D`abord le livre paraît trop écrit. On craint de ne pas
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D`abord le livre paraît trop écrit. On craint de ne pas
MANHATTAN BLUES D’abord le livre paraît trop écrit. On craint de ne pas pouvoir suivre le rythme. Et puis très vite on le suit, on n’y pense plus, on le suit sans y prendre garde : ce rythme s’impose. Cette écriture-là est bien celle qu’il fallait pour ce livre, à la fois lente et démultipliée comme dans l’histoire elle-même le sort de l’amour. Très vite on s’embarque dans le grand vaisseau de la lecture. Le temps ne passe plus, on lit. Il est quatre heures du matin tout à coup, le livre a fait la nuit. Une nuit de lecture. C’est la nuit peut-être qu’on lit tout à fait et que la force d’un livre se fait plus visible. Quand les jours passent et qu’on s’éloigne de sa lecture, Manhattan Blues paraît de plus en plus beau. On voudrait être à le relire encore. On le fait lire à un ami. Il dit lui aussi que c’est très beau. Et le livre grandit encore. Il devient de plus en plus beau. C’est pourquoi j’écris aujourd’hui que c’est un livre magnifique. L’histoire d’amour est bouleversante, cachée, à l’auteur, d’abord cachée à lui, puis à nous, à tous. Jamais tout à fait tirée au clair. Elle ne peut pas l’être. Elle avançait sous le livre et puis voici qu’elle explose comme un constat. L’amour était là et le désir était là aussi. Tout à coup on voit. Le roman se casse sous le coup de cette découverte. Il ne peut pas faire autrement, le roman. On est du côté de l’auteur dans cette affaire. On croyait comme lui, on se trompait comme lui et comme lui brutalement on s’aperçoit de l’erreur. Jean-Claude Charles est sans doute un romancier, vrai, grand. Manhattan Blues, par Jean-Claude Charles, Ed. Bernard Barrault, L’Autre Journal, n" 9, novembre 1985. MARGUERITE DURAS LE MONDE EXTÉRIEUR, POL, 1993 HÔPITAL SILENCE Il est question de femmes, et seulement de femmes, de quantités de femmes qui avortent dans une boucherie ultramoderne et spécialisée, un hôpital parisien. On est plongé dans l’odeur du sang, celle de la chair humaine, fœtale, et celle de la femme qui la fait, qui fait les enfants. C’est à fuir. On est plongé dans les menstrues de la femme, ses cycles lunaires de saignement. C’est à fuir et c’est émerveillant parce que c’est écrit, et pour toujours. Cette extirpation, cette extraction de l’enfant est ici également montrée à la chaîne, mais cas par cas. Hôpital silence n’est en rien un réquisitoire pour ou contre la liberté de l’avortement. C’est un livre de littérature. Un écrit. Un texte. Seule la littérature pouvait être à la hauteur de ce drame. Le journalisme, à de rares cas près, non. Parce qu’il reste à la porte et qu’il ne montre que ce qui est apparent : justement ce que la littérature laisse. La littérature, tout lui appartient. Elle prend et refait. Ou bien elle refait le monde ou bien elle n’existe pas. Si elle ne refait pas le monde, qu’elle aille se rhabiller. On croit se débarrasser d’un fœtus, alors qu’on est déjà porteuse d’un enfant. Et avorter c’est tuer l’enfant. Là encore le mensonge règne, l’hypocrisie du désespoir des femmes. Elles disent rien, les femmes. L’écrit rétablit la vérité, ou plus exactement il la propose : de même que chaque mort est la mort, chaque enfant est l’enfant. Personne n’a parlé de Hôpital silence. Peut-être que les hommes n’ont pas pu le lire, dégoûtés, et que les femmes n’en ont pas écrit pour ne pas déplaire aux hommes. Mais lu ou non, ce livre restera vivant dans la littérature. Un grand livre dont à ce point on ne parle pas, ça veut dire. Hôpital Silence, par Nicole Malinconi, Ed. de Minuit. L’Autre Journal, n" 9, novembre 1985.