Le Journal d`un Poilu

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Le Journal d`un Poilu
Le Journal d’un Poilu
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Extraits des carnets de notes de Théode BONVALLET (né le 21/11/1886 à Ravenel - mort le 21/09/1918 à Doiran (Macédoine))
SUPPLEMENT AU BULLETIN « RAVENEL ACTUALITES » DE DECEMBRE 2015
Dans le numéro précédent, Théode nous
parlait d'un cimetière situé à Pontavert,
près de son cantonnement : "...et le
cimetière qui se trouve derrière le jardin
potager et où reposent une vingtaine
d’officiers dont trois colonels et 200 soldats
environ.". Ce cimetière a été réaménagé
après la fin de la guerre. Créée en 1915 et
agrandie en 1919, cette nécropole de
24 520 m2 abrite maintenant 6 815 corps
de soldats tombés lors de la première
guerre mondiale. Parmi ces sépultures,
6 694 français sont en tombes individuelles
et 1 364 en ossuaire. Cette nécropole abrite
également les tombes de 67 britanniques
tués en octobre 1914 et de mai à octobre
1918 et 54 russes.
De 1919 à 1925 des travaux de
regroupement ont été effectués. Ainsi,
cette nécropole rassemble les corps
initialement inhumés dans les environs de
Pontavert, ceux reposant dans les
cimetières allemands de Sissonne, Coucyles-Eppes, Amifontaine, Nizy-le-Comte,
ceux des cimetières français de Beaurieux,
Samoussy, Guyencourt, Meurival, La-Villeaux-bois,
et
Vassogne,
etc.
A proximité, situé dans la vallée de l'Aisne,
au pied du plateau du Chemin des Dames,
le long de la D 925, le cimetière national de
Soupir n°1 a été créé par les autorités
françaises à partir d'un cimetière édifié au
cours du conflit à proximité d'un poste de
secours où avaient été inhumés des
combattants français et allemands.
Cette nécropole de 27 773 m2 abrite 7 808
corps dont 4 720 en tombes individuelles et
collectives et 3 088 dans les 3 ossuaires. Ce
cimetière militaire compte également
4 fosses collectives regroupant 266 corps
qui proviennent des sites de Vieil-Arcy,
Athies-sous-Laon, Glennes et de PargnyFilain , ainsi que la tombe d’un soldat belge
et celle d’un russe. Dans ce cimetière nous
y avons trouvé la tombe de Jean Baptiste
DECUIGNIERE, soldat de Ravenel né en
mars 1886 et décédé dans les tranchées de
Soupir le 25 aout 1915. Il était soldat du
251éme Régiment d'Infanterie tout comme
d'ailleurs un autre soldat ravenellois,
M. Félicien FOURQUIER, né en avril 1881,
lui aussi tué dans les tranchées à Soupir le
2 novembre 1914. Son corps n'a jamais été
identifié, il doit reposer dans un des
ossuaires de ce cimetière.
RAVENEL ACTUALITES
Crédit photos : Ravenel Actualités
Cimetière de Soupir n° 1
Crédit photos : Ravenel Actualités
Crédit photos : Ravenel Actualités
Le Journal d’un Poilu (12)
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Vendredi 10 mars 1916 :
(suite)
Ils prirent possession du Bois de la Mine, du Bois
franco-boche, et du Bois de la Butte. Nous fûmes
mués en combattants et on nous distribua des
cartouches. Nous organisâmes un boyau de tir
et, placé dans un angle, je pouvais commander à
mes deux escouades. Il fit froid toute la nuit.
le matin tirer du 220. On voit très bien l’obus
partir dans l’espace : il pèse de 100,3 kg à 101,1
kg : de véritables monstres d’acier et quel coup !
Au départ à 15 h il y eut attaque au Bois des
Buttes, pris par les boches le 10, mais ils furent
arrêtés par nos tirs de barrage. A 16 h nouvel
essai mais sans réussite. Leurs avions et les
nôtres volèrent une partie de la journée car il fit
un temps superbe. Chassés par les obus des deux
Samedi 11 mars 1916 :
côtés : pas de résultat. Je rentrais à mon bivouac
A
minuit
quinze,
après
une
petite et ce fut assez calme le soir. Je me couchais vers
préparation d’artillerie, le 246ème contre-attaqua 22 h après avoir fait un briquet pour un ami. Je
et reprit une partie de ce que nous avions perdu me cache dans un boyau pour écrire cela.
dans la journée. Ça se passa assez bien et nous
n’eûmes pas à intervenir. Je faillis être touché
Mercredi 15 mars 1916 :
par un éclat dans la tranchée. Je me couchais par Levé à 6 heures ½ après avoir bien dormi. Je
terre sur la neige et ne me réveillais que transi partais à nouveau au travail dans le Bois de
de froid et couvert de neige car il en tomba Gernicourt dans lequel il y a de l’artillerie en
pendant deux heures. A 9 heures on nous masse et de tous calibres (75-90-95-105-155
apporta ¼ de café assez chaud. Le matin vers long et court-120 long et court et les monstres
5
heures,
voyant
deux
perdrix
qui 220). Les obus de 220 pèsent l’un dans l’autre
picoraient, face à mon créneau, je leur 101 kg, ceux de 155 court 44 kg en moyenne.
lâchai une balle et j’en eu une que je Arrivé vers 8 heures, je dus aller faire un boyau
mangeais à midi. Nous rentrâmes vers de communication pour l’avant dans la corne
11 heures. Le cantonnement fut bombardé de nord du bois tellement battue que dans la nuit
nouveau et plusieurs obus tombèrent près de l’artillerie dut déguerpir et chose extraordinaire :
ma guitoune remuant tout. Après manger je fis sans aucune perte. Cependant le bois est en
quelques lettres et réparais un peu mon abri. Le miettes ! Plus de 1000 arbres sont ouverts sur
bombardement continua jusque 5 h. Je 300 m2. Tout fut battu hier par une salve de 77.
m’amusais à tirer sur des pies pour passer le Craignant un bombardement, je me repliais en
temps et le soir vers 20 heures je me couchais. arrière. A peine arrivé à l’abri en construction
batterie de 155 courte car les obus tombaient
partout et au même moment ceux-ci tiraient. Le
bruit et la fumée me firent croire que c’en était
un qui venait de tomber sur la pièce . Quel rêve
et quel spectacle : beauté de la science,
nouvelles innovations tout cela mis à profit pour
tuer nos prochains. C’est extraordinaire. Il est
16 h. J’écris dans un petit boyau entendant de
tous côtés les commandements de nos tirailleurs
car nous tirons sans cesse pour empêcher les
boches de s’organiser dans le bois des Buttes
qu’ils nous ont pris dernièrement et que nous
devons leur reprendre dans quelques jours. Les
divisions marocaines sont derrière avec de
l’artillerie en nombre. Réussirons-nous et
reviendrai-je ? Je rentrais indemne au bivouac et
le soir je m’amusais avec un encrier que j’avais
fait avec un culot de 77 et une tête de 105
boches. Un camarade ayant pris un beau brochet
j’allais en manger un morceau. Je ne me
couchais qu’à 23 heures et fus très long à
m’endormir.
Jeudi 16 mars 1916 :
A 3 heures du matin, nous fûmes
bombardés. Je fus jeté à bas de mon lit par une
explosion. Plusieurs obus vinrent encore tomber
devant et derrière ma guitoune. Notre bureau et
la cuisine se sont effondrés. Un 150 n’a pas
éclaté et se trouve près d’une guitoune dans
laquelle se trouvent une quinzaine de poilus. Pas
Dimanche 12 mars 1916 :
Je ne fis qu’un seul somme jusque 5 heures où
nos
batteries
tirèrent
mais
je
me
rendormis au son du canon et je ne me
levais qu’à 8 heures. Je pris mon café, fis
quelques lettres et à la soupe à 11 heures. Le
temps est magnifique : un beau soleil un peu
froid. L’après-midi, je m’amusais à faire un coupe
papier que je terminais le soir. Les boches nous
arrosèrent encore mais pas d’accident. Je me
couchais vers 22 heures. Notre artillerie donne
fort et verse à foison des obus de tous calibres à
ces sales boches. Nos avions firent une
reconnaissance au milieu des obus boches et
revinrent intacts.
Lundi 13 mars 1916 :
A 7 heures j’étais debout. Toute la journée je me
reposais en bricolant. La 1ère et la 3ème section
sont parties la nuit dernière au Blanc Bois près
de Bouffignereux. Seule la 2ème – la mienne –
Un mortier de 220 TR de marque Schneider , en activité en 1916
reste. Le soir des boches nous envoyèrent des
(Illustration : Internet)
obus asphyxiants. L’air était empesté mais il n’y
eut aucun accident.
qu’un 150 éclate couvrant l’alentour et cela d’accident à regretter cette fois. A 7 heures je
jusqu’à 10 h 30. Je partais déjeuner. Arrivé sur la partais au Bois de Gernicourt. Notre artillerie tire
Mardi 14 mars 1916 :
passerelle, deux obus vinrent choir près d’elle. Je avec des pièces de tous calibres : des salves de
A 3 heures du matin je fus soulevé dans mon lit me couchais pour éviter les éclats et à peine me 100 à 120 coups en une minute et demie
par un obus qui explosa à quelques mètres de relevais-je qu’un autre vint éclater à l’endroit où envoyant en moyenne 5500 kg de
ma guitoune. Vraiment j’ai de la chance car cet j’étais couché 20 secondes avant. Je l’ai encore ferraille pour la somme approximative de 6000
obus en fait devait m’engloutir. Je ne puis me bien échappé ! Un bombardement ayant lieu francs. Un rien !!! J’allais déjeuner au bivouac et
rendormir car le bombardement dura 40 mn et vers 12 h 30, j’attendis qu’il fut passé pour m’en pendant le repas encore une séance. Retournant
la majeure partie vers notre cantonnement. retourner au travail. A peine arrivais-je au bois au travail je fus obligé d’évacuer le chantier,
A 7 h ¼ je partis dans le bois de Gernicourt à un que 15 à 20 obus 77 et 105 vinrent me couper la bombardé encore. Pas de pertes et
abri de Général. Nous fûmes arrosés une partie route tombant devant et derrière. Je rentrant de bonne heure je changeais encore de
de l’après midi après la visite de plusieurs avions m’allongeais dans un boyau, seul. Et à travers guitoune. Avec 3 autres nous démolîmes une
boches. Ça tombait encore autour de nous et bois, comme un fou, je gagnais un sentier qui guitoune abandonnée pour renforcer la nôtre et
notre artillerie répondit sans cesse. J’ai été voir conduit aux abris. Je me précipitais dans ma nous la consolidâmes de notre mieux à
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l’extérieur.
Vendredi 17 mars 1916 :
Je dormis comme un bienheureux et comme
je ne me sentais pas bien portant je me fis
porter malade. J’en profitais pour arranger
l’intérieur de ma guitoune à mon goût et,
quoiqu’un peu serré, je ne suis pas trop mal.
L’après-midi j’allais me promener à Gernicourt
bombardé dernièrement et dans un triste état
et ayant rencontré des anciens pompiers de
Paris j’y passais une partie de mon après-midi.
Les boches esquissèrent encore un
bombardement mais contré par notre
artillerie qui ne cesse de temps à autre de
harceler ceux qui sont dans leurs tranchées.
Ils furent vivement réduits au silence. Il y eut
de nombreuses reconnaissances par nos
avions violemment mitraillés par deux feux de
nos engins mais aucune perte ni accident. Je
ne pus bricoler à mon aise car j’allais à la
pêche mais n’ayant que deux grenades nous
ne ramassâmes que de tout petits poissons. A
21 heures je me mettais au lit et je ne tardais
pas à m’endormir.
Samedi 18 mars 1916 :
La nuit ne fut pas trop mouvementée et je
dormis assez bien. J’eus même trop chaud.
Rien d’anormal dans la matinée. Un ami
pompier est venu me voir et nous avons
déjeuné ensemble. L’après-midi nous fîmes
une promenade en canot. Quelques coups de
canons le soir. A 19 heures je partis avec 20
hommes pour faire des abris en première
ligne à environ 70 à 80 m des boches, près du
Bois Franco-boche, au sud du bois des Buttes.
Tous ces bois dénommés Franco-boche,
Claussade, Marteau, Sapinière, etc. forment le
bois des Buttes. J’attendis près d’une heure au
Poste de Commandement du Colonel du
289ème et à travers un dédale de bois saccagé
je gagnais le boyau de Tokio et le boyau blanc.
Pas facile à s’y reconnaitre tellement il y a de
boyaux et tranchées de toutes sortes. Une fois
nos hommes placés, je revins seul au P.C. afin
de reconnaître le chemin pour ramener mes
troupes car pour aller au travail j’avais un
guide mais pour en revenir !!!! Rien !!! Je m’y
reconnus quand même et à deux heures du
matin nous revînmes. Je fus salué plusieurs
fois par quelques balles et le canon faillit faire
des victimes parmi mes hommes. 5 ou 6 obus
dont 2 tombèrent en plein boyau, rasèrent les
parapets et éclatèrent bien près de nous.
Nous n’étions couverts sur un kilomètre que
par sept sentinelles dont deux au poste
d’écoute. Personne ni dans les boyaux ni dans
les tranchées. Tous sont à l’arrière. C’est incroyable de voir l’organisation qu’il y a dans
ce secteur. Tout le monde s’en fout….. surtout
les chefs. Seuls quelques poilus sont là à
veiller et quelle veille ! Fatigués, dégoûtés ils
ne surveillent que leur peau et combien
(d’après les réflexions que j’ai entendues mille
fois) ont-ils regretté de ne pas être de l’autre
côté, prisonniers ! Les hommes sont toujours
prêts à faire le sacrifice de leur vie mais on ne
leur demande pas au temps opportun et les
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Village de Gernicourt bombardé en 1916
(Illustration : Internet)
grands ne savent pas profiter des bonnes
circonstances. Si les boches voulaient, à 20
hommes décidés, ils pourraient prendre
plusieurs kilomètres de tranchées sans coup
férir et ramasser les travailleurs dont la
majeure partie vient en ligne sans fusil ni
équipement ou alors avec le fusil et quelques
cartouches
dans les poches mais sans
baïonnettes . Dans le secteur il n’existe aucun
abri et les hommes résisteraient-ils seulement
à un 77 ? Quelle gabegie et quelle
incohérence dans les ordres donnés et ceux
reçus. Comment sont-ils exécutés ?
Dimanche 19 mars 1916 :
Je restais jusque 2 heures dans les
tranchées et à 3 heures et quart, je
rentrais me coucher et m’endormis
rapidement ne me levant qu’à 8 heures pour
aller
rendre
compte
du
travail
exécuté. Je passais la matinée à aller à la
pêche dans un bras de l’Aisne. 8 grenades
furent lancées sans résultat, mais dans une
nasse je pris avec un copain un beau poisson.
Nous jetâmes dix autres grenades dans le
canal et, montant dans le canot, je ramassais
à pleines mains au moins 8 livres de poissons
et du bon que je distribuais dans deux
escouades pour améliorer leur ordinaire,
après en avoir prélevé de beaux et bons. Voilà
trois repas que je fais rien qu’avec du
poisson. Le soir j’allais au Bois Blanc voir le
vaguemestre pour toucher un mandat de
843.99 francs. Je le touchais et lui remis 25
francs pour prendre un mandat de 22 francs
pour Campazzi et le reste pour sa commission.
A midi les boches nous bombardèrent
pendant trois quarts d’heure, nous coupant
trois passerelles qui furent réparées le soir
même et ils ne les comptèrent pas leurs
obus ! Nous avons de l’infanterie et de
l’artillerie lourde qui arrivent ainsi que des
munitions en quantité. Couché à 23 heures.
Lundi 20 mars 1916 :
La journée se passa toujours avec quelques
bombardements intermittents et le soir je
retournais là où j’avais commencé les abris
mais je fus obligé de passer par le Bois de
Claussade et Marteau car le bois était
marmité. Quelques coups de canons
revolver nous saluèrent. Je me couchais un
peu dans la tranchée mais je ne pus dormir
réveillé ou plutôt toujours aux écoutes avec le
maudit canon. Les nôtres leur passèrent
quelque chose encore mais ils se terrent dans
de bonnes guitounes d’où il nous est
impossible de les déloger.
Mardi 21 mars 1916 :
Je passais toute la nuit dans la tranchée et ne
partis qu’à 7 heures et demie. Je passais par la
ferme de la pêcherie après avoir traversé le
P.C. de la Sablière, véritable village sous terre.
Je craignais bien être marmité car obligé de
passer à découvert avec 21 hommes sur un
espace d’au moins 1500 m se prolongeant par
une passerelle de 500 m posée sur un terrain
marécageux et qui est coupée presque
chaque jour. Nous n’essuyâmes que quelques
coups de fusil. Aussitôt rentré, je fis ma
toilette et ensuite nous sortîmes le canot du
canal et je le réparais car il prenait l’eau. Je lui
mis quelques pièces et, aidé d’un homme, je
le nettoyais. Nous le remîmes à l’eau et je fis
une bonne partie. L’après midi avec quelques
pompiers nous allâmes à Gernicourt dont
nous revînmes à deux, l’ami ramant et moi à
la godille. N’ayant pas dormi et levé depuis la
veille au matin j’étais très fatigué mais
néanmoins nous mîmes encore de la terre sur
notre abri. Couché à 20 h 30.
Mercredi 22 mars 1916 :
Je fus réveillé par une attaque de notre
artillerie à 4 h du matin. Je me levais et à
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5 heures je partais aux tranchées. Ce fut calme
jusque 8 heures. Il faisait un temps magnifique
mais les boches veillant s’aperçurent que nous
jetions de la terre et qu’il y avait des travaux
nouveaux dans la nuit. Ils nous arrosèrent
copieusement avec le canon revolver dont on
n’entend pas le départ mais l’arrivée aussi vite
qu’une balle et dont l’explosion est démoralisante, de 74 autrichien qui fait vite mais dont on
entend le départ, de 77 pas trop terrible, de 105
à Schnapels , tout cela sur nos travaux et
rapidement. Nous n’eûmes aucune perte.
Canon revolver de 1915
(illustration : Bibliothèque Nationale de France gallicia.bnf.fr)
Nos batteries du Bois Davaud leur
envoyèrent quelques salves de 120 et de 155,
environ 8 à 10 salves de 100 coups chacune et
toute cette mitraille tombait dans le bois Franco
-boche - Boche maintenant puisqu’ils nous le
prirent dernièrement – et dans le Bois des
Buttes qui touche à Villers aux Bois. Vers
7 heures du matin je vis trois boches qui
posaient du fil de fer barbelé dans le bois. A 14 h
30 il dut y avoir une attaque du côté de Berry au
Bac car ce ne fut qu’un roulement de
mousqueterie pendant une demi-heure et
l’artillerie se tût subitement. A midi, comme je
mangeais avec un copain, un obus de 37 vint
éclater au-dessus de nous renversant mon quart
de café et nous envoyant une volée de terre sur
notre déjeuner. Encore un coup de raté. Nous
nous fîmes bombarder encore plusieurs fois
dans le courant de l’après-midi. A 15 h il se mit à
pleuvoir et le temps changea subitement. Quelle
vie atroce : être toujours sous l’impression de la
terreur. Comme il n’y a aucun abri de fait
chaque fois qu’une rafale arrive il faut se coucher à plat ventre dans le fond du boyau et
attendre avec la crainte de se voir écraser après
chaque instant. Quel enfer ! Lorsque ça tombe
la terre nous tombe sur le dos et l’on se figure
être touché. Autrefois je plaisantais pour calmer
mes hommes. Maintenant je ne m’en sens plus
le courage ayant passé au travers - par quels
miracles
depuis
plusieurs
jours.
A suivre ...
Le Journal d’un Poilu (12)
LES MARTYRS DE VINGRÉ
Ma chère Bien aimée
C'est dans une grande détresse que je me met à
t'écrire et si Dieu et la Sainte Vierge ne me viennent en
aide c'est pour la dernière fois, je suis dans une telle
détresse et une telle douleur que je ne sais trouver
tout ce que je voudrais pouvoir te dire et je vois d'ici
quand tu vas lire ces lignes tout ce que tu vas souffrir
ma pauvre amie qui m'est si chère, pardonne-moi tout
ce que tu vas souffrir par moi. Je serais dans le
désespoir complet si je n'avais la foi et la religion pour
me soutenir dans ce moment si pénible pour moi. Car
je suis dans la position la plus terrible qui puisse
exister pour moi car je n'ai plus longtemps à vivre à
moins que Dieu par un miracle de sa bonté ne me
vienne en aide. Je vais tacher en quelques mots de te
dire ma situation mais je ne sais si je pourrai, je ne
m'en sens guère le courage. Le 27 novembre, à la nuit
étant dans une tranchée face à l'ennemi les Allemands
nous ont surpris, et ont jeté la panique parmi nous,
dans notre tranchée, nous nous sommes retirés dans
une tranchée arrière, et nous sommes retournés
reprendre nos places presque aussitôt, résultat une
dizaine de prisonniers à la compagnie dont 1 à mon
escouade, pour cette faute nous avons passé
aujourd'hui soir l'escouade (24 hommes) au conseil de
guerre et hélas nous sommes 6 pour payer pour tous,
je ne puis t'en expliquer davantage ma chère amie, je
souffre trop, l'ami Darlet pourra mieux t'expliquer, j'ai
la conscience tranquille et je me soumets entièrement
à la volonté de Dieu qui le veut ainsi c'est ce qui me
donne la force de pouvoir t'écrire ces mots ma chère
bien aimée qui m'a rendu si heureux le temps que j'ai
passé près de toi, et dont j'avais tant d'espoir de
retrouver. Le 1er décembre au matin on nous a fait
déposer sur ce qui s'était passé et quand j'ai vu
l'accusation qui était portée contre nous et dont
personne ne pouvait se douter j'ai pleuré une partie de
la journée et n'ai pas eu la force de t'écrire, le
lendemain je n'ai pu te faire qu'une carte ; ce matin
sur l'affirmation qu'on disait que ce ne serait rien
j'avais repris courage et t'ai écrit comme d'habitude
mais ce soir ma bien aimée je ne puis trouver des mots
pour te dire ma souffrance, tout me serait préférable à
ma position, mais comme Dieu sur la Croix je boirai
jusqu'à la lie le calice de douleur. Adieu ma Michelle
adieu ma chérie, puisque c'est la volonté de Dieu de
nous séparer sur la terre j'espère bien qu'il nous
réunira au ciel où je te donne rendez-vous, l'aumônier
ne me sera pas refusé et je me confierai bien
sincèrement à lui, ce qui me fait le plus souffrir de
tout, c'est le déshonneur pour toi pour nos parents et
nos familles, mais crois-le bien ma chère bien aimée
sur notre amour, je ne crois pas avoir mérité ce
châtiment pas plus que mes malheureux camarades
qui sont avec moi et ce sera la conscience en paix que
je partirai devant Dieu à qui j'offre toutes mes peines
et mes souffrances et me soumets entièrement à sa
volonté. Il me reste encore un petit espoir d'être gracié
oh bien petit mais la Sainte Vierge est si bonne et si
puissante et j'ai tant confiance en elle que je ne puis
désespérer entièrement. N.D. de Fourvière à qui j'avais
promis que nous irions tous les deux en pèlerinage que
nous ferions la communion dans son église et que
nous donnerions cinq francs pour l'achèvement de sa
basilique. N.D. de Lourdes que j'avais promis d'aller
prier avec toi au prochain pèlerinage dans son église
pour demander à Dieu la grâce de persévérer dans la
vie de bon chrétien que je me proposerais que nous
mènerions tous les deux ensemble si je retournais près
de toi, nous abandonneront pas et si elles m'exaucent
pas en cette vie j'espère qu'elles exauceront en l'autre.
Pardonne moi tout ce que tu vas souffrir par moi ma
bien aimée toi que j'ai de plus cher sur la terre toi que
j'aurais voulu rendre si heureuse en vivant
chrétiennement ensemble si j'étais retourné près de
toi, sois bien courageuse, pratique bien la religion, va
souvent à la communion c'est là que tu trouveras le
plus de consolation et le plus de force pour supporter
cette cruelle épreuve. Oh si je n'avais cette foi en Dieu
en quel désespoir je serais. Lui seul me donne la force
de pouvoir écrire ces pages. Oh bénis soit mes parents
qui m'ont appris à la connaître. Mes pauvres parents,
ma pauvre mère, mon pauvre père, que vont-ils
devenir quand ils vont apprendre ce que je suis
devenu. Oh ma bien aimée ma chère Michelle, prend
en bien soin de mes pauvres parents tant qu'ils seront
de ce monde, sois leur consolation et leur soutien
dans leur douleur, je te les laisse à tes bons soins,
dis-leur bien que je n'ai pas mérité cette punition si
dure et que nous nous retrouverons tous dans l'autre
monde, assiste les à leurs derniers moments et Dieu
t'en récompensera, demande pardon pour moi à tes
bons parents de la peine qu'ils vont éprouver par moi
dis-leur bien que je les aimais beaucoup et qu'ils ne
m'oublient pas dans leurs prières, que j'étais heureux
d'être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en
avoir soin sur leurs vieux jours mais puisque Dieu en a
jugé autrement que sa volonté soit faite et non la
mienne tu demanderas pardon aussi pour moi, à mon
frère ainsi qu'à toutes nos familles de l'ennui qu'ils
vont éprouver par moi, dis-leur bien que je m'en vais
la conscience tranquille et que je n'ai pas mérité une
si dure punition et qu'ils ne m'oublient pas dans leurs
prières. A toi ma bien aimée mon épouse si chère, je
te répète je n'ai rien fait de plus que les autres, et je
ne crois pas, sur ma conscience, avoir mérité cette
punition. Je te donne tout ce qui m'appartient ceci est
ma volonté, j'espère qu'on ne te contrariera pas, j'en
ai la conviction tu prendras bien soin de nos parents,
tu les assisteras dans leurs besoins, tu me
remplaceras le plus que tu pourras auprès d'eux c'est
une chose que je te recommande beaucoup et que
j'espère bien tu ne me refuseras pas j'en ai la
certitude sois toujours une bonne chrétienne pratique
bien la religion c'est là où tu trouveras le plus de
consolation et le plus de bonheur sur terre, nous
n'avons point d'enfant je te rends la parole que tu
m'as donnée de m'aimer toujours et de n'aimer que
moi, tu es jeune encore, reforme-toi une autre famille
si tu trouves un mari digne de toi et qui pratique la
religion épouse-le. Je te dégage de la parole que tu
m'as donnée, garde-moi un bon souvenir et ne m'oublie pas dans tes prières, tu me feras dire des messes
ceci à ta volonté et tu prieras bien pour moi, je me
voue à la miséricorde de Dieu et me mets sous la
protection de la Sainte Vierge dont je demande son
secours de Notre-Dame-du-Mont-Carmel dont je
porte le scapulaire que tu m'as donné et te donne
rendez-vous au ciel où j'espère que Dieu nous réunira
au revoir là-haut ma chère épouse.
(crédit Photo : Ravenel Actualités à partir d'un portrait affiché
sur une propriété du village de Vingré)
Jean Blanchard avait 34 ans et il écrivit cette lettre la
veille de son exécution. Sa femme, Michelle, recevra
en 1921 un diplôme de réhabilitation pour toute
consolation.
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est une réalisation de la Commission « Information-Communication »
de la Commune de RAVENEL .
Rédaction et mise en page : Gérard LEROY
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