente et un, portant des lunettes noires. Présence de Camuzzo et de Carlo, de la Signora
Camuzzo et d’autres invités. Tony l’Expresso discute avec Paola.
Roméo : Alors, tu la vois, Paola ?
Rodrigo, par dessus ses lunettes : Droit devant, mon frère.
Luigi : Mais en compagnie du bouledogue de service.
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Roméo : Je vais jamais arriver à l’approcher, moi.
(Entrée de Lorenzo Tiramisu, accompagné du Comte Renato et de Carlotta Tiramisu. )
Lorenzo, à la cantonnade : Ah mes chers amis ! J’espère que vous vous amusez !
La Signora Camuzzo : Nous passons un moment tout simplement délicieux !
Carlotta : Vous nous faites trop d’honneur !
Couper face / Chase.
Quadrille « country ».
(Entrée de Giulietta et de Sophia).
La Signora Camuzzo, à Giulietta : Bellissima ! Est-ce possible ! Une vraie demoiselle ! (Elle
l’embrasse). Comte Renato, vous êtes le plus heureux des hommes !
Le Comte Renato : En effet, Signora Camuzzo, en effet.
Roméo, qui a aperçu Giulietta et a enlevé ses lunettes de soleil : Rodrigo !
Rodrigo : Alors, tu la vois, Paola ? (Roméo ne répond pas, médusé.) Allô, allô ! Y a
quelqu’un ?
Roméo : Quoi ?
Rodrigo : Je dis : tu la vois, Paola ?
Roméo : Quoi Paola ?
Luigi : Ah ça promet la soirée. Viens, Digo, on se rapproche du boire et du manger, ça
vaudra mieux.
Roméo : Attends, Luigi. C’est qui, la fille avec Mme Camuzzo ?
Luigi : Sais pas. Jamais vu. Faim. Soif. Salut.
(Tony l’Expresso, qui a suivi leur manège, s’approche de Lorenzo Tiramisu).
Tony l’Expresso : Vous avez vu qui ose s’inviter chez vous ?
Lorenzo : Qu’est-ce que tu as, mon neveu ? Pourquoi tu te fâches comme ça ?
Tony l’Expresso : Oncle Lorenzo, celui-là, là-bas, c’est un Spaghetto. Je suis sûr qu’il vient
nous narguer.
Lorenzo : Ce ne serait pas le jeune Roméo, le cadet de Vini Spaghetto ?
Tony l’Expresso : C’est bien lui ! Sale engeance !
Lorenzo : Allons, Tony, un peu de sang-froid. Laisse-le tranquille. Tout le monde le tient
pour un garçon bien élevé, qui fait tout pour éviter les ennuis. Et puis, tu ne vas pas risquer
de provoquer la colère d’Alberto. Montre un peu plus de patience.
Tony l’Expresso : On va pas tolérer la présence des Spaghettos chez nous !
Lorenzo : Chez moi – et la nuance est de taille. Oublie Roméo Spaghetto. C’est un ordre. Si
tu me gâches cette fête, je te fais passer le week-end avec Carlo, le garde du corps d’Alberto
Camuzzo. Capisci ?
Tony l’Expresso : Si, Lorenzo. Mais c’est une honte. (En aparté, voyant Roméo s’approcher
de Giulietta) Attends voir, sale vermine, si tu touches à ma cousine – je te découpe en
escalope milanaise ! (Il épie Roméo. De son côté, Carlo surveille Tony).
Roméo : Bonjour, mademoiselle – vous permettez ? (Il dépose un baiser sur la main de
Giulietta. Tony a un mouvement d’humeur. Carlo lui tapote sur l’épaule, style : « sers-moi
donc à boire »).
Giulietta, surprise mais amusée : Vous ne m’avez pas vraiment laissé le temps de permettre
quoi que ce soit !
Roméo : Désolé ! Je recommence, si vous voulez bien : bonjour mademoiselle, vous
permettez ?
Giulietta, charmée : C’est mieux. Vous devez tout recommencer, en effet. (Elle tend
volontiers sa main. Tony se rapproche).
Roméo : Vous êtes … ?
(Tony s’avance dangereusement, mais la tante Sophia se met involontairement sur son
chemin.)
Sophia : Ma belle, ta mère voudrait bien te parler.
Giulietta : Tant pis. Je commençais à m’amuser. (Elle s’éloigne. Tony la couve du regard).
Roméo : Qui est sa mère ?
Sophia : Sa mère est la maîtresse de maison, jeune homme. Et moi je suis sa tante Sophia.
Roméo : Mais alors … Elle est de la famille Tiramisu.
Sophia : Si, Giulietta Tiramisu, ma nièce, la fille de Carlotta, ma sœur, et de Lorenzo
Tiramisu. Vous êtes sûr que tout va bien, jeune homme ?
Roméo : Oui, oui, merci, Signora Sophia. Ben mince alors.
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Rodrigo : Alors ! C’est pas en restant dans ton coin que tu vas progresser avec Paola, tu
sais. Eh, tu m’entends ?
Roméo : Mais oui je t’entends ! T’as pas fini de hurler comme ça ! Tu vas nous faire
repérer… (Il s’éloigne avec Rodrigo.)
Giulietta, à Sophia : Dis voir, tantine, toi qui connais tout le quartier – tu peux me dire avec
qui tu parlais tout à l’heure ?
Sophia : Ce garçon ? Il a beau se planquer derrière ses lunettes noires, je l’ai bien reconnu.
Il s’agit de Roméo, le plus jeune fils de Vini Spaghetto.
Giulietta : Ben mince alors. (Elle blêmit)
Sophia : Qu’est-ce qui te prend tout à coup ? Te voilà bianca comme la mozzarella !
Giulietta : Non, rien, rien. Une fatigue passagère.
Sophia : C’est curieux, tout de même. Quand je lui ai dit ton nom, il a fait exactement la
même tête que toi en ce moment. (Elles sortent).
I never loved a man
RIDEAU
Scène 7
Bleu / couper face.
La « lingère », Roméo, Luigi Lamoroso, Rodrigo Spaghetto portant des lunettes noires, puis Giulietta.
Devant chez les Tiramisu, une ruelle avec un banc. Une femme étend son linge « à la sicilienne ».
Roméo, Luigi et Rodrigo entrent du côté opposé, semblant quitter la fête.
Roméo : Franchement, vous voulez vraiment partir ? (En aparté) Je n’ai même pas eu le
temps de lui dire au revoir …
Rodrigo (amusé) : Franchement, je crois qu’on a assez traîné ici (clin d’oeil complice). On
est de la famille Spaghetto. Il suffit que cette brute épaisse de Tony l’Expresso décide de
nous tomber sur le poil, et on est faits comme des rats. Trêve ou pas trêve.
Luigi (même jeu) : Il respecte rien celui-là ; alors, avec Camuzzo et son chien de garde sur
place, ça risque de faire désordre dans la basse-cour si une bagarre se déclenche encore.
Rodrigo (même jeu) : Et puis, mon cousin adoré, je vois pas du tout ce qui pourrait nous
retenir ici.
Luigi (feignant de faire le difficile) : Ouais, les petits fours sont « moyen moyen » ; en plus,
côté filles, à part Paola, tu parles …
Roméo : Vous plaisantez, j’espère ?
(Giulietta entre du côté opposé aux Spaghetto. Elle est toujours en habit de bal. Elle est
songeuse et marque une pause près du banc. Roméo se planque derrière Rodrigo et Luigi).
Roméo : C’est elle !
Luigi (faussement naïf) : Qui, « elle » ? Tu parles de cette femme, là ? (Il désigne la
« lingère »).
Roméo : Mais non ! Celle du banc !
Rodrigo : Voit pas qui c’est, celle-là !
Roméo : Enlève tes lunettes, aussi ! Ne pas voir un ange pareil ! C’est Giulietta Tiramisu !
Luigi : Ah oui ? Ben, y a pas de quoi casser trois pattes à un canard.
Rodrigo : Ni même fouetter la moitié d’un chat. On se demande bien ce qui te prend.
Luigi : Ouais, pourquoi tu fais ta poule mouillée – à cause de cette petite dinde ? (Luigi et
Rodrigo ne se retiennent plus de rire).
Roméo : Bon, ça va, ça va. Vous avez fini de glousser, les volailles ?
Luigi : Tu l’entends, Rodrigo ? On dirait bien qu’il a oublié sa Paola, dans l’histoire.
Roméo (sarcastique) : Vois pas qui c’est, celle-là !
Rodrigo (imitant un amoureux éconduit) : Ah, bellissima Paola, quel désespoir ! Pourquoi ne
veux-tu pas de moi ? (Luigi rit).
Roméo : Ah c’est malin. Vous vous croyez drôles, tous les deux. Tirez-vous.
Rodrigo : Et tu te cacheras où quand on sera partis ? Derrière une bouche d’incendie ?
Luigi (imitant à son tour ) : Paola, Paola, je n’aimerai jamais d’autre fille que toi !
Roméo : Moins fort, à la fin ! Giulietta pourrait vous entendre !
Luigi : Et alors ? En quoi ça te gênerait ? (Roméo est un peu embarrassé).
Rodrigo : Non mais regarde-le ! Et toi tu demandes pourquoi ! C’est simple, pourtant :
Paola, arrivederci ! Giulietta, arrive par ici ! (Rodrigo et Luigi sont hilares).
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Roméo : Moins fort, j’te dis ! Basta !
Luigi : T’as raison, ça suffit ! (tirant Roméo) Pour commencer, tu vas arrêter de faire ton
timide !
Rodrigo (poussant Roméo devant lui) : Et puis t’as bien besoin d’une petite promenade de
minuit, toi ! (A Luigi) Moi ça m’a épuisé, la rigolade – pas toi ?
Luigi : A qui l’ dis-tu ! (bâillant) Pour Luigi, c’est l’heure du lit.
Rodrigo : Pour Rodrigo, l’heure du dodo (poussant de nouveau Roméo qui reculait) et pour
Roméo : l’heure de faire le beau!
(Luigi et Rodrigo s’en vont en rigolant. Roméo n’a d’yeux que pour Giulietta, mais hésite).
Scène 8
Roméo prend de l’assurance … Même lieu. La « lingère », Roméo et Giulietta (qui ne l’a pas vu,
perdue dans ses pensées). Puis voix de Sophia Tagliatelle, la tante de Giulietta.
Roméo : Après tout … Pourquoi ne pas dormir ici, dehors, éclairé par une si belle étoile ?
Giulietta : Oh, Roméo, Roméo ! Mais pourquoi es-tu Roméo Spaghetto ? Ma famille
déteste ta famille ! (soupirant) Oh et puis … Après tout, Spaghetto, ce n’est qu’un nom de
famille. Et dans un nom, il n’y a rien. Si Roméo ne s’appelait pas Roméo, il serait quand
même celui … celui … (Son visage s’éclaire) … oui, celui que j’aime, de tout mon cœur !
(Triste de nouveau) Vraiment, je donnerais tout, tout ce que j’ai, pour que tu ne t’appelles
plus Roméo Spaghetto.
Roméo (qui s’est approché peu à peu, encouragé par le monologue de la jeune fille) : Si
c’est là tout ce que tu veux, Giulietta, à partir de maintenant, je ne serai plus Roméo
Spaghetto, et je changerai de nom.
Giulietta (surprise, ne distinguant pas bien les traits de Roméo) : Qui est là ? Qui es-tu ? Si
tu as entendu ce que j’ai dit, s’il te plaît, garde le secret !
Roméo : Je ne sais pas comment te dire qui je suis, puisque tu ne veux pas de mon nom. Je
déteste mon nom, puisqu’il est ton ennemi. Et si je l’avais écrit, j’aurais déchiré le mot.
Giulietta : Je connais ta voix. Je la reconnaîtrais entre mille autres voix : c’est toi, Roméo !
Roméo : Surtout pas, puisque mon nom ne te plaît pas !
Giulietta : Si un de mes parents te voit avec moi, tu es un homme mort.
Roméo : M’en fiche ! Si un de tes parents me voit avec toi, je m’envolerai ! L’amour donne
des ailes ! Tes parents ne pourront jamais m’arrêter.
Giulietta : Je te dis que s’ils te voient, ils te tueront. Je ne veux pas … qu’ils te voient !
Roméo (un peu « joueur ») : Eh bien, qu’ils me voient ! Et qu’ils me tuent ! Si tu ne m’aimes
pas.
Giulietta : Tu te moques de moi. Tu as entendu ce que je disais tout à l’heure ? N’en crois
pas un seul mot, va-t-en. Je ne devrais même pas te regarder.
Roméo (s’asseyant et croisant les bras) : Non. Je ne partirai pas. Je suis très bien ici.
Giulietta : Tant pis pour toi si tu ne tiens pas à la vie.
Roméo (cessant de jouer) : Giulietta, ma vie, maintenant je le sais : c’est toi. (De nouveau
taquin, faussement « suicidaire ») Si tu me répètes une seule fois que tu ne veux plus me
voir, j’appelle ta famille et tu seras vite débarrassée de moi.
Giulietta (échappant un cri) : Non ! (Roméo sourit). Tu n’as pas honte, Roméo Spaghetto,
de me faire tourner en bourrique comme ça !
Roméo : Non, pas du tout. Tant que je peux rester avec toi. Pour toujours.
Il se figent.
La « lingère » chante Mistral gagnant.
Voix de Sophia : Giulietta ! Mon petit lapin ! Où es-tu passée, ma tutta bella ?
Giulietta (criant vers la coulisse) : Oui ! Quoi ? Qu’est-ce que tu me veux, tante Sophia ?
Voix de Sophia : Dépêche-toi, le Comte Renato, il veut danser avec toi !
Giulietta : Oui, j’arrive ! Ah, la barbe ! Je l’avais oublié, celui-là.
Roméo : On dit partout que ton père veut te marier avec lui.
Giulietta : Mon père arrive trop tard.
Voix de Sophia : Giulietta ! On ne fait pas attendre le comte Renato !
Giulietta : J’arrive, tante Sophia ! (à Roméo) Il faut que je parte.
- 10 -
Roméo : Je ne te laisserai pas partir avant que tu ne me promettes …
Giulietta : Demande tout ce que tu voudras. Je te suivrai jusqu’au bout du monde.
Roméo : Commence déjà par te marier avec moi !
Giulietta (riant, heureuse) : Tu as complètement perdu l’esprit !
Roméo : C’est de ta faute ! Epouse-moi !
Giulietta (aux anges) : Et le comte Renato ?
Roméo : Renato Farfalle ? Je m’en fiche comme de ma première pizza !
Giulietta : Oui, Roméo ! Nous nous marierons en secret, où tu voudras et quand tu
voudras !
Voix de Sophia : GIULIETTA !!!
Giulietta : J’arrive, j’arrive ! (A Roméo) Dis-moi quand et où, vite !
Roméo : Je connais une personne de confiance qui pourra sûrement nous aider. J’irai la voir
dès demain.
Giulietta : Qui est-ce ?
Roméo : Tu connais Zita Fortuna, la voyante ? C’est d’elle dont je te parle.
Giulietta : Zita Fortuna a toujours essayé de réconcilier nos deux familles par le passé. Et
c’est quelqu’un d’influent : tous les jours, elle lit dans le marc de capuccino pour la femme du
Parrain, la Signora Camuzzo. Oui, Zita Fortuna nous apportera son soutien, c’est sûr.
Roméo : Demain, tu sauras tout. Et ne laisse pas le comte Renato te raconter trop de jolies
choses pendant que vous dansez, hein.
Giulietta : Il ne te suffit pas d’être complètement fou, te voilà jaloux comme une teigne !
Allons, bonne nuit ! (elle sort)
Roméo : Facile à dire, bonne nuit ! Elle me manque déjà ! C’est trop long, une nuit sans
elle…
(il sort)
I never loved a man
RIDEAU
Scène 9
Remettre face.
Le lendemain, chez Zita Fortuna. Zita, Marisa Berezina, puis Roméo Spaghetto. Zita et Marisa sont
assises l’une en face de l’autre.
Zita, examinant les cartes : C’est un beau tirage, Marisa. Voilà de quoi te réjouir ! Je vois de
l’amour. Beaucoup d’amour.
Marisa : Ah. C’est bien. Mais …
Zita : Mais quoi ! Ce n’est pas suffisant, peut-être ! Tu veux pas l’argent, en plus ?
(soupçonneuse) Tu as de quoi payer Zita Fortuna, au moins ?
Marisa : Là n’est pas la question …
Zita : Alors elle est où, la question?
Marisa : Tu ne vois aucun obstacle à l’amour ? Vraiment ?
Zita : Santa Maria ! Inutile d’aller plus loin. Alberto Camuzzo, lui-même, (insistant) en
personne, ne prend aucune décision sérieuse si Zita ne lui a pas fait l’horoscope le matin.
Mais peu importe – puisque la petite Marisa Berezina estime que mes services ne valent
rien !
Marisa : Non, non, tu ne comprends pas ! C’est que …
Zita : Qu’est-ce que tu cherches à me dire ? Tu nous aurais pas fait un bambino avant le
mariage, toi ?
Marisa : Je crois que c’est pire ! Ne le répète à personne … (après une hésitation) Mon
problème, c’est Emilio Lavazza …
Zita, riant aux éclats : Quoi, Emilio Lavazza ! Tout le monde sait que c’est ton petit chéri !
Tu parles d’un terrible secret ! Je t’ai promis de l’amour, tu es sourde ma parole – à force de
traîner des nuits entières dans les boîtes de jazz !
Marisa : C’est que … J’en aime un autre maintenant …
Zita : Ah !
Marisa : Et c’est un Capuccino ! (soupir) Le beau Gino Capuccino …
- 11 -
Zita : Bah ! Tant que c’est pas l’Expresso ! Je l’aime pas trop, le Tony, moi. Toujours à
chercher la violence. (Elle réfléchit) Mais dis donc, les Capuccino, ce sont des parents aux
Tiramisu.
Marisa : Et Lavazza est un cousin des Spaghetto ! Tu vois dans quelle misère je me trouve !
Zita : Pas au point de te faire cadeau de la consultation, tout de même.
Marisa : Que me conseilles-tu, Zita ?
Zita : J’ai une idée : je parlerai à Camuzzo, il chargera Vini Spaghetto d’occuper ton Emilio
Lavazza pendant les 10 000 soirées à venir, et tu pourras te consacrer à ton Gino.
Marisa : Merci, merci Zita ! Tu es la meilleure des femmes !
Zita : Oui, oui – mais n’oublie pas les billets, hein.
(Marisa paye et sort, le cœur léger. Elle croise Roméo Spaghetto.)
Marisa, avec un large sourire : Salut, Roméo ! Quelle belle journée, tu ne trouves pas ?
Roméo : C’est Emilio Lavazza qui te rend heureuse comme ça ?
Marisa, aux anges : Emilio Lavazza ? Qui c’est, celui-là ? (Elle sort sur son petit nuage.)
Scène 10
Zita, Roméo.
Zita : Approche, Roméo ! Enfin je te vois ! Tu te fais trop rare ! (Elle le serre dans ses bras)
Comment vas-tu, mon petit ? Qué petit ? Tu as grandi trop vite ! Quand je pense qu’il y a pas
si longtemps je t’emmenais encore au square jouer dans le bac à sable ! Ah (elle se rassoit)
je suis trop vieille.
Roméo : Tu plaisantes, Zita ; on croirait que tu as eu 18 ans hier.
Zita : Ouais ; disons, avant-hier. Toi, si tu n’étais pas aussi gentil d’habitude avec ta Zita, je
dirais que tu as une faveur à me demander. Tu veux que je te tire les cartes ? Ou que je
regarde dans la boule de cristal pour toi ?
Roméo : Zita, je suis plus un bambino – et ces trucs-là, c’est bon pour Marisa Berezina. Au
fait, tu lui as donné une potion euphorisante ? Elle avait l’air en grande forme.
Zita : Ah non, cette potion-là, ce n’est pas Zita qui la fabrique ; c’est le cœur des amoureux.
Roméo : Et c’est une potion très puissante, c’est vrai. Je ne croyais plus en sa magie. Hier
encore …
Zita, souriant : Oui, le jour de mes 18 ans !
Roméo : Je me lamentais sur mon sort, Paola me faisait souffrir. Mais aujourd’hui …
Zita : Tu as l’espoir avec Paola ?
Roméo : Dis donc, pour une voyante, t’es pas fortiche. Non, il ne s’agit pas de Paola.
Elle s’appelle … Giulietta.
Zita : Giulietta ? Ma, Roméo … La seule Giulietta que je connais à Chicago, c’est … la petite
Tiramisu …
Roméo : Je vois que tu retrouves tes pouvoirs.
Zita : Moque-toi, va ! Tu te rends compte de ce que tu m’apprends-là ?
Roméo : Je veux me marier avec Giulietta.
Zita : Comme tu y vas ! Et elle, elle en pense quoi ?
Roméo : Elle est d’accord. Elle me l’a dit. Hier soir … A mes yeux, il n’existe aucun obstacle
à notre union.
Zita : Mais bien sûr, aucun obstacle … sauf Lorenzo Tiramisu, son propre père, et toute sa
famille derrière lui. Sauf le Comte Renato, et je passe sur Alberto Camuzzo qui a donné sa
bénédiction pour le mariage. A part ça, tout va bien ! Grand imbecile !
Roméo : Mais c’est sans compter sur l’excellente et très influente Zita Fortuna.
Zita : Je t’écoute ?
Roméo : Je sais que Zita Fortuna voudrait tout arranger entre la famille Tiramisu et la famille
Spaghetto. Le mariage entre une Tiramisu et un Spaghetto vaudrait bien plus que tous les
traités de paix sur cette terre ! Qu’en dis-tu ?
Zita : J’en dis que c’est une idée merveilleuse – mais Alberto Camuzzo, malgré ses grands
airs, ne veut se mettre à dos ni Vini Spaghetto, ton père, ni Lorenzo. Même moi, je n’y
pourrai rien.
Roméo : Alors … (Il se lève) Autant aller me pendre tout de suite.
- 12 -
Zita : Roméo ! Pauvre petit ! Tu as l’air vraiment mordu ! Attends, attends, je peux t’arranger
quelque chose. Ecoute, si tu te maries avec Giulietta en secret, et qu’ensuite tu révèles votre
union au grand jour, vos familles, mises devant le fait accompli, ne pourront que respecter ce
contrat sacré entre le mari et la femme.
Roméo : Aucun mariage n’aurait plus de sens que le nôtre, crois-moi. Nous nous aimons si
fort.
Zita : Bien. Je vais m’occuper des détails. Demain je fais venir mon neveu, Pietro Zanini,
celui qui s’est installé à Las Vegas. Il a la licence pour accomplir le rite du mariage. Toi,
retrouve-moi ici demain soir, à sept heures. Je me charge de prévenir Giulietta. Eh, j’ai la
tante Sophia qu’il faut je lui apporte la recette de la granita di café.
Roméo : Zita … Comment te remercier …
Zita : Va bene, Roméo. Je me force pas beaucoup pour t’aider, tu sais. De tous les gosses
de Little Italy, tu as toujours été mon préféré.
Roméo : Alors, à demain, sept heures. Je t’adore, ma Zita ! (Il sort).
Zita : Cours, mon joli cœur ! (Elle prend le téléphone). Ciao, Pietro ! Si, la Zita. Dis voir, ça
te dirait de venir marier de vrais amoureux à Chicago ? Va bene. Je paye le billet. Demain.
Quoi, l’anniversaire de la mamma ! Tu te fous de moi ? Je te colle dans l’avion à coup de
pieds au derrière, tu veux quoi ? Va bene. J’aime mieux ça. Tu es le neveu chéri à tata Zita.
Si. Ecoute-moi bien …
Sweet Home Chicago
RIDEAU
Scène 11
Le Canigou bar. Paola et Marisa, puis Roméo, Rodrigo et Luigi.
Paola : Alors, tu l’as vue, Zita Fortuna ? Tu lui as dit pour Gino ?
Marisa : S’il te plaît, Paola, parle moins fort. Oui, tout s’arrange. Et devine qui j’ai croisé chez
elle : Roméo Spaghetto !
Paola : Celui-là, il me mange dans la main quand je veux !
Marisa : J’en suis pas si sûre, tu vois.
Paola : Qu’est-ce que tu racontes ? Il est à mes pieds.
Marisa : C’est pas ce que j’ai entendu.
Paola : Tu écoutes aux portes, maintenant.
Marisa, innocemment : Je me suis attardée un peu chez Zita, c’est tout. Roméo va se
marier.
Paola : Quoi ? Et avec qui ?
Marisa : Avec Giulietta Tiramisu.
Paola : Tu es devenue folle !
Marisa : Pas du tout. Zita lui a promis de faire le nécessaire. C’est pour sept heures ce soir.
Il a l’air vraiment amoureux ! Mais tu diras rien, hein ?
Paola, vexée : Ah pour ça, je lui parlerai plus jamais, à ce Roméo de malheur !
Marisa : Tiens, je croyais que tu t’en fichais, de Roméo Spaghetto ?
Paolo : Complètement ! De toute façon, je resterai pas sans soupirant longtemps, croismoi ! (Roméo, Luigi et Rodrigo entrent.) Regarde-le, cet asticot, avec ses deux roquets. J’ai
mieux à faire que de m’intéresser à des gamins.
Rodrigo : Tiens, bonjour Paola. (à l’autre) Marisa.
Luigi : Buon giorno. Roméo, dis bonjour à Marisa et à Paola.
Roméo, dans ses pensées : Il est quelle heure ?
Luigi : Je t’ai donné l’heure il y a dix minutes ! Tu as un rendez-vous, ou quoi ?
Rodrigo : Ouais, chez Zita Fortuna, à sept heures.
Paola : Ben voyons !
Luigi : Faut pas lui en vouloir, Paola. Roméo a perdu un peu le sens de la politesse, mais ça
va sûrement lui revenir.
Paola : Oui, après sept heures, je suppose.
Marisa : Chut, Paola ! Tu m’avais promis …
(Luigi et Rodrigo suivent Roméo qui va s’asseoir plus loin, rêveur. Au bout de quelques
instants, Tony l’Expresso entre accompagné de Gino Capuccino et d’Aldo Mingo. )
- 13 -
Marisa : Oh non ; voilà Tony l’Expresso qui se pointe. Avec Gino …
Paola : Il est pas mal, Tony.
Marisa : T’es pas folle. C’est une vraie brute.
Paola : Alors que Gino Capuccino et son lait fraise …
Marisa : T’es vraiment impossible, Paola.
Tony l’Expresso, fort : Buon giorno, tutti.
Marisa et Paola : Bonjour, Tony.
Tony l’Expresso : Voilà des demoiselles bien élevées. On peut pas dire la même chose de
tout le monde. (Roméo retient Luigi et Rodrigo qui ont un mouvement).
Roméo : Bonjour, Tony. Content de te voir en pleine forme. (Luigi manque de s’étrangler).
Luigi : Tu veux pas lui faire la bise, tant que tu y es ?
Rodrigo : Laisse, Luigi. Roméo sait ce qu’il fait. Tu comprends pas ?
Luigi : Si je comprends. C’est rapport à ce soir sept heures. Mais quand même …
Tony l’Expresso : Et toi, Roméo, tu vas bien depuis hier soir ?
Roméo : Oui, parfaitement bien.
Tony l’Expresso : Tu as passé une bonne soirée ?
Roméo : Excellente, je te remercie.
Tony l’Expresso : Et ma cousine Giulietta, tu la trouves à ton goût ?
Rodrigo : Aïe aïe aïe.
Luigi : Tu vas pas le laisser te parler comme ça, quand même !
Roméo : Je respecte beaucoup ta cousine Giulietta.
Tony l’Expresso : Beaucoup ! Ah ouais ! Pas assez, tu veux dire ! Lui tourner autour
comme tu l’as fait hier soir ! Je te préviens, si je te revois toi – ou tes lascars – rôder encore
du côté de chez l’oncle Lorenzo …
Roméo : Eh bien, tu me salueras aimablement, Tony, en bon voisin.
Rodrigo : Il est fou !
Luigi, se levant : Tu sais ce qu’ils te disent, les lascars !
Roméo : Luigi. Non.
Tony l’Expresso : Allez, Spaghetto, viens régler ça tout de suite, si t’es un homme. (Il sort
son revolver).
Paola : Décidemment, Marisa, il me plaît beaucoup, Tony !
Roméo : Tony, calme-toi. On va discuter, tranquillement. Viens t’asseoir.
Tony l’Expresso : Plutôt crever !
Luigi, sortant son revolver et protégeant Roméo : Maintenant ça suffit ! Vas-y, l’Expresso,
qu’on en finisse !
(Tony l’Expresso ne se fait pas prier et tire sur Luigi. Ce dernier s’effondre.)
Marisa : Tony ! Il est très gravement blessé !
Tony l’Expresso : Bien fait ! Un de moins !
Roméo, s’emparant du revolver de Luigi : Tout est de ma faute !
Rodrigo : Non ! Roméo ! Ne fais pas ça !
Roméo : C’est trop tard ! (Il tire. Tony s’écroule. )
Paola : Roméo, tu l’as tué ! J’ai vraiment pas de bol, moi !
Roméo, auprès de Luigi : Il est vivant, il respire ! Parle-moi, Luigi ! (A Cesare). Toi, appelles
une ambulance !
Luigi : Non, Roméo, c’est pas la peine. Je sens bien que … J’ai froid. Tu sais ce que ça veut
dire ? Roméo ! Vous m’avez tué, tous, avec vos histoires de famille stupides ! je vous
maudis – tu m’entends – je vous maudis tous ! Tous ! (Il meurt dans les bras de Roméo.)
Treat her right
RIDEAU
Scène 12
Chez Giulietta. Giulietta, Carlotta Tiramisu et la tante Sophia. Elles cousent.
Giulietta : Il est quelle heure ?
Carlotta : Je t’ai donné l’heure il y a dix minutes ! Tu as un rendez-vous, ou quoi ?
Sophia : Eh, c’est le temps qui lui paraît long jusqu’au mariage – pas vrai, Giulietta ?
Giulietta : Tu ne crois pas si bien dire.
- 14 -
Carlotta : C’est vrai qu’il porte beau, le Comte Renato.
Sophia : Il a l’air robuste …
Giulietta : … pour son âge.
Carlotta : Giulietta, passe-moi la bobine. Elle avance pas beaucoup, ta couture. (Giulietta
se pique au doigt.) Qu’est-ce que tu as, à t’agacer comme ça ? Ho Sophia ! Qu’est-ce qu’elle
a cette petite ?
Giulietta : Elle te l’a dit tout à l’heure. Je suis impatiente de me marier.
(Lorenzo Tiramisu entre ; il a l’air grave.)
Carlotta : Lorenzo ! Que se passe-t-il ? On dirait que tu as vu un mort !
Lorenzo : Tout juste ! Ils nous ont tué le Tony ! Tony l’Expresso !
Sophia : Oh je me doutais qu’il allait finir mal celui-là !
Carlotta : Ils nous ont tué le Tony ! Qui nous l’a tué, le Tony ?
Lorenzo : Qui veux-tu que ce soit !
Sophia : Les Spaghetto !
Carlotta : Vini Spaghetto !
Lorenzo : Non, mais pas loin ! Son propre fils – Roméo !
Giulietta : Ah !
Lorenzo : Je sais que ton cousin l’Expresso, tu as grandi avec, je sais, ma petite – mais il
est vengé, va !
Giulietta : Ah ! Ils ont tué Roméo !
Lorenzo : Si ça n’avait tenu qu’à moi ! Mais Vini Spaghetto a intercédé pour son fils, et
Alberto Camuzzo demande qu’il soit banni de Chicago !
Giulietta : Ah !
Lorenzo : Mais qu’est-ce qu’elle a cette petite ?
Carlotta et Sophia : Elle est impatiente de se marier !
Lorenzo : Tu n’attendras plus longtemps, ma Giulietta ! Avec tous ces événements, il me
faut hâter le mariage avec le Comte Renato. Sa protection ne sera pas de trop dans des
temps aussi troublés ! Le Comte et moi sommes tombés d’accord tout à l’heure : le mariage
a lieu demain.
Giulietta : Demain ! Jamais !
Lorenzo : Comment ça : jamais ?
Carlotta : Comment tu parles à ton père, toi !
Giulietta : Mamma, je n’épouserai pas le Comte Renato !
Sophia : Comment tu parles à ta mère, toi !
Giulietta : Je déteste le Comte Renato ! Celui que j’aime et que je dois épouser c’est – c’est
Roméo, Roméo Spaghetto !
Lorenzo : Elle a perdu la tête ! C’est la mort de Tony qui lui tape sur le système ou elle a
décidé de me faire attraper la crise cardiaque ? Ecoute, Giulietta, soit tu épouses le Comte
Renato demain, soit je te renie comme une malpropre !
Giulietta : Papa ! C’est Roméo que j’aime ! Je t’en prie !
Carlotta : Du calme, Lorenzo ! Tu ne vas pas abîmer ta propre fille – et à la veille de son
mariage, en plus ! Viens, Giulietta, tu vas te reposer dans ta chambre, et basta. (Carlotta et
Sophia emmènent Giulietta).
Lorenzo : Et fermez la porte à clé, elle serait bien capable de s’enfuir avec ce moins que
rien !
I never loved a man
RIDEAU
Scène 13
Chez Zita Fortuna. Giulietta, Zita, puis Paola.
Giulietta : Zita !
Zita : Si, bella !
Giulietta : Ils m’ont enfermée dans ma chambre ! Je me suis enfuie par la fenêtre !
Zita : Quel malheur ! Alors, c’est bien vrai ? Roméo est banni, lui, doux comme un agneau,
devenu un assassin à cause de ces querelles ridicules ! Mes pauvres petits !
- 15 -
Giulietta : Alors tu ne sais pas où il est ? Si ça se trouve, le bras droit de Camuzzo, l’affreux
Carlo, il lui a fait du mal !
Zita : Attends, quelqu’un vient ! C’est sûrement Paola, je l’avais envoyée aux nouvelles.
Cache-toi !
(A Paola) Alora ?
Paola : Y a du remue-ménage, je te jure ! A l’aéroport, ils ont coincé Pietro Zanini et ils l’ont
renvoyé aussi sec pour Las Vegas. C’est la Marisa qui leur a tout dit.
Zita : Ah c’est pas la gratitude qui l’étouffe, celle-là ! Et Roméo ?
Paola : Roméo ? Envolé pour la Louisiane, avec son frère Rodrigo qui est chargé de le
protéger à la Nouvelle-Orléans. Le père Tiramisu est furieux. Il veut marier Giulietta au
Comte Renato dès demain.
Zita : Merci, Paola. Retourne en ville, et ouvre bien tes oreilles.
(Paola sort.)
Giulietta : A la Nouvelle-Orléans ! Mon Roméo ! Il ne sera jamais mon mari ! Je ne veux
plus vivre !
Zita : Giulietta, tu vas te reprendre, comme la grande fille que tu es. Je suis là, moi. A
situation désespérée, mesures exceptionnelles. Tu vois ce flacon ?
Giulietta : Si c’est du poison qu’il contient, donne-le moi tout de suite !
Zita : Tout doux, ma belle ! Dis-moi, tu te souviens de Giorgio Armano, le tailleur ?
Giulietta : Santa Madonna ! Le mort-vivant ? Celui que la police a exhumé son cadavre
pendant une enquête et que le cadavre il avait disparu ?
Zita : Celui-là même, précisément. Personne ne sait ce qui s’est vraiment passé – personne,
à part Zita Fortuna.
Giulietta : Où veux-tu en venir ?
Zita : Giorgio Armano savait que Camuzzo allait lui envoyer Carlo pour lui faire le coup de
l’accident – à cause d’une histoire de costume mal coupé qu’il avait fait payer une fortune au
Padrino.
Giulietta : Eh bien ?
Zita : Eh bien, Giorgio a rendu une petite visite à Zita Fortuna. Il lui a demandé de l’aider à
disparaître. Alors Zita lui a donné – ça ! Il a bu, on l’a cru mort – et quand il s’est réveillé, il
était à Miami, au bord de la mer, dans la planque qu’il avait arrangée en cas de fuite
précipitée ! Je l’avais fait libérer de son cercueil en grand secret !
Giulietta : Alors … il est bien vivant !
Zita : Il pète le feu, tu veux dire ! A l’heure qu’il est, il se la coule douce sous le soleil de la
Floride ! Personne ne le sait – personne, à part Zita Fortuna.
Giulietta : Et moi ! Donne ta potion. Tout le monde me croira morte – et quand je me
réveillerai, je renaîtrai auprès de mon Roméo !
Zita : C’est fou ce que ça comprend vite, à cet âge-là ! Alors tu es prête ? Pendant quarantehuit heures, tu seras plongée dans le sommeil le plus profond qui soit. On t’emmènera à
l’hôpital, et c’est là que je viendrai te chercher avec Roméo. Ensuite, en route pour Las
Vegas où Pietro Zanini pourra enfin vous marier. Je me charge d’avertir ton amoureux.
Giulietta : Zita, je te dois la vie – même si pour ça, je dois faire semblant de mourir !
Zita : Retourne vite chez toi, et bois la potion sans tarder. Allons ! Pour le reste, je m’occupe
de tout.
In the midnight hour
RIDEAU
Scène 14
Le lendemain matin, chez les Tiramisu. Dans la chambre de Giulietta. Sophia Tagliatelle entre avec
un plateau de petit-déjeuner.
Sophia : (doucement) Giulietta … Il faut se lever … Le coiffeur et la couturière attendent
déjà en bas. (Pas de réponse.) Elle dort comme un bébé, c’est bien ça, le sommeil ça
répare tout. (Elle secoue doucement Giulietta). Il faut manger, ma belle, tu n’as rien avalé
depuis hier soir … (Elle voit le flacon). Rien avalé … Qu’est-ce que c’est que ça ? Oh non.
Ce n’est pas possible ! Elle ne respire plus ! Carlotta ! Aïe ! Carlotta !!!
- 16 -
Carlotta : Je t’ai demandé de la réveiller, pas d’ameuter tout le quartier ! Qu’est-ce qui se
passe ici ?
Sophia : Elle s’est empoisonnée ! Elle s’est empoisonnée ! Avec ça !
Carlotta : Ma que catastrofe ! Ma toute petite ! Mon trésor ! Ma Giulietta ! Lorenzo !!!
Lorenzo : Ho ! Qu’est-ce que vous avez, à beugler comme ça ? Non ! Impossible ! Pas ma
Giulietta !
Carlotta : Toi et Vini vous me l’avez tuée avec vos âneries ! Avec ton Comte Renato !
Lorenzo : Quoi, mon Comte Renato ? C’est toi qui passes ton temps à me rebattre les
oreilles avec le Comte Renato !
Sophia : Basta, tous les deux ! J’appelle il dottore Calzone !
Lorenzo : Il est déjà en bas, il dottore Calzone ! C’est le témoin du Comte Renato !
Carlotta : Alors qu’est-ce que tu attends pour le faire monter, bougre d’âne !
(Lorenzo revient avec le docteur Calzone).
Carlotta : Ma Giulietta s’est fait du mal ! Vous devez la sauver !
Calzone, prenant le pouls de Giulietta : Son pouls est faible, il faut l’emmener à l’hôpital !
Je me charge d’elle, si vous voulez.
Lorenzo : Nous y allons tous. Mais je vous préviens, s’il lui arrive malheur dans votre
voiture, c’est moi qui me chargerai de vous. Personnellement.
Calzone : La douleur t’aveugle, Lorenzo ! Ne perdons pas de temps. Andiamo.
Pennsylvania six-five thousand
RIDEAU
Scène 15
Lumière chaude. A la Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Rodrigo et Roméo. Une rue. Cabine
téléphonique. Un quartet de blacks qui vocalisent une mélopée nostalgique.
Rodrigo, au téléphone : Si, mamma. Roméo est… Bé oui, il est en forme.
Roméo : Ouais, et en plus je nage dans le bonheur.
Rodrigo : Si je connais la nouvelle ? Quelle nouvelle ? (Il pâlit). Quoi, Giulietta ?
Roméo : Quoi, Giulietta ? Passe-moi ce téléphone tout de suite.
Rodrigo : Hé !
Roméo : Mamma ? Oui c’est moi. Non j’ai pas attrapé froid. C’est le Sud, maman ! Laisse
tomber la nourriture de sauvages et dis ce que tu sais à propose de Giulietta Tiramisu.
Mais ne pleure pas mamma ! Non je te parle pas de travers ! Alors ? Quoi ! Dis-moi que
c’est faux, mamma ! Pas Giulietta !
Rodrigo, qui reprend le téléphone : Si, mamma ? Je te rappelle. Sans faute. (Il raccroche).
Elle t’a dit, hein ?
Roméo : Je retourne à Chicago.
Rodrigo : Mais ils veulent ta peau là-bas !
Roméo : Qu’est-ce que ça peut me faire ! Giulietta est mourante. Je veux être à ses côtés.
Rodrigo : Tu viens manger un morceau ?
Roméo : J’ai vraiment pas faim.
Rodrigo : Ecoute, si tu veux, je te paye le billet pour Chicago. Aïe, c’est la mamma qui va
me tuer. Mais je peux pas te laisser comme ça.
Roméo : Merci, Digo.
Rodrigo : Tu vas me pourrir la vie tout le temps qu’on sera ici, j’ai pas le choix. Tu me
promets que tu te feras tout petit, pas vrai.
Roméo : Va bene, fratello mio.
Rodrigo : Je suppose qu’on passe pas prendre les bagages ?
Roméo : Pas de temps à perdre.
Rodrigo : Tu referas pas de grosses bêtises une fois arrivé – tu jures ?
Roméo : Arrête, tu veux. On se tire. (Rodrigo part devant. En aparté , sortant de sa veste un
flacon :) De toute façon, il ne m’aura plus longtemps à sa charge. On n’attrape pas de
rhumes, en Louisiane, mais on se procure facilement de quoi s’en soulager pour toujours.
(Il sort.)
Eteindre lights / musique pendant changement de décor :
I’m a man in constant sorrow.
- 17 -
Scène 16
Chez Zita Fortuna. Rodrigo entre. Zita vient à sa rencontre.
Zita : Digo Spaghetto ? Mais que fais-tu ici !
Rodrigo : C’est Roméo, j’ai pas pu le retenir à la Nouvelle-Orléans, il veut être auprès de
Giulietta. Et puis, j’ai peur qu’il ne commette l’irréparable … J’ai pas confiance …
Zita : Quoi ! Vous n’avez pas eu mon message, à votre hôtel ?
Rodrigo : Quel message ?
Zita : Celui dans lequel je préviens Roméo que Giulietta ne court aucun danger et qu’elle le
rejoindra bientôt. Elle a bu une de mes potions, celle que j’avais utilisée pour Giorgio
Armano.
Rodrigo : Le mort-vivant ? Alors c’était un coup de la Zita !
Zita : Bon, peu importe. Où est Roméo ?
Rodrigo : Sûrement déjà à l’hôpital.
Zita : Et tu l’as laissé tout seul ! Tu parles d’un garde du corps ! Il faut y aller nous aussi, à
l’hôpital, pronto ! Va nous appeler le taxi ! (Elle le pousse dehors).
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RIDEAU
Scène 17
La chambre d’hôpital de Giulietta. Deux lits, dont un vide. Roméo, déguisé en médecin, entre avec
Paola en infirmière.
Roméo : Comme je suis heureux de la voir enfin ! Merci, Paola.
Paola : Dix minutes, pas plus. C’est que je risque ma place, moi.
(Le comte Renato entre, avec un bouquet de fleurs. Plus fort, à Roméo :) Oui, bien sûr,
Dottore, je m’en occupe. Ah, Comte Renato, je vais vous trouver un vase. Elles sont
drôlement belles, il n’y a pas plus galant homme que vous.
Le Comte Renato : Vous êtes bien aimable, belle Paola. Si je n’étais pas déjà fiancé, je
vous donnerais ce bouquet sans hésitation.
Roméo, entre ses dents : Faut pas vous gêner, surtout.
Le Comte Renato, méfiant : Je vous demande pardon, Dottore ?
Paola : Il Dottore pense à voix haute. Que voulez-vous, les grands médecins, ils ont l’esprit
toujours préoccupé … Dottore, on vous attend en chirurgie …
Le Comte Renato : Un instant. Je ne crois pas avoir l’honneur de vous connaître. Vous êtes
un nouveau collègue de Calzone ?
Paola : Oui, oui, un éminent spécialiste … A plus tard …
Le Comte Renato : Un éminent spécialiste, vraiment … Dois-je vous appeler Professeur ou
bien … Roméo Spaghetto, fils de chien ! (Il tire un revolver de sa veste).
Paola : Ah non, ça va pas recommencer ! Ce n’est vraiment pas l’endroit ! Donnez-moi ça,
Comte Renato ! (Elle veut le désarmer. Un coup part accidentellement.)
Paola : Santa Madonna ! Comte Renato ! Qu’est-ce que j’ai fait !
Le Comte Renato, blessé au pied : Ah, je suis mortellement blessé ! Ayudo ! Ayudo !
Roméo : Mais pas de panique, Signore. Je vais me faire un plaisir de vous opérer
personnellement.
Paola : Arrête, Roméo, et viens plutôt m’aider. (Ils font s’allonger Renato sur le lit vide).
Le Comte Renato : Heureusement que vous êtes là, vous, Paola. Ah, vous savez, si je
n’étais pas déjà fiancé …
Roméo : Mais non vous n’êtes pas fiancé ! (le menaçant du revolver) N’est-ce pas que vous
avez changé d’avis ?
Paola : Roméo, n’aggrave pas ton cas !
Le Comte Renato : Qu’est-ce que vous voulez ?
Roméo : C’est très simple. Si vous ne rompez pas vos fiançailles avec Giulietta Tiramisu
dans la seconde, je vous troue le pied qu’il vous reste – c’est bien clair ?
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Le Comte Renato : Limpide. Je vous le dis tout de suite : à choisir, je les préfère plus …
infirmières – si vous voyez de qui je veux parler ?
Roméo : C’est un plaisir de traiter une affaire avec vous, Monsieur le Comte.
Le Comte Renato : Je vous en prie … pas de chichis entre nous … Appelez-moi Renato.
Paola : Je suis toute émue. Moi aussi, je peux vous appeler Renato tout court ?
Le Comte Renato : Tout ce que vous voudrez, Paola bella.
Paola : Vous me flattez, Renato.
Le Comte Renato : Cara mia ! Comme tous les préparatifs pour un mariage sont avancés,
que diriez-vous d’être la reine de la cérémonie ? J’aurais du mal à vous le demander à
genoux mais …
Paola : Comme c’est beau ! Bien entendu que j’accepte – Renatino mio !
Roméo : Dis voir, la Comtessa Renata … Il faudrait songer à remettre ton fiancé sur pied si j’ose dire... Avec un vrai toubib… (Il s’assoit auprès de Giulietta, tristement. Il sort le flacon
de sa poche).
Scène 18
Les mêmes. Entrent Rodrigo et Zita.
Rodrigo : Je te l’avais bien dit, Zita, il allait faire la grosse bêtise ! (Il lui arrache le poison
des mains).
Zita : Roméo, Giulietta n’est qu’endormie.
Roméo : Qu’est-ce tu veux dire ?
Zita : Elle a bu ma potion spéciale, celle qui …
Roméo : Toi ! Tu as osé ! Qu’est-ce que tu lui as fait, sorcière ?
Zita : Calme-toi ! Elle ne va pas mourir, crois-moi.
Rodrigo : C’est la botte secrète à Zita ! La botte Giorgio Armano !
Roméo et Renato : Le mort-vivant ?
Zita : Oui, bon, on t’expliquera plus tard. Paola, tu nous arranges le brancard et
l’ambulance ? Roméo et Giulietta ont un rendez-vous urgent. A Las Vegas.
Paola : C’est comme si c’était fait ! Je reviens tout de suite, Renatino mio !
Rodrigo : Ben, vu son état, ça m’étonnerait qu’il s’envole, le Renatino.
Zita : Par contre, l’avion pour Las Vegas, ça risque ! Avanti tutti !
In the midnight hour
RIDEAU
Scène 19
Eteindre face / chase (lent).
La chapelle de Pietro Zanini à Las Vegas. Avec pianiste. Pietro, Zita et Rodrigo, puis Roméo et
Giulietta.
Pietro : Dis-donc, tante Zita, je croyais qu’ils étaient pressés de se marier, tes deux
protégés ?
Zita : Va bene, Pietro. Les tourtereaux, ça aime bien roucouler avant de faire le nid.
Rodrigo : Ils arrivent ! (Roméo et Giulietta entrent, habillés pour l’occasion).
Marche nuptiale.
Zita : Donne le mouchoir, Pietro. J’ai la larme qu’elle arrive avec ses petites soeurs.
Pietro : Avancez, mes enfants. Roméo Spaghetto, Giulietta Tiramisu, je m’apprête
aujourd’hui à vous unir l’un à l’autre dans la grande chapelle Zanini – la seule climatisée de
Las Vegas, avec minibar et salon de massage …
Zita : Pietro ! Avanti !
Pietro : Si, si. (Il s’éclaircit la voix) Mais s’il est une seule voix qui veuille s’élever contre
cette union, qu’elle se fasse entendre maintenant ….
(Alberto Camuzzo, Carlo, les parents Spaghetto et Tiramisu entrent, suivis du Comte Renato
sur béquilles, collé de près par Paola).
Le Comte Renato : Ou qu’elle se taise à jamais …
Alberto Camuzzo : Amen.
- 19 -
Carlotta et Lorenzo : Ma chérie !
Robertina : Mon fils !
Vini Spaghetto : On ne pouvait quand même pas rater ton mariage !
Lorenzo : Il doit vraiment t’aimer, ce Roméo ! Le Comte Renato a plaidé en votre faveur et il
m’a convaincu de venir serrer la main de mon futur gendre. Vous avez aussi le soutien de sa
jeune épouse, Paola.
Giulietta : Félicitations, Paola.
Roméo : Renato, sacré veinard.
Vini : Et c’est un honneur d’unir mon fils Roméo à une jeune fille aussi courageuse et
déterminée. En présence de notre Padrino – notre joie est complète.
Alberto Camuzzo : Alléluia.
Carlo : Affirmatif, Padrino. (Il renifle – d’émotion ?)
O happy day (avec une tripotée de Tiramisu and co, y compris Marisa et Gino).
Alberto : Bon, et ce mariage, alors – on le fait ou on le fait pas ?
Pietro : Vous êtes un ami à tante Zita, vous, je me trompe ? Hum … Roméo Spaghetto,
veux-tu prendre pour épouse Giulietta Tiramisu ici présente ?
Roméo : Oui, je le veux.
Pietro : Et toi, Giulietta Tiramisu, acceptes-tu de prendre pour époux Roméo Spaghetto, ici
présent ?
Giulietta : Oui, je le veux !
Pietro : Je vous déclare donc unis par les liens sacrés du mariage !
(Tous se réjouissent. On lance des confettis. )
Marisa, à Pietro : Vous êtes disponible, dans les prochaines cinq minutes ?
Gino : Parce que nous aussi on aurait comme un mariage à faire …
Alberto, à Roméo : Dis voir, Roméo, j’aurais peut-être un travail pour toi … Tu vois, je me
fais vieux et je pensais … Un garçon comme toi, je le sens plein d’avenir … Tu pourrais être
le parrain à ma place …
Roméo : C’est un immense honneur que vous me faites-là, Padrino. Mais je suis obligé de
refuser. Je ne crois pas être de taille à devenir votre successeur.
Alberto : Qué successeur ! Tu veux discuter avec Carlo ou quoi ? Je te parle de devenir le
parrain … du futur bébé de Renato et de Paola.
Roméo : Va bene !
Alberto : Ah ces jeunes, Carlo, je te jure ! Et toi, dis donc, quand tu te maries une petite qui
te fera plein de petits Carlo ?
Carlo : Euh … Vous croyez que c’est une bonne idée, patron ?
Mix final (Everybody needs somebody + Mr Pitiful) ….
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