Vivre avec une personne souffrant d`un trouble de la personnalité

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Vivre avec une personne souffrant d`un trouble de la personnalité
DOSSIER
Vivre avec une personne souffrant d’un
trouble de la personnalité borderline
Par
Michel Gagnon, M. PS.
Q
UICONQUE a côtoyé le moindrement une personne souffrant
d’un trouble de la personnalité borderline (TPB) peut
facilement comprendre à quel point la vie de ces personnes
est un « enfer », et à quel point ces personnes font vivre un
« enfer » à leur entourage (conjoints, parents, amis). Et comme ces
personnes provoquent ce qu’elles craignent le plus, soit le rejet ou
l’abandon, elles se retrouvent immanquablement dans un cercle vicieux « infernal » ne faisant qu’accentuer leur détresse et rendant la
vie de leur entourage encore plus « infernale ». Il y a lieu de se demander ce qu’on peut faire pour aider l’entourage à ne pas sombrer
dans le désespoir, le rejet et la culpabilité. Ces gens ont besoin de
soutien, mais aussi d’information adéquate et de coaching pour
mieux comprendre leur proche souffrant d’un trouble de la personnalité borderline et pour mieux interagir avec lui afin de réduire les tensions au lieu de les accentuer.
Informer et coacher
Autant les personnes borderline elles-mêmes que leurs proches ont
très souvent une fausse conception d’un trouble de la personnalité,
accentuant inutilement la peur et le découragement. Ainsi, le trouble
de la personnalité, particulièrement borderline, est souvent associé à
la folie (genre schizophrénie), à la personnalité multiple (qui est
plutôt un trouble dissociatif sévère), à la psychopathie, à la délinquance, voire à la « possession » diabolique, ou encore tout simplement à de la mauvaise volonté et de la méchanceté.
Il est donc important d’expliquer, le plus simplement possible,
que la personnalité d’un individu regroupe l’ensemble de ses façons
de penser, de réagir émotivement et de se comporter dans ses relations interpersonnelles et vis-à-vis du défi de la vie. En partie innés,
avec des degrés de vulnérabilité variables (prédispositions génétiques et biologiques), ces traits de personnalité vont se développer
et se structurer selon les expériences psychosociales vécues dès la
naissance. Ainsi, plus un individu est fragile et vulnérable et vit des
expériences psychosociales traumatisantes et néfastes, plus ses traits
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de personnalité risquent de devenir excessifs et rigides, développant
ce qu’on appelle un trouble de la personnalité pouvant nuire à ses relations interpersonnelles et à sa capacité d’adaptation aux situations de la vie. On peut donc situer l’individu sur un continuum entre
le fonctionnement optimal et le trouble de la personnalité. L’objectif
poursuivi sera toujours de permettre à l’individu d’utiliser de la façon
la plus optimale possible les éléments positifs de sa personnalité,
quelle qu’elle soit. Ainsi, avoir une personnalité borderline n’est pas
une pathologie en soi. Au contraire, au degré optimal de fonctionnement, la personnalité borderline peut manifester les caractéristiques
suivantes : sensibilité, intuition, perspicacité, introspection, honnêteté, authenticité, passion, créativité, sens artistique, conscience sociale, sens de la justice, humour, énergie, compassion, spontanéité,
curiosité, ouverture d’esprit, joie de vivre. Il est donc important de reconnaître ce potentiel et de le transmettre autant à la personne ellemême qu’à son entourage.
Caractéristiques d’un TPB
et leur impact sur l’entourage
Voici un échantillon des caractéristiques le plus souvent rencontrées.
Plus une personne se reconnaît dans ces caractéristiques (en intensité et en quantité), plus elle risque de manifester un trouble de la
personnalité borderline. L’impact possible de chacune de ces caractéristiques sur l’entourage est aussi brièvement décrit ainsi que les
façons de réduire l’ampleur de cet impact.
1. Hypersensibilité à l’abandon, réelle ou imaginée, reliée à
une incapacité de vivre la solitude, et efforts excessifs pour l’éviter
(rage, colère, menaces, supplications, etc.). L’entourage se sentira facilement coupable dans de telles circonstances et c’est normal. Qu’il
s’agisse d’un abandon réel (rupture définitive de la part du conjoint)
ou imaginé (absence temporaire pour une raison quelconque, que ce
soit le travail ou autre chose), il est préférable de ne pas se soumettre au besoin de la personne borderline d’éviter l’abandon, même
si ça peut être efficace à court terme (soulagement de sa détresse et
de notre culpabilité), car la situation deviendra de plus en plus insoutenable et frustrante à plus long terme, avec un désir de rejet encore
plus pénible à vivre pour tout le monde.
2. Relations interpersonnelles intenses, très chargées émotivement et instables, alternant entre des sentiments extrêmes et
opposés : l’idéalisation lorsque l’autre semble combler le sentiment
de vide et de désespoir, et la dévaluation à la moindre déception
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ou frustration ; attitude fusionnelle insécure et possessive ; faible
tolérance à une relation calme ou neutre ; besoins affectifs intenses
vs peur d’être profondément blessé. Il est très important de ne pas
se laisser prendre dans une situation fusionnelle, même si ça peut
être valorisant de se sentir admiré, car personne ne peut être toujours à la hauteur et disponible, et ainsi éviter de décevoir la personne borderline. Il faut donc transmettre le plus rapidement possible l’idée de limites et d’autonomie, qu’on ne peut toujours être
disponible et que la personne borderline n’a pas toujours besoin de
notre présence. Il est important de
Il est très important
garder le plus possible son calme en
le faisant, même si la personne bordenepas se laisser
derline le tolère mal, car c’est ce qui
permettra, à la longue, de rassurer
prendre dans une
véritablement cette personne.
3. Instabilité affective reliée à
situation fusionnelle.
une très grande sensibilité et vulnérabilité aux événements, aux situations ou aux remarques négatives
des autres, provoquant des réactions intenses d’irritabilité, de dépression, d’anxiété, de rage et de désespoir ; amplification rapide
des sentiments ; fluctuations d’humeur sans raison apparente.
Ceci peut être vraiment éprouvant, décourageant et insupportable
pour l’entourage. Il est donc important de ne pas se laisser envahir
par ces émotions qui appartiennent à la personne borderline. C’est
ainsi qu’on sera en mesure de lui exprimer une certaine compréhension et de la compassion tout en imposant nos limites claires et
fermes en exprimant nos propres sentiments plutôt que d’accentuer
l’intensité émotionnelle en étant accusateur ou en jugeant cette
personne. Il est important de conserver son identité propre, ses
émotions, et de ne pas s’identifier à la détresse de la personne borderline ; il ne faut pas craindre d’affirmer sa différence dans sa
façon de voir les choses et de réagir. La personne borderline en sera
peut-être frustrée sur le coup, mais elle sera probablement rassurée
par la suite de voir qu’elle n’arrive pas à nous perturber et nous en
sera reconnaissante. Si on se sent envahi par les émotions de
l’autre, il y a lieu de se questionner sur sa propre dépendance
vis-à-vis de cette personne.
4. Difficulté à contrôler la colère, qui est exprimée souvent de
façon intense, violente, imprévisible et inappropriée, et qui peut disparaître aussi rapidement ; ou difficulté à exprimer de la colère de
peur de perdre le contrôle. L’entourage reste souvent perturbé plus
longtemps par les accès de colère de la personne borderline, alors
que pour celle-ci, tout est, habituellement, oublié rapidement. Il
s’agit donc de ne pas dramatiser outre mesure ces accès de colère,
tout en affirmant quand même certaines limites acceptables. Il ne
faudrait pas ridiculiser les accès de colère (ce qui ne ferait que les accentuer), mais les prendre avec un certain détachement et de l’humour (mais aussi de la compréhension), ce qui dédramatiserait la situation, car pour la personne borderline ce n’est souvent pas aussi
dramatique qu’il n’y paraît (elle a simplement besoin de laisser sortir
de la vapeur).
5. Difficulté à apaiser soi-même sa détresse en pensant simplement à quelqu’un qui l’aime ou l’apprécie ; besoin de la présence
physique de l’autre pour y arriver ; faible tolérance à la détresse reliée
à une carence d’expériences positives. Voir le point 2.
6. Trouble de l’identité, avec une image de soi instable, un
sentiment d’être morcelé, de se donner différentes identités selon
l’interlocuteur, et un sentiment chronique de vide intérieur. L’entourage se sent souvent démuni devant ce genre d’attitude. Il est
important d’encourager la personne borderline à exprimer ce
qu’elle pense et ressent vraiment tout en validant ce qu’elle exprime, et de lui faire part des qualités qu’on reconnaît en elle
(voir les caractéristiques positives mentionnées plus haut), de ses
bons côtés, de sa valeur comme personne méritant d’être respectée
et aimée.
7. Recherche de sensations fortes dans des comportements
impulsifs potentiellement dangereux ou dommageables (abus de
substances, boulimie, conduite automobile téméraire, comportement
sexuel à risque, dépenses excessives, jeu, vol à l’étalage) dans le but
de combler le sentiment de vide, de se créer une identité ou de soulager sa grande douleur. Ce type de comportement devient facilement irritant ou troublant pour l’entourage. Il est important alors
d’être sensible à la détresse sous-jacente à ces comportements excessifs et de communiquer cette compréhension en évitant de juger ou
de condamner, mais en confrontant la personne aux risques qu’elle
prend tout en exprimant nos préoccupations et notre attachement.
D’un point de vue plus positif, il peut être stimulant de se laisser influencer par ces personnes en s’ouvrant aux découvertes, aux nouveautés, aux fantaisies, tout en étant bien en contact avec soi-même
et attentif à ses limites personnelles.
8. Menaces ou gestes suicidaires et d’automutilation dans le
but de crier ou de soulager sa détresse insoutenable. Voir le point 7.
Il ne faut surtout pas jouer au thérapeute mais plutôt exprimer à
cette personne notre attachement, notre inquiétude et nos limites, et
l’inciter à se procurer de l’aide professionnelle.
9. Pauvre estime de soi, sentiment de honte, image négative de
soi (impression d’être sans valeur, d’être un monstre, d’être méchant
et démoniaque), provoquant parfois un besoin de se considérer
comme un être meilleur ou supérieur aux autres, s’imposant des standards perfectionnistes, ayant une perception de soi irréaliste et une
difficulté à accepter l’échec ; besoin d’être valorisé, de recevoir l’approbation et la reconnaissance des autres. Voir le point 6.
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10. Moments passagers d’idées paranoïdes ou de symptômes
de dissociation (impression de ne pas être là, de perdre contact avec
soi-même, de se sentir étranger, irréel, engourdi) en réaction à un
stress intense. Il est très compréhensible que de telles situations
soient inquiétantes pour l’entourage. Il ne faut pas perdre de vue
que ce sont des réactions temporaires à une situation de stress (et
non une maladie chronique) et que la personne retrouve généralement son état normal assez rapidement. Il faut donc rassurer la personne borderline à ce sujet, mais si ces réactions sont fréquentes et
excessives, on peut aussi lui suggérer d’aller chercher de l’aide professionnelle et souligner qu’il existe des médicaments pouvant réduire
l’intensité de ces réactions et donc lui être utiles.
11. Peur de la folie (que les émotions intenses et les comportements excessifs hors contrôle soient des signes de folie). Il est souvent dramatique que l’entourage développe cette perception de folie
et la transmette à la personne borderline par manque d’information.
Il est donc important de bien s’informer sur ce qu’est un trouble de la
personnalité borderline, et d’en faire part à la personne concernée,
afin d’en avoir une perception plus réaliste qui sera aussi transmise à
cette personne.
12. Besoin de compenser un manque de contrôle sur soi-même
et sur sa vie en contrôlant et en manipulant les autres. Ce genre de
comportement est irritant pour l’entourage. Il est faux de prétendre
qu’il ne faut jamais se laisser manipuler par une personne borderline
en craignant qu’elle en abuse. On se retrouve alors dans une guerre
de pouvoir qui n’en finit plus. Comme avec un enfant, il est préférable
de tolérer un certain degré de manipulation. Il devient alors plus
facile pour cette personne d’accepter éventuellement des limites, si
elle se sent comprise et si elle sent qu’il y a une certaine tolérance.
13. Révolte contre l’autorité, les règles, les injustices ; ressentiment, insatisfaction, envie ; impression de ne pas avoir droit au bonheur ; sentiment d’avoir subi des injustices et qu’alors quelque chose
lui est dû. Un tel comportement devient rapidement insupportable et
décourageant pour l’entourage. Il est important de reconnaître et de
valider les sentiments de cette personne, de lui apporter un soutien,
mais en même temps de la confronter aux réalités de la vie, au fait
qu’il est impossible d’éviter ou de réparer toutes les injustices même
s’il est important de les dénoncer, et que vivre implique aussi une capacité à faire des concessions.
14. Très grande sensibilité aux autres ; capacité à percevoir les
points sensibles et vulnérables des autres, à comprendre ce qu’ils
ressentent tout en ayant parfois de la difficulté à en tenir compte ou
en s’en servant pour blesser les autres. Ceci peut être très troublant
pour l’entourage. Il faut donc être prêt à être confronté à sa propre
détresse, à être touché à ses points sensibles et vulnérables afin de
se sentir moins fragile à ces attitudes. Sinon, il y a peut-être lieu d’aller chercher de l’aide pour soi-même.
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15. Bonnes compétences et capacités de performance,
malgré de grandes carences, dans certaines situations ou certains
domaines (artistique, sportif, etc.) et perte de moyens dans d’autres
situations, ce qui est souvent difficile à comprendre pour l’entourage. Il est important de bien reconnaître et valoriser les compétences tout en évitant de juger négativement les carences. Il faut
encourager alors cette personne à persister pour améliorer ses carences en lui rappelant les compétences qu’elle a par ailleurs et ses
caractéristiques positives.
Outil d’information et de coaching
Différents moyens peuvent être utilisés pour transmettre cette information et apporter de l’aide aux familles des personnes souffrant
d’un trouble de la personnalité borderline. Personnellement, j’ai
trouvé fort utile de condenser l’information décrite plus haut en un
dépliant qui peut être facilement distribué dans différentes cliniques
ou ressources communautaires. J’ai aussi pris l’habitude de donner
ce dépliant à chaque client borderline que je rencontre, autant pour
son intérêt que pour celui de ses proches, avec lesquels le client peut
en discuter le contenu.
Un tel dépliant peut donc servir de base de discussion, de soutien et d’aide auprès des proches des personnes borderline. Plusieurs
formules peuvent alors être envisagées : rencontre du client accompagné de ses proches en entrevue, rencontre des proches sans le
client, rencontres de groupe avec les proches en milieu clinique ou
dans les ressources communautaires, etc.
Michel Gagnon est psychologue aux services externes de psychiatrie à l’Hopital du
Haut-Richelieu.
• Pratique privée.
• Dans un local comprenant trois
bureaux de psychologue avec salle
d’attente privée.
• Nouvel immeuble professionnel, bien
aménagé et bien situé à LaSalle.
Disponible pour le 1er juillet 2005.
Yvette Larose, psychologue (514) 595-7799.
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