L`Agneau Noir et le serpolet.

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L`Agneau Noir et le serpolet.
L’Agneau Noir et le serpolet.
Ce 15 juin 2015, tout excité, Stéphane téléphone à ses amis, les pressant de
venir voir le spectacle : plus que d’habitude, les Brebis Noires du Velay et leurs
Agneaux ont pris l’habitude de manger l’herbe mêlée de serpolet qui tapisse une
pente pierreuse exposée plein Sud aux Astiers, sous Allègre.
Spectacle pas tout à fait exceptionnel, mais, cette année, bien plus… gourmand !
Gourmets et éleveurs le savent bien, l’altitude de notre Haute-Loire sélectionne
la flore des prés pâturés.
Le Bœuf-Fin-Gras du Mézenc en est un bel exemple. De même les Agneaux-Noirs
du Velay.
Cette année, un printemps idéalement dosé en chaleur et pluies a décuplé les
qualités nutritives et gustatives des herbes et de la flore d’altitude. Et, plus
localement, du thym-serpolet !
Cette flore odorante et parfumée a attiré plus fortement que d’habitude les
brebis et agneaux noirs du Gaec en un endroit escarpé de ses terres, ce qui ne
les a pas découragés.
L’influence de la flore sur le goût de la chair des bêtes qui l’ont mangée est bien
connue. De plus la race ovine Noire du Velay, grâce à sa croissance lente, offre
une chair intrinsèquement fine et tendre.
Voilà deux atouts jumelés plus que d’ordinaire.
Président pendant quatorze ans de la Sélection de la Noire du Velay,
anciennement Mouton Noir de Bains, Stéphane, et les associés du Gaec de
Combe d’Azou, conduit son troupeau selon une ligne à l’opposé des exploitations
qui copient l’industrie.
Philosophie heureusement partagée par bon nombre de ses collègues éleveurs
altiligériens.
Nous répartissons nos brebis en trois groupes, chacun ayant son rythme de vie.
Les béliers sont tenus à part.
Stéphane met successivement chaque groupe en lutte sous les béliers en
octobre-novembre, mars-avril et juin-juillet.
Les naissances échelonnées donneront les traditionnels Agneaux de Noël, les
Agneaux de Pâques et les Agneaux de la Saint-Jean.
Les agneaux tètent le lait de leurs mères et, selon la saison, mangent le foin ou
les herbes fraîches.
C’est le cas des agneaux de la Saint-Jean qui ont la chance, avec leurs mères, de
manger la belle herbe de fin de printemps… et le serpolet. Lait et chair sont
parfumés par les herbes grasses de printemps et… par le thym-serpolet.
A trois mois, les agneaux prêts les premiers, les plus dodus, sont les agneaux
des meilleures mères, les plus forts des bessons et les « enfants uniques » !
Le serpolet (Thymus-serpyllum) ou thym-serpolet est un frère sauvage,
aromatique du Thym, en coussins tapissants. Dès la fin du printemps son
feuillage ras se couvre de minuscules fleurs blanches ou rose très clair. De juin à
octobre ses fruits-akènes prennent le relai. Le sol maigre a convenu au serpolet
comme aux Agneaux Noirs… D’autant qu’antiseptique, désinfectant, expectorant
et antispasmodique il veille sur la santé respiratoire et digestive du troupeau !
Cette année la floraison a été précoce pour le plus grand bonheur des Agneaux
Noirs de la Saint-Jean. Ils savent couper les plantes sans les arracher… et peutêtre savent-ils aussi que la thym-serpolet est encore meilleur avant sa floraison.
A la fin de l’été ce sera le tour des Agneaux Noirs de Noël !
Qui s’étonnera que ce soit à l’accent de Daudet et Scotto, à la truculence de
Pagnol et Raimu qu’on pense soudain ! On les voit fermer les yeux de bonheur
en respirant les senteurs du civet des lièvres nourris du serpolet en fleurs. Une
branchette de serpolet sur les grillades ou dans la sauce complètera le parfum
acquis par les côtelettes ou les morceaux à navarin.
Nostre Velai a tout pour câliner nos papilles !
Eddy et deux de nos Borders, Pierre et Clariss, Laurence, Stéphane, Lionel, Loïc…
et Béto.
Photos : Agneaux et Brebis Noires du Velay, aux Astiers. Photo « de famille » trois
générations des associés du Gaec de Combe d’Azou, Borders-Collies et Beethoven le
vieux patou (Béto pour les intimes).
Inscrits dans l’histoire…
Exercer notre métier d’agriculteurs dans un lieu aussi chargé d’histoire que les
Astiers n’est pas anodin.
Nous le savons et le vivons…
Le premier document connu sur le site des Astiers date de 1381 !
Il nomme Pons, Valentin, Pierre, Thomas et Johan, des parsonniers domaniaux
qui avaient installé-là leur frérèche et défriché un écart.
Un écart en-dessous d’Allègre ?
Oh non, bien avant !
Ils ont défriché un écart de Grasac, le bourg d’en bas du volcan de Baury, autour
de son église romane.
En haut de Baury le village des Alegre est celui des servants du baron. Il est
blotti sous le château d’Armand IV d’Alegre mort à peine vingt ans plus tôt.
Trente-deux ans d’incertitudes vont s’écouler avant qu’arrive un nouveau
seigneur, venu de Tourzel.
Sous l’égide d’un maître prénommé Astier (du nom d’Asterius, un religieux du
sud-ouest), les paysans ancêtres de Pons, Valentin, Pierre, Thomas et Johan ont
créé de toutes pièces ce domaine qui travaille les pentes de Baury et de
Montchaud.
Des pentes qui rejoignent la Borne et ses moulins.
Juste en face de la Combe d’Azou.
Ils ont le bois, la pierre, l’eau, le vent, la terre.
Ils vivent « au même feu, au même pot et au même sel ».
Ils échappent aux taxes car rien n’est taxable : rien n’appartient à l’un plus qu’à
l’autre, tout appartient à la communauté.
Mais si l’un choisit de quitter la communauté, il part vêtu de sa seule chemise.
On est ainsi installés en communautés taisibles aux Valentins et aux Garniers, et
sans doute aux Bechou (Bessons), à Mestrenac (chez le maître), à l’Arboulet
(sobriquet quelque peu péjoratif). Ces communautés étaient nombreuses dans
les régions agricoles morcelées et peu fortunées.
Dans l’Ain, le Morvan, en Auvergne et en Velay, elles ne disparurent, comme les
Béates, qu’en toute fin du XIXe siècle à la suite de lois napoléoniennes du début
du même siècle.
La dernière s’éteignit en 1904 près de Thiers.
Face à face, la Combe d’Azou
et
les Astiers.
On retrouve la ferme des Astiers à la fin du XVIIe siècle lors de vastes travaux
qui donnent naissance à la partie la plus ancienne des bâtiments.
Entre temps une partie des parsonniers des Astiers a défriché un second écart,
dans la combe Oyer, devenue Combolivier où vivait René Charrat, oncle de
Stéphane.
La fidélité du Gaec aux traditions de respect de la nature trouve ses racines dans
ce puissant arbre d’histoire à l’ombre duquel broutent les Brebis Noires du Velay,
vedette de la fête de La Neira qui réunit chaque premier dimanche d’août
bénévoles, artisans, fermiers et visiteurs de notre Velay.
Vay davant nostre Velai et nosautres maï !
15 juin 2015.

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